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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 5 mai 2010

Séance de 16 heures 20

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 5 mai 2010

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

M. Jean Marimbert prête serment.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous souhaitons examiner avec vous, monsieur le directeur général, la question des vaccins, de leurs dates de mise sur le marché, de leur conditionnement, ainsi que la participation de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé aux décisions internationales sur les vaccins à diffuser. Je vous propose de faire un exposé introductif d’une dizaine de minutes, qui sera suivi d’un échange de questions-réponses avec les commissaires.

M. Jean Marimbert, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Je rappellerai tout d’abord brièvement les principales activités de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dans le chantier de la pandémie grippale avant d’évoquer l’organisation de ses processus d’intervention. Je terminerai par quelques commentaires de portée plus générale.

Nous avions commencé de travailler bien avant le début de la pandémie de grippe A(H1N1), nous préparant plutôt à une pandémie H5N1. Dans cette perspective, nous avions notamment contrôlé les stocks stratégiques de produits de santé détenus par l’État, établi, à la demande du ministère de la santé, une liste de médicaments et de dispositifs médicaux indispensables en cas de pandémie, et autorisé l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires en tant qu’établissement pharmaceutique.

L’apparition du virus A(H1N1) et le passage à une pandémie ont démultiplié les activités de l’agence que l’on peut classer en deux catégories.

La première englobe celles liées à l’exercice des missions propres de l’agence, débouchant sur des décisions prises par son directeur général au nom de l’État en vertu de la loi. Pour les vaccins, il s’est agi notamment des autorisations accordées durant l’été 2009 pour des essais cliniques ou des études de suivi concernant le virus A(H1N1), d’autorisations d’importations et de certificats de libération de lots, sachant que tout lot de vaccins doit faire l’objet avant sa mise sur le marché d’un certificat émanant d’un organisme public de contrôle habilité – en France, ce sont les laboratoires de l’agence qui libèrent environ 40 % des lots commercialisés en Europe et environ la moitié de ceux commercialisés en France. L’agence a par ailleurs évalué le vaccin non adjuvanté Panenza ainsi que l’oseltamivir PG, développé par la pharmacie centrale des armées sous forme de comprimés sécables et que nous avons autorisé dans le courant de l’automne. Elle s’est occupée également du suivi des effets de la vaccination mis en place pour la circonstance, combinant un dispositif renforcé de pharmacovigilance, ouvert pour la première fois à grande échelle à la déclaration par les patients eux-mêmes, et une série d’études de suivi centrées sur certaines populations comme les femmes enceintes ou certains risques comme le syndrome de Guillain-Barré. En dehors des vaccins, l’agence a également procédé à des évaluations d’antiviraux et de solutions hydro-alcooliques.

L’agence a également fourni au ministère de la santé des éléments d’expertise et des avis pour l’éclairer dans les décisions qui lui incombaient – je pourrai revenir plus en détail sur ce point si vous le souhaitez. Enfin, l’agence a participé à la production et à la diffusion d’informations concernant les produits de santé utilisés en période pandémique. Elle a ainsi ouvert une rubrique sur son site internet, organisé deux conférences de presse dans ses locaux et participé à de très nombreux points de presse organisés au ministère de la santé à partir du début de la campagne de vaccination.

Quelques mots maintenant de l’organisation des processus d’intervention de l’agence. La plupart d’entre eux sont assurés intégralement en régie, par des agents de l’agence, en particulier pour tout ce qui concerne le contrôle en laboratoire et l’inspection des sites.

Pour ce qui concerne la pharmacovigilance, le travail a reposé essentiellement sur la collaboration entre les équipes internes du service concerné de l’agence et le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance qui recevaient les signalements des professionnels de santé et des patients, avec le concours, comme c’est la règle, des services de pharmacovigilance des laboratoires, destinataires eux aussi de signalements.

La mise au point des études de suivi a donné lieu à des échanges entre les équipes de l’agence et certains centres académiques, notamment des services de neurologie pour assurer un suivi spécifique du syndrome de Guillain-Barré.

S’agissant de l’évaluation des vaccins, il faut distinguer, d’une part, la participation de l’agence aux processus d’évaluation par le Comité des spécialités pharmaceutiques à usage humain (CHMP, Committee for medicinal products for human use), comité scientifique européen où elle est représentée et, d’autre part, les travaux menés en dehors de ce cadre centralisé. L’agence a été amenée, la France étant le pays rapporteur, à évaluer le vaccin non adjuvanté Panenza avec les agences des quatre autres pays parties à la procédure de reconnaissance mutuelle qui a débouché sur une décision d’autorisation juridiquement nationale. Cela s’est fait essentiellement avec des évaluateurs internes, dont le travail a servi de base à une consultation du groupe de travail de la commission d’autorisation de mise sur le marché chargée des médicaments anti-infectieux, puis de la commission d’autorisation de mise sur le marché en formation plénière. Il en a été de même pour l’évaluation de l’oseltamivir PG, dont il fallait vérifier la bioéquivalence avant de pouvoir lui accorder une autorisation de mise sur le marché.

Les évaluations ont été conduites dans le respect des principes de collégialité et de pluridisciplinarité, auxquels j’attache personnellement la plus grande importance ; de déclaration des intérêts pris en compte pour écarter les experts se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts avérée pour le produit concerné ; de transparence du processus, laquelle s’est traduite par la mise en ligne non seulement des documents de synthèse et des rapports publics d’évaluation mais aussi des comptes rendus des séances des commissions, depuis 2006 pour la commission nationale de pharmacovigilance et depuis 2007 pour la commission de contrôle de la publicité et la commission d’autorisation de mise sur le marché. La loi de 2007 a d’ailleurs rendu cela obligatoire pour toutes les commissions liées aux médicaments.

Je terminerai par les quelques brefs commentaires généraux que m’ont inspirés ma participation et celle des équipes de l’agence à ce vaste chantier de lutte contre la pandémie.

Premier constat : au bout du compte, le bilan humain en termes de souffrances et de décès a été beaucoup plus limité qu’on pouvait le redouter il y a un an à la même époque, et même encore à la fin de l’été ou au début de l’automne, dans un contexte d’incertitude majeure et persistante sur plusieurs paramètres essentiels de la pandémie. On ne peut que s’en réjouir, mais cela n’enlève rien à la nécessité de procéder à une évaluation approfondie de la gestion de la pandémie et de justifier les décisions prises. La sévérité moyenne, finalement très modérée de cette grippe, est évidemment le facteur explicatif essentiel, mais il n’est pas interdit de penser que l’action préventive et curative qui a été menée a pu contribuer de manière réelle et significative à cette issue positive. Je pense ainsi à la promotion des mesures barrières, à la vaccination des sujets à risque ou encore à la mobilisation des services d’urgence et de réanimation, dont les moyens avaient été renforcés pour accueillir les patients présentant des formes graves.

Le deuxième constat positif concerne la mobilisation très forte, tel est en tout cas mon sentiment, qui a eu lieu pour ce chantier de santé publique de grande ampleur, voire sans précédent. La réponse à la pandémie a fait appel à de nombreuses personnes qui, au sein des ministères et des agences, comme l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ou l’Institut de veille sanitaire, mais aussi parmi les experts, dans les établissements de santé, dans les centres de vaccination, dans les collectivités locales ou dans les industries de santé, ont su faire preuve de disponibilité et de réactivité autant que de compétence et n’ont mesuré ni leur temps ni leurs efforts. C’est un constat encourageant à prendre en compte dans l’évaluation globale.

Pour autant, et ce sera ma conclusion, certains aspects du bilan ne sont sans doute pas à la hauteur des efforts déployés et laissent un goût d’insatisfaction, en particulier quant à la proportion de personnes vaccinées, certes proche de celle constatée dans d’autres pays européens comparables, mais globalement modeste. Sans me livrer à une analyse exhaustive des causes de ce résultat mitigé, j’insisterai simplement sur deux points qui me sont apparus comme des difficultés sérieuses dans la gestion de la pandémie.

Le premier est le poids, beaucoup plus lourd que pour d’autres phénomènes épidémiques, notamment pour la grippe saisonnière, de l’incertitude sur la portée de la pandémie, qui a pesé très largement jusqu’à l’été. Moment de l’attaque par le virus, taux d’attaque, maintien ou non du même niveau de sévérité moyenne que dans l’hémisphère Sud, mutation rapide ou non du virus, coexistence ou non avec le virus de la grippe saisonnière, rendements de production vaccinale, calendrier des livraisons, date d’autorisation des vaccins : autant de paramètres encore très incertains au début de l’été 2009. Le champ de ces incertitudes s’est certes réduit au fil des mois, à mesure que la pandémie révélait sa nature réelle, mais nombre de celles-ci subsistaient encore fin novembre, alors que la campagne de vaccination était engagée et que l’on approchait du pic : rappelons-nous l’annonce le 20 novembre 2009 en Norvège d’une mutation du virus présentant des signes de résistance au traitement, les interrogations persistantes à l’époque sur la durée de la pandémie au-delà de l’hiver et la possibilité d’une nouvelle vague. Or, un message de santé publique est, toutes choses égales par ailleurs, plus difficile à formuler et à faire passer quand les contours précis de la menace ne sont pas identifiables d’emblée, les autorités sanitaires étant alors conduites à tenir un discours nuancé, faisant la part de ce qui demeure incertain et s’ajustant au fil des mois en fonction de l’évaluation des données disponibles. Cette évolution propre à une pandémie grippale complique l’équation globale de l’information qui est certainement à mes yeux l’un des points essentiels d’interrogation, avec le recul que nous avons maintenant. Les autorités sanitaires ont le devoir de délivrer à nos concitoyens l’information que ceux-ci sont en droit d’attendre afin d’être éclairés dans leur choix, en l’espèce de se faire vacciner ou non ou de faire vacciner ou non leur entourage. Cette information doit être aussi compréhensible que possible, sans être par trop simplificatrice au point de taire les zones d’incertitude ou de déformer la vérité scientifique. On peut souligner l’existence de formes graves touchant parfois des sujets sans antécédents médicaux sans pour autant prétendre en prévoir exactement la proportion ; on peut affirmer sa confiance, et nous l’avons fait, dans le profil général de sécurité des vaccins et défendre l’intérêt de santé publique de la vaccination sans pour autant prétendre, car ce serait affirmer une contre-vérité, que les vaccins ne provoqueront aucun effet indésirable grave et seraient donc totalement dénués de risque.

Dans une société démocratique où les formes et les canaux d’expression sur les enjeux de santé sont multiples, la parole des autorités sanitaires en croise beaucoup d’autres. Elle se télescope même parfois dans l’esprit de nos concitoyens avec des expressions contraires, parfois contradictoires, qui, notamment à la télévision ou sur internet, peuvent être beaucoup plus tranchées. Les autorités sanitaires ont une tout autre responsabilité que des individus, scientifiques ou non, qui expriment leur seule opinion sans contraintes. Si les Français ont pu être inquiets à certains moments, la majorité d’entre eux n’a pas dans l’ensemble perçu de menace grave, et la tonalité des conseils qu’ils recevaient durant l’automne 2009 de la part de leurs médecins n’était pas de nature à lever les appréhensions qu’ils pouvaient avoir face à des vaccins perçus comme nouveaux.

Comment mieux gérer l’information – et la contre-information – sur une menace évolutive, quand foisonnent les messages sur le sujet ? C’est là certainement un champ de réflexion important pour l’avenir.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La procédure exceptionnelle accélérée dite de mock up, adoptée dans la perspective de la pandémie, présente-t-elle les mêmes garanties qu’une procédure classique d’autorisation de mise sur le marché ? Si oui, pourquoi n’est-elle pas systématiquement suivie ?

M. Jean Marimbert. La procédure de mock up – ou prototype – a été conçue quelque trois ans avant l’arrivée effective de la pandémie. On se demandait alors, en Europe et ailleurs dans le monde, dans le cadre de la préparation à une pandémie, comment faire pour raccourcir le plus possible, à partir du moment où l’on connaîtrait la souche virale pandémique, c’est-à-dire quelques mois seulement avant le début de la pandémie, la dernière ligne droite à franchir pour la production de vaccins. En Europe, il a été décidé de préparer le plus en amont possible le maximum d’éléments d’évaluation. L’idée était de constituer un dossier pharmaceutique complet avec des données cliniques sur plusieurs milliers de personnes vaccinées contre la souche H5N1, dont on avait peur qu’elle ne devienne facilement transmissible à l’homme, ce qu’elle n’est, semble-t-il, heureusement toujours pas. Le raisonnement était que si l’on obtenait, d’une part, un certain niveau d’immunogénicité et, d’autre part, un certain profil de tolérance pour un vaccin contre la grippe H5N1, au moment où il faudrait produire le vaccin contre une souche pandémique quelle qu’elle soit, on pourrait extrapoler les résultats et recourir aux mêmes techniques de fabrication et de contrôle, en ne changeant que l’antigène.

Le mérite de cette approche, notamment par rapport à celle des États-Unis, est qu’elle comporte des données cliniques. On a en fait accordé une sorte de pré-autorisation de mise sur le marché pour le prototype sur la base d’un dossier complet concernant le virus H5N1, particulièrement virulent, et décidé, en fonction de la vitesse de démarrage de la pandémie, de faire fabriquer le vaccin contre le virus A(H1N1) en amassant en cours de route le plus de données cliniques possible sur le nouveau vaccin.

En Europe, à partir du milieu de l’automne, on disposait pour les vaccins utilisés d’une masse significative de données cliniques sur H5N1 et un nombre croissant au fil des mois de données cliniques sur le virus A(H1N1). L’option américaine, que je respecte, a été tout à fait différente, consistant à mettre en circulation des vaccins pandémiques sans la moindre donnée clinique, par simple extrapolation par rapport aux actualisations régulières du virus de la grippe saisonnière. Par chance, la cinétique du virus a été telle que ce choix de tout centrer sur des vaccins sans adjuvant liés aux dérivés du vaccin contre la grippe saisonnière n’a pas posé de problème, et c’est tant mieux. Mais ce choix comportait une part de pari. Si chaque approche est respectable, l’approche européenne n’en était pas moins solide.

Mme Catherine Lemorton. Je vous remercie tout d’abord, monsieur le directeur général, d’avoir accepté de nous rencontrer régulièrement, jusqu’en décembre, avec Mme Bachelot-Narquin.

Je m’étais déjà interrogée fin 2009 sur le sujet en commission des affaires sociales : pour ce qui est des adultes, on a extrapolé à partir du modèle connu de la vaccination contre la grippe saisonnière et donné comme consigne de vacciner un maximum de personnes pour faire barrage à la pandémie. Cela, je veux bien l’entendre, mais j’ai plus de mal à comprendre l’extrapolation concernant les enfants, en particulier ceux âgés de six à vingt-quatre mois, déjà très sollicités sur le plan immunitaire par tous les vaccins qui leur sont administrés à cette période de leur vie, notamment l’hexavalent, qui donne lieu à une injection à l’âge de trois mois, une autre un mois plus tard et un rappel à l’âge d’un an, le vaccin rougeole-oreillons-rubéole venant s’intercaler. Même si ces vaccins sont éprouvés et utilisés depuis longtemps, la vaccination constitue toujours un choc immunitaire pour les enfants et voilà qu’on y ajoutait le vaccin contre la grippe A(H1N1) !

Combien de pools d’enfants ont-ils fait l’objet de tests cliniques avant que ne soit élargie l’indication du vaccin à toute la population infantile ? Les parents n’ont pas adhéré massivement à la campagne et le taux d’enfants vaccinés est très faible, mais nul ne savait au départ ce qu’il en serait. Avec quel recul pouviez-vous faire cette extrapolation puisque les enfants ne sont pas d’ordinaire vaccinés contre la grippe saisonnière, si ce n’est de manière marginale quelques enfants gravement malades, sans que cela puisse avoir valeur d’essai clinique ?

La recommandation est-elle toujours aujourd’hui de deux injections pour les moins de douze ans ? Je ne connais pas d’autre vaccin où la stratégie vaccinale diffère pour les adultes et pour les enfants. Pourquoi cette différence ?

J’en viens au Tamiflu, distribué à compter de décembre en provenance des stocks d’État, dont vous avez vérifié la bioéquivalence. Je vous avais demandé en septembre si cette vérification serait opérée ; elle l’a été, et je m’en félicite. Les professionnels de santé savent, depuis dix ans qu’il est sur le marché, que le Tamiflu n’est pas spécialement efficace contre la grippe, encore moins pour la prévenir. Il y a un an et demi, pas un seul médecin n’en aurait prescrit dans un but préventif. Or, début décembre, les médecins ont reçu un courrier les enjoignant de prescrire du Tamiflu à toute personne présentant un début de symptômes grippaux ou même ayant été susceptible d’avoir côtoyé une personne grippée. Je m’étonne vraiment qu’on ait pu élargir à ce point la prescription de ce produit, sur le fondement de tests présentés par l’industrie pharmaceutique. J’ai interrogé sur ce sujet M. Laurent Degos, président du collège de la Haute Autorité de santé, que nous avons auditionné il y a quelques semaines. Pourquoi cette soudaine stratégie début décembre ? Était-ce – vous savez que je suis un peu provocatrice – pour écouler les stocks de l’État qui allaient être périmés ? Je plaisante, mais on a tout de même demandé aux pharmaciens de mettre de côté le stock de Tamiflu en gélules qu’ils avaient commandé depuis septembre-octobre et qu’ils avaient l’habitude de dispenser depuis dix ans, au profit du stock d’État sous forme de comprimés. Début décembre, les décideurs politiques auraient-ils soudain perçu que la stratégie de vaccination était en train d’échouer et n’auraient-ils pas cherché à montrer par tous les moyens qu’ils agissaient quand même au profit de nos concitoyens en leur faisant prescrire du Tamiflu à tour de bras ?

Ma dernière remarque concernera le recueil des effets secondaires par les centres régionaux de pharmacovigilance.

Quand on réduit la période précédant l’autorisation de mise sur le marché, même si l’on se trouve dans un cas très particulier, il est normal de mettre en alerte tous les centres régionaux. Certains de vos propos au début de la pandémie n’étaient pas de nature à rassurer nos concitoyens, déjà en proie à des doutes après le vaccin contre l’hépatite B. En effet, ceux-ci ne craignent pas les effets secondaires à court terme, comme une sensation de chaleur au point d’injection, ou bien l’état fébrile qui peut faire suite à la vaccination, mais bien davantage de potentiels effets indésirables à long terme, comme le développement de maladies neurologiques ou auto-immunes. Je partage sur ce point l’avis de M. Bégaud, pharmacologue, qui nous a dit, lors de son audition, que tant qu’on n’aurait pas totalement éclairci ce qui s’est passé autour du vaccin contre l’hépatite B et que persisteront, à tort ou à raison, des craintes, les Français seront toujours réticents vis-à-vis des campagnes de vaccination massives. Or, à nos interrogations à ce moment-là, vous répondiez que vous gériez la situation à court terme et que, pour le long terme, resterait à prouver que les possibles effets constatés avaient bien un lien avec le vaccin.

Est-il judicieux que chaque Français puisse lui-même signaler d’éventuels effets indésirables sur les sites de pharmacovigilance ou celui de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ? Le filtre d’un professionnel de santé, quel qu’il soit, me paraît important pour analyser l’effet secondaire dont peut se sentir victime un patient. On risque sinon que soit signalé un nombre considérable d’effets secondaires n’ayant rien à voir avec la vaccination, mais instillant le doute et suscitant des peurs infondées.

M. Jean Marimbert. Un amendement d’origine parlementaire à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, adoptée l’an passé, fait dorénavant obligation de permettre aux patients de signaler directement les effets secondaires dont ils peuvent être victimes. La pandémie grippale a donné l’occasion d’une première expérience à grande échelle de cette nouvelle faculté. J’ai entendu beaucoup de personnes, à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et ailleurs, exprimer les mêmes craintes que vous à ce sujet, madame Lemorton, certaines pointant même des risques d’instrumentalisation de cette notification par les patients. Or, nous n’avons rien constaté de tel. La synthèse globale, qui sera publiée dans quelques semaines, montre que 20 % environ des signalements proviennent de patients qui les ont fait remonter par internet. Les effets indésirables signalés étaient, pour l’essentiel, bénins et assez prévisibles. Le système n’a pas, comme nous le craignions, je vous le concède, été submergé, et nous n’avons pas reçu de signalements fantaisistes. L’essentiel des notifications spontanées en pharmacovigilance, nous le savons, provient de patients en établissements de santé ; il y en a beaucoup moins en ville. Je trouve, pour ma part, intéressante cette possibilité nouvelle offerte aux patients, complémentaire de celle des professionnels de santé, à condition bien entendu de ne pas jouer l’une contre l’autre : le dispositif doit reposer d’abord sur la déclaration des professionnels de santé.

Le débat de fond sur l’efficacité du Tamiflu n’est pas encore tranché. Rien n’est évident. Hors pandémie, on sait que ce médicament peut abréger la durée de la grippe, à la condition expresse d’avoir été pris dans les quarante-huit heures de l’apparition des premiers symptômes. C’est ce qu’a toujours dit la Haute Autorité de santé, laquelle ne l’a pas évalué en période de pandémie. Mais, à la lecture de quantité de publications de ces derniers mois, des conclusions convergentes apparaissent concernant des cohortes de patients hospitalisés à New York, au Mexique, au Chili et dans d’autres pays, sur le fait que l’usage massif des antiviraux dans ces endroits aurait réduit non seulement la durée des hospitalisations, mais également le nombre de victimes de la pandémie. Selon ces articles, la proportion des personnes ayant développé une forme grave débouchant sur un décès aurait été moindre là où les antiviraux avaient été massivement utilisés de manière précoce.

Vous avez, à juste titre, distingué l’usage curatif et l’usage préventif du Tamiflu. Fin novembre-début décembre, le comité de lutte contre la grippe, qui siégeait au ministère de la santé, a envisagé une extension d’indication à titre préventif, à dose pleine, pour des personnes exposées au contact de personnes grippées ou suspectées de l’être – en priorité pour les personnes présentant des facteurs de risque. La question était de savoir si l’on devait recommander, hors autorisation de mise sur le marché, le passage à dose curative. Il y a eu débat, et je m’en suis entretenu avec le directeur général de la santé, lequel a convenu qu’il était important que l’agence puisse donner son avis rapidement. C’est ce que nous avons fait, dans les délais imposés par le calendrier. Il faut se souvenir qu’on était alors au point d’inflexion de l’épidémie, peu avant le pic, mais on ne le savait pas encore. Notre avis n’a pas été inconditionnellement favorable : soulignant qu’il n’existait pas de références internationales, nous avons dit qu’on pouvait envisager de prescrire du Tamiflu à dose pleine, mais pendant cinq jours seulement et non dix. S’il y avait un risque de toxicité, celui-ci serait davantage lié à la durée du traitement qu’au doublement de la dose pendant cinq jours.

L’idée que cet avis, comme la décision des pouvoirs publics, auraient été dictés par un souci d’accroître les ventes de Tamiflu et d’écouler les stocks n’est absolument pas fondée. Il y a eu un vrai débat scientifique, avec confrontation d’arguments, repris dans une note de l’agence. Notre réponse a été oui, à condition de limiter le traitement à cinq jours : cinq jours à dose pleine équivalant à dix jours à demi-dose, traitement préventif standard. Cette évolution de prescription, chacun le comprendra, n’était pas de nature à induire une consommation supplémentaire considérable.

Vous vous interrogez sur les extrapolations chez les enfants. Il faut distinguer les vaccins pandémiques centralisés et le Panenza. Il est vrai que, lorsque le Comité des spécialistes pharmaceutiques à usage humain (CHMP) a donné un avis favorable fin septembre sur les trois premiers vaccins pandémiques centralisés, il n’existait pas de données pour les nourrissons, mais seulement pour les enfants et les pré-adolescents. L’extrapolation, dont les fondements figurent dans les documents du comité que nous avons mis en ligne à l’époque, repose à la fois sur le constat d’un profil général de sécurité et de tolérance pour les tranches d’âge supérieures tout à fait acceptable, et sur la crainte de formes très graves de cette grippe chez les très jeunes enfants, à partir des données recueillies dans l’hémisphère Sud et dans certains pays de l’hémisphère Nord déjà touchés, en particulier les États-Unis. Le rapport bénéfices/risques a clairement pesé dans l’extrapolation. Pour le Panenza en revanche, des essais cliniques avait été menés à partir de l’été et nous disposions de données sur l’immunogénicité et la tolérance dans toutes les tranches d’âge, à partir de six mois. C’est d’ailleurs ce qui a conduit à préconiser dans l’autorisation de mise sur le marché du Panenza un schéma vaccinal différent selon l’âge des enfants. Pour les vaccins pandémiques centralisés, sur lesquels on travaillait au début à partir d’extrapolations, on a pu, dans le courant de l’automne, s’appuyer sur quelques données d’essais cliniques chez les enfants.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Pourriez-vous nous préciser les procédures classiques d’autorisation de mise sur le marché et les délais d’obtention de cette autorisation pour les vaccins contre la grippe, afin que nous puissions les comparer aux procédures mock up ? Quelles modalités l’agence préconise-t-elle pour les essais cliniques ? Les vaccins ont été autorisés aux États-Unis le 15 septembre, alors qu’ils ne l’ont été en Europe que le 29. Pourquoi ce décalage ? Cela tient sans doute à la réalisation d’essais cliniques en Europe, alors qu’il n’y en a pas eu aux États-Unis. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Dans votre propos introductif, vous avez cité, parmi les missions de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’information de la population. Or, j’ai le sentiment que, sur ce point, des améliorations sont possibles. Souvenons-nous qu’au moment même où les autorités recommandaient de se faire vacciner, beaucoup critiquaient la qualité des vaccins et disaient même qu’ils présentaient des risques. On entendait alors tout et son contraire, ce qui a brouillé le message. N’aurait-il pas fallu que l’agence délivre une meilleure information, comme vous l’avez d’ailleurs dit vous-même ? Quelles leçons en tirer pour l’avenir ?

M. Jean Marimbert. La Food and drug administration (FDA) américaine a délivré l’autorisation de mise sur le marché des vaccins contre la grippe A(H1N1) plus tôt qu’en Europe tout simplement parce qu’elle a autorisé les vaccins non adjuvantés sur le seul fondement d’extrapolations par rapport aux vaccins contre la grippe saisonnière. Elle a en l’occurrence appliqué le même raisonnement que celui tenu tous les ans face aux variations du virus de la grippe saisonnière par rapport à des souches antérieures.

M. le rapporteur. La déclaration du Congrès invoquant une « urgence sanitaire » a-t-elle joué ?

M. Jean Marimbert. Je ne saurais le dire. Pour en avoir discuté avec les autorités sanitaires américaines, je pense que la population américaine avait une très grande confiance dans les vaccins contre la grippe en général. Nous devons avoir à l’esprit que la vaccination contre la grippe saisonnière est beaucoup plus répandue aux États-Unis qu’en France et dans le reste de l’Europe : elle n’y est pas réservée aux plus de soixante-cinq ans ou aux personnes immuno-déprimées, et beaucoup de jeunes adultes s’y font chaque année vacciner.

La Food and drug administration, quant à elle, avait confiance, d’une part, dans les fabricants de vaccins grippaux et, d’autre part, dans la validité de son raisonnement d’extrapolation, fondé sur l’hypothèse que le virus A(H1N1) se comporterait de manière assez semblable à une souche variante du virus saisonnier habituel. N’oublions pas toutefois que ce choix a failli provoquer une crise dans la mesure où ces vaccins sans adjuvant – c’est la contrepartie – ne peuvent être fabriqués qu’à un rythme plus lent. Il faut en effet de deux à quatre fois plus d’antigènes pour obtenir le même nombre de doses. Quand, à la mi-octobre, le Centre de prévention et de contrôle des maladies d’Atlanta a annoncé qu’en l’espace d’un mois il y avait eu autant d’enfants morts pour des raisons pouvant être attribuées en première intention au virus A(H1N1) qu’en un an en temps normal, les Américains se sont alors rués vers les centres de vaccination et, à cette date, les États-Unis manquaient de vaccins.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pour la fabrication annuelle du vaccin contre la grippe saisonnière, procède-t-on en Europe par extrapolation ou sur la base d’essais cliniques ?

M. Jean Marimbert. Sur la base d’essais cliniques.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cette différence de méthode entre les États-Unis et l’Europe se retrouve donc tous les ans.

M. Jean Marimbert. Oui, au moins pour la France. Les vaccins contre la grippe saisonnière ne sont pas tous autorisés dans le cadre d’une procédure centralisée, et beaucoup le sont en dehors. En France et dans quelques autres pays d’Europe, on procède toujours à des essais cliniques à la fin du printemps et au début de l’été. On accorde l’autorisation de mise sur le marché au vaccin contre la grippe saisonnière de l’année n sur la base des acquis antérieurs et de quelques essais cliniques, alors qu’aux États-Unis, on ne raisonne que par extrapolation par rapport à l’année n−1, sans aucune donnée clinique.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Paradoxalement, c’est pourtant en France qu’on a eu peur des vaccins, et pas aux États-Unis !

M. Jean Marimbert. Pour répondre à votre question, monsieur Door, en ce qui concerne les autorisations de mise sur le marché centralisées, le délai peut varier selon les suppléments d’information apportés ou demandés. Une évaluation prend en moyenne entre 100 et 150 jours, certaines évaluations pouvant demander de manière exceptionnelle jusqu’à 200 ou 210 jours. Il est très difficile de procéder à des comparaisons avec les procédures mock up. En effet, l’évaluation sur les dossiers prépandémiques a duré plusieurs mois. Les dossiers mock up ont été évalués essentiellement au second semestre 2008 et cela n’a débouché sur des avis favorables pour certains des vaccins pandémiques que fin 2008-début 2009. Il y a donc eu au moins quatre ou six mois d’évaluation, auxquels s’est rajoutée l’évaluation effectuée à partir de fin août-début septembre, quand le Comité des spécialités pharmaceutiques à usage humain a disposé de données complémentaires sur les dossiers pandémiques, y compris de premières données cliniques concernant le virus A(H1N1). Il y a alors eu une rolling review, revue permanente de semaine en semaine, des nouvelles données disponibles. Cumulés, les mois d’évaluation des procédures mock up et ceux de la rolling review représentent un temps substantiel.

Pour ce qui est de l’information, monsieur le rapporteur, j’ai voulu dire tout à l’heure à la fois que ce que nous avions fait était perfectible et qu’une autorité sanitaire, dans un domaine comme celui des vaccins, ne peut pas simplifier par trop la réalité à seule fin de rassurer le plus possible la population, à laquelle nous devons une information exacte.

J’ai distingué pour la pharmacovigilance les effets de court terme et de long terme car telle est la réalité. Il y a des effets secondaires immédiats, la plupart bénins comme une rougeur au point d’injection ou un épisode fébrile, et d’autres qui ne sont pas mineurs. Ainsi observe-t-on parfois des poussées de sclérose en plaques dans les jours ou les semaines qui suivent une vaccination, et dont il faut savoir si elle lui est imputable ou non. Au-delà, il est des effets à long terme et l’honnêteté exige de dire à nos concitoyens que des cohortes font l’objet d’un suivi dans le temps afin de les repérer.

On crédibilise la parole publique en tenant à la population un langage de vérité, sans mystification, ne laissant pas faussement penser que, parce que le rapport bénéfices/risques est positif et que l’intérêt de la vaccination sur le plan de la santé publique n’est pas à démontrer, il n’y aurait strictement aucun risque.

En septembre, nous n’avons sans doute pas fait assez en matière d’information, mais il faut se souvenir que c’est alors que sont apparues les polémiques sur le syndrome de Guillain-Barré, les adjuvants, le Thiomersal, avec des déclarations indéfendables sur certains sites internet. Nous avons immédiatement édité toute une batterie de fiches que j’ai moi-même présentées lors d’une conférence de presse, à laquelle les journalistes assistaient en nombre et où tous ces points ont été abordés. La reprise qui en a été faite quelques jours plus tard dans la presse a été bonne. Mais nos concitoyens ont alors été soumis à un véritable kaléidoscope de déclarations, publiques ou non, sur le sujet de la vaccination, sensible par nature, puisqu’il s’agit d’administrer à des personnes en bonne santé un médicament visant à les prémunir contre un risque ultérieur. L’information délivrée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et par le ministère s’est heurtée à d’autres. J’ai vu dans mon entourage, y compris parmi mes amis, des personnes qui, sceptiques face à tous ces discours contradictoires, se tournaient naturellement vers leur médecin. Or, en octobre-novembre, la parole médicale était plutôt dissuasive. Il est difficile pour une agence sanitaire d’être convaincante sans convergence ni synergie entre la parole publique et celle des soignants.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. L’agence a-t-elle eu une communication spécifique à destination du monde médical ?

M. Jean Mallot. Pourquoi a-t-on maintenu le principe de deux injections chez les enfants ? Pourquoi une stratégie vaccinale différente pour cette population ? N’aurait-on pas pu savoir plus tôt s’il fallait une ou deux injections ?

Mme Valérie Fourneyron. L’agence a-t-elle joué un rôle dans la négociation des contrats avec les laboratoires fabricants ? A-t-elle joué un rôle dans la prolongation des dates de péremption du Tamiflu ? Avez-vous aujourd’hui l’impression qu’elle porte une part de responsabilité dans le fait qu’on ait obtenu en France un aussi mauvais résultat en matière de vaccination collective, par rapport aux autres pays européens en particulier ?

M. Jean Marimbert. Monsieur Mallot, on a continué de préconiser deux injections pour certaines tranches d’âge car les données cliniques ont montré qu’une seule n’était pas assez immunogène. C’est encore le cas aujourd’hui pour les vaccins Focetria et Pandemrix : pour l’un, on ne passe à une seule injection qu’à partir de l’âge de neuf ans et, pour l’autre, à partir de l’âge de dix ans. Il faut également deux injections de Panenza chez les enfants pour obtenir une immunisation suffisante.

Pour ce qui est des contrats avec les laboratoires, je suis intervenu avec Noël Renaudin lors de la dernière phase des négociations fin juin-début juillet. Dans au moins l’un des contrats que j’ai alors eu entre les mains, la version proposée courant juin à l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires exonérait très largement le laboratoire de responsabilité, y compris pour les défauts de fabrication. Nous avons cherché à y remédier autant que faire se pouvait. Je suis également intervenu, avec un certain succès, pour que les laboratoires fournissent davantage de documents d’information – il ne s’agissait pas de notices classiques –, lesquels étaient chichement mesurés dans leurs propositions initiales.

Oui, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé est intervenue concernant la date de péremption du Tamiflu. Avant même le déclenchement de la pandémie, après que j’ai adressé en septembre ou octobre 2008 une note au directeur général de la santé, nous avons contrôlé les stocks de Tamiflu et constaté que leur durée limite d’utilisation pouvait être prolongée jusqu’à sept ans. Notre analyse a ensuite été validée au niveau communautaire et l’autorisation de mise sur le marché du Tamiflu a été modifiée en conséquence en juin 2009.

L’agence se sent-elle responsable des résultats obtenus, me demandez-vous ? Quand on a été l’un des acteurs de l’élaboration de la réponse à la pandémie, qui a comporté des aspects positifs, mais aussi, je l’ai dit, qui n’a pas toujours été à la hauteur des attentes, on porte nécessairement une part de responsabilité, même si nous avons eu avec nos équipes le sentiment de faire le maximum. J’ai évoqué dans mon propos liminaire la production et la diffusion de l’information, soulignant la difficulté née de son caractère évolutif. Il y a là incontestablement un champ de réflexion pour améliorer nos pratiques.

M. Gérard Bapt. Savez-vous combien de boîtes de Tamiflu des stocks d’État livrées chez les pharmaciens pour être remises gratuitement à la population sur prescription médicale ont été effectivement retirées ?

M. Jean Marimbert. Je ne peux vous répondre.

M. Gérard Bapt. Il serait intéressant d’interroger les autorités sanitaires sur la façon dont l’indication de ce médicament a été modifiée, hors autorisation de mise sur le marché, sur injonction de la direction générale de la santé, sans que la commission d’autorisation de mise sur le marché ait même été réunie. Comment s’étonner ensuite que les médecins et les patients n’aient pas suivi la parole officielle ?

Vous avez dit dans votre propos liminaire que toutes les mesures prises ont apporté une « contribution réelle et significative » au traitement de la pandémie. Sur quels éléments vous fondez-vous pour l’affirmer ? Combien de morts ou de formes graves ont été évitées grâce au vaccin ? Sait-on dire ce qui, des mesures barrières ou du vaccin, a été le plus efficace, d’autant que les vaccins sont arrivés après le pic de la pandémie ? Peut-être pourrait-on attendre les résultats en provenance de pays qui n’ont pas vacciné, comme la Pologne, pour affirmer que la « contribution réelle et significative » dont vous vous targuez est bien réelle.

Enfin, quand, afin de garantir toute transparence, les autorités françaises exigeront-elles de l’Agence européenne du médicament qu’elle publie les conflits d’intérêts de ses propres experts ? Je ne parle pas de l’Organisation mondiale de la santé qui, elle, ne publie même pas la liste de ses conseillers !

M. Jean Marimbert. Je ne me suis « targué » de rien ! J’ai dit que la sévérité finalement très modérée de cette grippe expliquait pour l’essentiel le nombre de morts et de cas graves plus faible qu’on ne le craignait, mais qu’on ne pouvait pas exclure que certaines des mesures prises y aient également contribué. Mon propos, très nuancé, n’était nullement triomphaliste.

Le législateur a confié à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé le devoir d’évaluer et de prendre des décisions par délégation de l’État. Je n’ai jamais reçu d’injonction de prendre une décision scientifique, fondée sur une matière scientifique et une évaluation. Si j’en avais reçu, je n’en aurais pas tenu compte. Si votre critique porte sur la décision, elle m’atteint et, derrière moi, l’institution tout entière. Nous n’avions pas, sur le plan juridique, à réunir la commission d’autorisation de mise sur le marché. Nous nous trouvions entre deux réunions de cette commission en formation plénière et l’agence n’avait que quelques jours pour rendre son avis. Nous avons réuni un groupe de travail spécialisé et réfléchi en interne.

Pour ce qui est de la transparence, nous avons cherché, ces dernières années, à faire des progrès, en tout cas à l’échelon national. Les débats actuels ne peuvent que nous inciter à les renforcer encore, au niveau européen comme au niveau national. Je participe actuellement à des discussions avec des responsables de l’Agence européenne du médicament, laquelle est aussi convaincue de la nécessité de franchir un pas supplémentaire en ce domaine car il y va de la crédibilité de l’ensemble du dispositif.

M. le rapporteur. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé peut-elle éditer des documents à destination de l’ensemble de la population sur l’intérêt de la vaccination ou la qualité des vaccins ? En Suède, beaucoup d’information de cette nature a été distribuée, qui était éditée par l’autorité sanitaire. Avez-vous cosigné ce type de documents ? En un mot, est-ce faisable chez nous ?

M. Jean Marimbert. Bien sûr. Il est vrai que l’agence a produit beaucoup d’information à l’intention des journalistes et des professionnels de santé, mais beaucoup moins à l’intention du grand public. Pour réaliser de bons documents d’explication sur la vaccination, il faut conjuguer plusieurs types de compétences, les nôtres, mais aussi celles du Haut conseil de la santé publique et du ministère sur les aspects de stratégie vaccinatoire et celles de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé qui a une grande expérience de l’édition et de la diffusion de documents à destination du grand public.

M. le rapporteur. C’est une piste à creuser.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Et vis-à-vis des médecins ?

M. Jean Marimbert. Les médecins ont reçu beaucoup de messages…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. De votre part ?

M. Jean Marimbert. C’est plutôt le ministère, qui avait une stratégie globale de communication à leur égard, qui leur a adressé des courriers. Nous avons pour notre part davantage communiqué en direction des journalistes grand public qu’envoyé des documents aux médecins, ce que nous faisons d’ordinaire souvent concernant des médicaments, des autorisations de mise sur le marché ou des modifications de ces autorisations.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Il me reste, monsieur le directeur général, à vous remercier.

La séance est levée à dix-sept heures vingt-cinq.