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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 29 avril 2008

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Présentation du rapport d’information (n° 717) déposé en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur le financement des projets d’équipement naval militaire (MM. Jean-Michel Fourgous et Bernard Cazeneuve, rapporteurs)

Présentation du rapport d’information (n° 717) déposé en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur le financement des projets d’équipement naval militaire (MM. Jean-Michel Fourgous et Bernard Cazeneuve, rapporteurs)

La commission de la défense et des forces armées a entendu MM Jean-Michel Fourgous et Bernard Cazeneuve, rapporteurs d’information de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur le financement des projets d’équipement naval militaire.

Le président Guy Teissier a accueilli les deux rapporteurs de la mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances et s’est félicité que des membres de la commission de la défense puissent ainsi apporter leur aide aux travaux de la MEC. Sous la précédente législature, MM. Jean-Claude Viollet et François Cornut-Gentille avaient eux aussi réalisé une étude tout à fait intéressante sur le VBCI. Ce rapport d’information sur le financement des projets d’équipement naval militaire comporte dix-sept propositions portant tant sur la conduite des programmes que sur l’information du Parlement. Il constitue donc une excellente contribution aux débats actuels sur la défense française, tout comme les deux récents rapports d’information de la commission de la défense sur l’aéromobilité et sur les enjeux de l’espace.

M. Jean-Michel Fourgous a expliqué que le bureau de la commission des finances avait souhaité que la MEC examine les programmes d’armement naval les plus onéreux : les sous-marins Barracuda, les frégates européennes multi-missions (FREMM) et le second porte-avions.

Les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda ont pour objectif de remplacer les SNA Rubis, dont la durée de vie a dû être prolongée en raison du retard du programme, ce qui s’est révélé très coûteux. Les Barracuda seront plus volumineux, plus silencieux et plus performants que les Rubis mais ne permettront pas, malgré une disponibilité légèrement meilleure, de diminuer le nombre de bâtiments et donc le coût global. En outre, pour des raisons de confidentialité technologique, le programme ne comporte pas de perspectives d’exportation. Les coûts sont connus : 1,3 milliard d’euros à l’unité avec six années et demies d’entretien et 982 millions d’euros hors entretien. Compte tenu des problèmes actuels de financement des équipements de défense, le rapport s’interroge sur les possibilités de moderniser les modes de financement retenus et de mutualiser certains processus de production, notamment pour éviter les retards et reports de programmes.

Néanmoins, ce programme ne peut plus attendre : les sous-marins Rubis ne pourront pas être prolongés indéfiniment et les chantiers de Cherbourg vont bientôt achever le dernier sous-marin nucléaire lanceur d’engin le Terrible et seront en chômage technique si on ne commence pas la fabrication des Barracuda. Néanmoins, compte tenu de la situation actuelle des finances publiques, il est essentiel de revenir à une plus grande rigueur budgétaire. La MEC propose ainsi de ne plus engager de programmes d’armement sans les moyens financiers correspondants. En raison de la concurrence économique mondiale à laquelle elle est confrontée, la France ne doit plus, comme cela s’est trop souvent vu dans le passé, lancer un programme d’armement sans qu’aient été dégagées les ressources réelles correspondantes, dans le cadre d’une politique budgétaire soutenable.

Il a ensuite évoqué le programme FREMM, mené en collaboration avec l’Italie. Il est prévu de construire dix-sept frégates au profit de la France et dix au profit de l’Italie, soit vingt-sept au total. Les huit premières FREMM françaises ont été commandées et le premier bâtiment est en chantier depuis quelques mois. Ces frégates sont de bons bateaux de défense anti-aérienne et de lutte anti-sous-marine, qui disposent d’un bon potentiel à l’exportation. Elles ne sont certes pas aussi sophistiquées que les frégates Horizon, dont le programme a d’ailleurs été arrêté, mais elles constituent un bon compromis coût-efficacité. Le partenariat avec l’Italie doit donc être préservé.

Les FREMM représente pour la MEC l’exemple à suivre, la marine ayant su se satisfaire d’un matériel éprouvé et performant sans tomber dans le piège consistant à demander toujours plus de fonctions, pas toujours indispensables. Cela n’a pas forcément été le cas pour d’autres programmes, pour lesquels la course aux « sur-spécifications » inutiles a tiré les prix vers le haut. Les militaires comprennent très bien la nécessité de demeurer raisonnables dans leurs demandes technologiques dès lors que les contraintes budgétaires sont clairement expliquées. Par contre, pour ce qui concerne le financement, le recours à un partenariat public-privé, un temps envisagé, a finalement été abandonné. Cela peut néanmoins être une piste intéressante pour l’avenir.

Le rapporteur a enfin abordé la question du second porte-avions, qui est le programme le plus emblématique de la marine nationale et en même temps celui qui est le moins abouti. Ce porte-avions a vocation à assurer la permanence à la mer du groupe aérien lorsque le Charles-de-Gaulle est en entretien. Le projet de second porte-avions a été lancé en collaboration avec les Britanniques mais le bilan de cette opération, qui devait se traduire par des économies et une meilleure interopérabilité, est pour le moins contrasté et finalement assez coûteux. L’évaluation du coût est ainsi passée de 2,5 milliards d’euros à 3 puis 3,5 voire 3,8 milliards d’euros selon les plus récentes évaluations. Une telle hausse n’est pas acceptable.

Certes, l’intérêt du porte-avions n’est plus à démontrer, encore que le ravitaillement en vol, en permettant des missions de plus en plus longues d’avions basés à terre, l’ait relativisé. Mais la France dispose déjà d’un porte-avions, le Charles-de-Gaulle, disponible 70 % du temps, en entretien le reste du temps. Toute la question est donc de savoir s’il est souhaitable d’en acquérir un deuxième alors que la marine n’aurait besoin, mathématiquement, que de 30 % d’un porte-avions. Outre le coût d’acquisition, le second porte-avions coûterait entre 125 et 135 millions d’euros de fonctionnement par an, soit plus de 5 milliards d’euros pendant sa durée de vie, estimée à 40 ans. Dans l’hypothèse où ce second bâtiment serait construit, le rapport propose qu’au moins six années d’entretien soient incluses dans le contrat, de manière à sensibiliser le constructeur sur cet aspect du programme.

Il a ensuite précisé que le rapport met également l’accent sur la nécessité de favoriser les exportations, dans le double but de fournir de l’activité aux bassins d’emplois concernés et de réduire les coûts des armements en augmentant les séries. Sur les trois programmes examinés, les deux premiers offrent des perspectives intéressantes à l’exportation. Le programme Barracuda n’est pas directement exportable mais permet à DCNS d’acquérir un savoir-faire qui lui est utile pour exporter des sous-marins à propulsion classique, les Scorpène, déjà vendus à plusieurs pays. Les FREMM sont quant à elles directement exportables et devraient logiquement trouver des acquéreurs étrangers grâce à leurs qualités et leur coût modéré (400 millions d’euros contre 625 millions d’euros pour leur concurrentes allemandes). Le Maroc a déjà manifesté son intention d’en acheter une ; d’autres pays sont intéressés par les corvettes Gowind, plus petites, mais directement inspirées des FREMM. Seul le second porte-avions n’offre pas de perspective d’exportation directe, même s’il contribue au savoir-faire et à l’excellence de DCNS. Lors des auditions, la possibilité a néanmoins été évoquée de le vendre à des pays comme la Chine ou l’Inde, qui ont de grandes ambitions militaires mais pas de savoir-faire en la matière.

En conclusion, le rapporteur a considéré, à titre personnel, qu’il est indispensable d’intégrer la nécessité d’exporter dès la conception même des matériels militaires. La guerre mondiale actuelle est avant tout économique et la France souffre de ne pas s’en rendre compte. Il a également regretté le manque de culture entreprenariale de la Délégation générale à l’armement (DGA) et souhaité, le plus rapidement possible, une réforme de cette administration. Son processus décisionnel fait preuve d’un déficit culturel patent, elle n’est plus adapté aux lois du marché et manque cruellement d’une culture d’exportation.

M. Bernard Cazeneuve a souligné l’importance des crédits d’équipement consacrés à la défense, qui représentent 50 % des dépenses globales d’équipement de l’État. Parmi ces crédits, ceux réservés à la marine pour les trois programmes concernant les FREMM, le deuxième porte-avions et les sous-marins Barracuda mobilisent des moyens significatifs. Consciente de ces éléments, la commission des finances a créé une mission d’évaluation et de contrôle portant sur l’équipement naval militaire.

Les trois programmes précités ne sont actuellement que très partiellement réalisés ou profilés et sont susceptibles de faire l’objet d’arbitrages. Le programme Barracuda comporte des tranches optionnelles et des crédits de paiement ne sont ouverts que pour le premier exemplaire. Aucune décision n’a encore été prise s’agissant de la construction du deuxième porte-avions. Enfin, sur 17 FREMM, seulement 8 font l’objet d’une commande ferme.

Il a souligné plusieurs éléments concourrant à perturber la rationalité et la rigueur budgétaires. Il s’agit tout d’abord de ce qu’il est convenu d’appeler la « bosse budgétaire » qui, à compter de 2009, s’élèvera à plus de 50 milliards d’euros. Elle représente un volume d’engagement bien supérieur aux capacités de financement de l’État. La réalité du problème est désormais communément admise. La dérive systématiquement constatée entre les coûts d’objectifs des programmes définis en loi de programmation militaire et les coûts réels, de l’ordre de 30 %, accroît également cette « bosse ». Cette situation n’est pas acceptable au regard de la nécessité de maîtriser les coûts et de préserver l’équilibre budgétaire. Enfin, le décalage entre les capacités de financement et les coûts des programmes contribue aussi à augmenter le volume d’engagements financiers. À titre d’exemple, le programme FREMM a été lancé sans que son financement n’ait été préalablement défini. Les financements innovants proposés n’ont pas été retenus par Bercy et une répartition du financement entre le budget de l’État, à hauteur de 13/19e des crédits, et le budget de la défense pour les 6/19e restants a été mise en place mais en 2007, seuls les crédits relevant de la défense ont été budgétisés.

La MEC a proposé plusieurs pistes visant à pallier ces dysfonctionnements et à améliorer le suivi budgétaire des programmes. Il est notamment impératif de ne plus lancer de programme dont le financement ne serait pas assuré et d’arrêter leur étalement dans le temps.

Le rapporteur a ensuite évoqué plusieurs perspectives d’amélioration de la politique industrielle du secteur naval militaire. La première orientation serait de baisser le coût unitaire des équipements par un effet de série, cet effort étant soutenu par un renforcement des exportations. Une politique volontariste a été mise en place sur ce dernier point par DCNS, qui a l’ambition de porter au-delà de 30 % la part de son plan de charge consacrée à l’exportation. Il existe néanmoins des limites à ce recours aux exportations. Ainsi, lorsqu’un équipement est exporté avec un transfert de technologie, cela est susceptible de générer une concurrence dans les pays à bas coûts de production. Certes, tous les équipements ne sont pas exportables et le risque est largement différé car un transfert de technologie ne permet pas de combler instantanément un retard technique. Néanmoins, l’exemple du secteur de l’électronique appelle à la prudence : la société Thales, qui a beaucoup pratiqué les exportations avec transfert de technologie, constate aujourd’hui que la production se délocalise et que l’écart se réduit de plus en plus. Le transfert de technologie ne doit donc pas être systématiquement exclu mais il convient de rester vigilant.

Il a ensuite évoqué les programmes en coopération en s’appuyant sur l’exemple du second porte-avions. Deux priorités étaient fixées pour justifier la collaboration avec les britanniques : assurer l’interopérabilité et la mutualisation des coûts de construction. L’expérience a montré que la mise en œuvre d’un projet commun par plusieurs États et industriels se heurte à de sérieuses difficultés liées aux exigences techniques des différents partenaires, qui limitent en pratique les possibilités d’interopérabilité et génèrent des sur-spécifications sources de surcoûts. La volonté de maîtriser les coûts budgétaires d’un programme doit donc avant tout conduire les industriels et les États à limiter leurs exigences de perfection technologique car les dérives budgétaires qui en résultent ne permettent plus un contrôle pertinent du programme.

En conclusion, il a souhaité insister sur un point : la MEC n’avait pas pour objectif de proposer des arbitrages entre les trois programmes étudiés. Le rapport se contente de dégager les coûts réels de ces programmes, leurs conditions budgétaires et de proposer des dispositifs pour en améliorer la réalisation et le contrôle. Il a également regretté que les parlementaires n’aient pas été saisis en amont des travaux sur le Livre blanc et la RGPP. Les deux rapports cités par le président Teissier ont été réalisés par la commission de la défense et il est dommage que la commission des finances se soit si peu souvent saisie de sujets relevant de ce secteur. En matière de défense, le travail parlementaire demeure insuffisant.

Le président Guy Teissier a considéré que le rapport présenté mettait bien en exergue les difficultés d’une industrie française de défense aux performances pourtant avérées dans tous les domaines. Les exigences sont multiples voire parfois contradictoires : ne plus céder à l’égoïsme national tout en préservant les emplois, exporter nos produits sans perdre de savoir-faire technologique. Dans ce dernier domaine, il est regrettable que la fameuse « avance préservée » de la France conduise celle-ci à fabriquer des équipements toujours plus sophistiqués et donc finalement chers à l’exportation, de nombreux clients potentiels préférant acquérir des matériels moins coûteux.

Il a ensuite évoqué la pratique parlementaire allemande qui confère au Bundestag un droit de veto sur les marchés de défense dont le montant est supérieur à 25 millions d’euros. Si un tel seuil paraît excessivement bas, une réflexion similaire pourrait être engagée en France afin de voir le Parlement mieux associé aux questions d’équipement des armées.

En ce qui concerne les FREMM, elles ne faisaient pas initialement partie de la LPM et c’est surtout pour soutenir l’activité de DCNS que le lancement de ce programme a été décidé. Le financement innovant qui avait été envisagé a effectivement été abandonné. Il est vrai que les financements public-privé posent de nombreux problèmes en matière de possession et de droits de propriété. S’agissant de matériels aussi sensibles, il est compréhensible que l’on ait renoncé à cette option.

Au sujet du second porte-avions, le Charles-de-Gaulle est effectivement utilisé à environ 70 % du temps et le coût annoncé pour un second bâtiment est passé de deux à trois milliards d’euros, ce qui ne peut que contribuer à l’aggravation de la « bosse » évoquée par les deux rapporteurs. Au demeurant, l’étalement des programmes reste parfois le seul outil permettant d’éviter leur abandon. Afin d’assurer une meilleure maîtrise financière et industrielle des projets, il conviendrait également d’étudier la possibilité de produire des équipements plus simples soit en coopération bilatérale ou multilatérale, soit en donnant, dans le cadre de la préférence européenne, la priorité au pays détenteur du meilleur savoir-faire, avec une clause de réciprocité.

Il est clair que les sous-marins nucléaires sont inexportables du fait de leur technologie de propulsion. En revanche, ils constituent une vitrine qui incite certains pays à acquérir les sous-marins Scorpène, à propulsion classique. Quant à la DGA, sans doute surdimensionnée et manquant d’une culture d’entreprise, il convient de reconnaître qu’elle a accompli bien des efforts depuis dix ans et ne saurait être tenue pour responsable de tous les dysfonctionnements. Car c’est bien aux politiques que revient, in fine, la responsabilité de la décision et c’est à eux de l’exercer de façon responsable. À cet égard, il faut se féliciter de la décision du ministre de la défense de transformer la DGA en une direction directement placée sous ses ordres.

En ce qui concerne les coûts de possession et d’entretien, le ministre a bien indiqué qu’à l’avenir, ceux-ci devraient être inclus dans les montants globaux des marchés. Par ailleurs, il est vrai que trop de sophistication entraîne de sérieuses difficultés tant dans la réalisation des programmes que pour l’exportation des matériels. Ainsi, les préconisations à géométrie variables des états-majors ont conduit à des résultats désastreux lors de la mise au point du VBCI.

En conclusion, il a souhaité que la réforme constitutionnelle actuellement en préparation permette au Parlement de disposer d’un droit de regard plus important sur les coûts, la faisabilité et les exportations d’équipements militaires.

M. Bernard Cazeneuve a fait part de ses interrogations sur la volonté de systématiser les coopérations et rapprochements industriels en spécialisant les pays en fonction de leurs savoir-faire et de leurs points forts. Ainsi, dans le domaine naval, la France a engagé la société DCNS dans des coopérations diverses, avec l’Allemagne, afin d’éviter la concurrence et avec l’Espagne pour la construction du Scorpène. Si cela nous a permis à conquérir certains marchés comme le Chili, nous avons péché par naïveté car la société espagnole Navantia exporte désormais la technologie française… sans la France !

Pour ce qui concerne l’étalement des programmes, s’il a pu sauver des équipements dans le passé, cela ne sera plus possible pour les FREMM et le Barracuda car le changement de statut de DCNS rend ce type de remise en cause du plan de charge catastrophique pour le maintien des emplois et des compétences et capacités industrielles.

Il a ensuite rappelé que le programme FREMM figurait bien dans la LPM mais que son financement n’avait pas été prévu. La perspective du format « armées 2015 » a pu ainsi prospérer à travers trois LPM sans que les financements de l’ensemble des équipements nécessaires à sa réalisation n’aient été réunis. C’est pourquoi le rapport propose qu’aucun programme d’équipement ne puisse, à l’avenir, être inscrit dans une loi de programmation sans que son financement soit prévu.

Le président Guy Teissier a jugé que les évolutions du statut de DCN n’avaient pas été préjudiciables, bien au contraire, et qu’elles avaient permis aux anciens arsenaux de se transformer en une entreprise efficace. Ce processus a d’ailleurs été réalisé dans le cadre d’un large consensus politique.

Mme Patricia Adam a souligné qu’une fois encore un rapport parlementaire démontrait qu’il n’était, de fait, pas possible de tenir les engagements pris sur des programmes d’armement majeurs. Cela doit conduire à s’interroger sur la validité de lois de programmation militaire qui affichent des objectifs sans rapports avec les réalités financières. Il est clair que la France n’a plus les moyens de ses ambitions. Il est donc plus que temps que le Parlement exerce pleinement sa mission de contrôle. De ce point de vue, le contraste est saisissant avec les pouvoirs et les moyens dont est doté le Bundestag, dont on peut relever à titre d’exemple qu’il doit donner son accord pour tout projet d’investissement en matière de défense dont le montant dépasse 25 millions d’euros. Il serait nécessaire qu’à l’occasion de chaque lancement de programme majeur, une mission d’information soit constituée afin d’en suivre le déroulement dans la durée, que ce soit du point de vue financier, technique ou s’agissant des relations entre les différents acteurs. Une telle démarche serait d’autant plus légitime que les dépenses d’équipement du ministère de la défense représentent la moitié de l’effort d’investissement consenti par l’État. Faute d’une action plus volontariste en matière de contrôle, le Parlement sera condamné à multiplier les rapports d’information dressant le constat des mêmes dysfonctionnements, sans que rien ne change dans un système qui privilégie les annonces politiques déconnectées des contraintes budgétaires.

S’agissant de la DGA, il convient de se méfier de la recherche systématique d’un bouc émissaire. Cette administration a sans doute besoin, comme toute institution d’ailleurs, de se réformer ; mais il est essentiel de maintenir une compétence technique forte au sein de l’État. Au demeurant, les défauts constatés ne sont pas liés à un manque de culture managériale, car de nombreux responsables de la DGA ont effectué une carrière dans le secteur privé, au premier rang desquels figure l’actuel délégué général. Il ne s’agit donc pas d’un problème de compétences individuelles, mais d’harmonisation des procédures et de bonne définition des rôles respectifs. À cet égard, l’exemple de l’évolution du devis du second porte-avions est significatif. Lors de la rédaction du rapport sur le mode de propulsion de ce dernier, il avait été annoncé que DCN s’engageait sur un prix ferme de deux milliards d’euros, hors coût de possession, sous réserve d’une conclusion rapide du contrat et d’une réalisation dans un délai de sept ans. Depuis lors, on a assisté à une dérive presque continue, avec un prix atteignant désormais les 3,5 milliards d’euros. Ce fait illustre les effets des reports de décisions et d’étalement des programmes.

Il a souvent été dit qu’il fallait privilégier l’exportation des matériels afin d’en limiter les coûts pour nos propres forces, mais la question est moins simple qu’il n’y parait car les armements ne sont pas des biens comme les autres. De plus, si la tentation de réduire les coûts lors des négociations avec les industriels est légitime, compte tenu du caractère très limité du nombre d’exemplaires construits, c’est en réalité sur la recherche et le développement que pèsent les économies. Il faut aussi admettre de payer le juste prix s’agissant de hautes technologies, faute de quoi on prend le risque de voir à terme disparaître notre industrie de défense qui demeure, quoiqu’on en dise, une industrie de prototypes.

Le président Guy Teissier a jugé que sur ces sujets complexes, de nombreuses variables interviennent. Indiquant qu’il avait à titre personnel, pour des raisons pratiques évidentes, souhaité que le second porte-avions soit une copie du Charles-de-Gaulle, il a rappelé que la perspective politique d’une coopération avec le Royaume-Uni avait cependant conduit à privilégier une autre option. L’intransigeance des Britanniques, qui tiennent à conserver l’essentiel de la construction des nouveaux porte-avions dans leurs propres chantiers navals, a fait que le dossier n’a pas avancé. C’est d’autant plus regrettable que, par delà ces intérêts économiques, nos visions de la défense sont extrêmement proches.

En ce qui concerne le financement des programmes au cours de la loi de programmation militaire 2003-2008, force est de constater que les gels et mises en réserve de crédits pratiqués par le ministère des finances ont eu des effets néfastes, et ce malgré la décision du précédent Président de la République d’inscrire deux milliards d’euros de crédits au-delà du plafond des crédits votés en lois de finances initiales entre 2005 et 2006. Les coupes budgétaires ont été effectuées sans que la commission des finances y trouve à redire, alors qu’on aurait souhaité qu’elle soit plus réactive ; la mission de contrôle de l’exécution des crédits créée par la commission de la défense s’est alors sentie pour le moins isolée.

M. Jean-Michel Fourgous a estimé que la dérive du coût prévisionnel du second porte-avions était emblématique du processus de décision français, caractérisé par la prédominance d’une culture d’ingénieurs au détriment d’une culture managériale. À cet égard, le poids des polytechniciens à la tête de DCNS est révélateur, seul le poste de numéro trois étant occupé par un diplômé d’une école de commerce. Il est nécessaire de sortir d’une culture unidimensionnelle afin de prendre en compte l’ensemble des paramètres entrant en ligne de compte, qu’ils soient techniques, humains et financiers. Ce n’est qu’au travers d’une rupture avec un état d’esprit qui accorde abusivement une supériorité morale au secteur public et de la mise en place d’équipes pluridisciplinaires beaucoup plus ouvertes à des responsables issus du secteur concurrentiel qu’il sera possible de mettre fin à une regrettable exception française. Cette observation s’applique également à la DGA. De manière plus générale, la capacité à financer des équipements militaires dépend de celle de la Nation à dégager une croissance forte.

M. Nicolas Dhuicq a relevé que d’une certaine manière, la situation actuelle consistant à produire avant tout des prototypes en série limitée s’apparentait à celle dont avait souffert l’armée de l’air durant les années trente. Il conviendrait de s’interroger sur le rôle des états-majors dans des décisions d’investissement privilégiant le dernier cri technologique au détriment de l’effet de série.

——fpfp——