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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 5 mai 2010

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Thierry Saussez, directeur du Service d’information du Gouvernement

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE
LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)

Mardi 5 mai 2010

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Thierry Saussez, directeur du service d’information du Gouvernement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Thierry Saussez, directeur du service d’information du Gouvernement.

M. Thierry Saussez prête serment.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le directeur, ma première question sera simple : pensez-vous que la communication – tant celle du Gouvernement que, plus généralement, celle de l’État, notamment par l’intermédiaire des agence sanitaires – a été efficace, utile et réactive avant et durant la campagne de vaccination ?

M. Thierry Saussez, directeur du service d’information du Gouvernement. Dès lors que l’on prend, comme vous le faites, quelque distance par rapport aux événements, il me semble que l’on peut répondre « oui ». L’étude-bilan que nous avons faite après la crise montre que les Français partagent largement cette analyse pour la manière dont ils ont été informés à propos de la grippe A(H1N1) en général et du plan de vaccination en particulier.

Il est difficile de se replacer dans le climat de l’époque. Je vous remettrai à ce propos les notes d’alerte que nous avons rédigées au fil de la crise. La première, en date du 27 avril 2009, montre que les critiques vis-à-vis du Gouvernement consistaient plutôt à reprocher à celui-ci de sous-estimer la menace. Pour avoir participé à la cellule interministérielle de crise – la cellule décision –, je sais que la communication gouvernementale était centrée, à cette période comme pendant toute la durée de la crise, sur les deux points suivants : dans la gestion d’une crise, il faut éviter l’affolement et la panique, et le rôle de l’État consiste à envisager toutes les situations possibles, y compris la pire.

Les attentes de l’opinion, relayées par les médias – et même par une hypermédiatisation – étaient que l’on ferme les frontières, que l’on interdise de se rendre au Mexique et que l’on impose le port d’un masque dans les aéroports. D’une manière générale, lorsque l’opinion est inquiète, elle juge que le Gouvernement n’en fait pas assez et, au fur et à mesure qu’elle est moins inquiète, elle considère qu’il en fait trop. À chacun de choisir s’il vaut mieux, au bout du compte, être accusé d’en faire trop ou de n’en faire pas assez.

Ainsi, en avril 2009, la première note d’analyse montre que l’opinion considérait que le Gouvernement n’en faisait pas assez – souvenons-nous de l’alarmisme qui régnait alors dans les médias. En septembre, au milieu de la crise, l’inquiétude avait diminué, le public envisageait moins de se faire vacciner et commençait à penser, selon un mouvement permanent et compréhensible, que le Gouvernement en faisait peut-être trop.

Il est donc bon de prendre de la distance. Pour ce qui est de la réaction des Français face à la communication mise en œuvre à propos de la grippe, je rappellerai les résultats d’un sondage de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) réalisé en mars 2010 auprès d’un échantillon représentatif de la population.

À la question : « Avez-vous le sentiment d’avoir été bien informé ou non sur les comportements adoptés pour vous protéger et protéger vos proches ? », 85 % des personnes interrogées répondaient par l’affirmative. Elles étaient 84 % à faire de même à propos des comportements adoptés dans leur entreprise ou leur administration, 73 % pour ce qui concerne la mise en place d’un plan de vaccination par les pouvoirs publics, 70 % pour ce qui concerne les actions mises en œuvre par les pouvoirs publics pour gérer l’épidémie, 69 % pour ce qui concerne les symptômes de la maladie et 64 % pour ce qui touche à l’évolution de l’épidémie.

En revanche, quand on demandait aux personnes interrogées si elles avaient utilisé certains moyens d’information et si ces moyens étaient fiables, 91 % avaient utilisé les journaux télévisés et 65 % les jugeaient fiables, 60 % avaient écouté les déclarations officielles du Gouvernement et 55 % les jugeaient fiables, 27 % avaient consulté les sites internet d’information et 81 % les jugeaient fiables, 13 % avaient consulté les sites internet gouvernementaux et 85 % les jugeaient fiables – ainsi, le site consacré à la pandémie grippale par le Gouvernement a reçu 6 millions de visites en 2009. À la question de savoir ce qu’ils souhaitent dans le cas d’une autre épidémie ou pandémie, les Français répondent qu’ils souhaitent d’abord des spots télévisés d’information, puis une information de la part des médecins traitants.

La communication du Gouvernement suscite des critiques fortes, mais est décrite comme présentant de vrais atouts. Cette communication est jugée disproportionnée – après la crise, on considère que le Gouvernement en a fait trop –, mais, pour 80 % des personnes interrogées, elle a été bien diffusée. Pour 61 %, elle a manqué de crédibilité et, pour 54 %, elle a été pédagogique – l’opinion gère ses propres paradoxes : la pédagogie n’est-elle pas un élément de la crédibilité ? Pour 66 %, elle a manqué de transparence et, pour 54 %, elle a été responsabilisante. Ces chiffres, je le répète, ont été mesurés après la crise.

Enfin, cette communication a eu un réel impact sur les comportements des Français.

La première conclusion que l’on peut tirer de ces données porte sur le rôle de la communication publique, qui consiste à délivrer une information au plus grand nombre possible de citoyens, en toute transparence, afin qu’ils soient libres et responsables de leurs comportements. À en juger par ce qui s’est produit et par le jugement porté après la crise par les Français, le pari a été gagné.

Par ailleurs, 43 % des personnes interrogées ont déclaré avoir modifié leurs comportements d’hygiène au moment de l’épidémie, contre 36 % en décembre. C’est particulièrement le cas des femmes, des moins de trente-cinq ans et des habitants de l’Île-de-France. Il s’agit d’un progrès considérable, qu’il faudra entretenir.

Comme les campagnes menées depuis trente ans dans les domaines de la sécurité routière, de la santé ou de l’environnement, cette crise a permis aux Français d’acquérir des règles de base d’hygiène personnelle et collective, des « gestes barrières » qui sont un frein au développement des épidémies. Cette action devra être poursuivie.

En outre, 58 % des personnes interrogées pensent que la France est désormais mieux préparée à faire face à une nouvelle épidémie. De fait, c’est la première fois que notre pays gère en situation réelle une crise pandémique, en termes tant de décision politique que de logistique – avec la gestion, dans toute la France, des masques et des vaccins – ou de communication, malgré les erreurs liées à la gestion des informations diffusées sur internet, que nous devons assumer et qui doivent être une source de réflexion pour l’avenir. Cette expérience représente certainement un gain considérable pour le jour – qui viendra nécessairement, dans cinq ans, dix ans ou cinquante ans – où, devant une pandémie de type H5N1, on ne reprochera pas à l’État d’en faire trop, compte tenu de la gravité de la situation.

M. Guy Lefrand. Je m’interroge sur l’impact d’une communication destinée à encourager une vaccination de masse et qui a été suivie de la vaccination de moins de 10 % de la population. Pouvez-vous préciser quelle a été la communication destinée aux professionnels de santé, qui, pour une bonne partie, n’ont nullement adhéré à la vaccination ? Avez-vous analysé les problèmes de communication intervenus avec ces professionnels ?

M. Thierry Saussez. Non, cela n’a pas été analysé en détail au niveau interministériel – c’est-à-dire au niveau du service d’information du Gouvernement. Sans doute le ministère de la santé vous en a-t-il parlé ou vous en parlera-t-il plus directement.

Pour nous, la communication de crise comporte deux étapes.

La première consiste par nécessité à maximiser la crise : l’État est dans son rôle lorsqu’il envisage le pire. Durant toute cette première phase, nous n’avons d’ailleurs guère rencontré de difficultés auprès des médias et de l’opinion publique.

La deuxième étape consiste – puisque nous gérons des incertitudes, ce qui conduit d’ailleurs les acteurs à adopter une certaine humilité et devrait inciter à la même humilité les commentateurs ou ceux qui réécrivent l’histoire – à nous donner le plus possible de marges de manœuvre dans la mise en œuvre. C’est précisément à ce stade que les polémiques ont commencé à prendre de l’ampleur. Dès lors que l’on rencontre une contrainte, liée ici aux délais de livraison de vaccins et à leur conditionnement, et que l’on ne peut pas associer à l’opération les médecins libéraux, on alimente la polémique, qui nuit incontestablement à la prise en compte des impératifs sanitaires ou à la vaccination. Si l’on avait pu éviter ces contraintes et commencer la vaccination en se donnant des marges de manœuvre, en recourant notamment aux médecins libéraux, c’est-à-dire à la proximité et à la confiance, les choses auraient été, de ce point de vue, différentes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ne vous est-il pas venu à l’esprit, durant la période de préparation, que toutes les personnes qui se demandaient si elles devaient se faire vacciner iraient d’abord demander conseil à leur médecin traitant et qu’une communication spécifique, exemplaire et efficace, en direction des médecins pourrait permettre une meilleure adhésion à la vaccination ?

Le directeur général de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) nous a déclaré que, dans l’hésitation, le public s’est tourné vers les médecins, lesquels étaient souvent plus que dubitatifs, car ils n’étaient pas acteurs. La communication consiste aussi à faire en sorte que les gens soient acteurs, afin de s’assurer de leur participation.

M. Thierry Saussez. C’est absolument évident. Si vous me demandez aujourd’hui quel serait, compte tenu de l’expérience, un schéma idéal pour faire face à la gestion des incertitudes et dégager des marges de manœuvre pour la mise en œuvre, je répondrais qu’il faudrait s’assurer du délai de livraison des vaccins et de leur conditionnement, travailler au niveau de la proximité en passant par le réseau médical, commencer la vaccination au plus près du terrain et en douceur et n’ouvrir les centres de vaccination que lorsque la pandémie ne laisserait plus aucun autre choix.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Il convient de réfléchir à l’organisation de la gestion de crise. L’articulation est-elle suffisante entre le service de communication du Gouvernement, l’Institut de veille sanitaire et la Délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire ? Une cellule de gestion de crise ne serait-elle pas utile à l’avenir pour mieux préparer la communication en direction de tous les secteurs, afin d’éviter des messages quelque peu brouillés ? Aux États-Unis, la gestion est parfaitement organisée et tous les acteurs sont réunis au sein d’une telle cellule.

Par ailleurs, de nombreuses rumeurs, parfois terribles, ont dû vous parvenir par l’intermédiaire de sites internet ou d’un certain nombre de réseaux sociaux. Une surveillance était-elle prévue et quelqu’un était-il en mesure de répondre à ces rumeurs afin de ne pas aggraver le déni du risque ou de la réalité ? Un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a rappelé à ce propos qu’il existe aux États-Unis une cellule chargée de surveiller les rumeurs circulant sur les sites internet et de leur répondre immédiatement. Une telle tâche relève, me semble-t-il, des services de communication. Que pourrait-on faire à l’avenir en ce sens ?

M. Thierry Saussez. Le rôle du service d’information du Gouvernement, fixé par circulaire du Premier ministre, consiste entre autres à participer à l’ensemble des exercices majeurs régulièrement organisés en France – il en est prévu environ un par mois, le prochain étant Piratair. La France possède une culture de préparation de crise et d’exercices majeurs. Ce service s’était d’ailleurs préparé depuis plusieurs années à une pandémie, même s’il s’agissait d’une pandémie de type H5N1.

Le rôle du service est donc de participer à l’élaboration de la stratégie de communication de crise, de coordonner la communication interministérielle, de veiller à l’unicité de la parole de l’État et de partager ses outils de communication. J’ai donc siégé en permanence à la cellule « décision » de la cellule interministérielle de crise, qui a fonctionné dès la première semaine de déclenchement de la pandémie, et s’est ensuite réunie de façon hebdomadaire au niveau des ministres ou des directeurs de cabinet. Mon collaborateur André Chevallier, ici présent, chef du département « communication de crise » au service d’information du Gouvernement, a participé simultanément à la cellule « communication ».

Sur une période aussi longue et compte tenu des contraintes d’expression personnelle ou politique naturelles dans une démocratie, la parole de l’État me semble donc avoir été globalement assez bien coordonnée. Les éléments de langage ont été unifiés pour les membres du Gouvernement et les préfets et diffusés sur le terrain pour l’ensemble des acteurs. À mon niveau, je n’ai pas senti de problème considérable en la matière.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quel le coût de toutes ces campagnes de communication ?

M. Thierry Saussez. Je vous les indiquerai dans un instant.

La gestion de l’internet a été un échec, que j’assume. Cette tâche est très difficile pour l’État, car celui-ci ne vit pas dans le temps de l’immédiateté d’une information qui circule à la vitesse de la lumière. L’État est transparent, parle officiellement et valide ses réponses : il dit qui parle. Face à un univers en grande partie masqué où interviennent de nombreuses voix, qui vont des cadres licenciés de l’industrie pharmaceutique, aux sectes, en passant par les fous, les théoriciens du complot mondial et sioniste et ceux qui déclarent que les vaccins ont été inventés par les laboratoires pour gagner de l’argent, c’est un défi considérable. Il n’en reste pas moins que nous avons réagi trop tard pour équilibrer les rumeurs folles qui nuisent aux enjeux de santé publique.

Nous cherchons à dépasser les systèmes de veille pour être plus proactifs. Peut-être cela supposera-t-il la mise en place de porte-parole du web ou de structures interministérielles, au-delà du service d’information du Gouvernement, que je viens de développer considérablement – en partie à l’issue de cette crise – pour disposer de plus de moyens, non seulement de veille – car nous les possédons déjà –, mais aussi d’intervention directe. Peut-être faut-il plus d’idées et de créativité. Ainsi, nous avons eu trop tard l’idée de créer un réseau de vaccinés qui auraient pu témoigner, contre les loufoques affirmant que le vaccin allait provoquer des décès en masse, que la vaccination était inoffensive.

Si donc la gestion de l’internet est difficile pour l’État, qui ne combat pas à armes égales avec ses contradicteurs, celui-ci ne peut rester sur son quant-à-soi et doit développer ses moyens propres, avec plus d’imagination et plus d’idées. Structurellement, peut-être le réseau des veilleurs interministériels n’est-il plus suffisant aujourd’hui et peut-être des porte-parole web pourraient-ils parler en validant leur propre réponse. Dans le temps d’internet, il n’est pas question de mettre trois jours à répondre à une attaque.

Monsieur le président, nous avons coordonné la campagne de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), qui a connu cinq vagues – de mai 2009, où la campagne portait sur les gestes barrières, à février 2010, où la cinquième action, beaucoup plus modeste, était consacrée à la possibilité de se faire vacciner par son médecin. En dehors des honoraires d’agences – chiffres dont je ne dispose pas, mais que l’INPES possède –, les achats d’espace dans la presse se sont élevés à 1,691 million d’euros. La totalité des achats d’espace audiovisuel s’est faite gratuitement par procédure de réquisition gratuite du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Un tel achat est estimé par les chaînes de radio et de télévision entre 20 et 30 millions d’euros bruts sur l’ensemble de la période.

Dans cette affaire, l’État a été très économe dans ses dépenses de communication, comme il s’efforce ordinairement de l’être sous mon autorité, malgré parfois quelques polémiques. Du reste, le montant de 20 ou 30 millions d’euros bruts serait singulièrement diminué si l’on tenait compte des prix négociés par l’État pour ses campagnes d’intérêt général.

Du côté du service d’information du Gouvernement, l’animation et l’éditorialisation du site dédié à la pandémie grippale – lequel a fait l’objet, je le répète, de 6 616 427 visites en 2009 – et les investissements réalisés en matière de veille médias, d’internet, d’études et de sondages, de référencement du site et de création des messages rouges que nous avions prévus en cas de limitation des transports ou d’autres mesures plus dures qui auraient pu être mises en œuvre dans une situation pandémique – mais que nous n’avons heureusement pas eu besoin de publier – représentent un montant de 612 000 euros.

M. Jean Mallot. L’objectif d’un service comme le vôtre est, somme toute, de conditionner l’opinion au service de la politique du Gouvernement. Il est aussi d’assurer la promotion de celui-ci en prouvant à l’opinion qu’il a bien agi dans cette crise. Au risque d’une certaine naïveté, il me semble qu’il devrait surtout s’agir d’assurer la construction et le pilotage d’une campagne conduisant la population française à faire face convenablement à cette crise – ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Comment avez-vous résolu le problème de cette pluralité d’objectifs possibles pour un service comme le vôtre ?

Les sondages analysant la campagne sont-ils inclus dans les chiffres que vous venez d’indiquer ?

M. Thierry Saussez. Bien sûr. Le service d’information du Gouvernement, qui existe depuis trente ans, sous une forme ou sous une autre et sous tous les gouvernements, a fait l’objet des mêmes critiques, formulées à tour de rôle par les uns et les autres. C’est un jeu très français.

On peut dire à son honneur que, quelle que soit sa couleur, il a toujours consacré la grande majorité de ses investissements publicitaires à la santé, à la sécurité routière et à l’environnement. L’exemple que nous étudions aujourd’hui doit précisément nous inspirer en matière de communication sur les règles et les comportements d’hygiène, ou nous inciter à ne pas affaiblir la préparation de la France à la gestion d’une crise pandémique de type H5N1.

Les campagnes de communication du Gouvernement ont changé les comportements. On n’aurait jamais fait évoluer en trente ans le rapport à l’automobile sans conjuguer à la loi et à la réglementation la motivation des Français via la communication. Il en va très probablement de même pour tous les grands enjeux de santé ou d’environnement, en matière notamment de réduction des déchets ou d’adoption de nouveaux comportements. L’une des grandes lignes de l’action de communication du Gouvernement est donc comportementale.

Dans un deuxième temps, cette action consiste aussi à informer les Français sur des réformes ou des mesures mises à leur disposition. On a tendance à parler dans ce cas de campagnes plus « politiques », mais il s’agit toujours là, selon moi, de valoriser et de mettre à la portée des Français des politiques publiques légitimes, déterminées par l’exécutif et votées par le Parlement.

Enfin, en période de crise, le premier objectif est de délivrer une information aux Français de la manière la plus transparente et la plus objective possible. C’est ce qu’a fait la campagne de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). Il n’est pas contestable que, sans aucun objectif de nature politicienne, cette campagne a apporté aux Français, notamment sur les gestes barrières, une information qui a eu des effets. Les résultats rapportés par les sondages nous ont été confirmés par les médecins et les spécialistes, qui considèrent que ces évolutions de comportements ont également fait reculer d’autres problèmes de santé.

Un mot encore sur les sondages. Les trois notes d’analyse que je vous remets montrent, je le rappelle, que l’opinion reproche tout d’abord au Gouvernement de ne pas en faire assez, que l’inquiétude diminue au milieu de la crise et qu’à la fin l’opinion, qui n’est plus inquiète du tout, reproche au Gouvernement d’en faire trop. Enfin, l’étude finale fait apparaître que l’information globale des Français sur ces questions a été assurée. Tout cela permet de voir ce qui a – ou n’a pas – fonctionné.

La gestion démagogique d’une crise consisterait à faire bouger l’État au prorata de l’inquiétude, au mépris des enjeux de santé publique. Or, tel n’est pas le rôle de l’État. Les virus, les bestioles, les mutations et les pandémies qui se déclarent en trois semaines se moquent bien de nos préoccupations démagogiques, de la politique politicienne, des médias et de notre gestion du temps. Nous sommes donc contraints de mettre en place un système qui, par définition puisqu’il anticipe la crise, nous conduira probablement soit plus loin, soit moins loin qu’il ne serait souhaitable. J’en reviens à ce que j’ai dit tout à l’heure : il s’agit de choisir d’en faire trop ou de n’en faire pas assez !

M. Gérard Bapt. Où se réunissait la cellule interministérielle de décision ?

M. Thierry Saussez. Systématiquement au ministère de l’intérieur.

M. Gérard Bapt. Pas à Matignon ?

M. Thierry Saussez. Matignon organisait des réunions interministérielles.

M. Gérard Bapt. Qui en assurait le secrétariat et les comptes rendus ?

M. Thierry Saussez. La Direction de la planification de sécurité nationale.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous avons demandé ces comptes rendus et nous devrions les recevoir prochainement.

M. Gérard Bapt. Un anthropologue a publié dans Le Monde un article intitulé « Un échec du catastrophisme » – auquel vous avez d’ailleurs répondu. Si, comme vous l’avez répété, il faut, pour engager la gestion d’une crise, maximiser le risque, la réussite a été totale. Ce reproche a été formulé par des parlementaires, des scientifiques et des médecins. Récemment, M. Antoine Flahault, directeur de l’École des hautes études en santé publique, nous déclarait que le chiffre de 30 000 à 60 000 morts qu’il avait indiqué à l’AFP représentait une fourchette basse des estimations qui avaient alors cours, lesquelles pouvaient atteindre le chiffre de 300 000 morts. Il y en a eu en fait 312, dont la majorité étaient porteurs d’autres pathologies, bien qu’on ait observé aussi le décès de jeunes.

M. Thierry Saussez. Parfaitement sains.

M. Gérard Bapt. A posteriori, la théorie de la maximisation du risque n’entraînera-t-elle pas une sorte d’inertie et ne risque-t-on pas de voir un nombre plus important encore de citoyens s’éloigner de la vaccination recommandée par l’autorité publique ?

M. Thierry Saussez. C’est possible. On peut cependant espérer que les vaccins de la grippe saisonnière intègrent progressivement des évolutions comparables à celles qui ont déjà eu lieu.

Par ailleurs, toute gestion de crise continuera d’être régie par les deux points que j’ai déjà évoqués : maximiser la crise pour y faire face et, devant l’impératif de gérer des incertitudes, se donner des marges de manœuvre dans la mise en œuvre. La question sera donc de savoir à quoi s’appliquera la gestion de crise – à quel moment et pourquoi l’État interviendra à ce niveau. À le faire trop ou trop souvent, on « perd » la prévention et on s’expose au « syndrome de Pierre et le loup » – l’opinion dirait : « Ils m’ont déjà fait le coup ! » –, sauf bien sûr dans le cas de la grippe H5N1, face à laquelle personne ne reprochera au Gouvernement d’en faire trop, car elle fera d’emblée 50 000 morts. Pour éviter cette situation, l’État doit se mobiliser à bon escient à partir des informations scientifiques et médicales dont il dispose.

M. le rapporteur. Beaucoup de gens ont été touchés par le « syndrome de Pierre et le loup » que vient d’évoquer M. Thierry Saussez.

Pour ce qui est de la gestion des incertitudes, le communicant doit trouver un équilibre difficile entre prévention et précaution – la première s’appliquant à un risque reconnu et l’autre à toutes les incertitudes. Que faut-il faire, selon vous, pour éviter les excès tout en assurant une prévention efficace des risques ?

M. Thierry Saussez. Si le communicant avait toutes les réponses, il serait comme vous : un dieu. Or, il n’est qu’un humble serviteur de l’État.

En matière de prévention, l’un des bénéfices de la crise que nous venons de connaître a été de favoriser l’adoption de gestes barrières. L’État doit organiser à ce propos des campagnes de communication régulières, car ces comportements valent aussi pour les gastro-entérites et bien d’autres problèmes de santé qui peuvent toucher notre pays.

Par ailleurs, l’une des conclusions que l’on peut tirer de cette crise est qu’il importe de pouvoir se donner des marges de manœuvre dans la mise en œuvre. C’est là que réside la différence entre précaution et prévention. C’est le métier de l’État que de se préparer à affronter le pire avec des cellules de décision, de logistique et de communication. Dès lors que l’opinion publique est fortement mobilisée à propos d’un risque, la question de la marge de manœuvre devient centrale. Dans le cas du nuage de cendres émis par le volcan islandais Eyjafjöll, il allait de soi d’interdire le passage des avions à travers ce nuage – n’importe quel responsable politique aurait pris la même décision –, mais, trois jours plus tard, les vols étaient de nouveau autorisés. C’est là un cas typique où, après avoir maximisé la crise au titre de la précaution, on a pu se donner des marges de manœuvre et on ne s’est pas enfermé dans la crise.

M. Guy Lefrand. Revenons à l’objet même de cette commission d’enquête : la vaccination proprement dite. Il ne suffit pas, en effet, de dire que les Français ont appris à bien se moucher. Le Gouvernement a mis en place une campagne pour pousser les gens à se faire vacciner, mais ils ne l’ont pas fait. Il y a là un certain hiatus, car cet aspect de la communication n’a manifestement pas abouti. Quelles conclusions en tirez-vous ?

Par ailleurs, vous avez indiqué tout à l’heure que la communication s’élaborait au jour le jour et dépendait notamment de la disponibilité des vaccins. Cela signifie-t-il qu’elle ait pu être modulée en fonction de la quantité de vaccins disponibles ?

M. Thierry Saussez. On ne peut pas couper une crise en tranches, et pas davantage la communication. La gestion de la crise a été globale et la vaccination n’en a été qu’un élément. Du reste, les limites qu’a connues la vaccination ne doivent pas faire oublier les gains réalisés notamment en matière de gestes barrières ou de gestion de crise en situation réelle au niveau de l’État.

Pour ce qui concerne la vaccination, qui a été l’une des cinq étapes des campagnes de communication de l’INPES, je répète que, bien évidemment, le schéma idéal aurait consisté à commencer par l’échelle individuelle et par le médecin de proximité, et à n’ouvrir les centres de vaccination de masse qu’au cœur de la plus grande affluence. Cependant, malgré la spécialité française consistant à battre sa coulpe, les chiffres affichés par notre pays ne sont guère plus mauvais que ceux de bon nombre de ses voisins européens.

La communication publique a pour enjeu de donner l’information aux citoyens et de les responsabiliser au maximum dans leurs comportements collectifs, à charge pour eux de décider, notamment face à une question aussi personnelle que la vaccination, de faire ou de ne pas faire ce qui est recommandé.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je suis en désaccord avec votre hypothèse. Vous déclariez tout à l’heure que la communication relative aux politiques publiques ne vise pas seulement à permettre aux citoyens de comprendre, mais aussi à modifier leurs comportements – c’est tout aussi vrai pour cette crise qu’en matière de sécurité routière. La question n’est pas de savoir si les gens sont satisfaits et s’ils ont le sentiment d’avoir été bien informés : elle est de savoir si la campagne d’information a été utile et si elle a permis qu’ils soient vaccinés. Force est de reconnaître que cela n’a pas été le cas.

Si l’un des travers français consiste à battre sa coulpe, un autre est de se croire toujours meilleur que les autres. Or, en l’espèce, notre pays ne se classe pas parmi les meilleurs et le fait de se situer dans une mauvaise moyenne ne saurait satisfaire le Gouvernement, et encore moins un organisme gouvernemental.

M. Thierry Saussez. J’espère ne pas vous avoir donné le sentiment d’une aussi grande satisfaction !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Certes non, mais je préfère préciser les choses.

Par ailleurs, je ne suis pas certain que l’État soit dans son rôle quand il avance l’hypothèse du pire, ou, plus précisément, quand il communique à partir de cette hypothèse.

M. Thierry Saussez. Je n’ai pas dit que l’État devait communiquer sur cette hypothèse, mais qu’il devait l’envisager. J’ai même rappelé que toute la communication du Gouvernement avait consisté à recommander d’éviter l’affolement et la panique tout en faisant savoir qu’il se préparait.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Manifestement, cela n’a pas été perçu, et c’est sans doute la raison pour laquelle on lui reproche aujourd’hui légitimement d’en avoir trop fait. Le plus grave, et c’est ce qui a motivé mon souhait et celui de mon groupe de créer cette commission d’enquête, est que, le jour où surviendra, par exemple, une pandémie du type H5N1, il est à craindre que nos concitoyens ne croient pas ce que dira l’État. C’est ce que vous avez appelé le « syndrome de Pierre et le loup ».

Permettez-moi d’avancer quelques hypothèses sous forme de questions.

Tout d’abord, vous êtes-vous appuyés sur des études de sociologues ? La Commission d’enquête a, quant à elle, auditionné un sociologue, M. Michel Setbon, qui a travaillé sur ces sujets et a l’expérience des questions liées à la grippe.

M. Thierry Saussez. Il a d’ailleurs travaillé aussi pour nous.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Son étude montre clairement qu’en juillet et en décembre 2009, la perception des risques et les intentions vaccinales de l’opinion n’avaient pratiquement pas changé. Si donc le jugement politique avait évolué, les lignes n’avaient pas bougé quant à l’appréciation de la crise.

Avez-vous sollicité M. Michel Setbon avant et après la crise ?

M. Thierry Saussez. Avant la crise et pendant la première partie de celle-ci.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Sans doute serait-il encore utile de faire appel à lui.

Jusqu’à présent, je me suis peu exprimé au sein de cette commission d’enquête. N’étant pas médecin, je voulais d’abord comprendre la situation. Comme vous l’avez souvent répété, le Gouvernement s’attendait à une pandémie de type H5N1 et a déclenché en conséquence un mécanisme correspondant à ce genre de menace, lançant une communication dans un contexte marqué par de nombreuses incertitudes liées à ce type de risque, de telle sorte qu’il était ensuite très difficile de revenir en arrière et de faire comprendre au public que son affolement, auquel il avait été légitimement répondu, ne se justifiait plus et que l’on était, finalement, confronté à une « grippette ».

M. Thierry Saussez. On retombe sur les marges de manœuvre !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. L’expérience doit être utile.

M. Thierry Saussez. Je vous ai déjà dit que je partage ce sentiment.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Puisque nous sommes ici pour essayer de mieux nous préparer à répondre à une pandémie de type H5N1, mais aussi pour comprendre qu’il existe des niveaux intermédiaires auxquels, à force de nous préparer au pire, nous n’étions pas prêts, quelle conclusion peut-on tirer de l’expérience ?

Sans doute peut-on aussi améliorer certains types d’informations. Si, comme vous le dites, il est difficile de communiquer dans l’incertitude, l’incertitude même ne devrait-elle pas faire partie de la communication gouvernementale permanente ? De fait, je suis effaré de ma propre méconnaissance de la grippe – méconnaissance que partage sans doute une bonne part de la population. Si le public savait que les virus évoluent et mutent, sans doute accepterait-il mieux que nous ne soyons pas certains de ce que nous affirmons et internet vous poserait sans doute moins de problèmes. Nous manquons de culture sur ces questions et il faudrait que les Français puissent prendre conscience du fait que la science ne peut pas tout.

Par ailleurs, l’audition du directeur de l’Académie de Paris, à laquelle nous venons de procéder, nous a révélé que la communication du ministère de l’éducation nationale sur un sujet effectivement sensible pour les parents et plusieurs millions de nos concitoyens était dramatiquement administrative et indigente. L’indigence des documents diffusés par le ministère aux parents, par l’intermédiaire des établissements scolaires, pour les inciter à faire vacciner leurs enfants confine à l’indécence.

Enfin, j’ai découvert aujourd’hui que mes enfants, qui sont âgés de moins de neuf ans et qui ont été vaccinés avec une injection – sans doute de Panenza –, en auraient eu besoin d’une deuxième. Or, puisqu’il a été annoncé partout qu’une seule injection suffisait, je croyais qu’ils étaient protégés. Au-delà du cas individuel, on voit là un défaut de communication car, malgré la traçabilité, ceux qui devaient recevoir l’information n’ont pas été invités à venir recevoir la deuxième dose d’un vaccin dont nous avons en stock des millions d’unités et dont nous ne savons plus quoi faire. Un travail d’audit, que la commission d’enquête ne pourra pas faire, serait utile en la matière.

Il serait bon que nous sachions, pour une fois, procéder à un retour sur notre expérience pour savoir comment gérer les marges de manœuvre. Il ne suffit pas de savoir comment les Français ressentent l’information qu’ils ont reçue. Sans doute aurais-je répondu à votre sondage comme l’ensemble de nos concitoyens si j’avais été interrogé il y a trois semaines, mais, ayant appris que mes enfants n’ont pas reçu les doses de vaccin qu’ils auraient dû recevoir, j’aurais aujourd’hui un jugement très différent.

M. le rapporteur. N’avez-vous reçu aucun message ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Aucun. À partir du 4 janvier, la communication du Gouvernement sur le besoin de vaccination a beaucoup diminué. Lorsqu’on a fait vacciner ses enfants début novembre, c’est-à-dire au début du processus, et que, devant l’affluence dans les centres de vaccination au moment de la deuxième injection prévue, trois semaines plus tard, on a laissé passer Noël, rien n’était fait pour inciter les parents à faire procéder à la deuxième injection. Il serait d’ailleurs intéressant de demander à la Direction générale de la santé, qui dispose des éléments de traçabilité, combien d’enfants ont reçu deux injections dans notre pays.

M. Gérard Bapt. Que de difficultés !

M. Thierry Saussez. La crise, c’est difficile !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Loin de moi l’idée d’instruire un procès. La question est de savoir comment bien nous préparer à la pandémie grave que nous redoutons sans réagir démesurément aux alertes modérées qui surviendront dans l’intervalle, afin d’éviter le « syndrome de Pierre et le loup ».

M. Thierry Saussez. Vous évoquez là l’hypothèse d’une pandémie potentielle de type H1N1, c’est-à-dire un virus à transmission très rapide, mais de faible létalité – sans oublier cependant l’hypothèse d’une éventuelle mutation. En cas de H5N1, je le répète, la question ne se poserait pas, car la gravité de la pandémie exclurait que quiconque vienne reprocher à l’État d’en faire trop.

Par ailleurs, dans le cas d’une crise courte, se pose la question de la jonction entre la maximisation de la crise et les marges de manœuvre. Il est du devoir de l’État d’appliquer rigoureusement le principe de précaution, qu’il s’agisse d’empêcher les avions de traverser un nuage de cendres volcaniques ou d’assurer la prévention de la grippe. La question centrale est de savoir à quoi appliquer ce principe et comment travailler les marges de manœuvre. L’une des conclusions que nous tirons de la gestion de cette crise est que, tant pour la communication que dans tous les secteurs concernés, nous inscrirons désormais dans chaque plan de gestion de crise une interrogation sur la possibilité de dégager des marges de manœuvre.

En troisième lieu, il est certain qu’en matière de communication, tout n’a pas été parfait. Nous avons ainsi eu connaissance, dans le cadre de la cellule communication, des documents que vous évoquiez. De toute évidence, il sera possible d’améliorer ces éléments ciblés. C’est, au fond, la première fois que l’État gère une telle crise sur une aussi longue durée et il convient d’en tirer tous les éléments d’amélioration possible.

Quant à la fin de la campagne – il faut bien que la crise se termine un jour –, j’ai moi-même mis un terme à la campagne télévisée car, s’il est inévitable que les Français trouvent que le Gouvernement en fait trop lorsque l’inquiétude est faible, celui-ci ne doit pas exagérer pour autant. Cependant, il aurait sans doute été nécessaire de continuer à livrer des informations ciblées au grand public. La jonction entre la situation et les moyens employés pourrait certainement être améliorée.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je suggérais tout à l’heure que le phénomène grippal, très méconnu de la population, qui appelle souvent « grippe » un simple rhume, devrait, comme les incertitudes des scientifiques quant à l’évolution du virus et de l’épidémie, faire partie de notre culture. On accepte en effet beaucoup mieux un risque reconnu comme aléatoire qu’une grippe assimilée à une affection qui ne menacerait que les personnes âgées ou fragiles.

M. Thierry Saussez. Ce n’est pas le cas du virus H5N1.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Bien entendu. Toujours est-il qu’aux États-Unis, où le vaccin contre la grippe saisonnière fait partie de la culture, la vaccination contre la grippe H1N1, même pratiquée avec un vaccin non testé, a été beaucoup mieux acceptée qu’en France. En termes de communication, il vaudrait mieux que la population possède un niveau minimal d’information. Au-delà de la promotion de gestes barrières, c’est une question sur laquelle le Gouvernement devrait travailler.

M. Thierry Saussez. Je suis tout à fait d’accord. La communication est nécessaire pour promouvoir les comportements d’hygiène, mais il faut aller plus loin. Dès le début de juillet, nous prendrons notre modeste part à la promotion des comportements de prévention en ouvrant un site web à l’adresse www.risques.gouv.fr, auquel sera relié le site pandémie-grippale. Ce site aura une vocation pédagogique et permettra aux Français de mieux comprendre la vingtaine de risques présentés, qui ne se limitent pas aux plus importants que sont les incendies de forêt ou les inondations.

M. Gérard Bapt. Pour la relance et la sortie de crise, il faut redonner le moral aux Français, que le Médiateur de la République décrit comme « stressés ».

M. Thierry Saussez. Je vous rassure : dans les enquêtes d’opinion, le « nous » est très dépressif, mais le « je » est plus volontaire.

M. Gérard Bapt. En matière de communication, il existe des médiateurs importants. Ainsi, il est dommage d’avoir manqué la médiation parlementaire qui aurait consisté à inciter le Gouvernement à revenir sur l’expérience réussie de la mission d’information consacrée à la grippe aviaire, pour laquelle les députés ont fait durant des mois des allers et retours entre le terrain et les autorités – mission dont M. Jean-Pierre Door était déjà rapporteur.

La médiation par les généralistes a elle aussi été manquée. Il est regrettable de n’avoir pas pu – ou pas voulu – s’appuyer sur ces médiateurs extraordinaires. Le docteur Dupagne, médecin généraliste installé près d’ici, nous a déclaré que, dès le mois de mai, les communications qu’il avait par internet avec ses confrères généralistes d’outre-mer et de l’hémisphère Sud lui avaient révélé que cette grippe n’était pas grave. De même, le Sénat recevra prochainement un médecin que je connais, installé à La Réunion, qui tient le même discours. Les généralistes, qui communiquent entre eux, n’ont donc pas particulièrement incité à la vaccination, et cela d’autant moins qu’ils ont été mis à l’écart.

La communication doit s’appuyer sur un débat avec la société, lequel n’a pas eu lieu, sinon dans les pires conditions, et sur la médiation.

Quant à l’adaptation à la crise, elle évoque le Titanic. Dès le 14 mai 2009, on commandait 50 millions de doses de vaccin à GSK. En septembre-octobre, on excluait les généralistes au motif que le vaccin était conditionné en flacon de dix doses – ou, selon l’une des personnes que nous avons auditionnées, par souci d’économie. Fin novembre, on apprenait qu’un million de doses de vaccins en seringues unitaires étaient stockées à l’établissement public de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS). On aurait pu ouvrir les vannes vers les médecins généralistes, mais cela n’a pas été fait.

M. Thierry Saussez. Cela a été fait assez vite après !

M. Gérard Bapt. Le 4 janvier 2010, la ministre s’est adressé à la Nation, indiquant qu’elle résiliait les contrats et déclarant aux généralistes qu’on les aimait et qu’on avait besoin d’eux. Cependant, les conditions n’avaient été négociées ni avec les distributeurs, ni avec les pharmaciens, ni avec les généralistes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cette décision n’a peut-être pas été celle de M. Thierry Saussez…

M. Thierry Saussez. On en revient aux marges de manœuvre !

M. Gérard Bapt. En l’espèce, on n’en a eu aucune. Lorsque l’on a su que la létalité était très faible, la stratégie de vaccination n’a pas été adaptée, car cela serait revenu à reconnaître que l’on avait commandé trop de doses de vaccin.

En termes de contenu de la communication comme en termes d’adaptation, de nombreuses leçons peuvent être tirées de cette crise. Mais lorsque j’entends le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire déclarer que, la prochaine fois, il ne procédera pas très différemment, je suis très inquiet.

M. Thierry Saussez. Dans le domaine de la communication, nous nous sommes efforcés de travailler le mieux possible en réseau, en mobilisant par exemple l’association « Voisins solidaires » ou en sollicitant des experts et des relais. Probablement aurions-nous pu en faire davantage ; nous le ferons la prochaine fois – indépendamment de la question d’internet, à propos de laquelle j’ai déjà reconnu que nous avons des progrès considérables à faire.

Quant à la logistique, on ne saurait la séparer des autres aspects de la gestion de la crise. Un vrai débat s’impose certes, mais on ne peut reprocher à l’État de maximiser la crise, parce que c’est son rôle de le faire. Il importe de savoir quand déclencher les opérations et quelle marge de manœuvre on se donne dans la mise en œuvre. De toute évidence, il faut tirer des enseignements de cette crise.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur Thierry Saussez, nous vous remercions.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.