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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 6 février 2008

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Entrevue avec une délégation de la commission de la défense et des affaires étrangères de la Chambre des députés grecque, conduite par son président, M. Miltiadis Varvitsiotis

Entrevue avec une délégation de la commission de la défense et des affaires étrangères de la Chambre des députés grecque, conduite par son président, M. Miltiadis Varvitsiotis

Le président Guy Teissier a souhaité la bienvenue à la délégation de la commission de la défense et des affaires étrangères de la Chambre des députés grecque, composée de MM. Miltiadis Varvitsiotis, président de la commission, Theodoros Pagalos, Simeon Kedikoglou et Apostolos Tzitzikostas.

Les exécutifs français et grec se rencontrent régulièrement. M. Hervé Morin, ministre de la défense français, s’est entretenu avec M. Kostas Karamanlis, Premier ministre grec, le 22 novembre dernier. De son côté, M. François Fillon, Premier ministre français, devrait se rendre en Grèce courant mars. Il appartient maintenant aux assemblées nationales des deux pays de tisser des liens étroits. Cette réunion, première du genre, vient à point nommé. L’Assemblée nationale s’apprête en effet à examiner le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne, que la Grèce soutient avec force.

Le développement de la politique européenne de sécurité et de défense est cher aux Français comme aux Grecs. Il importe de débattre ensemble des perspectives à trouver en ce domaine, d’autant que la Grèce consacre à la défense un budget particulièrement élevé. La France en sait gré à la Grèce, car elle se sent parfois bien seule, avec le Royaume-Uni, pour porter ce fardeau budgétaire.

Enfin, la Grèce joue un rôle majeur dans la stabilité et le développement des Balkans. Son engagement dans la région, plus particulièrement au Kosovo, doit être salué.

M. Miltiadis Varvitsiotis a fait part de sa volonté de contribuer au renforcement des relations franco-helléniques, qui ont toujours été très cordiales. Les liens d’amitié et de coopération, forgés depuis la Révolution française et l’indépendance de la Grèce, ont su résister au temps.

Le gouvernement grec est déterminé à approfondir les relations économiques et la coopération entre les deux pays. C’est dans cette perspective que MM. Karamanlis et Sarkozy se sont rencontrés en juillet. Dans leur déclaration commune, ils ont témoigné de leur volonté de renforcer les relations bilatérales entre les deux pays et de donner une nouvelle impulsion à l’Europe de la sécurité et de la défense. La Grèce et la France ont des préoccupations communes, concernant plus particulièrement les Balkans et l’aire méditerranéenne.

La Grèce partage le concept d’union pour la Méditerranée portée par le président Sarkozy. Cette initiative devra se fonder sur des procédures de coopération étroite entre les pays méditerranéens et aller au-delà des déclarations d’intention.

La coopération entre la Grèce et la France, dans le domaine de l’armement, est très ancienne. Les forces armées grecques sont équipées du Mirage-5, engins qui relèvent de la plus haute technologie. Cette coopération porte également sur les nouveaux systèmes d’armes. La dernière décision de la commission de la défense et des affaires étrangères, sous la précédente législature, en octobre 2006, a été de faire entrer la Grèce dans le programme satellitaire HELIOS.

Ces rencontres avec les parlementaires et les ministres français sont très précieuses pour compléter l’information du Parlement grec sur toutes les questions d’actualité.

M. Theodoros Pagalos, ancien ministre des affaires étrangères, a rappelé que la Grèce procède à de nombreuses acquisitions dans le domaine de l’armement car son industrie de défense n’est pas aussi développée qu’elle le souhaiterait et sa politique défensive suppose des sacrifices. Une grande partie des armements est achetée pour une mauvaise raison : la politique de défense de la Grèce n’est pas intégrée dans une démarche européenne ou occidentale, mais orientée contre un pays voisin, membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et candidat à l’adhésion à l’Union européenne. En effet la Turquie refuse d’observer pleinement les règles communément suivies par les autres nations pour traiter les problèmes de voisinage, aplanir les contentieux sur le droit de la mer ou appliquer les décisions du Tribunal de La Haye. La Grèce parle droit quand la Turquie parle justice. Or ces deux notions sont très différentes : le droit est une invention de l’Occident qui impose le respect de la loi ; la justice est une notion abstraite, susceptible d’interprétations très diverses. Le conflit qui oppose ces deux pays au sujet de la possession d’îles de la mer Égée illustre bien ces divergences de vues.

La Grèce est particulièrement attentive au développement de la politique de défense et de la politique étrangère de l’Union européenne. À cet égard, les dernières années ont été marquées par des reculs, concernant notamment l’autonomie des décisions européennes. Les liens unissant la Grèce et les États-Unis sont encore plus complexes que ceux unissant la France ou n’importe quel autre pays européen aux États-Unis, car la communauté de 3 millions de Gréco-Américains jour un rôle considérable dans la vie politique de leur pays d’origine.

La Grèce n’est pas opposée à l’alliance avec les États-Unis pour faire face aux problèmes qu’affronte le monde occidental mais il arrive que les intérêts américains divergent des intérêts grecs. Si elle avait dû se prononcer sur ce point, l’Europe n’aurait par exemple jamais réuni de majorité pour appuyer l’intervention américaine en Irak. A contrario, les États-Unis ne s’intéressent pas à certains problèmes qui concernent la Grèce car ils les jugent mineurs. Ainsi, il y a une dizaine d’années, ils ne se sont pas sentis concernés par la nécessité de rétablir l’ordre lors de la crise albanaise ou d’aider à la construction d’un État démocratique. Pour l’Italie, la Grèce et la France, qui, elle, est intervenue, il s’agit d’une question proche puisque des centaines de milliers de réfugiés albanais ont gagné ces pays ; dans ce contexte, agir était indispensable.

La Grèce est donc favorable à une politique étrangère commune, tout en demeurant consciente des difficultés actuelles. Elle est impliquée dans un certain nombre d’opérations, au Kosovo ou au Tchad, et trois de ses officiers sont affectés à Strasbourg, au sein de l’Eurocorps.

La Grèce a fait l’acquisition de 241 véhicules blindés légers (VBL) et une commande de 200 engins supplémentaires est programmée pour 2011. Elle est intéressée par les appareils d’observation pour les missiles Milan. Elle a acheté le système français d’Unhabited Aerials Vehicles (UAV). Elle est engagée dans une collaboration sur les frégates multimissions (FREMM). Quinze Mirage 2000-5 sont en service, d’autres commandes d’avions, dont le type reste à préciser, sont envisagées. Elle participe à des programmes de recherche comme HELIOS. La Grèce est un bon client ; ces collaborations sont très réussies et les deux pays ont intérêt à les élargir.

La vie politique française présente des similitudes avec la démocratie grecque moderne, qui a toujours évolué dans un système bipartisan et où de grands hommes d’État ont joué un rôle important, avec leurs capacités et leurs faiblesses.

M. le président Guy Teissier est revenu sur les questions européennes et méditerranéennes.

Dans cette mare nostrum, la Grèce fait pendant à la France : ce sont les nations les mieux placées pour jeter un pont entre l’Occident et les pays d’outre-Méditerranée. Sa position est essentielle, stratégiquement comme historiquement.

Sa volonté clairement exprimée d’avancer dans l’Europe de la défense et de l’industrie est très appréciée en France.

Son implication dans l’OTAN y est cependant plus affirmée. Dans notre pays, la commission du Livre blanc devrait notamment redéfinir la place de la France dans cette alliance qui faisait face au bloc du Pacte de Varsovie, aujourd’hui éteint. Il faut par ailleurs s’interroger sur le rôle que peut fixer l’OTAN dans le nouveau contexte mondial. Il est des problèmes comme ceux de l’Albanie ou du Kosovo qui peuvent être réglés par les Européens eux-mêmes, mais il est sûr que les Français n’ont pas meilleur allié que les Américains ; les Américains savent par ailleurs qu’ils n’ont pas plus fidèle ami que la France. Il faut donc que les États-Unis et l’Europe évoluent côte à côte en se respectant mutuellement.

La France, comme les autres États membres de l’Union européenne qui consentent de gros efforts de défense, ne devrait pas être pénalisée par le pacte de stabilité, d’autant que le traité de Lisbonne prévoit un soutien mutuel pour répliquer aux attaques. Les dépenses de défense ne doivent pas être comptabilisées dans le calcul des critères de convergence.

Sur le plan industriel aussi, les égoïsmes nationaux doivent être dépassés et les exportations d’armements par exemple doivent être des « jeux gagnants-gagnants » pour les deux partenaires. Il faut aussi adopter une politique de préférence européenne.

Il faut observer que la Constitution grecque confère à son Parlement davantage de pouvoirs que n’en a la représentation nationale, notamment en matière d’acquisitions. La réforme constitutionnelle en cours, si elle est adoptée, renforcera les prérogatives du Parlement français. D’ores et déjà, des initiatives ont été prises dans ce sens puisque, pour la première fois, des parlementaires sont associés à la réflexion sur le Livre blanc de la défense. Fin mars ou début avril, il devrait être présenté à la commission de la défense avant même d’être remis au Président de la République, permettant ainsi aux parlementaires de formuler des recommandations.

Mme Patricia Adam a regretté la rareté des rencontres entre parlementaires nationaux des différents pays, observant qu’elles sont particulièrement nécessaires pour échanger sur les questions de défense et faire de la prospective.

La Grèce est l’un des trop peu nombreux pays européens qui comptent en matière de défense et il est vrai qu’elle entretient de longue date des rapports difficiles avec l’un de ses voisins, la Turquie.

L’adoption d’une loi de programmation militaire est-elle prévue prochainement ? Dispose-t-elle d’un Livre blanc ? Cette réflexion est-elle susceptible de s’intégrer dans la perspective d’un futur Livre blanc de la défense européenne que peuvent laisser entrevoir les dispositions du traité de Lisbonne, démarche que le groupe socialiste appelle de ses vœux ?

Par ailleurs, la Grèce, impliquée dans le domaine spatial, mène-t-elle une réflexion sur la question sensible de la défense anti-missiles, qui sera abordée d’ici peu à Bucarest ?

M. Miltiadis Varvitsiotis a expliqué que les dépenses militaires de la Grèce dépassent largement 3 % du PIB : c’est de loin le pays européen qui consacre le plus de moyens à la défense, même au cours des années quatre-vingt-dix pendant lesquelles bien des pays ont limité leur effort de défense. Il faut dire que le pays doit affronter une menace concrète : la mer Égée est quotidiennement le théâtre de batailles entre avions turcs et grecs ; des bâtiments grecs et turcs se font face chaque jour et échangent des tirs.

Cette situation amène la Grèce à prendre des décisions particulières : elle ne peut se doter d’un Livre blanc, car elle ne saurait malheureusement modifier l’orientation de sa doctrine de défense. Dans cette logique, les attentes nouvelles de la Grèce portent sur la réorganisation de l’OTAN et l’approfondissement de la politique européenne de sécurité et de défense afin d’y prendre toute sa part. Le pays est en effet surarmé par rapport aux autres nations européennes.

Lorsque la commission de la défense et des affaires étrangères de la Chambre des députés grecque a discuté du programme MUSIS, les partis politiques ont unanimement exprimé leur volonté d’une participation active, car l’obtention de renseignements intéresse le pays au plus haut point tant il lui importe de ne plus dépendre à 100 % des Américains et de l’OTAN dans ce domaine.

La défense anti-missiles constitue un point de tension entre les anciens et les nouveaux États membres de l’Union européenne, entre les anciens et les nouveaux partenaires de l’OTAN. Les enjeux sont les suivants : quelles sont les nouvelles menaces ? Comment les affronter ? Quelle politique adopter à l’égard de la Russie ?

La Grèce maintient de bonnes relations avec ce pays et refuse de l’isoler davantage encore. La Russie a des intérêts vitaux sur le continent européen et une meilleure coopération avec elle dans les Balkans est souhaitable. Les tensions ne mènent à rien, il est crucial de régler les différends de manière constructive.

Les nouvelles relations entre la France et la Grèce doivent être conçues en termes de partenariat et non de clientèle. Les Grecs aspirent à des transferts de technologies de très haut niveau, à une bonne participation dans le développement et l’évolution des systèmes, d’autant que ces derniers deviennent rapidement obsolètes.

M. Theodoros Pagalos a jugé le nouveau dogme défensif américain très simple. Selon eux, la guerre contemporaine ne connaît pas de frontières, il faut frapper les premiers, ce qui requiert des informations, et seuls les Américains peuvent y avoir accès. Ils agissent donc seuls puis font appel aux Européens pour administrer les situations de crise. Un développement des capacités technologiques est donc nécessaire pour que chacun accède aux informations sur un pied d’égalité.

Il existe un document du ministère de la défense qui oriente la politique dans ce domaine mais il n’est pas comparable au Livre blanc français. Le ballet militaire est, pour la Grèce, quotidien. Aussi a-t-elle demandé à la Turquie de limiter ses démonstrations de forces à une cadence mensuelle au lieu de quotidienne. À cela, le gouvernement turc a rétorqué que la décision relève des états-majors, ces derniers considérant qu’ils ont besoin d’exercer leurs troupes de façon régulière. Le problème de la Grèce n’est pas imaginaire, la Turquie dispose de 4 000 bateaux de débarquement modernes stationnés sur les rives de la Méditerranée. Pour quoi faire ? La politique de la Turquie est sans doute inspirée par des facteurs intérieurs, mais cette situation est incompatible avec une adhésion à l’Union européenne. Les problèmes susceptibles d’intervenir entre pays européens se règlent en effet sur un autre mode, à l’instar de la solution que le Royaume-Uni et l’Espagne ont su trouver au sujet de Gibraltar.

M. Christian Ménard s’est enquis de l’analyse de la Grèce à propos de la situation actuelle au Kosovo, du processus d’indépendance et des chances de stabilité dans cette région.

M. Miltiadis Varvitsiotis a contesté l’idée, véhiculée dans la presse, selon laquelle il serait urgent de prendre une décision. Il convient au contraire préalablement de définir deux axes : le consensus le plus large possible doit être dégagé et aucune des deux parties ne doit pouvoir conclure qu’elle a tout perdu et que l’autre a tout gagné. Il serait néfaste pour la suite des événements que la partie albanaise considère qu’elle est gagnante sur toute la ligne et que la partie serbe estime qu’elle a tout perdu.

La Serbie s’efforce d’accomplir quelques pas vers l’Europe ; les résultats des dernières élections en témoignent. Dès lors, pourquoi la sanctionner en prenant une décision unilatérale d’indépendance totale du Kosovo ? Davantage de travail, de discussions et de négociations sont nécessaires pour arriver à une certaine dose d’indépendance, sûrement à une autonomie du Kosovo.

M. Simeon Kedikoglou a ajouté que la viabilité du futur Kosovo libre doit être évaluée, par exemple, du point de vue de l’énergie, car cet État dépend de ses voisins et de l’Union européenne.

Les relations entre pays autrefois ennemis ont pu être normalisées au cours des dernières années. Pour ne pas retourner en arrière, les prochaines décisions doivent être bien réfléchies. L’intégration des Balkans – cette « poudrière de l’Europe » – doit être accomplie à petits pas, en prenant garde de ne pas provoquer un effet de dominos. L’ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), par exemple, comporte une minorité albanaise. C’est pourquoi la Grèce, qui connaît parfaitement cette région, invite à beaucoup de prudence.