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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 8 juin 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Christian Kert, vice-président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la position des chaînes privées françaises face à l’émergence des nouveaux acteurs de l’audiovisuel sur internet

– Informations relatives à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 8 juin 2011

La séance est ouverte à dix heures cinq.

(Présidence de M. Christian Kert, vice-président de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation organise une table ronde, ouverte à la presse, sur la position des chaînes privées françaises face à l’émergence des nouveaux acteurs de l’audiovisuel sur internet, réunissant M. Arnaud Bosom, directeur général adjoint de TF1 chargé de la stratégie, de l’organisation et du marketing groupe, M. Olivier Japiot, directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel, M. Bertrand Méheut, président-directeur général de Canal +, M. Jean-Christophe Thiery, président de Bolloré Média, M. Thomas Valentin, vice-président du directoire de M6, M. Gérald-Brice Viret, directeur délégué du pôle TV de NRJ Group, et M. Alain Weill, président-directeur général de Nextradio TV.

M. Christian Kert, président. J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue aux représentants des chaînes de télévision privées qui ont bien voulu répondre à notre invitation de venir débattre des enjeux et des perspectives ouverts par l’émergence des nouveaux acteurs de l’audiovisuel sur internet.

Merci, Messieurs, d’être présents pour nous informer sur des sujets qui nous préoccupent tout particulièrement depuis que nous constatons que le paysage audiovisuel converge avec l’internet et que cela s’accompagne de toute une floraison d’initiatives portées notamment par les plates-formes internet qui se préparent à la multiplication des téléviseurs connectables.

A la suite du colloque organisé à la fin avril par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur la télévision connectée, nous avons donc souhaité faire le point sur ces évolutions du paysage audiovisuel et sur les analyses et réponses que peuvent nous apporter les chaînes privées.

Une précision à cet égard : nous avons invité les chaînes privées, non par ignorance de la place des chaînes publiques dans ce paysage, mais parce que les enjeux nous semblent particulièrement importants pour le modèle économique des chaînes privées, qu’elles soient gratuites ou payantes.

S’agissant du service public et tout spécialement de France Télévisions, nous aurons l’occasion de revenir sur son positionnement au moment de rendre notre avis sur le contrat d’objectifs et de moyens qui est en cours de négociation avec l’État.

Par ailleurs, si nous avons souhaité recueillir aujourd’hui le sentiment des chaînes de la télévision dite classique, nous entendrons bien évidemment le moment venu les nouveaux acteurs de ce paysage audiovisuel.

M. Arnaud Bosom, directeur général adjoint de TF1 chargé de la stratégie, de l’organisation et du marketing groupe. Le sujet pour lequel vous nous avez invités concerne et préoccupe en effet l’ensemble des chaînes, et TF1 notamment. L’émergence des nouveaux écrans et la mutation des usages numériques des Français sont une réalité et le groupe TF1 fait partie de ceux qui s’en réjouissent. La télévision demeure le premier média préféré des Français, avec une durée d’écoute record pour 2010. Parallèlement, le temps passé sur internet augmente sensiblement : on atteint aujourd’hui trente-cinq minutes par jour et par Français, au regard d’une consommation de télévision d’une durée de trois heures trente. Dans ce contexte dynamique de consommation des médias, le groupe TF1 a conduit de nombreuses initiatives afin de proposer une véritable offre plurimédias de ses programmes, sur tous les écrans du foyer – télévision, ordinateur – mais aussi désormais en mobilité, sur les téléphones et les tablettes.

L’arrivée de ces nouveaux écrans, de plus en plus connectés, permet aux grands acteurs de l’internet d’étendre leurs offres jusqu’au téléviseur, sans être assujettis au même cadre règlementaire que les groupes audiovisuels hexagonaux, qui sont régulés. Quelles en sont les conséquences ? Premièrement, une distorsion de concurrence au regard des obligations de production. Le groupe TF1 soutient la création audiovisuelle et cinématographique au travers des différentes obligations qui lui incombent. Je rappellerai qu’en 2010, TF1 a contribué pour 229 millions d’euros à la création, dont 188 millions pour la fiction française et 41 millions pour le cinéma. Les acteurs de l’internet, souvent transnationaux, ne sont pas soumis à ces obligations ; ils utilisent les contenus pour capter de l’audience et les revenus publicitaires associés. Le chiffre d’affaires généré par la seule recherche sur les moteurs de recherche internet atteint en France un montant de près d’un milliard d’euros pour 2010. En contrepartie, la contribution à la création est de zéro…

Je soulignerai en deuxième lieu une distorsion d’ordre fiscal. Les géants de l’internet ont optimisé leur fiscalité en bénéficiant astucieusement de leur dimension transnationale, ainsi que le montrent deux exemples bien connus : Apple facture sa musique en ligne via sa filiale luxembourgeoise et bénéficie ainsi d’un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 6 % alors que la moyenne européenne est de 19,7 % ; Google, qui occupe une position quasi-monopolistique dans le domaine des liens sponsorisés sur internet, n’a déclaré qu’un chiffre d’affaires en France de 52 millions d’euros en 2009 grâce à la consolidation dans sa filiale aux Bermudes de près de 90 % de son activité hors Etats-Unis, via un montage en Irlande et aux Pays-Bas, ce qui lui permet de réduire son taux d’imposition sur les bénéfices.

Il convient par ailleurs d’évoquer le sujet des décrets relatifs aux services de médias audiovisuels à la demande (Smad) publiés en avril 2010. Ces décrets doivent naturellement s’appliquer à tous. C’est le cas pour les éditeurs. Mais les hébergeurs et les acteurs internet basés à l’étranger seraient, selon nous, susceptibles d’y échapper. Au-delà des chaînes de télévision, c’est l’ensemble des acteurs des médias et des activités culturelles qui sont concernés : la presse, le livre, la musique, le cinéma, la vidéo. Je soulignerai une initiative, celle du Syndicat de la presse quotidienne nationale consistant à créer un kiosque numérique commun dénommé E-Presse Premium et lancé en fin d’année 2010 en réaction au pillage des contenus sur la Toile.

Il convient donc de favoriser et de soutenir les initiatives des acteurs des médias. Récemment, la totalité des chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) s’est mobilisé pour la publication de la charte des éditeurs concernant la télévision connectée. Cela constitue une première étape. Il s’agit de poursuivre et d’amplifier notre coopération dans cette direction ; nous devons y associer les chaînes du câble et du satellite qui représentent une richesse et un élargissement de l’offre sur d’autres vecteurs de diffusion.

Par ailleurs, le standard, au nom quelque peu barbare de Hbbtv, qui combine la diffusion sur la TNT et les contenus provenant d’internet et a déjà été déployé en 2010 en Allemagne sur certains décodeurs satellite, nécessite d’être amplement promu et intégré par les constructeurs de téléviseurs dans leurs nouveaux modèles – cela est déjà annoncé par certains pour septembre prochain.

L’alliance entre ayants droits et éditeur afin de constituer et d’offrir une véritable alternative aux plates-formes vidéo pirates est incontournable. Malgré les obstacles constatés par nos confrères en Grande-Bretagne – BBC, ITV, Channel 4 – ou en Allemagne – ProsiebenSat1, RTL – c’est une voie que nous devons absolument poursuivre.

Les développements du numérique constituent naturellement de nouvelles opportunités pour les groupes audiovisuels. Il ne s’agit pas de résister mais de se situer dans une posture dynamique et innovante. C’est d’ailleurs ce que notre public, nos téléspectateurs, nos internautes, nos mobinautes réclament. Dans ce nouvel espace concurrentiel où chacun peut s’exprimer, les chaînes doivent totalement maîtriser leurs programmes et leurs flux, en particulier sur les téléviseurs connectés. Le déploiement de standards technologiques européens doit être favorisé. Enfin, les contenus diffusés et les contenus connectés doivent être soumis aux mêmes contraintes de régulation et de taxation afin de garantir une compétition équilibrée, une protection des consommateurs et le financement de l’écosystème de la création.

M. Thomas Valentin, vice-président du directoire de M6. La question principale à se poser est de savoir qui finance les programmes de télévision en français : ce sont les diffuseurs, comme dans tous les pays du monde, qui financent la production audiovisuelle et, s’agissant spécifiquement de la France, une grande partie de la production cinématographique. Auparavant, deux acteurs intervenaient : les producteurs et les diffuseurs ; aujourd’hui apparaît une nouvelle catégorie d’acteurs mondiaux qui veulent distribuer et faire circuler des œuvres qu’ils ne financent pas ou peu. Cette question est primordiale car le marché audiovisuel traditionnel était un marché fermé, à dimension nationale, alors qu’internet et l’arrivée des téléviseurs ouverts sur un monde infini permettent de disposer de programmes provenant du monde entier et qui circulent de manière non réglementée.

L’impact de ces évolutions conduit également à souligner que le piratage des œuvres, maintenant qu’il atteint les grands écrans du salon, moins compliqués à utiliser que les ordinateurs puisqu’il suffit d’une télécommande, va devenir encore plus préoccupant qu’aujourd’hui.

La télévision connectée existe déjà aujourd’hui et concerne 20 % des Français, ceux qui bénéficient de la télévision par l’ADSL. Mais il s’agit d’un environnement encadré, et non d’un environnement totalement ouvert. Dans cet environnement, il existe une valeur ajoutée. En effet, les opérateurs exerçant sur le territoire français financent des services et des programmes, alors que dans l’univers de l’internet, ce sont les dimensions du gratuit et du volume qui l’emportent – sans que la qualité soit nécessairement au rendez-vous – mais pas la valeur. Ainsi, une publicité proposée dans un environnement encadré tel que M6.fr ou M6Replay a une valeur trente fois supérieure à la même publicité sur un site non encadré. Il y a donc une plus value apportée par l’opérateur, laquelle contribue au financement de l’industrie des programmes.

La nouveauté de la télévision connectée, c’est l’« hyperchoix », auquel il faut répondre, mais pas en créant un « hyperchoix » de chaînes, au contraire : il faut faire en sorte que les chaînes de télévision soient fortes, en nombre limité, avec des programmes identifiés et bien financés. Leur nombre doit être limité pour une raison simple : ce n’est pas parce qu’il y a davantage de chaînes qu’il y a davantage de financement. Aujourd’hui, en effet, on ne constate pas d’élasticité à l’offre de l’investissement publicitaire qui est lié à des considérations économiques tout à fait extérieures au secteur de la télévision.

L’ouverture permise par la télévision connectée et la consommation délinéarisée de télévision est une opportunité à plusieurs titres. C’est bien évidemment la modernité et la réponse à la demande du téléspectateur, qui passe plus de trois heures et demie par jour à regarder des programmes de télévision et désire les voir sur tous les écrans ou en décalé. Par ailleurs, un financement complémentaire pour l’industrie de la création devient envisageable. Enfin, de nouveaux services correspondant aux besoins des téléspectateurs peuvent être offerts.

En ce qui concerne le groupe M6, il y a toujours eu une volonté d’innover avec notamment le satellite lors de la création de TPS, la télévision haute définition, le rôle pionnier de l’investissement dans la télévision de rattrapage avec M6Replay. La nouvelle technologie et l’ouverture sur le monde de la télévision connectée nécessitent aujourd’hui une adaptation des règles à cet environnement ouvert dont les acteurs ne sont pas soumis au même encadrement que les télévisions françaises. Je prendrai l’exemple de la consultation lancée récemment sur la possibilité de diffuser des films le samedi soir à la télévision. Plusieurs questions peuvent se poser : quels films, quels horaires, quels volumes, et pourquoi pas d’autres jours comme le vendredi soir, ou le dimanche dans la journée, puisque depuis quarante ans, les chaînes gratuites ne peuvent pas diffuser du cinéma dans ces créneaux. Le patron de MegaUpload, site pirate, et pour autant payant, de vidéo à la demande, doit en rire, lui qui peut proposer des films sans demander l’autorisation à quiconque !

En réalité, si nous voulons continuer à protéger et à financer l’industrie des programmes en France, il faut pouvoir s’adapter pour relever le défi de la télévision connectée. Cela passe également par la protection des droits en faveur des diffuseurs qui offrent un véritable service. Il faut éviter que la circulation des œuvres permette à ceux qui ne les financent pas de s’accaparer les droits de ceux qui en ont assuré le financement. Enfin, il conviendrait de revenir sur le dogme de la séparation entre les activités de production et de diffusion, ce qui conduit à un émiettement du secteur. En effet, on constate dans le même temps que la plupart des sociétés de production françaises appartiennent à des diffuseurs étrangers et qu’Hollywood résiste aux assauts de Google car les producteurs et les diffuseurs ont des intérêts communs.

M. Bertrand Méheut, président-directeur général de Canal +. La télévision connectée est une réalité qui va se développer très rapidement. Il ne faut pas opposer les offres dites linéaires des chaînes de télévision classiques et les offres délinéarisées de contenus disponibles à la demande, qui sont le fait notamment de nouveaux acteurs. Demain, les téléviseurs permettront, au travers de vignettes présentes sur l’écran, d’accéder à tous les contenus imaginables. Les réponses du groupe Canal + consistent à être présent dans les deux modes de diffusion, linéaire et délinéarisée, avec des marques fortes et des contenus très puissants et différenciés. A cet égard, le groupe Canal + dispose d’ores et déjà de marques très fortes et nous négocions actuellement avec les fabricants pour qu’elles soient présentes sur les téléviseurs connectés, et compte tenu de notre notoriété nous y parvenons.

Vouloir limiter le nombre de chaînes en diffusion linéaire est un leurre absolu et sera sans effet pour le consommateur puisqu’un nouvel acteur comme YouTube annonce, lui, la création de vingt chaînes qui seront disponibles directement sur le téléviseur. Nous considérons quant à nous que nous devons multiplier les offres dans tous les domaines, le gratuit et le payant, la vidéo à l’acte et par abonnement… Il faut anticiper l’arrivée d’un acteur comme Netflix qui a vingt-trois millions d’abonnés aux Etats-Unis à des offres de vidéo à la demande et qui a prévu de s’implanter en Espagne l’année prochaine. Netflix achète déjà des droits mondiaux pour les séries que les diffuseurs traditionnels avaient l’habitude d’acquérir. Nous devons être aussi fort que ce type d’acteur pour offrir à nos concitoyens des contenus qu’ils attendent et qui soient très différenciés par rapport à ce que ces acteurs auront pour habitude de diffuser.

La question du financement de la création, de la diffusion du sport et autres événements, de tout ce que nous avons l’intention d’avoir en exclusivité dans nos offres, qu’elles soient de télévision gratuite ou de télévision payante, se pose effectivement. On constate aujourd’hui que ce financement est de plus en plus difficile. Par exemple, en France en 2010, un film de cinéma sur deux n’a pas trouvé de financement de la part des chaînes de télévision gratuite, qui remplissent bien évidemment leurs obligations mais concentrent leurs investissements sur des programmes qui rassemblent sans doute davantage de téléspectateurs. La proportion atteint 70 % des films dits « du milieu », ceux dont le budget est raisonnable. Pour ce qui nous concerne, nous voulons, à travers tous les modes d’exploitation, contribuer à ce financement afin de disposer de contenus distinctifs qui ne seront pas accessibles en première diffusion auprès d’autres acteurs.

Dans le domaine de la création originale, en particulier la fiction, nous devons nous mettre au niveau de standards que nous n’arrivons pas aujourd’hui à atteindre en France. Ainsi, en fiction française, le coût de production est d’environ 600 000 euros de l’heure. Canal + investit davantage, environ un million d’euros de l’heure. Mais ce n’est pas suffisant puisque les grands networks américains engagent jusqu’à trois millions d’euros de l’heure. Notre ambition est d’arriver, par des accords paneuropéens, à construire des projets très exclusifs permettant de parvenir à ce niveau de financement en mettant à contribution des offres de télévisions à la fois gratuite et payante.

Notre réponse n’est donc pas de limiter les offres, mais bien plutôt de les étendre pour conforter ces financement et proposer des contenus très exclusifs, très locaux, différents de ceux qui seront directement mis à disposition par les nouveaux acteurs sur les télévisions connectées, en étant présents dans toute la chronologie des médias.

M. Jean-Christophe Thiery, président de Bolloré Média. La télévision connectée est effectivement déjà une réalité, notamment chez les plus jeunes téléspectateurs qui n’ont d’ailleurs pas besoin d’un téléviseur puisqu’ils disposent de téléphones intelligents et de tablettes. La télévision connectée va dans le sens de l’histoire, c’est une certitude ; s’y opposer serait faire preuve d’aveuglement, il suffit de rappeler ce qu’il est advenu des éditeurs de musique qui ont préféré ignorer les évolutions des consommations numériques.

En revanche, une incertitude existe sur la vitesse de généralisation de la télévision connectée. Une partie de la population, notamment en raison de son âge, ne devrait pas s’y intéresser. Par ailleurs, le plaisir de la télévision passe aussi par la non connexion… Enfin, la télévision connectée a déjà connu des échecs.

En tout état de cause, l’activité des éditeurs va être bouleversée. Pour les plus importants d’entre eux, les modèles vont nécessairement changer, par exemple pour les acquisitions de programmes qui, aujourd’hui, peuvent être générateurs de beaucoup d’audience. La question est encore plus cruciale pour les plus petits opérateurs qui ont déjà du mal à se faire une place parmi les deux cents chaînes du câble et du satellite. Pour tous, un risque pèse sur les revenus : d’une part, il est impossible de savoir si les espaces publicitaires seront proposés au même prix sur les offres délinéarisées que sur les offres traditionnelles ; d’autre part, ces revenus pourraient être cannibalisés par les nouveaux acteurs.

Nous avons donc besoin d’une certaine protection afin d’assurer une concurrence équitable avec ces nouveaux acteurs. La situation est différente de celle de la naissance de la TNT, lorsque les nouveaux entrants pesaient peu par rapport aux acteurs historiques. Aujourd’hui, la valorisation des nouveaux acteurs peut atteindre 300 milliards de dollars, contre 2 à 3 milliards d’euros pour les groupes français. Un exemple de règle à harmoniser concerne la diffusion des films : pourquoi interdire une case horaire à un diffuseur traditionnel sans que les autres acteurs soient soumis aux mêmes obligations ?

Le changement des conditions de concurrence va obliger les éditeurs à modifier leur modèle, à travailler sur davantage d’exclusivités monnayables, à développer leurs marques et à diversifier leurs activités pour ne plus dépendre principalement des recettes publicitaires. Un groupe jeune comme Bolloré Média peut trouver sa voie dans ce nouvel univers concurrentiel en se situant aux différentes étapes de la chaîne de valeur. Il s’agit bien sûr de l’édition de chaînes, avec Direct 8 et Direct Star, mais aussi des efforts fournis en matière de production, dans le magazine et le cinéma notamment, en matière de communication et d’études pour être au plus près des téléspectateurs. Dans le contexte de convergence qui se dessine, il nous paraît également important d’être présent dans la technologie, d’où le développement du groupe Bolloré dans les télécommunications et la téléphonie de quatrième génération.

S’agissant de la problématique de la création ou non de nouvelles chaînes, il faut rappeler la crise de 2008 et la chute très importante des recettes publicitaires des chaînes historiques dont le secteur se relève à peine maintenant. Pour Direct 8, les investissements consentis atteignent 250 millions d’euros depuis 2005 et la chaîne arrivera enfin à l’équilibre à la fin de l’année. A ce moment même de notre histoire, il nous paraîtrait dangereux pour notre équilibre et notre avenir de créer de nouvelles chaînes, surtout gratuites, qui proposeraient une nouvelle offre publicitaire et conduiraient à une pression à la baisse sur les prix par un effet purement mécanique.

M. Alain Weill, président-directeur général de Nextradio TV. Le développement d’une concurrence télévisuelle venue d’internet est déjà une réalité et, personnellement, je n’en ai pas peur car je crois à la puissance de la diffusion hertzienne. Dans le domaine de l’information, je crois au savoir-faire et à l’expérience, à la force d’une chaîne comme BFM TV qui emploie 250 personnes et que regardent près de dix millions de personnes par jour et trente-cinq millions par mois. Cela, seule la télévision hertzienne le permet car aucun site internet d’information n’atteint ces audiences. La diffusion hertzienne reste donc aujourd’hui un support extrêmement performant.

Pour que nous puissions continuer à rivaliser avec les nouveaux acteurs sur internet, il faut donner la possibilité à des groupes indépendants comme le nôtre de se battre avec les mêmes armes. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.

Afin de renforcer les télévisions hertziennes face à la télévision connectée, il faut que le secteur de l’hertzien fasse preuve d’initiative et de dynamisme. Il est ensuite nécessaire de rééquilibrer la réglementation pour éviter les divergences entre les deux modes de diffusion. Au demeurant, la télévision connectée peut être une opportunité pour valoriser les programmes hertziens.

La priorité est donc de dynamiser l’offre hertzienne en enrichissant l’offre de TNT gratuite. Il ne s’agit pas de créer des dizaines de chaînes, ni de lancer des chaînes qui viendraient concurrencer directement et durablement les grands acteurs historiques qui ont un rôle important dans le paysage audiovisuel. Sans remettre en cause l’équilibre de ces grands acteurs, il est important d’envisager de nouvelles chaînes thématiques correspondant à des offres qui ne sont pas présentes sur le marché actuel de la télévision : le sport – nous avons beaucoup d’idées dans ce domaine –, le documentaire, les programmes du patrimoine... C’est en élargissant l’offre qu’il est possible de retarder le succès de la télévision connectée, faute de quoi cette dernière attirera rapidement tous les téléspectateurs qui y ont accès. Or, ce secteur étant totalement dérégulé, je ne suis pas certain qu’il soit dans l’intérêt du public, ni dans l’intérêt général, de privilégier l’essor de la télévision connectée – même s’il ne faut pas l’empêcher – au détriment de la télévision hertzienne.

Une entreprise est condamnée à la croissance. Les acteurs historiques ont pu tout à fait légitimement se développer et compter jusqu’à sept chaînes nationales. Pour ce qui nous concerne, avec une seule chaîne, nous sommes un acteur marginal et qui aura du mal à survivre dans ce contexte. Vouloir limiter les créations de nouvelles chaînes se conçoit sans doute mieux lorsqu’on en dispose déjà de plusieurs… Nous sommes quelques-uns à avoir besoin de croître, sans qu’il faille bien sûr aller jusqu’à une multiplication de chaînes. Si nous pouvons bénéficier demain d’une chaîne sportive avec un point de part d’audience, cela ne déséquilibrera tout de même pas le paysage de la télévision. En revanche, lancer des chaînes généralistes sur le même terrain que les chaînes historiques serait peut-être plus contestable. En tout état de cause, les lancements de chaînes doivent se faire dans un environnement équilibré et régulé.

Nous sommes tous d’accord qu’il est nécessaire, à l’occasion de l’émergence de la télévision connectée, de revoir les règles. Davantage que sur les questions de production qui nous concernent moins puisque nous ne faisons que de l’information, j’insisterai à cet égard sur la réglementation des secteurs interdits de publicité à la télévision. Ces interdictions ont perdu le sens qu’elles ont pu avoir il y a vingt ou trente ans. Aujourd’hui, ce n’est pas bon pour le secteur du cinéma, si important en France, d’être interdit de publicité. Il fallait certes jadis protéger les producteurs nationaux contre les multinationales américaines qui seules pouvaient acheter des espaces publicitaires ; mais, à l’heure actuelle, la situation du marché publicitaire n’est plus la même. De la même façon, le secteur de l’édition littéraire n’a pas accès à la publicité télévisée, mais peut être présent sur la télévision connectée : cela n’a pas de sens. La conséquence en est que les diffuseurs classiques ne bénéficient pas des ressources correspondantes alors qu’un acteur comme Google, lorsqu’il se lancera, attirera bien évidemment la publicité pour le cinéma.

Pour toutes ces raisons, il nous paraît nécessaire d’anticiper l’arrivée de la télévision connectée en la considérant comme une opportunité, surtout si nous pouvons nous développer sur la diffusion hertzienne. Au-delà de la charte signée par l’ensemble des chaînes, nous devons également avoir la garantie que nous pourrons garder le contrôle de notre image. Il n’est pas envisageable que, demain, des acteurs qui distribueront la télévision connectée puissent porter atteinte à l’intégrité de notre image, par exemple en ajoutant des logos de parrainages ou des informations qui leur sont propres aux images dont nous avons la propriété. Nous sommes très attachés à obtenir cette garantie.

S’agissant des aspects concrets de la télévision connectée, si je prends l’exemple de BFM TV, cela signifie que sur l’écran du téléviseur, chacun aura la possibilité de regarder la chaîne en direct, mais aussi des reportages en différé, une synthèse des reportages sur une même thématique ; chacun pourra également choisir le contenu du bandeau d’information défilant en bas de l’écran, ou sélectionner des informations boursières spécifiques. Un ensemble de vignettes entoureront l’écran principal avec les fonctionnalités accessibles.

Internet est donc une chance pour enrichir nos programmes et le nouveau paysage marque l’urgence de renforcer notre offre de télévision hertzienne. Ce secteur de la télévision hertzienne, qui est un secteur moderne, doit être dynamisé : il faut pour cela que le CSA lance l’appel à candidatures envisagé depuis un an. Pour nous, en tant qu’entreprise, c’est une perspective fondamentale ; c’est important également pour le pluralisme de l’information, ainsi que pour le CSA lui-même et la notion de régulation. Il faut éviter que le secteur de la télévision hertzienne devienne un secteur en difficulté marqué par la régression, à l’image de la presse quotidienne nationale. Il est nécessaire au contraire de lui donner une dynamique en levant les carcans et en assouplissant les règles.

M. Gérald-Brice Viret, directeur délégué du pôle TV de NRJ Group. NRJ 12 est un acteur indépendant, un nouvel entrant sur la TNT depuis 2005 et isolé puisque nous ne disposons que d’une seule chaîne. L’arrivée des nouveaux entrants en 2005 n’a pas bouleversé l’économie des chaînes généralistes historiques, et nous pensons également qu’il y a encore de la place pour des chaînes thématiques. Nous avons nous-mêmes deux projets, une chaîne de patrimoine dénommée « Nostalgie HD » et une chaîne destinée aux femmes, « Chérie HD ». Nous considérons nécessaire de renforcer les nouveaux entrants dans le contexte de la télévision connectée.

La télévision telle que nous la voyons comporte à la fois une chaîne linéaire, la télévision de rattrapage – qui constitue déjà pour certaines émissions près de 10 % d’audience supplémentaire – et une dimension communautaire qui signifie notamment qu’internet peut amener des téléspectateurs devant la télévision. On a déjà constaté en effet que des milliers de téléspectateurs peuvent échanger entre eux sur les réseaux sociaux à propos de certaines émissions. Nous pensons donc que la production peut être en interaction avec internet.

Les chaînes classiques contribuent totalement au financement de la production française : si nous sommes menacés, la production française le sera également à terme et c’est pourquoi le législateur doit intervenir. Contrairement à ce qu’on peut entendre ou lire, les nouveaux entrants investissent dans la production – NRJ 12 a investi près de 45 millions d’euros depuis sa création et nous sommes les premiers producteurs de documentaires sur la TNT.

La télévision connectée est une menace pour nous si n’importe quel acteur peut proposer des programmes sans contraintes d’horaires de diffusion ni obligations de production. Notre économie serait mise en péril et nous arrêterions de financer la production française. Mais il s’agit certainement d’une opportunité car la télévision était partie sur internet depuis quelques années et la télévision connectée a pour effet de mettre internet sur le téléviseur. Comment faire pour que cette nouvelle attractivité du téléviseur profite à la télévision et à la création audiovisuelle, telle est la question. La réponse passe par la protection des acteurs de la télévision en France en raison du rôle majeur qu’ils jouent en faveur de la création. En effet, la télévision va encore plus nous obliger à renforcer notre rôle d’éditeur afin de proposer des programmes de qualité et exclusifs, avec des contenus encore plus originaux. Voici l’opportunité pour la production audiovisuelle française, notamment la fiction et les nouvelles écritures – lesquelles ne sont pas réservées à internet.

Les chaînes de télévisions seront donc amenées à se distinguer en affirmant leur positionnement éditorial et leur politique de marque. Il sera également nécessaire de développer la puissance événementielle de chaque antenne en renforçant les émissions de direct. Le rôle des pouvoirs publics et des autorités de régulation est déterminant pour aider les chaînes à tirer profit d’internet et ne pas en être victimes. A cet égard, nous attendons beaucoup de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet – Hadopi – dans sa lutte contre l’exploitation illicite des œuvres audiovisuelles et cinématographiques que nous aurons contribué à financer.

Enfin, une consultation est en cours sur l’élargissement des créneaux de diffusion des films de cinéma à la télévision : c’est une excellente initiative, mais il conviendrait de pousser cette logique d’actualisation de la réglementation pour tenir compte des nouvelles réalités. Il faut ainsi s’interroger sur un assouplissement du dispositif des heures dites de grande écoute pour les œuvres audiovisuelles puisque toutes les œuvres sont désormais disponibles à tout moment sur internet, y compris dans le cadre d’offres légales. Est-il pertinent de maintenir des obligations de diffusion restrictives pour la télévision linéaire ?

Par ailleurs, la question se pose de la qualification des programmes de flux, auxquels nous consacrons d’énormes moyens financiers. Ces programmes ne sont pas comptabilisés dans les obligations de production alors qu’ils font l’événement et participent de cette nécessité pour les chaînes de se distinguer de l’offre sur internet. La réglementation française sur ce point est la plus contraignante d’Europe et ne prend en considération que la fiction ou le documentaire qui relèvent en quelque sorte de genres nobles. Les programmes de flux exigent pourtant beaucoup de créativité audiovisuelle et soutiennent la création et le maintien de milliers d’emplois. Une évolution des règles pourrait consister à intégrer un minimum de programmes de direct dans les obligations de production. Cette mesure pourrait contribuer à revaloriser l’écran de télévision et à lui donner une puissance nouvelle face aux nouveaux acteurs de l’internet.

Mme Marie-George Buffet. J’entends bien la demande de réglementation, de protection des opérateurs de télévisions privées, mais la libre concurrence ainsi que la mondialisation libérale ont parfois des inconvénients…

J’ai été très sensible à l’intervention de M. Méheut pour qui, sans écarter tout dispositif nouveau en ce qui concerne la réglementation, le développement des chaînes passera par l’élargissement de l’offre de programmes, leur diversification, la qualité de ces programmes et productions financés par ces chaînes. Si certaines d’entre elles souffrent, c’est certainement à cause d’une désaffection des téléspectateurs liée à la non réponse à des attentes sur la qualité, à des attentes culturelles, d’ouverture à différentes cultures ou connaissances, aux différents débats qui les intéressent.

Ma première question concerne le CSA : quel élargissement de ses prérogatives serait-il nécessaire pour que le CSA puisse réguler les programmes des opérateurs internet ? Par ailleurs, quels pourraient être les moyens de protection des droits des financeurs de programmes contre toute forme de piratage ?

Mme Françoise de Panafieu. Nous sommes conscients des problèmes que vous allez avoir à affronter et c’est une véritable révolution à laquelle nous avons tous à faire face.

La concurrence est une réalité et vouloir l’ignorer, c’est se condamner. Néanmoins, s’il faut envisager la multiplication des chaînes, pour autant, la manne n’est pas extensible à l’infini et l’on risque de fragiliser tout un secteur. Ne peut-on s’inspirer d’autres pays ? Où en sommes-nous par rapport à l’Allemagne, à l’Italie ?

Certains d’entre vous semblent penser que l’accroissement des chaînes n’aboutit pas forcément à une augmentation des ressources publicitaires, mais nous avons aussi en mémoire qu’après la crise, les ressources publicitaires des chaînes historiques se sont redressées et les nouveaux entrants obtiennent des résultats qui paraissent également flatteurs. N’est-ce pas la preuve que le marché publicitaire peut se retrouver dynamisé par la multiplicité des écrans ?

L’accroissement de l’offre va conduire à une redistribution de l’audience qui va elle-même aboutir à la disparition de certains quasi-monopoles, notamment pour les chaînes historiques. Comment peut s’opérer cette redistribution ?

M. Patrick Bloche. Ce dont nous parlons ne va pas se produire demain, cela arrive dès aujourd’hui si nous nous référons au chiffre que le Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques – Simavelec – nous a communiqué et qui indique que, en 2013, 80 % des téléviseurs seront connectables. Le téléspectateur peut certes appréhender cette évolution d’une manière positive car cela lui permet de choisir les programmes à la carte, mais notre préoccupation en tant que Commission des affaires culturelles porte sur le devenir du dispositif patiemment construit au fil du temps qui a conduit les diffuseurs audiovisuels à être les contributeurs essentiels du financement de la création et notamment de la production audiovisuelle et du cinéma.

Faut-il plus ou moins de chaînes ? Ce débat vous a divisés. Il est étonnant, M. Valentin, de vous entendre vous opposer à de nouvelles chaînes alors que vous avez bénéficié pour la deuxième fois en 2007 d’une chaîne « bonus » sur la TNT. Même s’il existe une menace bruxelloise sur ces chaînes bonus, il serait intéressant que les chaînes qui les ont obtenues s’expriment, Canal + ayant dévoilé ses projets la première à la surprise générale en annonçant une chaîne gratuite alors qu’on attendait une chaîne payante. A la suite de la réaction des autres chaînes historiques, une mission a été confiée par le gouvernement à M. Michel Boyon, président du CSA, ce que nous avons vécu comme un moyen de retarder l’échéance.

La question du financement des programmes est déterminante, surtout lorsqu’on suit l’exposé très convaincant de M. Méheut sur la nécessité de marque fortes et de contenus distinctifs et très différenciants. La qualité ayant un prix, comment allez-vous pouvoir financer ces programmes, surtout si vous souhaitez être compétitifs par rapport à Apple TV, Google TV ou d’autres grands acteurs de l’internet ?

Sur la circulation des œuvres, faut-il revoir les « décrets Tasca » ?

Qui, selon vous, sera à l’avenir l’agrégateur des contenus que nous regarderons ?

M. Jacques Grosperrin. Le nombre d’heures passées devant la télévision en France qui est stable, est de l’ordre de 3 heures 20 à 3 heures 30 par jour. Chez les 12-17 ans, c’est 16 heures en ligne sur internet par semaine, contre 14 heures devant leur télévision.

Les téléviseurs étant de plus en plus connectés à internet, la remise en cause qui s’annonce des équilibres du secteur de l’audiovisuel en rendant plus vive la concurrence d’internet peut-elle modifier certains métiers des acteurs de ce secteur ?

Quel est l’impact des différences de traitement réglementaire entre services audiovisuels régulés et services non régulés ?

Comment répondre à la question de la contribution des éditeurs internet à la création audiovisuelle, ce qu’ils ne font pas à l’heure actuelle ?

M. Marcel Rogemont. La télévision connectée soulève plusieurs questions relatives à l’harmonisation fiscale, aux règles de financement de la production, à l’intégrité des contenus, à l’accès non discriminatoire à tous les éditeurs de services, à la protection des données.

Le dialogue que nous avons avec vous nous permet d’éclairer l’environnement dans lequel vos entreprises vont devoir évoluer. De votre côté, avez-vous eu ou envisagez-vous des contacts avec Apple, Google, Netflix …? Comment nourrissez-vous le dialogue avec ces nouveaux acteurs ? Comment le développement de vos offres non linéaires intègre-t-il cet environnement ?

S’agissant de la stratégie définie par Canal + et consistant à affirmer sa singularité pour provoquer en quelque sorte la demande, cela est-il suffisant dans un univers de l’offre ?

Des contacts ou des alliances existent-ils entre vous ou avec d’autres, par exemple à l’échelon européen ?

M. Jean-Jacques Gaultier. Dans la confrontation entre un monde national très régulé, avec ses contraintes, ses obligations, ses règlements, et un univers mondialisé totalement dérégulé, l’émergence du télénaute pose la question de savoir comment résister au rouleau compresseur de Google, d’Apple ou des opérateurs internet.

Il y a un double enjeu, le premier étant technologique : on le voit avec le standard industriel Hbbtv qui a par exemple été mis en œuvre notamment pour la retransmission du toutnoi de tennis de Roland-Garros. Ce standard permettra également aux consommateurs et aux téléspectateurs de s’y référer. Il y a surtout un enjeu de marque et de droits, avec un risque énorme qui est l’accès direct aux contenus et une fragilisation des diffuseurs qui entraînerait celle du financement de notre création. Même si chacun souligne l’opportunité que constitue la télévision connectée, on dénote une certaine prudence de la part des chaînes, pour des raisons parfaitement compréhensibles qui tiennent par exemple à leur volonté de maîtriser le signal ou de lutter contre le piratage. Cette prudence s’explique peut-être également par une audience difficilement mesurable et donc peu monétisable par la publicité.

Certains partenariats avec des fabricants de téléviseur ayant déjà été noués, vont-ils être reconduits, d’autres vont-ils être mis en place ?

La diffusion en direct des chaînes est-elle prévue ?

S’agissant de la proportion de contenus audiovisuels sur internet, qui financera le coût de la bande passante quand la vidéo va occuper 90 % du web, n’y a-t-il pas là un risque pour le consommateur et le téléspectateur ?

Mme Colette Langlade. Les chaînes entendent rester maîtresses de leurs programmes et vous proposiez une communication spécifique qui devait être effectuée auprès des consommateurs. Où en êtes-vous ?

Quelle est votre position sur la possibilité pour des tiers d’incruster des contenus ou des services autour de vos programmes ? On suppose que les chaînes ne vont pas l’autoriser si cela entraîne une perte de ressources publicitaires.

Avec cette rencontre de l’univers de la télévision, qui est régulé, et d’internet, qui ne l’est pas, comment assurer notamment la protection de l’enfance ? En effet, alors qu’une signalétique existe pour les chaînes de télévision, les enfants pourront avoir accès à des contenus internet sur leur téléviseur. Où en est votre réflexion avec le CSA ?

M. Alain Marc. La réflexion sur la télévision connectée amène à considérer les aspects culturels d’un point de vue global. A cet égard, il pourrait effectivement être utile de réfléchir aux incidences du foisonnement de chaînes qui s’annonce sur les règles en matière de publicité à la télévision pour le cinéma ainsi que pour la littérature.

M. Michel Françaix. Avec la TNT, nous étions passés de la pénurie à l’abondance et il n’était pas étonnant de voir les chaînes historiques réticentes même si elles s’en défendaient. Aujourd’hui, nous passons du fini à l’infini et l’on ne s’étonne pas non plus de voir les nouveaux entrants rejoindre les chaînes historiques sur une position de prudence, c’est légitime.

La situation est marquée par une stabilité de la consommation de la télévision. Les jeunes, notamment, regardent autant la télévision qu’avant. La télévision connectée peut-elle amener un nouveau public, de la même façon que la presse gratuite a amené de nouveaux lecteurs ? Comment appréhender cette question de manière positive, plutôt que freiner des quatre fers sans d’ailleurs parvenir à stopper le mouvement ?

Vous avez un rôle essentiel – avec le service public – qui est de financer le cinéma. Il est donc nécessaire de réfléchir sur la façon dont les règles qui vous concernent peuvent être revues. De la même manière, il faut s’interroger sur la séparation entre diffuseurs et producteurs : est-elle toujours pertinente et peut-on la faire évoluer ?

J’ai été particulièrement sensible à l’importance donnée à la marque. En tout état de cause, ceux d’entre vous qui auront les stratégies les plus claires auront un atout supplémentaire pour leur réussite.

Mme Marie-Hélène Thoraval. La nécessité du développement de l’offre passe, selon vous, par une certaine spécialisation qui permet notamment des services associés personnalisés en fonction du téléspectateur. A cet égard, considérez-vous qu’une stratégie de fidélisation du téléspectateur puisse être un rempart pour la télévision linéaire par rapport à la concurrence de la télévision connectée ?

Avez-vous des préconisations plus précises sur la régulation de la télévision connectée et pensez-vous que des mesures nationales seraient pertinentes pour un marché mondial ?

M. Jean-Luc Pérat. On peut constater que l’évolution des attentes de nos concitoyens est un véritable enjeu pour ce vingt-et-unième siècle en matière de télévision et que l’offre proposée suscite et provoque des besoins forts, les modifie et, surtout, les oriente.

Envisagez-vous une stratégie commune de partenariats, une méthodologie pour rassurer certaines catégories de téléspectateurs, notamment les personnes âgées ?

Disposez-vous d’une analyse fine des attentes des téléspectateurs ?

Certains d’entre vous ont évoqué la montée en puissance du sport : envisagez-vous de promouvoir certains sports souvent ignorés ou peu médiatisés ?

Quant à la fiction française, qui a évolué positivement, comment voyez-vous son évolution car la qualité m’apparaît indispensable et incontournable ?

M. Eric Berdoati. Au moment où se dessinait l’arrivée de la TNT, je participais au sein du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes – CFPJ – à une réflexion sur les nouveaux métiers induit par la nouvelle technologie. A l’époque d’ailleurs, les hésitations de TF1 relevaient moins d’un réflexe de protection que d’une incertitude sur l’enjeu stratégique avec son impact en termes de recherche et de développement, de coûts de grille et d’amortissement et donc de capacités à les financer par des recettes conséquentes.

Votre métier s’apparente à une industrie dont les deux composantes complexes sont les « tuyaux », d’une part, et les contenus et la création, d’autre part. Aujourd’hui, en termes stratégiques, et même si certaines choses doivent bien évidemment rester de l’ordre du confidentiel, comment l’arrivée de la télévision connectée s’intègre-t-elle dans cette bipolarité ?

Est-ce qu’elle amènera un nouveau public qui pourrait induire de nouveaux comportements ?

Enfin, sans émettre d’objection de principe au développement des chaînes thématiques, j’aimerais avoir davantage d’explications sur ce que pourrait être une chaîne consacrée aux femmes. Il me semble que la segmentation des cibles en la matière peut être contre-productive pour les femmes elles-mêmes…

Mme Françoise Imbert. Je souhaite également demander à M. Viret pourquoi une chaîne spécifique pour les femmes.

S’agissant des incidences de la stratégie des chaînes sur le personnel et les journalistes, la diffusion d’informations ne risque-t-elle pas d’être traitée comme un produit marketing avec un objectif de rentabilité au risque d’appauvrir la qualité ? Les personnels et journalistes ne risquent-ils pas d’être utilisés comme une main d’œuvre malléable, un fournisseur infatigable de contenus sans qualité car demandés sous la pression par de multiples opérateurs ?

Mme Martine Martinel. Qu’attendez-vous les uns et les autres de l’action de la Hadopi ?

Où en est-on de la mission demandée par Frédéric Mitterrand sur la télévision connectée ? Je rappelle que cette mission a notamment pour objet d’identifier les enjeux de régulation et de compétitivité et de prévenir les éventuels effets négatifs de la télévision connectée sur la production et la diffusion audiovisuelles.

Quel va être le rôle du CSA et de la régulation dans ce domaine ?

M. René Couanau. De quels moyens juridiques, techniques, financiers devons-nous disposer pour éventuellement étendre la régulation à la télévision connectée ? Jusqu’où étendre cette régulation et pour quoi faire, étant entendu qu’il faut éviter de consolider des monopoles et refuser le protectionnisme, le tout sans réduire notre capacité à produire des programmes et à créer des oeuvres ? Comment conjuguer ces impératifs ?

M. Alain Weil. S’agissant de la nécessité ou non de créer de nouvelles chaînes, je souligne que je suis tout à fait convaincu qu’il faut assurer l’équilibre des grands acteurs historiques. C’est possible notamment par l’évolution de la réglementation en matière de publicité mais, en même temps, il faut permettre aux nouveaux entrants de croître également. En effet, lorsqu’on ne dispose comme nous que d’une seule chaîne quand les chaînes historiques en ont sept, ce n’est pas un schéma pérenne et solide. Je ne crois pas que permettre aux nouveaux entrants de se développer viendrait déstabiliser le paysage ; au contraire cela l’enrichirait grâce à une offre élargie pour le public. C’est la mission du CSA de déterminer le nombre de chaînes nouvelles et comment assurer l’équilibre général du secteur.

Dans le contexte des difficultés économiques que connaît notre pays, il faut agir. La création de nouvelles chaînes implique la création d’emplois et donc une contribution à l’intérêt général. Lors de la reprise de RMC, il y a 10 ans, la rédaction comptait 50 journalistes ; il y en a maintenant 400 dans le groupe. On a parlé de l’importance des chaînes de télévision dans la filière cinéma ; pour ce qui nous concerne, nous contribuons aussi, modestement, à la filière information en étant l’entreprise qui recrute le plus de journalistes en France depuis plusieurs années, à l’inverse de la tendance générale qui est à la suppression de postes. Nous avons donc un rôle économique utile.

En ce qui concerne l’étranger, pour répondre à l’interrogation de Mme de Panafieu, à l’inverse des autres pays, en France le câble ne s’est pas développé et c’est la TNT qui est venue relayer le retard du câble. Dans les pays occidentaux où le câble est le premier vecteur de distribution de la télévision, il existe 25 à 50 chaînes qui sont d’accès parfois gratuit ou d’un prix très modique et qui vivent de la publicité. En France, il paraît donc imaginable d’avoir entre 18 et 24 chaînes qui puissent vivre de la publicité.

C’est d’autant plus possible que la France se situe à la neuvième place sur dix des pays les plus importants si on regarde la situation du marché publicitaire mondial en matière d’investissement publicitaire dans la télévision rapporté au produit intérieur brut (PIB), place qui nous situe entre la Chine et l’Inde – pays qui ne sont pas réputés pour disposer d’un marché publicitaire très important ni très récent... Les chiffres sont les suivants : Etats-Unis, 0,35 % du PIB ; Italie, 0,32 % ; Japon, 0,31 % ; Russie, 0,25 % ; Espagne, 0,24 % ; Royaume Uni, 0,20 % ; Chine, 0,16 % ; France, 0,15 % ; Inde, 0,13 %. Il y donc de la place pour que des acteurs se développent sur le marché de la publicité.

En tout état de cause, il faut avoir une vision dynamique. Les acteurs comme Google, et même les petite entreprises qui se créent dans le secteur de l’internet, ne se posent pas la question tous les matins de savoir si le marché publicitaire pourra supporter l’offre qu’ils apportent. Il y a un risque de réduction de notre marché si on se pose éternellement cette question et ce sont les autres acteurs qui vont s’en emparer.

Enfin, s’agissant de notre projet de création d’une chaîne d’informations sportives, notre intention n’est pas de retransmettre des événements en direct puisqu’il y a déjà sur ce créneau une chaîne payante ainsi que des chaînes gratuites pour certains grands événements. Notre vocation, outre l’information, et sachant que nous avons des objectifs de part d’audience tout à fait raisonnables, est de nous intéresser à des sports qui sont moins bien traités ou pas traités à la télévision. Ainsi, certains sports olympiques ne sont couverts que tous les quatre ans mais intéressent un public suffisant pour faire vivre une chaîne d’informations sportives. Nous discutons beaucoup avec le Comité national olympique et sportif français – CNOSF – qui avait un projet similaire permettant d’envisager un partenariat.

M. Gérald-Brice Viret. La télévision en France – et la TNT en est la preuve qu’il s’agisse des chaînes historiques ou des nouveaux entrants – n’a jamais été aussi puissante en termes de téléspectateurs, y compris parmi les jeunes. Nous pensons, à NRJ Group, que la télévision connectée va faire revenir de jeunes téléspectateurs à la télévision et va fidéliser ces nouveaux téléspectateurs grâce aux réseaux sociaux et à la télévision de rattrapage.

Nous avons réussi, avec les 2000 collaborateurs du groupe, à développer une marque française exportée en Europe et aux Etats-Unis, marque éponyme de radio, première radio musicale de France, troisième chaîne de la TNT avec NRJ 12, 70 web radios qui sont écoutées tous les jours, première chaîne musicale sur le câble et l’ADSL – NRJ Hits, qui est passée devant la chaîne américaine MTV. En tant que nouvel entrant depuis 2005, et dans l’esprit de la loi sur la TNT que vous avez soutenue, nous pensons qu’il faut renforcer cette catégorie des nouveaux entrants.

De la même manière qu’avec la marque NRJ, nous proposons, pour nos projets de chaînes, deux marques françaises très fortes. La première est Nostalgie, née à Lyon il y a vingt ans et qui est aujourd’hui une marque connue par la totalité de nos compatriotes. Nous souhaitons créer avec cette marque une chaîne patrimoine pour s’adresser aux personnes de 40 et 50 ans et plus, c’est-à-dire toutes celles qui sont délaissées par la télévision actuelle. Nous prévoyons de revaloriser le patrimoine, de produire, comme cette chaîne américaine avec la série Mad Men, une fiction quotidienne avec les codes des années 1960-1970, de mettre l’accent sur notre histoire audiovisuelle, car beaucoup parmi les nouvelles générations ne connaissent pas Jean Gabin ni certains acteurs qu’il faut remettre au goût du jour.

L’autre projet s’inspire et reprend la marque de la radio Chérie HD, qui est une radio féminine réunissant plusieurs millions d’auditrices tous les jours sans être réservée uniquement aux femmes mais qui s’adresse aussi à ceux qui aiment les femmes, et ils sont nombreux. Comme il existe en France la presse féminine et la presse masculine, Chérie HD s’inscrit dans le paysage des chaînes thématiques, avec un objectif de 1 à 2 % de part d’audience. Nous souhaitons éditer une chaîne féminine dirigée et pensée par des femmes comme peuvent l’être aujourd’hui différents magazines ou sites internet dont la réussite est avérée.

Ainsi justifions-nous ces deux candidatures, dans une logique de développement de deux marques fortes françaises, Nostalgie HD et Chérie HD, qui sont la clé du succès. Il reviendra au CSA de choisir quand il aura lancé l’appel à candidatures sur le multiplexe R7

L’élément déterminant pour nous, ce sont les programmes, la production française que nous finançons ensemble, chaînes historiques et nouveaux entrants : pour ce qui concerne NRJ Group, nous mettons 45 millions d’euros sur la table dans la production et nous pensons qu’à l’aune des télévisions connectées, c’est la production nationale et exclusive qui nous permettra de nous battre à armes égales avec la fiction américaine ou étrangère. Nous sommes dans un pays, et c’est anormal, où la fiction nationale est derrière la fiction américaine. Il faut reprendre le flambeau de la fiction française et il faut notamment un véritable élan de la part des chaînes, historiques et nouvelles, pour se lancer dans la fiction quotidienne. Nous mêmes y croyons et allons lancer notre fiction quotidienne en début d’année 2012.

En regard de cette implication dans les programmes, il faut les mêmes règles s’agissant des obligations de production et il est nécessaire de revoir les obligations de diffusion, qui datent d’il y a quarante ans pour le cinéma, ainsi que les horaires de grande écoute qui ne signifient plus rien à l’heure de la télévision de rattrapage. Face aux opérateurs internet qui sont basés partout dans le monde et qui ne sont soumis à aucune règle, il faut nous aider, nous renforcer car nous sommes la clé de la production française.

M. Jean-Christophe Thiery. Lorsque le groupe Bolloré a répondu, en 2001, à l’appel à candidatures du CSA, avec le projet de Direct 8, nous ne connaissions rien au secteur de la télévision. Nous entendions le discours selon lequel le marché publicitaire de la télévision, moins développé en France que dans les autres économies comparables, sans aller jusque en Inde, allait connaître une progression. Or, il n’en a rien été au cours des dix dernières années. Le marché publicitaire de la télévision s’élève toujours à un peu plus de 3 milliards d’euros et a subi un fort « trou d’air » il y a trois ans dont nous avons encore beaucoup de mal à nous relever. On peut penser qu’il s’agit d’un aspect structurel du marché de la publicité en France, qui restera durablement quelque peu sous-investi en télévision par rapport à d’autres économies comparables. Mais, depuis dix ans, il y a eu de nouveaux concurrents de la télévision qui ont absorbé beaucoup de la publicité : télévision de rattrapage et essor de la publicité sur Internet. De nouvelles chaînes ne permettraient pas à nos groupes de se développer parce que cette nouvelle offre d’espaces publicitaires entraînerait mécaniquement une baisse des prix en nous appauvrissant et en nous mettant en difficulté. Cela n’est pas un réflexe protectionniste de notre part – depuis dix ans, nous avons investi 250 millions d’euros, nous ne sommes pas encore à l’équilibre et ne gagnons pas encore d’argent – mais il est vrai que beaucoup de nos groupes peuvent être mis en danger. Au demeurant, si nous souhaitons disposer d’une autre chaîne, nous avons la possibilité d’en acheter, cela a été le mouvement que nous avons observé sur la TNT depuis dix ans avec un petit phénomène de concentration. A cet égard, si une manne publicitaire était susceptible de subvenir pour le secteur de la télévision, des acteurs comme AB ou le groupe Lagardère n’auraient pas cédé leurs fréquences sur la TNT…

J’ai été sensible au commentaire sur la presse gratuite qui est un axe de développement important pour le groupe Bolloré avec le journal Direct Matin. C’est vraiment gratifiant de voir tous ces lycéens dans le métro avec un journal gratuit sans lequel ils ne prendraient pas l’habitude de lire la presse. Il y a d’ailleurs une bonne chance que certains d’entre eux se transforment plus tard en lecteurs de la presse payante !

M. Thomas Valentin. La question a été posée de savoir si notre analyse du marché publicitaire n’est pas liée aux difficultés ponctuelles que nous avons connues. Plus généralement, nous nous demandons s’il y a ou non une élasticité du marché publicitaire à l’offre de chaînes : y a-t-il davantage de publicité quand le nombre de chaînes augmente ? Pour prendre un peu de recul, on peut regarder ce qui s’est passé entre 2003 et 2010 en France et à l’étranger. Dans tous ces pays que sont la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, il y a eu une explosion du nombre de chaînes, essentiellement en raison de la TNT et du passage de la diffusion analogique à la diffusion numérique. En France, on est passé de 6 chaînes à 19 chaînes ; en Grande-Bretagne, de 5 chaînes à une quarantaine de chaînes ; en Allemagne, il y a eu également une très forte croissance du nombre de chaînes. Or, le marché publicitaire a augmenté à un rythme inférieur à l’inflation. Au regard de l’explosion du nombre de chaînes ces dernières années, la publicité n’a donc pas augmenté : il n’y a pas d’élasticité, c’est prouvé.

Cela signifie que la même somme d’argent se répartit sur davantage de chaînes, ce qui se répercute sur les capacités de financement des programmes. Or, nous faisons face à un autre phénomène constant en matière de télévision et de création : parce qu’il s’agit d’une industrie culturelle qui n’est pas une industrie comme les autres, les programmes de qualité coûtent de plus en plus chers à produire. Le talent est rare, il y a de plus en plus de besoins et pour fabriquer des problèmes de qualité, il faut concentrer les investissements dans un cadre peu extensible puisque nous sommes relativement un petit pays.

J’ai bien entendu ce qui a été dit sur l’investissement publicitaire en télévision qui, rapporté au PIB, est relativement faible en France. Il faut savoir que c’est parce qu’il y a davantage d’investissement dans la presse et dans la radio : 10 % des dépenses publicitaires vont dans la radio, soit beaucoup plus que dans d’autres pays. Pour être au niveau de l’Angleterre, Royaume Uni ou de l’Allemagne, il faudrait pour la télévision rajouter un milliard d’euros, ce qui signifierait un milliard d’euros en moins pour la presse, l’affichage et la radio…

La bonne question à se poser est donc de savoir de combien d’argent on dispose et ce que l’on en fait pour financer les programmes. A cet égard, y a-t-il des ressources cachées ? Sur les catégories socioprofessionnelles supérieures dites CSP+, soit dix millions de Français, la part des investissements publicitaires est de 5 %. Loin d’avoir augmenté ces dernières années avec l’apparition de nouvelles chaînes, notamment d’information, ce marché a diminué d’un tiers puisque cette part était auparavant de 6,5 %. Les nouvelles chaînes, qui sont parvenues au bout de six ans à l’équilibre financier, ne sont arrivées à se financer que parce que dans le même temps, la publicité sur le service public a été supprimée après 20 heures, ce qui a « libéré » 250 millions d’euros. Voici des faits incontournables. Va-t-il y avoir une nouvelle manne dans les prochaines années ? Tout au plus peut-on noter qu’en 2016, l’argent investi jusqu’à 20 heures sur France Télévisions pourrait être investi sur d’autres chaînes.

M. Bertrand Méheut. Puisqu’on en est aux faits, je vais contredire ce qui vient d’être dit. Je pourrais reprendre absolument mot à mot ce qu’a dit M. Alain Weill. Arrêtons d’être misérabilistes : vous croyez que chez Google on se pose la question de l’émergence des nouveaux revenus au moment de développer une nouvelle activité ? Les faits, ce sont 19 chaînes gratuites de la TNT en France contre 50 en Grande-Bretagne, les 0,15 % du PIB investis en publicité à la télévision, soit trois à quatre fois moins que dans d’autres pays…

Je pense qu’en segmentant des offres, on arrive à croître. Canal + pendant toute la période de crise a été le seul acteur historique avec une croissance très forte de ses revenus publicitaires. Nous ne sommes pas des génies : nous avons proposé des programmes qui ont bien fonctionné avec des cibles nouvelles. Nous avons développé des accès à trente-deux annonceurs qui ne pouvaient pas trouver de débouchés sur d’autres chaînes et qui sont désormais spécifiques à Canal +. Notre métier, c’est d’être intelligents et de trouver les nouveaux annonceurs qui n’ont pas aujourd’hui de débouchés. Il y a moins de marchés publicitaires en France que ce que l’on pourrait atteindre. Ainsi, il faut ouvrir la publicité à la télévision à tous les secteurs interdits. Pourquoi arrêter ou limiter la publicité à la télévision ? La réalité va être le foisonnement. A quoi bon être frileux ?

Je ne demande aucune mesure de protection car la situation de compétition est pour moi inéluctable. YouTube annonce le lancement de vingt chaînes qui vont être sur le téléviseur connecté face aux dix-neuf chaînes existantes de la TNT. Pour résister, il faut donc présenter des offres autour de marques fortes. Notre projet de chaîne compensatoire sur la TNT consiste ainsi à proposer une chaîne bien spécifique dans l’univers de marques de Canal +. Cela permettra de financer la création ainsi que des programmes de valeur culturelle adaptés à cette spécificité. C’est inéluctable de proposer des nouveaux programmes et des nouvelles chaînes linéaires, segmentées ou pas. Chacun y retrouvera son choix stratégique.

La question difficile porte sur la régulation des nouveaux acteurs qui seront présents sur le téléviseur et ne sont pas soumis à des obligations ou ne se prêtent pas à des investissements très élevés dans les contenus. La réalité, c’est l’ouverture et le foisonnement, il faut donc que nous nous battions, que nous soyons suffisamment dynamiques pour profiter de l’ensemble de ces développements et résister à ces nouvelles offres en proposant quelque chose de différent.

M. Arnaud Bosom. La création ou non de nouvelles chaînes n’épuise pas la question que vous nous avez posée concernant notre stratégie face à l’arrivée des acteurs de l’internet. Nous avons soulevé les uns et les autres bien des points et, maintenant, le débat se focalise sur cette seule question. Je crains qu’effectivement prospèrent ces nouveaux acteurs si nous nous en tenons à des questions de cette nature. Croyez-vous que les autres pays européens qui comptent une offre élargie avec dix-huit à vingt-cinq chaînes ne craignent pas l’arrivée de la télévision connectée pour la seule raison qu’ils disposeraient aujourd’hui de suffisamment de chaînes ? Cela n’est pas très sérieux.

La création de nouvelles chaînes « thématisées » est à mon sens une vue de l’esprit. En effet, très fréquemment, et cela s’est produit depuis l’arrivée des chaînes de la TNT, on assiste à un repositionnement des chaînes qui rapidement souhaitent se situer sur le marché publicitaire captif. Nous allons voir fleurir ici et là des nouveaux projets séduisants qui s’adressent à des publics que l’on peut estimer insuffisamment couverts par les programmes actuels. La réalité est que les contraintes publicitaires exigent ensuite que les chaînes se situent sur le segment des chaînes généralistes comme M6 ou TF1 pour chercher la valeur publicitaire. Cela est visible à l’analyse des grilles de programmes des chaînes de la TNT sur la durée. On a oublié de dire que le marché publicitaire n’est pas extensible à l’infini. Il croît en moyenne de 3 % par an, pour ce qui est du marché médias qui est d’environ trois milliards d’euros. De plus, internet est venu capter une part de cette valeur.

Une question fondamentale a été posée concernant la protection de l’enfance. Nous nous rejoignons tous pour dire que la réponse à l’arrivée de la télévision connectée n’est ni de se plaindre, ni de freiner ce qui est inéluctable. En revanche, puisque la question de la protection de l’enfance rejoint celle de la réglementation, il faut raisonner en termes simples et binaires : ou bien nous jouons avec la même règle du jeu et les nouveaux acteurs doivent être régulés de manière équitable et dans une compétition loyale – et nous avons le talent et les moyens de nous battre dans une telle compétition –, ou bien il faut nous déréguler pour ne pas nous handicaper. Voici la véritable question, qui a trait à la protection du consommateur. Le fait que des programmes puissent se retrouver sur le téléviseur entourés de publicités pour l’alcool, le tabac, alors que ce sont des secteurs interdits aujourd’hui, ou d’affichages parasites pendant les programmes à destination des enfants, tel est le sujet majeur auquel il faut apporter une réponse. Par ailleurs, d’un point de vue strictement économique, nos groupes et nos chaînes ne pourraient pas vivre si certains acteurs viennent en « coucou » sur notre signal pour venir aspirer l’audience et, en conséquence, des revenus.

Notre préoccupation ne doit donc pas être exclusivement de savoir si Canal + doit créer une chaîne en clair ou si les nouveaux entrants doivent disposer d’une nouvelle chaîne. Plus globalement, le nombre total de chaînes n’est pas déterminant : que nous ayons dix-neuf ou vingt-cinq chaînes, de toute façon, YouTube proposera les siennes. Il faut reconnaître que la compétition est devant nous. C’est pourquoi il faudra notamment des moyens pour les programmes. Aujourd’hui TF1 met environ un milliard d’euros dans sa grille chaque année, ce qui explique que la contribution à la production à la fois du cinéma et de la fiction est au rendez-vous. J’indique que par comparaison, pour une chaîne de la TNT, le coût de la grille de programmes est sensiblement inférieur, vingt à trente millions d’euros, même si des progressions sont possibles.

Enfin, si nous voulons résister à ces groupes internationaux puissants, il faut que nous le soyons également. A cet égard, la dispersion de nos forces ne nous est pas favorable, contrairement à la situation dans d’autres pays d’Europe où les groupes de médias sont au nombre de trois ou quatre. En France, le paysage audiovisuel s’est construit ces dernières années différemment, je ne suis pas certain que ce soit une force collective suffisante.

M. Thomas Valentin. Je reviens sur la question de l’autorisation de la publicité pour le cinéma à la télévision : j’y suis d’autant plus favorable que lorsqu’un distributeur de films fait aujourd’hui de la publicité sur Google, toute la recette va chez Google, alors que si, demain, il est autorisé à faire de la publicité sur les chaînes de télévision française, 28 % de la dépense reviendront à la création française : 5 % au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), 5 % aux auteurs, 3 % à la production cinématographique et 15 % à la production audiovisuelle, et ce directement et que le film soit français ou américain. Cela demande une réflexion et ce serait une libéralisation plutôt favorable au financement de la création française.

M. Olivier Japiot, directeur général du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Cette table ronde permet de poursuivre la réflexion collective qui s’est engagée lors du colloque organisé par le CSA le 28 avril dernier sur un sujet qui n’est pas seulement de demain, mais qui est déjà d’aujourd’hui. Les questions posées appelleront de fait des réponses du CSA comme du législateur.

Je ne saurais intervenir dans le débat sur la création ou non de nouvelles chaînes, gratuites ou payantes, thématiques ou généralistes… En effet, le Premier ministre vient de confier une mission sur ce sujet à M. Michel Boyon, président du CSA, qui vient juste de commencer ses auditions. Par ailleurs, comme cela a été demandé ici même, le CSA espère pouvoir lancer dans les prochains mois un appel à candidatures et, compte tenu des principes d’impartialité et d’égalité de traitement des candidats, que nous devons respecter, je ferais prendre un risque au CSA en exprimant éventuellement des préférences pour telle ou telle catégorie de chaîne.

S’agissant de la position des télévisions privées face à internet, je retiens des représentants des chaînes deux messages. Le premier est celui de l’espoir vis-à-vis de toutes les opportunités qui ont été évoquées en matière de nouveaux services, de vidéo à la demande, de télévision de rattrapage, de données associées. Sur ce point, le CSA se félicite d’avoir encouragé les chaînes à développer des premiers services. On l’a vu notamment à l’occasion du tournoi de Roland-Garros avec la mise en œuvre de la norme Hbbtv qui a l’avantage de placer la connexion du téléviseur à internet sous le contrôle des chaînes, donc sous un régime de protection du téléspectateur.

J’ai également noté l’accord sur la nécessité de marques et de contenus forts et différenciants face à la concurrence mondiale. Plusieurs députés ont interrogé les chaînes sur la question de leur stratégie, leurs alliances éventuelles dans le nouvel environnement qui se dessine. Pour ce qui le concerne, le CSA passe son temps à appeler les acteurs à essayer de se concerter, ce qui n’est pas toujours facile comme vous avez pu le sentir à travers le débat sur les chaînes hertziennes et vous avez pu mesurer la difficulté de notre tâche au quotidien. Nous avons salué une initiative, la charte de la télévision connectée pour préserver l’intégrité du signal des chaînes.

Le second message est celui des menaces et des craintes, qui se traduit par un appel relativement unanime à une forme de protection, notamment par les pouvoirs publics, contre la concurrence déloyale qui peut s’instaurer du fait de l’internet. De fait, le CSA et le législateur sont confrontés à un double défi. D’abord celui des règles différentes qui s’appliquent à des contenus différents mais tous disponibles sur la télécommande : le contenu très régulé de la télévision classique, le contenu semi-régulé de la vidéo à la demande et de la télévision de rattrapage, et enfin le contenu peu ou pas régulé du tout, celui des contenus internet accessibles avec le bouton de la télécommande, qui fait la nouveauté de la télévision connectée.

Différentes également sont les règles en termes d’obligations de soutien à notre production cinématographique et audiovisuelle. Ce sujet est absolument crucial, mais étant assez largement franco-français, nous avons du mal à y intéresser nos partenaires européens. Le rôle du législateur français et de nos négociateurs au niveau de l’Union européenne est particulièrement important en la matière.

Enfin, la question des règles est déterminante en matière de protection de l’enfance car à n’importe quelle heure, on pourra accéder avec sa télécommande à des contenus sur internet très violents, érotiques ou pornographiques, sans régulation. Plus généralement, la protection du consommateur et du téléspectateur appelle un minimum de règles déontologiques.

Le second défi, encore plus difficile à résoudre pour le CSA et pour le législateur français, tient à la différence des règles selon les pays. Or, les contenus sur internet proviennent souvent de pays dont la tradition de régulation est plus faible qu’en France. Que faire ? La réflexion est ancienne. Le Conseil d’État s’y était penché dès 1998 dans un rapport sur internet et les réseaux numériques pour tente de répondre à la question : « Quel droit de l’internet ? ». Grâce au législateur, le CSA a étendu sa compétence sur les web télés et les web radios, puis, en 2009, sur les services de vidéo à la demande et de télévision de rattrapage. Encore plus récemment à l’occasion du colloque du 28 avril, nous avons fixé un certain nombre de règles sur les services associés interactifs disponibles sur les téléviseurs.

Les pistes de réflexion que l’on peut envisager sont au nombre de quatre. La première porte sur la notion de « co-régulation ». C’est un concept très important, qui n’a pas encore été vraiment consacré dans le droit français et auquel nous croyons beaucoup. Il ne s’agit pas de mettre en place une régulation purement administrative et très étendue comme c’est le cas pour la télévision – je sais qu’un certain nombre d’acteurs de l’internet ne souhaitent pas l’intervention du CSA – mais de s’appuyer sur une responsabilisation et une forme d’autorégulation des acteurs en fixant un cadre général et en prévoyant une autorité administrative, par exemple le CSA compte tenu de son expérience. La deuxième piste consisterait à fixer des règles minimales qui pourraient être consensuelles : protection de l’enfance, lutte contre le racisme et l’antisémitisme, protection du consommateur…, ainsi que l’a évoqué le Président de la République à l’occasion du récent eG8. La troisième piste part du constat qu’il existe un vide juridique dans notre législation, y compris à l’échelon européen : un hébergeur – comme sont ainsi qualifiés Dailymotion ou YouTube – n’est soumis à aucun régime de responsabilité alors qu’il joue un rôle d’agrégateur, de distributeur de contenus qui va, à l’évidence, au-delà de la simple dimension technique. Il conviendrait donc d’avoir une réflexion sur un encadrement minimum, une responsabilisation de ces acteurs. Enfin, la quatrième piste de réflexion appelle à une coordination européenne ou internationale renforcée.

Sur tous ces sujets, le CSA va mettre en place des groupes de travail avec les acteurs concernés pour apporter des éléments aux pouvoirs publics et poursuivre le dialogue avec le Parlement.

M. Christian Kert, président. Je remercie l’ensemble des intervenants.

La séance est levée à douze heures.

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Informations relatives à la Commission

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation a désigné :

– M. Éric Berdoati rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative au patrimoine monumental de l’État (n° 3117) ;

– M. Pierre-Christophe Baguet rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la régulation du système de distribution de la presse (n° 3399) ;

– MM. Jean-Luc Pérat et Frédéric Reiss pour participer aux travaux du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation des incidences sur l’économie française de la stratégie de Lisbonne ;

– MM. Michel Herbillon et Marcel Rogemont pour siéger au Comité de suivi chargé d’évaluer l’application de la loi n° 2010-1149 du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 8 juin à 10 heures :

Présents. - Mme Marie-Hélène Amiable, M. Pierre-Christophe Baguet, M. Eric Berdoati, M. Marc Bernier, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Monique Boulestin, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, M. René Couanau, Mme Pascale Crozon, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Delong, M. Bernard Depierre, Mme Marianne Dubois, M. Yves Durand, M. Gilles d'Ettore, Mme Martine Faure, Mme Valérie Fourneyron, M. Michel Françaix, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Gérard Gaudron, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Claude Greff, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, M. Michel Herbillon, Mme Sandrine Hurel, Mme Françoise Imbert, Mme Jacqueline Irles, M. Olivier Jardé, M. Régis Juanico, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Apeleto Albert Likuvalu, M. Alain Marc, Mme Muriel Marland-Militello, Mme Martine Martinel, M. Gilbert Mathon, M. Michel Ménard, M. Michel Pajon, Mme Françoise de Panafieu, M. Jean-Luc Pérat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Jean Roatta, M. Marcel Rogemont, Mme Marie-Josée Roig, M. Paul Salen, M. Daniel Spagnou, Mme Marie-Hélène Thoraval, M. Michel Vaxès

Excusés. - Mme Sylvia Bassot, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Jean-François Copé, M. Édouard Courtial, Mme Jacqueline Farreyrol, M. Jean-Philippe Maurer, M. Hervé Morin, Mme Michèle Tabarot

Assistaient également à la réunion. - M. Patrick Bloche, M. Patrice Martin-Lalande