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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A (H1N1)

Mardi 6 avril 2010

Séance de 19 heures 10

Compte rendu n° 04

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de Mme Françoise Weber, directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS)

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A (H1N1)

Mardi 6 avril 2010

La séance est ouverte à dix-neuf heures dix.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) entend Mme Françoise Weber, directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS).

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons Mme Françoise Weber, directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS).

Mme Françoise Weber prête serment.

Mme Françoise Weber, directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS). Je voudrais en préambule éclairer la commission sur le déroulement et le bilan de la pandémie. Je voudrais rappeler tout d’abord que l’InVS est chargé de la surveillance permanente de l’état de santé de la population, ainsi que de la veille et de l’alerte sur les menaces sanitaires de toute nature, à partir de l’analyse et de la synthèse permanente et réactive de données épidémiologiques, recueillies à travers les activités de veille de l’InVS, ses réseaux de surveillance, la consultation d’études épidémiologiques et d’articles scientifiques. L’expertise de l’InVS est interne : elle est menée par ses agents, épidémiologistes, biostatisticiens ou experts en santé publique.

Dès le 23 avril 2009, l’InVS était très fortement mobilisée par la pandémie. Notre mission était de réévaluer régulièrement les hypothèses, les scénarios possibles et plausibles d’évolution de la pandémie, afin d’aider les pouvoirs publics dans leur prise de décision de mesures préventives et de préparation du système de soins à la prise en charge des malades. Notre objectif n’était pas de faire des prédictions, impossibles par nature, mais d’évaluer la menace.

Il me paraît important de rapporter les décisions qui ont été prises à l’évolution de nos connaissances et de nos estimations au fil du temps, étant donné notamment l’immense potentiel évolutif des virus grippaux, qui rend très difficile, voire impossible, de prévoir l’évolution des pandémies grippales. Ainsi, si les trois pandémies survenues au XXe siècle ont connu un taux d’attaque à peu près identique d’environ 25 %, les niveaux de létalité, soit le nombre de décès rapporté au nombre de malades, ont été très différents : la pandémie la plus grave, celle de 1918, a tué 1,1 % de la population européenne, tandis que la pandémie la moins grave, celle de 1968-1969, a entraîné entre 20 000 et 30 000 décès en France, la mortalité ayant été plus importante en 1969 et au début de 1970 qu’en 1968, année de la première vague de cette pandémie. Les scénarios d’évolution ont donc été extrêmement variables.

L’évolution de la connaissance de la pandémie due au virus H1N1 a connu trois phases.

Dans une première phase, entre avril et septembre 2009, on a très rapidement constaté qu’il s’agissait bien d’une pandémie au sens scientifique et épidémiologique du terme, c’est-à-dire un virus nouveau se répandant très rapidement sur tous les continents. En mai, les données en provenance du Mexique faisaient état d’un taux d’attaque et d’une létalité supérieurs à ceux de la grippe saisonnière. Il était très difficile d’en savoir plus à ce moment-là.

En juin, la pandémie fut qualifiée de « modérément grave » par l’OMS, quand il s’est confirmé que la majorité des cas étaient bénins et la létalité du même ordre de grandeur que celle de la grippe saisonnière. On pouvait alors abandonner les hypothèses les plus pessimistes. Toutefois, certaines populations, notamment les femmes enceintes et les adultes de moins de 65 ans, présentaient des formes beaucoup plus sévères que celles de la grippe saisonnière, si bien qu’à ce stade on ne pouvait pas abandonner l’hypothèse d’un nombre très important de cas graves et de décès parmi des populations jeunes. En France, on enregistra alors les premiers cas sévères, nécessitant un recours prolongé à l’oxygénation extracorporelle. On ne pouvait abandonner à ce stade l’hypothèse d’une létalité identique à la grippe saisonnière associée à un taux d’attaque plus important, soit un nombre absolu de formes sévères et de décès beaucoup plus important. Tous les pays en étaient au même point en ce qui concerne les hypothèses épidémiologiques.

Dans une seconde phase, à partir de septembre, il a été possible de préciser les projections, notamment sur les caractéristiques des cas graves, mais avec la persistance d’inconnues. Les estimations ont été à nouveau revues à la baisse sur la base des observations faites au cours de l’hiver austral et de l’épidémie estivale au Royaume-Uni. Il n’était cependant toujours pas possible d’établir une projection univoque sur la vague à venir dans l’hémisphère Nord, d’autant que le virus pouvait muter entre les deux hémisphères et que les épidémies précédentes s’étaient intensifiées lors de leur passage à l’hémisphère Nord : ainsi, en Nouvelle-Zélande, le taux d’hospitalisation, de 22 pour 100 000, était très supérieur à celui observé aux États-Unis au moment de la vague estivale, qui était de 3 pour 100 000. Les services de réanimation néo-zélandais devaient déjà faire face à un accroissement important de leur charge de travail.

Fin septembre, en France comme dans les autres pays, ce sont les valeurs les plus basses des hypothèses de gravité de la pandémie qui ont été retenues, comme le prouve la note de l’InVS à l’adresse de la direction générale de la santé datée du 28 septembre.

La troisième phase a permis de préciser l’ensemble des paramètres, notamment le taux d’attaque. Les observations faites à partir de la seconde quinzaine de novembre, correspondant au pic observé dans la plupart des pays européens, ont permis de conclure que l’impact de la pandémie resterait, pour cette première vague, en deçà de toutes les projections réalisées. Nous pourrons préciser ultérieurement les facteurs qui ont permis que cette pandémie reste en deçà de tous les scénarios retenus par les pays disposant d’un système de surveillance épidémiologique suffisamment avancé.

On peut aujourd’hui dresser le bilan de la vague hivernale en France.

Par rapport à l’épidémie saisonnière la plus forte de ces dix dernières années, celle de 1999-2000, la vague de l’hiver 2009-2010 a été plus précoce, un peu plus longue et d’intensité légèrement supérieure, et elle a eu un impact particulièrement important chez les enfants. Les formes asymptomatiques ou peu symptomatiques ont probablement été plus nombreuses que pendant la grippe saisonnière. En janvier, le nombre des personnes atteintes par le virus pouvait être estimé entre 8 et 15 millions de personnes, soit entre 12 et 24 % de la population, auxquelles il faut ajouter 5 millions de personnes protégées par la vaccination. De 13 à 20 millions de personnes, soit entre 20 à 30 % de la population française, seraient ainsi immunisées, sans compter une proportion importante des personnes âgées de plus de 50 ans, dont on sait désormais qu’elles étaient d’emblée protégées par une immunité résiduelle.

Le nombre d’hospitalisations dans les services d’urgence a été multiplié par huit par rapport à la saison grippale précédente. La distribution des âges des personnes hospitalisées est très différente de celle observée pour la grippe saisonnière : l’augmentation du nombre de cas a porté essentiellement sur la tranche des 10-19 ans, puis sur les 20-64 ans. Le nombre de patients admis en soins intensifs ou en réanimation atteste d’une sévérité particulière du virus A (H1N1) en 2009 par rapport au virus saisonnier, avec au moins 1 330 patients hospitalisés, et plus probablement 2000, le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) dénombrant déjà 1 700 hospitalisations. On relève en outre une fréquence beaucoup plus importante du syndrome de détresse respiratoire aiguë liée au virus et du recours à une oxygénation extracorporelle. Par ailleurs, 20 % des personnes hospitalisées en unité de soins intensifs ou de réanimation ne présentent pas de facteurs de risque, et l’âge des patients est beaucoup moins élevé que dans le cas de la grippe saisonnière. Enfin, le nombre de décès notifiés à ce jour comme directement liés à la grippe pandémique s’élève à 312, ce qui correspond à une fourchette basse, qui ne prend pas en compte les décès en dehors des établissements de santé, ni ceux des personnes porteuses d’affections chroniques, dont le décès est indirectement lié au virus, et qui ne peuvent être comptabilisés qu’a posteriori.

On peut cependant d’ores et déjà affirmer que la mortalité a donc été inférieure à celle envisagée par tous les scénarios en septembre 2009, en France comme dans tous les autres pays.

Les données rassurantes sur l’impact épidémiologique de la première vague de la pandémie se sont donc accumulées progressivement et, en France comme dans les autres pays, le bilan se révèle en deçà des estimations de septembre 2009. On note cependant une sévérité particulière de certaines formes graves, qui touchent au surplus une population jeune.

Une vague épidémique de grande ampleur apparaît comme peu probable avant l’hiver prochain, compte tenu du taux estimé d’immunisation de la population et des données les plus récentes de la littérature internationale, à condition que le virus reste stable. Toutefois, des foyers localisés dans des groupes de populations peu immunisées ne peuvent être exclus.

Si l’hypothèse la plus probable est que le virus A (H1N1) circule de nouveau, il n’est pas possible de préciser à ce jour l’ampleur de sa circulation et de celle des autres virus, ni les caractéristiques de sa sévérité.

En résumé, c’est un scénario pandémique particulièrement favorable qui s’est déroulé jusqu’à présent. Il est néanmoins nécessaire de rester extrêmement vigilant car le virus peut encore évoluer entre son premier passage et son retour dans l’hémisphère Nord. C’est pourquoi l’InVS maintient un niveau élevé de vigilance sur cette menace, comme il le fait sur les quelque 90 alertes qu’il traite chaque année. Il reste tout aussi mobilisé sur des menaces moins visibles et de plus long terme, que ce soit en matière de maladies infectieuses, de menaces environnementales ou de maladies chroniques.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Peut-on estimer l’impact de la vaccination sur la propagation de l’épidémie ? Pourquoi la pandémie n’a-t-elle pas été plus forte dans les pays qui, comme la Russie ou la Pologne, n’ont pas développé de stratégie vaccinale ?

Les travaux sur la mutation des virus et la gestion des pandémies, que nous devons à notre excellent collègue Jean-Pierre Door et à Mme Marie-Christine Blandin, faisaient état d’une contribution de l’épidémiologiste Antoine Flahaut, selon laquelle la grippe saisonnière pourrait constituer un magnifique laboratoire d’essai pour se préparer à lutter contre les épidémies. Est-ce, selon vous, une bonne idée ?

Mme Françoise Weber. En théorie, la vaccination a deux objectifs : arrêter ou modérer la transmission du virus ; protéger individuellement les personnes, d’abord les populations à risque, puis tous les autres.

Les travaux scientifiques utilisent déjà ce que l’on connaît de la grippe saisonnière et des pandémies précédentes pour établir des modélisations de l’impact d’une vaccination sur le taux d’attaque d’un virus grippal. Sur la base de ces travaux de modélisation, notamment sur la pandémie A (H5N1), l’InVS savait que l’impact de la vaccination sur le taux d’attaque et sur le profil de l’épidémie serait relativement faible car il était probable que les vaccins ne seraient pas disponibles en quantité suffisante avant le début de la première vague pandémique, mais qu’en revanche la vaccination gardait de l’intérêt pour protéger les personnes, en particulier celles susceptibles de développer des formes sévères de la maladie : les populations à risque et les jeunes. À cela s’ajoutent les informations collectées depuis vingt ans au travers de nos réseaux de surveillance épidémiologique de la grippe saisonnière, le réseau Sentinelles et celui des groupes régionaux d’observation de la grippe (GROG), qui nourrissent nos comparaisons avec la grippe saisonnière.

Le taux d’efficacité de la vaccination correspond à la réduction du nombre de grippés chez les vaccinés en comparaison des non vaccinés. Selon une étude non encore publiée menée par l’European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) à partir de sept pays européens, dont la France, la vaccination A (H1N1) 2009 réduit de 70 % le nombre de cas chez les vaccinés, ce qui est, pour un vaccin grippal une très bonne efficacité. D’autres études devront venir consolider ces premiers résultats.

Vous évoquez la situation des pays qui n’ont pas mis en place de stratégie vaccinale, mais il faut comparer ce qui est comparable, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il est nécessaire d’en savoir plus sur la qualité des dispositifs de recueil des données relatives à la mortalité mis en place par des pays tels que la Lettonie, la Lituanie ou la Pologne. En outre, les frontières ne constituent pas des barrières étanches face à la circulation des virus ou inversement à l’impact d’une vaccination. En l’absence d’une vision européenne d’ensemble, toute comparaison est prématurée. Il est vrai cependant que ces pays n’ont, comme les autres pays européens, pas été massivement touchés. Je le rappelle, malgré l’efficacité de la vaccination nous n’attendions pas un bénéfice populationnel important de celle-ci compte tenu de la date de disponibilité des vaccins par rapport à la survenue de la première vague.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Si je comprends bien ce que vous venez de dire, il n’aurait, premièrement, jamais été question que la vaccination influe sur le pic pandémique et, deuxièmement, il n’est pas possible de connaître aujourd’hui l’impact de la vaccination…

Mme Françoise Weber. Il est vrai que nous n’attendions pas un effet significatif de la vaccination sur le pic pandémique, compte tenu du moment où les vaccins ont été disponibles.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-ce la raison pour laquelle la vaccination n’a pas été obligatoire ?

Mme Françoise Weber. Je pense que beaucoup d’autres facteurs ont joué.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Pouvez-vous nous décrire les relations que vous entretenez avec les différents organismes étrangers, notamment européens et américains, grâce auxquels vous assurez un suivi épidémiologique journalier ?

Alors que le taux d’efficacité vaccinale est assez important en France en matière de grippe saisonnière, dans le cas du virus A (H1N1) il a été inférieur à ce que nous en attendions. Pour quelle raison ?

Avez-vous eu votre mot à dire à propos de la stratégie vaccinale mise en place à partir du printemps par la direction générale de la santé et le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) ?

Mme Françoise Weber. Comme tous nos homologues des pays développés, nous avons nos propres réseaux de surveillance et nous sommes partie prenante de réseaux européens et internationaux. La plupart des pays ont mis en place le même dispositif de surveillance de la grippe que nous : des réseaux de médecine générale permettant de surveiller les profils épidémiques associés à des systèmes de recueil et de notification individuelle des hospitalisations des cas graves.

Nous sommes ainsi en relation avec les autres pays d’Europe à travers l’European Center for Disease Prevention and Control, qui assure la coordination de la veille et de l’alerte sanitaires au niveau européen, et nous sommes un acteur important. Nous échangeons également des données sur la pandémie au travers de l’Early Warning and Response System (EWRS). Par ailleurs, nous échangeons des éléments d’expertise scientifique, notamment avec nos collègues du Royaume-Uni, des États-Unis et de l’hémisphère Sud, qui nous permettent de travailler sur des planning assumptions, c’est-à-dire des projections sur lesquelles bâtir des hypothèses de prévention et de préparation du système de santé. Ces multiples échanges nous ont permis de produire les mêmes hypothèses pour éclairer la décision publique.

Tel a été notre « mot à dire », monsieur le rapporteur : produire des scénarios d’évolution de la pandémie. Sachant que ce phénomène était très difficile à prévoir, nos hypothèses allaient d’un scénario optimiste à un scénario pessimiste. Dès le mois de septembre cependant et sur la base de l’évolution des connaissances et des expériences des pays déjà touchés nous avons exprimé notre inclination en faveur du scénario le plus optimiste. Voilà quelle a été la contribution de l’InVS à la décision. C’est précisément la raison pour laquelle les agences sanitaires ont été créées : distinguer l’évaluation de la décision, afin que la première ne soit pas parasitée par des considérations de gestion. L’InVS est resté dans son rôle d’évaluation et de production de scénarios d’évolution, avec une grande humilité, compte tenu des incertitudes, tout en travaillant en très étroite collaboration avec les pouvoirs publics dans la gestion de cette pandémie, en répondant à toutes les questions qui nous étaient posées dans notre domaine d’expertise.

Mme Catherine Lemorton. L’InVS n’a-t-il pas, malgré lui, favorisé une situation anxiogène ? En effet, il semble a posteriori que ce virus n’était pas si inconnu : dès septembre, M. Flahaut évoquait la proportion de 35 à 40 % de cas asymptomatiques, que vous nous dites ne découvrir qu’aujourd’hui. Vous justifiez votre prudence face aux informations rassurantes venues de l’hémisphère Sud par le nombre d’hospitalisations à l’étranger : comment pouvez-vous comparer, de ce point de vue, des pays dont les systèmes de soins sont extrêmement différents ? Par ailleurs, en octobre, à l’occasion de votre audition par la Commission des affaires sociales, vous approuviez vous-même l’hypothèse d’une chute du pic pandémique à l’occasion des vacances scolaires. Il apparaît donc que, depuis le mois de juin, de nombreux éléments montraient qu’il n’y aurait pas de catastrophe. l’InVS n’a-t-il pas été pris dans la spirale infernale de l’anxiété ?

Mme Françoise Weber. Ne croyez pas que nos estimations résultent d’une intuition ou procèdent d’un caprice personnel : elles sont le fruit de travaux scientifiques et d’échanges entre équipes internationales, basés sur une technique scientifique qui s’appelle l’épidémiologie. Celle-ci a ses limites et ses incertitudes, et ce sont elles que nous percevons aujourd’hui. Mais nous pouvons justifier à chaque étape de notre évaluation des données scientifiques qui ont été prises en compte et de la validité de nos calculs par rapport à l’état de la littérature scientifique internationale. Tous les scientifiques de l’InVS ont cependant l’humilité de reconnaître les limites de ces estimations. Notre objectif n’était pas de prédire ce qui allait se passer, mais de donner la fourchette des hypothèses possibles d’évolution.

La proportion de cas asymptomatiques est en réalité beaucoup plus élevée que les 30 à 40 % de la grippe saisonnière, qui était l’hypothèse initiale, puisqu’elle pourrait aller jusqu’à 70 %, proportion que nous sommes en train d’essayer de préciser, du point de vue notamment de la distribution par tranche d’âge. Cela fait plusieurs mois que nous essayons de déterminer cette proportion, mais nous ne disposions alors d’aucune donnée suffisamment fiable sur le plan scientifique. Certains ont eu assez tôt l’intuition de ce que serait l’évolution de la pandémie mais il s’agissait avant tout d’opinions qui n’étaient pas fondées sur les éléments scientifiques opposables. Tant que nous sommes dans l’incertitude, nous devons avoir l’humilité de dire qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions scientifiquement fondées. J’assume le corollaire de cette humilité, à savoir le risque d’être quelquefois les derniers à avoir raison. Notre niveau de responsabilité l’exige : il aurait été hasardeux de fonder des décisions publiques sur des intuitions personnelles.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. On peut s’interroger sur le degré de certitude suffisant selon vos critères, puisque vous avez fait état de l’existence d’un risque pour l’avenir. Si votre raisonnement est scientifiquement imparable, il me semble très discutable pour l’organisation de la vie en société, puisqu’il y aura toujours un risque de pandémie du point de vue scientifique. Le sentiment général est qu’on savait dès le mois de juin que c’était bénin. En tant que conseil des responsables publics, quelle balance établissez-vous entre le souci de leur proposer une hypothèse raisonnable et celui de la certitude scientifique ? Le lancement d’une alerte étant conditionné à l’existence d’un élément anormal, ne devez-vous pas être capable de dire à partir de quand on revient à une situation normale ou socialement acceptable ?

Mme Françoise Weber. On commence à comprendre ce qui s’est passé durant la première vague de la pandémie et pourquoi on s’est retrouvé devant un scénario pandémique assez inattendu. Nous avons commencé à être rassurés entre septembre et mi-novembre, au moment du pic épidémique : c’est alors que nous nous sommes progressivement rendu compte que cette pandémie n’allait pas avoir, en termes de nombre de cas symptomatiques, un impact beaucoup plus important que la grippe saisonnière, même si une incertitude demeurait en ce qui concerne le nombre de cas sévères.

Il est important de comprendre que ce virus nous a réservé quelques surprises. S’il s’agissait bien d’un nouveau virus, porteur de toutes les menaces d’un virus pandémique, il était difficile de prévoir le taux d’immunisation d’une partie de la population. Or celui-ci a joué un rôle important dans l’évolution de la pandémie. Par ailleurs, l’efficacité des antiviraux s’est révélée plus importante que prévu. L’absence quasi-totale de cocirculation virale et d’éléments de surinfection explique également a posteriori le caractère très favorable du scénario qui s’est finalement imposé. Or nous ne disposions pas de ces éléments au début de la pandémie, et même au début de la première vague.

Notre évaluation a pris en compte les données relatives aux systèmes de santé les plus proches du nôtre, notamment néo-zélandais et australien, qui présentent des systèmes de surveillance épidémiologique et de prise en charge des patients tout à fait comparables aux nôtres. C’est pourquoi le 19 novembre, nous avons rencontré nos collègues de ces pays dans le cadre d’un séminaire dont le but était de tirer les leçons de ce qui s’était passé dans l’hémisphère sud pour affronter la vague à venir dans l’hémisphère nord. Si nous avons été particulièrement attentifs au taux d’hospitalisation et au nombre de cas sévères dans ces pays, c’est précisément parce que nous savions que leur système de soins était tout à fait comparable au nôtre. S’agissant des États-Unis, il est vrai que le critère du taux d’hospitalisation est moins pertinent ; en revanche, nos deux systèmes sont comparables en ce qui concerne la prise en charge des formes les plus graves par les services de réanimation.

M. Gérard Bapt. Avez-vous des informations sur d’éventuels décès post-vaccination ? Sur quelles études cliniques vous fondez-vous pour affirmer l’efficacité des antiviraux ? Vous n’avez pas évoqué en revanche l’efficacité des simples gestes barrières, prônés par les messages de santé publique.

Vous avez rappelé que la déclaration de pandémie est liée à l’apparition d’un virus nouveau. Que pensez-vous de la modification par l’OMS de la définition d’une pandémie qui lui a permis de lancer la phase 6 de l’alerte ? Comment affirmer le caractère entièrement nouveau du virus, alors que dès le 22 mai 2009, les Centers for Disease Control and Prevention d’Atlanta indiquaient que 10 % des moins de soixante ans et 33 % des plus de soixante ans avaient déjà développé des anticorps contre ce virus prétendument nouveau ? En outre, le directeur des CDC d’Atlanta affirmait le 5 mai, que « le virus n’[avait] pas l’air plus sévère qu’une souche de grippe saisonnière, qui fait chaque année 36 000 morts aux États-Unis », ce qui est contraire à vos affirmations quant à l’impossibilité de connaître exactement le degré de gravité de la pandémie dans l’hémisphère Nord avant l’automne.

Vous nous dites que vous avez pu tirer le bilan de la pandémie le 19 novembre, lors d’un séminaire auquel participaient des collègues de l’hémisphère Sud. Or le Dr Dupagne, généraliste parisien disposant d’un site internet, affirme qu’il était dès le mois de mai arrivé à la conclusion qu’il ne s’agirait pas d’une épidémie grave en correspondant par voie électronique avec des collègues de l’hémisphère Sud.

Vous nous annoncez maintenant la survenue d’un deuxième pic épidémique. Croyez-vous qu’après ce qui vient de se passer, la population et le corps médical seront sensibles aux messages de santé publique fondés sur vos attendus ? Quelle est exactement cette étude InVS-INSERM sur laquelle s’appuyait le Comité de lutte contre la grippe et M. Flahaut pour prédire que l’épidémie de grippe risquait de tuer 30 000 personnes en France ?

On nous parle aujourd’hui d’une simple hypothèse : il n’empêche qu’une dépêche AFP du 12 mai, reprise sur le site du Monde, l’a diffusée comme une pure et simple information. Or le bulletin épidémiologique de l’OMS en date du 22 mai fait état de 180 décès liés à la grippe A dans le monde entier. Cette panique, largement entretenue par l’OMS, lui a permis de déclencher le 11 juin 2009 la phase 6 de l’alerte à la pandémie, alors que seulement 144 décès dans le monde étaient alors attribués à la grippe A. Tout cela ne laisse pas d’interroger les responsables publics et tous ceux qui réfléchissent aux questions de santé publique. En effet, le passage en phase 6 mettait automatiquement en jeu les contrats « prépandémiques » ou options de commande liant les États aux producteurs de vaccins à hauteur de 2,26 milliards d’euros. Bingo pour les laboratoires producteurs de vaccins !

Ce contexte, s’il ne met pas en cause la responsabilité de l’InVS, devrait cependant vous inciter à vous demander si vous agiriez de même à la prochaine occasion.

Mme Françoise Weber. Vous me permettrez, monsieur le député, de ne pas commenter l’ensemble des interventions de mes collègues épidémiologistes, qu’ils aient été à certains moments plus optimistes ou, à d’autres, plus pessimistes : cela demanderait beaucoup plus de temps que cette commission n’en dispose.

Quant aux responsabilités de l’InVS, notamment celle de préparer le système de santé à ce qui pouvait arriver, je me suis déjà exprimée sur la question. Je rappellerai à ce propos un principe qui vaut, non seulement dans le champ sanitaire, mais également dans le domaine de la défense nationale comme dans beaucoup d’autres : on doit se préparer à des menaces dont la survenue n’est jamais certaine et dont nous essayons de préciser les contours au fur et à mesure.

En ce qui concerne les décès post-vaccination, je ne suis pas compétente et Jean Marimbert saura vous répondre de façon beaucoup plus précise que moi. Je peux simplement vous dire qu’en termes épidémiologiques nous n’avons pas constaté de phénomène anormal.

L’efficacité des antiviraux, notamment du principal d’entre eux, l’oseltamivir, avait été évaluée sur la grippe saisonnière. À partir de la synthèse des études disponibles, le groupe Cochrane avait conclu à une efficacité limitée sur la grippe saisonnière. En revanche, certains éléments mettaient en évidence l’impact de l’oseltamivir sur la mortalité liée à la grippe aviaire. En outre, l’analyse des premiers cas graves de grippe A (H1N1) indiquait un risque de deux à cinq fois plus élevé pour les personnes, présentant ou non des facteurs de risque, qui n’avaient pas reçu de Tamiflu dans les quarante-huit premières heures, résultats confirmés par la littérature scientifique internationale. Cette confirmation de l’efficacité d’une telle administration du Tamiflu nous a conduits à en recommander la prescription, même pour les personnes ne présentant pas de facteurs de risque.

En termes scientifiques et épidémiologiques, il s’agissait bien d’une pandémie, c’est-à-dire de l’apparition d’un nouveau virus se diffusant très rapidement sur l’ensemble des continents. Mais l’OMS a besoin de critères plus fins pour déterminer des seuils dans la gestion de la pandémie. Elle a considéré à un certain moment la sévérité comme un élément à prendre en compte pour lancer une phase de mobilisation plus importante. Or ce critère s’est révélé insuffisamment pertinent et d’une application trop peu facile pour que l’OMS le conserve. La question n’est donc pas celle de la définition de la pandémie, mais celle des critères à prendre en compte pour activer les différentes phases d’alerte.

La déclaration faite le 5 mai par nos collègues des CDC ne traduit qu’une observation à un moment donné, qui ne permet pas de préjuger ce qui se passera en hiver, comme l’ont montré les pandémies précédentes. Le rapport fait à la présidence des États-Unis au mois d’août par les mêmes auteurs avance des hypothèses tout à fait similaires à celles que nous avons soumises à la DGS et à notre ministère, à savoir de 30 000 à 90 000 décès, de 150 000 à 300 000 hospitalisations en réanimation, et 1,8 million d’hospitalisations. Nos hypothèses ont donc toujours été cohérentes et conformes à celles des CDC et de la Health Protection Agency (HPA). C’est une chose que de constater un état de fait à un instant t, mais c’en est une autre que d’établir des hypothèses et des scénarios pour préparer un système de santé à une menace et tout un pays à affronter une crise. Nous étions dans la préparation à une menace, dont on ne savait, par définition, ni quand ni comment elle allait se réaliser.

La vision du Dr Dupagne était juste s’agissant du plus grand nombre de malades. Dès le début, nous avions vu que la plupart des patients présentaient des formes tout à fait bénignes de la maladie. Mais ce serait tout à fait faux de caractériser cette pandémie par cette seule observation. Nous avons eu à faire face à de nombreuses formes graves et inhabituelles chez les sujets jeunes. Il faudrait aussi interroger les réanimateurs, dont l’analyse du phénomène est différente de celle des généralistes. Ceux-ci vous diront qu’ils ont observé des cas qui, par leur nombre et leur sévérité, dépassaient tout ce qu’ils ont coutume de voir à l’occasion des grippes saisonnières. Je me permets de vous inviter à entendre à ce sujet les présidents des sociétés savantes d’anesthésie et de réanimation. Leurs observations recouperont certainement celles faites par nos collègues australiens et néo-zélandais à la fin de la vague pandémique de l’hémisphère Sud : si la plupart des cas sont tout à fait bénins, la sévérité tout à fait inhabituelle de certains rend difficile la prédiction de l’ampleur de l’épidémie, notamment au moment de son passage à l’hémisphère Nord.

M. Gérard Bapt. Vous agiriez donc de même dans des circonstances analogues. Pouvez-vous nous confirmer que, depuis le lancement de l’alerte au virus A (H1N1), le paludisme a fait 1 million de morts à travers le monde ?

Mme Françoise Weber. Le paludisme dépassant le champ d’investigation de cette commission, vous me permettrez de vérifier les données dont je dispose en ce domaine avant de vous confirmer cet élément par écrit.

Il est évident que des éléments de choix stratégique interviennent dans les décisions de santé publique, notamment en ce qui concerne le rapport coût-efficacité. Quel que soit le pays, les décideurs tiennent compte des moyens dont celui-ci dispose au regard de l’impact qu’ils souhaitent obtenir sur la santé publique. Je crois que c’est ce qui s’est passé dans le cas d’espèce, sans que je puisse me livrer à une analyse plus approfondie. Mon sentiment personnel est que la campagne de vaccination et les messages de santé publique sur les mesures barrières ont joué un rôle et qu’en termes de santé publique, ces mesures étaient proportionnées à la menace présente au moment où elles ont été décidées. Je ne dispose pas d’éléments pour les considérer comme disproportionnées au regard de la menace à laquelle nous avions à faire face.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous demanderai de bien vouloir nous communiquer vos travaux sur l’impact de ces mesures barrières, non seulement sur la prévention de la grippe A, mais aussi sur celle d’autres virus.

Vous ne devez pas perdre de vue que vous n’êtes pas seulement un conseil de l’État et des décideurs politiques : la reprise de vos travaux dans les médias vous donne également un rôle d’information du public. Quand vos doutes scientifiques, légitimes, deviennent des certitudes médiatiques, voire des contrevérités qui se propagent dans l’opinion, cela décrédibilise aux yeux de celle-ci l’ensemble des autorités sanitaires, et on risque de créer un problème plus grave que celui auquel on était censé remédier.

M. le rapporteur. Pour m’être rendu au Center for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta au mois de décembre, monsieur Bapt, je puis vous dire que leurs inquiétudes restaient vives. Je vous rappelle également que le président Obama avait déclaré l’urgence sanitaire en juillet.

La prévention n’est pas la précaution : l’une porte sur un fait avéré, quand la précaution s’applique même lorsque l’on ne sait pas quel peut être le risque. Or je pense que, comme la majorité d’entre nous, vous avez voté en faveur de l’inscription du principe de précaution dans la Constitution.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ça n’a pas été mon cas.

Madame Weber, nous vous remercions.

La séance est levée à vingt heures trente.