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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 3 novembre 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente, et de M. Gvozden Flego, président de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

– Réunion, ouverte à la presse, commune avec la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sur « le droit de chacun à participer à la vie culturelle » 2

– Présences en réunion 42

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 3 novembre 2010

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission, et de M. Gvozden Flego, président de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe)

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La Commission des affaires culturelles et de l’éducation se réunit avec la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sur « le droit de chacun à participer à la vie culturelle ».

Mme la présidente Michèle Tabarot. Il me revient d’ouvrir cette réunion conjointe de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale française et de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et c’est beaucoup d’honneur pour moi.

Je voudrais tout d’abord saluer et remercier les personnalités présentes à cette réunion qui va permettre des échanges très riches sur le droit de chacun de participer à la vie culturelle. Ma gratitude va bien évidemment à Muriel Marland-Militello qui, avec l’enthousiasme qu’on lui connaît, a été à l’origine de cette réunion et a mis toutes les chances de réussite de son côté.

Je voudrais bien évidemment remercier très chaleureusement le Président Flego, mon homologue de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Vous êtes ici chez vous, Monsieur le Président, et nous serons heureux de vous y accueillir de nouveau dans l’avenir.

Je remercie notre collègue Jean-Claude Mignon, qui va nous rejoindre dans un instant, qui préside activement la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et qui, je le sais, est très attaché à ce que des activités de l’Assemblée parlementaire se déroulent dans les locaux du Parlement français, afin de resserrer les liens entre nos institutions parlementaires.

Je salue mon collègue, Monsieur le Président Jacques Legendre, qui préside la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Il a grandement travaillé au rapprochement avec l’Europe.

Enfin, je voudrais souligner que cette réunion ouvre une journée de travaux, placée sous le haut patronage de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République française. Je l’en remercie vivement et salue la présence de sa conseillère, Mme Catherine Pégard.

J’ajoute un mot pour me féliciter de participer aujourd’hui à cette réunion. Notre Commission est très jeune – un peu plus d’un an seulement – et c’est un grand symbole pour nous que de placer l’une de nos premières activités internationales sous l’égide de l’Europe, dans son acception la plus large, celle de l’Europe des droits défendus par le Conseil de l’Europe et par son Assemblée parlementaire.

Le thème choisi a aujourd’hui une grande résonance. Le droit de participer à la vie culturelle est en effet un impératif démocratique : c’est d’ailleurs pour cela que dans la Constitution de la France, l’égal accès à la culture est garanti par la Nation aux termes du Préambule de 1946.

C’est également une question de volonté, encore plus que de moyens. C’est pour cette raison que nous attachons une grande importance à l’éducation artistique et culturelle, sur laquelle Muriel Marland-Militello a rédigé un rapport à l’Assemblée nationale, qui reste une référence. C’est pourquoi nous sommes en première ligne, lorsque nous avons des responsabilités locales, pour faire vivre ce droit de participer à la vie culturelle.

Pour traiter de l’ensemble de la question, le programme de cette matinée est particulièrement fourni et nous pourrons avoir des échanges très fructueux avec les personnalités invitées qui viennent d’horizons très différents. Nous aurons à cœur d’apprendre des nombreuses pratiques de participation à la vie culturelle qui vont nous être exposées.

Je laisse maintenant la parole au Président Flego, en le remerciant une nouvelle fois d’avoir accepté cette invitation et en saluant tous les participants.

M. Gvozden Flego, président de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Je remercie Mme Michèle Tabarot pour son accueil et ses mots chaleureux ; je la remercie de nous recevoir aujourd’hui dans le prestigieux cadre de l’Assemblée nationale française.

Merci également à Jean-Claude Mignon, Président de la délégation française auprès de notre Assemblée parlementaire, et évidemment un très grand merci à Muriel Marland-Militello pour l’excellente initiative de cette audition qui s’inscrit dans le cadre de son rapport sur « le droit de chacun de participer à la vie culturelle ».

Notre Commission de la culture, de la science et de l’éducation attache une très grande importance à la valeur essentielle de l’accès à la culture en tant que droit fondamental. Nous l’avons démontré dans nos textes et actions depuis de nombreuses années.

La culture est souvent perçue comme un luxe pour les élites. Les droits culturels sont méconnus et négligés par rapport aux autres droits de l’homme. Probablement même au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe les questions de politique culturelle sont considérées comme secondaires par rapport à d’autres.

C’est pour moi une erreur de perspective : il m’est impossible de concevoir comment nos sociétés pourraient protéger et développer les autres droits fondamentaux, qu’ils soient de caractère civil et politique ou économique et social, et promouvoir les valeurs démocratiques auxquels nous sommes très attachés, en oubliant que ces droits fondamentaux et les valeurs piliers de nos sociétés ont été engendrés par le développement culturel.

L’individu privé d’accès à la culture est aussi privé de la capacité à s’épanouir ; de ce fait, il est lésé au plus profond de sa dignité. Pour cette raison, nous attachons la plus grande importance aux travaux préparatoires du rapport sur « Le droit de chacun de participer à la vie culturelle ».

Je souhaite également observer que la coopération culturelle est essentielle pour une réelle intégration européenne fondée sur la diversité culturelle. Le Traité de Lisbonne de l’Union européenne appelle à une nouvelle coopération avec les parlements de ses États membres et reconnaît la subsidiarité dans les domaines de la culture et de l’éducation. Cela donne à nos parlements une place centrale. Il nous appartient donc de soutenir et d’encourager les États dans la mise en œuvre de leurs politiques culturelles, et je suis convaincu que tenir ce type de débat et d’échange dans le forum paneuropéen du Conseil de l’Europe peut réellement nous aider à remplir notre mission au sein de nos parlements respectifs.

Aujourd’hui, nous sommes heureux de mettre en pratique très concrètement la coopération avec l’Assemblée nationale française, sous le haut patronage du Président de la République française, M. Nicolas Sarkozy. Nous allons entendre les témoignages et les expériences de plusieurs acteurs culturels clés sur ce sujet très vaste qu’est l’accès à la culture pour tous, qui serviront à nourrir notre débat. Profitons de ce temps d’échange et de partage privilégié, pour que chacun puisse quitter cette salle avec un engagement et une énergie renouvelés !

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat français. Je suis très heureux de retrouver aujourd’hui la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, que j’ai eu l’honneur de présider de 2005 à 2008, et je remercie Muriel Marland-Militello de me donner cette raison d’être parmi vous aujourd’hui et mon excellente collègue, Michèle Tabarot, Présidente de la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale, de m’avoir convié à participer à vos débats.

Le thème de l’accès de tous à la culture qui nous réunit aujourd’hui est un sujet majeur. Jean Monnet n’affirmait-il pas, lorsque l’on parlait de la construction européenne : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture ? ».

Je préside aujourd’hui la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat français – autrefois dénommée Commission des affaires culturelles – que nous avons choisi de rebaptiser à l’occasion de la révision constitutionnelle. Et nous avons fait le choix de cette nouvelle dénomination pour mieux mettre en évidence les liens étroits qui existent entre culture et éducation. Je suis en effet convaincu que c’est par l’éducation que nous permettrons aux plus jeunes de nos concitoyens d’accéder à la culture. Dans ce domaine, il serait vain d’affirmer un droit qui, faute de connaissance, ne pourrait s’exercer.

Quant à la communication, c’est, pour ma Commission, le cœur du sujet. Depuis plusieurs mois nous nous efforçons de prendre en compte la révolution numérique, qui bouleverse tous les usages culturels, d’y apporter les adaptations législatives indispensables, tant dans le secteur de la musique, du cinéma ou, la semaine dernière encore, du livre ou de la photographie.

Notre objectif est d’assurer la protection des droits des créateurs sur Internet, pour que ce formidable outil ne définisse pas une zone de non-droit, qui finirait par détruire la création culturelle. Quand il n’y a plus de création c’est la culture qui est attaquée.

Nous nous sommes également préoccupés au cours de l’armée écoulée de la question de la numérisation des œuvres du patrimoine écrit. Dans un premier temps, nous avons tous été enthousiasmés par la numérisation, permettant un accès universel aux contenus culturels ; tous les livres pour chaque lecteur où qu’il soit, c’est la réalisation du gigantesque musée virtuel ouvert à tous les citoyens du monde et, en quelque sorte, la concrétisation du rêve qu’a exprimé Malraux à la télévision avec tant de force, provoquant l’incrédulité, voire l’incompréhension. Et pourtant il avait vu les choses avant tout le monde !

J’avais moi-même été amené, lorsque je présidais la Commission de la culture de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à faire adopter en 2007 une motion approuvant la création d’une bibliothèque numérique européenne. L’apparition de Google dans ce domaine et les menaces qui semblaient peser sur l’identité de la Bibliothèque Nationale Française nous ont quelque peu émus et ont conduit le Sénat à débattre en novembre 2009 des conditions de cette numérisation. Sur tous les bancs, nous avons souhaité qu’un certain nombre de précautions soient prises pour les contenus des bibliothèques publiques, et le ministre de la culture nous a entendus en proposant qu’à travers le grand emprunt, soient dégagés les moyens financiers nécessaires à cette indépendance. Nous nous réjouissons de voir que la France se dotera de moyens financiers permettant de dialoguer avec ces grandes sociétés, non pas de les écarter, mais de trouver le moyen d’une juste coopération.

La Commission de la culture du Sénat a en outre souhaité accompagner les chantiers numériques lancés par le Gouvernement en octobre 2007 pour favoriser l’accès par Internet à la culture. Le portail culture.fr me semble, en effet, un outil extraordinaire de diffusion des contenus culturels tourné vers le citoyen. La découverte des musées, des monuments historiques, des sites archéologiques par un simple clic est magique. Quelle chance de pouvoir visiter le Louvre sur son smartphone ou son Ipad, de découvrir le château de Versailles sur une maquette numérisée en 3D ou de visiter Paris ou Saint-Denis au Moyen âge à travers des reconstitutions numériques ! De même, le lancement du nouveau site de la Cité de la musique permettra l’accès au plus grand nombre des concerts de la Cité de la musique et de la salle Pleyel.

L’outil existe, mais le problème est aujourd’hui de permettre au plus grand nombre de l’utiliser. Je ne reviendrai pas sur les politiques culturelles menées par le Gouvernement français, mais nous soutenons toutes les initiatives favorisant l’accès de nos jeunes concitoyens à la culture, qu’il s’agisse de l’expérimentation de gratuité dans les musées, du cinéclub au lycée, des actions pédagogiques de la Cité de la musique ou de la carte musique sur laquelle je reviendrai dans un instant. Je salue également les initiatives récentes des exploitants de cinéma qui vont diffuser les chefs-d’œuvre de l’opéra dans de nombreuses salles sur tout le territoire. Quelques débats ont eu lieu sur le sujet ; nous pensons nécessaire que là où il y a une salle, on puisse éventuellement accéder au spectacle d’opéra. C’est un élément de démocratisation extraordinaire.

Je voudrais vous faire part de plusieurs thèmes de réflexion qui ont particulièrement préoccupé ma Commission au cours des derniers mois et en tirer quelques préconisations.

L’enseignement artistique, tout d’abord. Tout se joue dès le plus jeune âge et c’est l’école qui doit donner la clef d’accès à la culture. Les conseils de Fénelon – je suis un élu de la ville de Cambrai et Fénelon était notre grand homme ! – retrouvent ici toute leur actualité : « La curiosité des enfants est un penchant de la nature qui va comme au-devant de l’instruction ; ne manquez pas d’en profiter. » Quel excellent pédagogue !

La loi sur l’avenir de l’école de 2005 a jeté les bases d’une meilleure prise en compte de cet enjeu, en incluant l’éducation artistique dans le socle commun des connaissances. Cette démarche me paraît essentielle. Notre Commission a auditionné Didier Lockwood qui nous a présenté les travaux du Haut conseil pour l’éducation artistique et culturelle. C’est un homme d’expérience, dont je salue les initiatives originales dans le domaine de la formation des jeunes à la musique. Je partage ses ambitions concernant la nécessaire formation des enseignants et l’enseignement de l’histoire de l’art dès l’école primaire, en partenariat avec les professionnels et les acteurs locaux. A cet égard, il me paraît dans ce domaine encore indispensable de tirer parti des outils numériques pour lutter contre les inégalités territoriales. Je soutiens l’extension à toutes les communes rurales de moins de 2 000 habitants du plan « écoles numériques rurales », qui est un succès et a contribué à la formation des enseignants et à la modernisation de leur pédagogie. Quand je visite une école rurale et que je vois ce merveilleux instrument, il me vient parfois la nostalgie de l’époque où j’étais moi-même jeune professeur. Je me dis que mes collègues ont bien de la chance d’avoir un tel outil à leur disposition ! C’est un excellent outil de diffusion de la culture dans les zones faiblement équipées, tant il est bien clair que la fracture numérique crée aussi une fracture culturelle ! Car n’oublions pas que cette initiation culturelle dès le plus jeune âge conditionne le reste du parcours scolaire. J’ai pu le constater à l’occasion de mon rapport d’information sur la diversité sociale dans l’accès aux classes préparatoires aux grandes écoles. C’est au niveau des épreuves de culture générale que se fait le barrage et c’est pourquoi la plupart des programmes mis en place dans les zones difficiles visent à initier les jeunes aux sorties culturelles.

L’accès à la culture passe également par les médias. Malgré le développement d’Internet, le jeune public est encore un grand consommateur de télévision et y passe en moyenne plusieurs heures par jour. Nous souhaitons, bien entendu, que les chaînes privées s’impliquent davantage dans ce domaine, mais leurs choix éditoriaux ne sont pas tout à fait de notre ressort. C’est pourquoi le service public doit être exemplaire et nous en avons exprimé le souhait, lors de l’avis rendu par la Commission sur le contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions. Le service public doit en effet jouer un rôle essentiel dans ce domaine, d’autant qu’il est aujourd’hui délivré de la dictature de l’audimat. A cet égard, je tiens à réaffirmer que tout en admettant la nécessité d’un moratoire rendu nécessaire par l’état de nos finances publiques, je demeure, à titre personnel, un fervent partisan de la suppression totale de la publicité sur le service public et d’une limitation du « parrainage ». S’agissant des contenus, je salue le virage éditorial pris par les dirigeants du service public depuis plusieurs années en faveur d’une meilleure diffusion de la culture, qu’il s’agisse des fictions ayant pour thèmes des œuvres littéraires ou des retransmissions de spectacles vivants. Quel plaisir de voir actuellement partout la publicité sur la princesse de Montpensier ! C’est un bon signe.

Les initiatives de Radio France me semblent également aller dans le bon sens, et notamment la réforme du Mouv’ qui vise le développement de la citoyenneté chez les jeunes auditeurs.

Quant à Arte, chaîne culturelle par excellence, la célébration de son vingtième anniversaire a donné l’occasion de partager un bilan positif en faveur de la diffusion culturelle. Si son audience est encore parfois confidentielle, je crois que le développement d’Arte VoD qui touche un public jeune permettra des progrès spectaculaires. Que l’on me permette de dire également que Arte est si précieuse que nous pourrions souhaiter qu’on la trouve, non seulement en France et en Allemagne, mais également dans d’autres pays de l’Europe.

J’en viens à l’Internet, qui, comme je l’ai évoqué tout à l’heure, est au cœur de nos préoccupations. Le développement de l’offre légale, tout d’abord. Nous avons soutenu la loi favorisant la diffusion et la protection des droits sur Internet, et la mise en place de l’Hadopi, haute autorité, parce que nous pensions qu’il ne fallait pas seulement apporter une réponse répressive à la manifestation d’un désir de culture ignorant les droits des créateurs. Vient un moment où, compte tenu des techniques, l’offre doit être accessible au plus grand nombre. Nous souhaitions que les jeunes qui ont peu de moyens puissent, par le biais d’Internet, accéder aux formes contemporaines de la culture. Il aura fallu un an pour que la carte musique, accessible aux jeunes de 12 à 25 ans, voie le jour et nous nous en réjouissons.

L’État va financer 50 % de cette carte à hauteur de 25 millions d’euros par an, mais compte tenu de l’état des finances publiques, il serait bon que les éditeurs de musique en ligne s’impliquent aussi dans ce projet, ce qui conforterait ses chances de réussite. Toutefois, les jeunes ne se tourneront vers cette offre payante que si une éducation au respect de la propriété intellectuelle leur a été dispensée, et c’est le système éducatif qui doit assumer cette nouvelle responsabilité.

Mes chers collègues, il faut aborder dans un débat tel celui-ci la question de la gratuité. Internet a offert la possibilité de consommer des biens culturels sans en payer le prix. Les jeunes se sont mis à télécharger des fichiers musicaux, des films et maintenant des livres sans l’accord des auteurs et sans que ceux-ci soient rémunérés – et, au départ, en toute innocence. Certains considèrent que c’est une évolution inéluctable, qu’on ne reviendra jamais en arrière parce que la gratuité répondrait à une forte demande sociale. Je pense au contraire que ce mouvement menace la diversité culturelle et qu’il faut habituer les jeunes générations à payer un prix, même minimum. Internet n’est d’ailleurs pas gratuit puisque pour avoir accès aux œuvres, on paie des abonnements !

Une autre face de l’accès à la culture est la diffusion de la culture scientifique. L’exercice de la liberté nécessite de comprendre le monde tel qu’il se présente et la société telle qu’elle évolue, car le fossé ne cesse de se creuser entre les experts et le grand public. Voilà encore un problème ! Notre Commission s’est penchée sur cette question dès 2002 à travers une mission d’information qui avait notamment recommandé une amélioration des émissions scientifiques sur les chaînes de télévision. Or les efforts me semblent encore insuffisants aujourd’hui. Une autre préconisation visait au développement territorial de la Cité des sciences, rebaptisée aujourd’hui Universcience, après sa fusion avec le Palais de la découverte. Les résultats ne sont pas encore au rendez-vous. Mais je crois encourageant le récent Forum territorial qui avait pour objectif de s’interroger sur les priorités et d’élaborer de nouveaux modèles collaboratifs à l’échelle nationale et européenne. L’accès aux merveilleuses expositions de ces deux établissements ne doit pas rester l’apanage des petits Parisiens ou des jeunes provinciaux dont les parents ont les moyens. Une meilleure diffusion sur l’ensemble du territoire et même au niveau européen permettra aux enseignants de donner la clef de la culture scientifique au plus grand nombre.

Ces quelques considérations étaient celles d’un président d’une Commission du Sénat, composée d’élus locaux représentant l’ensemble de nos territoires. Il convient ici de rappeler que, dans notre pays, les politiques culturelles reposent sur les collectivités territoriales qui sont les premiers acteurs du développement culturel dont elles assurent une bonne part du financement. Dans ma bonne ville de Cambrai, après avoir inauguré la première bibliothèque dans les années 70, je m’apprête à ouvrir une médiathèque qui permettra de mettre en réseau plusieurs établissements du département.

Je tiens également à saluer l’action des nombreuses associations qui œuvrent sur l’ensemble du territoire, notamment dans les zones urbaines sensibles, pour favoriser l’accès à la culture pour tous, tant par la mise à disposition de places de spectacles gratuites, que par la sensibilisation des animateurs du champ social. La culture est un vecteur du lien social et il est indispensable d’aider les populations les plus fragiles à « oser » accéder aux lieux culturels.

En conclusion, je tiens à réaffirmer que c’est par l’action conjuguée de tous les acteurs que nous parviendrons à assurer le droit de chacun à accéder à la vie culturelle. Demain, je participerai à la commission mixte paritaire sur le projet de réforme des collectivités territoriales et je défendrai la possibilité d’accords locaux permettant de soutenir des projets culturels entre différents niveaux de collectivités. C’est plus que jamais nécessaire et nous devons, en ce domaine, avoir une approche pragmatique en ne perdant pas de vue l’objectif de la culture pour tous.

Voilà, Mesdames, Messieurs, quelques remarques que je voulais faire en répondant à votre invitation. Je m’arrête, car je serais très bavard sur un sujet si important ! Je remercie une fois encore Mme Marland-Militello d’avoir souhaité traiter ce sujet au sein de la commission de la culture du Conseil de l’Europe, qui me reste très chère.

Mme Muriel Marland-Militello. Avant même de leur adresser mes remerciements, je voudrais dire à nos Présidents de Commission que je sais combien ils se sont investis dans l’action culturelle. Je leur dois beaucoup, en particulier d’avoir organisé cette réunion. Gvozden Flego a accepté de l’externaliser à Paris et Michèle Tabarot a eu la gentillesse d’en faire une réunion conjointe de nos deux commissions. J’y suis extrêmement sensible, parce que je pense que c’est un signe de l’investissement de Michèle Tabarot dans la dimension européenne de la France d’abord et de sa culture.

Permettez-moi d’exprimer ma profonde gratitude au Président de la République française qui a bien voulu placer cette journée sous son haut patronage. Ce geste illustre une fois de plus la volonté du Président, et donc de la France qu’il incarne, non seulement de promouvoir l’exception culturelle, ce que nous savons, mais aussi de chercher les meilleurs processus pour sensibiliser notre jeunesse à l’ensemble des expressions artistiques afin de susciter en elle le désir d’y participer.

La présence de Mme Catherine Pégard, Conseillère du Président de la République, qui nous fait l’immense honneur et le plaisir d’être parmi nous, le confirme. Je veux lui dire ici combien je suis heureuse qu’elle ait accepté de se joindre à nous. Je connais son attachement à la vie artistique et culturelle ; nous connaissons tous les actions qu’elle a menées et qu’elle continue de mener auprès de Nicolas Sarkozy, et son souci constant de prendre en compte la dimension européenne. Merci d’être parmi nous.

Permettez-moi maintenant de remercier les trois Présidents des Commissions de la culture.

Monsieur Legendre, vous nous avez fait un exposé qui me ravit, qui montre à quel point le Sénat est à la pointe de l’éducation artistique et culturelle et de la démocratisation culturelle.

Monsieur Flego, vous avez été l’un des premiers à cosigner la proposition de préparer ce rapport. Je vous remercie encore d’avoir eu l’extrême gentillesse de nous réunir à Paris et de solliciter nos collègues.

Je voudrais remercier Michèle Tabarot, car cette réunion conjointe présente bien des avantages. Elle donne une dimension européenne aux travaux de la culture. Agissant ainsi, Michèle Tabarot montre son attachement personnel à la dimension culturelle. En particulier, étant à la fois députée de la Nation et maire d’une commune – Michèle Tabarot est maire du Cannet ; nous sommes élues du même département –, elle révèle sa conscience de la valeur de la participation des élus dans les territoires. En effet, Michèle Tabarot a pris le risque, en tant que maire d’une petite ville, de créer le musée Bonnard. En cette période de budget contraint, la décision d’un maire d’investir dans un musée pour un artiste de renommée internationale, mérite que l’on s’en félicite et montre que les territoires en France sont bien défendus.

Je veux également vous remercier, Michèle Tabarot, d’avoir accepté de publier le recueil de nos travaux sous la forme d’un rapport d’information ainsi que d’avoir accepté d’ouvrir notre réunion à la presse, qui, j’en suis sûre, aura à cœur de donner un large écho à notre thématique de démocratisation culturelle.

Je voudrais vous exprimer les regrets du ministre de la culture et de la communication français, Frédéric Mitterrand, qui souhaitait vraiment se joindre à nous ce matin. Il le regrette profondément. Jusqu’au dernier moment, il a souhaité venir. Parmi ses lourdes fonctions de ministre, il doit défendre ces jours-ci son budget. Ce qu’il fait avec pugnacité ! Nous en avons eu un exemple hier après-midi. Mais c’est un effort de chaque instant et donc, chaque instant, il œuvre pour la culture. Nous ne pouvons donc pas lui reprocher de ne pas être parmi nous.

Je voudrais terminer cette séquence de remerciements en exprimant ma reconnaissance à Jean-Claude Mignon, député français, Président de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il anime cette délégation avec une détermination, un enthousiasme extraordinaire. Il contribue grandement à faire connaître la qualité des travaux du Conseil de l’Europe, en France et ailleurs. Il contribue également à donner une image extrêmement positive de notre pays et de nos travaux. Excusez-le de son retard, il est sur l’autoroute, pris dans un embouteillage qu’il ne maîtrise pas – c’est d’ailleurs l’une des rares choses qu’il ne maîtrise pas !

Grâce à lui, nous avons pu organiser pour vous cette journée qui, je l’espère, vous satisfera. Nous entendrons des intervenants passionnants. Cet après-midi, nous vous proposerons un exemple vivant en nous rendant à l’exposition du musée d’Orsay ; ce sera également l’occasion d’illustrer ce que fait le musée d’Orsay en matière d’accueil des jeunes publics et des jeunes artistes.

Le sujet de mon rapport est « Le droit de chacun de participer à la vie culturelle ». Je ne vais pas faire une centième profession de foi pour expliquer son utilité. Nous la connaissons tous ici.

En général, lorsque l’on parle de démocratisation culturelle, on a en vue la démocratisation de l’accès à la culture pour les publics. Or, il ne sert à rien de démocratiser l’accès à la culture pour les jeunes publics s’il n’y a pas d’artistes à voir, à entendre, à écouter, à suivre. J’ai donc conçu une pièce de théâtre avec trois acteurs : les artistes émergents ; les jeunes publics ; les pouvoirs politiques et les responsables culturels, publics et privés. C’est ensemble qu’ils contribuent à rendre effectifs les droits naturels à la culture qu’évoquera notre expert M. Patrice Meyer-Bisch. Ces acteurs doivent vivre et travailler conjointement, chacun dans leur spécialité.

Ce sujet étant vaste, j’ai choisi des manifestations artistiques et culturelles qui rassemblent à la fois les publics et les artistes, qui occasionnent le mouvement des publics sur un lieu de rencontre. En effet, animer la vie culturelle, c’est susciter des rencontres.

Deux champs artistiques m’ont paru particulièrement propices à développer ces thématiques.

D’une part, le spectacle vivant, qui se situe à la frontière de plusieurs cultures – musique, texte, décors, costumes, mise en espace, mise en scène et en lumière – autrement dit, qui mobilise un faisceau d’intervenants artistique, tous contribuant à la qualité d’une représentation d’un spectacle vivant, que ce soit du théâtre, de la musique, du mime, du cirque. L’ensemble de ces expressions artistiques concourent à la transversalité des moyens artistiques.

Le deuxième avantage du spectacle vivant réside dans la valorisation d’un lieu attitré : on se déplace vers un lieu, l’artiste se déplace, le public se déplace. C’est très important pour animer la vie artistique, car l’un des dangers de l’accessibilité à la culture par le numérique serait de confondre le virtuel et la vie réelle. Rien ne remplace la vie « vivante » de l’expression artistique.

Le rapport insistera, d’autre part, sur les performances en matière d’arts plastiques. Les arts plastiques ont sensiblement évolué avec les arts visuels et avec les performances.

Les expositions d’arts plastiques commencent dans la rue, se poursuivent dans des friches, dans des garages. Les arts plastiques évoluent en fonction des arts visuels – on se sert des écrans, de l’informatique – mais également des performances et des installations. On se situe à la jonction de plusieurs arts, d’expressions artistiques diverses. Une de nos réunions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se déroule pendant Musica à Strasbourg. Une manifestation, Ososphère, réunit des plasticiens, des preneurs de son, des spécialistes en lumière, de mise en espace. Ils travaillent ensemble, avec des plasticiens, ce qui est essentiel.

Vous aurez compris que j’axe mon rapport sur l’innovation et la création et sur le processus qui y conduit : le processus d’émergence. Il n’y aura pas de constitution de patrimoine culturel dans le futur sans émergence de la création et pas d’émergence de la création sans émergence elle-même.

C’est pourquoi j’ai voulu axer ce rapport sur les jeunes : les jeunes publics de 15 à 25 ans et les jeunes artistes. Les artistes émergents de soixante ans, si l’on peut en rencontrer, restent rares ! Si l’on veut ouvrir le droit de chacun à la culture, il faut aider au commencement. Les artistes doivent participer à la vie culturelle. Et il faut se demander comment les jeunes artistes peuvent émerger.

Dans ces deux domaines – spectacle vivant et arts plastiques – le public revêt une grande importance. Ces domaines entretiennent en outre des résonances avec les nouvelles technologies.

Un jeune homme se sent une âme d’artiste. Sa production artistique, si elle n’est pas reliée à un public, n’a pas de sens. Pour un musicien, ne pas être entendu, pour un plasticien ne pas être vu, pour un homme de théâtre ne pas être écouté est catastrophique. Ils ne peuvent perdurer dans leur art, pas uniquement pour des raisons financières, mais pour des raisons liées à leur propre inspiration ; ils ont besoin du public. Je suis contente qu’un musicien et son manager soient présents aujourd’hui pour évoquer leur « parcours du combattant », le processus pour se faire connaître. Comment émerge-t-on ? Dans quel lieu ? Comment accroche-t-on son public ? Au fond, faciliter ce parcours c’est promouvoir la participation à la vie culturelle. Comment être à côté des jeunes artistes, avec eux ? Et quels sont les moyens pour le jeune public d’avoir accès à leurs œuvres, mais pas uniquement ? Nous devons prononcer ici le mot « participer ».

J’ai tenu à mettre en avant la jeunesse, car elle est notre avenir. La création artistique d’aujourd’hui, c’est le patrimoine de demain. Ce sont les jeunes artistes qui alimenteront nos publics adultes de demain. C’est très important, mais je n’oublie pas une phrase du rapport de Mme Cliveti qui m’a impressionnée. Deux jeunes filles, une Bolivienne et une Monégasque, ont déclaré ceci : « Nous sommes des jeunes. Vous considérez que nous sommes votre avenir, mais pas du tout ! Nous sommes votre présent. »

Cette phrase m’a interpellée, car des personnes moins jeunes sont susceptibles d’avoir une influence sur la création des jeunes et sur les publics des jeunes. Ces recouvrements générationnels constituent une interrogation qui doit figurer dans notre rapport.

Le troisième acteur est formé des pouvoirs politiques de l’État et des territoires. Il se compose également de l’ensemble des responsables culturels, qu’ils soient publics – les Directions régionales des affaires culturelles dans les territoires, les administrations au niveau de l’État – ou privés, issus du monde associatif ou des fondations. Il est intéressant de voir comment toutes ces personnes aident à l’émergence de talents et à l’accès à la culture de jeunes qui, a priori, n’y étaient pas destinés, donnent des moyens à des personnes éloignées de la culture, que ce soit par leur situation géographique, leurs conditions de vie sociale ou simplement par leur nature biologique. Je pense notamment aux personnes qui ont un handicap. Nous allons essayer de donner une vitalité à ces questions en les étudiants sous cet angle très particulier.

Quelles sont les obligations des acteurs publics qui, si je devais caricaturer, disposent de la manne financière, mais aussi de l’expertise scientifique de la qualité artistique ? Quelles sont les contradictions dans la gestion du soutien à la culture ?

Nos États démocratiques se sont donné une obligation de neutralité. Les responsables politiques et culturels ne doivent en aucun cas limiter l’expression artistique des artistes ni l’accès à la culture des jeunes publics. Dans nos systèmes libéraux, cette obligation de neutralité est le garant de la démocratisation et de la diversité culturelle. Parallèlement, si nous voulons aider, il convient d’entrer dans le cadre d’une obligation positive de moyens et de résultats. Il faut donner des moyens à certains et, en contrepartie, demander des résultats.

Certaines obligations sont totalement neutres. Par exemple, quand on donne le droit d’accès gratuit aux musées. On n’impose pas d’aller voir tel ou tel artiste. Au Luxembourg, Mme Brasseur nous l’a expliqué, la gratuité ou des coûts réduits s’appliquent aux personnes connaissant des conditions sociales difficiles : c’est également neutre. L’Europe permet à des jeunes de moins de 26 ans de voyager à des coûts très réduits dans les 47 pays européens, c’est neutre. A Nice, nous avons institué la gratuité des musées. Parallèlement, dans le cas de l’éducation artistique, on privilégie telle ou telle partie de la culture. En France, les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), privilégient telle ou telle association, bien sûr, après expertise artistique et après avoir obtenu la caution de leurs compétences. Il faut toutefois se poser la question de savoir jusqu’où nous devons aller, car l’obligation positive n’est pas neutre. C’est une question que notre rapport doit envisager et que soulèvent souvent les jeunes artistes émergents : « Pourquoi pas moi ? » Et les publics interrogent : « Pourquoi ne pouvons-nous entendre tel chanteur, telle manifestation ? »

Voilà de façon personnelle la présentation de ce rapport. Sa légitimité se fonde sur le droit de l’UNESCO et de l’ONU. Je remercie Patrice Meyer-Bisch d’être parmi nous, car il m’offrira sa caution juridique. Il vous expliquera que nous avons le droit pour nous. Lorsque le droit à la culture sera un droit de l’homme à part entière, nous aurons gagné notre combat.

M. Jean-Claude Mignon, président de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Je voudrais dire ô combien je suis heureux de voir nos deux Commissions de la culture réunies ici, salle Lamartine, pour échanger – ce qui revêt aussi un sens au plan culturel.

Je suis également heureux de constater que certains de mes collègues de l’Assemblée nationale française et du Sénat sont présents. Ce sera aussi l’occasion pour eux de comprendre à quel point nos travaux au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sont importants. Nous traitons prioritairement l’ensemble des sujets qui ont un rapport avec les droits de l’homme, mais comme vient de le dire Muriel Marland-Militello, la culture c’est aussi un droit de l’homme. Lorsque nous aurons fait en sorte que chacune et chacun puisse accéder librement à un enseignement culturel, nous aurons réalisé un grand pas en termes de défense des droits de l’homme.

Je salue mes collègues de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui ont fait le déplacement jusqu’à Paris. C’est un grand bonheur pour nous de les accueillir au Parlement français, où ils sont toujours les bienvenus. Je suis heureux, Michèle Tabarot, de voir que la France reprend progressivement pied au sein de cette grande maison de la démocratie qu’est le Conseil de l’Europe.

Je salue également l’équipe administrative, qui accompagne notre ami Wojciech Sawicki, qui vient d’être élu brillamment Secrétaire général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Le thème d’aujourd’hui est « Le droit de chacun de participer de la vie culturelle ». J’illustrerai ce thème par un exemple qui m’est cher, celui de ma ville. Je suis maire d’une ville de 22 000 habitants. C’est une spécificité bien française : un parlementaire peut cumuler une autre fonction que celle de parlementaire : il peut être député-maire, ce qui est mon cas.

Ma ville a été confrontée par le passé à de gros problèmes de société, des populations issues de l’immigration ayant des difficultés à s’intégrer. Je suis maire de la ville de Dammarie-les-Lys depuis vingt-sept ans – j’ai été élu à trente-trois ans – et je dois avouer que je n’y connaissais pas grand-chose à l’époque. Je n’avais derrière moi qu’un mandat de conseiller municipal. Toujours est-il que j’étais passionné par la culture et que je considérais que nous allions régler les problèmes auxquels ma ville était confrontée par le sport et par la culture essentiellement.

La France a eu l’idée extraordinaire – j’en remercie le Gouvernement – de mettre en place une agence nationale de rénovation urbaine pour régler tous les problèmes liés au bâti et aux quartiers sensibles. Nous avons dépensé beaucoup d’argent. La ville de Dammarie-les-Lys a mis en œuvre l’un des quinze plus importants chantiers de rénovation urbaine de France, à hauteur de 300 millions d’euros, ce qui est considérable. Mais si nous nous intéressions uniquement au cadre bâti, c’est-à-dire à démolir des bâtiments, des barres, des tours, si nous nous occupions uniquement à résidentialiser certains de ces bâtiments, de les réhabiliter ou de les rénover, ces 300 millions d’euros ne serviraient pas à grand-chose, sans un accompagnement social qui soit de qualité et efficace.

Dans cet accompagnement social, la culture prend toute sa dimension. Ma ville compte 22 000 habitants ; je considère que j’ai 22 000 artistes en puissance dans ma commune ! Car ce sont des personnes bourrées de talent. Encore faut-il qu’on leur donne la possibilité de s’exprimer et que nous fassions ce que font d’autres communes, qui disposent de plus de moyens. Je ne suis pas déçu, parce que, en effet, la jeunesse, mais pas seulement, toutes les tranches d’âge de la population participent à ce dynamisme culturel que nous avons mis en place.

La vie nous offre des rencontres fortuites, mais qui peuvent être des déclencheurs. Voilà quelques années, j’ai eu le privilège de rencontrer Didier Lockwood, un grand artiste, musicien de jazz, un des meilleurs : il est considéré comme le fils spirituel de Stephane Grapelli. Il voulait ouvrir une école de musique pas comme les autres. J’aurais aimé être musicien, mais je n’ai jamais été à même d’apprendre à jouer d’un instrument, car dans ma jeunesse, il fallait pour cela intégrer un conservatoire de musique, ce qui n’était pas donné à tout le monde, sans compter que, la porte franchie, on se retrouvait face à des personnes très impressionnantes. On avait plus envie de fuir que de tenter d’apprendre un instrument, de crainte de paraître ridicule.

Lorsque Didier Lockwood prend son violon, lorsqu’il improvise, il sait faire passer le courant, il sait faire passer les messages. J’ai mis à sa disposition un château désaffecté de Dammarie-les-Lys, où il a créé le Centre des musiques Didier Lockwood. Cette école permet à tous les jeunes de la ville qui le souhaitent de bénéficier de cet enseignement original qu’il a conçu lui-même, fondé sur le rythme. C’est une ville « très rythmée » eu égard à la population d’origine immigrée. Il enseigne et anime les master classes lui-même, il organise une fois par mois Les mardis jazzy, auxquels la population assiste, toujours plus nombreuse ; elle vient à de grands shows ou à des numéros d’improvisation. Les plus grands artistes, les meilleurs musiciens du monde entier passent voir Didier Lockwood, jouent avec lui ; et la jeunesse locale est incitée à participer, car tout cela se passe de façon simple et spontanée.

Didier Lockwood a également eu envie d’entrer dans les écoles. Nous avons donc créé une classe orchestre dans l’école la plus défavorisée de la ville. Je suis stupéfait d’y voir des gamins jouer du violon alors que, quelques mois avant ils n’avaient pas touché un instrument de leur vie !

La population locale s’est éprise de tout ce qui touche à la culture. Cela mérite d’être souligné. Quand on donne la possibilité à toute une population de s’essayer à la culture, à un art, on est très souvent agréablement surpris. Nous ne jouons pas que de la musique dans ma ville, même si j’aime la musique : on pratique aussi la danse.

Nous avons conçu une idée originale. Une fois par an, le maire que je suis offre une salle et des conditions matérielles à celles et ceux qui veulent m’accompagner sur scène et s’exprimer dans des conditions exceptionnelles. Je m’explique : en France, nous avons pour tradition la cérémonie des vœux du maire. Personnellement, je m’y ennuie, car le maire que je suis monte à la tribune pour faire son discours, pendant que les gens passent d’une jambe sur l’autre, n’attendant que le début du buffet !

J’ai décidé de bouleverser cette cérémonie et de dire ce que j’avais envie de dire ce jour-là à travers la musique, la chanson, la danse, le spectacle. Je permets ainsi aux forces vives de ma commune, aux associations en particulier, de s’exprimer sur un thème que je choisis moi-même. Je participe à l’élaboration du scénario, également à la mise en scène de la soirée – il m’arrive de chanter ! Il y a là au minimum 2 500 personnes qui se pressent. Le spectacle est gratuit et je dis à quelques amis qui sont dans le show biz et qui ont du mal à remplir des salles : « Moi, j’arrive à remplir une salle de 2 500 places ! »

Calogero vient chanter prochainement dans une nouvelle salle, l’espace Pierre Bachelet. Ma chance a peut-être été de connaître un certain nombre de personnes atypiques, hors du commun comme Pierre Bachelet, Nino Ferrer, Michel Delpech et d’autres ; à chaque fois qu’elles le peuvent, elles viennent et apportent leur contribution, généralement bénévole, à cette vaste entreprise de promotion de la culture. Cette soirée est donc absolument magique ! On y voit des enfants, des adultes, qui ont travaillé et qui nous offrent un spectacle bluffant, digne d’un spectacle de professionnels. Bien sûr, nous y mettons le paquet en termes de lumières, de son, de technique. C’est le moment qu’attend la population toute l’année ! Avant, on s’ennuyait aux vœux du maire. Depuis que le maire ne parle plus, mais anime la soirée, on y revient !

C’est un tout, nous vivons au rythme de la culture, nous sommes persuadés que les 300 millions d’euros que le Gouvernement nous a octroyés pour lancer cette vaste opération de rénovation urbaine n’auraient servi à rien si nous n’avions pas privilégié le développement d’un enseignement culturel.

Nous organisons également de nombreuses expositions, de toujours meilleure qualité. Le département de Seine-et-Marne, du sud parisien, s’est fait une réputation. Nous y associons toujours un artiste. Les écoles sont invitées à visiter ces expositions au cours desquelles l’artiste commente tout ce qui est accroché au mur.

Je suis convaincu qu’il faut maintenir le volet culturel dans les compétences actuelles du Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe existe depuis soixante ans. Si nous considérons tout ce qui a été fait par cette institution qui est la plus ancienne institution paneuropéenne, nous pouvons être fiers. Celles et ceux qui ont permis un tel développement peuvent l’être aussi. C’est un bel hommage que nous rendons à nos grands anciens qui ont considéré depuis soixante ans que la culture était un vecteur qu’il fallait prendre en compte et c’est un bel hommage que vous faites à la culture, Madame Marland-Militello, Madame Tabarot, Monsieur Flego, en organisant une réunion conjointe de nos deux Commissions.

Mme Marie-Josée Roig. Ce que j’organise dans ma ville depuis de très nombreuses années remonte à un événement ancien. La ville d’Avignon a un patrimoine architectural exceptionnel que tout le monde connaît, y compris à l’étranger : le plus grand palais gothique d’Europe, 4,7 kilomètres de remparts, et puis le pont, qui a cette chance extraordinaire d’être à moitié détruit.

Cette ville exceptionnelle a réuni deux hommes de génie : d’abord, René Char, ce poète immense, né dans le Vaucluse, qui aimait Avignon. René Char, aidé par le maire de l’époque, le Dr Pons – les maires font beaucoup pour la culture à Avignon – a organisé en 1947 une exposition d’art contemporain. Pensant que cette exposition risquait de manquer de visiteurs, il avait eu l’idée avec René Char de demander à Jean Vilar de venir donner quelques représentations de théâtre « à la recette », sans aucune subvention. A cette fin, René Char a conduit Jean Vilar dans la cour d’honneur ; ce dernier l’a traversée en disant : « Jamais personne ne fera de théâtre là-dedans, c’est un lieu impossible ! » René Char a insisté et le festival d’Avignon est né en 1947 pour se poursuivre jusqu’à aujourd’hui. Ce qui est important c’est de voir comment cette ville est devenue une ville de théâtre. Après leur patrimoine, les Avignonnais ont découvert la culture et le spectacle vivant, qu’ils ont fait leur. Ils vivent le théâtre.

Aujourd’hui, cette ville de 96 000 habitants compte plus de sièges de théâtre par habitant que Paris. Cette ville connaît la chance pendant trois semaines du mois de juillet de recevoir 1 178 spectacles différents. Dans cette ville en proie au théâtre pendant trois semaines et qui reste toute l’année nourrie par la création théâtrale, tout le monde vit la culture. Il n’y a pas une rue de la ville intramuros qui n’ait son théâtre l’hiver et deux ou trois pendant l’été.

A partir de là, la population a touché à la création avec cette chance exceptionnelle que quelques directeurs de festivals ont, à partir du théâtre, fait une ouverture totale à la danse, à la musique et, depuis peu, aux arts plastiques. C’est une ville qui vit de la culture. M. Mignon a parlé d’une petite ville avec les moyens qui s’accordent à une petite ville ; Avignon est une ville plus grande, mais qui ne dispose que de très peu de moyens. C’est une ville pauvre, mais de culture. Elle ne compte que 36 % de contribuables et comprend 38 % de logements sociaux. Pourtant, la culture irrigue aussi les quartiers difficiles, dits « sensibles ». Et cette population, cette jeunesse sait vivre la culture avec les moyens qu’elle a, parce que nous arrivons à octroyer des moyens adaptés à chaque quartier. Des quartiers vivent des musiques actuelles, d’autres sont tournés davantage vers les arts plastiques et, bien entendu, le graff et la fresque, parce que telle est la manière dont les jeunes s’expriment aujourd’hui. Même une ville qui n’a que 36 % de contribuables peut consacrer 19,5 % de son budget global à la culture. C’est ce qui fait vivre Avignon, petite exception française dans le domaine de la culture. Cela pourrait donner des idées à d’autres villes, au reste de l’Europe et pourquoi pas au reste du monde. Je vous invite donc à voir comment on peut pratiquer la culture sans grands moyens et au plus haut niveau.

M. Gvozden Flego, président de la commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Nous passons maintenant à nos autres intervenants. Je les remercie d’avoir accepté de participer à l’audition d’aujourd’hui pour nous donner un aperçu de leur approche spécifique de la question de l’accès à la culture.

M. David Fleming, directeur des musées nationaux de Liverpool. Je veux vous dire combien je suis content d’être ici et ravi que l’on m’ait demandé de m’entretenir d’un sujet qui me passionne, à savoir l’accès aux musées. Je pense que vous m’avez sollicité du fait de mon activité des dix ou vingt dernières années, au cours desquelles j’ai beaucoup travaillé dans les musées, et de mon activité ces derniers temps pour la ville de Liverpool.

Le musée traditionnel est statique, concentre de multiples objets ; son public, qui a un bon niveau d’éducation et de culture, est limité. Ce n’est plus acceptable.

M. Mignon nous a parlé de l’accès au conservatoire lorsqu’il était jeune garçon ; c’était un lieu très intimidant. Il en va de même des musées pour bien des personnes. Je parle des visiteurs au plan local, de l’accès qu’ils ont à leur culture, à leurs musées.

Le musée de Liverpool est certainement l’un des plus grands musées du Royaume-Uni après la Tate Gallery de Londres. Il y a plus d’interactivité, plus d’interprétation, plus de variété, ce qui permet de recevoir un public plus large et surtout des personnes issues des classes défavorisées.

Quelques mots sur le contexte dans lequel je travaille. Nous sommes un groupement qui gère huit musées et galeries d’art, qui emploie 600 personnes sur la base d’un budget annuel d’environ 25 millions d’euros. Liverpool est une métropole régionale. Il n’empêche que, même si ce n’est pas la capitale, le projet est financé par le Gouvernement dans la mesure où les musées ont été nationalisés par le gouvernement Thatcher en 1986. Le musée de Liverpool a été nationalisé pour échapper au contrôle de la gauche qui dirigeait alors la ville de Liverpool.

A l’origine, le musée était très pauvre. Liverpool n’est pas une ville riche, c’est une ville dure qui enregistre un taux de chômage élevé, sa population est pauvre, elle vit pour partie dans la misère. Il est important de comprendre dans quel contexte nous gérons le musée. Ce n’est pas une ville touristique ni une ville riche.

En 2008, Liverpool a été Capitale européenne de la culture. C’est la raison pour laquelle nous avons réussi à ouvrir l’accès aux musées. Nous pensons qu’ils jouent un rôle fondamental en matière d’éducation. Tout le monde n’est pas d’accord avec cette affirmation ; certaines personnes pensent que les musées ont un autre sens. Selon moi, ils ont pour objectif l’éducation. Les musées sont des lieux d’idées, de dialogue, qui doivent inspirer. Nous ne nous contentons pas de montrer des collections qu’il faut admirer ; nous essayons d’expliquer ce qui se passe et de faire réfléchir. Nous sommes un service de musées démocratiques, nous croyons au concept de justice sociale. Nous sommes financés par l’ensemble des publics. En retour, nous essayons de leur offrir un service excellent. Bien des personnes travaillant pour des services publics de la culture n’adhèrent pas à cette vision des choses.

En retour, nous devons offrir un service à l’ensemble du public et non à un groupe restreint. C’est précisément une situation qui est en train de changer. Les musées peuvent promouvoir une bonne citoyenneté. Nous avons évoqué ce matin la possibilité de faire évoluer la situation et les musées font partie de cet agenda. Bien des personnes trouvent que l’activité culturelle est intimidante ; à cet égard, les musées semblent plus accessibles. Il est moins difficile que le conservatoire. On n’a pas besoin d’un instrument de musique.

Il faut trouver de nouvelles opportunités, de nouvelles façons de travailler. Nous sommes en 2010, non au XIXe siècle, il faut que les musées évoluent, ils doivent être vivants et rechercher l’intérêt et le soutien du public. L’accès libre est essentiel. A Liverpool, tous les musées, toutes les expositions sont gratuites, il n’y a aucune entrée payante, car nous pensons que ce serait là un élément discriminatoire sur le plan social. Faire payer rapporte peu de recettes en même temps que cela limite grandement l’accès à un large public. Les frais d’entrée réduisent la possibilité d’accès et de diversification. Le Gouvernement conservateur qui est en place depuis quelques mois a réaffirmé l’intérêt de maintenir les entrées gratuites, sans lesquelles il y aurait une véritable discrimination sociale. Finalement, vu l’échelle de temps dont nous parlons, cela n’aurait pas d’intérêt.

La Walker Art Gallery comprend un espace pour les enfants, du grand art pour les petits artistes. Il est essentiel de capter l’intérêt des enfants pour la culture lorsqu’ils sont très jeunes, car, ensuite, il est trop tard.

Il convient d’agir de même avec les adolescents, qui représentent un public très difficile, qu’il convient d’impliquer.

De 600 000 entrées en 2001, nous sommes passés à 3 millions de visiteurs en 2008, soit une progression de 300 % sur une période de sept ans, avec un pic en 2008 quand Liverpool a été Capitale européenne de la culture. La tendance se traduit par une augmentation du nombre d’entrées de la population locale. Voilà ce que la programmation intelligente et l’entrée libre ont eu pour effet. D’après les classifications socio-économiques réalisées, le nombre des personnes défavorisées qui se rend au musée est croissant. En 2008, on a enregistré un pic de la fréquentation des groupes minoritaires sur le plan ethnique et la tendance est orientée à la hausse.

Ce qui est en augmentation, c’est le nombre de familles qui visitent les musées. Les musées peuvent cibler les familles, même si ce n’est pas simple. Cela signifie introduire de la variété, proposer une série d’activités adaptées à toutes les tranches d’âge afin que les familles se rendent ensemble au musée. C’est fondamental et c’est pourquoi nous avons réussi à augmenter le nombre des entrées.

J’ai récemment reçu un courrier d’une jeune femme qui m’écrivait ceci : « Veuillez trouver une lettre de mon garçon de six ans, qui est un fan des musées de Liverpool. Il est impatient de visiter la nouvelle galerie. » Voici la lettre du garçon : « Je m’appelle Finn O’Hair, j’ai presque six ans. J’attends avec impatience l’ouverture du nouveau musée. Est-ce que je peux participer à la cérémonie d’ouverture ? Ce sera super ! Moi, je suis bon quand il faut ouvrir des choses. Est-ce que je peux ouvrir le musée, s’il vous plaît ? »

On a écrit à Finn pour l’inviter à participer à l’ouverture du musée de Liverpool, qui coûtera près de 80 millions d’euros et qui ouvrira ses portes au mois de juillet prochain. C’est le musée de la ville. Et quand on me demande ce qu’il y aura à l’intérieur, je réponds : La ville de Liverpool ! Si vous avez envie de savoir pourquoi les Beatles viennent de Liverpool, venez au musée !

Pourquoi le secteur culturel est-il si dynamique ? Au cours des décennies passées, nous n’aurions jamais eu de crédits, mais heureusement des hommes et femmes politiques se sont attachés à y parvenir. Contrairement à certains en Grande-Bretagne, je crois beaucoup à la coopération internationale. C’est la raison pour laquelle je suis impliqué dans différents groupes. Il nous faut échanger les bonnes pratiques. Il en existe partout de par le monde, il faut apprendre des uns des autres et instaurer des politiques de coopération sur lesquelles les professionnels puissent s’appuyer.

Je suis président du Comité de gestion du Conseil international des musées (ICOM), basé à Paris. Il s’agit d’une organisation mondiale. Ce comité international pour la gestion a publié un code de déontologie destiné aux musées et fait des droits de l’homme une profession de foi. L’ICOM pense que c’est la responsabilité fondamentale des musées d’être actifs lorsqu’il s’agit de promouvoir la diversité, les droits de l’homme, le respect, l’égalité entre les personnes de toutes croyances et toutes origines. Il y a vingt ans, politiquement, cela aurait paru insensé. Cela m’a été imposé par des jeunes qui me demandaient une déclaration. Finalement, nous sommes arrivés à la publication de ce code. Les politiques doivent comprendre que c’est ainsi que pensent les jeunes gens.

Autre exemple, pour rester du côté des droits de l’homme : je suis Président de la Federation of International Human Rights museums. Les membres du Conseil viennent du monde entier ; c’est une organisation qui s’occupe des droits de l’homme ; elle rassemble les musées de l’Holocauste, de l’esclavage, des génocides. Pour les membres de cette organisation, il ne s’agit pas seulement d’exposer des peintures, des objets du passé, il convient de s’impliquer dans les problèmes politiques actuels.

Les jeunes gens pensent qu’il ne sert à rien de travailler dans les musées s’ils ne sont pas populaires, accessibles ; le musée traditionnel commence à appartenir au passé alors que le musée dans sa forme nouvelle est un endroit extrêmement intéressant et très attirant.

Mme Katérina Stenou, directrice de la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Merci à mes amis du Conseil de l’Europe qui témoignent une nouvelle fois de leur confiance à l’égard de l’UNESCO en me demandant de m’exprimer aujourd’hui dans le cadre de cette audition sur un sujet passionnant et qui nous unit depuis longtemps.

Avant de dessiner en pointillé les lignes conceptuelles et opérationnelles de notre sujet « Le droit de chacun de participer à la vie culturelle », je souhaite évoquer mon implication personnelle en tant que directrice de la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l’élaboration de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2001), amplement citée dans votre document de travail, et en tant que coordonnatrice de la Convention que vous connaissez tous en votre qualité de parlementaires : la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005). Nous y reviendrons, puisque cette convention constitue un instrument par excellence, qui assure à tous les conditions favorables pour que les ressources culturelles, chères à chacun, puissent être disponibles, diverses, accessibles et régénératrices. Nous avons, avec ces instruments qui complètent ceux consacrés à la protection du patrimoine stricto sensu, un dispositif juridique mis en œuvre par l’UNESCO en faveur de la diversité créatrice, destiné à favoriser un environnement mondial où la créativité des individus et des peuples est protégée dans sa riche diversité, garantissant, idéalement, la participation de tous à la vie culturelle de leur choix.

Je voudrais également réagir « à chaud » aux propos de M. Fleming en abordant les musées en tant qu’espaces concrets d’exercice du droit de participation à la vie culturelle. Pour l’UNESCO, ceux-ci sont d’exceptionnels conservatoires de la diversité culturelle. Centres d’accès aux savoirs sur les cultures et d’éducation formelle et informelle, ils participent également à la compréhension mutuelle et à la cohésion sociale. Hauts lieux destinés à la sauvegarde de la mémoire, ils sont aussi de véritables laboratoires où de nouvelles formes d’appartenance et de convivialité peuvent s’inventer. En effet, les musées permettent à des objets issus de différentes civilisations de se côtoyer conduisant ainsi le public à une meilleure connaissance et à un plus grand respect de l’altérité.

Permettez-moi de rappeler que l’UNESCO est la seule institution du système des Nations Unies chargée de la protection et de la promotion de la « féconde diversité des cultures ». La poursuite de cet objectif, fondé non seulement sur le constat de la diversité mais sur les possibilités de dialogue qu’elle ouvre plus largement, l’UNESCO l’a placée au cœur de sa mission, renouvelant sans cesse ses cadres conceptuels et opérationnels. En sont témoins : la reconnaissance de l’égale dignité de toutes les cultures, la protection des biens culturels, le respect des droits culturels, la promotion du dialogue interculturel, la définition des politiques culturelles en faveur de la diversité et du pluralisme culturels, la préservation des patrimoines culturels, etc.

Toutefois, malgré l’étendue de son action en faveur de la culture, l’UNESCO est très souvent associée à la sauvegarde du patrimoine exclusivement. Vous connaissez tous la Convention de l’UNESCO de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel et la fameuse Liste du Patrimoine mondial qui en découle. Cette dernière est très connue, appréciée et plusieurs pays souhaitent voir leurs biens culturels et naturels y figurer. D’après diverses statistiques, les voyageurs réservent à leurs visites, de manière quasi systématique, des sites inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial. L’inscription sur cette liste n’est pas un acte simple mais un acte hautement politique, puisque les choix des États membres impliquent la reconnaissance de la « valeur universelle exceptionnelle » d’un site et dont la communauté internationale se porte garante. Elle crée, ce faisant, les conditions indispensables pour que tous et chacun puissent s’y reconnaître et, d’une manière ou d’une autre, se sentir concernés et appelés à participer à la préservation, la sauvegarde et la mise en valeur de ces sites. C’est ainsi que des liens imperceptibles entre le politique et la culture, dans toutes ses manifestations, anciennes et contemporaines, se tissent.

Pour mieux faire comprendre la complexité de cette diversité créatrice à travers le temps et l’espace, deux mots sur les notions et les liens entre l’ancien et le moderne. L’ancien, si on le prend dans le sens étymologique, est un terme actuel et qui n’appartient pas au passé. « Ancien » signifie apparu depuis longtemps ou/et porté par une longue histoire ; d’où l’affirmation paradoxal que «  les véritables anciens, plus anciens que les anciens, sont les hommes d’aujourd’hui ». Ce constat rejoint celui d’Auguste Comte, peu suspect de haïr le progrès, lorsqu’il affirme que « la société était composée de plus de morts que de vivants ».

Le « moderne » d’après Robert Estienne, de l’adverbe modo, signifie ce qui est le plus sujet à variation, « le temps présent ou à peine passé ou tout près d’advenir ». Être moderne, ce n’est pas jouer le présent ou l’avenir contre le passé, mais plus subtilement un présent possible contre un présent réel, un ancien éloigné contre un ancien proche ou un avenir lointain contre un avenir imminent. C’est cette oscillation permanente entre présent, passé et avenir qui caractérise la modernité. La modernité est un état d’esprit, une agilité mentale qui fait fi du temps réel et conduit à inventer de nouvelles rationalités ou à acclimater et à naturaliser de nouveaux savoirs et de nouvelles sensibilités. C’est là où l’argumentaire conceptuel et politique de la Convention de 2005, citée au début, trouve sa place. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je lie toujours ces citations de l’ancien et du moderne au patrimoine et j’y découvre toujours son insolente contemporanéité !

Pour honorer l’Assemblée qui nous réunit aujourd’hui, je citerai encore Descartes et Baudelaire, qui ont été « modernes » à des titres presque opposés. Le premier en misant sur le « sujet pensant » dont il affirme le pouvoir et le second sur le « sujet sensible » en quête de l’éternité dans l’instant. Or, on le sait bien, la culture, en général, et l’art, en particulier, relient de manière unique et infinie le sensible et le rationnel et, de ce fait, relancent de nouveaux défis de participation à un environnement en constante mutation dont il faut élaborer des clés de lecture, sans parler des outils pour y contribuer.

Ceci est encore plus urgent aujourd’hui, où nous vivons au quotidien la compression de l’espace et du temps et où une multitude de codes culturels se côtoient et s’affrontent sans cesse. Il y a là des gisements culturels insoupçonnés qui lancent de nouveaux défis aux institutions intergouvernementales et non gouvernementales concernant «  le droit de chacun de participer à la vie culturelle ». L’UNESCO, en tant qu’instance avec un mandat universel, se trouve devant une immense responsabilité qui se décline dans tous ses champs de compétences : l’éducation, les sciences, la culture et la communication. En effet, nous vivons une situation inédite où la diplomatie culturelle occupe une place de plus en plus importante sur l’agenda politique mondial. Elle est perçue comme un nouveau soft power, qui souhaite « persuader les autres de désirer ce que veut le prescripteur à travers des icônes symboliques et des images et valeurs positives qui leur sont associées (getting others to want what you want through symbolic icons and associated positive images and values) ».

Pourtant, la mise en circulation des objets, des connaissances, des inventions et des créations n’est proportionnelle ni aux ressources, ni aux besoins de l’humanité. Coexister, c’est-à-dire raisonner et sentir à l’unisson, ne signifie pas vivre sur un module universel étriqué, mais participer pleinement à l’infinie richesse des cultures du monde. L’UNESCO entend conjurer les risques d’une « misère symbolique » qui menacerait le monde. C’est pourquoi nous établissons toutes ces Conventions, garantes de plus de diversité de qualité, offrant plus de choix informés, constituant ainsi un fonds culturel commun dont tous sont à la fois contributeurs et bénéficiaires.

Le paysage mondial actuel a interpelé l’UNESCO sur les nouvelles conditions de participation à la vie culturelle locale, nationale, régionale et internationale dont j’en retiendrai deux.

En premier lieu, l’acquisition des compétences interculturelles appropriées, indispensables soit pour créer, soit pour déchiffrer, décrypter, adopter ou rejeter les divers codes et symboles en circulation. Le succès d’une telle acquisition dépend de l’aptitude des différents partenaires à redécouvrir le passé et le présent à partir d’une perspective culturelle différente de la nôtre. Il résulte également de leur faculté d’analyse critique afin de « décoloniser » l’esprit, les valeurs et les systèmes de connaissances qui perpétuent les motifs de supériorité. La compétence interculturelle s’attache donc à nous sortir de notre propre logique et de nos systèmes culturels afin de nous engager vers les autres et d’entendre leurs conceptions. L’acquisition d’une compétence interculturelle constitue un défi exaltant dans la mesure où nous ne sommes pas appelés, naturellement, à comprendre les valeurs des autres au même titre que les nôtres : celles que nous rencontrons dans le contexte de la famille, le cercle des amis, l’école, la religion ou encore la société.

En second lieu, l’acquisition de nouvelles compétences interculturelles nous conduit tout naturellement à une autre condition indispensable pour la participation effective à la vie culturelle, à savoir la nécessité d’acquérir une ou plusieurs citoyennetés culturelles, voire une citoyenneté interculturelle. A noter que cette dernière est définie comme la faculté et la capacité des personnes - en particulier si celles-ci ne sont pas valorisées ou reconnues dans un contexte culturel donné - de participer de manière active et responsable à la vie de leur propre communauté, de leur pays et du monde globalisé ; elle n’est pas l’équivalente de la notion de nationalité mais tout en étant fondée sur les notions de reconnaissance et de respect de la diversité, elle reste dynamique et transformatrice, exigeant la compétence d’apprendre et de ré-apprendre. Dans cet esprit, la citoyenneté interculturelle pourrait constituer un nouveau moyen pour pallier aux carences d’une citoyenneté défaillante en créant l’osmose, la communion et l’alchimie du contact avant de laisser place au politique et devenir droit effectif.

Pour conclure, il faut répéter sans relâche que parmi tous les droits de l’homme, les droits culturels sont ceux qui garantissent l’accès de tous aux références culturelles, qui constituent le capital symbolique de l’humanité. Ce sont les droits d’accès aux ressources culturelles qui permettent à chacun de pouvoir s’identifier, s’épanouir et se projeter dans l’avenir, voire participer pleinement à son devenir.

M. Florian Couret, imprésario du groupe « Starboard Silent Side ». Nous appartenons au monde de la musique, plus précisément des musiques actuelles. Je suis le manager d’Alexandre, batteur. J’ai travaillé dans quelques maisons de disques, dont Naïve, la maison de disques de Carla Bruni. J’ai maintenant une entreprise de management et j’ai monté un festival de musique actuelle dans le sud, près d’Avignon.

M. Alexandre Viudes, musicien du groupe « Starboard Silent Side ». Je suis batteur, auteur-compositeur, arrangeur dans le domaine des musiques actuelles principalement. J’ai suivi une formation un petit peu institutionnelle. Je suis passé par des conservatoires et écoles de musique. Dans le milieu, on distingue, pour l’essentiel, deux catégories de musiciens : les musiciens autodidactes et ceux qui, comme moi, ont appris la musique dans des écoles de musique.

J’étais provincial. Lorsque l’on est motivé pour vivre de sa passion, Paris est le passage obligé. J’ai été accepté dans l’école de Didier Lockwood à Dammarie-les-Lys, où j’ai vécu deux ans. Je pense que c’est l’une des meilleures écoles au monde pour tout ce qui relève des conditions pédagogiques. J’ai obtenu des médailles d’or en conservatoire de batterie et de jazz. J’ai été admissible au conservatoire national supérieur de musique de Paris en jazz. Actuellement, j’étudie dans un centre d’études supérieures de musique et de danse pour préparer le diplôme d’État en musiques actuelles amplifiées en vue de donner des cours dans les conservatoires. J’ai choisi, en effet, de vivre de la musique et de donner des cours. D’autres personnes font un autre choix, celui de pratiquer un métier et de faire de la musique.

M. Florian Couret, imprésario du groupe « Starboard Silent Side ».Il est très difficile de travailler dans le milieu de la musique et notamment d’être musicien. Jusqu’à il y a quelques années, un musicien était concentré sur le métier de musicien, techniquement et artistiquement. Aujourd’hui, être musicien c’est bien davantage. L’explosion du numérique fait de chaque musicien un acteur qui réunit de multiples compétences. Pour être bon musicien, il convient d’être bien formé, de savoir jouer, d’être un technicien de qualité, mais également de maîtriser son image. Chaque membre du groupe ou chaque musicien qui veut réussir doit impérativement maîtriser son image, c’est-à-dire travailler avec les bonnes personnes, choisir les bons outils de l’Internet. Auparavant, on passait par Myspace, aujourd’hui bien davantage par Facebook et d’autres réseaux communautaires. Tout musicien, même débutant, doit être capable d’avoir des photos, des vidéos, de mettre en place un univers, donc de se créer un réseau. Il faut connaître des graphistes, des artistes, c’est devenu un métier très communautaire. Les musiciens sont des personnes intégrées à des réseaux d’artistes, qui travaillent avec eux et pour eux.

Devenir musicien suppose de prendre un risque pour le futur. Bien des personnes essayent, bien peu réussissent, ce qui suppose un gros investissement en temps, en finances et de gros sacrifices au présent. Les musiciens sont des personnes qui vivent mal, qui vivent de petits métiers, de pas grand-chose et dans un monde concurrentiel.

Très concrètement, les sources de revenus des musiciens sont variées et ont changé. Il y a quelques années, les artistes signaient des contrats avec des maisons de disques et vivaient de leurs revenus et des contrats d’édition, c’est-à-dire des droits d’auteur-compositeur. Les maisons de disques se cassant la figure, très peu d’artistes signent. Ils doivent chercher des revenus ailleurs ; il faut savoir que, à l’heure actuelle, 90 % des musiciens vivent des concerts. Si vous voulez aider les créateurs à sortir de leur carcan, il faudrait leur donner accès à des lieux d’expression afin qu’ils rencontrent leur public. La musique est devenue un métier de spectacle, il faut être sur scène comme au théâtre. C’est là que se fait le métier, le disque est devenu un objet promotionnel, donnant une image de ce que sera le spectacle. La réalité a grandement changé ; fini le temps où les artistes travaillaient en studio !

M. Alexandre Viudes, musicien du groupe « Starboard Silent Side ». Le quotidien du musicien passe par un travail personnel intense, que ce soit technique ou de création. Ce travail ne permet pas de vivre de la musique et les ventes de disques catastrophiques pas davantage. C’est pourquoi, entre autres raisons, un grand nombre de musiciens perdent leur statut d’intermittents. Ils sont obligés de s’adonner à un métier annexe ou d’enseigner la musique. J’ai l’impression que de moins en moins de jeunes musiciens vivent à l’heure actuelle de leur musique et de leur création. Je parle de mon expérience et de ce que je vois dans mon entourage.

M. Florian Couret, imprésario du groupe « Starboard Silent Side ».Nous allons maintenant vous livrer quelques pistes qui pourraient aider des personnes comme nous à vivre de la musique ou du moins à s’exprimer.

Nous pensons que les cursus qu’empruntent les musiciens ne sont pas suffisamment pluridisciplinaires. Dans la mesure où le musicien doit être au surplus graphiste, vidéaste, etc., il serait utile de développer ces matières dans le cadre de cursus, permettant ainsi aux artistes d’avoir d’autres compétences, d’en vivre le temps de réussir, du moins d’avoir une porte de sortie si jamais leur projet n’aboutissait pas.

En France, il existe les SMAC, scènes de musique actuelle. Ce sont des salles de concert subventionnées par la Région. Cela donne une chance à des musiciens au plan local. Elles sont souvent couplées à des personnes plus connues qui ont réussi à créer une vie culturelle autour d’elles. Il faut continuer à développer ces scènes, voire leur donner plus de moyens pour que les musiciens puissent se produire. Seules les scènes subventionnées donnent leur chance aux talents émergents. L’économie de la musique est si fragile que les gens sont obligés d’aller à l’essentiel, faute de quoi les manifestations disparaissent. Je le sais en tant qu’organisateur de festival : sans tête d’affiche, on existe un an et puis on disparaît. Sans l’aide de l’État, rien n’est possible, du moins, il en est ainsi à l’heure actuelle.

M. Daniel Thérond, directeur adjoint de la direction de la culture et du patrimoine culturel et naturel du Conseil de l’Europe. Je vais vous offrir quelques repères sur l’action récente du Conseil de l’Europe dans les domaines étudiés aujourd’hui.

On peut porter trois éclairages successifs sur le développement de la coopération culturelle auprès du Conseil de l’Europe. À l’origine l’accent était mis sur la prise de conscience d’une identité culturelle européenne autour de références communes. On pense aux grandes expositions d’art des années 1960. La priorité a porté ensuite à partir des années 1970 sur la démocratisation de la culture et l’accès du plus grand nombre aux pratiques culturelles. Le Conseil de l’Europe a créé un système d’évaluation comparative des politiques, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui avec la Turquie et la Russie. Depuis la fin des années 1990, on constate un passage de la thématique « démocratisation de la culture » à une « culture de la démocratie » ; on recherche à travers les pratiques culturelles l’insertion et la cohésion dans des sociétés marquées par les tensions de la mondialisation et des migrations. Simultanément, la notion de « politique multiculturelle » qui légitime et valorise les cultures diverses, sans pour autant viser leur décloisonnement, tend à faire place à celle de « politique interculturelle » misant sur le dialogue, les interconnexions et la créativité par le croisement des cultures.

Dans ce contexte, la question de la mise en œuvre effective des droits culturels paraît s’inscrire au cœur du métier du Conseil de l’Europe, auquel les pays ont assigné pour objectif la sauvegarde des droits de l’homme et la promotion des pratiques de la démocratie. M. Meyer-Bisch évoquera sans nul doute l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe à la mission de décliner au niveau du continent européen ces grands principes et ces valeurs. Il peut intervenir à deux niveaux. Celui de la « recherche action » récoltant à travers l’Europe des données, les analysant, les rediffusant. Un second niveau est plus normatif. La Convention culturelle européenne de 1954, tout comme les conventions du domaine de l’éducation, accentuent l’idée des droits culturels. A la fin des années 90, a émergé l’idée de créer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et d’intégrer les droits culturels dans le mécanisme général des droits de l’homme. Cela n’a finalement pas abouti.

Voyons comment les choses sont en train d’être relancées.

Mine d’informations, le recueil publié en avril 2010 « Making culture accessible » de Mme Annamari Laaksonen, offre un panorama des études, conceptions, instruments juridiques nationaux et internationaux sur les mécanismes d’accès et de participation. Un élément très intéressant est l’éventail des actions relatives à l’identification des besoins de publics cibles diversifiés (jeunes et personnes âgées, minorités linguistiques, immigrés, personnes handicapées, détenus ...) Au côté d’une série d’exemples de terrain pris dans une quinzaine de pays, cette publication fait le point sur les outils d’information et de mesure de l’impact de la participation ; il esquisse surtout des tableaux synoptiques des indicateurs d’évaluation susceptibles de faciliter la conception à l’ajustement des politiques. La nécessité d’une collaboration internationale permettant l’échange de bonnes pratiques est enfin rappelée, le Compendium des politiques culturelles du Conseil de l’Europe étant un outil accessible à tous.

Renforcer l’accès à la culture est au premier ou à l’arrière-plan de tous les travaux du Conseil de l’Europe sur la gestion de la diversité sur l’enseignement, sur les politiques de jeunesse, sur les services sociaux et de la culture. C’est aussi un aspect du Livre blanc sur le dialogue interculturel qui énumère les conditions indispensables à ce dialogue via l’adaptation des structures de gouvernance.

Signalons ici une expérience fort intéressante, née de ce livre blanc du Conseil de l’Europe, qui exprime une concrétisation de l’exercice des droits du citoyen sur le terrain. Le programme pilote des « Cités interculturelles », action pilote du Conseil et de l’Union européenne, a identifié un échantillon test de onze villes – dont Lublin, Lyon, Melitopol, Oslo, Patras ou encore Regio d’Emilie – dans une expérience qui cherche à offrir des outils pour faire face au problème de l’immigration dans un certain nombre de villes du continent, un phénomène qui ne fera que s’accroître, y compris dans les villes plus à l’est de l’Europe qui connaissent une baisse de la natalité.

L’exercice consiste à proposer aux villes un modèle d’intégration interculturelle des migrants et des minorités perçu comme une chance à exploiter pour l’image de la ville. La publication en 2010 Cités interculturelle - Vers un modèle d’intégration interculturelle rend compte de l’expérience et fournit des contacts utiles pour mieux la découvrir. Les villes travailleront en réseau et pourront échanger des programmes.

Une telle démarche repose évidemment sur les principes d’égalité, de non-discrimination et de dignité entre les personnes. Elle peut ouvrir la voie d’une pluri-appartenance culturelle vécue par les individus qui prédisposerait à une meilleure compréhension des valeurs respectives des groupes de population. A cet égard, je voudrais rappeler un travail original qui a été réalisé sous les auspices du Conseil de l’Europe, le Manifeste européen pour la multiple appartenance culturelle, rédigé en 2007, outil de travail destiné à l’éducation civique, la formation et la vie associative. Piste de travail sur le chantier des droits de l’homme, ce texte traite des conditions d’exercice du droit de chacun de participer ou de ne pas participer à la vie culturelle, de ne pas se laisser enfermer dans des systèmes de représentation rigide et d’exercer les droits de chacun dans le respect du choix et des droits des autres. Il se réfère aussi à la gestion de la mémoire collective – l’oubli n’est pas l’amnésie – et à la multiperspectivité dans l’enseignement de l’histoire.

Le rapport de l’Assemblée parlementaire portera une attention particulière aux arts plastiques et au spectacle vivant et visera plus particulièrement les décideurs, les artistes et surtout les jeunes. Un vaste chantier devrait aussi s’ouvrir sur les cultures de la toile, sur les outils qu’offrent la société de la connaissance et les produits on line et off line à l’encouragement à la créativité. Cependant, ce n’est pas sur les cultures de demain ou d’après-demain que le Conseil de l’Europe a fait œuvre d’innovation ces dernières années, mais plutôt à travers une actualisation du concept de patrimoine culturel telle qu’elle figure dans la Convention cadre sur la valeur du patrimoine pour la société, dite Convention de Faro. La publication du Conseil de l’Europe «  Le patrimoine et au-delà » en commente les contours. Il s’agit d’une relecture en profondeur de la notion de patrimoine fondée sur l’exercice des droits culturels.

La Convention de Faro devrait entrer en vigueur en 2011 car le dixième instrument de ratification sera déposé sous peu. Il est reconnu pour la première fois dans un traité international que « le droit au patrimoine culturel est inhérent au droit de participer à la vie culturelle, tel que défini par la Déclaration universelle des droits de l’homme » (Article 1er). Toute la suite découle de ce principe.

Le patrimoine est moins considéré désormais en tant qu’objet que comme un projet humain. Contrairement aux conventions antérieures reposant sur des cloisonnements sectoriels, scientifiques et administratifs, une définition transversale inédite du patrimoine est adoptée, recouvrant aussi bien des composantes matérielles qu’immatérielles ; pour la première fois, une définition est donnée du « patrimoine commun de l’Europe » intégrant à la fois des biens matériels – à savoir le patrimoine bâti et les objets mobiliers – et un ensemble de valeurs communes issues d’une histoire commune faite des moments d’ouverture et de fermeture , de conflits et de réconciliations, et de phases de progrès dont l’héritage des droits de l’homme et de la démocratie font partie.

Le patrimoine est considéré comme une ressource – c’est le terme central de cette approche – que des personnes estiment être un reflet et une expression de valeurs, croyances, savoirs et traditions en continuelle évolution. C’est le patrimoine en tant que projet, ce que les hommes en font et ce qu’ils définissent.

Cette définition du patrimoine va de pair avec l’introduction du concept des « communautés patrimoniales » qui se forment pour maintenir et transmettre un patrimoine en relayant l’action des pouvoirs publics. Il n’y a là aucun relent de « communautarisme ». Ces communautés patrimoniales peuvent être transnationales ; elles sont proches des communautés d’intérêt, à savoir un groupe de personnes se réunit pour bâtir un projet. Ainsi en est-il, par exemple, d’associations internationales regroupant des archéologues ou des spécialistes de l’architecture du XXème siècle ou du patrimoine industriel.

Cela suppose une démarche proactive impliquant diverses conséquences. Ill revient certes aux pouvoirs publics de juger de l’intérêt public de biens et d’utiliser dans certains cas les mécanismes de protection traditionnels avec les financements que cela suppose ; mais des patrimoines peuvent aussi être identifiés par des groupes actifs de population et entretenus sans forcément de protection juridique ou de financements accordés au titre des monuments historiques. Des expériences actuelles de prise de conscience de l’apport des ressources patrimoniales, par exemple liées à un passé industriel et commercial existent déjà, notamment à Marseille nord avec l’héritage de l’industrie traditionnelle du savon ou à l’est de Lyon avec la soie artificielle.

La Convention a pour principe de favoriser le développement humain et la qualité de vie. Le design de la ville, l’architecture espace public, mobilier urbain, arts plastiques, sont un élément de cette approche globale du patrimoine, venant en synergie avec le patrimoine vivant, la musique, les arts et traditions populaires, bref, tout ce qui fait l’esprit des lieux et la fierté d’un lieu dans une logique de développement. Elle met aussi un accent particulier sur la pédagogique du patrimoine qui, en créant les bases d’information utiles, peut faciliter l’exercice effectif du droit de participer à la vie culturelle. Des initiatives entre établissements scolaires de plusieurs pays se poursuivent faisant le lien entre la découverte des patrimoines, les arts plastiques et d’autres expériences de créativité par les jeunes. .

La Convention de Faro définit un processus de suivi. Quelles sont les valeurs actuelles qui président à la reconnaissance d’un patrimoine ? Quels acteurs jouent un rôle dans l’identification du patrimoine architectural ? Quels sont les types de formation à donner pour identifier les valeurs multiples attachées au patrimoine par diverses communautés ? Quelles sont les tensions croissantes entre les valeurs du patrimoine et d’autres valeurs de notre société ? La France, puisque nous sommes à Paris, a grandement investi dans un outil de travail multinational : Il s’agit du Réseau européen du patrimoine, le système d’information HEREIN, permettant aux différents pays de travailler ensemble. Ainsi la Convention de Faro apparaît comme un atelier de réflexion permanente sur l’usage des patrimoines dans une société en changement.

Mme Ariane Salmet, chef de la mission pour le développement des publics à la délégation au développement et aux affaires internationales du ministère de la culture et de la communication. Je situerai la mission « Vivre ensemble » dans le cadre des programmes qui sont développés par le ministère de la culture et de la communication, à destination des publics ou des territoires spécifiques.

Favoriser l’accès du plus grand nombre aux œuvres de l’art et de l’esprit fonde une des missions premières du ministère de la culture et de la communication. Cependant, la nécessité de reposer la question des publics de la culture a été confortée par la publication de l’enquête Pratiques culturelles des Français, réalisée par Olivier Donnat du service des études du ministère. Cette enquête fait le point sur les comportements culturels et sur les profondes mutations liées à la révolution numérique et à la diffusion de l’Internet.

Si certains loisirs du temps ordinaire, comme l’écoute de la télévision ou la lecture d’imprimés sont en recul, la fréquentation des équipements culturels a connu peu d’évolutions spectaculaires au cours de la dernière décennie. 51% des Français n’ont assisté en 2008 à aucun spectacle vivant dans un établissement culturel au cours des 12 derniers mois. La proportion des Français n’ayant pas visité de lieux d’expositions ou de patrimoine au cours des douze derniers mois est respectivement de 58 % et de 62 %, niveaux proches de ceux de 1997.

Par contre, le développement du numérique et de l’Internet a profondément transformé le paysage des pratiques en amateurs, en favorisant l’émergence de nouvelles formes d’expression, mais aussi de nouveaux modes de diffusion des contenus culturels autoproduits dans le cadre du temps libre. La diffusion des outils numériques dans les foyers a renouvelé la manière de faire de la photographie, de la vidéo, mais aussi de faire de l’art en amateur dans les domaines de l’écriture, de la musique ou des arts graphiques.

La diffusion de cette étude, comme les précédentes, a remis en avant le thème de l’échec de la démocratisation culturelle. Si cette question reste rarement abordée avec sérénité, il reste indéniable que sans une action déterminée en faveur de l’élargissement du développement des pratiques artistiques et culturelles, engageant des savoirs faire adaptés et des moyens importants, les caractéristiques sociologiques des publics de la culture ne bougent que marginalement.

Par ailleurs, le bilan des politiques culturelles ne peut être isolé d’un contexte plus global où les politiques éducatives, sociales ou économiques ont un impact direct sur la réussite des politiques culturelles. La nécessité de combiner les politiques ministérielles plus activement est indispensable pour obtenir de meilleurs résultats. Il y a un problème d’inégalité en matière d’accès à la culture qui doit être pris en compte à différents endroits : au niveau de l’éducation (y compris tout au long de la vie), au niveau du champ social, au niveau de territoires déficitaires culturellement.

Le ministre de la culture s’attache à prendre en compte des populations en situations « spécifiques ». La diversification des publics de la culture passe nécessairement par des actions soigneusement ciblées et pleinement assumées comme telles, puisque « convertir » les personnes les moins portées vers l’art exige plus de temps, d’énergie et de pouvoir de conviction et, par conséquent, réclame plus de moyens.

La prise en compte de populations en situation spécifique fait l’objet de politiques interministérielles tant au niveau central qu’au niveau déconcentré, implique l’ensemble des institutions du secteur patrimonial, des structures du spectacle vivant et des arts plastiques. Au fil du temps, le rôle des collectivités territoriales est devenu de plus en plus important dans ces politiques interministérielles. C’est le cas notamment pour les rapports politiques culture/justice : un nouveau protocole a été signé en 2009 entre les ministères en charge de la culture et de la justice. Renouvelé en mars dernier, il a pour objectif d’amplifier l’existant en ouvrant les actions aux jeunes placés sous main de justice.

Un autre protocole a été signé en mai dernier entre le ministère de la culture et le ministère de la santé pour la promotion d’une politique conjointe à destination des personnes hospitalisées, politique qui veut s’ouvrir au secteur médico-social, plus large que le seul secteur de l’hôpital. Un autre programme encore porte sur la culture et l’exclusion : dans le cadre de l’année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, nous avons signé une série de conventions avec les grandes associations de solidarité, dont ADT Quart Monde et le Secours populaire. La politique handicap vise à développer les actions favorisant la pratique culturelle et artistique des personnes handicapées et pas seulement de prendre en compte l’accès à l’offre culturelle.

Une politique interministérielle fondamentale, en lien avec l’éducation nationale, vise à toucher le maximum de jeunes et d’enfants dans le cadre scolaire. L’éducation culturelle et artistique doit s’ouvrir à la question des nouveaux médias et de l’Internet afin de former les jeunes au sens critique et de porter un regard pertinent sur les images qui leur sont offertes.

Au-delà des publics spécifiques, l’élargissement de l’accès à la culture passe aussi par la prise en compte de territoires déficitaires ou de « failles » qui subsistent. Les territoires d’intervention prioritaire du ministère de la culture sont : les zones périurbaines, le milieu rural et les Dom-Tom.

L’ensemble de ces champs placent au cœur des actions l’artiste et l’équipe artistique. Dans chacun des projets qui sont soutenus, les populations, dans des situations spécifiques ou sur territoires spécifiques, rencontrent un artiste ou une équipe artistique. Dans le cadre de l’ensemble de ces politiques, j’aimerais mettre un accent sur la mobilisation des établissements public au titre de la mission « Vivre ensemble ». Cette mission permet d’avancer dans une direction un peu particulière : les exclus de la culture prennent en charge eux-mêmes leur destinée culturelle. Cette expérience, nous pouvons la résumer ainsi : comment toucher des personnes qui ont en commun de croire qu’elles n’ont pas leur place au musée ? Comment réparer ce défaut d’accès, comment favoriser l’accès à tous dans le cadre d’un projet d’un musée pour tous, intégré à la cité et présent à la vie sociale ?

De nombreuses causes empêchent certains publics de se déplacer jusqu’aux institutions culturelles. Le fait de « sortir » constitue souvent le premier obstacle. La non-maîtrise de la langue française en rend difficile le projet. Certains ignorent l’existence des structures culturelles et n’expriment donc aucune demande. D’autres connaissent les établissements, mais leur réputation de temple de la haute culture les en éloigne, parce qu’elle les intimide. Ce public imagine que le billet d’entrée est cher, et il ne cherche pas à s’informer sur les tarifications adaptées.

Afin de rendre les établissements publics plus accueillants, ceux-ci travaillent en collaboration avec des établissements du champ social. Des travailleurs sociaux, des formateurs et des bénévoles sont invités à s’engager dans un rôle de « relais » vis-à-vis des publics « en difficulté ». La mission « Vivre ensemble » dispose de 1 500 partenaires du champ social, appelés, pour simplifier, « relais ». Les musées et les établissements organisent des « Rencontres » pour les familiariser avec ses collections et ses services. Dans un second temps, les « relais » partagent cette connaissance des lieux avec leurs publics. Ils organisent des visites conduites soit par des conférenciers du musée, soit par les « relais » eux-mêmes munis du droit de faire visiter le musée.

La prise en compte des publics éloignés de la culture par les établissements publics implique :

– la diversité des publics en tant qu’ils sont reconnus multiples et différents, reconnus égaux dans leurs droits, mais pas toujours dans leurs possibilités d’accès ;

– la diversité des médiations, en tant que chaque public nécessite une approche spécifique et peut demander une offre culturelle particulière, sans pour autant qu’elle constitue un enfermement ou exclue toute autre possibilité de rencontre avec le musée et ses collections ;

– une politique tarifaire adaptée et attractive.

Le ministre de la culture et de la communication propose une nouvelle prise en compte des populations sous le vocable synthétique « la culture pour chacun ». Cette notion met en valeur l’hétérogénéité du public, la diversité de ceux qui le composent. Les facteurs discriminants, permettant de rendre compte de cette diversité, sont clairement énoncés : les références culturelles de chacun désormais considérées dans leur contenu positif, l’origine et le milieu social d’appartenance, l’âge, le territoire de vie. Promouvoir la « culture pour chacun » c’est affirmer qu’on ne peut mener une politique culturelle sans tenir compte de la diversité des publics auxquels on s’adresse et, au-delà de ces publics, aux populations dans leur ensemble. C’est aussi tenir compte de l’individualisation croissante des pratiques culturelles et de l’utilisation de l’Internet comme premier vecteur d’accès à la culture.

Mme Nicole Rodrigues, directrice de l’Unité d’archéologie de la Ville de Saint-Denis. Je tiens de prime abord à remercier Mme Marland-Militello qui me permet de présenter ce projet qui s’appelle « Archéologie, territoire et citoyenneté. »

Voilà plus de trente-cinq ans que des recherches archéologiques se déroulent à Saint-Denis. Ici, le profond ancrage de l’archéologie dans le territoire a permis d’engager une démarche innovante de socialisation, conçue à partir d’un socle scientifique tout en impliquant de nombreux partenaires locaux, y compris les habitants eux-mêmes.

Les premières fouilles pratiquées au XIXe siècle concernaient la basilique abbatiale de l’une des plus puissantes abbayes de l’Occident médiéval, où sont inhumés les rois de France depuis la dynastie mérovingienne. Les recherches archéologiques portant sur la ville ont débuté en 1973 par la surveillance de la tranchée de métro qui passait au pied de la basilique. Puis elles se sont poursuivies jusqu’en 1991, sur les 13,5 hectares du centre ancien qui faisaient l’objet d’une vaste rénovation urbaine.

Un service archéologique municipal a été créé en 1982, l’Unité d’archéologie. Plus de 180 opérations d’archéologie préventive ont été effectuées jusqu’à ce jour sur les 1 200 hectares du territoire communal. Ce maillage territorial permet d’étudier la ville sous différents angles, de comprendre les mécanismes d’évolution de l’agglomération, d’approcher de manière tangible le « monde matériel » au travers de plus de 50 000 objets remarquables.

Saint-Denis est un territoire en pleine mutation. Depuis 1998, se développent de nouveaux quartiers construits sur les friches de la désindustrialisation du début des années 1980. C’est une ville de la banlieue nord de Paris, qui compte 100 000 habitants. Elle est située au cœur de « Plaine Commune », une Communauté d’agglomération dont la population dépasse les 300 000 habitants.

30 % de la population est âgée de moins de 20 ans et les « moins de 40 ans » représentent 64 % de la population. Un quart de sa population est d’origine étrangère, avec près de 80 nationalités différentes. Le taux de chômage de la population dépasse les 21 %.

L’archéologie est une discipline concrète, apte à établir des contacts directs avec les publics les plus variés, à tisser du lien social. Le projet « archéologie, territoire et citoyenneté », initié en 1998, repose sur l’idée que le sous-sol contient des richesses qu’il est possible d’utiliser comme outils de connaissance du territoire permettant d’offrir des repères à une population multiculturelle et à participer à la construction de la ville de demain. Ce projet est un travail de fond, qui s’inscrit dans la durée. Il suppose la mise en œuvre de nombreux partenariats, tout en offrant le champ libre à l’expérimentation, à la création.

Le premier volet du projet de socialisation s’articule autour de la lecture de la ville.

Il s’agit d’un parcours espace-temps, long de 1 700 mètres qui mène de la basilique au Stade de France. Il comprend vingt bornes à taille humaine découpées dans de l’acier. Le parcours s’adresse à tous car il a pour cadre la rue et pour public le piéton. Il est offert aux habitants, aux scolaires, aux salariés à ceux qui « font » la ville et qui « vivent » la ville. On peut le découvrir librement, par étapes ou d’un seul trait, en « remontant » le temps ou en le « descendant ».

La maquette évolutive du territoire utilise également les recherches portant sur la topographie historique. Mais il ne s’agit plus, ici, d’un fil conducteur, mais d’une surface de 1 m2, celle du territoire communal, constituée de plusieurs strates de carton découpées et formant un puzzle. On peut ainsi « déconstruire » la ville et la « reconstruire », à la manière des archéologues qui fouillent par strates. La « maquette » circule dans le milieu scolaire et associatif. Lors d’une réunion de quartier, elle facilite la présentation de projets urbanistiques. Elle est prétexte à discussion et à créer du lien social.

Les chantiers d’archéologie préventive offrent d’infinies possibilités pour sensibiliser les habitants d’un quartier, d’une cité à la « ville invisible » qui sommeille sous leurs pas. Les exemples d’action sont nombreux, chaque fois uniques, car ils concernent un espace géographique, un contexte urbanistique et social différent et portent sur des vestiges qui peuvent remonter à la Préhistoire ou concerner la période industrielle. De véritables « installations » ont été réalisées, tel ce « chemin à remonter le temps », de l’an 2000 au premier siècle de notre ère, borné par des jalons de bois, plantés verticalement, imitant des mires de topographe. Pour « remonter le temps », il fallait se servir de la formule suivante : si 1 mire = 1 an, par conséquent 2 000 mires = 2 000 ans. Ce « site des 2 000 mires », qui comprenait des totems didactiques a été aménagé par des jeunes en prévention et l’accueil du public a été effectué par des jeunes en insertion.

La fouille d’un site carolingien au pied d’une cité a permis de monter une exposition archéologique dans « l’antenne Jeunesse » de cette cité, réalisée par des jeunes fréquentant cette antenne. Ce projet a été conçu et coordonné par un élève conservateur, stagiaire de l’Institut national du Patrimoine, dans le cadre de son projet « égalité des chances ». La préparation de l’exposition a duré trois mois. Les dix jeunes participant à ce projet se sont intéressés à l’histoire de la ville. L’exposition a duré douze jours et s’est prolongée l’année d’après, en 2008, par un calendrier.

Les habitants, toutes générations confondues, ont été associés à un échantillonnage pratiqué une journée entière sur un site industriel qui recelait des rebuts de la verrerie industrielle « Legras » à la Plaine Saint-Denis, en 2000. Principalement pour des raisons de sécurité, la participation des habitants aux opérations d’archéologie préventive est impossible. Par contre, depuis cette année, une fouille programmée permet de les accueillir, de les former, renouant ainsi avec une pratique ancienne qui avait permis, entre 1974 et 2000, à près d’un millier d’habitants de participer aux fouilles.

La fouille programmée a lieu sur un îlot en plein cœur de ville. Ce site archéologique, ouvert quatre mois par an, a été aménagé pour le public, par un chantier école d’insertion en éco-construction ayant permis à douze jeunes du territoire de se former aux métiers de coffreurs, boiseurs, maçons. Ce projet a reçu la caution de la DRAC Île-de-France, de Plaine Commune, du Fonds social européen (FSE) et du programme européen Archaeology in Contemporary Europe. Cette fouille programmée permet également de développer des projets pédagogiques, tout au long de l’année scolaire, soutenus par le ministère de l’éducation nationale, le rectorat de Créteil, grâce à un professeur relais. La lecture de la ville revêt alors une dimension concrète grâce à la pratique de l’archéologie. Un modèle de fouille est destiné aux plus petits et sert de support à des ateliers pédagogiques et des animations.

Le deuxième volet du projet de socialisation s’articule autour du mobilier archéologique. Il s’agit ici de croiser études techniques d’objets archéologiques et savoir-faire artisanaux. Des opérations d’archéologie expérimentale sont organisées, telle la réplique d’un four de potier médiéval. Le croisement entre savoir-faire des habitants et techniques anciennes est illustré par cette potière ivoirienne qui a façonné, au colombin, des copies de poteries de La Tène ancienne, puis les a cuites « en meule » avec de la paille, à moins de 150 mètres du parvis de la basilique.

Une association, « Franciade, le goût de la connaissance », créée en 2003, travaille au repérage des savoir-faire artisanaux, accompagne des actions de formation et d’insertion, notamment soutenues par des programmes européens Equal et la mission « Economie du patrimoine » de Plaine Commune. Afin d’intensifier ces actions, un projet structurant est en cours : un Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine qui « s’appuie sur l’expérience de socialisation ». Sa première réalisation, sous la forme d’un échafaudage accessible au public, gratuit, ouvrira l’an prochain. D’autres projets sont en cours autour des cités concernées par le programme de rénovation urbaine qui sont en cours de démolition.

Ainsi, à Saint-Denis, l’archéologie territoriale n’est pas uniquement tournée vers le passé, elle s’est mise au service du développement local.

M. Patrice Meyer-Bisch, Observatoire de la diversité et des droits culturels, coordonnateur de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’homme (IIEDH) et de la Chaire UNESCO pour les droits de l’homme et la démocratie, Université de Fribourg (Suisse). Il est bien difficile d’intervenir après tant de richesses. D’un autre côté, c’est plus facile, puisque la démonstration parfaite a été faite de ce que l’on peut rechercher, à savoir la synergie des ressources culturelles, créatrices de richesses.

Nous devons opérer un changement de paradigme de la culture subventionnée, qui reste nécessaire, à la culture comprise comme un investissement humain,dans les capacités de relations, de liens de chacune et de chacun d’entre nous, y compris de tous ceux qui sont en situation de pauvreté ou de conflit avec la loi.

Il a été dit : « Quand le droit de participer à la culture sera effectif, nous aurons gagné notre combat. » Oui, c’est vrai, mais le défi est immense ! Car la culture nécessite que nous plongions à la fois dans les ressources du passé, dans les ressources naturelles et que nous les déterrions des conflits, car il faut les déterrer pour les travailler. C’est ce qui nous permet de faire le lien entre le sensible et le pensant – disait Mme Stenou – avec le corps, ses matières et l’esprit, avec l’ancien et le moderne, dans tous ses sens. C’est un peu la quadrature du cercle, c’est aussi le défi de l’innovation et de la fécondité.

On voit bien, dans l’exemple qui vient de nous être présenté, que la plongée dans le temps – non pas dans les racines car nous ne sommes pas des plantes, mais dans les différentes strates – est un accès à l’universel. Cette reconnaissance de la diversité culturelle sous nos pas est sensible pour de nombreuses populations du monde. L’exemple d’ethnoarchéologie à St-Denis montre l’importance d’une valorisation de la diversité culturelle pour le lien social et politique, comme pour l’épanouissement de chacun.

Quelle est aujourd’hui l’actualité du droit de participer à la vie culturelle ?

Depuis la Déclaration universelle de l’UNESCO de 2001 qui lui était consacrée, la diversité culturelle, qui était auparavant considérée comme un frein au développement, est devenue richesse, ressource de créativité et ressource d’universalité, puisqu’il s’agit de rejoindre la dignité de chaque être humain dans ce qu’elle a de plus précieux, et ce qu’elle a de plus précieux s’accorde au singulier. Il faut donc aller le chercher là. La notion de droit culturel signifie que l’on ne se place pas seulement dans la logique de consommateur. Quand on dit « chercher ses publics », il faut reprendre le terme de « public » au sens le plus noble et non pas chercher la masse des consommateurs ou des personnes qui ne vont pas à l’opéra. Il s’agit du droit qui, lui-même, est un droit d’accès aux ressources culturelles qui sont nécessaires pour vivre son identité, ses liens ; ce droit est aussi un droit de participer, une liberté de choix et une responsabilité.

La dynamique des droits de l’homme qui contient les droits culturels a été complètement oubliée. La dynamique des droits de l’homme redonnera véritablement le dynamisme interne au développement de la personne, ce qui fermera la boucle de l’interdépendance des droits de l’homme : les droits culturels protègent les capacités les plus intimes des personnes et conditionnent ainsi l’exercice de tous leurs autres droits. Cela se vérifie en particulier dans les conditions de pauvreté. Mme Salmet a fait référence à l’Année européenne de lutte contre l’exclusion sociale et la pauvreté. Un colloque s’est tenu il y a une semaine à Bruxelles sous la Présidence belge de l’Union européenne sur ce sujet. C’est essentiel. Il faut aller rechercher les mémoires abîmées, restaurer la dignité des personnes exprimée dans leur identité à condition que celle-ci soit librement vécue et non imposée de l’extérieur. Il ne faut pas considérer la pauvreté comme une absence de ressources, mais comme des dignités bafouées, comme un ensemble de violations, des personnes dont on a méconnu l’identité et sacrifié les ressources culturelles. Il ne s’agit pas seulement de combler un besoin, un vide, mais de développer des capacités en restaurant des ressources gaspillées. Il en va de même pour les logiques de violence, qui sont pour la plus grande part des pathologies identitaires, des identités humiliées.

La valorisation de la diversité culturelle est le meilleur investissement pour la paix, qu’il s’agisse de la paix dans les quartiers, de la paix sociale en général ou de la paix internationale. Il en va de même pour les logiques de communication. La communication a une matière, un contenu qui est fondamentalement culturel. Il ne s’agit pas seulement d’être branché sur Internet, il faut reconnaître la qualité de ce qui s’y passe. Dès lors, la notion de culture transversale apparaît de la façon la plus forte. C’est pourquoi, aux Nations Unies, on assiste à une émergence forte de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui suit l’article 26 sur le droit à l’éducation et précède l’article 28 sur le droit de participer à un ordre tel que les droits humains soient effectifs. Autrement dit, le droit de participer à la vie culturelle comme condition du droit de participer à la vie politique en général.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a promu une Observation générale n° 21 sur ce droit. C’est une observation innovante qui sera pour nous matière à réflexion. Le Conseil des droits de l’homme a, pour la première fois, établi une procédure spéciale et nommé une experte indépendante des droits culturels qui a produit son premier rapport. C’est un signal fort qui montre que la culture ne vient pas après et qu’elle est essentielle.

Mme Marland-Militello, que je remercie pour cette initiative, m’a dit que j’étais « caution juridique ». Sûrement pas ! D’abord, parce que je suis philosophe, même s’il s’agit de philosophie du droit et de l’économie ; ensuite, il s’agit de montrer, non pas seulement la valeur ajoutée, mais la légitimité démocratique de l’approche de la culture par les droits de l’homme et spécifiquement ici par les droits culturels. Il ne s’agit pas d’organiser une défense linéaire, en demandant d’investir plus d’argent dans la culture. Il ne servirait pas à grand-chose que de le dire ; il s’agit plutôt de démontrer l’universel intérêt de l’accès aux ressources culturelles. J’aime l’image de l’archéologie, c’est-à-dire la science des principes ; on doit aussi faire une archéologie de la pauvreté et de la violence.

Quelles sont ces strates de mémoire humiliée et qui continuent à nous exploser à la figure ? C’est un défi culturel essentiel. Le problème qui se pose ici c’est le passage de la culture au sens étroit – on a parlé des beaux-arts, du patrimoine –, au sens large selon la définition de l’UNESCO. Bien entendu, le défi consiste à considérer la culture dans la diversité de ses dimensions tout en étant concret. Alors, comment faire ?

En complément des propos de Mme Marland-Militello, l’hypothèse de travail consiste à cerner les discriminations multiples ou les violations de droit, de rechercher les sens interdits, c’est-à-dire tout ce qui ne passe pas. Si la culture peut être une circulation du sens, qu’il s’agisse de l’alimentation, de l’habitat, des beaux-arts, de l’éducation, de la communication, bien des sens sont interdits. Autrement dit, des combinaisons de violations de droits conservent la pauvreté culturelle, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas accès aux ressources qui sont nécessaires pour vivre leur identité, pour vivre librement leurs liens sociaux.

Si nous n’arrivons pas toujours à identifier ces combinaisons ou ces nœuds de violations de droit, a contrario, on peut identifier les nœuds de valorisation multiple, si j’oppose « valorisation » à « discrimination », c’est-à-dire les combinaisons gagnantes de droit. L’objectif consiste à mettre l’accent sur les jeunes, non que les jeunes soient plus importants que les anciens : il faut faire porter l’accent sur le lien intergénérationnel et cette capacité des jeunes à être innovants parce qu’ils ont en eux des potentiels qu’il faut vérifier. Ce n’est pas simplement un public cible important pour lui-même, ce sont des personnes qui sont et seront responsables de la transmission des valeurs culturelles.

Dans ces combinaisons gagnantes, il y a forcément un lien éducation, information, patrimoine, les trois droits culturels de la communication.

L’archéologie, territoire et citoyenneté, est exemple de valorisations multiples. On cherchera le lien entre l’ancien et le moderne, entre les couches du territoire, les couches de population et les couches de mémoire. On cherchera dans l’objet les ressources pour le projet. Il s’agit de valoriser ici concrètement toute la matérialité du milieu culturel. Je ne parlerai pas des cultures, mais des milieux culturels composites et des libertés de chacun d’y puiser ses ressources, d’y participer et de les communiquer. Ce type d’exemple est intéressant pour montrer que la violation des droits culturels a un effet paralysant sur les sociétés.

A contrario, la valorisation, l’effectivité du droit culturel a un effet de levier. C’est un changement complet de paradigme. Dans l’opinion en général, la culture forme un bien secondaire et un bien de consommation secondaire, ce qui est une double réduction. Pour nous, c’est un levier d’innovation, de création sociale, le levier du développement interne, qui touche aussi bien à l’intime de la personne qu’à l’intime du tissage social.

La multidisciplinarité dont vous avez parlé au plan musical est l’un des éléments concrets. Nous devons chercher la correspondance des arts et, de façon plus générale, la correspondance des domaines de culture. Souvent, on veut placer l’art au centre, mais s’agissant de culture, il existe d’autres centres. On a parlé des sciences qui sont aussi au centre ; il convient de concevoir art et savoir-faire dans leur grande transversalité. Art, tekne, et pratiques, praxis : vous obtenez ainsi un art de la vie quotidienne. Notre grande dialectique, notre grand défi, qui est valable pour tous les droits de l’homme, est de faire le lien entre la vie ordinaire et l’excellence, l’excellence nourrissant la vie ordinaire, permettant un accès de tous à la richesse culturelle.

Mme Anne Brasseur, membre de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Luxembourg). Je remercie la délégation française de l’accueil qu’elle nous a réservé. Je remercie M. Mignon en sa qualité de Président de la délégation française et Mme Marland-Militello en sa qualité de rapporteure. Nous nous retrouvons dans une capitale de la culture, ce qui m’a permis hier de voir l’exposition merveilleuse de Monet au Grand Palais et Les Femmes savantes au théâtre du Vieux Colombier. J’ai pu ainsi m’initier à la culture française grâce à cette réunion qui nous rassemble aujourd’hui.

Je suis parlementaire luxembourgeoise et présidais la Commission de la culture jusqu’en 2009.

Pour illustrer le sujet qui nous occupe « L’accès à la culture de tous », je veux vous présenter un exemple concret. Comment peut-on faciliter l’accès à la lecture des œuvres littéraires ? L’accès à la culture passe par l’accès à la lecture. M. Mignon m’a mise en contact avec M. Saad Kouri, un médecin, d’origine libanaise qui vit en France et qui est l’initiateur des Romans de toujours. L’idée consiste à mettre en bandes dessinées des œuvres littéraires et ainsi de permettre à ceux qui n’ont pas accès à la lecture des grandes œuvres littéraires de le faire par le biais de bandes dessinées.

Ce qui m’enchante dans ce projet, c’est que figure à la fin de l’ouvrage l’aperçu historique : les œuvres sont replacées dans leur contexte historique ; un lexique est ajouté avec la traduction de mots dans différentes langues européennes, ce qui permet à tous d’avoir accès à la culture. J’évoquerai les quelques ouvrages que j’ai en main : Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne, Les misérables de Victor Hugo, Le rouge et le noir de Stendhal, Charles Dickens. Vingt-cinq auteurs ont été publiés. Les initiateurs du projet demandent à faire connaître les ouvrages publiés. Ils ont fait de la publicité dans Télé 7 jours, les exemplaires ayant été vendus à cinq euros l’exemplaire, soit une quasi-gratuité. Ils sollicitent le patronage du Conseil de l’Europe sans contribution financière et une aide pour la traduction, car ils souhaitent traduire les ouvrages, édités en France, en d’autres langues pour permettre aux jeunes de multiples pays d’avoir accès à ces œuvres, à toutes ces œuvres, c’est une idée merveilleuse. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative d’amener ces exemplaires et de vous présenter cette extraordinaire initiative.

M. Markku Laukkanen, membre de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Finlande). Je veux remercier des contributions fort intéressantes que nous avons entendues ce matin et revenir sur les bibliothèques publiques, qui posent la question de la place du livre à l’avenir. Ces bibliothèques ont toujours été un élément fondamental du patrimoine culturel européen. Elles nous ont rendu des services, que ce soit aux jeunes, aux personnes plus âgées, aux représentants des minorités, et ce gratuitement. Ces bibliothèques publiques se caractérisent par leur gratuité. Elles sont aujourd’hui confrontées à des défis immenses et le seront encore à l’avenir. Je veux parler de la littérature numérique. Nous passons à un nouveau modèle et les bibliothèques publiques devront s’adapter à cette nouvelle ère numérique.

En vous écoutant Mme Brasseur, on constate que les enfants utilisent largement les services des bibliothèques jusqu’à dix ans. Après quoi, adolescents, ils ne viennent plus dans les bibliothèques ; or, il faut réussir à les y faire revenir et pour cela leur apporter d’autres services. Les bibliothèques doivent, en effet, repenser au modèle des services qu’elles apportent. Peut-être conviendrait-il qu’elles adoptent une approche plus personnalisée, sur mesure, pour satisfaire des groupes cibles. Le British Council, très respectable et éminent institut, a fermé ses bibliothèques de par le monde suite à des problèmes financiers et faute de visiteurs. De nombreuses bibliothèques privées ont d’ailleurs fermé leurs portes pour les mêmes raisons. Voilà pourquoi les bibliothèques doivent réfléchir à un nouveau modèle prenant en compte l’ère numérique et saisissant les potentialités qu’offre cet outil numérique, dont il ne faut pas avoir peur.

Se pose ensuite la place à l’avenir de ces livres traditionnels. Pourra-t-on les conserver ou les personnes souhaiteront-elles des services numériques ? Il me semble que les bibliothèques à l’avenir pourraient être ouvertes tous les jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et servir de lieux de rendez-vous, de rencontres, être des centres d’art de toutes sortes, des lieux d’expositions. C’est une chance à saisir pour préserver le rôle central que jouent les bibliothèques publiques. J’aimerais entendre votre point de vue, notamment celui de Mme Stenou. Ensuite, il convient de savoir si nous préservons la gratuité de ces bibliothèques publiques. Comment les financer à l’avenir ?

Enfin, je viens de Finlande, d’où ma fierté que Mlle Sofi Oksanen ait reçu le Prix Femina étranger 2010 pour Purge.

Mme Muriel Marland-Militello. J’ai été très intéressée par les interventions de M. Viudes et de son manager. En prolongement, je leur poserai deux questions.

Vous avez indiqué que l’essentiel de vos revenus venait des représentations musicales, ce qui n’a cessé d’être le cas, le pourcentage des disques revenant aux artistes ayant toujours été minime. Mais vous n’avez pas suffisamment explicité comment vous utilisiez les mannes financières publiques et comment vous vous inscriviez dans des réseaux associatifs. Par exemple, s’agissant de l’organisation de festivals, on a bien vu le rôle du maire, illustré par l’exemple de Jean-Claude Mignon. Vous avez bénéficié de l’ouverture de l’école David Lockwood. Voilà un pouvoir public qui a œuvré pour vous et qui vous a proposé une formation. Quant à vous, comment allez-vous au-devant de mannes financières qui ne vous sont pas acquises et comment faites-vous pour travailler avec ceux qui détiennent le pouvoir financier ?

M. Florian Couret, imprésario du groupe « Starboard Silent Side ». Des subventions de l’État existent, qui ne sont pas toujours distribuées équitablement. Par exemple, de grands artistes touchent des subventions alors qu’ils n’en ont pas besoin. Il en va de même des principaux festivals.

Les artistes vont chercher l’argent un peu partout et surtout un peu nulle part ! Le dispositif « Paris Jeunes Talents » accorde des subventions toute l’année sur décision d’un jury professionnel. Mais les jurys professionnels sont souvent des personnes qui occupent des postes très haut placés dans la musique et qui sont soumises à des logiques commerciales, lesquelles entrent en jeu dans les processus décisionnels. On peut également trouver des mécènes, des personnes dans les entreprises, qui aident à financer les albums. C’est le cas pour l’un des groupes que j’accompagne.

Pour le reste, c’est confus. Je pense que les artistes sont confrontés à un problème de lisibilité et ne savent pas trop où rechercher les crédits ; le système administratif est très opaque. Il faut se rendre au conseil général, au conseil régional ou au ministère de la Culture pour solliciter des aides. Il faut donc se prendre en main, mais c’est très compliqué. Il n’est pas toujours facile d’entreprendre les démarches et de convaincre les gens, car les budgets sont serrés.

Dans le sud, où je travaille, bon nombre de festivals sont en place et sont souvent reconduits d’une année sur l’autre, parce que leurs organisateurs sont connus. C’est pourquoi je pense que des jurys « tournants » seraient plus équitables qui donneraient des chances égales aux personnes qui proposent des projets.

M. Latchezar Toshev, membre de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Bulgarie). Je m’associe à tous ceux qui ont exprimé leur gratitude aux membres de la délégation française de notre Assemblée pour avoir préparé cette réunion et cette audition qui revêtent une importance toute particulière.

Nous avons débattu à maintes reprises de la nécessité de préserver la culture, de la développer, de préserver notre patrimoine culturel. Nous avons également insisté sur les aspects éducatifs de la culture, sur la nécessité de donner la possibilité aux artistes de montrer leur art, de le faire partager à d’autres, la nécessité d’assurer un accès à la culture au grand public, au développement des marchés de la culture. Aujourd’hui, nous débattons d’un autre aspect et je voudrais dire mon admiration pour les efforts de notre rapporteure, Mme Marland-Militello, qui s’attelle à ce rapport, car chacun a le droit de participer à la vie culturelle, non pas seulement en tant que public, mais aussi en tant qu’acteur.

Il y a quelque dix ans, nous avions produit un rapport et voté une recommandation portant sur les zones défavorisées urbaines. Nous avions appelé les municipalités à faire en sorte que les populations des quartiers défavorisés puissent se rencontrer et débattre afin que, par exemple, leurs bâtiments soient plus jolis, plus accueillants. Cela participait d’un processus de transformation de l’esprit des gens, qui devaient entrer en contact les uns avec les autres. Finalement, la culture c’est un art de la communication. Et puis les personnes qui participent à ces activités sont moins isolées, moins frustrées. C’est l’un des aspects très importants de la culture.

Au cours de la guerre en ex-Yougoslavie, au Kosovo, une thérapie par l’art avait été mise en place auprès des enfants qui avaient souffert des événements qui s’étaient produits là-bas. Ce fut un succès. C’est encore un aspect important de la culture.

Je reviens sur un festival franco-bulgare qui a été organisé l’an dernier dans mon pays, en Bulgarie, La journée Pierre de Ronsard, projet qui a été lancé par votre humble serviteur. Il me semblait profitable d’établir des processus d’interaction entre la société bulgare et française. C’est pourquoi nous avons décidé d’intituler ce festival du nom de ce grand poète de la Renaissance, dont l’un des ancêtres venait de Bulgarie, dont nous avons retrouvé la trace. Voilà pourquoi nous avons utilisé son nom pour ce festival. A cette occasion, nous avons invité des musiciens, des acteurs, des peintres et de nombreux amateurs du monde culturel et artistique. Nous avons également invité tout un chacun, des personnes qui n’avaient jamais été liées directement à l’art pour qu’elles présentent leurs poèmes et laissent une forme de témoignage. Il faut, en effet, que chacun prenne conscience de l’importance à s’exprimer et à participer à la vie culturelle. Parfois, des personnes écrivent quelques vers et s’aperçoivent que leurs textes peuvent être publiés.

Nous avons publié en bulgare un poème de Pierre Ronsard pour montrer que la culture était accessible, même en dehors de lieux consacrés comme les bibliothèques. Dans les écoles, nous avons lancé des concours de poésie. Certains lauréats ont vu leurs vers publiés. Il s’agissait pour certains de messages adressés à des récipiendaires inconnus. Celles et ceux qui habituellement s’abstenaient de participer au processus culturel et qui se contentaient de regarder ce que faisaient les autres ont franchi le pas et notre projet fut couronné de succès.

Je pense que c’est vers cet objectif que tend votre rapport : que chacun participe à la vie culturelle. Je voulais témoigner de cet exemple positif. M. Mignon et des représentants des différents théâtres ont participé, de Paris, de Marseille, des représentants de l’ambassade. Voilà donc un exemple de l’implication de la participation active des gens ordinaires. Votre rapport sera un excellent exemple de la manière dont on peut encourager chacun à participer à la vie culturelle. Je vous remercie.

M. Lockman Ayva, membre de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Turquie). Je veux remercier la délégation française et Mme la rapporteure pour l’organisation de cette audition. Je veux également vous remercier de nous avoir proposé une réunion aussi intéressante sur la culture et la diversité culturelle. Le rapport est extrêmement encourageant et motivant et nous présente des idées très intéressantes.

Je voudrais aborder le thème de la culture dans deux perspectives.

Il y a ceux qui contribuent à la culture et ceux qui l’intériorisent et la comprennent. Nous ne nous contentons pas de consommer la culture, nous en tirons des bénéfices. Pouvons-nous créer les conditions pour que les gens apportent une contribution à la culture ? Pouvons-nous discriminer les gens sur la base de leur race, leurs différences physiques, leurs croyances, leurs idéologies ? Si l’on discrimine les gens sur la base de ces différences et qu’à partir de là, on génère des différences et des discriminations dans leur contribution à la culture, cela pose un véritable problème. Les musiciens, les artistes, les peintres sont influencés par leurs idées et leurs idéologies. On ne peut empêcher qui que ce soit de contribuer à la culture.

En outre, seconde dimension, peut-on créer les conditions propices pour que les gens vivent la culture ? Bien sûr, de nombreux obstacles se dressent sur la voie de ceux qui veulent accéder à la culture. Les obstacles sont financiers, physiques et dus à la perception. Si on donne à chacun l’opportunité de contribuer à la culture, de la ressentir, de la vivre, nous pourrons alors créer une société équilibrée et pacifique. Voilà ce que j’appelle de mes vœux pour l’avenir.

Mme Silvi Graham, membre de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Norvège). Cet environnement est assez nouveau pour moi. J’ai travaillé huit ans dans la culture avant de devenir maire et avant d’entrer au Parlement. Aujourd’hui, j’ai l’impression de revenir dans ce monde dans lequel je me sens à l’aise. Le domaine de la culture est si fondamental que nous avons l’impression qu’il est inutile d’en parler car tout le monde doit comprendre que c’est ainsi que les choses doivent se passer.

J’ai bien conscience toutefois qu’il faut thématiser les choses, que nous devons en parler. Dans ma commune, nous avons travaillé essentiellement à la participation. Nous avons toujours été convaincus que la participation à la vie culturelle créait une cohésion au sein de la société. Mon propos tiendra en trois temps et je vous présenterai un exemple.

Je voudrais insister sur la nécessité de mettre les enfants en contact avec la culture à un âge précoce. Comme l’a dit M. Legendre, ce qui est important, c’est la curiosité des enfants. Il faut en profiter. J’enseigne la musique et je sais par expérience que les enfants sont très curieux et très ouverts au langage de la culture.

La culture doit être accessible à tous. Aucun obstacle ne doit faire barrage à la culture et à la participation à la vie culturelle. La familiarisation avec le langage de la culture doit s’opérer dans un contexte de qualité ; vous n’apprenez pas l’anglais avec une personne qui ne parle pas elle-même bien l’anglais !

En Norvège, nous avons lancé un programme national « Le sac à dos culturel ». Le nom de ce programme est éminemment symbolique : les Norvégiens sont de grands randonneurs. Les enfants savent qu’ils ont besoin d’un kit de survie ; ils portent donc dans leur sac à dos des habits très chauds. La connaissance de la culture est si fondamentale qu’on peut l’apparenter à un kit de survie.

Initiative conjointe du ministère de la culture et de la recherche, un programme national pour l’art et la culture est organisé par des professionnels, qui se rendent dans les écoles norvégiennes. C’est un programme qui a été mis en place en 2001. Tous les élèves peuvent se familiariser avec l’expression culturelle et artistique de qualité. Cela couvre les arts plastiques, la musique, le cinéma, la littérature, le patrimoine culturel, les beaux-arts ; l’objectif consiste à l’accès de tous à un large éventail d’expressions culturelles et artistiques et au développement d’une compréhension et d’une connaissance de la culture sous toutes ces formes. Programme général organisé dans les écoles, qui s’adresse à tous les élèves, c’est un programme très apprécié par les élèves eux-mêmes.

L’audition est passionnante et le rapport contient de multiples éléments très intéressants.

Mme Andreja Rihter, membre de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Slovénie). J’espère, Madame la rapporteure, que nous pourrons tous contribuer à votre rapport, notamment grâce à des débats aussi intéressants que celui-ci.

La vie culturelle est un processus dynamique et interactif entre les individus et la communauté. C’est également un processus qui lie le ministère de l’éducation et le ministère de la culture. Tous les pays n’ont pas un ministère de la culture indépendant. Il est parfois rattaché au ministère de l’enseignement supérieur ou à celui de l’éducation.

Les missions des institutions culturelles présentent de plus en plus souvent un caractère éducatif. Les enfants, avant même d’entrer dans le système éducatif, accèdent aux musées, aux bibliothèques. C’est pourquoi il faut travailler au développement de toutes ces institutions culturelles. La mission des institutions culturelles est éducative, mais dans bien des États membres du Conseil de l’Europe, ces institutions restent traditionnelles et ont pour première mission de gérer le patrimoine culturel.

Au mois de juin de l’année dernière, nous avons achevé la rédaction du rapport de Cecilia Keaveney sur l’enseignement de l’histoire dans les zones de conflit et de post-conflit. Dans ce cadre, nous avons beaucoup parlé de la manière dont les institutions culturelles et éducatives devraient préparer ensemble ce projet éducatif.

Nous avons organisé un séminaire à Istanbul sur le projet historique de l’éducation dans le monde musulman. Il fut très positif pour les représentants de pays qui connaissaient mal l’histoire, les us et coutumes, le système éducatif ou les cursus de cette partie du monde. L’opération entre culture et éducation, et particulièrement l’action des musées et des bibliothèques est d’une importance capitale et le deviendra de plus en plus. L’histoire traite de plus en plus du rôle, de l’action de la classe politique ; les représentants politiques parlent de l’histoire, de l’Europe, de l’avenir.

Je répondrai à M. Laukkanen que l’on parle en Slovénie d’instaurer la gratuité d’accès à toutes les bibliothèques publiques. Nous parvenons à la même conclusion. Il s’agit d’une discrimination sociale. Cela vaut pour les bibliothèques comme pour les musées. A Paris, comme en Slovénie, nous nous penchons sur le budget de l’année prochaine. Les femmes et les hommes politiques, le Premier ministre ont tendance à minimiser le rôle de la culture et à vouloir rogner les crédits.

Le rôle de notre commission consiste à faire savoir en quoi la culture, les institutions culturelles, leur rôle éducatif sont essentiels ; nous devons nous attacher à faire prendre conscience aux jeunes générations comme aux plus anciennes du rôle de la culture pour l’avenir, pour qu’elles portent un autre regard sur la culture.

Madame la rapporteure, je vous remercie grandement. J’espère pouvoir contribuer à vos efforts.

M. Piotr Wach, membre de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Pologne). Les présentations ont été extrêmement intéressantes ; j’ai notamment apprécié celle de M. Fleming.

Les sujets abordés aujourd’hui sont difficiles. Personne ne doute que tout un chacun a le droit de participer à la vie culturelle. Mais comment traduire cela dans les faits ? C’est un problème politique extrêmement délicat, qui recèle de nombreuses contradictions, y compris au sein du système éducatif. Nous parlons des sciences et des arts. Nous avons, me semble-t-il, un problème quant à la manière de traduire ces réflexions en actes concrets. Il s’agit de suggérer à nos assemblées et, par leur truchement, à nos gouvernements de prendre des mesures très concrètes pour assurer une large participation de chacun à la vie culturelle.

Je reviendrai sur trois points centraux.

Premièrement, l’éducation qui est la clef en ce qu’elle permet de surmonter certains handicaps sociaux. Elle permet également d’apprendre à utiliser les outils culturels.

Deuxième sujet, excellemment traité par M. Fleming, celui de la qualité des expositions des musées. En Pologne, par exemple, le Musée de l’Insurrection de Varsovie de 1944 présente une exposition très interactive, qui submerge par les éléments qui évoquent la Seconde guerre mondiale et les conditions dans lesquelles le soulèvement a eu lieu. Les enfants, venus une première fois avec leur professeur, reviennent ensuite.

Troisièmement, la bonne utilisation des technologies est compliquée. Les technologies de l’information, l’Internet notamment, sont des outils difficiles à réguler comme à réglementer. Utilisés à bon escient, ils rendent plus facile l’accès à la culture ; utilisés à mauvais escient, ils occasionnent des pertes de temps. Les technologies numériques sont cependant intéressantes pour les artistes, notamment sur le plan de la création musicale, des arts visuels, de la photographie par exemple. C’est un point sur lequel il conviendra de revenir si nous voulons progresser et toucher un public le plus large possible ; nous devons bien gérer cette technologie et les outils numériques.

Mme Katérina Stenou, directrice de la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel de l’UNESCO. Je voudrais dire à l’honorable délégué de la Finlande, M. Markku Laukkanen, que la question des bibliothèques publiques est un sujet brûlant. L’UNESCO s’efforce de promouvoir la lecture, l’industrie éditoriale et la protection de la propriété intellectuelle à travers le droit d’auteur. C’est pourquoi elle a institué la journée du 23 avril comme Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, en espérant que cela suscitera le désir de lire et ensuite le plaisir de fréquenter les bibliothèques. Nous travaillons étroitement avec la Fédération internationale des associations et institutions des bibliothécaires (IFLA).

Votre suggestion de transformer ces lieux en de multiples espaces, présentant des expositions de calligraphie, de miniatures, etc., est une excellente idée. Pour l’UNESCO, le livre est considéré comme un objet matériel et immatériel : matériel en tant qu’objet d’art. Nous chérissons encore cet objet en tant qu’objet artistique. Et puis comme un patrimoine immatériel, par le contenu qu’il véhicule. Tout cela relève, bien entendu, de l’éducation artistique.

Je profite du temps qui m’est accordé pour répondre à Mme Andreja Rihter sur l’enseignement de l’histoire. L’UNESCO, considérant la culture comme prise de conscience, revisite l’histoire à travers une série d’ouvrages collectifs dont l’ambition est de transcender les histoires nationales pour étudier des aires de civilisation plus vastes (Histoire de l’humanité ; Histoire générale de l’Afrique ; Histoire des civilisations de l’Asie centrale ; Histoire générale de l’Amérique latine ; Les différents aspects de la culture islamique ; Histoire générale des Caraïbes ). En effet, la mémoire du monde n’est pas seulement composée de rois et de héros, de batailles et de conquêtes, de grandes cathédrales et de réalisations monumentales. Dans le cadre élargi dans lequel elle s’inscrit, la longue durée prend tout son sens et permet d’appréhender dans leur globalité l’évolution des sociétés, l’épanouissement des cultures, les grands courants d’échanges, les rapports avec les autres parties du monde. Sur cette base, nous sommes en train d’élaborer des outils pédagogiques en commençant par l’Histoire générale de l’Afrique.


L’UNESCO élabore actuellement également un projet appelé Vademecum interculturel qui se rapproche de l’esprit du kit de survie « culture » évoqué par Mme Graham. Cet outil pédagogique, diffusé sur supports imprimé et électronique, présente de manière simple et stimulante une vision interculturelle de l’histoire qui unit le monde arabo-musulman et le monde occidental. Un accent particulier est mis sur la nécessité de reconnaître les interactions intenses entre toutes les rives de la Méditerranée, sans oublier les affiliations qui les relient avec des cultures plus lointaines comme celles de l’Inde, de la Perse, de l’Arabie et de l’Afrique. Être honnêtes intellectuellement parlant, c’est penser interculturellement, sans être relativistes. Il y a tant de choses qui viennent « d’ailleurs » et cet « ailleurs » doit être chéri et mis en valeur comme dans le programme « Vivre ensemble », que Mme Salmet nous a présenté.

Il y a actuellement une effervescence de la réflexion qui dépasse les structures traditionnelles, surtout celles de l’école, sachant que l’éducation informelle prend plus de la moitié du temps des élèves. Faisons en sorte qu’un véritable contenu pluriel vogue sur les ondes et que ce contenu soit représentatif d’une véritable diversité, non exclusif et non fondamentaliste mais ouvert au dialogue. Réunissons nos efforts pour que nous soyons en phase avec les exigences de notre temps. Les parlementaires seront nos meilleurs relais pour que de tels projets deviennent réalité.

M. Jean-Claude Mignon, président de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.Je voudrais revenir sur les propos de nos deux jeunes artistes, tant il est vrai qu’il est aujourd’hui très difficile pour un auteur-compositeur de réussir à intéresser et à se faire programmer. Force est de constater que les télévisions et les radios ont une façon très pénalisante pour un jeune auteur-compositeur de sélectionner ce qui doit être entendu et vu. Sans doute serait-ce une bonne chose que le Conseil de l’Europe s’intéresse au sujet.

Nous essayons d’organiser des scènes ouvertes pour permettre à de jeunes talents de se produire, tout en touchant un minimum de cachet, car nous sommes conscients que les jeunes musiciens doivent vivre. Il n’en reste pas moins qu’il est difficile pour des villes moyennes de verser des cachets élevés. Quant aux festivals, ils sont malheureusement toujours en déficit. Des cachets nous sont demandés par des stars ou par des artistes confirmés. Cela devient insupportable, même si nous sommes conscients que le succès d’un festival suppose une, voire deux têtes d’affiche. Ces stars ont oublié qu’il y avait des premières parties voilà quelques années. M. Fleming a évoqué les Beatles, que j’affectionne particulièrement. Lorsqu’ils ont joué la première fois à Paris, ils étaient en première partie de Trini Lopez ; on donnait alors une chance à des musiciens qui avaient du talent. Aujourd’hui, les jeunes auteurs-compositeurs n’ont plus cette opportunité. Il existe un décalage, selon moi trop large, entre les auteurs-compositeurs d’un côté et les interprètes de l’autre. Or, les seconds n’existent pas sans les premiers ! En France, Line Renaud vient d’enregistrer un nouvel album qui reprend d’anciennes chansons. Il se trouve que je connais très bien l’auteur-compositeur du tube de l’album en question. Je n’en ai jamais entendu parler ni ne l’ai vu à la télévision ! Il y a matière à réflexion.

La qualité des travaux de la Commission me donne envie d’entrer à la commission de la culture !

M. Gvozden Flego, président de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Nous vous acceptons avec plaisir !

Mme Doris Stump, membre de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Suisse). Merci pour l’ensemble des présentations et merci pour ce débat. Le sujet est aussi difficile qu’important. Il est si vaste qu’en nous polarisant sur un point, nous en excluons une multitude d’autres.

J’ai été attentive à l’idée de barrières et d’obstacles qui empêchent les gens de participer à la vie culturelle. Le rapport porte sur le droit de participer à la vie culturelle et nous avons entendu plusieurs présentations. Certains ont évoqué la gratuité de l’accès aux musées, un prix d’entrée élevé représentant un frein ; il en va de même pour les concerts et le théâtre. Les spectacles sont souvent extrêmement chers alors que des subventions sont souvent accordées par l’État.

Il a été fait beaucoup ces dernières années sur la façon dont les choses étaient présentées dans les musées. Cela vaut pour la Suisse comme pour d’autres pays. J’ai eu le plaisir d’aller au musée à Varsovie, j’ai été impressionné. L’analyse des barrières n’a pas été suffisamment approfondie par le rapport. En effet, il se concentre sur les jeunes, mais les jeunes ne sont pas des groupes marginaux. Il existe de nombreux autres groupes et l’accès à la culture dépend tout autant du milieu social que des possibilités financières.

Personne n’a évoqué la question du genre alors que c’est un facteur, me semble-t-il, qui entre en jeu s’agissant de l’accès à la culture. Avant l’âge de vingt ans, les garçons lisent moins que les filles ou du moins d’autres types d’ouvrages. Ces barrières sont importantes pour déterminer des propositions à soumettre. On peut soumettre toutes les propositions que l’on veut, tant que l’on n’a pas identifié les problèmes, qu’on ne les a pas analysés en profondeur, on ne parviendra pas à la meilleure des solutions possible.

M. Gvozden Flego, président de la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Nous devons à présent clore ce débat. Merci de vos interventions et du vif intérêt que vous avez tous porté à cette question. Les actes de l’audition seront publiés par l’Assemblée nationale ; nous pourrons donc relire dans un avenir proche le contenu substantiel de toutes ces interventions et discussions.

La séance est levée à 13 heures.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 3 novembre à 9 heures

Présents. – M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Monique Boulestin, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Marie-George Buffet, M. Pascal Deguilhem, M. Marc Dolez, Mme Martine Faure, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Michel Herbillon, Mme Françoise Imbert, Mme Jacqueline Irles, M. Christian Kert, M. Yvan Lachaud, Mme Colette Langlade, M. Alain Marc, Mme Muriel Marland-Militello, M. Gilbert Mathon, M. Jean-Luc Pérat, M. Franck Riester, M. Jean Roatta, Mme Marie-Josée Roig, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot

Excusés. – Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Bernard Debré, M. Bernard Depierre, M. Gérard Gaudron, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, M. Jean-Philippe Maurer, Mme Françoise de Panafieu, M. Didier Robert, M. Patrick Roy

Assistaient également à la réunion. – M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean-Claude Mignon, M. André Schneider