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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mardi 21 juin 2011

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 44

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, relative à la régulation du système de distribution de la presse

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 21 juin 2011

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation organise une table ronde, ouverte à la presse, relative à la régulation du système de distribution de la presse, réunissant : M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), Mme Anne-Marie Couderc, directrice générale de Presstalis, et MM. Jean-Claude Cochi, président, et Patrick André, directeur délégué des Messageries lyonnaises de presse (MLP)

Mme la présidente Michèle Tabarot. J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue aux représentants du secteur des messageries de presse qui ont bien voulu répondre à notre invitation de venir débattre des enjeux et des perspectives de la réforme en cours de la régulation du système de distribution de la presse.

En effet, l'Assemblée nationale est saisie d'une proposition de loi en ce sens qui a déjà été adoptée par le Sénat et que nous examinerons en commission la semaine prochaine en vue d'une inscription à l’ordre du jour en séance publique, prévue pour le 5 juillet. Je rappelle que nous avons désigné M. Pierre-Christophe Baguet pour être rapporteur de ce texte.

Merci, madame, messieurs, d'être présents aujourd'hui pour nous informer sur la situation du secteur de la distribution de la presse, notamment sur celle des messageries. Ce tour d'horizon complétera les auditions organisées ce matin même par notre rapporteur avec les éditeurs, les dépositaires et les diffuseurs et qui étaient ouvertes à l'ensemble des membres de la Commission.

Nous avions bien noté, à l'issue des États généraux de la presse écrite, que le secteur des messageries et de la distribution appelait des mesures urgentes. Deux rapports ont suivi, l'un de M. Bruno Lasserre sur la régulation, l'autre de M. Bruno Mettling sur la situation particulière de Presstalis, mais contenant également des préconisations sur la régulation.

La réforme qui nous est proposée institue une régulation bicéphale, qui semble correspondre au vœu de l'actuel Conseil supérieur des messageries de presse. Nous écouterons donc M. Roger, son président, avec un intérêt particulier.

Nous éprouvons également une grande curiosité envers les entreprises de messagerie et leur vision du nouveau type de régulation qui pourrait être mis en œuvre, compte tenu de l'environnement économique général.

Je conclurai par une double question générale, qui pourra peut-être orienter notre débat : quels sont les enjeux de nature économique ou commerciale qui exigeaient une réforme de la régulation et comment avez-vous été associés à l'élaboration de cette réforme ?

Mme Anne-Marie Couderc, directrice générale de Presstalis. Presstalis, société commerciale dirigée principalement par les éditeurs constitués en coopérative, est régie par les principes fixés en 1947 par la loi « Bichet », qui garantit la liberté d’expression en permettant à tout éditeur de choisir son mode de distribution et d’accéder dans des conditions favorables à la distribution groupée, c’est-à-dire mutualisée avec d’autres titres et d’autres éditeurs. Au lendemain de l’Occupation, cette loi a certainement contribué à permettre aux quotidiens et aux magazines d’information d’irriguer le territoire. Elle a également permis l’exceptionnelle richesse de la presse magazine française. Depuis cette époque, Presstalis – alors dénommée Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) – assure la distribution des quotidiens nationaux et d’une grande partie des magazines sur l’ensemble du territoire français, en métropole comme dans les départements d’outre-mer. La loi « Bichet » fait obligation à chacune des coopératives qui la constituent d’accepter la candidature d’un éditeur, pour un prix défini par un barème fixé chaque année par l’assemblée générale des éditeurs membres de la coopérative.

Presstalis assure également la diffusion de la presse française vers plus d’une centaine de destinations à l’étranger, participant ainsi au rayonnement de la presse francophone dans le monde et au lien entre les Français expatriés et leur pays. Ainsi, la société distribue environ 3 500 titres en métropole, dont l’ensemble des quotidiens nationaux, et est à ce jour seule à offrir cette prestation aux éditeurs.

Afin de pouvoir distribuer chaque numéro des titres qui lui sont confiés, Presstalis assure avec son réseau une prestation de distribution sept jours sur sept sur l’ensemble du réseau national, soit plus de 29 000 points de vente, en assurant à ces derniers une livraison dans des délais très courts, avant l’heure de leur ouverture. Ainsi, pour les quotidiens, le délai de livraison ne s’exprime pas en « J », mais il est de l’ordre de « H+6 » : un quotidien sorti à 3 heures du matin peut même être avant 7 heures chez les diffuseurs. Les collaborateurs de NMPP, puis de Presstalis, ont donc développé, au fil des années, une compétence avérée pour gérer chaque jour des situations complexes.

Au-delà d’une logistique complexe et rigoureuse – Presstalis assure par exemple l’organisation de quelque 1 200 tournées journalières, recourant à de nombreux camions –, les messageries gèrent des flux informationnels et financiers relatifs aux ventes réalisées, garantissant le paiement de celles-ci aux éditeurs. La distribution exclusive d’un titre dans le réseau existant, via la messagerie, tend à garantir l’intégrité de ces flux.

La distribution de la presse s’effectue dans le cadre de contrats de commissionnaire : le titre reste la propriété de l’éditeur jusqu’à sa vente aux consommateurs, le papier étant remis en dépôt-vente à l’ensemble des acteurs de la filière, lesquels sont rémunérés par une commission sur les ventes. Certains éditeurs, qui ne souhaitent pas utiliser les services de messagerie, s’adressent directement aux dépositaires pour assurer la distribution régionale du titre. La loi « Bichet » permet donc à l’éditeur de choisir son mode de distribution et les prestations qui y sont attachées.

Aujourd’hui cependant, l’ensemble du secteur de la distribution de la presse vendue au numéro – messageries, dépositaires, diffuseurs de presse – est en difficulté. C’est une conséquence de la baisse significative des ventes au numéro, de l’ordre de 20 % en cinq ans, et du transfert de lecteurs au profit de l’abonnement et du portage. Il est donc nécessaire de revoir rapidement les modalités de distribution de la presse, dans le respect des principes de la République que sont la liberté de la presse et la liberté de sa distribution. Comme de nombreux acteurs de la filière, notamment les syndicats professionnels de presse, Presstalis a engagé une réflexion qui pourrait déboucher à moyen terme sur des décisions structurantes en matière de distribution. De fait, malgré diverses réformes, les modalités de celle-ci n’ont, en substance, pas changé depuis 1947.

En perpétuelle évolution pour s’adapter aux besoins de nos éditeurs, Presstalis connaît déjà une restructuration juridique, les éditeurs ayant décidé de se regrouper en deux coopératives – au lieu de huit –, dédiées respectivement aux quotidiens et aux magazines, afin de simplifier et de moderniser le fonctionnement de la société. Celle-ci est également engagée dans une restructuration économique importante en vue de diminuer ses charges. L’un des surcoûts pesant sur la messagerie tient notamment à l’obligation d’assurer la distribution sept jours sur sept dans tous les points de vente de France, y compris dans les secteurs les plus éloignés, ruraux ou de montagne – l’accès de tous à l’information est en effet une exigence dans un État démocratique. Cette mission de service public, ou de « service universel », n’est pas d’ordre économique, mais répond au souci de préserver la liberté d’expression qui motivait la loi « Bichet ».

Presstalis a approfondi au cours des derniers mois sa réflexion sur les évolutions nécessaires face à la situation de la presse écrite, qui subit les effets de l’apparition de nouveaux canaux de distribution. De fait, le numérique a modifié les modes de consommation de l’information, tandis que le souci qu’ont les éditeurs de fidéliser leurs lecteurs s’est traduit par un recul de la vente au numéro, au profit de l’abonnement distribué par voie postale ou par portage.

L’un des axes de cette réflexion est la mutualisation de certains outils, afin d’optimiser les coûts de distribution. Presstalis s’efforce, en la matière, de valoriser ses savoir-faire et sa connaissance de la distribution, notamment autour de la problématique de l’accès des transports aux centres urbains. La société joue en effet, depuis le 1er novembre 2010, un rôle pilote dans le projet « Logistique urbaine mutualisée durable » (LUMD), projet de recherche sur les outils de mutualisation des transports en zone urbaine regroupant des laboratoires et des développeurs. Il existe en effet un intérêt commun avec d’autres filières pour trouver des outils limitant les transports en ville grâce à une mutualisation et une meilleure utilisation des espaces disponibles dans les dépôts ou dans les camions.

Au-delà des efforts de mutualisation, il est fondamental que la loi « Bichet » contribue, dans un contexte difficile, à faire évoluer l’ensemble de la filière et facilite les propositions et les initiatives des différents acteurs. Sans doute les solutions sont-elles multiples et chacun doit pouvoir apporter sa contribution, se réformer librement et, au besoin, s’ouvrir à d’autres marchés. L’évolution du cadre légal que prévoit la proposition de loi qui vous sera soumise doit permettre d’aller dans ce sens, en préservant la liberté de la presse et de sa distribution ainsi que l’équilibre financier de tous les acteurs de la filière.

S’il est naturel que ceux-ci s’autofinancent, on ne saurait cependant leur imposer de contraintes qui ne soient pas rémunérées – je pense aux missions, déjà évoquées, relevant de ce qu’on peut désigner comme « service public », « intérêt général », « continuité territoriale » ou « aménagement du territoire » et importantes pour la vitalité du territoire, auxquelles contribuent les messageries et tous les diffuseurs de presse.

Nous sommes confiants dans l’avenir de la presse écrite. Le mois de mai nous a confirmé qu’avec une actualité importante et des éditeurs dynamiques, les Français achètent de la presse écrite. L’intérêt porté à la presse vendue au numéro est donc tout à fait légitime. Il confirme la nécessité que nous trouvions ensemble les voies et moyens d’une distribution optimisée, répondant aux demandes des éditeurs et des consommateurs.

Pour conclure, les défis actuels de la diffusion de la presse que sont la concurrence entre les différents modes de diffusion, la concurrence entre messageries et la chute des ventes au numéro ont rendu indispensable une réforme de la loi « Bichet ». La proposition aujourd’hui débattue va dans le bon sens. Elle réaffirme que les éditeurs ont la première place pour décider des conditions et des moyens de leur distribution. Elle crée un mécanisme de règlement des différends visant à l’efficacité par le recours préalable à une procédure de conciliation et apporte aux décisions interprofessionnelles une sécurité juridique avec la création de la nouvelle Autorité de régulation de la distribution de la presse.

Presstalis se félicite de la réforme proposée, qui offrira un cadre renforcé pour que les éditeurs soient les premiers à décider des conditions et des moyens propres à pérenniser la distribution de la presse, et assume pleinement la responsabilité du respect des principes de base de la loi de 1947, rappelés à de nombreuses reprises dans la proposition de loi : une distribution libre et impartiale, notamment grâce au système coopératif, efficiente économiquement, efficace commercialement et présentant un équilibre financier pérenne.

Presstalis compte sur la responsabilité des éditeurs dans le cadre de cette loi rénovée pour déterminer les conditions d’exercice de l’activité. En dépit de quelques observations que nous pourrions faire sur certaines formulations, il est de l’intérêt général que la proposition de loi soit adoptée dans les plus brefs délais. Les éventuelles questions de forme me semblent en effet pouvoir être réglés par l’interprétation que produiront le Conseil supérieur des messageries de presse et l’Autorité de régulation, ou par voie réglementaire.

M. Jean-Pierre Roger, président du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP). La liberté de la presse, principe d’ordre constitutionnel, a été rendu effective par la liberté de distribution de la presse instaurée par loi du 2 avril 1947. Qualifiée d’« icône de la République » dont il ne faut s’approcher qu’en tremblant, cette loi a conféré, dans le contexte de la Libération, la maîtrise de la distribution des journaux et publications aux éditeurs eux-mêmes, qui peuvent assurer chacun leur propre distribution ou décider de se grouper avec d’autres éditeurs au sein de coopératives de messageries dans lesquelles ils peuvent s’assurer de participations majoritaires, tout candidat devant être accepté au sein de l’une ou l’autre des coopératives. La bonne distribution de la presse est ainsi garantie à l’égard tant du pouvoir exécutif que des « puissances d’argent », dans une dimension de liberté, d’égalité et de solidarité qui n’est pas sans évoquer la devise de notre République.

La même loi a institué, en son titre II, le Conseil supérieur des messageries de presse comme l'autorité garante de ces principes, et lui a confié, en un temps où il n’existait pas de telles autorités, des missions anticipatrices d’une régulation moderne, consistant à contrôler la comptabilité des sociétés de messageries de presse, à coordonner les moyens de transport et à faciliter l'application de la loi.

Durant une quarantaine d’années, le Conseil supérieur des messageries de presse a exprimé cette autorité auprès du système coopératif ainsi instauré, comprenant les coopératives de messagerie, ou « niveau 1 », les dépositaires, ou « niveau 2 », et les diffuseurs, ou « niveau 3 ». Le conseil supérieur a ainsi développé une fonction normative, faite d’usages professionnels et assise sur des décisions toujours consensuelles, votées par une assemblée générale comportant en majorité des éditeurs, des représentants de la profession, un commissaire du conseil, des représentants de l’État et des acteurs de la distribution.

Vers la fin des années 1980, l’irruption de la concurrence dans un système jusqu’alors solidaire et coopératif, empreint de la générosité propre à la Libération, a cependant eu raison de ce bel ordonnancement, encouragée par les éditeurs en raison de la baisse des coûts qu’elle supposait. Sont ainsi apparues comme de plus en plus concurrentes sur le marché deux entreprises de niveau 1 : les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) et les Messageries lyonnaises de presse (MLP), qui avaient jusqu’alors collaboré pacifiquement et qui, se partageant un même réseau, se sont trouvées en situation conflictuelle. L’une excipait de son bon droit d’entreprise structurante du métier, comme l’a rappelé Mme Anne-Marie Couderc, l’autre de son bon droit à l’existence d’une offre moins chère et diversifiée. La première fut vite accusée d’abus de position dominante et différentes affaires éclatèrent, qui furent portées devant l’Autorité de la concurrence. La profession se déchirait, alors que la presse perdait des parts de marché. J’ai été porté à la tête du conseil supérieur à un moment où celui-ci ne semblait plus pouvoir répondre pleinement aux sollicitations de la profession.

Les États généraux de la presse écrite, lancés par le Président de la République en 2008, mirent en évidence les nécessaires réformes de la distribution, qui portaient tant sur la gouvernance que sur le fond du système.

En matière de gouvernance, il échut au président de l'Autorité de la concurrence de formuler des propositions pour une réforme du CSMP. Le rapport Lasserre préconisait sa transformation en une autorité administrative indépendante (AAI) collégiale, aux missions renforcées, les éditeurs n'étant appelés à y jouer qu'un rôle consultatif dans le cadre de commissions techniques. Ces propositions revenaient à modifier les principes essentiels établis au titre Ier de la loi « Bichet » et selon lesquels la liberté de la presse impose la maîtrise de la distribution par les éditeurs. Ceux-ci ont mal accepté cette perspective, qui pouvait apparaître comme une mise sous tutelle, et s'en sont expliqués au cours d'une réunion à l'Élysée, le 15 juillet 2009.

Pendant ce temps, et dès l'issue des États généraux de la presse écrite, le conseil supérieur s'était attaché à mettre en oeuvre les recommandations du Livre vert par une série de réformes structurelles de fond : constitution d'une commission des normes et des bonnes pratiques professionnelles et d'une commission de conciliation, transformation d'une commission du réseau et adoption de règles de fonctionnement transparentes et objectives. Le conseil supérieur a aussi engagé la réforme du niveau 2 et le schéma directeur du niveau 2 concernant les dépositaires, et mis en place une méthodologie d’évaluation des dépôts, pour laquelle il a fait travailler le cabinet Ricol-Lasteyrie. Il a également travaillé sur l’évolution du mode de rémunération des dépositaires et a répondu aux demandes des pouvoirs publics, des éditeurs et des diffuseurs de presse touchant à la réforme du niveau 3 par l’adoption d’une norme professionnelle relative à l'assortiment des journaux et publications dans les points de vente.

Les éditeurs attendaient cependant que la réforme du conseil supérieur, destinée à favoriser l’autonomie, et donc la rapidité d’exécution, donne lieu à une modification du titre II de la loi, sans pour autant modifier le titre Ier, qui donne aux éditeurs la maîtrise de la distribution.

Les cinq organisations professionnelles qui composent le paysage de la presse ont alors entrepris une démarche commune auprès des pouvoirs publics pour exprimer leurs attentes. Il en est sorti une proposition de loi relative à la régulation du système de distribution de la presse, adoptée par le Sénat en première lecture dans sa séance du 5 mai, et qui crée, dans le respect des principes posés par le cadre législatif actuel, cette évolution attendue de la régulation du système de distribution.

Les débats au Sénat ont fait apparaître que les éditeurs voyaient dans ce texte une traduction satisfaisante des éléments essentiels de l'accord équilibré qu'ils avaient recherché et trouvé avec les pouvoirs publics. Les tâches sont partagées. Le conseil supérieur a pour champ de compétence l’organisation et le fonctionnement du système, l’autorité administrative intervient dans deux champs bien définis : sur les normes posées, elle donne – ou ne donne pas – force exécutoire aux décisions prises et, dans les différends, elle intervient en arbitrage après l’échec d’une conciliation qui serait passée dans les mains du conseil supérieur.

La proposition confère aussi à l’instance professionnelle un statut clairement défini et en clarifie la composition : les transporteurs céderaient la place aux diffuseurs, exclus jusqu’à présent du conseil supérieur. Les missions sont renforcées et précisées, dans la logique prévue par le rapport Lasserre. La composition retenue pour l’autorité administrative indépendante, fondée sur un collège de trois magistrats – un magistrat de la Cour de cassation, un conseiller d’État et un conseiller de la Cour des comptes –, semble cohérente.

Si la proposition de loi devait être améliorée après le vote du Sénat, on pourrait formuler deux remarques.

Tout d’abord, l’avis formulé par l’autorité administrative sur l’évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messagerie de presse pourrait être perçu comme une limitation de la souveraineté des sociétés coopératives, alors que l’article 12 du titre Ier de la loi actuelle, qui devrait rester inchangé, soumet les barèmes à l’approbation de leurs assemblées générales.

D’autre part, la consultation publique préalable aux décisions du conseil supérieur, ayant une incidence importante sur le marché de la distribution de la presse, pourrait apparaître comme susceptible d’entraîner un retard dans la mise en œuvre de ces mesures nécessaires à la profession.

Le président du conseil supérieur exprime son soutien global à la proposition de loi. Il considère, pour avoir recueilli l’avis des organisations professionnelles dont il se sent mandataire, qu’elle crée un instrument juridique efficace et équilibré. Il lui apparaît comme une ardente nécessité de disposer de cet instrument, à même de réformer le système de distribution.

M. Patrick André, directeur délégué des Messageries lyonnaises de presse (MLP). MLP, qui est à la fois une coopérative d’éditeurs et une messagerie directe, existe depuis 1945. À la différence de Presstalis, la société ne distribue pas de publications quotidiennes.

Il est utile de préciser que les messageries se situent en amont des véritables distributeurs de la presse, qui sont les dépositaires de presse. Ce sont ces derniers – le « niveau 2 » évoqué par M. Roger – qui effectuent le travail de transport, d’animation commerciale, de recouvrement auprès des diffuseurs de presse, de recherche de nouveaux points de vente et d’organisation des retours des flux d’invendus, malheureusement très importants dans notre secteur. On compte en France environ 150 de ces dépositaires de presse et leur nombre se réduit. Une quarantaine de ces dépôts sont réunis sous la marque Soprocom, gérée par l’entreprise de messagerie Presstalis, et une vingtaine d’autres appartiennent à SAD, qui a l’exclusivité de la distribution de la presse dans les principales villes de France, à l’exception de Paris. Tous les autres dépôts sont indépendants ou appartiennent, pour partie, à MLP.

Les messageries effectuent un travail de groupage et de mutualisation des moyens en amont de la distribution vers les dépositaires de presse. Dans de nombreux autres pays, les messageries proprement dites n’existent pas et ce sont les dépôts qui assurent la distribution des publications. En France, du reste, une partie des publications quotidiennes régionales possèdent leurs propres réseaux de distribution, faisant office de messageries distribuant leurs publications vers leurs propres dépôts.

Les enjeux sont ceux du partage des ressources et de moyens. Cette mutualisation est plus qu’un principe théorique : elle vise à obtenir des gains d’efficacité, tant en en amont, au niveau du groupage, qu’au niveau de la distribution, dans les dépôts, pour assurer aux éditeurs non seulement des économies de coût, mais aussi des ventes plus performantes.

Le texte adopté par le Sénat vise à une régulation plus fluide, plus rapide et plus efficace pour trouver des solutions partagées répondant à l’intérêt général. Les difficultés rencontrées, liées notamment – mais pas seulement – à la situation de concurrence, ont donné lieu à des procédures complexes et peu efficaces qui ont finalement divisé le secteur, ralentissant certains projets de réforme et de restructuration. Le texte proposé représente donc un progrès par rapport à la situation actuelle. Quant aux problèmes de forme qu’a évoqués Mme Anne-Marie Couderc, s’ils ne doivent pas prendre le pas sur les problèmes de fond, il faut néanmoins veiller à ce qu’ils ne limitent pas, dans l’avenir, l’efficacité du système. Nous souhaiterions donc avoir quelques éclaircissements sur certaines modalités de fonctionnement et certains points figurant dans la loi. Dans l’ensemble, cependant, le bicéphalisme permet d’utiliser le savoir-faire des éditeurs et des professionnels du secteur dans un cadre assurant une indépendance qui sert l’intérêt non seulement de la profession, mais aussi de la République.

J’ajoute que tous les dépôts de France distribuent tous les titres sans exception, y compris la presse quotidienne. Une partie significative de l’activité de distribution du groupe MLP est ainsi liée à la presse quotidienne.

M. Pierre-Christophe Baguet, rapporteur. Le mécanisme de la vente au numéro distingue, je le rappelle, trois niveaux : le niveau 1 est celui des éditeurs de presse, puis des messageries, qui organisent la distribution dans un cadre de coopérative, le niveau 2 est celui des 150 dépositaires, et le dernier niveau est celui des 30 000 points de vente – kiosquiers et marchands de journaux. Tout ce dispositif est couvert par le Conseil supérieur des messageries de presse. La loi « Bichet », véritable « colonne du temple » de la République, insistait sur la liberté d’accès de nos concitoyens à chaque journal.

La baisse considérable des ventes au numéro, qui atteignait 6 % voilà deux ans et 10 % cette année, est deux fois plus importante en France que dans les autres pays européens. On constate également une disparition des points de vente, dont le nombre est désormais inférieur à 30 000 – ce chiffre est à peu près comparable au nombre des boulangeries, mais bien supérieur à celui des 17 000 bureaux de poste. Malgré les efforts du conseil supérieur, le manque de pouvoir juridique se traduit par une multiplication des contentieux.

Il est donc proposé d’organiser une gestion bicéphale. Le Conseil supérieur des messageries de presse serait renforcé et rencentré sur les professionnels du secteur. Son effectif serait ramené de 29 à 20 membres, avec la disparition des 6 représentants des 6 ministères concernés, dont la présence ne se justifie plus, et des trois représentants des transporteurs – SNCF, Air France et route. Au sein du conseil, les éditeurs, au nombre de 9, seraient presque majoritaires et il leur serait adjoint un représentant des diffuseurs. À côté de cette structure recentrée serait créée une autorité indépendante, composée d’un magistrat de la Cour des comptes, d’un magistrat de la Cour de cassation et d’un conseiller d’État.

Cette codirection bicéphale apporte l’équilibre qui convient à la bonne gestion du secteur. Tous les acteurs de la chaîne souhaitent cette réforme, même les syndicats, d’ordinaire si divisés.

Au Sénat, le texte, qui a été défendu par M. Jacques Legendre, président de la Commission de la culture, et rapporté par M. David Assouline, sénateur socialiste, a été voté par une très large majorité. Dans ce contexte, les quelques aménagements nécessaires à la marge ne doivent pas nous faire oublier l’urgence de la situation et les problèmes de calendrier que nous pourrions rencontrer si nous tardions à adopter un texte qui fait l’objet d’un tel consensus.

Compte tenu du souhait que tous me semblent avoir exprimé de voir ce texte voté dans les meilleurs délais, les interrogations qu’exprimait M. Roger quant à la fixation des conditions tarifaires des sociétés coopératives et à la consultation publique préalable justifient-elles que nous prenions le risque de voir déraper le calendrier ? Les ajustements ne pourraient-ils pas être opérés par décret ou dans le cadre du mécanisme de cogestion bicéphale instauré par le texte ?

M. Marcel Rogemont. L’unanimité semble se faire, au fil de nos échanges, sur la nécessité de ce texte.

L’émergence d’une distribution non exclusive ouvre la porte à une distribution hors coopérative. Faut-il ouvrir cette porte ? Faut-il aller plutôt vers un système de dérogation ou vers un système plus libéral ?

Avez-vous, par ailleurs, des dispositifs à proposer pour réduire la masse des 60 % d’invendus traités par les intervenants du niveau 3 ?

M. Michel Herbillon. Les mesures prises en faveur du portage à la suite des États généraux de la presse ont permis de développer ce mode de diffusion de la presse. Ne faudrait-il pas pérenniser ces mesures temporaires afin d’éviter les effets que pourrait avoir leur interruption sur un mécanisme moins développé en France qu’en Allemagne ?

Par ailleurs, le métier des kiosquiers, s’il est difficile, est aussi un métier essentiel, qui contribue à l’animation de nos villes et de nos quartiers. Comment évolue cette profession ? Les mesures prises ont-elles permis d’enrayer la disparition régulière des points de vente, que l’on constate sur l’ensemble du territoire ?

M. Michel Pajon. Dans le contexte délicat que connaît aujourd’hui la presse écrite, notamment la presse quotidienne nationale, nous mesurons les difficultés auxquelles sont confrontés les éditeurs, les messageries, les plateformes de distribution et les diffuseurs.

En face du développement de la presse numérique, consultable instantanément, la pérennité de la presse papier dépend directement de la vente de proximité, aussi bien en zone rurale ou isolée qu’au centre des villes.

En voici un exemple : confronté à de trop lourdes charges financières mais aussi à un investissement humain trop important, le point presse du centre ville de Noisy-le-Grand, cité qui compte 65 000 habitants, a dû fermer ses portes. Or il constituait un lieu d’animation essentiel au cœur de la ville, participant à l’enrichissement social et culturel de la vie du quartier. Sur les 26 mètres carrés du local de vente, les gérants devaient exposer 3 800 titres de presse : la tâche devint impossible. Il ne s’agit pas d’un cas isolé : 375 points presse disparaissent chaque année.

La démarche de l’assortiment ne recueille certes pas l’unanimité de la profession et des procédures contentieuses sont en cours. Or, grâce à l’informatisation des points presse, les messageries savent quels titres se vendent ou non. Ne pourraient-elles ainsi participer à un meilleur ajustement des stocks et des invendus ?

Quelles pistes sont envisageables pour que les diffuseurs deviennent maîtres de leur papier sans remettre pour autant en cause l’esprit de la loi « Bichet » et le principe d’égalité de tous les titres devant la distribution ?

Les diffuseurs connaissent de graves problèmes de trésorerie. M. Patrick André a reconnu, lors de son audition par la Commission de la culture du Sénat, que les diffuseurs devaient négocier sérieusement avec leurs banques alors que « près de 40 % de leur rémunération est encaissée de façon hypothétique en fonction d’accord décidés par les éditeurs. » Quelles mesures préconisez-vous afin d’améliorer cette situation ? Quel rôle le CSMP pourrait-il, ou devrait-il, jouer à cet égard ?

M. Daniel Spagnou. Les maisons de la presse du département des Alpes-de-Haute-Provence ferment les une après les autres. Toutes se plaignent de l’assortiment. Que pensez-vous de ce système ? Pourquoi les éditeurs traînent-ils autant les pieds pour le mettre en place ?

M. Pascal Deguilhem. Au rythme que nous connaissons, il ne restera bientôt plus, dans nos départements ruraux, de linéaires de journaux que dans les grandes surfaces des sous-préfectures. Un point presse disparaît presque chaque semaine. Si l’équilibre financier, que Mme Anne-Marie Couderc a estimé nécessaire à tous les échelons, ne l’est pas à celui des diffuseurs, le lectorat s’amenuisera faute de pouvoir s’approvisionner.

Se pose non seulement le problème de l’assortiment, mais aussi celui du plafonnement du nombre d’exemplaires. Comment accepter encore que des magazines, qui certes ont toute leur pertinence, soient obligatoirement distribués en nombre dans des zones où ils ne présentent qu’un faible intérêt : ainsi, par exemple, de Yachting en territoire continental. En résultent de forts taux d’invendus, de l’ordre de 60 % en moyenne, qui mettent en péril l’équilibre d’exploitation de nos diffuseurs.

Mme Colette Langlade. La distribution de la presse est spécialement coûteuse en raison de l’obligation de présence de tous les titres dans tous les points de vente, y compris dans les zones géographiques les plus retirées. Vous avez indiqué que, pour réduire les charges, il faudrait mutualiser certains outils afin d’optimiser les coûts de distribution. Comment envisagez-vous cela concrètement ?

Selon vous, la mutualisation apporterait une plus grande efficacité, non seulement pour le groupage, mais aussi au sein des dépôts afin d’obtenir une « performance de la vente ». Pouvez-vous préciser cet objectif et cette notion ?

M. Patrick André. L'exclusivité présente l’avantage de conduire à une mutualisation maximale. Mais elle n’offre pas toujours aux éditeurs la possibilité de choisir la meilleure façon de distribuer leurs titres. Par exemple, un dispositif des MLP permet aux éditeurs d’opter pour une distribution nationale par le moyen du réseau des dépositaires tout en conservant leur propre distribution directe au niveau local, faculté offerte par la loi « Bichet ». Il faut donc veiller à ce que l’abandon de l’exclusivité ne conduise pas à la perte de l’efficacité résultant de la mutualisation. Nous sommes favorables à ce que les éditeurs ne soient pas tenus à l’exclusivité, mais à condition de respecter certaines règles.

Le problème des invendus soulève la question du plafonnement plutôt que celle de l’assortiment. Ainsi, la mise en place d’un nombre trop élevé d’exemplaires d’une même publication par rapport à son espérance de ventes constitue une préoccupation majeure pour l’ensemble de nos professions : messageries, dépositaires, diffuseurs et éditeurs. La solution à ce problème dépendra de nos possibilités de partager des systèmes d’information permettant, par exemple, d’éviter des ruptures de vente et d’offrir un réassort. Elles n’existent pas aujourd’hui. Des formules sont cependant expérimentées ici et là, notamment par certaines sociétés d’agence et de diffusion. À Paris, nous pratiquons le réassort automatique, qui devrait inspirer suffisamment confiance à l’éditeur pour que celui-ci renonce à faire livrer des quantités excessives aux points de vente.

Je n’ai pas d’opinion particulière sur la question du portage.

Les mesures prises en faveur des kiosquiers se révèlent insuffisantes. Aucun marchand de journaux en France ne cesse son activité en raison de l’absence de régulation de l’assortiment. En revanche, la plupart se découragent ou cessent leur activité du fait de leurs mauvaises conditions de rémunération, provoquant des difficultés de trésorerie. Nous avons donc formulé, dans un Livre blanc, des recommandations visant à améliorer substantiellement le mode de rémunération d’un très grand nombre de diffuseurs, en même temps que la trésorerie de tous. Aujourd’hui, en effet, une partie de cette rémunération est versée à échéance de six mois, avec un battement de plus ou moins soixante jours. La distribution de presse constitue ainsi le seul secteur économique où le paiement d’une activité quotidienne tout au long de l’année soit autant différé.

En face de l’expansion de la presse numérique, l’enjeu majeur pour la presse papier, par abonnement comme par vente au numéro, réside dans sa proximité avec le lecteur. Il faut donc éviter de décourager les diffuseurs.

L’assortiment est pertinent dès lors qu’il permet à la clientèle de trouver les publications qu’elle cherche. Il s’agit, logiquement, d’une démarche de marketing : dans la mesure où les outils d’un assortiment efficace existent, on peut éviter des comportements erratiques consistant à supprimer des titres alors qu’ils génèrent du chiffre d’affaires chez les diffuseurs.

Comme l’a récemment indiqué le ministre chargé de la culture, lors de l’assemblée générale de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS), un point de vente se caractérise par son offre. Si l’on sort de cette démarche d’offre, la profession se déspécialise et se transforme en celle de simple revendeur de presse. Dans ce cas, le point de vente n’apporte rien de plus qu’un grande ou moyenne surface intégrant des rayons de journaux.

L’assortiment représente donc un enjeu essentiel : les publications détiennent des potentiels qui ne peuvent être identifiés par les diffuseurs. Mais il est également vrai que certains d'entre eux exposent des titres dont ils devraient pouvoir se dispenser, notamment quand ils ne les vendent pas : toutes formes de presse confondues, dont celle d’information politique et générale, 30 % des titres proposés par un marchand de journaux ne sont jamais vendus. Il faudrait cependant prévoir un traitement particulier pour les titres nouveaux, qui ont le droit de tenter leur chance.

Des pistes existent pour résoudre les difficultés évoquées. Nous en avons proposé plusieurs dans notre Livre blanc, notamment pour le financement de la diffusion de presse.

La mutualisation des moyens de diffusion peut rendre la vente plus efficace. Aujourd’hui, le distributeur est le dépositaire ; au jour le jour, il se tient en relation avec ses diffuseurs. Or, pour différentes raisons, il a insuffisamment investi dans cette activité. Quand nous réalisons des opérations de réimplantation, consistant, dans un souci de meilleure performance commerciale, à aider un diffuseur à restructurer son linéaire et à mieux gérer son assortiment, nous obtenons une progression immédiate du chiffre d’affaires, de 3 à 6 %. Mais, au terme de cinq ou six mois, l’effet s’estompe, et il faut agir de nouveau. Une présence promotionnelle, régulière et ambitieuse, des distributeurs auprès des diffuseurs montre son efficacité. Nous pouvons donc être optimistes sur nos capacités à développer le chiffre d’affaires des marchands de journaux en dépit des difficultés tendancielles.

M. Jean-Pierre Roger. Il est prévu que la future autorité administrative indépendante de régulation de la distribution de la presse fournisse un avis sur les tarifs des messageries de presse. Or ceux-ci sont très complexes. Mis en concurrence et ne faisant plus l’objet de péréquation, leur lecture exige le maniement de fichiers informatiques et la réalisation de simulations. La seule connaissance des taux de commission ne suffit plus. Certains éditeurs déplorent que, d’une messagerie à l’autre, les différences de tarifs affichés ne correspondent pas aux tarifs pratiqués. La mission de l’autorité indépendante serait donc très difficile en cette matière et, de plus, engagerait sa responsabilité : la détermination d’un tarif peut améliorer ou dégrader les comptes d’une messagerie et entraîner des conséquences sur sa clientèle. C’est bien pourquoi la loi « Bichet » prévoit, dans son article 12, que les barèmes des tarifs des messageries sont approuvés par les assemblées générales des sociétés coopératives de messageries de presse. C’est pourquoi aussi le CSMP ne s’est jamais risqué à émettre un avis sur leur fixation.

Le système de distribution de la presse en France fonctionne dans un climat consensuel, à la faveur de longues discussions pour parvenir à des accords. Dès lors, le caractère public de ces débats ne ferait que les allonger encore. Mais ce n’est pas un élément déterminant de la réforme qui, pour l’essentiel, donne satisfaction : nous ferons donc notre affaire des deux points que je viens de signaler, d’autant que l’autorité indépendante découvrira peut-être elle-même qu’il ne lui faut pas entrer dans le détail technique des tarifs de messagerie.

Selon le rapporteur de la proposition de loi, la diminution des ventes au numéro serait plus sensible en France que, en moyenne, dans les autres pays d’Europe. Étant moi-même éditeur de publications en France mais aussi en Angleterre, en Allemagne et en Italie, et bien que les systèmes de diffusion soient très différents d’un pays à l’autre, je constate une diminution générale de la vente au numéro. C’est aussi le cas de la Suisse, bien que fortement structurée dans ce domaine.

Les systèmes de diffusion anglais et allemand sont plus défavorables aux éditeurs qu’en France : au Royaume-Uni, l’éditeur paye d’avance le diffuseur pour que ses publications soient mises en vente ; en Allemagne, le taux de commission est de l’ordre de 65 %. Le système italien ressemble davantage au français, mais il est difficilement compréhensible.

Les taux d’invendus, entre 50 et 60 %, sont à peu près similaires en France et à l’étranger. Ils peuvent paraître très élevés. Mais ils résultent largement de périodiques diffusés entre 10 000 et 20 000 exemplaires, présents dans 5 000 ou 6 000 points de vente, soit une faible fourniture unitaire. Certaines revues, par exemple mensuelles ou bimensuelles, peuvent ainsi générer un taux d’invendus de 100 %. Celui-ci ne perturbe que les statistiques, et non le système de diffusion. Un journal diffusé à 300 000 exemplaires, avec 20 % d’invendus, ne pose évidemment pas le même problème. Mais la tendance actuelle de la presse étant aux petites diffusions, il faut s’attendre à une augmentation du taux d’invendus qui pourrait devenir problématique.

Néanmoins, des mesures sont intervenues, que M. Patrick André a signalées – je pense notamment à l’informatisation, à laquelle je suis très favorable. D’autres ont été prises sous l’égide du CSMP et de l’OJD, association pour le contrôle et la diffusion des médias, telles que le plafonnement, consistant à ne pas placer un nombre d’exemplaires déraisonnablement supérieur au nombre probable de ventes, ou concernant l’assortiment et consistant à limiter le nombre de publications présentes en rayons, selon une norme de 12 titres au maximum par mètre linéaire, appliquée au moyen d’un palmarès automatisé. Mais certains éditeurs contestent cette formule.

Je rappelle que rien, dans la loi, n’interdit à un marchand de journaux de refuser des titres. À cet égard, le CSMP comporte une commission des normes et bonnes pratiques professionnelles (CNBPP), dont sont membres un magistrat de l’ordre judiciaire et un conseiller d’État. Elle a pour mission de veiller au respect des règles de la concurrence. L’assortiment constitue une façon contractuelle, pour les diffuseurs, d’accepter l’application d’une norme de palmarès.

M. Pascal Deguilhem. Qui a conclu l’accord portant sur l’assortiment ?

M. Jean-Pierre Roger. La norme d’assortiment a été adoptée par l’assemblée générale du CSMP. Elle est applicable mais ne s’impose pas, faute d’une autorité administrative indépendante qui pourrait la rendre obligatoire. Toutefois, le non-respect de la norme par un fournisseur de presse peut susciter un recours juridictionnel de la part d’un diffuseur : un tel contentieux existe aujourd’hui à l’encontre des deux messageries de presse.

Mme Anne-Marie Couderc. Une vente au numéro plus dynamique passe par une meilleure santé du réseau de diffuseurs. L’assortiment en représente un des éléments. Presstalis fut, pendant plusieurs années, pilote de toutes les expériences menées dans ce domaine. Celles-ci ont démontré l’efficacité du système et prouvé qu’il ne créait pas de distorsions de concurrence entre les titres. Le diffuseur de presse doit se positionner en commerçant et non en simple manutentionnaire de papiers qu’il ne vendra pas. Il convient d’intégrer cette exigence dans la définition de ses conditions de travail.

La proposition de loi, telle qu’actuellement rédigée, avec les pouvoirs qu’elle confère au CSMP et à une future autorité de régulation, devrait nous permettre de progresser à cet égard.

Les conditions de rémunération des diffuseurs doivent être reconsidérées. Il nous faut y travailler dans le cadre d’une concertation interprofessionnelle. Deux plans de qualification ont déjà été élaborés. Les critères en sont, hélas, complexes et surabondants, nuisant un peu à l’efficacité du mécanisme. Celui-ci conduit toutefois les deux messageries à apporter chaque année des contributions financières importantes au réseau de diffusion : en 2010, environ 36 millions d’euros de la part de Presstalis et 11 millions de la part des MLP.

Nous devons aussi participer à la modernisation du réseau, notamment par celle des magasins et par la professionnalisation du diffuseur. À travers sa filiale MediaKiosk, Presstalis s’efforce de valoriser le métier de kiosquier, car le kiosque à journaux est indispensable dans nos villes : plus qu’un lieu de vente, c’est un lien social. De la même façon, nous avons lutté contre la fermeture des points de vente et, à défaut de pouvoir toujours les empêcher, nous avons participé à la création de nouveaux : plus de 1 100 ont ainsi été ouverts au cours des dernières années. Mais le nombre des pertes d’implantations est malheureusement supérieur sur la même période. Je pense que tous les éditeurs, ainsi que les messageries, sont également prêts à se mobiliser dans le même but. Notre proximité avec le diffuseur et l’animation commerciale que nous pouvons lui apporter sont fondamentales.

La clause d’exclusivité a été conçue afin de favoriser la mutualisation des moyens. Mais on constate aujourd’hui les limites que rencontrent les éditeurs pour se faire distribuer de manière efficace. Il ne faut pas, pour autant, que le choix ouvert à l’éditeur déstabilise économiquement la messagerie concernée. La proposition de loi a intégré cette préoccupation. Il faut aussi que la clause d’exclusivité réponde au besoin exprimé par les éditeurs de disposer, à travers la messagerie de presse, d’un interlocuteur unique lui assurant une bonne information sur ses ventes et lui garantissant la perception, dans les meilleurs délais et sans risques, du produit de celle-ci. La messagerie est, en effet, ducroire au profit de l’éditeur.

Pour essayer de réduire les coûts de la distribution de la presse, dans un contexte économique de plus en plus difficile, nous devons développer la mutualisation au-delà de la vente au numéro, en l’étendant aux abonnements et au portage : il nous faut remplir nos estafettes et nos camions dans les meilleures conditions !

Mme la présidente Michèle Tabarot. Madame, messieurs, nous vous remercions.

La séance est levée à dix-neuf heures cinq .

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Présences en réunion

Réunion du mardi 21 juin 2011 à 17 h 30

Présents. - M. Pierre-Christophe Baguet, M. Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin, M. Xavier Breton, M. René Couanau, M. Pascal Deguilhem, Mme Martine Faure, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Michel Herbillon, M. Régis Juanico, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Martine Martinel, M. Michel Pajon, M. Jean Roatta, M. Marcel Rogemont, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot, Mme Marie-Hélène Thoraval

Excusés. - Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Jean-François Copé, M. Bernard Debré, Mme Jacqueline Farreyrol, Mme Françoise Guégot, Mme Françoise Imbert, M. Alain Marc, M. Frédéric Reiss