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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 5 mai 2010

Séance de 19 heures 15

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Thierry Gentilhomme, sous-directeur, chef du département des urgences sanitaires de la Direction générale de la santé au ministère de la santé et des sports

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 5 mai 2010

La séance débute à dix-neuf heures cinquante-cinq.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Thierry Gentilhomme, chef du département des urgences sanitaires de la direction générale de la santé au ministère de la santé et des sports.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Thierry Gentilhomme, chef du département des urgences sanitaires de la direction générale de la santé au ministère de la santé et des sports.

M. Thierry Gentilhomme prête serment.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le directeur, nous souhaitons examiner avec vous les questions de la mise en place de la campagne de vaccination, des principes qui l’ont orientée et de l’application du principe de précaution.

M. Thierry Gentilhomme, chef du département des urgences sanitaires de la direction générale de la santé au ministère de la santé et des sports. Administrateur civil – je ne suis pas en effet médecin – j’ai été nommé sous-directeur de ce qui était alors le département des situations d’urgence sanitaire, le DéSUS, à la direction générale de la santé en février 2008. Ce département a vocation à gérer les situations d’urgence et, globalement, à assurer la mise en place des moyens permettant de répondre aux menaces sanitaires graves.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Au niveau national ou également local ?

M. Thierry Gentilhomme. Au sein du département des urgences sanitaires, le centre opérationnel de réception et de régulation des urgences sanitaires et sociales, le CORRUSS, est chargé de recevoir toutes les alertes sanitaires qui nous sont rapportées depuis le niveau local par les agences régionales de santé – hier par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales et les établissements de santé. Depuis mon arrivée, mon département a ainsi été mobilisé à la suite notamment d’alertes à la rage, à la méningite, au méningocoque B – en Seine-Maritime et dans la Somme –, et, sur le plan alimentaire, à la présence de datura dans des boîtes de haricots – nos domaines d’intervention sont très variés... Nous intervenons donc en appui des services déconcentrés. Nous disposons à cet effet d’une unité pour planifier les procédures et les outils permettant de répondre aux menaces de manière organisée. De même, une unité logistique réalisait, avant la création de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, les acquisitions et gérait les stocks, création qui a donc changé notre organisation.

Le département des urgences sanitaires a été créé par l’arrêté du 11 mai 2007. Mon premier chantier a été de donner au CORRUSS une vocation opérationnelle car ce dernier avait davantage été bâti sur le modèle d’un service d’aide médicale d’urgence (SAMU) que sur celui d’un centre de crise potentielle. J’ai donc recruté les profils adaptés.

Mon deuxième chantier a été d’accompagner la montée en puissance de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences médicales – qui connaissait quelques difficultés – et de l’aider à devenir pleinement opérationnel. Ainsi, la délivrance du statut d'établissement pharmaceutique à l’ÉPRUS est intervenue le 27 mars 2009.

Nous avons donc abordé la crise le 24 avril avec une capacité opérationnelle relativement nouvelle. Nous avions cependant pu constater, lors d’un exercice intitulé Pandémie 09, que tout fonctionnait bien, ce qui nous a permis d’avoir dès le départ une bonne capacité de réaction. Totalement mobilisées, enterrées trois semaines dans les sous-sols du ministère de la santé, mes équipes ont géré le début de l’alerte, en établissant les conduites à tenir autour des premiers cas et en préparant les premières mesures, notamment de contrôle aux frontières.

Dans une deuxième phase d’appui, il nous a fallu faire face à la gestion, que nous avions peut-être sous-estimée, des cas groupés : écoles, colonies, paquebots, etc. Le département a donc continué à jouer son rôle d’appui – quelles mesures, par exemple, doit prendre tel ou tel préfet qui nous appelle, etc. – pendant la gestion de la crise tout l’été.

Parallèlement, nous avons finalisé, le 16 juin, un circuit de distribution pour les masques et les antiviraux, pour permettre le passage au secteur ambulatoire le 23 juillet.

Dans le même temps, il nous a fallu, début mai, nous préoccuper de l’organisation de la vaccination en prenant en compte, au fur et à mesure que l’on nous les notifiait, les différentes contraintes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. De quelle nature étaient ces contraintes et par qui ont-elles été fixées ?

M. Thierry Gentilhomme. La première contrainte a été le conditionnement, car nous n’étions pas assurés de disposer de vaccins en monodose.

D’autres contraintes ont découlé des négociations avec les laboratoires, de problèmes spécifiques liés aux vaccins – respect de la chaîne du froid – et de la nécessité d’éviter la sortie des vaccins du circuit pharmaceutique. Nous voulions jouer la carte de la sécurité sanitaire : d’où l’organisation que nous avons mise en place avec les répartiteurs.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Combien de personnes travaillent dans votre service ? Quels sont vos liens avec l’Institut de veille sanitaire, Matignon, le ministère de l’intérieur ?

M. Thierry Gentilhomme. Mon plafond d’emplois est de 35, mais nous tournons à 32 : entre quinze et vingt conseillers techniques – médecins, pharmaciens, ingénieurs –, le reste étant du personnel administratif.

Au quotidien, nous sommes en relation permanente avec l’Institut de veille sanitaire, qui évalue la plupart des alertes.

M. le rapporteur. Les alertes de l’Organisation mondiale de la santé passent-elles par l’Institut de veille sanitaire avant d’arriver au département des urgences sanitaires ?

M. Thierry Gentilhomme. Non, une fonction importante du centre opérationnel de réception et de régulation des urgences sanitaires et sociales (CORRUSS) est d’être le point focal français pour les instances européennes et l’Organisation mondiale de la santé. Ainsi, le signal du 24 avril est arrivé au CORRUSS sous la forme d’une alerte.

Je ne suis pas en liaison avec Matignon, mais avec le Centre opérationnel de gestion interministériel des crises (COGIC) et la direction de la planification de sécurité nationale (DPSN) du ministère de l’intérieur.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quelle est l’articulation entre votre service et le ministère de l’intérieur ?

M. Thierry Gentilhomme. La cellule interministérielle de crise (CIC) a été présidée par le ministre de l’intérieur, le plus souvent par son directeur de cabinet, et, la crise étant sanitaire, coprésidée par le directeur de cabinet de la ministre de la santé.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous eu un contact particulier au ministère de l’intérieur avec un homologue ?

M. Thierry Gentilhomme. J’ai travaillé au quotidien avec mes collègues de la DPSN et de la direction de la sécurité civile du ministère de l’intérieur.

M. le rapporteur. Étiez-vous géographiquement séparés ?

M. Thierry Gentilhomme. La collégialité règne au sein de la cellule interministérielle de crise. Et toutes les semaines, j’ai participé à une conférence téléphonique organisée par la direction de la planification de sécurité nationale avec les préfets délégués. L’interaction était permanente. Issu du ministère de l’intérieur, les choses en étaient d’autant plus facilitées.

M. le rapporteur. Une organisation centralisée, dans un lieu unique, ne serait-elle pas préférable ?

M. Thierry Gentilhomme. Nous en avons ressenti le besoin dès le départ, ayant eu à gérer seuls la crise du 24 avril au 1er mai. Dès le 24, j’ai demandé à disposer d’un officier de liaison de la sécurité civile ; autrement dit, nous nous étions mis en réseau avec le ministère de l’intérieur, sachant que nous passerions la main à un moment donné. Un commandant de pompier a ainsi été nommé pour faire la liaison avec la sécurité civile.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dans toutes les administrations d’État, des procédures d’échanges sont prévues. Il semble que cela n’ait pas été le cas pour cette crise, pourtant prévisible. Vous êtes issu du ministère de l’intérieur : les choses ont donc bien fonctionné… Mais avec une autre personne que vous, les choses auraient-elles fonctionné de la même manière ?

M. Thierry Gentilhomme. Nous connaissions notre correspondant, la DPSN. En outre, les procédures figuraient dans le plan pandémie : une réunion interministérielle et une réunion de la cellule interministérielle de crise (CIC). Au début, des « pré-CIC » préparaient la réunion de la CIC, avant celle de la réunion interministérielle du soir. La contrainte était très forte en termes d’organisation.

Finalement, les choses se sont déroulées de manière plus souple, et c’est heureux car les réunions prennent beaucoup de temps et ne doivent pas prendre le pas sur l’action.

M. Gérard Bapt. Vous avez « passé la main », avez-vous dit, au ministère de l’intérieur. Où s’est alors situé le centre de décision ?

M. le rapporteur. Auprès du délégué interministériel ?

M. Thierry Gentilhomme. Le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire n’a pas joué de rôle dans la gestion opérationnelle.

Quand je parle de « passer la main » à la suite de la décision du Premier ministre le 1er mai 2009, cela signifie aussi qu’il y a eu une phase d’apprentissage au cours de laquelle il a fallu expliquer, être en appui : ce n’est pas parce que le ministère de l’intérieur s’est mis à piloter la crise qu’il a acquis toutes les compétences en matière sanitaire. En termes de gestion, il n’y a pas eu l’épaisseur d’une feuille de cigarette entre nous, tant nous avons été en contact.

S’il a été pénalisant au début d’être séparés géographiquement, rester ensemble tout au long d’une crise qui dure un an n’est guère possible. En outre, au début, la cinétique de la crise n’a pas été celle d’un plan rouge, mais plutôt, pour prendre une image, d’un simple accident de bus.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Votre service a-t-il participé aux discussions portant sur la nécessité de lancer une campagne générale de vaccination – obligatoire ou non – puisque vous êtes chargé de concevoir la mise en œuvre de cette dernière ?

M. Thierry Gentilhomme. Non. Quand le sujet de la vaccination a émergé, nous étions en plein dans l’opérationnel : nous gérions des cas groupés, avec une équipe qui avait déjà derrière elle un mois de crise. Les équipes de la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire ont en revanche joué un rôle car c’est par celle-ci que l’Organisation mondiale de la santé passait.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Autrement dit, vous n’avez pas été consulté lors du lancement de la campagne alors que vous êtes en charge de la logistique avec l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires ?

M. Thierry Gentilhomme. Non. Le nombre de vaccins et la couverture de la population sont simplement pour moi des données à intégrer.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La faisabilité serait aussi une donnée ?

M. Thierry Gentilhomme. Elle doit plutôt, en effet, être définie après.

M. le rapporteur. Comme l’ont souligné les rapports sur le virus H5N1, il conviendrait de réfléchir à un lieu de décision unique car les risques sont non seulement viraux, mais également liés au climat, au bioterrorisme, etc.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, des centres de décision regroupant, sous l’autorité du chef du gouvernement, les ministères de l’intérieur, de la santé et de la défense nationale, se réunissent tous les matins dans un lieu unique. Un tel centre opérationnel en France ne faciliterait-il pas les choses ?

M. Thierry Gentilhomme. Le fait d’avoir un lieu unique est forcément une valeur ajoutée. Nous avons peiné au départ, car nous avons dû, tout en nous retrouvant seuls, donner dans le même temps des instructions aux préfets en matière par exemple de contrôle aux frontières, voire de marcher sur les plates-bandes du ministère des transports. Si le ministre de la santé a le pouvoir de donner des instructions aux préfets, l’interministériel est un métier : celui du ministère de l’intérieur.

La collégialité – le lieu unique – doit exister dès le départ, mais il ne faudrait pas que l’on assiste ensuite à une gestion de crise qui s’enferme. Comme chez les militaires, on refait le plan en même temps que l’on avance : on a besoin d’une différenciation entre, d’une part, le lieu où s’opère l’échange d’informations – la cellule de situation – et, d’autre part, les cellules d’aide à la décision qui doivent agir sur leur cœur de métier.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Ce lieu de rencontre existe, de fait, au ministère de l’intérieur.

M. Thierry Gentilhomme. Avec la chaîne préfectorale.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourquoi vous êtes-vous sentis seuls pendant la semaine du 24 avril au 1er mai ? Est-ce simplement le laps de temps pendant lequel on ne savait pas ce qui se passait ?

M. Thierry Gentilhomme. On peut dire cela.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Comment s’est imposé le principe de la mise en place de centres de vaccination ? Quelle a été la contrainte qui a été déterminante pour ne pas associer les médecins libéraux dès le départ ?

M. Thierry Gentilhomme. Il s’est agi moins d’une décision que du résultat d’un processus. À force d’accumuler les contraintes, il est apparu que la seule voie possible était celle d’une vaccination collective dans des centres dédiés. La contrainte déterminante, ce fut le conditionnement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. L’argument du conditionnement n’est pas convaincant – comme ne l’ont pas été ceux, entendus également ici, sur l’absence de réfrigérateur dans nombre de cabinets de médecins généralistes, sur leur impossibilité à regrouper leurs patients par dix,…

M. Thierry Gentilhomme. Le flux de livraison des vaccins a d’abord concerné le Pandemrix, avec des boîtes de 500 doses. Pour démarrer la vaccination dans les 1 000 centres, 5 millions de doses environ étaient nécessaires.

Le conditionnement est le gage de la traçabilité. Pour faire le parallèle avec la chaîne pharmaceutique des 22 600 officines, le pharmacien aurait dû dépaqueter la boîte de 500 doses et le besoin aurait été de 11 millions de doses. Autrement dit, plus vous augmentez la capillarité du système, plus il faut de doses.

Nous avons eu les 5 millions de doses vers le 12 novembre – en semaine 46. Or, l’idée n’était pas de lancer la vaccination coûte que coûte dès la livraison de la première dose de vaccin, mais d’assurer un approvisionnement régulier pour éviter une rupture de stock.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourquoi n’a-t-on pas permis aux médecins volontaires de faire partie du système, en leur proposant d’aller chercher les vaccins dans les centres, au lieu de procéder à des réquisitions ?

M. Thierry Gentilhomme. Début 2010, nous avons demandé aux médecins d’aller chercher des vaccins dans les centres.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela aurait donc pu être fait beaucoup plus tôt.

M. Thierry Gentilhomme. Le conditionnement en multidoses et en boîtes de 500 doses, sans compter l’exigence de traçabilité – numéros de lot, stickers – et d’une notice par patient ont compliqué les choses et engendré une perte de temps.

Par ailleurs, le plan Pandémie nous invitait à préserver l’offre de soins.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Retirer 3 000 médecins du circuit ne préserve pas l’offre de soins.

M. Thierry Gentilhomme. C’est pourquoi nous avons agi pour mobiliser au maximum les internes. La réquisition des médecins libéraux ne faisait pas partie du schéma.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Comment y est-on arrivé ?

M. Thierry Gentilhomme. La réquisition se fait au niveau local et d’un département à l’autre, les situations ont été très différentes – je parlerais d’ailleurs plutôt pour ma part de mobilisation, car il ne s’agissait pas d’envoyer les gendarmes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est pourtant ce qui est arrivé ! En outre, la réquisition était nécessaire, ne serait-ce que pour les problèmes de responsabilité.

M. Thierry Gentilhomme. Nous sommes d’accord : il s’agissait d’un cadre juridique. Mais, je le répète, les situations ont été très disparates d’un département à l’autre.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Un tel manque de coordination, lié à un pur dysfonctionnement de l’État, est un vrai sujet d’interrogation pour le ministère de l’intérieur.

M. Gérard Bapt. L’exclusion des médecins est un problème très important, y compris en termes de communication et de réussite de la vaccination. Or, l’argument de la traçabilité a été ressenti comme une injure par les médecins, car ils assurent déjà la traçabilité de la vaccination saisonnière. C’est pour eux les mépriser que de considérer qu’ils sont incapables d’assurer la traçabilité.

En outre, l’argument de l’exigence de protection de l’offre de soins ne tient pas, car les médecins ont eu malgré tout beaucoup de travail en plus, ne serait-ce qu’en devant répondre aux appels de leurs patients leur demandant conseil.

Quant à la présentation en multidoses, si 5 millions de doses ont permis de commencer la vaccination en semaine 46, avez-vous dit, 500 000 doses en seringues unitaires ont été livrées dans les semaines 49 et 50 à l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires...

M. Thierry Gentilhomme. Je n’ai pas dit que les médecins n’étaient pas capables d’assurer la traçabilité. Mais, d’une part, nous avons rencontré des difficultés avec les boîtes de 500, car les laboratoires refusaient de nous fournir des stickers ; nous avons alors dû imaginer des codes barres pour le suivi des lots. D’autre part, deux injections étant prévues à l’époque, il fallait assurer la traçabilité du produit utilisé pour la première injection, d’où la fonction attribuée aux bons.

Certes, 500 000 doses ont été livrées à l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, mais une boîte de dix seringues par médecin n’alimente pas tout le circuit.

M. Gérard Bapt. Écartée, la médecine générale s’est sentie méprisée.

La stratégie mise en œuvre, sans réactivité, du 14 mai jusqu’au 4 janvier 2010, dans votre bunker, me fait penser au Titanic !

En commission, j’ai interrogé la ministre à plusieurs reprises. Selon M. Didier Houssin, directeur général de la santé, s’exprimant dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur la grippe, des propositions ont été faites aux médecins, mais ils n’y ont pas répondu. Or, les syndicalistes n’ont pas entendu parler de ces propositions ! Il y a eu une véritable incompréhension.

M. Thierry Gentilhomme. Je retiens l’image du Titanic, mais pour une autre raison : il n’est pas facile de changer de cap une fois la machine lancée...

Nous avions en tête plusieurs facteurs : le pic épidémique annoncé, le schéma britannique avec beaucoup de malades, les fortes tensions dans les hôpitaux en janvier, le plan Pandémie prévoyant la protection de l’offre de soins.

Si nous avions pu anticiper la situation – à savoir le nombre de malades et de personnes vaccinées –, nous aurions fait autrement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les choses ont-elles fonctionné de manière satisfaisante selon vous ?

M. Thierry Gentilhomme. Le travail réalisé par les services et l’engagement humain ont été très importants. Nous avons été au rendez-vous. Je ne peux pas dire que je ne suis pas satisfait.

Néanmoins, nous avons appris des choses et devons en tirer les enseignements.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quelles modifications doivent être apportées au plan pandémie grippale, au plan de vaccination ? La vaccination de seulement 5 à 6 millions de personnes est un demi-échec. Comment mieux se préparer ?

M. Thierry Gentilhomme. La mobilisation de l’État a été succès.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Un tel investissement sans atteindre le résultat souhaité vous fait sans doute réfléchir.

M. Thierry Gentilhomme. Pour ma part, je réfléchis en termes de gestion.

La réponse sanitaire en France est organisée autour des établissements de santé de référence au niveau des zones de défense, et des stocks dans les hôpitaux. Avant la crise, nous avions demandé à l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires de travailler sur un schéma directeur de stockage. Nous avons eu à mettre en œuvre une logistique : cela a bien fonctionné, et il nous faut maintenant en tirer toutes les conséquences.

Une orientation s’impose : le renforcement de la zone de défense.

En outre, il est nécessaire de donner un statut aux stocks, en distinguant le stock stratégique détenu par l’Établissement public de réponse aux urgences sanitaires et qui peut éventuellement faire l’objet de programmes de contrôle de stabilité, et les stocks tactiques dans les hôpitaux, comme la mallette d’antidotes dans l’ambulance du service mobile d’urgence et de réanimation, le SMUR, ou chez les pompiers, et qui sont la réponse immédiate à l’urgence.

Le chantier est énorme : il faut rénover profondément la réponse.

Pour utiliser les répartiteurs, diffuser le Tamiflu sur le territoire et organiser la vaccination, nous avons utilisé la même chaîne. Nous devons consolider cet acquis pour restructurer l’ensemble.

Nous avons également un autre chantier, la variole versus grippe, pour laquelle le plan prévoit des unités de vaccinations, des engagements très forts comme la vaccination de la population en quatorze jours. Grâce à notre acquis en termes d’organisation, nous pourrons moderniser le schéma.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous nous sommes préparés au naufrage du Titanic, mais avons connu une petite voie d’eau ! Dans le cas d’une grippe, on doit être capable de décélérer beaucoup plus vite, faute de quoi plus personne ne croira l’État le jour où un réel problème surviendra. La direction générale de la santé réfléchit-elle aux moyens permettant de s’adapter à des situations moins graves que prévues ?

La variole versus grippe correspond à une situation plus grave nécessitant une vaccination plus lourde.

M. Thierry Gentilhomme. Cette crise m’a appris beaucoup de choses, en particulier sur mon département dont je dois reconsidérer l’organisation et la logique même de préparation et de planification. Le plan Pandémie doit évoluer dans le sens que vous évoquez : face à un risque qui n’est pas maximal, il faut être pragmatique.

Quant au plan variole, je sais que l’on me demandera à la rentrée d’y avoir réfléchi.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. La vaccination reprendra à partir de la rentrée, mais ne vous concernera plus car ce ne sera plus de l’urgence sanitaire.

M. Thierry Gentilhomme. Effectivement.

M. le rapporteur. Après l’ouragan Katrina et la variole, les États-Unis ont créé une structure d’urgence et de réponse sanitaire. C’est ce que vous avez fait depuis quelques mois, et vous avez raison de plaider pour une meilleure organisation, car nous ne sommes pas à l’abri de risques majeurs de toute nature.

Je prône une organisation autour des préfets des sept zones de défense, car ils pourront réagir plus rapidement que quatre-vingts préfets et vingt-deux agences régionales de santé. Il faudra un responsable décentralisé de votre service dans chaque zone de défense.

M. Thierry Gentilhomme. Effectivement, notre système est trop centralisé : la réponse est la territorialisation. Il faut une réponse de proximité, avec une harmonisation pour éviter les disparités sur le territoire.

Nous avons échangé 30 000 courriels avec les services déconcentrés. La mobilisation a été exemplaire.

Nous devons travailler différemment avec les agences régionales de santé, qui sont des établissements publics, qu’avec les directions départementales des affaires sanitaires et sociales. Le 12 mai prochain, je réunirai tous les responsables de veille sanitaire en vue de les mettre en réseau : nous allons les accompagner progressivement en termes de gestion de crise. Si les acteurs sont performants, les préfets seront bien conseillés.

Ensuite, il faudra une organisation territoriale de la réponse dont la zone de défense est l’alpha et l’oméga, et articuler l’ÉPRUS avec les zones de défense, car cet établissement public gère des stocks d’État, eux-mêmes mis en œuvre par d’autres établissements publics, les agences régionales de santé.

À l’avenir, le chantier d’actualisation prioritaire est la variole.

Il faut apporter aux agences régionales de santé – acteurs majeurs car autonomes – non pas des instructions, mais des outils : c’est le sens de la restructuration que j’ai commencé à entreprendre. Nous devons mettre en place le règlement sanitaire international, assurer des mises en réseau de responsables. Nous avons imaginé dans les agences régionales de santé des plateformes de réponse aux urgences sanitaires pour les mettre en réseau autour du centre opérationnel de réception et de régulation des urgences sanitaires.

Voilà comment nous espérons pouvoir avancer.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Merci beaucoup, monsieur Thierry Gentilhomme.

La séance est levée à vingt heures cinquante.