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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 19 janvier 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Christian Kert, vice-président

– Création d’une mission d’information, commune avec la Commission des affaires étrangères, sur la mise en œuvre de la réforme de l’Audiovisuel extérieur de la France

– Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi de M. Didier Mathus et plusieurs de ses collègues visant à concilier la préservation de l’intégrité des œuvres culturelles et artistiques avec les objectifs de la lutte contre le tabagisme (n° 2972) (M. Didier Mathus, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 19 janvier 2011

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Christian Kert, vice-président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation examine la proposition de création d’une mission d’information, commune avec la Commission des affaires étrangères, sur la mise en œuvre de la réforme de l’Audiovisuel extérieur de la France.

M. Christian Kert, président. Notre ordre du jour appelle tout d’abord la création d’une mission d’information sur la mise en œuvre de la réforme de l’Audiovisuel extérieur de la France.

Le bureau de notre Commission a décidé de constituer une mission d’information sur ce thème et le président de la Commission des affaires étrangères a fait savoir à notre présidente qu’il souhaiterait un travail en commun compte tenu de l’implication constante de cette Commission dans la définition de la réforme.

Il vous est proposé en conséquence de constituer une mission d’information commune avec la Commission des affaires étrangères. Sous réserve d’ajustements ultérieurs, cette mission dont Michèle Tabarot se propose de prendre la présidence pourrait compter 11 membres.

Deux co-rapporteurs pourraient représenter la majorité et l’opposition, ainsi que chacune des deux Commissions, comme nous l’avons fait pour la mission d’information commune avec la Commission des lois sur la révolution numérique.

Si vous en êtes d’accord, nous pouvons approuver maintenant la création de cette mission d’information, qui avait été souhaitée par quelques-uns d’entre nous. Après quoi les présidents des deux Commissions saisiront les groupes pour déterminer les membres de l’une et l’autre Commission qu’ils souhaitent voir siéger dans cette mission.

Pour information, sur la base d’un total de 11 membres, il y aurait 6 membres pour le groupe UMP, 3 membres pour le groupe SRC et 1 membre pour chacun des groupes GDR et NC.

M. Marcel Rogemont. Le nombre de 11 membres concerne-t-il les deux Commissions ?

M. Christian Kert, président. Il s’agit bien du nombre total de membres pour les deux Commissions.

M. Marcel Rogemont. Le groupe SRC pourrait-il obtenir un membre de plus, à l’occasion des ajustements que vous avez mentionnés ?

M. Christian Kert, président. Cette question pourra effectivement être réglée au moment de l’appel à candidatures.

La Commission décide de créer, conjointement avec la Commission des affaires étrangères, une mission d’information sur la mise en œuvre de la réforme de l’Audiovisuel extérieur de la France.

*

La Commission procède ensuite à l’examen, ouvert à la presse, sur le rapport de M. Didier Mathus, de la proposition de loi de M. Didier Mathus et plusieurs de ses collègues visant à concilier la préservation de l’intégrité des œuvres culturelles et artistiques avec les objectifs de la lutte contre le tabagisme (n° 2972).

M. Christian Kert, président. Avant d’évoquer la proposition de loi de M. Didier Mathus et du groupe SRC, il m’est agréable de souhaiter la bienvenue à Mme Marie-Hélène Thoraval, députée de la Drôme, qui succède à notre regretté collègue, M. Gabriel Biancheri.

Nous passons maintenant à l’examen de la proposition de loi de M. Didier Mathus et du groupe SRC visant à concilier la préservation de l’intégrité des œuvres culturelles et artistiques avec les objectifs de la lutte contre le tabagisme.

Je rappelle que cette proposition de loi a été inscrite par le groupe SRC à l’ordre du jour de notre Assemblée le jeudi 27 janvier prochain dans l’après-midi et que nous avons désigné M. Mathus comme rapporteur.

J’indique à nos collègues que le bureau de notre Commission a décidé que les travaux d’examen des textes législatifs seraient désormais ouverts à la presse et bénéficieraient des mêmes dispositifs de publicité que ceux qui s’appliquaient jusqu’à maintenant aux seules auditions et tables rondes. J’ai d’ailleurs le sentiment que nous ferons école.

Notre réunion de ce matin marque l’entrée en vigueur de la décision du bureau – et je souhaite la bienvenue aux représentants de la presse – et les images de nos travaux sont diffusées en direct sur internet ainsi bien sûr que sur le réseau intérieur de télévision.

Je crois d’ailleurs que cela en vaut la peine car le rapport de M. Mathus nous parlera beaucoup d’images et je le félicite à cet égard pour la richesse des illustrations qu’il met à notre disposition dans son projet de rapport.

M. Didier Mathus, rapporteur. Je vous présente une proposition de loi qui a peu à voir avec la politique, peu à voir avec la lutte contre le tabagisme – moi-même ne suis pas fumeur –, mais beaucoup à voir avec la protection des œuvres de l’esprit et des œuvres culturelles.

Elle est née de l’observation, dans le métro, des affiches de l’exposition consacrée à Jacques Tati par la Cinémathèque en 2008, sur lesquelles on avait remplacé sa pipe légendaire par un moulin à vent. Intrigué, j’ai mené mon enquête et découvert que la régie publicitaire de la RATP – Métrobus – avait procédé à cette substitution pour se protéger contre d’éventuelles poursuites menées par les associations anti-tabac qui, certes, mènent un combat louable, mais dont les conséquences sont, en l’espèce, surprenantes.

Mais on peut citer d’autres exemples de censure, qui ont fait beaucoup parler d’eux : ainsi, le catalogue de l’exposition sur Jean-Paul Sartre à la Bibliothèque nationale de France, dans lequel une photo a été trafiquée en vue de faire disparaître la cigarette du philosophe, ou le timbre consacré à André Malraux qui reproduit la célèbre photo de Gisèle Freund mais sans cigarette. Il y en a bien d’autres, que je cite dans le rapport.

Ce qui me paraît grave, dans cette affaire, c’est d’avoir cédé sur le respect que l’on doit aux œuvres de l’esprit. Gisèle Freund est une grande artiste. Et pourtant, au nom d’un consensus hygiéniste, pavé de bonnes intentions, on finit par transformer des œuvres d’art et, plus grave, la réalité historique. Cela rappelle – et c’est l’aspect le plus dérangeant – des pratiques qui ont eu cours dans les régimes totalitaires, visant à retoucher des photographies pour faire disparaître des responsables tombés en disgrâce.

Or, à partir du moment où l’on met le doigt dans cet engrenage, qui sait où ce processus peut nous conduire ?

En outre, le combat mené par les associations anti-tabac se réfère à un système de valeurs, parfaitement respectable, mais qui peut évoluer. Or où en sera le consensus social concernant la santé d’ici quinze ans ? Personne ne peut le dire.

Par ailleurs, le fait que Sartre fumait, comme Malraux ou Camus, reflète un certain état de notre société, lequel a bien existé. Cela fait partie de la personnalité publique de ces grandes figures culturelles. Leurs portraits sont le reflet d’un moment précis de notre histoire culturelle.

Pour toutes ces raisons, il est absurde, au nom de la lutte contre le tabagisme, de censurer l’histoire.

En menant mes investigations, je pensais que cette situation aurait pu se régler par des ajustements. Or, avec l’aide de juristes, je suis arrivé à la conclusion que seule une initiative législative permettrait d’apporter une solution au problème rencontré, sans dénaturer, pour autant, les principes de la loi du 10 janvier 1991, relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite loi Évin, lesquels doivent être préservés. Ce texte prévoit en effet plusieurs exceptions à l’interdiction de propagande directe ou indirecte pour le tabac. Je propose donc d’ajouter une autre exception, limitée et qui ne s’appliquera qu’aux œuvres culturelles et artistiques, à certaines conditions.

Plus précisément, cette exception concerne, selon l’article unique de la proposition de loi, les « œuvres artistiques et culturelles mises à disposition du public au sein desquelles figurent une image ou une référence liées au tabac, non financées directement ou indirectement par l’industrie du tabac et qui n’ont pas pour objet d’en faire de la publicité ou de la propagande ».

Vous l’avez compris : mon souci est de ne pas porter atteinte aux dispositions de la loi Évin. Je me suis d’ailleurs entretenu avec l’auteur de ce texte, qui s’est dit étonné de l’application excessive qui en est faite.

Il faut s’interdire de retoucher les œuvres d’art. Car si, aujourd’hui, l’on retouche des affiches ou des reproductions d’œuvres, on peut imaginer que demain – la foi qui anime les associations de lutte contre le tabagisme étant grande et pouvant les emmener assez loin –, on veuille retoucher les œuvres d’art elles-mêmes, des films, des œuvres audiovisuelles, etc.

Si l’on admet un tel principe, il ne faudra pas s’étonner que demain, d’autres groupes de pression, au nom d’autres causes, veuillent porter atteinte à notre héritage culturel. Je vous propose donc, avec ce texte, de renouer avec l’héritage des Lumières, qui est celui de la défense de la liberté d’expression. L’objet de cette proposition de loi est simple et je me réjouis qu’elle puisse cheminer jusqu’à la séance, ce dont je ne m’étais absolument pas douté en la déposant. Je suis heureux, par cette initiative, de me mettre au service du respect de l’intégrité de l’histoire et de la liberté d’expression. Mes collègues du groupe socialiste m’ont approuvé dans ma démarche.

M. Christian Kert, président. Avez-vous insisté sur le fait que pour bénéficier de cette exception, deux conditions doivent être respectées : le non-financement, direct ou indirect, par l’industrie du tabac et le fait que les œuvres en question n’ont pas pour objet de faire la publicité ou la propagande du tabac ? Il est important de le préciser, notamment en ce qui concerne la condition relative au financement par l’industrie du tabac.

M. le rapporteur. Le texte est extrêmement clair à ce sujet : l’exception qu’il prévoit ne bénéficiera pas, évidemment, à une exposition financée, par exemple, par Marlboro. De même, cette exception ne pourra bénéficier aux œuvres ayant pour objet de faire de la publicité ou de la propagande en faveur du tabac.

M. Jacques Grosperrin. Le groupe UMP ne peut qu’être d’accord avec les objectifs de la proposition de loi. J’en comprends tout à fait l’esprit. Au nom de la lutte contre le tabagisme, on veut revenir sur des aspects fondamentaux de notre histoire culturelle. Que serait George Sand en effet sans ses habits d’homme et son cigare ? D’autre part, je ne suis pas sûr que voir la photographie de Winston Churchill sans son nuage de tabac incite beaucoup à quitter la cigarette…

Il faut donc prendre en compte la spécificité des œuvres culturelles et artistiques et la défense des droits des auteurs pour laquelle nous avons, sur d’autres sujets, fait la preuve de notre détermination. Nous devons affirmer que le combat contre le tabagisme est parfaitement compatible avec le respect de l’intégrité de ces œuvres de création.

Dans le même temps, on ne peut que s’interroger sur les moyens qui nous sont proposés par le groupe SRC, c’est-à-dire le vote de cette proposition de loi.

Je formulerai deux interrogations à cet égard :

En premier lieu, ne donne-t-on pas un signal symbolique très fort en touchant à la loi Évin, signal qui pourrait être interprété comme une remise en cause de la lutte contre les dangers du tabac ?

Ensuite, faut-il réellement passer par la voie législative et ne pourrait-on pas aboutir au résultat que nous souhaitons tous en utilisant une autre voie ? Je pense par exemple à une concertation avec les professionnels concernés de la publicité et à une position publique des autorités de santé publique sur l’exception culturelle qui doit être appliquée aux œuvres artistiques et culturelles. J’observe que le rapporteur a lui-même utilisé le terme « ajustements ».

Pour ces raisons, le groupe UMP va demander au Gouvernement, en vue de la séance publique, de s’engager sur une prise de position claire et durable associant le ministère de la santé et le ministère de la culture, afin que les difficultés d’interprétation de la loi Évin sur le sujet qui nous occupe soient levées. Dans l’immédiat, nous ne participerons pas au vote.

M. Marcel Rogemont. J’ai bien compris les propos de notre collègue de l’UMP nous proposant d’emprunter une autre voie, je serais tenté de dire presque une voie sur berge quand elle est inondée… Je voudrais revenir sur ce sujet, qui pour anecdotique qu’il paraisse, est important pour la société.

Rappelons-nous la chanson de Serge Gainsbourg : « Dieu est un fumeur de havanes, je vois ses nuages gris, je sais qu’il fume même la nuit comme moi ma chérie ». Ne faudrait-il pas enlever « fumeur » ? Probablement également « Dieu », parce qu’on ne peut pas mettre Dieu dans une chanson, etc. Je dis cela avec un peu d’humour. Le dessin que Plantu a publié dans Le Monde, le jour où Métrobus a remplacé la pipe de M. Hulot par un moulin à vent est assez délicieux. Il est titré « le politiquement correct a encore frappé dans les affiches du métro ». Sur le dessin, la pipe de M. Hulot a été remplacée par un moulin à vent et le colleur d’affiche ajoute : « la prochaine fois, on virera le gosse pour pédophilie supposée »…

Ce dessin témoigne bien de cette surinterprétation de la loi. Nous devons trancher cette question. La Commission des affaires culturelles doit défendre la liberté de création et la liberté de l’accès à l’œuvre dans son intégrité. Je ne veux pas rappeler la période des photos staliniennes qui étaient sans cesse retouchées en fonction des purges mais, à partir du moment où on autorise la falsification, on ne s’arrête jamais. Enfin, je veux attirer l’attention de mes collègues de l’UMP sur ce qui est en jeu, qui va au-delà du respect de la loi Évin.

En Turquie, dernièrement, une série télévisée sur Soliman le Magnifique a été modifiée parce que l’on voyait Soliman dans son harem buvant de l’alcool entouré par de jolies filles. 75 000 Turcs se sont plaints auprès du CSA turc et le ministre de la culture turc est intervenu au motif qu’il y avait atteinte à la vie privée des personnes qui regardaient la série. On n’est pas loin de cela en France : par rapport à des normes sociales, on en arrive à mettre en cause une œuvre et même la réalité en tant que telle.

Enfin, je voudrais rappeler les propos tenus par Claude Évin lors d’une interview sur France Info en avril 2009, à propos de la substitution de la pipe de M. Hulot : « La loi que j’ai fait adopter a pour objectif de supprimer la publicité directe ou indirecte ; or, dans le cas présent, on n’est pas dans ce cadre, il s’agit du patrimoine culturel ». Il regrettait que cette polémique affaiblisse le message de sa loi. Parce que, pour lui, interdire la publicité pour le tabac est nécessaire mais cela suppose une application raisonnée de la loi.

Le groupe SRC sera bien naturellement derrière Didier Mathus pour que cette proposition de loi soit votée.

Mme Marie-Hélène Amiable. Nous sommes très favorables à la proposition de loi du groupe SRC. Il faut souligner, par ailleurs, les effets très positifs de la loi Évin, dont on vient de fêter les vingt ans : elle a permis une baisse sur le long terme de la consommation de tabac et l’amélioration de la santé de nos concitoyens. C’est aujourd’hui son application qui pose des difficultés particulières concernant la liberté d’expression puisque de nombreuses œuvres artistiques et culturelles ont été censurées ces dernières années. Il est important de trouver un équilibre entre la protection de la santé publique et la liberté d’expression. C’est ce que propose ce texte et nous y sommes favorables.

S’agissant de la retouche photographique, la proposition de loi n’empêchera pas les régies publicitaires de continuer à pratiquer des formes d’autocensure, dans les limites que continuera de leur imposer le droit d’auteur. Fort heureusement le texte n’empêchera pas la retouche photographique qui peut elle-même relever de la création artistique.

Concernant le placement de produit au cinéma et la présentation complaisante du tabac, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a souvent dénoncé la haute visibilité du tabac au cinéma : il y serait trois fois plus présent dans les films que dans la vie réelle et l’OMS a pointé les risques liés à cette exposition, notamment pour les adolescents.

En France, si le placement de produit tabagique est interdit depuis la loi Évin, comment peut-on se prémunir contre les œuvres qui présentent de façon complaisante le tabac ? Comment peut-on agir sur les « happenings » au cours des émissions télévisuelles que regardent beaucoup les jeunes ?

M. le rapporteur. Monsieur Grosperrin, ma première réaction était également de vouloir régler cela autrement que par la loi. Une concertation a déjà eu lieu sous l’égide de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), mais elle n’a malheureusement pas été suivie d’effet, puisque la régie publicitaire de la RATP, Métrobus, a persisté dans sa position très, peut-être trop, prudente. Il m’a donc semblé que la seule façon de garantir, avec beaucoup de précaution, la protection des œuvres culturelles et le respect de l’histoire, était d’ajouter une exception à la loi Évin. Je ne suis donc pas très optimiste sur ce que pourrait donner une concertation professionnelle. À l’inverse, poser ce garde-fou législatif assurerait la protection des œuvres culturelles et le respect de l’histoire.

Depuis vingt ans, deux principes sont confrontés : un principe légitime, la lutte contre le tabagisme qui a été extrêmement positive depuis plusieurs années suite à la loi Évin, et un autre principe, celui de la liberté d’expression, qui a été un peu mise à mal car l’hygiénisme ambiant est très coercitif, très pesant. Il me semble qu’il est du rôle du législateur de rappeler qu’il y a des principes avec lesquels on ne doit pas transiger, comme la liberté d’expression. L’évolution de la société étant ce qu’elle est, les valeurs auxquelles on se réfère aujourd’hui n’étaient pas primordiales hier, et ne le seront peut-être plus demain.

Madame Amiable, je suis en plein accord avec vous sur la nécessité de ne pas toucher à la dynamique de la lutte contre le tabagisme. C’est tout à fait essentiel et encore une fois, dans cette proposition de loi, il ne s’agit pas de ça.

Mme Marie-George Buffet. La loi Évin est une loi remarquable qui demeure d’une grande actualité. Le danger vient aujourd’hui d’une reprise du tabagisme parmi les plus jeunes, notamment les jeunes filles. Il ne faut donc pas tourner la page de ce combat contre le tabagisme qui a marqué des points. À l’époque où j’étais ministre des sports, je me rappelle que l’application de la loi Évin aux Grands Prix de Formule 1 a donné lieu à des affrontements avec les sponsors en France. Nous ne pouvons que réaffirmer notre soutien à cette loi.

Mais, il y a des principes qui sont intouchables comme la liberté d’expression et la préservation des œuvres de l’esprit. Je pense qu’en touchant à une œuvre d’art sous prétexte de lutte contre le tabagisme, on met le doigt dans un engrenage dangereux. Marcel Rogemont a évoqué la Turquie. On pourrait également évoquer la suppression de toute une série de programmes audiovisuels en Afghanistan, il y a un an, parce qu’ils montraient des femmes qui jouaient un rôle important dans la société. D’autres pays sont également concernés. Demain, on pourrait nous expliquer qu’il faut « cacher ce sein qu’on ne saurait voir » et nous dire qu’au nom de la religion, tel ou tel passage d’un livre, d’une chanson doit être censuré. C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons cette proposition.

Mme Monique Boulestin. Si l’on s’en tient à une définition classique des œuvres d’art, parmi lesquelles figurent la photographie ou l’affiche cinématographique, on présuppose qu’elles ne peuvent exister sans une cohérence esthétique et surtout qu’elles sont intemporelles. Par ailleurs, toute œuvre d’art fait partie d’un patrimoine culturel qu’on ne peut rectifier ou censurer au prétexte d’ajustements avec de nouvelles lois. Et enfin, nous l’avons tous rappelé, il convient d’insister sur la nécessité de respecter la liberté d’expression propre à tout créateur. C’est tout l’enjeu de cette proposition de loi. C’est pourquoi nous souhaitons aujourd’hui avoir une approche souple, conciliant les exigences nécessaires de santé publique telles qu’édictées par la loi du 10 janvier 1991 et la protection de la culture, et soutiendrons sans hésitation cette proposition de loi.

Mme Martine Martinel. Mon intervention ira dans le même sens. Il ne s’agit pas du tout de porter atteinte à la loi Évin, et tout le monde reconnaît les méfaits du tabagisme, mais bien d’éviter la dénaturation des œuvres. On a beaucoup moqué Mme de Maintenon qui, dans un souci de puritanisme, a voulu faire rhabiller les statues et repeindre certains tableaux. Il me semble que nous nous trouvons dans la même perspective. Il ne s’agit pas de dire que Prévert ou Malraux étaient de bons écrivains parce qu’ils fumaient ; cela faisait partie de leur personnalité. Il me semble que si l’on veut respecter notre patrimoine culturel – comme nous y invite très largement notre ministre de la culture –, et si l’on veut continuer à préserver la culture pour chacun et surtout la culture pour tous, il serait bon de ne pas changer l’image des auteurs qui font partie de cette vie culturelle.

Mme Colette Langlade. Ainsi que le rappelle le rapport, de multiples exemples témoignent d’une interprétation caricaturale du champ d’application de la loi du 10 janvier 1991. Par exemple, dans le cadre de l’hommage que la France a rendu à André Malraux, La Poste a édité un timbre à l’effigie du grand écrivain sur lequel avait été supprimée la cigarette qu’il avait aux lèvres ; on constate une retouche du même type dans le catalogue consacré à Jean-Paul Sartre qu’a édité la Bibliothèque nationale de France en 2005. La proposition de loi que nous allons voter met fin à cette dérive dans l’application de la loi du 10 janvier 1991 et comble un vide juridique qui subsistait dans ce domaine.

M. Patrick Bloche. Je m’associe aux propos en faveur de cette proposition de loi, qui constitue avant tout une démarche exprimant notre souci que soit tout simplement préservée, au milieu de nombreux interdits, la liberté de création. En l’occurrence, il serait souhaitable qu’en ce domaine, le droit d’auteur, qui est non seulement un droit patrimonial 
– c’est l’aspect le plus souvent évoqué – mais aussi un droit moral, soit préservé. En effet, lorsqu’une photo est prise ou une œuvre composée – et l’on pense plutôt au domaine des arts visuels –, il y a un travail de création.

La mise en cause de l’intégrité de l’œuvre conduit régulièrement à se mobiliser. On remarque que la mobilisation est moins forte lorsqu’il s’agit de création graphique, mais dans le cas présent, il revient au législateur de trouver le bon équilibre entre la lutte contre le tabagisme – et nous souhaiterions qu’il y ait autant de détermination pour lutter contre l’alcoolisme ou d’autres addictions – et la liberté de création, qui est un droit sacré au sens laïc du terme. Je terminerai par une observation qui concerne les critiques que nous recevons sur nos messageries électroniques ; je n’arrive pas à comprendre comment le fait de cacher la réalité de la consommation peut contribuer à lutter avec plus d’efficacité contre des addictions, comme le tabagisme. Cette dissimulation semble illusoire, voire presque dérisoire !

M. Jean-Luc Pérat. Je pense que tout ce qui est artistique fait partie de notre patrimoine et la position de nos collègues UMP m’étonne. En effet, pour ceux qui sont enseignants, et ils sont un certain nombre, la pédagogie consiste à mettre en regard des oppositions, à montrer, afin de provoquer un rejet. D’ailleurs, agir dans un sens pour obtenir une réaction inverse est également valable dans d’autres domaines que celui de la pédagogie. Mais je me pose la question de savoir ce qu’il en sera des films projetés dans les foyers, des westerns, où la cigarette est valorisée, mais aussi des films d’art et d’essai, qui appartiennent à notre patrimoine. Certes, la société évolue et doit prendre en compte la lutte contre certains fléaux, comme la cigarette, l’alcool et d’autres addictions – d’ailleurs, la loi Évin est appliquée par certains à leur domicile, ce qui est positif –, mais notre patrimoine doit être préservé et utilisé dans le bon sens.

M. Alain Marc. Je ne sais pas s’il faut utiliser la voie législative ou réglementaire pour régler ce problème. Je suis, comme mes collègues, très respectueux de l’intégrité des œuvres de notre patrimoine et très attaché à la liberté d’expression. Mais je me pose des questions pour l’avenir, notamment sur les moyens dont nous disposons pour vérifier qu’il n’y a pas de liens entre l’industrie du tabac et les créations à venir. Mais il me semble effectivement difficile d’interdire la représentation du tabac dans les œuvres de création car ce sont des représentations de notre société.

M. Jacques Grosperrin. Vous l’avez compris, le groupe UMP est d’accord avec l’objectif de cette proposition de loi. Les propos des uns et des autres ont bien montré qu’il fallait agir. Je ne reviendrai pas sur l’image symbolique, mais sur le fait que « trop de loi tue la loi » et qu’il ne paraît pas judicieux de réécrire la loi. Il existe certainement une autre possibilité, réglementaire ou peut-être par voie de circulaire, de parvenir à la même fin ; nous nous engageons à y réfléchir et à poursuivre dans l’hémicycle le débat que nous avons en ce moment sur la loi Évin et qui peut être étendu à d’autres types d’interdiction. C’est pourquoi, sans nous opposer à cette proposition, nous ne participerons pas au vote.

M. Marcel Rogemont. Je m’adresse à notre collègue Jacques Grosperrin, qui semble d’accord avec l’esprit, mais souhaite trouver, je le cite, « une autre possibilité ». La question que je lui pose est simple : laquelle ? Nous ne pouvons pas en effet rester, l’arme au pied, devant cette question, une fois qu’elle est posée ; nous devons nous en saisir et trouver la réponse !

M. Jean-Jacques Gaultier. Je m’exprimerai à titre personnel. Tout ce qui est excessif est insignifiant et je condamne toutes ces retouches de photographies, y compris celles d’anciens Présidents de la République comme Georges Pompidou ou Jacques Chirac, qui portent atteinte à notre patrimoine culturel et artistique ; c’est pourquoi je voterai en faveur de cette proposition de loi.

M. Jacques Grosperrin. Pour répondre à Marcel Rogemont, je confirme que le groupe UMP demandera au Gouvernement d’adopter, en vue de la séance publique, une position claire et durable, commune au ministère de la santé et à celui de la culture, en vue d’éviter les dérives de la loi Évin. En attendant de connaître cette position, il ne prend pas part au vote.

M. Christian Kert, président. C’est ce que l’on appelle une non-participation positive !

M. le rapporteur. Je souhaite remercier nos collègues de leur bienveillance à l’égard de cette proposition et faire deux remarques. Tout d’abord, il me semble utile que la représentation nationale se saisisse de cette question. La société a beaucoup changé, comme cela a été rappelé, et l’on n’imagine plus aujourd’hui que l’on puisse être aussi tolérant qu’autrefois avec les questions de santé publique. C’est un progrès que nous ne souhaitons pas remettre en cause, mais nous voyons bien que depuis vingt ans se sont développées des pressions de tous ordres visant à « hygiéniser » la société, parfois de manière un peu excessive. Si, encore une fois, ce mouvement est légitime, il nous appartient cependant de rappeler qu’un certain nombre de principes, dont celui, central, de la liberté d’expression, doivent être protégés. Ensuite, sur les aspects pratiques, il s’agit de combler un vide juridique, comme le disait Colette Langlade. Nous constatons que l’application de la loi Évin a donné lieu à des excès qui ont mis en cause la liberté d’expression et l’intégrité des œuvres culturelles, et nous posons un petit garde-fou. D’une certaine façon, en éliminant les scories de la loi Évin, nous servirons à la fois cette loi, et donc la lutte anti-tabac.

La Commission procède ensuite à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Article unique : Non-application de la loi Évin aux œuvres culturelles et artistiques

La Commission est saisie de l’amendement AC 1 du rapporteur.

M. le rapporteur. C’est un amendement de précision, qui découle d’une conversation que j’ai eue avec M. Serge Tubiana, directeur général de la cinémathèque française ; ce dernier m’a fait observer que dans le cas de l’affiche de Jacques Tati, ce qui était en cause n’était pas l’œuvre en elle-même, puisque l’on peut continuer de voir Tati fumer la pipe dans ses films, mais la reproduction de cette œuvre. Et c’est en fait cet aspect-là qui risque de faire l’objet de dérives ; je n’imagine pas, en effet, que l’on ira jusqu’à retirer dans les films d’Humphrey Bogart la fumée de ses cigarettes.

M. Pierre-Christophe Baguet. Je suis favorable à cet amendement, qui apporte de la clarté au texte.

M. Jacques Grosperrin. Même si nous nous abstenons de voter le texte, nous pouvons nous prononcer sur les amendements qui s’y rattachent, et nous voterons donc l’amendement.

La Commission adopte l’amendement AC 1.

Puis elle adopte l’article unique ainsi modifié, ainsi que la proposition de loi.

La séance est levée à dix heures.

——fpfp——

AMENDEMENT EXAMINÉ PAR LA COMMISSION

Amendement n° AC 1 présenté par M. Didier Mathus, rapporteur

Article unique

Au second alinéa de cet article, après le mot : « culturelles », insérer les mots : « , ou leur reproduction, ».

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 19 janvier à 9 heures :

Présents. Mme Marie-Hélène Amiable, M. Pierre-Christophe Baguet, M. Eric Berdoati, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Monique Boulestin, Mme Marie-George Buffet, M. Édouard Courtial, Mme Pascale Crozon, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Delong, M. François Deluga, Mme Marianne Dubois, Mme Valérie Fourneyron, M. Michel Françaix, M. Gérard Gaudron, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Claude Greff, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, M. Michel Herbillon, Mme Françoise Imbert, M. Olivier Jardé, M. Christian Kert, M. Yvan Lachaud, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Geneviève Levy, M. Apeleto Albert Likuvalu, M. Alain Marc, Mme Muriel Marland-Militello, Mme Martine Martinel, M. Didier Mathus, M. Jean-Philippe Maurer, M. Michel Ménard, M. Michel Pajon, Mme Françoise de Panafieu, M. Jean-Luc Pérat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Jean Roatta, M. Marcel Rogemont, Mme Marie-Hélène Thoraval, M. Jean Ueberschlag

Excusés. Mme Sylvia Bassot, M. Christian Blanc, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Jean-François Copé, M. Bernard Depierre, Mme Martine Faure, M. Pierre Lequiller, Mme Marie-Josée Roig, M. Patrick Roy, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot

Assistait également à la réunion. – M. Jean-Marc Roubaud