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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A (H1N1)

Mardi 6 avril 2010

Séance de 20 heures 30

Compte rendu n° 05

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Bernard Boubé, préfet et ancien directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS)

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A (H1N1)

Mardi 6 avril 2010

La séance est ouverte à vingt heures trente.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) entend M. Bernard Boubé, préfet et ancien directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS).

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Bernard Boubé, préfet et ancien directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS).

M. Bernard Boubé prête serment.

M. Bernard Boubé, préfet et ancien directeur de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS). Je serai plus bref que prévu puisque je suis auditionné après M. Didier Houssin et Mme Françoise Weber. C’est en tant qu’ancien spécialiste de la planification de crise que j’ai suivi les événements relatifs à la pandémie, les réactions qu’elle a suscitées et les décisions qui ont été prises.

Je tiens en premier lieu à vous faire part de l’expérience frustrante que j’ai vécue lors de la constitution de l’ÉPRUS, fin août 2007, jusqu’à juin 2008, période très courte mais riche en événements de toutes sortes, du moins en ce qui me concerne.

Cette période, que je considère comme un échec, est d’abord l’histoire du rejet d’une greffe par un organisme – la DGS, voire le ministère de la santé – qui n’en éprouvait pas le besoin.

J’ai eu l’occasion de présenter, devant la commission des finances du Sénat, le déroulement des événements : le rapport provisoire de l’été 2009 fait clairement apparaître les causes de dysfonctionnement et les insuffisances de l’ÉPRUS, structure condamnée par son administration de tutelle à un rôle subordonné interdisant toute perspective de progrès. Du reste, le rapport du Sénat s’interrogeait sur sa pérennité.

Certaines des difficultés les plus graves qui ont justifié mon départ de l’ÉPRUS ont trouvé des solutions, parfois tardives, qui ne sont pas toutes satisfaisantes. Je pense notamment à l’installation pérenne du siège de l’ÉPRUS au début de l’année 2009, à la révision de son statut juridique au regard de son activité pharmaceutique par un décret d’août 2008 et, consécutivement, à l’ouverture, en avril 2009, d’un établissement pharmaceutique.

L’ouverture de cet établissement était particulièrement importante puisqu’elle conditionnait l’exécution des missions que la loi avait confiées à l’ÉPRUS s’agissant notamment de l’acquisition, du stockage et de la distribution de produits relevant des protections édictées par le code de la santé – le monopole pharmaceutique, pour faire bref.

Le rapport du Sénat indique que les relations entre la DGS et l’ÉPRUS ont été formalisées par une convention. N’en ayant pas connaissance, il m’est difficile de l’apprécier. Le fait que la DGS et moi-même, en tant que directeur de l’ÉPRUS, n’ayons pas eu la même conception de nos rapports a été une des raisons principales des difficultés rencontrées. En dépit de mes propositions réitérées, nos rapports n’ont fait l’objet d’aucune tentative d’organisation.

En revanche, l’organisation des rapports de l’ÉPRUS avec le service de santé des armées, selon les modalités que je souhaitais présenter au conseil d’administration de juin 2008 – conseil annulé en raison de mon départ –, constitue une évolution favorable. La sécurité des stocks concernés est désormais mieux prise en compte. Je ne suis pas certain que ce soit le cas de tous les produits.

D’autres difficultés provenaient de mauvaises pratiques, d’erreurs et de routines sur le plan administratif, que je voulais écarter d’un établissement public créé par le législateur en vue de professionnaliser la logistique de crise sanitaire. Elles portaient à la fois sur les modalités de transfert des marchés par la DGS, la gestion des stocks et la constitution d’une réserve de professionnels de santé, laquelle, malheureusement, en était encore à l’état de projet lorsque je suis parti, en dépit des efforts que l’ÉPRUS avait fournis afin de la mettre en place.

De fait, les blocages que j’ai rencontrés lors de la mise en route de l’ÉPRUS, ainsi que pour assurer la sécurité de l’établissement au regard du code de la défense, ne m’ont pas permis de mener à bien la mission qui m’avait été confiée. C’est la raison pour laquelle j’ai quitté mes fonctions. Certains de ces blocages, je l’ai dit, appartiennent au passé, mais ce n’est pas le cas de tous.

Il est vrai que la loi du 5 mars 2007 présentait quelques ambiguïtés, qui en rendaient l’application difficile. C’est ainsi que le texte ne précisait pas la nature juridique et la domanialité des stocks de produits de sécurité. Ces stocks sont conjointement financés par les budgets de l’État et de l’assurance maladie, qui alimentent à parts égales le budget de l’ÉPRUS. Ils sont acquis par l’ÉPRUS sur demande du ministre chargé de la santé, mais sur le budget de l’établissement, qui dispose de l’autonomie financière. S’ils sont conservés sous la responsabilité de l’ÉPRUS, ils sont délivrés aux autorités sanitaires d’emploi sur ordre du ministre. S’agit-il dès lors de stocks d’État ou de l’ÉPRUS ? Doivent-ils être intégrés dans la comptabilité patrimoniale de l’État ou dans celle de l’ÉPRUS ? Faut-il distinguer les régimes juridiques des stocks constitués par l’État avant la création de l’ÉPRUS et des stocks qui sont constitués par l’ÉPRUS à la demande de l’État ?

La DGS et moi-même n’avions pas la même position en la matière. Je tiens à rappeler que c’est la mienne qui a été confirmée par la Cour des comptes. Il n’en reste pas moins que des sujets aussi importants que la présentation des comptes, la préparation de certains appels d’offre ou la prise en charge des stocks, que je souhaitais formaliser par une convention de transfert, puisque l’ÉPRUS risquait d’en devenir le responsable en tant que personne morale, et non pas simplement comme un établissement se livrant à une activité d’État, soulevaient de nombreuses questions, qui devenaient plus sensibles au fil des mois. Il en était de même du contrôle de la conservation de ces stocks chez les prestataires.

Enfin, la conception de la loi relativement au corps de réserve sanitaire me paraît quelque peu restrictive : l’expérience de la lutte menée contre le virus de la grippe A (H1N1) confirme l’intérêt d’un élargissement de cette conception, pour en faire, à l’exemple des réserves militaires, un corps beaucoup plus large, répandu sur le territoire, qui pourrait, tout d’abord, servir à tester nos réactions en termes de mobilisation, ou du moins de sensibilisation, ce qui nécessiterait la prise en charge sur fonds publics de formations et d’échanges techniques, appelés à devenir opératoires le moment venu. Ces canaux permettraient également de prendre le pouls du terrain et de redresser d’éventuelles erreurs de communication.

Telle est l’expérience que j’ai vécue à l’ÉPRUS. Ma tutelle et moi-même ne partageons évidemment pas le même point de vue sur la façon dont les événements se sont déroulés.

En ce qui concerne la pandémie, il est vrai qu’une des questions posées par l’opinion est celle de la qualité du plan de crise et, plus généralement, d’une préparation dont les autorités publiques se prévalaient avec constance avec un haut niveau de satisfaction. Je n’ai pu porter qu’un regard extérieur, puisque je ne suis plus directeur de l’ÉPRUS depuis juin 2008. Comme vous l’a indiqué Mme Françoise Weber, en dépit d’une observation attentive et de la mobilisation de tout le savoir scientifique, nous n’avons pas toujours connu la situation avec exactitude. Or, ces incertitudes n’ont pas été sans conséquences. L’InVS rappelle les différences considérables entre les estimations des réseaux GROG (groupes régionaux d’observation de la grippe) et Sentinelles au 13 décembre 2009, c’est-à-dire au pic de l’infection : elles allaient de 6,7 à 12 millions de cas et, au total pour l’InVS, de 8 à 15 millions. Ce fait est préoccupant puisqu’il indique qu’on ignore ce qui s’est exactement passé. De même, s’agissant du traitement des malades, on a ressenti un flou certain entre, d’une part, les déclarations officielles et, d’autre part, la façon dont les médecins ont pris en charge leurs patients.

La distinction avec la grippe saisonnière a parfois été assez longue à apparaître et des qualifications contrastées ont affecté le phénomène – on a ainsi évoqué une « grippette ». Quant aux cas de surinfection, nous ne les connaissons avec certitude que pour les patients hospitalisés, mais moins bien pour l’ensemble des personnes atteintes par le virus. Nous ignorons de ce fait l’état réel des malades guéris et le nombre de ceux qui conservent des séquelles respiratoires. S’il est vrai que le quart de la population a été affecté, nous obtiendrons bientôt des réponses à toutes ces questions.

Par rapport aux prévisions du plan, il est vrai que de nombreux sujets n’ont pas été défrichés, compte tenu de la situation réelle de la pandémie. En ce qui concerne les mesures barrières, les fermetures d’écoles n’ont eu que peu d’effets puisque, dans de nombreux endroits, aucun dispositif d’isolement des enfants n’était prévu. Les parents n’ont donc pas pu y recourir dans tous les cas. Quant à la surveillance des voyageurs, elle a été très vite réduite après avoir concerné principalement le Mexique – cette réduction n’est du reste pas propre à la France. Par chance, le virus a tardé à se répandre dans notre pays. Le plan recommandait l’usage de masques de protection et des stocks considérables ont été constitués ; or ces stocks n’ont pas été utilisés. Est-ce dû à la péremption des stocks anciens, au retard dans les renouvellements autorisés par la loi de finances au printemps 2009 ou à la crainte que les salariés et la population ne refusent de se soumettre à la contrainte, mal comprise, de l’usage du masque en public ? Je n’ai toujours pas de réponse à ces questions.

Quant aux antiviraux, il est vrai qu’ils ont montré leur efficacité lorsqu’ils ont été administrés, c'est-à-dire dans les hôpitaux. Au dehors, tout dépendait de la pratique des médecins traitants, qui, pour la plupart, ont utilisé d’autres dispositifs, lesquels, il est vrai, leur avaient été recommandés au début de la pandémie. Ils ont pu ainsi se rendre compte que le paracétamol traitait avec efficacité la plus grande partie des patients atteints. Ce n’est que tardivement que l’usage plus systématique des antiviraux leur a été recommandé.

Fallait-il recourir au système centralisé de vaccination ? Les explications en la matière sont toutes pertinentes. Il n’en reste pas moins que la situation a créé dans l’opinion publique un hiatus important avec les autorités sanitaires, d’où la création de votre commission d’enquête. C’est sans doute le point majeur sur lequel des efforts doivent porter afin de rétablir une relation de confiance, fondée sur la transparence et l’écoute, relation sur laquelle, à juste titre, le plan de crise insistait. Il importe de réduire la méfiance, encore vive, de la population à l’encontre des autorités sanitaires et des experts.

Les difficultés rencontrées lors de la crise proviennent moins du plan lui-même, qui reste bon dans son principe, que de l’usage qui en a été fait. Comme celle de 1976, plus encore que celle de 1968 et 1969, la pandémie « avortée » de 2009 a été provoquée par un virus qui a manqué de franchise. Sa virulence s’est atténuée après son apparition spectaculaire au Mexique, prenant à contre-pied un grand nombre d’autorités sanitaires. Nos plans ont été à l’origine conçus pour une pandémie agressive et un virus meurtrier, et cette dangerosité imprégnait sans doute les esprits, ce qui n’a pas manqué d’influer sur les décisions. Il est souhaitable que la prochaine version du plan reflète davantage la réalité nuancée des pandémies, ce qui permettrait de mieux contribuer au traitement de la crise à venir – il en arrivera forcément une. Il convient, à cette fin, que les causes profondes des difficultés rencontrées aient été préalablement reconnues et traitées.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. J’ai été le rapporteur du texte qui a créé l’ÉPRUS. Cet organisme destiné à réagir aux urgences sanitaires représentait à nos yeux un progrès considérable. Or, en tant que premier directeur de cet établissement, vous venez de nous exposer les dysfonctionnements qui ont accompagné sa naissance, notamment les problèmes qui ont très vite surgi entre votre tutelle et vous-même et qui sont à l’origine de votre départ.

Le fonctionnement actuel de l’ÉPRUS continue-t-il, à vos yeux, de mériter vos critiques ? Si tel est le cas, qu’entendez-vous par l’élargissement du rôle de l’ÉPRUS, que vous avez évoqué dans votre propos liminaire ? Souhaiteriez-vous que l’établissement acquière un rôle équivalent à celui de la Biomedical Advanced Research and Development Agency (BARDA) aux États-Unis, qui ne se contente pas de gérer des stocks, mais qui intervient aussi dans les décisions et la recherche ?

M. Bernard Boubé. Je n’ai évoqué que les difficultés auxquelles j’ai été directement confronté. Je ne dispose, pour la suite, que d’informations en provenance de sources ouvertes.

Ces difficultés étaient de plusieurs ordres. Je le répète : je n’ai pas pu installer le siège de l’ÉPRUS durant les neuf mois pendant lesquels j’ai dirigé l’établissement. Le président de l’ÉPRUS et moi-même avons très rapidement fait une proposition visant à installer l’établissement dans une tour parfaitement sécurisée et sécurisable, puisque ne s’y trouvaient que des services de l’État ou proches de l’État. De surcroît, cette tour est très bien connue des services de gestion des ministères chargés des questions sociales – santé et travail – puisqu’un grand nombre d’entre eux y sont installés. Si, comme nous l’avions proposé, nous avions pu, à notre tour, y installer l’ÉPRUS dès la fin du mois de novembre 2007 nous aurions pu, dès mars 2008, disposer d’un établissement pharmaceutique et prendre en charge une grande partie, voire la totalité des nombreuses opérations que la DGS souhaitait nous confier. De plus, la France prenait alors la présidence de l’Union européenne et il n’existait dans aucun autre pays de l’Union une structure de ce type : ainsi aurions-nous pu entraîner nos partenaires dans des coopérations, qui étaient souhaitées par le gouvernement français.

Le président de l’ÉPRUS et moi-même n’avons été informés de l’impossibilité d’installer l’ÉPRUS dans ces locaux que la veille de la réunion du conseil d’administration qui devait entériner le projet. Il a fallu attendre mon départ pour que la situation se décante. J’avais, à plusieurs reprises, fait des propositions – nous avons visité vingt-huit sites –, mais je n’ai jamais pu obtenir les informations me permettant d’établir le bon dimensionnement du site de l’ÉPRUS.

Par ailleurs, si je ne demandais pas l’augmentation des effectifs prévus pour la gestion des stocks, même en cas de modification stratégique importante, du fait que je travaillais en liaison avec le service de santé des armées afin de sécuriser les stocks dans des conditions que les militaires maîtrisent, j’avais en revanche posé la question de la réserve sanitaire. La DGS avait en la matière un projet, certes limité, mais conforme à la loi : il consistait à sécuriser les urgentistes en leur permettant d’obtenir une véritable professionnalisation de leurs missions, notamment extérieures. Or, pas même ce projet n’a pu aboutir, puisque, à mon départ, les règles d’emploi de cette réserve minimale n’avaient pas encore été présentées au conseil d’administration, la DGS ayant souhaité le faire à ma place. Par-delà ce projet, j’avais pour ambition de constituer une réserve de plusieurs dizaines de milliers de professionnels de santé, ce qui aurait permis de couvrir l’ensemble du territoire – ce projet est, à mes yeux, toujours d’actualité. Je n’ai pas réussi à savoir en quel sens trancherait la DGS : or une réserve de quelques dizaines de milliers de professionnels ne peut être gérée comme une réserve minimale de quelques centaines.

Quant à la stratégie de stockage, elle n’a été arrêtée qu’après mon départ, alors que tout était prêt avec le service de santé des armées.

L’addition de toutes ces incertitudes et l’absence de siège de l’établissement ne nous a pas permis d’obtenir de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) l’agrément pour l’ouverture d’un établissement pharmaceutique, ce qui nous contraignait à ne réaliser certaines opérations, devenues urgentes en raison des dates de péremption, qu’en oubliant des dispositions majeures de la loi, comme le monopole pharmaceutique. Cela n’était possible qu’à la condition d’obtenir l’expression d’une certaine confiance politique, mais tel ne fut pas le cas. Il m’était donc devenu impossible de rester et je suis parti. Le reste est affaire de perception. J’ai présenté ma démission, en en exposant les raisons, ce qui n’est pas habituel. Il est tout à fait normal qu’il ait été mis à fin à mes fonctions, ce que je considérais comme souhaitable.

M. Gérard Bapt. M. le rapporteur vous a demandé ce que vous entendiez par l’« élargissement » des missions de l’ÉPRUS.

Par ailleurs, savez-vous si les doses de tamiflu mises gratuitement à disposition jusqu’à épuisement pour la prévention, y compris de personnes asymptomatiques, arrivaient à péremption courant 2010, ce qui ne laisserait pas de nous interroger sur cette indication larga manu ?

M. Bernard Boubé. Je souhaitais, non seulement élargir la réserve sanitaire, mais tout simplement que l’ÉPRUS assume la totalité de ses missions. Or la DGS et moi-même divergions sur la conception des relations entre un établissement public, qui est à un bout de la chaîne de sécurité sanitaire, et une administration centrale qui exerce sur cet établissement public et sur celui qui le dirige une double mission : d’une part, une mission de tutelle, prévue par la loi, qui porte sur les actes du conseil d’administration ; d’autre part, une mission hiérarchique, puisque la loi prévoit que le directeur général de l’ÉPRUS répond, au nom de l’État, à des demandes expresses du ministre de la santé relatives à l’acquisition ou à la mise à disposition de produits de santé. Il est dès lors agent de l’État et, de ce fait, ne relève plus de la tutelle qui pèse sur l’établissement public. Ces distinctions juridiques ne sont pas sans conséquences sur les relations entre les deux établissements et leur fonctionnement.

Avant mon départ, les relations entre l’ÉPRUS et l’administration de tutelle ont été établies sur des bases réduites par rapport à ce que la loi prévoyait.

Je ne me rappelle plus les dates de péremption des produits, et ne saurai donc répondre précisément à votre question. Je peux en revanche vous confirmer qu’on m’a demandé de réaliser des opérations avec rapidité, alors qu’il m’était quasiment impossible de le faire.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. J’ai été surpris d’apprendre par votre successeur à la direction de l’ÉPRUS que l’établissement, après avoir, dans un premier temps, récupéré les contrats précédemment passés par la DGS, se contentait de négocier avec tel ou tel laboratoire, sans avoir à effectuer lui-même des recherches, alors qu’il a un rôle de « logisticien » dans la discussion, la négociation, l’acquisition, la conservation et la distribution des produits de santé qui sont nécessaires pour répondre à une urgence sanitaire. Quel est votre avis en la matière ?

En dehors de la question de la réserve médicale, et par-delà votre désaccord avec la DGS sur le caractère de simple exécutant laissé à l’ÉPRUS, comment serait-il possible, selon vous, d’améliorer l’efficacité de l’établissement en matière de réponse aux urgences sanitaires ?

M. Bernard Boubé. Je suis obligé de me montrer prudent dans l’expression de mes préoccupations. En effet, dans le cadre de mes fonctions antérieures, j’ai eu l’occasion d’évaluer la sécurité des opérateurs d’importance vitale et de proposer de manière détaillée la mise en place de dispositifs visant à améliorer ladite sécurité. Or je n’ai même pas pu le faire dans l’établissement qui m’était confié. Il s’agit là d’un problème culturel majeur.

Il convient de rappeler que les missions de l’ÉPRUS ne concernent pas les seules pandémies mais aussi, et plus largement, la préparation et la réponse aux urgences sanitaires de toutes sortes – calamités naturelles ou hypothèses d’attentats.

M. le rapporteur. Vous pensez au bioterrorisme…

M. Bernard Boubé. Pas seulement : au terrorisme en général.

S’agissant des produits devant être gérés par l’ÉPRUS et des capacités de mobilisation des professionnels concernés – tel était le sens de la réserve sanitaire dans l’esprit du ministre qui avait défendu le texte en 2007 –, le terrorisme était expressément visé, même s’il est vrai que chacun avait dans l’esprit les problèmes liés aux pandémies – nous sortions du SRAS et voyions se profiler la grippe H5N1.

Compte tenu de mes activités antérieures et de mon expérience, j’avais une conception précise de la manière de procéder : lorsque j’ai compris que celle-ci n’était pas partagée par ma hiérarchie et que je n’aurai pas le dernier mot, j’en ai tiré les conséquences.

Que l’ÉPRUS, aujourd'hui, remplisse déjà ses missions ! Toutefois, comme je vous l’ai dit, je ne maîtrise plus le sujet, n’ayant même pas eu connaissance de la convention régissant désormais les relations entre l’administration centrale et l’établissement que je dirigeais.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pensez-vous avoir été nommé à l’EPRUS principalement en raison de vos responsabilités antérieures, à savoir dans la perspective de préparer un établissement public à répondre à des urgences sanitaires qui ne seraient pas d’origine naturelle ?

M. Bernard Boubé. Il faudrait le demander à ceux qui sont à l’origine de ma nomination. Je pense toutefois pouvoir répondre à votre question par l’affirmative.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous le sentiment que l’on a progressivement évolué vers une autre conception, laquelle ne nous préparerait pas à répondre de manière satisfaisante à des urgences sanitaires autres que naturelles ?

M. Bernard Boubé. Je n’ai pas dit cela ni ne pourrai le dire, puisque j’ai quitté l’ÉPRUS le 16 juin 2008. Depuis cette date, je n’ai pas cherché à savoir ce qui s’y passait, afin de ne gêner personne. Mon successeur a été nommé après un long délai et de nombreuses tractations. Les seuls échos que j’ai de sa prise de fonctions proviennent de la lecture du rapport de la commission des finances du Sénat.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-il légitime, compte tenu de la nature radicalement différente des deux missions confiées à l’ÉPRUS, même si leur finalité commune est d’assurer la sécurité sanitaire des Français, que l’administration de rattachement soit la DGS et, plus largement, le ministère de la santé ?

M. Bernard Boubé. J’ai répondu longuement à cette question devant la commission des finances du Sénat. Si celle-ci m’y autorise, je vous ferai parvenir ma réponse.

La question qui se pose est celle du rattachement de tout ou partie de l’ÉPRUS en fonction des objectifs qui lui sont assignés. L’accent est aujourd'hui mis sur un type de menaces, et il est heureux que les autres menaces ne se soient pas matérialisées. Toutefois, suivant de près les événements internationaux, je sais, comme tout un chacun, que ces menaces ne sont pas derrière nous : elles méritent donc un examen attentif.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je vous remercie, monsieur le préfet.

La séance est levée à vingt et une heures dix.