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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 17 septembre 2008

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 40

Coprésidence de MM. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères, et Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

– Audition, commune avec la commission des affaires étrangères, de M. Martin Howard, adjoint au secrétaire général de l’OTAN, chargé des opérations, sur les événements et la situation en Afghanistan

Audition de M. Martin Howard, adjoint au secrétaire général de l’OTAN, chargé des opérations, sur les événements et la situation en Afghanistan

La commission a procédé, conjointement avec la commission des affaires étrangères, à l’audition de M. Martin Howard, adjoint au secrétaire général de l’OTAN, chargé des opérations, sur les événements et la situation en Afghanistan.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Nous accueillons M. Martin Howard, adjoint au secrétaire général de l’OTAN, chargé des opérations, accompagné par M. Michel Soula, responsable de la section de la gestion des crises, ainsi que par le brigadier général Simon Porter, du SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe), et par M. Chris Riley, officier au service de presse de l’OTAN.

Vous le savez, l’article 35 de la Constitution subordonne désormais à autorisation du Parlement la prolongation des opérations militaires extérieures au-delà d’un délai de quatre mois. Le débat et le vote concernant l’Afghanistan auront lieu le lundi 22 septembre. Ces auditions communes sont donc particulièrement importantes pour éclairer la décision des représentants de la nation que nous sommes.

L’Afghanistan constitue la plus importante des opérations menées par l’Alliance depuis sa création. C’est dans une large mesure sa crédibilité qui est en jeu dans cette affaire.

Nous serions intéressés, monsieur Howard, de connaître votre analyse, votre retour d’expérience de la situation actuelle de la coalition sur le terrain. Quel est le point de vue de l’OTAN sur les aspects capacitaires, les conférences de génération de force semblant devenir de plus en plus difficiles ?

Quelles sont les conséquences des nombreux caveat avancés par certaines nations participant à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) ? Elles refusent de s’engager, ce qui les réduit à faire de la défense passive.

Qu’en est-il de la dualité des commandements entre la FIAS et l’opération Enduring Freedom, tant sur le plan opérationnel que sur celui de la lisibilité politique ?

Enfin, quel est l’état réel de la coopération entre les différentes organisations internationales impliquées en Afghanistan, tout particulièrement entre l’Alliance et l’Union européenne, sachant que celle-ci dispose d’un savoir-faire que n’a pas l’OTAN en matière d’action civile de reconstruction ?

M. Martin Howard. L’OTAN a reçu pour mandat d’aider le gouvernement afghan à restaurer la stabilité et la sécurité. Elle intervient à la demande de l’Afghanistan. Elle dispose de troupes au sol et de vingt-six PRT (Provincial Reconstruction Teams).

Ses missions sont variées : rétablir la sécurité afin de permettre la reconstruction, le développement et les autres activités civiles ; contribuer au renforcement des capacités afghanes de défense, notamment de l’armée nationale afghane (ANA) ; contrer les activités de tous ceux qui s’opposent au gouvernement afghan et à la communauté internationale en Afghanistan.

L’OTAN œuvre en coordination avec d’autres instances, à commencer par le gouvernement afghan, mais aussi les Nations Unies, l’Union européenne, etc. Elle entretient également des relations avec des organisations non gouvernementales. Elle n’agit donc pas isolément et le succès des opérations dépend de la coopération entre ces organisations.

Lors du Sommet de l’OTAN de Bucarest, en avril 2008, les chefs d’État ont adopté une déclaration sur l’Afghanistan comprenant quatre priorités : la nécessité d’un engagement à long terme ; le transfert progressif des responsabilités au gouvernement afghan ; la coopération entre l’OTAN et les différentes instances présentes en Afghanistan ; la prise en compte du contexte régional et du rôle des États voisins, dont notamment mais pas exclusivement, le Pakistan.

Comme toute opération internationale, la FIAS n’échappe pas aux caveat. Le SHAPE et le quartier général de l’OTAN s’efforcent de les restreindre pour accroître la souplesse opérationnelle. Des progrès ont déjà été enregistrés avec la levée et la réduction d’un certain nombre de caveat, mais l’effort doit être poursuivi.

La FIAS et Enduring Freedom procèdent de deux mandats bien distincts : la FIAS est chargée d’assurer la stabilité et la sécurité à l’intérieur de l’Afghanistan ; Enduring Freedom œuvre contre le terrorisme, mais pas uniquement en Afghanistan, on a tendance à l’oublier. Des dispositions ont été adoptées pour assurer la communication entre ces deux organisations, grâce à des agents de liaison. En outre, même si la décision n’a pas encore été prise, les États-Unis devraient vraisemblablement placer une très large part des troupes américaines opérant en Afghanistan sous l’autorité d’un officier unique, le général David McKiernan. Il est important que les opérations de la FIAS n’entrent pas en contradiction avec celles menées dans le cadre d’Enduring Freedom.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Il n’en demeure pas moins que la dualité de commandement induit un certain flou entre les deux dispositifs.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Vous me permettrez de vous pousser un peu dans vos retranchements à propos d’Enduring Freedom. Si je comprends bien, la FIAS a pour fonction de soutenir les autorités et l’armée afghanes en vue de sécuriser et de stabiliser le pays tandis qu’Enduring Freedom couvre tout ce qui relève du contre-terrorisme. Cette dualité entraîne des difficultés et des dysfonctionnements alors que les deux problèmes se rejoignent. A-t-il été envisagé d’intégrer l’opération Enduring Freedom à la FIAS ?

Actuellement, la FIAS comprend environ 50 000 hommes, Enduring Freedom environ 20 000, auxquels s’ajoutent environ 30 000 soldats afghans opérationnels, soit un total de 100 000 hommes. Avez-vous une idée précise de l’effectif à atteindre pour assurer la sécurité et la stabilité du pays ? La nécessité d’aller jusqu’à 250 000 hommes a parfois été évoquée.

Le trafic de drogue est source de nombreux problèmes : il finance l’insurrection et entretient la corruption dans le pays. La lutte contre le trafic vous paraît-elle satisfaisante ? Que faire pour l’améliorer ?

M. Martin Howard. Enduring Freedom est au cœur de la lutte contre le terrorisme et je répète que la coalition opère aussi hors d’Afghanistan. Quant à la FIAS, elle a pour mission d’assurer la sécurité et la stabilité du pays afin de mettre en place des institutions gouvernementales susceptibles d’empêcher que le terrorisme y trouve une terre d’accueil. Les deux approches sont donc différentes. Il serait très difficile de faire totalement converger ces deux missions. Les changements envisagés par les États-Unis en ce qui concerne le commandement et la conduite des opérations de leurs forces en Afghanistan sont d’ordre administratif.

À l’heure actuelle, la FIAS déploie quelque 48 000 hommes et Enduring Freedom quelque 18 000 hommes. L’essentiel du personnel d’Enduring Freedom est engagé dans des opérations de formation de la police et de l’armée afghanes. Les soldats afghans doivent être autour de 66 000, avec des niveaux de formation très divers. Un plan vient d’être accepté en vue de porter ces effectifs à 134 000 hommes. Il est difficile de déterminer de manière abstraite le volume exact de troupes nécessaires pour garantir le succès ; la seule certitude, c’est qu’au bout du compte une sécurité durable ne pourra être obtenue qu’en formant les forces afghanes. Dans cette perspective, il faut également poursuivre le développement de la police, dont les effectifs sont actuellement de l’ordre de 70 000 personnes. Mais il faut bien constater qu’il reste un long chemin à parcourir avant que celle-ci devienne aussi efficace que nous le voudrions.

S’agissant de la drogue, il convient, d’une part, de mettre sur pied des solutions économiques alternatives pour que la culture du pavot devienne moins intéressante et, d’autre part, d’établir un véritable système de sanctions à l’encontre des coupables, avec l’éradication des cultures et l’engagement de poursuites judiciaires contre les trafiquants de drogue. En matière de lutte contre la drogue, l’action de la FIAS concerne seulement l’assistance au gouvernement afghan en vue d’arrêter les trafiquants afin qu’ils soient remis à la justice. Selon l’office des Nations Unies contre le crime et la drogue, le nombre de provinces exemptes de pavot a significativement progressé par rapport à l’an dernier. Nous constatons que les provinces où les champs de pavot demeurent sont celles où le gouvernement afghan éprouve encore des difficultés à intervenir.

M. Jacques Myard. Comment « afghaniser » le pays, c’est-à-dire donner aux Afghans l’envie de se battre pour eux-mêmes, alors qu’ils sont corrompus et que les familles sont souvent divisées entre les deux camps ? Les Occidentaux se substituent aux Afghans dans la lutte contre le terrorisme en intervenant sur la ligne de front.

Or, la lutte contre le terrorisme est d’abord une lutte politique et il ne faut surtout pas laisser les militaires s’en charger. C’est une démarche idéologique qu’il convient de mener à l’intérieur du monde islamique. Les représentants de l’OTAN sont perçus comme des croisés : ils n’appartiennent pas au système de pensée islamique. Les responsables politiques occidentaux appréhendent mal l’islam. Durant les 1 400 ans d’hégire, les montées d’intégrisme ont été récurrentes et les prendre de front conduit à l’échec. Comme l’a dit M. Moubarak à M. Bush : « Entrez en Afghanistan, vous créerez mille Ben Laden. ».

La situation internationale incite à devenir de plus en plus combatif contre les terroristes également autour de l’Afghanistan mais, parmi les pays environnants – notamment l’Iran, le Pakistan ou la Chine –, nous n’avons pas que des amis. Jusqu’où allons-nous aller dans cette voie ?

M. Paul Giacobbi. Vous avez rappelé que l’action de l’OTAN doit s’inscrire dans un contexte régional ; que dire alors des zones tribales qui en constituent une partie substantielle ? Est-il possible d’apporter sécurité et stabilité à l’Afghanistan sans les contrôler le moins du monde ?

M. Martin Howard. La corruption constitue en effet un véritable problème. La communauté internationale a insisté auprès du président Hamid Karzaï et des membres de son gouvernement pour qu’ils traitent le problème, faute de quoi il sera extrêmement difficile de mettre en place des institutions stables. Plus généralement, la gouvernance afghane est au centre des efforts de la communauté internationale. À cet égard, la contribution que l’OTAN et la FIAS peuvent apporter est relativement limitée et elles interviennent plutôt dans les domaines de la sécurité et de la défense – des progrès ont d’ailleurs été obtenus dans la lutte contre la corruption au sein de l’armée afghane. Au cours des douze derniers mois, les transferts de responsabilités vers l’armée afghane ont été très significatifs, celle-ci dirigeant désormais la moitié des opérations. Le ministère de la défense a été renforcé pour en assurer le contrôle et la police afghane, depuis deux ou trois ans, a fait des progrès.

Notre stratégie de lutte à long terme contre le terrorisme doit tenir compte des facteurs structurels, et donc aussi culturels, afin de s’attaquer aux causes profondes du phénomène. Mais il s’agit avant tout d’une question politique, et non militaire, qui dépasse quelque peu mes compétences.

Il est exact que le problème afghan ne doit pas être traité isolément : il faut tenir compte de son voisinage. Le Pakistan est un acteur majeur : certains opposants à la FIAS opèrent à partir de ce pays et, ces six derniers mois, le problème s’est aggravé. La tonalité des relations entre les gouvernements afghan et pakistanais est cruciale. Celles-ci ont traversé une mauvaise passe, avec beaucoup d’hostilité de part et d’autre. Même si des tensions entre les deux pays subsistent, nous assistons à quelques améliorations : le président Karzaï s’est rendu à Islamabad pour la passation de serment d’Asif Ali Zardari et le courant semble mieux passer qu’auparavant. Je suis par conséquent prudemment optimiste.

La communauté internationale, FIAS comprise, doit améliorer sa compréhension de la culture tribale, dont l’emprise est très différente selon les région. Cette question est particulièrement importante lorsqu’il s’agit de zones tribales à cheval sur la frontière avec le Pakistan. Le plus préoccupant, c’est que les autorités pakistanaises ont toujours autant de mal à exercer leur autorité sur leurs propres zones tribales.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Quelles perspectives offre l’élection d’un nouveau chef d’État pakistanais, qui ne semble pas investi de la même autorité que son prédécesseur, notamment sur l’armée et les services de renseignement ?

M. Martin Howard. Je doute que quiconque puisse répondre à votre question car, quinze jours seulement après l’entrée en fonction du président Zardari, l’incertitude est de mise. Outre l’investiture d’un gouvernement démocratiquement élu et l’élection d’un nouveau président, le fait que le nouveau chef d’état-major des armées, le général Ashfaq Kayani, se refuse clairement à jouer un rôle politique constitue un signe encourageant. Pour autant, les tensions préexistantes persistent, l’armée pakistanaise reste une force extrêmement puissante et les talibans continuent d’exercer une grande influence dans ce pays, où leur mouvement est né au sein des madrasas. Pour le nouveau président, cerner et juguler le problème sera un défi de taille.

M. Michel Grall. Pouvez-vous nous indiquer quelle est l’entité chargée de la gestion globale de la crise afghane, incluant les efforts militaires et civils ? Le terme anglais est comprehensive approach. Les efforts économiques donnent le sentiment d’une très grande dispersion entre États mais aussi entre acteurs publics et privés – organisations non gouvernementales et entreprises.

M. Martin Howard. Jusqu’à 2007, nous avons été confrontés à de grandes difficultés pour coordonner l’effort civil en Afghanistan. Il existe pourtant des motifs d’optimisme prudent. En mars, le Conseil de sécurité a renouvelé et précisé le mandat de l’ONU en Afghanistan, et un nouveau représentant spécial a été nommé en la personne du Norvégien Kai Eide. Les Nations Unies – avec la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) – doivent, à mon sens, être le primus inter pares, l’institution au sommet de la pyramide des responsabilités en ce qui concerne l’effort civil. Le secrétaire général de l’OTAN a pour habitude de dire que l’Alliance est attachée au plus haut point à une coordination efficace de l’action des différentes institutions, ce qui implique que les Nations Unies s’investissent pleinement. Mais il convient aussi de pas oublier que le gouvernement afghan est souverain et que tout ce qui se passe sur son territoire dépend de sa volonté.

M. Yves Fromion. L’OTAN et les pays engagés en Afghanistan ne peuvent échouer dans le défi qu’ils se sont lancé. Tous mes collègues ne sont peut-être pas de mon avis mais je crois que nous n’échouerons pas. En Algérie, la France était seule contre les Algériens et l’opinion internationale. Au Vietnam, les États-Unis étaient seuls contre le Vietcong et l’opinion internationale. En Afghanistan, les Soviétiques étaient seuls contre la population locale et l’opinion internationale. Par contre, aujourd’hui, la communauté internationale s’est largement mobilisée. On ne mesure pas suffisamment le poids de ce facteur. Jusqu’à ce jour, aucune coalition internationale n’a jamais perdu contre un État, encore moins contre des éléments cherchant à déstabiliser un État.

Cela dit, je doute que l’autorité du pouvoir politique pakistanais soit suffisante pour mettre un terme au désordre émanant des zones tribales. On voit mal comment l’OTAN, organisation militaire, pourrait se charger de la question. Ne pensez-vous pas qu’il incombe à l’ONU de s’impliquer davantage ?

Cette guerre coûte cher. Comment l’avenir des opérations est-il envisagé ? La France, qui ne se caractérise pas par une aisance financière considérable, dépense beaucoup d’argent. Comment la communauté internationale peut-elle prendre sa part au rétablissement de la sécurité et de la stabilité politique en Afghanistan ?

M. Bernard Cazeneuve. L’acceptation des forces étrangères par les populations civiles afghanes constitue une condition absolue pour que la coalition réussisse. Pour ce faire, il importe d’éviter que les civils soient touchés par les opérations militaires. Nous avons bien compris la différence de mandat entre Enduring Freedom et la FIAS – retour à la stabilité et sécurisation du pays d’un côté, lutte contre le terrorisme de l’autre –, avec un objectif commun de deux dispositifs : le retour à la gouvernance locale, ou l’« afghanisation », qui requiert du temps.

Quel est le niveau d’acceptation par les populations civiles afghanes de la présence étrangère dans leur pays ?

N’avez-vous pas le sentiment que des opérations unilatérales des États-Unis frappant des populations civiles compliquent les projets de la coalition, notamment le retour à une bonne gouvernance ?

M. Martin Howard. La communauté internationale est impliquée au travers de multiples institutions : les Nations Unies, l’Union européenne, la Banque mondiale, etc. Il est de plus en plus nécessaire de les coordonner et nous encourageons l’ONU à s’en charger. En dépit des quelques signes positifs, les difficultés ne doivent pas être sous-estimées et notre engagement s’inscrit dans le très long terme.

Le Pakistan fait preuve d’une certaine volonté de s’impliquer positivement mais il éprouve déjà de grosses difficultés pour affirmer son autorité sur son propre territoire, notamment dans les zones tribales, qu’il n’a jamais contrôlées au cours de son histoire. Le rôle éventuel des Nations Unies dans cette partie du pays est difficile à déterminer et rien ne saurait être accompli sans l’acceptation du gouvernement pakistanais, qui est souverain.

L’opération en Afghanistan coûte effectivement fort cher, en moyens financiers mais aussi en vies. La Mission Statement de Bucarest n’en est que plus importante. Les ressources financières proviennent des pays qui ont envoyé des forces. Des moyens énormes devront encore être injectés, non seulement pour l’effort militaire mais aussi pour des investissements à long terme indispensables à la reconstruction. Lors de la Conférence de Paris, la communauté internationale s’est engagée sur un effort d’aide de l’ordre de 20 milliards de dollars.

L’OTAN n’a jamais exclu que ses opérations puissent faire des victimes civiles ; le risque zéro, dans un tel contexte, n’existe pas. D’autant que des civils sont souvent utilisés comme couverture par les forces adverses, qui ne s’embarrassent pas de scrupules. Pour la FIAS comme pour Enduring Freedom, l’influence des pertes civiles sur la perception de l’intervention étrangère est indéniable. Les réduire au maximum est donc déterminant. De manière générale, une majorité d’Afghans soutiennent leur gouvernement et leurs institutions – notamment l’armée, qui est très populaire –, ainsi que la présence étrangère, mais il est également exact qu’ils ne souhaitent pas que nous restions à tout jamais. À l’opposé, les talibans bénéficient d’un faible soutien public.

M. Gérard Bapt. La « communauté internationale » dont parlait M. Fromion, c’est l’OTAN, donc l’Occident ; que je sache, ni les Russes, ni les Chinois, ni les pays arabes ne sont engagés. Les tensions actuelles avec la Russie en Europe centrale ne risquent-elles pas de nuire à l’efficacité de la pacification et de la reconstruction en Afghanistan ?

La dualité de commandement suscite parmi nous une grande perplexité. Le chef d’état-major des armées, le général Jean-Louis Georgelin, que nous avons récemment auditionné, nous a indiqué avoir appris par une dépêche l’existence d’une opération aéroterrestre américaine qui venait d’avoir lieu au Pakistan. Pensez-vous qu’un succès puisse être remporté en Afghanistan si cette situation perdure ?

Le 18 août, avec les pertes de soldats français, notre pays a reçu une douche glacée. D’après une dépêche AFP, le général Michel Stollsteiner a déclaré que sa demande en moyens aériens, notamment en drones, n’avait été honorée que onze heures après le déclenchement des combats. Même si la France projette des appareils en Afghanistan, les moyens étant mutualisés, avons-nous la certitude que nos soldats stationnés là-bas bénéficieront de la meilleure protection possible ?

La dualité de commandement entre la FIAS et Enduring Freedom se double d’une contradiction politique : le président Bush veut lutter contre le terrorisme et réduire l’axe du mal tandis que l’ONU a donné un mandat limité à la FIAS, y compris dans le temps.

Mme Marie-Louise Fort. L’implication de nos forces armées en Afghanistan était motivée par le soutien au peuple afghan dans sa lutte contre l’obscurantisme, la drogue, le terrorisme et les atteintes aux droits des femmes. Après l’embuscade du 18 août, qui a coûté la vie à dix de nos soldats – et je crois que d’autres soldats sont tombés depuis –, une nouvelle guerre a débuté : une guerre de communication, dans laquelle les talibans se débrouillent bien et exploitent la sensibilité occidentale. L’ONU et l’OTAN, peut-être trop sûres de leur bon droit, semblent ne pas avoir suffisamment pris la mesure de cet enjeu. Vont-elles accomplir un effort de communication pour expliquer à l’opinion publique le bien-fondé de leur action et les objectifs qu’elles cherchent à atteindre ?

M. Martin Howard. Je joins mes condoléances à celles déjà exprimées par le secrétaire général de l’OTAN, en signalant que quatre Américains ont été tués aujourd’hui même.

Nous continuons à évaluer l’incidence du conflit entre la Russie et la Géorgie sur les relations entre l’OTAN et la Russie, notamment s’agissant de la lutte contre le terrorisme. Nous avons également conclu des accords avec la Russie pour le transit de matériels à destination de l’Afghanistan et nous espérons les maintenir. Il reste qu’il est encore trop tôt pour savoir quelles seront les conséquences réelles des événements de cet été.

L’OTAN ne mène pas d’opérations au-delà de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, je l’affirme avec clarté. L’incursion américaine, d’intensité limitée, a provoqué des tensions entre les États-Unis et le Pakistan, ce n’est un secret pour personne. Il est important de régler cette affaire afin d’assurer de bonnes relations militaires, de part et d’autre de la frontière, entre les Afghans, la FIAS, le Pakistan et Enduring Freedom. Il existe du reste des mécanismes permettant de discuter de questions transfrontalières, comme la commission tripartite.

L’enquête française sur les événements du 18 août n’est pas terminée et je n’ai pas accès à ces informations. Il m’est donc difficile d’intervenir sur le sujet précis de la disponibilité des drones lors de ces combats. Plus généralement, toutes les nations sont dans le même bateau et s’entraident. Dans de telles circonstances, des dérives peuvent se produire mais la FIAS met tout en œuvre pour protéger tous ceux qui contribuent à ses opérations.

Les insurgés talibans sont très bons pour exploiter les médias car ils ne sont pas contraints, eux, de dire la vérité. C’est la difficulté que rencontrent les démocraties dans leur communication stratégique. Tout en nous montrant parfaitement scrupuleux, nous devrions faire davantage pour expliquer à nos citoyens les enjeux réels. Cela ne relève pas uniquement de l’OTAN, mais aussi, individuellement, de ses États membres et de tous ceux qui contribuent à la FIAS.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je vous remercie, monsieur l’adjoint au secrétaire général, de nous avoir répondu avec spontanéité.

——fpfp——