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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 28 avril 2010

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Hervé Gisserot, président de GlaxoSmithKline

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 28 avril 2010

La séance est ouverte à dix-huit heures.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Hervé Gisserot, président de GlaxoSmithKline.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Hervé Gisserot, président de GlaxoSmithKline (GSK).

M. Hervé Gisserot prête serment.

M. Hervé Gisserot, président de GlaxoSmithKline. GlaxoSmithKline dispose en France de quatre sites industriels et d’un site de recherche et de développement ; il emploie près de 5 000 employés sur toute la chaîne de valeur ajoutée du médicament, de la recherche à la commercialisation. Il est également le premier laboratoire international en termes d’investissements sur le territoire français, avec 850 millions d’euros investis au cours de ces trois dernières années.

Permettez-moi de vous présenter rapidement la contribution de GSK dans le contexte de la pandémie de grippe A(H1N1).

Les pandémies peuvent être dévastatrices, en termes de santé publique et sur le plan économique. C’est pourquoi, depuis près de dix ans, deux des priorités de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont été d’inciter les gouvernements à se préparer au risque de pandémie et d’encourager l’industrie pharmaceutique à élaborer des solutions adaptées.

Dans ce contexte, GSK France a réalisé de très importants investissements, à hauteur de 2,5 milliards d’euros ces dernières années, dans le domaine de la recherche et afin d’augmenter ses capacités de production.

Depuis 2005, des contacts réguliers ont été établis avec la Direction générale de la santé (DGS), de manière à tenir les autorités informées de nos données cliniques et de nos démarches réglementaires sur le vaccin contre la grippe A(H5N1). Mon prédécesseur, Christophe Weber, avait d’ailleurs été auditionné en novembre 2005 par la mission d’information sur la grippe aviaire sur le développement par GSK d’un vaccin adjuvanté.

Depuis le mois d’avril 2009, l’ensemble de nos équipes – recherche et développement, industrie, réglementation, pharmacovigilance – se sont mobilisées, sans relâche, pour faire face aux demandes des États confrontés à la crise sanitaire. Nous avons révisé nos priorités de production en fonction des recommandations de l’OMS, décalant dans le temps la production de certains vaccins moins prioritaires en termes de santé publique.

Dans le cadre de la préparation à la pandémie de grippe A(H1N1), GSK s’est appuyé sur sa présence industrielle en France. Le groupe a accéléré ses investissements dans le site de GSK Biologicals à Saint-Amand-les-Eaux pour produire l’adjuvant ASO3. Il a signé pour le remplissage, principal goulet d’étranglement de la production du vaccin, de nombreux accords de sous-traitance, en interne – le site de Notre-Dame-de-Bondeville a contribué au remplissage de l’antigène –, et en externe, avec notamment Pierre Fabre. Il a également exporté à partir d’Evreux, l’un de nos plus importants sites industriels dans le monde, la moitié de la production mondiale de l’antiviral Relenza.

Par ailleurs, le contexte évoluant très rapidement, Jean Stéphenne, président de GSK Biologicals, a adressé des courriers réguliers à l’ensemble des gouvernements européens, afin de les tenir informés, en temps réel et en toute transparence, des progrès réalisés sur les plans industriel, réglementaire et clinique, ainsi que des éventuelles difficultés à anticiper.

À la demande expresse de la direction générale de la santé (DGS), les discussions se sont accélérées au début du mois de mai 2009, à la suite des premiers cas de grippe porcine survenus au Mexique et de la déclaration de pandémie de niveau 5 faite par l’OMS le 29 avril. Les autorités nationales ont rapidement identifié l’intérêt du vaccin développé par GSK sur trois points essentiels : un dossier de vaccin prototype A(H5N1) avait déjà été approuvé par l’Agence européenne du médicament (EMEA) ; la présence d’un adjuvant permettait de réduire significativement la quantité d’antigène associé et garantissant une meilleure protection croisée ; enfin, le stockage séparé de l’adjuvant et de l’antigène permettait d’utiliser le vaccin au-delà de la pandémie en cours. En conséquence, une lettre d’intention, portant sur la commande de 50 millions de doses de vaccins, a été signée le 14 mai par le directeur de cabinet de la ministre de la santé. La production du vaccin a démarré le 22 juin, en amont de la signature, le 10 juillet 2009, du contrat avec l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS).

Le processus de décision a donc été rapide et géré avec beaucoup d’efficacité, d’exigence sur le plan scientifique et médical, et un grand sens mutuel des responsabilités.

Il fallait tenir des délais courts car, la capacité de production mondiale étant limitée, la France devait se positionner très vite afin d’obtenir les quantités souhaitées, et ce bien qu’elle n’ait pas signé de contrat de pré réservation avec GSK, qui n’avait pas répondu à l’appel d’offres des autorités françaises en 2005 ; en outre, dans cette période de préparation de la production, GSK devait impérativement évaluer ses besoins d’investissements.

Notre vaccin a reçu l’avis positif de la Commission européenne le 29 septembre 2009. GSK ayant souhaité que tous les pays européens ayant commandé le vaccin reçoivent la première livraison en même temps, la France a reçu 1,1 million de doses le 9 octobre. Au 4 janvier 2010, date de la notification unilatérale par le Gouvernement de la modification du contrat, 12,3 millions de doses avaient été mises à disposition, soit 25 % de la commande totale, suivant le planning de livraison indicatif. Les 18 millions de doses souhaitées par la France par suite de la révision unilatérale du marché ont fini d’être livrées le 16 février 2010.

Pour les 32 millions de doses restantes, la grande majorité des étapes industrielles avait déjà été réalisée à la date de la notification du 4 janvier 2010. Toute la production en vrac était ainsi finalisée, et la moitié des quantités était déjà conditionnée en flacons.

À ce jour, les discussions se poursuivent avec l’ÉPRUS dans le but d’aboutir à un accord transactionnel, souhaité par GSK et par les autorités françaises. Des accords ont déjà été signés par GSK dans une vingtaine de pays européens, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, ainsi qu’au Japon, à hauteur des deux tiers de la valeur initiale du contrat. Sur ces mêmes bases, GSK a fait une proposition étayée à l’ÉPRUS ; nous n’identifions pas de spécificité du contexte français justifiant une différence d’approche.

Je tiens à souligner que GSK a fait preuve d’esprit de responsabilité à tous les niveaux : scientifique, contractuel et sociétal.

En termes de responsabilité scientifique et réglementaire, les décisions appartiennent aux autorités mondiales, européennes et nationales compétentes, et la responsabilité du laboratoire est de fournir les données nécessaires pour les éclairer. Tout au long du développement et de la fabrication du vaccin, les données ont été soumises en intégralité et en toute transparence à l’Agence européenne du médicament (EMEA) et à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), dès qu’elles étaient disponibles.

En termes de responsabilité contractuelle, dans le cas d’une vaccination de masse et dans un contexte pandémique, il est non seulement logique, mais indispensable pour l’industriel que l’État prenne à sa charge la responsabilité de l’utilisation du produit – c’est d’ailleurs ce qui se fait dans tous les pays européens. En revanche, GSK assume pleinement et entièrement sa responsabilité pharmaceutique en termes de qualité des produits délivrés.

En termes de responsabilité sociétale, enfin, depuis l’émergence du risque pandémique au printemps 2009, GSK s’est constamment tenu à une position de réserve en matière de communication, notamment à destination du grand public. Nous n’avons jamais, en France ou ailleurs, participé à des communications susceptibles de majorer la perception du risque pandémique ou de surestimer le bénéfice vaccinal. Nous avons considéré qu’il appartenait aux pouvoirs publics de communiquer auprès du grand public sur la stratégie de gestion de la pandémie, sans aucune interférence de notre part.

En conclusion, face aux critiques rétrospectives, je veux souligner que, dans un contexte de grande incertitude scientifique et épidémiologique, pas un jour n’a été perdu : moins de cinq mois se sont écoulés entre la lettre d’intention et la livraison des premières doses de vaccin, qui ont permis de démarrer la campagne de vaccination auprès des professionnels de santé.

GSK se veut acteur de santé publique et partenaire dans la durée des autorités françaises, quelles que soient les circonstances. Nous sommes tout à fait ouverts aux réflexions en cours afin de tirer les leçons de cet exercice pandémique grandeur nature et apprendre à mieux nous préparer, tous ensemble, aux inévitables pandémies du futur. Gageons que cette commission d’enquête y contribuera.

M. le rapporteur. Quel était le prix d’une dose ? N’était-il pas possible de faire un vaccin monodose, ce qui aurait limité les stocks ?

Par ailleurs, bien que la résiliation du contrat remonte au 4 janvier, les négociations avec les autorités françaises ne sont toujours pas achevées. Confirmez-vous que vous exigez une indemnisation à hauteur des deux tiers de la valeur du contrat initial, et non de 16 %, comme d’autres laboratoires l’ont accepté ?

Enfin, sera-t-il possible d’utiliser ultérieurement ou de reconditionner sous forme de vaccins trivalents les 32 millions de doses de vaccin restantes ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Combien avez-vous produit de vaccins à travers le monde ? Les avez-vous facturés partout au même prix ?

M. Hervé Gisserot. La dose de vaccin a été facturée 7 euros à l’ensemble des pays européens ayant signé un contrat avec GSK.

M. Yves Bur. Sans clause de volume ?

M. Hervé Gisserot. Non.

Je souligne que nous n’avons en aucun cas cherché à tirer profit de la situation, puisque ce prix de 7 euros se situe dans la moyenne des tarifs européens du vaccin saisonnier – alors que les entreprises qui ont négocié dans une situation non pandémique, en 2005, ont obtenu un prix de 10 euros par dose. Nous n’avons donc pas exploité une quelconque « position de force ».

Notre dossier réglementaire de vaccin prototype A (H5N1) portait sur un vaccin multidoses ; il paraît évident que, face à une pandémie de grippe A (H5N1), cette option aurait été privilégiée. En outre, le principal goulet d’étranglement de la fabrication du vaccin n’est pas la production de l’antigène, mais le remplissage des flacons. Pour l’heure, l’industrie pharmaceutique n’a pas, à l’échelle mondiale, les capacités de remplissage suffisantes pour que, en cas de pandémie, le vaccin soit mis à la disposition des populations sous la forme d’un produit fini dans des délais suffisamment rapides pour assurer leur protection. Même si l’expérience a montré qu’il était pertinent de prévoir une part de vaccins monodoses, je ne pense pas – à moins que nos capacités de remplissage n’augmentent considérablement – qu’il faille suivre exclusivement cette piste.

À plusieurs reprises, les autorités françaises nous ont interrogés sur la possibilité de constituer un dossier de vaccin monodose. Nous leur avons à chaque fois répondu que, ce faisant, nous risquerions de perdre l’avantage procuré par un dossier réglementaire déjà déposé et approuvé.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Tous les laboratoires concernés étaient dans ce cas !

M. Hervé Gisserot. Non : Sanofi Pasteur n’avait pas déposé de dossier.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il aurait fallu déposer également un dossier de vaccin monodose.

M. Hervé Gisserot. On ne change pas un dossier multidoses en dossier monodose aussi facilement !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Là n’est pas la question ; dans la mesure où vous étiez en discussion avec l’État depuis 2005, pourquoi ne pas avoir déposé également un dossier de vaccin monodose, sachant que l’essentiel des vaccins que vous produisez sont de ce type ? Il aurait suffi d’activer le dossier adéquat, au lieu de se priver, pour des raisons purement administratives, d’un vaccin monodose !

D’ailleurs, pourquoi les autorités françaises n’avaient-elles pas signé de contrat de pré réservation avec vous, alors que vous êtes leur principal fournisseur ?

Du point de vue industriel enfin, comment expliquez-vous le goulet d’étranglement du remplissage ?

M. Hervé Gisserot. Je conviens que l’expérience de la pandémie de grippe A(H1N1) montre qu’il sera pertinent, à l’avenir, de constituer également des dossiers de vaccins monodoses, de manière à apporter davantage de flexibilité. Il n’en reste pas moins qu’à mon sens, aucun industriel du médicament ne sera capable, dans les délais requis en cas de pandémie, de fournir des vaccins monodoses en nombre suffisant pour couvrir les besoins des populations. Il faut donc prévoir une combinaison des deux.

Cela dit, en mai dernier, il n’était plus possible pour GSK, dans les délais impartis et avec la contrainte – légitime – d’une approbation du dossier réglementaire avant toute utilisation du vaccin, de passer d’un vaccin multidose à un vaccin monodose.

M. Yves Bur. Cela est-il arrivé dans d’autres pays ?

M. Hervé Gisserot. Nous ne l’avons fait ni en France ni ailleurs en Europe.

M. le rapporteur. Quels sont les autres vaccins produits par votre entreprise ?

M. Hervé Gisserot. Nous produisons de très nombreux vaccins : nous sommes, avec Sanofi Pasteur, les leaders mondiaux dans ce domaine.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Combien produisez-vous par an de vaccins monodoses contre la grippe saisonnière ?

M. Hervé Gisserot. Rien que pour l’Europe, nous avons lancé la production de 400 millions de doses de vaccins A(H1N1), ce qui est bien supérieur à notre volume de production habituel. Pour vous donner un ordre de grandeur, nous produisons 45 millions de doses de vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche (DTPa) et livrons 250 000 doses de vaccin saisonnier par an – mais nous ne sommes pas un acteur très important de ce marché en France.

Par ailleurs, nous ne pouvions pas allouer la totalité de nos capacités de remplissage au vaccin A(H1N1) : même en période de pandémie, nous devons continuer à fournir des vaccins essentiels pour la santé publique, comme les vaccins pédiatriques. C’est pourquoi nous avons fait appel à la sous-traitance, ce qui a soulevé des difficultés supplémentaires sur le plan réglementaire, puisque, pour toute intervention d’un sous-traitant, le dossier doit être amendé et approuvé au niveau européen.

M. le rapporteur. À quels sous-traitants avez-vous fait appel ?

M. Hervé Gisserot. Sur le territoire français, notre site de Notre-Dame-de-Bondeville, spécialisé dans les anti-thrombotiques et qui produit la Fraxiparine ou l’Arixtra, a été mobilisé, en raison de son savoir-faire en matière de remplissage stérile ; pour le remplissage de l’antigène du vaccin contre la grippe A(H1N1), notre site de Saint-Amand-les-Eaux a réalisé le remplissage de l’adjuvant ASO3 ; et nous avons également fait appel à Pierre Fabre.

M. le rapporteur. Les 400 millions de doses ont-elles toutes été fabriquées ?

M. Hervé Gisserot. La totalité a été produite en vrac ; pour la moitié, le remplissage en flacons avait déjà été réalisé.

M. le rapporteur. Les autorités des autres pays qui vous ont commandé des vaccins contre la grippe A(H1N1) sont-elles également en négociation pour la résiliation du contrat ?

M. Hervé Gisserot. La plupart des États ont finalisé leur négociation, sur la base, identique, des deux tiers de la valeur initiale du contrat passé – y compris de grands pays, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni, qui avaient commandé des doses en quantités comparables à la France.

Nous n’avons pas obtenu de contrat de pré réservation parce que nous n’avons pas participé à l’appel d’offres. Permettez-moi de citer la déclaration faite par mon prédécesseur lors de son audition devant la mission d’information sur la grippe aviaire : « Lorsque le Gouvernement a lancé l’appel d'offres, nous avons estimé qu'il était trop tôt pour s’engager sur quoi que ce soit. Rien ne dit que les fabricants parviennent à mettre au point un vaccin suffisamment immunogène pour que la réaction soit suffisante après deux doses. Il est possible qu'un fabricant ne parvienne qu'à produire un vaccin efficace seulement après trois ou quatre doses. »

Nous avions considéré, à l’époque, que notre dossier n’était pas suffisamment solide pour pouvoir nous engager vis-à-vis de l’État – bien qu’au moment de la pandémie, notre vaccin s’est révélé probablement le mieux préparé. D’autres ont répondu à l’appel d’offres, mais, comme l’histoire l’a montré, ils n’ont pas pour autant été prêts avant nous.

M. Gérard Bapt. Vous avez dit que 12 millions de doses avaient été livrées au 4 janvier 2010 ; or, la commande initiale prévoyait la livraison de 30 millions de doses à cette date. Pourquoi ce retard ?

Par ailleurs, lorsque, en novembre, alors que vous n’aviez pas encore fabriqué les doses, on a commencé à réaliser qu’un trop grand nombre de vaccins avait été commandé, les conditions de négociation de la résiliation auraient-elles été différentes si l’État avait réduit sa commande ?

M. Hervé Gisserot. Il est difficile de le dire ! Ce qui est probable, c’est que nous aurions recherché la cohérence à l’échelle européenne. La France n’aurait pas été traitée différemment du Royaume-Uni ou de l’Allemagne.

M. Gérard Bapt. On nous a pourtant dit que le Royaume-Uni avait pu adapter sa commande aux besoins, ce qui n’a pas été le cas de la France.

M. Hervé Gisserot. À ma connaissance, le Royaume-Uni avait pris une option sur une tranche additionnelle, mais la commande initiale était fixe.

M. Gérard Bapt. À combien de doses s’élevait-elle ?

M. Hervé Gisserot. La commande portait sur 60 millions de doses, plus une tranche additionnelle de 30 millions.

M. Gérard Bapt. La négociation sur la résiliation portait donc sur 60 millions de doses ?

M. Hervé Gisserot. Je ne connais pas les détails de la négociation britannique. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le gouvernement anglais a économisé un tiers de la valeur du contrat initial.

Quant au planning de livraison, il n’était qu’indicatif. Nous avons maintes fois souligné aux autorités qu’il ne pouvait en être autrement, dans la mesure où de nombreux paramètres, comme le rendement de l’antigène, ne pouvaient être connus avant d’avoir manipulé la souche. Nous avons tenu à peu près les délais pour la première livraison, mais le besoin d’optimisation du processus industriel, ainsi que certaines variations réglementaires, n’ont pas permis une montée en puissance aussi rapide que nous le souhaitions, ni d’atteindre le rythme de 2 millions de doses par semaine.

M. Gérard Bapt. La première livraison a été faite très tôt ; j’imagine que ces vaccins ont été utilisés dans les milieux hospitaliers.

Dans la lettre d’intention signée le 14 mai par le directeur de cabinet de la ministre, le prix par dose est de 7 euros hors taxes, à raison de 6 euros pour l’adjuvant et de 1 euro pour l’antigène. Dans la mesure où l’adjuvant peut être conservé durant quatre ans, les produits ne peuvent-ils pas être réutilisés ? L’économie réalisée serait bien supérieure à la somme que vous réclamez à l’État !

Par ailleurs, la commande prévoyait le versement d’arrhes à hauteur de 1,50 euro hors taxes par dose, soit 675 millions d’euros au total. Quand et par qui cette somme a-t-elle été versée ?

M. Hervé Gisserot. Pour les autorités françaises, notre vaccin présentait l’avantage – indépendamment de sa qualité intrinsèque – de proposer un conditionnement séparé de l’adjuvant et de l’antigène. Or, le coût financier reposait essentiellement sur l’adjuvant, qui était utilisable plus longtemps et qui pouvait être combiné avec d’autres antigènes, moyennant des démarches réglementaires complémentaires. Comme on ne mesurait pas bien la vigueur de la pandémie, cela représentait probablement un investissement en vue de constituer un éventuel stock stratégique.

Je retournerai donc votre argument : la France dispose aujourd’hui d’un stock stratégique d’adjuvants qu’elle peut conserver et utiliser dans d’autres circonstances.

M. Gérard Bapt. Mais vous n’avez pas livré les doses qui ont été résiliées. Or vous affirmez que vous avez tout produit. Il vous reste donc un stock important de doses de vaccins ?

M. Hervé Gisserot. Nous avons toujours exprimé aux autorités françaises notre souhait que, comme dans la plupart des autres pays, la résolution de la négociation passe par la commande des deux tiers des doses initiales. Si le Gouvernement français avait souhaité acquérir, non 18 millions de doses, mais les deux tiers des 50 millions commandés, le problème aurait été réglé depuis longtemps !

M. le rapporteur. Combien de doses vous reste-t-il ?

M. Hervé Gisserot. La totalité des 32 millions de doses qui n’ont pas été livrées suite à la révision unilatérale du marché ont été produites en vrac ; pour la moitié d’entre elles, les flacons ont été remplis.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous souhaitez être indemnisés à hauteur des deux tiers de ces 32 millions de doses ?

M. Hervé Gisserot. Non, à hauteur des deux tiers de la valeur initiale du contrat.

M. Gérard Bapt. Vous avez cependant reçu des arrhes. Ont-elles été retranchées de la somme que vous réclamez à l’État ?

M. Hervé Gisserot. La lettre d’intention signée le 14 mai prévoyait en effet que ces arrhes, qui devaient correspondre aux honoraires de pré réservation payés par les autres pays, soient incluses dans le prix, c’est-à-dire que le coût final d’une dose soit de 7 euros, et non de 8,50 euros.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dans le cas contraire, cela n’aurait plus été des arrhes !

M. Hervé Gisserot. Je souligne que la France a bénéficié d’une situation favorable, car, alors que nous avions déjà des engagements contractuels vis-à-vis d’autres pays, non seulement nous avons intégré la France au groupe des pays ayant pré réservé notre vaccin, mais nous ne lui en avons pas fait supporter le coût. Les premières doses de vaccin ont été livrées le 9 octobre, comme à l’Angleterre, à l’Allemagne et à d’autres États qui avaient payé des frais de réservation, alors que la France ne l’avait pas fait.

M. Gérard Bapt. Elle avait quand même versé des arrhes…

M. Hervé Gisserot. Qui étaient incluses dans le coût total de 7 euros et qui, de surcroît, n’ont jamais été versées : elles ont été intégrées dans la facturation finale.

M. Gérard Bapt. Quelles sont les données de pharmacovigilance dont vous disposez sur votre vaccin ?

M. Hervé Gisserot. Le Pandemrix a été administré à quelque 80 millions de personnes dans le monde. Selon nos données de pharmacovigilance, le rapport bénéfice/risques n’a pas été différent de celui prévu par les autorités réglementaires.

M. Gérard Bapt. Les laboratoires Merck et Lilly ont décidé de publier systématiquement les contrats qu’ils passent avec des médecins aux États-Unis. Une telle pratique serait-elle envisageable en France ?

M. Hervé Gisserot. Nous le faisons nous aussi aux États-Unis, et nous allons dans cette voie en Europe, car nous considérons qu’il s’agit d’un besoin sociétal. Si nous voulons que soit définitivement réglé le débat récurrent sur les conflits d’intérêts entre experts, industriels et autorités, nous devons pratiquer la plus grande transparence.

Lors de mon audition par la commission d’enquête du Sénat, le président Autain m’avait demandé, sans grand espoir, de lui communiquer les liens que nous avions avec les experts du secteur du vaccin ; je lui ai répondu par courrier pour chacun d’entre eux, à l’exception d’un seul qui ne m’a pas autorisé à le faire – contractuellement, l’accord de l’expert est nécessaire. C’est dire si nous sommes favorables à une plus grande transparence ! GSK est l’un des laboratoires moteurs en la matière.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quel est le délai de péremption du Pandemrix après ouverture ?

M. Hervé Gisserot. Le délai de péremption est de 18 mois pour l’antigène et de 36 mois pour l’adjuvant. Après ouverture, le produit doit être utilisé dans les 24 heures.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le vaccin de l’un de vos concurrents peut être utilisé durant une semaine. Pourquoi cette différence ?

M. Hervé Gisserot. Je ne vois pas à quoi vous faites référence. À ma connaissance, lorsque le vaccin est mélangé, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) recommande une utilisation dans les 24 heures.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est pourtant ce que les représentants des syndicats et de l’Ordre des médecins nous ont dit hier.

M. Hervé Gisserot. On peut malheureusement utiliser des produits sans respecter les autorisations de mise sur le marché (AMM). Tout ce que je peux dire, c’est que l’AMM recommande d’utiliser notre produit dans les 24 heures après sa reconstitution.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Et le produit de la concurrence ?

M. Hervé Gisserot. A priori, je ne connais pas de vaccin possédant une telle propriété. Toutefois, s’agissant de la concurrence, je ne serai pas formel.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous vérifierons.

Vous avez dit que le contrat français ne présentait pas de spécificités suffisantes pour faire l’objet d’une négociation particulière. Eu égard aux difficultés rencontrées, comment, à l’avenir, élaborer un contrat plus équilibré et moins pénalisant pour l’entreprise et pour l’État ? En effet, la moitié des doses dont vous réclamez le paiement à l’État sont en votre possession, en vrac, et sont potentiellement réutilisables dans un vaccin trivalent.

M. Hervé Gisserot. Pour ma part, je ne suis pas assez compétent en matière industrielle pour l’affirmer !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Un industriel que nous avons précédemment auditionné nous a expliqué qu’il intégrerait une partie de l’antigène produit dans un vaccin trivalent ; par ailleurs, l’adjuvant peut également être réutilisé.

M. Hervé Gisserot. Mes compétences en matière industrielle et réglementaire sont insuffisantes pour que je puisse vous répondre. Il se peut que l’antigène soit réutilisable, mais notre vaccin contre la grippe saisonnière étant sans adjuvant, la seconde hypothèse ne nous concerne pas. Nous développons un tel vaccin, mais nous ne l’avons pas encore commercialisé.

Quant au contrat, j’espère que vos commissions d’enquête permettront de concevoir des solutions plus judicieuses pour chacune des parties. Selon moi, face à un risque aléatoire, l’approche assurantielle serait la plus pertinente : on tâcherait de clarifier les choses en période non pandémique, en espérant que le risque couvert ne se présentera pas ; c’est d’ailleurs dans cet esprit que les autorités françaises ont passé l’appel d’offres en 2005.

M. Yves Bur. Si les négociations avec le Gouvernement aboutissent dans le sens que vous souhaitez, celui-ci vous réglera les deux tiers des 50 millions de doses commandées, soit 33 millions de doses.

M. Hervé Gisserot. Non, car, à mon grand regret, la négociation ne porte pas sur des doses, mais sur une somme d’argent. À ma connaissance, le Gouvernement n’envisage pas de constituer un stock de 33 millions de doses. GSK demande que le Gouvernement lui verse une somme correspondant à la valeur de ces 33 millions de doses.

M. Yves Bur. Le Gouvernement aura donc payé l’équivalent de 33 millions de doses. Sur les 18 millions de doses qui lui ont été déjà livrées, moins de 6 millions ont été utilisées. Il existe donc déjà un stock de 12 millions. Les 11 millions de doses restantes seront-elles livrées aux autorités françaises ou les conserverez-vous ?

M. Hervé Gisserot. Si le Gouvernement le souhaite, nous les lui livrerons. Cette possibilité a été évoquée, et elle a été mentionnée dans la presse sous l’expression de « droit de tirage ». Ce sont les autorités françaises qui ont décidé d’abandonner cette piste.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il faut dire qu’aux 12 millions de doses de Pandemrix s’ajoute le stock de Panenza : nous avons de quoi faire !

M. Gérard Bapt. Soulignons l’embarras des autorités françaises qui, non seulement se retrouvent avec un stock de vaccins sur les bras, mais doivent, de surcroît, conduire une négociation difficile.

Combien de doses de vaccin avez-vous produit dans le monde ?

M. Hervé Gisserot. Nos principaux contrats ont été européens – même si le Japon a été également un marché important. Comparativement, notre présence en Amérique fut beaucoup moins forte.

M. Gérard Bapt. Au total, vous avez donc produit quelque 800 millions de doses ?

M. Hervé Gisserot. Je dirais plutôt entre 600 et 700 millions – mais je vous communiquerai le chiffre précis.

M. Gérard Bapt. J’ai lu qu’il aurait été produit un milliard de doses de vaccins dans le monde – mais ce chiffre a été probablement sous-évalué. Sachant que l’on évalue à 300 millions le nombre de doses injectées, il existerait donc un stock de 700 millions de doses, au minimum. C’est énorme !

M. Hervé Gisserot. Le chiffre d’un milliard me semble plausible, dans la mesure où GSK a obtenu une part très significative des marchés passés par les autorités à travers le monde.

M. Gérard Bapt. Quoi qu’il en soit, cela reste sur l’estomac !

Un texte relatif à un partage d’avantages sur les fabrications de vaccins entre l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les firmes pharmaceutiques est actuellement en préparation. Personnellement, je m’interroge beaucoup ce qui s’est passé au sein de l’OMS durant cette pandémie. En dehors de contrats de recherche et des dons de vaccins à destination des pays pauvres, existe-t-il aujourd’hui des contrats de financement de structures de l’OMS par des laboratoires ?

M. Hervé Gisserot. Qu’est-ce à dire ?

M. Gérard Bapt. Le texte qui est présenté au conseil exécutif de l’OMS, et qui devrait venir en discussion à l’assemblée générale au mois de mai, évoque un partage d’avantages en fonction du niveau de production des vaccins. Pour l’heure, les États financent les structures de l’OMS, mais ces financements deviennent à l’évidence insuffisants. Le projet vise à ce que les laboratoires financent les structures de l’OMS en fonction du niveau de production des vaccins – comme si les laboratoires « renvoyaient l’ascenseur » à l’OMS, qui leur a fourni gratuitement les souches. Je voudrais donc savoir s’il existe déjà, actuellement, des contrats de financement de structures de l’OMS par les laboratoires.

M. Hervé Gisserot. N’étant pas suffisamment compétent en la matière, il m’est difficile de vous répondre sous serment.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il me semble que nous nous éloignons de notre sujet…

Monsieur Gisserot, nous vous remercions.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.