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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mardi 11 mai 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et de M. Yann Jounot, directeur de la planification de sécurité nationale au ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA MANIERE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)

Mardi 11 mai 2010

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête)

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et M. Yann Jounot, directeur de la planification de sécurité nationale au ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et M. Yann Jounot, directeur de la planification de sécurité nationale au ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriale.

(M. Francis Delon et M. Yann Jounot prêtent successivement serment.)

M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Le secrétariat général de la défense nationale, devenu aujourd’hui le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et que je désignerai comme tel, a été fortement impliqué dans la préparation de la lutte contre la pandémie grippale.

En février 2004, le Premier ministre a demandé que l’on prépare un plan gouvernemental de prévention et de lutte contre une pandémie grippale. Sur proposition du ministre de la santé et du ministre de l’intérieur, cette préparation a été confiée au secrétariat général en raison de son rôle de coordination interministérielle de l’action du Gouvernement.

Les problématiques abordées dépassaient le seul domaine sanitaire et renvoyaient à des sujets très variés, qui touchaient au fonctionnement de diverses activités d’importance vitale, au droit du travail, à l’ordre public ou encore à la communication. C’est en raison de ses compétences de planification de la réponse interministérielle à des situations éminemment perturbées que le secrétariat général a été sollicité. L’une de ses missions consiste en effet à analyser les risques et les menaces, élaborer des politiques de prévention et de protection et préparer l’État, au niveau central, à la gestion de crises sur le territoire national ou hors des frontières.

Nous n’avons évidemment pas travaillé seuls : nous avons eu pour rôle de faciliter la synthèse des contributions fournies par les ministères et de veiller à la cohérence des mesures proposées par rapport à une stratégie générale définie en commun. Nous avons beaucoup été aidés, à partir du mois d’août 2005, par le délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, M. Didier Houssin, qui a traité de nouvelles thématiques indispensables à la construction du plan et s’est occupé de plusieurs aspects, notamment du recueil des fiches techniques. Nous n’avons pas du tout cherché à calquer le plan de lutte contre la pandémie grippale sur le modèle des plans de défense et de sécurité, tels que les plans de lutte contre le terrorisme, car chaque thème a ses particularités.

La première édition du plan de lutte contre la pandémie grippale date d’octobre 2004. Elle a été révisée à quatre reprises, la dernière édition en date ayant été approuvée au mois de février 2009. Ce plan a donc évolué, notamment au fil d’exercices qui ont été menés à plusieurs reprises et ont permis de tester ses différentes versions.

Il présente surtout la stratégie nationale de préparation et de réponse et fixe des objectifs communs à l’ensemble des parties appelées à intervenir, parties publiques comme opérateurs privés. Il est avant tout une « boîte à outils » d’environ trois cents mesures, parmi lesquelles les décideurs peuvent choisir celles qui correspondent le mieux à un contexte donné. Contrairement à ce que l’on entend parfois, il ne s’agit pas d’une mécanique implacable mais d’un instrument très flexible.

Ce plan est novateur à plus d’un titre. D’abord, dans une finalité de transparence de l’action publique, il n’a pas été classifié mais rendu accessible à tous sur le site internet « pandemie-grippale.gouv.fr ». Ensuite, ce fut l’un des deux premiers plans, avec celui du Canada, à donner une grande place à la dimension éthique dans la stratégie générale de préparation et de réponse à la crise.

À partir de 2005, il a fait l’objet de quatre exercices, soit quasiment un par an. Des ministres, comme Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot-Narquin, et des parlementaires y ont participé. Des situations un peu différentes ont été simulées pour tester les différents aspects de ce que pourrait être une stratégie de lutte contre la pandémie grippale.

En accompagnement du plan, le secrétariat général a défini la méthode d’élaboration de plans de continuité d’activité des administrations et des entreprises. Si l’épisode de grippe de 2009 n’a pas été accompagné de fortes perturbations, le travail qui a été effectué dans presque toutes les administrations de l’État et dans un grand nombre de collectivités et d’entreprises vaudra pour l’avenir, non seulement en cas d’épidémie, mais aussi de perturbations majeures provoquées par d’autres événements.

J’en viens à notre action spécifique en 2009.

En situation de crise, le principal rôle du secrétariat général consiste à assister les plus hautes autorités de l’État en deux domaines. Le premier est celui de l’organisation gouvernementale et interministérielle de gestion de la crise. Dans le cas qui nous occupe, l’organisation a été calquée sur celle du plan : nous en avons fait la pédagogie et explicité le mode d’emploi. La pièce centrale du dispositif de gestion de crise a été la cellule interministérielle de crise, chargée de la conduite opérationnelle de l’action gouvernementale. Nous étions représentés à chacune de ses réunions, y apportant une expertise proprement interministérielle lors de l’examen de l’ensemble des textes réglementaires et des circulaires qui ont été élaborés dans ce cadre.

Le second domaine d’intervention du secrétariat général est celui de l’anticipation des risques qui peuvent affecter la sécurité nationale et des réponses à leur apporter. Fort heureusement, en 2009, nous n’avons atteint un tel seuil ni sur le territoire national ni à l’extérieur de nos frontières. Nous nous sommes néanmoins préoccupés de quelques thèmes d’anticipation. Le premier était celui d’un débordement de la crise au-delà de ses aspects sanitaires, qui aurait pu conduire à la désorganisation d’activités essentielles. Nous avons par exemple contribué à l’évaluation de quelques plans de continuité d’activité, suivi la situation de quelques grands opérateurs, pour apprécier les risques de rupture de leur activité et évalué le nombre de personnes qu’il était opportun de vacciner pour assurer la continuité des activités économiques, sociales et administratives vitales pour la Nation. Le Gouvernement n’a donné finalement la priorité qu’au personnel médical mais cette évaluation était néanmoins nécessaire pour éclairer la décision politique.

Un autre thème d’anticipation a concerné la situation à l’étranger et les dispositions que prenaient les autorités dans quelques pays clés, notamment les États-Unis ou le Royaume-Uni : nous avons procédé à plusieurs niveaux à des échanges avec nos partenaires dans ces deux pays, en particulier sur la mise en œuvre des plans de lutte contre la pandémie et sur leur adaptation à la situation rencontrée.

M. Yann Jounot, directeur de la planification de sécurité nationale au ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriale. Outre que je représente la direction qui a assuré le support et le fonctionnement de la cellule interministérielle de crise, je suis également haut fonctionnaire de défense adjoint.

Le schéma dans lequel nous nous sommes inscrits pour la gestion de cette grippe constitue une première. Nous avons fait pour la première fois application des dispositions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui distingue bien deux fonctions : la direction de la politique stratégique, confiée aux autorités gouvernementales – Premier ministre et Président de la République – , et la conduite opérationnelle de la crise ainsi que la coordination interministérielle, confiées au ministère de l’intérieur. Cette orientation, validée par le législateur, figure à l’article 5 de la loi de programmation militaire.

Cette organisation a été appliquée dans le cadre du plan de lutte contre la pandémie grippale, dès lors que le Gouvernement a considéré que l’on était dans une situation de crise majeure qui pouvait avoir des impacts multisectoriels sur l’ensemble des composantes du gouvernement et de la société.

Le Premier ministre a donc confié la responsabilité du pilotage lors de la crise au ministère de l’intérieur, ce qui a conduit à l’activation, le 30 avril 2009, de la cellule interministérielle de crise, laquelle s’est réunie et a travaillé dans le cadre des orientations générales fixées par le Gouvernement.

Le dispositif de gestion de crise s’est traduit par pas moins de quarante-trois réunions – journalières en début de crise, puis hebdomadaires –, auxquelles participait une grande partie des membres du Gouvernement. Elles étaient présidées par le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur, en présence du directeur de cabinet du ministre de la santé, sauf, au début, où elles l’étaient par le ministre de l’intérieur lui-même. Étaient présents à la fois les représentants du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, du cabinet du Premier ministre et du Président de la République à compter de la fin du mois de juillet.

Le fonctionnement de cette cellule s’est inscrit dans un cadre interministériel avec, sous l’autorité du ministère de l’intérieur, un lien très fort entre ce dernier et le ministère de la santé car, même si les impacts de cette crise étaient par nature intersectoriels, elle était évidemment sanitaire et la réponse gouvernementale s’est largement inspirée des expertises rendues par le ministère de la santé.

L’ensemble des instructions qui ont été débattues et décidées dans le cadre de cette cellule s’est traduit généralement par la production de circulaires conjointes des deux ministres chargés de l’intérieur et de la santé. L’ensemble des réunions a fait l’objet de comptes rendus, qui sont évidemment à la disposition de votre commission, qui éclairent les conditions dans lesquelles le travail gouvernemental a été conduit, sous le pilotage opérationnel du ministère de l’intérieur.

On peut distinguer trois grands moments dans ce pilotage.

Lors de la première période, de la fin du mois d’avril au mois d’octobre 2009, nous avons tenté de freiner l’arrivée et l’impact du virus sur le territoire national par un certain nombre d’éléments de réponse, y compris par anticipation, en particulier par les plans de continuité d’activité, qui n’ont pas été activés, non plus, sauf à la marge dans certains aéroports où des contrôles sanitaires aux frontières ont été mis en place, que les mesures liées aux dispositifs de protection individuelle. La cellule interministérielle de crise a ainsi défini le cadre dans lequel les différentes administrations, les opérateurs ou les collectivités auraient pu être en mesure d’activer ces différentes mesures.

Dans la mesure où une crise de cette nature a un impact en dehors des frontières nationales, nous avons fait l’effort de nous intéresser le plus possible aux enjeux internationaux. Les débats de la cellule ont traduit la volonté de mieux connaître les réponses des autres États et de faire en sorte que l’Europe se saisisse davantage de ce thème, dans sa dimension non seulement sanitaire mais aussi sectorielle.

Mais le rôle de la cellule interministérielle de crise a surtout été de décliner une « boîte à outils » nationale, c’est-à-dire de choisir les mesures nécessaires et parfois de les construire. C’est particulièrement évident pour la vaccination : même si elle figurait dans les options du plan de lutte contre la pandémie grippale, nous avons dû collectivement inventer la manière dont elle devrait être organisée.

La deuxième période, d’octobre 2009 à la fin du mois de janvier 2010, a été celle de la vaccination, les circulaires du 21 août et du 28 octobre 2009 ayant défini les modalités de sa mise en œuvre. La vaccination a débuté le 20 octobre pour les professionnels de santé et à partir du 12 novembre pour l’ensemble de la population. Elle s’est traduite par la mise en place, sur l’ensemble du territoire national, de plus d’un millier de centres de vaccination, avec une montée en puissance progressive : après un démarrage relativement lent, la demande a très sensiblement augmenté après le 20 novembre, avant de diminuer, notamment durant les fêtes de fin d’année, ce qui a conduit à ajuster le fonctionnement des centres. Nous avions pris rendez-vous pour le début du mois de janvier, afin de vérifier si la fréquentation reprendrait. La reprise ayant été relativement lente, le ministère de l’intérieur, en sa qualité de président de la cellule de crise, a poussé à une fermeture anticipée des centres de vaccination qui avaient été conçus pour fonctionner plus longtemps. Il a ainsi été décidé qu’ils fermeraient à la fin du mois de janvier, parallèlement à la fin du calendrier d’envoi des bons. Nous avons dans le même temps essayé de « desserrer » le dispositif et d’ouvrir des centres de vaccination dans les grandes administrations ou dans les entreprises. Quoi qu’il en soit, les centres ont été fermés le 30 janvier 2010.

Nous sommes aujourd’hui dans la troisième période, celle du repli. Il a fallu reprendre l’ensemble des équipements, dans des conditions de sécurité suffisante, et surtout procéder aux opérations de clôture administrative et financière pour solder les comptes, le ministère de l’intérieur étant en charge du volet administratif de l’organisation de la campagne.

J’en viens à quelques éléments d’appréciation.

Nous pouvons noter la bonne résilience de la chaîne de gestion de la crise. L’appareil administratif d’État – et au-delà, puisque les collectivités territoriales ont été étroitement associées au dispositif – a tenu dans la durée, malgré des tensions très fortes.

Pour assurer la réponse opérationnelle, nous nous sommes appuyés sur l’échelon départemental qui doit impérativement rester – y compris dans le cadre de la réforme territoriale en cours – un maillon important de la réponse territoriale en termes de sécurité, mais aussi, c’était une innovation, sur les préfets de zone qui ont été un relais efficace des instructions nationales et un soutien pour les préfets de département.

S’agissant du fonctionnement de la cellule interministérielle de crise, la responsabilité du ministère de l’intérieur s’est insérée dans les options stratégiques décidées par le Gouvernement. Cela a nécessité un important travail de coordination de l’ensemble des ministères. Nous avons pu ainsi homogénéiser au maximum les positions des différentes administrations et produire, dans des délais courts, les textes et les instructions qui ont permis aux chaînes territoriales de répondre aux instructions du Gouvernement. Nous avons dû construire un certain nombre d’instruments dont le mode d’emploi ne figurait pas dans le plan de lutte contre la pandémie grippale et nous avons testé la capacité à animer un réseau territorial sur une longue durée. Nous avons bien sûr travaillé dans un cadre interministériel extrêmement large.

Je terminerai par quelques réflexions sur la planification.

Nous devons tenir compte des acquis de la crise, pour apporter des compléments, en termes de mode d’emploi ou de cadrage, au plan de lutte contre la pandémie grippale. Nous avons dû, même si des éléments de doctrine étaient disponibles dans ce plan, inventer collectivement des dispositifs pour permettre aux uns et aux autres de mettre en place si nécessaire les plans de continuité d’activité. Nous avons dû également préciser ensemble les conditions d’utilisation des équipements de protection individuelle et donner un cadre précis à l’organisation territoriale de la vaccination.

Nous nous sommes aperçus qu’un certain nombre d’éléments de soutien, en particulier juridiques et financiers, étaient nécessaires à la conduite de la crise. La planification doit les intégrer afin que certaines questions n’aient pas à être traitées « à chaud ». Tel n’a pas été pleinement le cas.

Le ministère de l’intérieur étant par ailleurs en charge de la transposition territoriale des plans et de leur mise en œuvre, il peut réfléchir à des axes d’amélioration. Il doit d’ailleurs renouveler son effort de transposition territoriale cohérente des plans gouvernementaux. Ainsi, il se penchera sans doute sur la question des seuils de déclenchement des diverses phases du plan, au niveau national comme à celui de l’Organisation mondiale de la santé.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Pouvez-vous nous préciser quelle était l’articulation entre le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, la cellule interministérielle de crise, la direction générale de la santé et le département des situations d’urgence sanitaire ? Comment ce dispositif était-il décliné dans les préfectures, qui n’ont pas toutes réagi de la même façon, ce qui a pu donner l’impression d’un manque d’unité entre les territoires ?

Vous avez par ailleurs évoqué la possibilité de définir vous-même quels publics vacciner, la direction générale de la santé ayant pris ensuite une orientation différente. À quels publics pensiez-vous alors ?

J’ai cru vous entendre dire que vous aviez vous-même « inventé » les modalités de la vaccination. Portez-vous de la sorte la responsabilité de la déclinaison territoriale de la campagne de vaccination ? Peut-on être satisfait des résultats ?

Enfin, vous avez envisagé de confier parfois certaines responsabilités aux préfets de zone de défense plutôt qu’aux préfets de département. S’agit-il d’une orientation pour l’avenir ?

M. Francis Delon. S’agissant du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, la préparation du plan depuis 2004 s’est faite sous l’autorité du Premier ministre, en relation étroite avec le ministère de la santé, le ministère de l’intérieur, mais aussi d’autres ministères – économie, transports, etc. – puisque ce plan à une vocation large.

M. le rapporteur. Cette préparation a-t-elle eu lieu au sein du ministère de la défense ou de celui de l’intérieur ?

M. Francis Delon. La préparation du plan relève de la responsabilité du Premier ministre, c’est-à-dire du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, avec le concours des différents ministères. Le ministère de la défense n’a pas été impliqué à titre principal. Les deux premiers ministères concernés étaient ceux chargés de la santé et de l’intérieur.

Comme le prévoit le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, lorsqu’une crise importante survient, le Premier ministre est responsable de sa gestion ; en général, il en délègue la gestion opérationnelle, en principe au ministre de l’intérieur pour une crise sur le territoire national. C’est ce qui a été fait en l’occurrence. Le ministre de l’intérieur a eu la responsabilité de piloter la cellule interministérielle de crise. Compte tenu de la particularité de la crise, il a décidé que le ministre de la santé devrait être étroitement associé et il a été demandé à Mme Bachelot-Narquin de copiloter la cellule avec M. Hortefeux.

Chacun a exercé ses responsabilités. Le ministère de l’intérieur a animé le réseau territorial des préfectures. Le ministère de la santé a utilisé tous ses réseaux d’information et de mise en œuvre à travers le réseau sanitaire. D’une certaine façon, le secrétariat général s’est plutôt effacé au moment de la gestion de la crise parce que son rôle n’est pas opérationnel : il a un rôle d’anticipation, de planification et de préparation à l’anticipation sous l’autorité du Premier ministre.

Le secrétariat général suivait les travaux de la cellule, mais il n’en était pas l’acteur principal. Il était là pour être informé de ce qui se passait, pour pouvoir informer le Premier ministre et, le cas échéant, lui conseiller d’anticiper un certain nombre de mesures.

J’ai en effet parlé des publics à vacciner. Au début de l’automne, le public manifestant un très fort engouement pour la vaccination et les vaccins arrivant « au compte-goutte », on avait craint une pénurie de vaccins. Nous avons donc envisagé une liste de publics prioritaires, comprenant bien sûr les personnels de santé, ceux qui sont directement confrontés à la maladie et qui doivent être protégés le plus tôt possible, les personnes vulnérables, mais aussi, au sein de la population qui n’entrait dans aucune de ces catégories, les forces de police, les pompiers et certains personnels essentiels pour assurer la continuité de la vie du pays. Cela n’a jamais été finalisé et, vous le savez, le nombre des vaccins s’est révélé amplement suffisant.

M. Yann Jounot reviendra sur les modalités de la vaccination.

Quelles pistes définir pour l’avenir ? Il me semble que le plan devra s’orienter vers plus de souplesse, qu’il faudra améliorer la « boîte à outils » et prendre plus de distance vis-à-vis des décisions de l’Organisation mondiale de la santé, en particulier en renonçant à caler le plan sur les phases qu’elle définit.

Un important effort en faveur de la gestion territoriale devra bien entendu être consenti, mais en n’oubliant jamais que la réaction à une crise d’une telle dimension doit évidemment être pilotée au niveau national.

M. Yann Jounot. Le système est assez nouveau. Le ministre de l’intérieur reçoit délégation du Premier ministre et il coordonne l’action gouvernementale au plan opérationnel, dans le cadre des grandes orientations stratégiques fixées par le Gouvernement.

La vaccination a été l’orientation de départ de la gestion de la crise. Elle a été évoquée dès les premières réunions de la cellule de crise, place Beauvau. Ensuite, conformément à la décision du Gouvernement et sur la base de l’expertise du ministère chargé de la santé, nous avons, au sein de la cellule, élaboré une réponse opérationnelle en termes de vaccination.

La cellule s’est appuyée par ailleurs sur l’ensemble des centres de la crise dont peuvent disposer les ministères – et pas uniquement le ministère de la santé : le centre de planification et de conduite des opérations au ministère de la défense, les centres de crise territoriaux– centres opérationnels de zone ou centres opérationnels de défense – ou encore les centres de crise existant au ministère de l’intérieur, comme le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises.

La cellule a exercé en fait une coordination politique pour mettre en œuvre une réponse territoriale dans le cadre stratégique fixé par le Gouvernement. En effet, si certains sujets étaient d’ordre strictement sanitaire, la façon de traiter l’endiguement, donc les mesures en matière de transports, la façon dont on appliquait les plans de continuité d’activité et les mesures de protection individuelle relevaient de l’ensemble des ministères. Il fallait donc harmoniser au mieux la façon dont chacun appliquait les instructions conçues, transmises et déclinées sous l’autorité du ministre de l’intérieur en tant que président de la cellule, organe de pilotage opérationnel interministériel.

Dire que l’on a « inventé » la vaccination est sans doute un peu excessif. La vaccination est une réponse qui figure dans le plan de lutte contre la pandémie grippale. Mais il est exact que nous avons construit l’offre de vaccination destinée à l’ensemble de la population, dès lors que le Gouvernement avait décidé que l’on procéderait de la sorte.

Le ministère de la santé avait fait état de difficultés liées au type de vaccin, au calendrier et aux craintes que ce virus faisait naître pour la santé publique. La décision mise en œuvre par le ministère de l’intérieur dans le cadre de la cellule interministérielle de crise était fondée sur sa préconisation de construire un système de vaccination différent du système de droit commun. Les centres de vaccination ont donc été déployés sur le territoire national. Il s’est agi d’un travail conjoint du ministère de la santé et du ministère de l’intérieur, en liaison avec les autres ministères mais prioritairement bien sûr avec le ministère de l’intérieur et le ministère de la santé, qui a fixé le cadre général de l’organisation de la vaccination.

En l’occurrence, « inventer », c’était créer les centres et déterminer leur mode de fonctionnement compte tenu des contraintes qui vous ont été rappelées, notamment par le professeur Houssin.

J’en viens à l’organisation territoriale. Au ministère de l’intérieur, nous pensons que la crise se gère dans la proximité. Tout ce que nous faisons aujourd’hui, y compris au niveau des zones de défense, vise à renforcer le rôle de l’échelon départemental.

Nous avons besoin d’une instance intermédiaire entre Paris et les départements afin de vérifier que la planification dans les départements obéit partout aux mêmes conditions d’homogénéité et de cohérence. L’échelon zonal, pour nous, ne se substitue donc pas à l’échelon départemental, il l’appuie. Dans certaines grandes crises – pollutions marines, grands aléas climatiques – où les préfets de département sont à la manœuvre, il est nécessaire qu’une autorité supradépartementale coordonne l’action des départements. Voilà pourquoi les nouveaux textes renforcent le pouvoir de coordination de l’échelon zonal, d’autant qu’il est beaucoup plus facile d’animer un niveau territorial comptant sept ou douze zones de défense plutôt que cent départements. En outre, les zones de défense assurent elles-mêmes les tâches d’animation infrazonale. Voilà le schéma dans lequel le ministère de l’intérieur s’inscrit.

M. Gérard Bapt. Nous avons auditionné la semaine dernière le sous-préfet responsable du département des situations d’urgence sanitaire. Ses propos concordent tout à fait avec la description que vous avez faite de la gestion de la crise, à partir de la fin du mois d’avril.

Pourriez-vous faire en sorte que notre commission ait accès aux comptes rendus des réunions interministérielles, dont on nous a dit, monsieur Jounot, que vous aviez eu la charge ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. J’insiste à mon tour pour qu’ils nous parviennent dans les meilleurs délais.

M. Yann Jounot. Il faut distinguer le travail gouvernemental, qui se traduit par un certain nombre de vraies réunions interministérielles, du fonctionnement de la cellule interministérielle de crise. C’est le Gouvernement qui fixe les grandes orientations, par exemple en matière de stratégie de vaccination.

M. Gérard Bapt. Il y avait deux types de réunions et deux types de comptes rendus ?

M. Yann Jounot. Le compte rendu des vraies réunions interministérielles est assuré par le cabinet du Premier ministre. La cellule interministérielle de crise met en œuvre des grandes orientations décidées par le Gouvernement, et cela fait l’objet de relevés de décision, qui ont d’ailleurs été communiqués à l’ensemble des préfets de département et de zone. Bien sûr, l’ensemble de ces documents est à la disposition de votre commission.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. S’agit-il des documents qui ont été adressés aux préfectures de zone et de département ?

M. Yann Jounot. Ce sont les documents qui relatent l’ensemble des débats qui ont eu lieu en cellule interministérielle de crise pour la mise en œuvre des orientations stratégiques définies par le Gouvernement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Existe-t-il des comptes rendus relatifs à l’établissement de ces orientations stratégiques ? À qui faut-il les demander ?

M. Francis Delon. Les réunions que préside le Premier ministre donnent lieu à compte rendu, le « bleu » étant établi par le secrétaire général du Gouvernement.

M. Gérard Bapt. Mais pourrions-nous avoir accès à vos propres comptes rendus ?

M. Francis Delon. Je n’ai pas de compte rendu en tant que tel, puisque je ne présidais pas de réunions. Mais si vous souhaitez avoir des documents particuliers, nous vous les communiquerons.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous souhaitons obtenir les comptes rendus de mise en œuvre, dont parlait M. Jounot. Puis nous verrons, pour les orientations stratégiques, avec le secrétariat général du Gouvernement.

M. Gérard Bapt. Une des idées du plan de lutte contre la pandémie grippale élaboré au début de l’année 2009 était que, face à un risque notamment sanitaire, il fallait alerter et non pas paniquer, ce qui paraît logique et raisonnable. Nous avons entendu récemment M. Thierry Saussez, chargé de la communication du Gouvernement, pour qui il faut maximiser le risque quand ont doit gérer une crise sanitaire. N’y a-t-il pas contradiction ?

Par ailleurs, vous avez dit que le plan était évolutif et qu’il devra l’être plus encore. Mais très franchement, on ne s’en est pas aperçu jusqu’au 4 janvier 2010, lorsque la ministre de la santé a annoncé un changement de cap sur plusieurs points. Auriez-vous pu faire des propositions pour adapter la gestion de la crise à l’évolution de la situation, notamment de la connaissance que l’on avait du risque ?

Enfin, vous avez parlé de la nécessité de rechercher un meilleur découplage de la gestion sanitaire entre le niveau national et celui de l’Organisation mondiale de la santé. C’est une donnée importante. Quand je m’en étais pris à cette dernière dans Le Monde, je m’étais attiré de vertes remontrances. Il semblerait que maintenant, on pense qu’il faille prendre une certaine distance vis-à-vis d’elle, notamment pour ce qui a trait aux phases et aux alertes en cas de risque sanitaire.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur Delon, vous avez évoqué l’aspect évolutif de la « boîte à outils », qui a échappé à de nombreux membres de la commission d’enquête et à la majorité de la population. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Francis Delon. J’ai plutôt parlé de souplesse. Ce plan est en effet une boîte à outils. Il n’a pas vocation à être appliqué de A à Z. Il présente des solutions possibles pour telle ou telle situation. Dans tous les plans gouvernementaux, on applique des solutions qui semblent adaptées à une situation donnée, puisque l’on ne peut pas tout prévoir à l’avance dans le détail. Nous faisons toujours l’effort de laisser un certain nombre d’options ouvertes. Ce fut le cas du plan de lutte contre la pandémie grippale depuis sa première élaboration en 2004.

Ce que vous évoquez depuis tout à l’heure, ce n’est pas le plan lui-même : c’est sa mise en œuvre.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Quelle est la différence ?

M. Francis Delon. Elle est fondamentale : le plan est un guide. La mise en œuvre se traduit par des choix par rapport à ce guide. Cela n’a strictement rien à voir.

Ce plan est flexible. Il pourrait l’être, peut-être, encore plus. En tout cas, dans les exercices qui ont été menés, cet élément a toujours été mis en avant. Il n’y a pas d’automaticité : il y a des choix à faire, en fonction des circonstances.

Vous avez justement relevé l’importance du lien avec les phases d’alerte définies par l’Organisation mondiale de la santé. Avec l’expérience, on procède à des ajustements. D’ailleurs, ce plan a déjà été modifié à quatre reprises. Il devra probablement être encore moins lié qu’on ne le prévoyait aux décisions de l’Organisation mondiale de la santé. Cela dit, pour cette dernière le monde est toujours en phase d’alerte 6, alors que nous n’avons, en France, jamais dépassé la phase 5A, ce qui prouve que nos décisions n’ont n’a pas toujours été complètement calquées sur les siennes.

Je ne sais pas très bien ce qu’a voulu dire M. Saussez. Quoi qu’il en soit, la communication est un élément central de la gestion de crise. Il faut en effet alerter sans créer la panique. Il faut donner confiance au public tout en lui disant la vérité. Reste à trouver le bon équilibre. Il m’a semblé que la politique du Gouvernement, telle qu’elle était décidée par le Premier ministre, répondait bien à cette nécessité et je n’ai pas du tout eu le sentiment d’un décalage.

M. Jean Mallot. Le plan, que vous distinguez de l’application qui en a été faite, prévoit effectivement une partie relative à la communication. Que pouvez-vous nous en dire ? Quelle était la place du service d’information du Gouvernement dans ce schéma ?

Ensuite, la stratégie de vaccination fait partie du plan. Sa mise en œuvre suppose une articulation avec le ministère de la santé. Pouvez-vous illustrer cette articulation à trois moments précis : lorsque l’on a décidé de ne pas avoir recours aux médecins de proximité pour la vaccination ; lorsqu’il s’est agi de commander les vaccins ; lorsque l’on a appris qu’une seule injection suffirait ?

Comment le plan se transforme-t-il en décision ? Qui prend la décision ? Peut-on mieux comprendre ce qui s’est passé ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je veux bien que le plan soit une succession de « boîtes à outils », mais une fois mis en œuvre, on a l’impression que rien n’arrête le paquebot : la vaccination avec deux doses qui deviennent une seule dose, la morbidité qui est bien moindre que ce que l’on craignait au départ, etc. Comment cela se passait-il lors des réunions de la cellule interministérielle de crise ?

M. Yann Jounot. Le plus simple est de reprendre les débats de la cellule.

La question de la vaccination a été un moment important. Dès le 5 mai 2009, la cellule a envisagé l’hypothèse d’une vaccination. Le ministère de la santé a rappelé les délais dans lesquels cette décision devait être prise, pour tenir compte de l’arrivée des vagues de virus à l’automne. Lors de la réunion du 12 mai 2009, le ministère de la santé a rendu compte des négociations qu’il avait entamées en vue de l’acquisition de vaccins. Ainsi, dès les premières réunions, il a alimenté le travail interministériel au sein de la cellule opérationnelle pilotée par le ministère de l’intérieur sur la préparation à la mise en œuvre de la vaccination.

Concernant les modalités de celle-ci, il faut reprendre les comptes rendus du 15 juillet et du 22 juillet 2009. Le ministère de la santé, sur la base de son expertise, confortée par un certain nombre d’expertises internationales, a précisé que la vaccination devrait être réalisée dans des centres séparés, à la fois pour protéger la population et pour tenir compte des caractéristiques particulières du vaccin conditionné en multidoses.

Il ne faut pas oublier que, pendant une grande partie de cette phase de préparation, nous étions dans l’incertitude : le ministère de l’intérieur n’a pas de compétences sanitaires éprouvées et les experts n’étaient pas tous d’accord sur l’évolution de la maladie. Un débat était né autour de l’éventualité de la mutation du virus et de l’arrivée d’une seconde vague pandémique au début de l’année 2010. L’hypothèse, qui s’est révélée fausse a posteriori, était que ce virus pouvait tuer.

Voilà ce qui a conduit le Gouvernement à organiser un système spécifique de vaccination collective à destination de l’ensemble de la population.

Quasiment jusqu’à la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre, on pouvait douter de la dangerosité du virus. Ensuite, dans le cadre des orientations stratégiques du Gouvernement, nous avons mis en œuvre cette offre spécifique de vaccination, qui a été ajustée pour tenir compte des pics de fréquentation – avec notamment un pic important aux alentours du 20 novembre, avant que la fréquentation ne se tasse. Enfin, dès le début du mois de janvier, le ministère de l’intérieur a insisté pour que l’on tienne compte de cette baisse d’affluence dans les centres de vaccination, pour que l’on développe d’autres capacités de vaccination, en entreprise, puis dans les hôpitaux, et pour que l’on ferme les centres de vaccination à la fin du mois de janvier, ce qui n’était pas alors l’hypothèse retenue par le ministère de la santé.

Compte tenu de l’ensemble des contraintes sanitaires et de l’état des connaissances transmises par le ministère de la santé et les autorités sanitaires, nous avons essayé malgré tout d’organiser cette réponse en termes de vaccination et d’ajuster les conditions de son fonctionnement à la réalité de la dangerosité du virus et à la fréquentation des centres par la population.

M. Francis Delon. Le point 2-7 du plan précise les objectifs de la communication : « Le dispositif est conçu pour assurer le maintien d’un lien de confiance fort entre les autorités gouvernementales et la population et vise donc à atténuer les craintes et l’anxiété. Les objectifs de la communication sont : informer en permanence la population sur la situation et les mesures prises, entretenir la confiance de la population et la crédibilité des pouvoirs publics, inciter chaque citoyen à devenir acteur et responsable face au risque et favoriser la solidarité nationale, informer sur la façon dont on peut retarder l’arrivée de l’épidémie sur le territoire français, informer les cibles prioritaires sur les mesures spécifiques les concernant, préparer le pays à gérer le risque en coordination avec les partenaires européens et internationaux, aider à gérer la crise et à maintenir l’organisation de la société pendant la pandémie, préparer la sortie de crise et la reprise de la vie normale. » Suivent un certain nombre de considérations sur la mise en œuvre de ces objectifs.

Concernant l’organisation même de la communication, on lit que « les axes stratégiques de communication seront définis par le Premier ministre » et que, « en phase prépandémique, la communication est pilotée par le Premier ministre et coordonnée par le service d’information du Gouvernement, qui agit en liaison étroite avec la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire et avec le secrétariat général de la défense nationale. Dès que la cellule interministérielle de crise est activée, c’est le ministère de l’intérieur, chargé de la conduite opérationnelle de l’action gouvernementale, qui anime et qui coordonne la communication des divers ministères avec l’appui du service d’information du Gouvernement ». Ce dernier n’est ainsi plus en première ligne : il vient en appui de la cellule.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous l’impression que c’est ce qui s’est passé ?

M. Francis Delon. Le service d’information du Gouvernement a joué son rôle, puis des adaptations ont été faites. Le Gouvernement a décidé d’abord d’une politique d’information active, dans laquelle ce service a été beaucoup utilisé. Mais une cellule d’information existait auprès de la cellule interministérielle de crise, M. Jounot peut vous en parler.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous dites que le Gouvernement avait choisi d’utiliser le service d’information du Gouvernement, bien au-delà de ce que prévoit votre plan puisqu’il n’a plus à assumer cette communication à partir du moment où la cellule interministérielle de crise intervient. Or M. Saussez a assumé devant nous la semaine dernière le fait que le service avait conduit et piloté de bout en bout la politique de communication. Vous avez dit que la communication était très importante dans une crise. Or, dès lors que ce qui s’est passé est exactement contraire à ce que prévoit le plan, ce denier ne doit-il pas être corrigé ?

M. Francis Delon. Le plan n’a pas à être corrigé : il prévoit que la cellule interministérielle de crise est chargée de la communication, c’est ce qu’elle a fait. M. Jounot va vous expliquer comment.

M. Yann Jounot. La cellule comporte une cellule « décision », une cellule « situation », et une cellule « communication ». Étaient présents, au titre de la communication, l’ensemble des ministères impliqués dans la gestion de la crise, celui de la santé comme d’autres. Le service d’information du Gouvernement participait à l’ensemble des réunions.

Comment la communication a-t-elle été organisée par le Gouvernement à cette occasion ? Un certain nombre de communications conjointes ont été faites par le ministère de la santé et le ministère de l’intérieur, notamment sur tout ce qui ressortait de la responsabilité de pilotage de ce dernier, pour expliquer les mesures qui étaient prises dans le cadre de la cellule. Des éléments pourront vous être transmis pour attester de la réalité de ces conférences de presse ou communiqués de presse conjoints des ministres ou de leurs porte-parole.

Comme il s’agissait d’une crise sanitaire, le Gouvernement a considéré qu’il était plus légitime que la communication sur le volet sanitaire soit conduite par le ministère de la santé plutôt que par le ministère de l’intérieur. Il convient de distinguer cette communication d’ordre sanitaire des communications conjointes des deux ministères sur la mise en œuvre du dispositif.

Enfin, il faut prendre en compte les grandes campagnes d’information gouvernementales auxquelles faisait sans doute allusion M. Thierry Saussez. Je pense à la campagne de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé qui, au début, a porté plutôt sur les gestes de prévention et qui a été orientée ensuite, au début du mois de novembre, sur la nécessité de se faire vacciner.

Une vingtaine de conférences de presse conjointes des ministères de l’intérieur
– sous l’autorité de Mme Alliot-Marie puis de M. Hortefeux – et de la santé ont été organisées, notamment après les réunions de la cellule, avant et après la mise en place de la vaccination.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. J’imagine qu’à la fin de la conférence de presse, les journalistes se tournaient vers le ministre qu’ils avaient envie d’interroger. On connaît cela…

M. Yann Jounot. Le principe d’une communication conjointe a été acté dès le début. D’ailleurs, les comptes rendus de la cellule signés par le ministère de l’intérieur ont tous été validés, antérieurement, par le ministère de la santé. Même dans ce cadre interministériel collectif, le dialogue était très étroit avec le ministère de la santé, la crise étant tout de même de nature sanitaire.

Ensuite, même si quelques exceptions sont possibles, nous avons veillé à faire en sorte que les éléments de langage ou les instruments d’information diffusés par les différents ministères soient validés par la cellule. Notre responsabilité était de faire en sorte que la communication soit la plus homogène possible.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous le souvenir que la cellule interministérielle ait traité du document qu’on envoyait aux parents d’élèves pour les informer de la campagne de vaccination qui allait avoir lieu dans les établissements et les inciter à faire vacciner leur enfant et à répondre par un formulaire ?

Par ailleurs, est-ce votre direction qui a décidé de l’organisation des centres ou du système des bons ?

M. Yann Jounot. La cellule de communication a vu ces éléments.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. N’y voyez pas de mise en cause personnelle. Avez-vous lu ce document ? Pensez-vous qu’il soit compréhensible par les parents ?

M. Yann Jounot. Monsieur le président, je ne peux pas vous répondre précisément aujourd’hui. Mais sur le principe, effectivement, ce document a été vu et validé en cellule de communication.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les représentants du service d’information du Gouvernement y siégeaient-ils ?

M. Yann Jounot. Oui.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Donc ils l’ont vu et l’ont jugé intelligible par les parents…

M. Yann Jounot. Il a été validé…

Par ailleurs, le choix de la vaccination en centres n’a pas été opéré par le ministère de l’intérieur. C’est le ministère de la santé qui a rappelé les contraintes et a demandé que la vaccination soit organisée dans des centres de vaccination spécifiques.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous « construit » cette réponse ?

M. Yann Jounot. Le ministère de l’intérieur, avec le ministère de la santé, a produit les deux grandes circulaires relatives à l’organisation de la vaccination que j’évoquais tout à l’heure : celle de la fin du mois d’août et celle de la fin du mois d’octobre, qui comportent une partie « intérieur » et une partie « santé ». La deuxième circulaire, notamment, fixe les conditions de sécurité médicale dans lesquelles les centres devaient fonctionner. Il s’agit donc d’une production conjointe des deux ministères.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous avez ainsi construit l’outil, à partir de la décision politique de ne pas avoir recours aux médecins de ville. Pensez-vous que cet outil a correctement fonctionné, qu’il a été bien organisé, que les préfets de département et les personnes qui y ont été envoyées ont su ce qu’ils avaient à faire ? Vous êtes-vous rendu dans ces centres pour vous rendre compte de leur état d’organisation ou plutôt de désorganisation ?

Le centre de vaccination de ma ville a été, dans un premier temps, ouvert deux fois deux heures par semaine ; on n’y acceptait que les personnes qui avaient des bons de vaccination. Dans l’après-midi ou la soirée qui a suivi le premier jour de vaccination, nous avons appris qu’il ouvrirait deux fois trois heures, et que les bons de vaccination n’étaient plus nécessaires. Le surlendemain, les personnes qui n’avaient pas de bon de vaccination n’étaient plus admises et le centre n’ouvrait plus que deux heures…

Avez-vous eu des échos de telles situations ? Vous êtes d’ailleurs quasiment les premiers à nous parler d’évaluation de votre action, ce qui est plutôt positif. Je ne dis pas que cela était simple à organiser, mais on a eu l’impression d’une vaste pagaille. Je ne parle même pas du fait que les bons de vaccination n’étaient toujours pas arrivés chez les gens alors que l’on était en train de fermer les centres, ni même des réquisitions de médecins que l’on n’avait pas envisagées au départ, alors qu’elles étaient indispensables.

Vous avez dit qu’il était essentiel que la population ait confiance dans les autorités sanitaires. Je ne suis pas persuadé que le résultat ait été atteint. Cette organisation qui a semblé « cafouiller » a-t-elle été évaluée ? Considère-t-on aujourd’hui qu’elle a été satisfaisante ? Sait-on comment on pourrait la corriger ?

Il semble que l’on se soit adapté à ce qui se passait, au fur et à mesure, après l’ouverture des centres, alors que l’on avait disposé de cinq ou six mois, voire de quelques années, depuis 2004, pour se préparer et envisager qu’en cas de grippe aviaire, il serait nécessaire de vacciner rapidement la population de façon efficace. On ne peut pas dire que ce soit ce qui s’est passé.

M. Yann Jounot. Concrètement, nous avons construit l’outil entre le mois de juillet et la fin du mois d’octobre, dans un dialogue conjoint entre les ministères de la santé et de l’intérieur. Il est vrai que nous avons constaté, à l’ouverture des centres, un certain nombre de problèmes d’ajustement. Nous avons effectivement observé et mesuré les difficultés que vous avez évoquées, ce qui a amené le ministère de l’intérieur à mieux diffuser les instructions nationales et à intervenir davantage dans la problématique d’ouverture des centres.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Tout cela ne pouvait-il pas être anticipé ? On m’a demandé d’ouvrir mon centre de vaccination le 24 décembre ou le 31 décembre jusqu’à 22 heures ! Au départ, il était ouvert le mardi et le jeudi, aux heures où la population qui travaille ne peut pas venir se faire vacciner. À la fin de la campagne, il a été prévu de vacciner dans les grandes entreprises, ce qu’on n’a même pas fait dans les grandes administrations, ou dans chaque préfecture, alors que c’était parfaitement envisageable. Il y a de quoi être étonné.

M. Yann Jounot. S’agissant du pilotage du fonctionnement des centres territoriaux, nous avons donné des instructions dans un délai relativement court par rapport à leur mise en œuvre. Or elles étaient d’une élaboration compliquée, parce que le sujet était lui-même complexe.

Nous avions d’abord laissé beaucoup de liberté aux préfets de département pour apprécier les conditions d’ouverture des centres, notamment en ce qui concerne les jours et les amplitudes horaires. En raison des difficultés rencontrées, des instructions très précises ont été données par le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur, semaine après semaine, jusqu’à la fin des fêtes de Noël.

La vaccination en entreprise n’avait pas été envisagée à l’origine – on pensait alors que le virus pouvait avoir des conséquences graves et notre souci était d’isoler les populations dans des lieux particuliers. C’est le ministère de l’intérieur qui a proposé cette solution peu avant les vacances de Noël. Il avait été constaté que le virus était d’un caractère moins pathogène que prévu et l’on a souhaité desserrer la contrainte qui pesait sur les centres et élargir l’offre de vaccination.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Est-ce le ministère de la santé qui souhaitait que la vaccination ait lieu dans un lieu isolé ?

M. Yann Jounot. C’était l’équation de départ : des centres spécifiques, distincts des réseaux habituels de vaccination ou de soins…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Je comprends que l’on soigne dans des lieux séparés. Mais pourquoi vacciner une personne saine dans un gymnase et non dans son entreprise ou dans son administration ? Elle ne risque pas de propager le virus.

M. Francis Jounot. C’est une question qu’il faudra sans doute poser au ministère de la santé et au professeur Houssin. Mais encore une fois, le cahier des charges de la vaccination que le ministère de l’intérieur a mis en œuvre répondait à la nécessité d’isoler les flux et aux contraintes logistiques liées au conditionnement du vaccin en multidoses. Si l’on n’a pas envisagé à l’origine de pratiquer la vaccination en entreprise, c’est parce qu’on était dans cette configuration.

Quand nous avons constaté que les choses se passaient plus normalement, nous avons souhaité desserrer au maximum la contrainte pesant sur les centres de vaccination et offrir davantage de capacités de vaccination à la population générale. A donc été mise en œuvre, à partir du début du mois de janvier, cette nouvelle offre de vaccination en entreprise pour aboutir finalement à la proposition faite par le ministère de l’intérieur dès le début du mois de janvier, à savoir une décision de fermeture des centres au 30 janvier. C’est le ministère de l’intérieur qui y a poussé parce qu’il devenait manifeste que leur maintien n’était plus nécessaire.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Là encore, c’est assez surprenant. Tout le monde s’était préparé à une pandémie beaucoup plus grave, au point qu’on craignait de manquer de vaccins. On pensait qu’il fallait vacciner la population le plus vite possible. Mais les centres n’ont pas été ouverts le week-end. Pourquoi ? Pour vacciner le maximum de population, il faut le faire au moment où celle-ci est disponible.

M. Yann Jounot. Il y a eu effectivement, au début, des problèmes de fonctionnement. Et le directeur de cabinet a demandé que les préfets ouvrent les centres le week-end…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dès l’ouverture de la campagne de vaccination ? Combien de temps après ?

M. Yann Jounot. Pas dès l’ouverture : une quinzaine de jours après.

M. Philippe Vitel. Chez moi, dès l’ouverture, et sept jours sur sept.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avez-vous un « retour d’expérience » de la part des préfectures ?

M. Philippe Vitel. Selon les endroits, la méthodologie employée a été totalement différente.

M. Yann Junot. Dans les instructions sur lesquelles nous avons travaillé avec le ministère de la santé et qui étaient extrêmement lourdes, le descriptif du fonctionnement des centres était très détaillé. C’est ce mode d’emploi que les préfets de département devaient mettre en œuvre.

Au début de la campagne de vaccination, nous avions laissé aux préfets toute latitude pour décider des jours d’ouverture des centres. Nous avons eu connaissance, vers le 20 novembre, de difficultés, principalement dans les grandes agglomérations. Cela nous a amenés, une quinzaine de jours après le début de la campagne, à préciser beaucoup plus strictement les conditions dans lesquelles les centres de vaccination devraient être ouverts, notamment en prévoyant des plages d’ouverture le samedi, voire le dimanche dans les grandes agglomérations.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le secrétaire général, savez-vous comment les campagnes de vaccination se sont déroulées dans les pays voisins, du moins ceux qui avaient fait un tel choix ?

M. Francis Delon. Tous les grands pays responsables ont fait le choix de la vaccination. À l’époque, il était difficile d’en faire un autre sans faire prendre un risque considérable à la population. On peut discuter des modalités et de la façon dont le dispositif a été mis en œuvre mais, personnellement, je pense qu’un tel choix n’était pas une erreur.

J’ai discuté avec les Anglais, les Américains et les Canadiens à l’automne dernier. Ils ont observé les mêmes phases que nous. En raison d’un engorgement extrême, au Canada et aux États-Unis, des gens faisaient la queue la nuit précédente pour se faire vacciner le lendemain matin ! Et cela provoquait des protestations.

Ces pays se sont posé les mêmes questions que nous : a-t-on raison d’inciter autant à la vaccination ? Quelle est la létalité précise du virus ? Encore au début du mois de décembre, les Canadiens et les Américains pensaient, comme nous, que le risque était élevé et qu’il fallait vacciner.

Les interrogations et les débats que nous avons observés chez nous ont largement eu lieu ailleurs. Simplement, nous avons peut-être voulu mieux nous préparer que les autres. Nous étions assez en avance, alors que certains pays avaient été moins diligents. Or il se trouve que ceux qui avaient moins diligents que nous s’en sont mieux tirés, la pandémie ayant été ce qu’elle a été. C’est très bien ainsi mais il me semble que, pour un pays comme la France, il était difficile, compte tenu des informations dont on disposait, de ne pas faire le choix de la vaccination.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Dans les autres pays, a-t-on également constaté des polémiques sur les vaccins et leur éventuelle dangerosité ?

M. Francis Delon. J’ai l’impression qu’elles ont été moins importantes qu’en France, même si je ne sais pas pourquoi.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Merci, messieurs, d’avoir participé à nos travaux.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante.