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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mardi 11 mai 2010

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 27

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président

– Audition de M. Roger Salamon, président du collège du Haut conseil de la santé publique

COMMISSION D’ENQUÊTE

SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE

LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)

Mardi 11 mai 2010

La séance est ouverte à dix-sept heures cinquante.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d’enquête)

——fpfp——

La Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Roger Salamon, président du collège du Haut conseil de la santé publique.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons maintenant M. Roger Salamon, président du collège du Haut conseil de la santé publique.

M. Roger Salamon prête serment.

M. Roger Salamon, président du collège du Haut conseil de la santé publique. Créé par la loi relative à la politique de santé publique de 2004, le Haut conseil de la santé publique a pour mission d’évaluer la centaine d’objectifs fixés en annexe de cette loi et de répondre à des saisines dans les champs de l’environnement et des maladies infectieuses. Il résulte de l’association du Haut comité de la santé publique et du Conseil supérieur d’hygiène publique de France, lequel existe depuis le XIXe siècle.

Le haut conseil a été mis en place par le biais d’un appel à candidatures lancé auprès des professionnels de la santé publique travaillant dans les universités, à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, dans les hôpitaux et dans les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales. Les candidats ont ensuite été sélectionnés par des responsables scientifiques de grandes structures ou agences. C’est ce qui vaut au haut conseil d’être considéré comme une structure totalement indépendante car composée exclusivement d’experts – cent cinq au moment de sa création, cent quarante aujourd’hui –, qui élisent d’ailleurs leur président.

Les activités du haut conseil sont de deux ordres. D’une part, il évalue les objectifs fixés dans la loi relative à la politique de santé publique – j’ai remis dernièrement un rapport à la ministre de la santé à ce sujet – et il participe à la définition des objectifs de la prochaine loi de santé publique – qui semble repoussée à 2011. D’autre part, il répond, toujours dans l’urgence, à des saisines multiples, dont celles relatives à la grippe. Celles-ci ont été soumises à la commission des maladies transmissibles, présidée par le professeur Perronne, laquelle comprend un comité technique des vaccinations, présidé par le professeur Floret.

Je précise d’emblée que le haut conseil n’a pas participé à la décision de procéder à une vaccination de masse et d’acheter des vaccins à cet effet. Il ne lui appartient pas de prendre des décisions de cet ordre. Mais je n’hésiterai pas à vous donner mon avis à ce sujet si vous me le demandez.

Le haut conseil est intervenu en « seconde main ». Une fois les vaccins commandés, le Gouvernement l’a consulté sur la manière de distribuer ceux-ci. Quelles priorités devait-on arrêter ? Fallait-il des vaccins monovalents, des vaccins avec adjuvant ? Pouvait-on vacciner les femmes enceintes comme les autres adultes ? Fallait-il vacciner les personnes âgées, que l’on disait plus ou moins immunisées, ou bien les plus jeunes ?

La première saisine que nous avons reçue date du 11 juin 2009 et posait la question de la pertinence de l’utilisation d’un vaccin pandémique dirigé contre le virus grippal A(H1N1). Dans notre réponse, nous distinguions deux cas. Si des vaccins étaient disponibles en assez grand nombre avant le début de l’épidémie, l’objectif majeur était d’éviter celle-ci et le public à vacciner en priorité était alors constitué de jeunes enfants, qui sont les plus aptes à diffuser la grippe, et de toutes les personnes pouvant être sources d’épidémie.

En revanche, si les vaccins n’étaient disponibles qu’au moment où l’épidémie était déjà déclarée, il aurait été moins important d’essayer d’enrayer celle-ci que de protéger d’une part tous ceux qui « tenaient les rênes » de l’État et les services de secours – pompiers, gendarmes, personnels de santé, etc. –, et d’autre part tous ceux qui risquaient d’être gravement affectés par le virus. Un certain nombre d’inconnues empêchaient de préciser les contours de cette dernière catégorie car les personnes à risque n’étaient pas les mêmes que pour la grippe saisonnière : on les disait plus jeunes et ne présentant pas de pathologies particulières.

Nous avons été beaucoup sollicités sur cette question, qui a fait l’objet de plusieurs saisines entre les mois de juin et septembre : les vaccins ne pouvant être livrés d’un coup, il nous était demandé quelles devaient être les priorités.

Nos réponses ont été assez proches de celles du Centre de prévention et de contrôle des maladies américain : nous recommandions de vacciner en priorité les personnels de santé, médico-sociaux et de secours, les femmes enceintes et les bébés.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Estimez-vous que le haut conseil aurait dû être consulté plus tôt ?

M. Roger Salamon. Si vous me demandez mon avis sur la décision prise par la ministre de la santé, je vous le donnerai : j’estime qu’elle a fait ce qu’il fallait faire et que n’importe qui aurait fait à sa place. Le pire aurait été qu’elle ne fasse rien. Il est toujours facile de critiquer a posteriori.

Je sais que la personne que vous allez auditionner après moi, et qui est un grand monsieur de la médecine française, vous dira l’inverse mais je pense qu’il a tort. Des députés, pourtant médecins, voire des anciens ministres, ont également dit des bêtises.

Cela étant, si j’avais pu prévoir, si la ministre de la santé avait pu prévoir, si vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés, aviez pu prévoir ce qui allait se passer, on aurait impliqué plus tôt le Haut conseil de la santé publique.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’était le sens de ma question. Le comité technique des vaccinations aurait-il dû être saisi plus tôt ? Au mois de juin, il était un peu tard…

M. Roger Salamon. Je suis d’accord. Mais il y avait une décision à prendre et on peut comprendre, compte tenu du fait que l’Organisation mondiale de la santé avait déclaré une alerte de niveau 6, qu’un ministre ne perde pas de temps.

Si on avait pu prévoir que la grippe serait beaucoup moins létale qu’on le craignait et que tant de reproches seraient faits, il aurait été, effectivement, intelligent de consulter un comité d’experts indépendant pour se garantir de tous ces mauvais procès.

M. Gérard Bapt. Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale vient de nous dire qu’il faudrait, à l’avenir, découpler notre plan de celui de l’Organisation mondiale de la santé. Cela prouve que quelque chose n’a pas fonctionné.

M. Roger Salamon. Je suis d’accord.

M. Gérard Bapt. Nous savons que le choix de la vaccination barrière est politique et a été pris très tôt. Le haut conseil n’a été consulté qu’ensuite, par l’intermédiaire du comité de lutte contre la grippe, sur les modalités de la vaccination.

Cela étant, l’intervenant précédent nous a dit qu’en décembre, on s’interrogeait encore sur la pathogénicité du virus. Le 22 mai, le bulletin officiel de l’Organisation mondiale de la santé avait attiré l’attention sur le fait que, dans la plupart des cas, les sujets semblaient présenter un syndrome de type grippal classique bénin et guérissaient spontanément, et le directeur du Centre de prévention et de contrôle des maladies américain faisait remarquer à la même époque qu’on mourait moins de cette grippe pandémique que de la grippe saisonnière. Vous n’en faites pas état dans votre rapport.

À partir des chiffres de l’Institut de veille sanitaire, qui évalue à 312 le nombre de décès dus à la grippe A(H1N1), j’ai construit une courbe qui montre que si beaucoup de jeunes ont été touchés, très peu en sont morts, tandis que peu de personnes âgées ont attrapé la grippe mais que la grande majorité en sont mortes.

Le docteur Dupagne m’avait signalé en mai qu’il avait correspondu avec des confrères du Sud qui lui avaient indiqué que la grippe A(H1N1) n’était pas plus grave qu’une grippe banale. C’est également ce que disait le docteur de Chazournes de la Réunion, qui sera entendu demain par le Sénat.

Je ne comprends pas que l’on puisse continuer d’affirmer que l’on ignorait la faible létalité de cette grippe, qu’une vaccination barrière était nécessaire et, comme le directeur général de la santé et la ministre de la santé que, si l’on se retrouvait dans une situation identique demain, on referait la même chose. C’est méconnaître l’état de l’opinion et le discrédit des autorités sanitaires auprès des praticiens.

Ne croyez-vous pas que le risque a été maximisé par des experts obnubilés par leur spécialité et que cela a débouché sur beaucoup de gaspillage et un grand discrédit des autorités sanitaires auprès des médecins généralistes ?

M. Roger Salamon. Le nombre de morts susceptibles d’être causées par une maladie est calculé en multipliant le risque de mortalité individuel par le nombre de personnes susceptibles de contracter la maladie. Je rappelle quand même qu’au Mexique, la grippe A(H1N1) a fait beaucoup de morts. Mais imaginons qu’on ait les idées plus claires et qu’on se rende compte qu’elle est, par exemple, deux fois moins meurtrière que la grippe saisonnière. Comme l’Organisation mondiale de la santé avait annoncé qu’elle se diffuserait sur toute la planète, ce qui n’a été contesté par personne et qui s’est même avéré, si elle touchait cinquante fois plus de personnes, un rapide calcul montrait qu’elle tuerait vingt-cinq fois plus que la grippe saisonnière. C’est ainsi que l’on doit raisonner et non simplement à partir du risque de mortalité individuel.

Deuxièmement, quand on regarde votre courbe, monsieur Bapt, on voit que plus de personnes âgées que de jeunes sont mortes. Mais, même si les premières étaient « protégées » par rapport à la grippe A(H1N1), beaucoup d’autres facteurs ont pu provoquer leur décès. Ce qui doit nous interpeller, dans le cas d’une pandémie de grippe, c’est que des jeunes meurent alors qu’ils ne présentent aucun facteur de risque et qu’ils ne font pas partie de la population à risque de la grippe saisonnière. Les chiffres que vous citez sont exacts mais il faut les rapporter à la population touchée.

Quant à l’état de l’opinion, il est le résultat de la communication qui a été faite sur la grippe A(H1N1). Or deux erreurs ont été commises en la matière. La première est le fait des politiques et des journalistes. Les premiers, parce qu’ils pensaient que la situation était possiblement grave et voulaient convaincre la population de se faire vacciner, après avoir commandé, en pleine période de crise, une grande quantité de vaccins coûteux pour protéger leur santé – ils ne l’ont pas fait pour le plaisir de dépenser –, nous ont « infligé » des conférences de presse quotidiennes au cours desquelles le ministre de l’intérieur est venu systématiquement appuyer la ministre de la santé. En tant que citoyen et médecin, j’en ai personnellement été choqué car il s’agissait bien d’un problème de santé. Un état des lieux présenté de temps à autres par Mme Bachelot-Narquin, Mme Weber, la directrice de l’Institut de veille sanitaire, et, surtout, M. Houssin, le directeur général de la santé, aurait amplement suffi. J’ai également été choqué de voir les journalistes affoler la population en faisant, chaque jour, le décompte des morts.

La seconde erreur de communication, beaucoup plus grave, est le fait de tous ceux, politiques, gens des médias, humoristes, auxquels se sont joints des médecins généralistes et d’autres professionnels de santé, qui ont annoncé, sans aucun fondement, que la grippe A(H1N1) n’était pas grave, qu’il ne fallait pas se faire vacciner et – ce qui est absolument faux – que la vaccination faisait courir des risques, par exemple celui du syndrome de Guillain-Barré dont on sait pourtant qu’il n’est pas lié à la vaccination mais à la grippe elle-même. Si la grippe A(H1N1) s’était révélée aussi grave qu’on le craignait au départ, cet « empêchement » médiatique de la vaccination aurait été dramatique.

L’attitude de certains médecins a été scandaleuse car, après avoir appelé à ne pas se faire vacciner, ils ont dit le contraire lorsqu’il leur a été permis de le faire… J’ai également été très choqué que, dans l’hôpital où je travaille à Bordeaux, les personnels de santé, jusqu’à des puéricultrices en réanimation infantile, refusent de se faire vacciner. Le directeur du centre hospitalier universitaire a menacé d’interdire aux personnels non vaccinés d’intervenir en réanimation. Il avait raison mais sa démarche était illégale et il n’a pas pu l’imposer.

On peut également reprocher à l’Organisation mondiale de la santé de s’être « excitée » un peu trop rapidement et à certains de n’avoir pas pris en compte le fait qu’une alerte de niveau 6 porte sur le nombre des gens susceptibles d’être atteints par une maladie et non sur la gravité ou la létalité de celle-ci. On peut encore dénoncer les conflits d’intérêt qui peuvent exister au sein de l’Organisation mondiale de la santé ou ailleurs. Mais n’oublions pas le nombre de morts causées par la grippe espagnole : la grippe A(H1N1) aurait pu être tout aussi dévastatrice. Personne ne pouvait évaluer sa létalité ni affirmer qu’il n’y aurait pas de deuxième vague de la pandémie.

Quand la maladie s’est déclarée au Mexique, elle a énormément tué et il était annoncé qu’elle s’étendrait au monde entier. Cela dit, la létalité annoncée était tellement forte qu’elle en était invraisemblable.

M. Gérard Bapt. Elle était fausse.

M. Roger Salamon. Elle était complètement fausse, mais il était alors impossible de s’en rendre compte. Pour établir le taux de létalité d’une grippe, on fait le rapport entre le nombre de personnes mortes de cette grippe et le nombre de grippes diagnostiquées et déclarées. Or, au début de l’épidémie, on ne comptait qu’un petit nombre de grippes diagnostiquées et déclarées.

Cela étant dit, quand on dispose de toutes ces informations et qu’on dirige un pays développé, on commande des vaccins le plus rapidement possible. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait tous les pays.

Pourquoi commander des vaccins nécessitant une double dose ? Parce qu’au moment de la commande, ils étaient les seuls à disposer d’une autorisation de mise sur le marché. Nous avons, nous-mêmes, très vite proposé d’administrer des doses uniques, après que des études ont été réalisées sur leur efficacité et leur innocuité.

Aucune crise sanitaire grave n’échappe aux erreurs de communication. Il y en a eu également au sujet de l’amiante et du syndrome de la guerre du Golfe. Il est, d’ailleurs, impossible qu’il n’y en ait pas en France, tellement la population est individualiste et veut montrer qu’elle est téméraire.

Cela étant, il n’est pas simple de bien communiquer. Il est très difficile d’alerter sans alarmer ; de faire comprendre aux gens qu’il convient de se faire vacciner sans leur dire que la situation est grave. Mais la communication devient encore plus difficile quand les puissants lobbies anti-vaccination font courir des rumeurs, comme celles concernant le risque de contracter le syndrome de Guillain-Barré.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Vous venez de défendre avec enthousiasme la décision d’une vaccination générale. Mais le premier avis rendu par le haut conseil le 26 juin 2009 est très réservé sur la pertinence de la vaccination dans le contexte d’une épidémie déclarée. Il déclare ne pas être à même, « compte tenu des nombreuses incertitudes concernant aussi bien la maladie que les vaccins ainsi que des potentiels aléas des études de modélisation », de proposer à ce jour des recommandations concernant la stratégie d’utilisation des futurs vaccins pandémiques A(H1N1). Il souligne, en outre, que « la mise en place d’une vaccination au-delà de trente jours suivant le début de la circulation active du nouveau virus A(H1N1) en France aurait un impact très limité sur l’évolution de la vague pandémique en cours en France, quelle que soit la population ciblée. » Vous avez publié un avis quasiment identique en juillet 2009. Je ne comprends pas bien…

M. Roger Salamon. Nous aurions aimé pouvoir vacciner de manière préventive pour éviter l’épidémie. Mais cela n’a pas été possible puisque l’épidémie était déjà présente quand nous avons disposé des premiers vaccins. C’est le sens de la seconde phrase que vous avez citée. Il n’était plus question d’enrayer l’épidémie. Il fallait essayer de vacciner ceux qui risquaient des complications s’ils contractaient la maladie, à savoir les femmes enceintes et les jeunes.

Mais, comme nous avions des doutes sur l’efficacité des vaccins, nous avons poussé à ce que soient conduites de nombreuses études sur leur immunogénicité et leur tolérance. Nous ne pouvions pas émettre de recommandations à ce sujet puisque nous attendions les résultats de ces études.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Pourquoi, en septembre, le haut conseil a-t-il envisagé un schéma vaccinal visant la population entière alors qu’il l’excluait jusque-là et que d’autres instances, comme le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, l’advisory commitee on immunition practices américain et le département de la santé britannique continuent à l’exclure ? Que s’est-il passé pour que vous changiez d’avis ?

M. Roger Salamon. Les vaccins étaient disponibles.

En septembre, personne n’aurait pris la décision d’acheter en masse des vaccins pour vacciner la totalité de la population. Mais d’une part, les vaccins étaient achetés, livrés et ne présentaient aucun effet secondaire, d’autre part, même si la grippe était moins grave que prévu, elle avait quand même causé des morts et une deuxième vague n’était pas totalement exclue. Nous étions d’avis de vacciner tout le monde, conformément à la décision prise par le Gouvernement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En fait, vous n’étiez pas vraiment favorables à la vaccination quand on annonçait une maladie grave et vous l’êtes devenus en septembre, quand on savait que la grippe A(H1N1) n’était finalement pas si grave, au motif que les vaccins avaient déjà été commandés et, semble-t-il, qu’il fallait les écouler et lancer la campagne même si l’on savait que la vaccination n’était pas indispensable.

M. Roger Salamon. S’ils n’avaient pas été achetés à cette date, on aurait pu considérer que le jeu n’en valait pas la chandelle.

Mais, dans l’évaluation du bénéfice d’une vaccination, on prend en compte le coût des vaccins, leur efficacité et les risques encourus. En septembre, le coût des vaccins était nul puisqu’ils avaient été achetés et qu’ils venaient d’être livrés, et les risques étaient également nuls. Donc rien ne s’opposait à ce que tout le monde soit vacciné.

Je vous signale que la décision de vacciner tout le monde avait été prise très tôt par la ministre de la santé.

M. Gérard Bapt. Pour revenir à ma courbe, que j’ai calquée sur celle établie pour l’Australie, je note que, sur les cent trente-deux morts dénombrées par l’Institut de veille sanitaire, cinquante personnes seulement ne présentaient pas de facteurs aggravants. En Australie, on dénombre à peu près le même nombre de morts – cent quatre-vingt trois – pour une population comparable à celle de la France et, là aussi, il s’agit surtout de personnes âgées.

J’observe, par ailleurs, qu’il y a un « avant » et un « après » le 4 mai 2009 pour ce qui concerne la définition d’une pandémie : à cette date, les critères de morbidité et de mortalité ont disparu.

En revanche, les contrats conclus avant la pandémie continueront à être mis en œuvre dès que l’Organisation mondiale de la santé décrètera un niveau d’alerte 6, puisqu’ils courent jusqu’en 2011 ou 2012.

La décision de procéder à une vaccination barrière est présentée comme éthique. Le Gouvernement s’est fondé sur la déclaration du professeur Flahaut, le 12 mai 2009, selon laquelle l’épidémie de grippe pourrait tuer 30 000 personnes en France. Or une étude réalisée aux États-Unis sur la mortalité due à la grippe depuis 1900 montre que la létalité de la grippe saisonnière ne cesse de diminuer. Par ailleurs, on ne peut comparer la grippe A(H1N1) et la grippe espagnole, survenue en 1918, au lendemain de la Grande Guerre, quand on ne disposait ni d’antibiotiques ni de structures hospitalières. Enfin, était-il « éthique » de la part de M. Flahaut de déclarer, le 12 mai 2009, que « chaque nation va décider de sa politique et cela ne va pas être triste car il n’y aura pas de vaccins pour tout le monde » ?

M. Roger Salamon. Je ne nie pas que certains éléments du dossier méritent d’être mieux compris afin d’en tirer des leçons pour l’avenir, mais le haut conseil n’est compétent sur aucun des points que vous avez soulevés, monsieur Bapt.

M. le rapporteur. Aux trois cent douze décès causés par la grippe A(H1N1) qu’a cités Gérard Bapt, il faut ajouter un grand nombre – que l’on estimait à 1 300 au 20 avril dernier – de malades sévères qui ont dû être hospitalisés et dont certains sont encore en réanimation.

Monsieur Salamon, avez-vous la possibilité de répondre aux nombreuses questions qui sont posées sur internet et aux multiples positions que d’aucuns y prennent à propos de la grippe A(H1N1) ?

M. Roger Salamon. Non.

M. le rapporteur. La Haute Autorité de santé, que préside M. Degos, peut émettre un avis ; pourquoi le haut conseil ne le peut-il pas ?

M. Roger Salamon. Tous nos avis peuvent être consultés sur notre site mais nous ne sommes pas en relation avec le grand public. Nous recevons des courriels mais, généralement, nous n’y répondons pas parce qu’ils ne contiennent pas de questions. Nous aurions peut-être le droit de donner notre avis mais nous n’avons ni l’envie, ni la possibilité technique de le faire.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. C’est selon moi une erreur : quand surviennent des polémiques, comme sur le syndrome de Guillain-Barré, si vous ne répliquez pas et n’expliquez pas, dans le monde d’internet, vous êtes comme mort et il ne sert plus à rien de publier vos avis.

M. Michel Lejeune. Vous avez parlé de la puissance des lobbies anti-vaccins. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Roger Salamon. Ces lobbies anti-vaccins sont très puissants : comme tous les extrémistes, même s’ils ne sont pas nombreux, ils savent très vite faire parler d’eux.

J’avais déjà pu mesurer leur pouvoir lorsque j’ai été désigné comme expert sur la vaccination anti-hépatite B et le risque de sclérose en plaques. J’ai travaillé pendant un an avec Mme Bertella-Geffroy.

L’exemple le plus frappant de l’intervention des lobbies anti-vaccins dans le cas de la grippe A(H1N1) est la publication dans tous les médias, le jour même où la ministre de la santé s’est fait vacciner devant les caméras, d’informations sur le prétendu risque d’être victime du syndrome de Guillain-Barré du fait de la vaccination.

Cela m’a d’ailleurs empêché de vacciner l’équipe de France de rugby de passage à Paris avant une rencontre contre les Samoans : dans l’avion qui amenait l’équipe de Toulouse à Paris, David Marty a téléphoné à sa femme, qui est infirmière, et celle-ci lui a fortement déconseillé de se faire vacciner en raison du risque de syndrome de Guillain-Barré associé à la vaccination. Résultat : à l’exception de deux joueurs, tous ont refusé de se faire vacciner…

Mme Catherine Génisson. Ne pensez-vous pas que si les médecins généralistes avaient été associés, non seulement à la vaccination, mais également à l’information et à la communication, le poids des lobbies aurait été moins important ?

M. Roger Salamon. Permettez-moi, là encore, de vous répondre très franchement. Mon père était médecin généraliste. J’ai toujours rêvé de l’être. Ma fille et mon neveu le sont. Or je considère que les médecins généralistes, d’une manière générale, se sont comportés de façon indigne.

On se plaint déjà du coût élevé de la vaccination ; si les généralistes y avaient été associés dès le début, elle aurait coûté trois fois plus cher, aurait été impossible à gérer et il n’aurait pas été possible d’en assurer la traçabilité. Mais je ne suis pas économiste, mieux vaudra que vous posiez votre question à une personne plus compétente.

Quant à la communication, il n’était pas nécessaire que les généralistes soient habilités à vacciner pour s’en charger. Or non seulement ils n’ont pas relayé la position du Gouvernement auprès de leurs patients, mais encore ils l’ont combattue, ce qui est assez ahurissant et décevant. Le fait qu’après avoir dissuadé les gens de recourir à la vaccination, ils l’aient prônée quand il leur a été permis de s’en charger confirme mon jugement...

Enfin, je considère que les professionnels de santé dans les hôpitaux se sont comportés de manière anormale, voire inadmissible.

Mme Catherine Génisson. Ma qualité de médecin me pousse à réagir à vos propos. Même si les médecins ont été exclus du dispositif parce qu’on estimait que, dans une pandémie planétaire, ils avaient mieux à faire que de s’occuper de médiation, d’information et de communication sur la vaccination, comment pouvez-vous leur demander d’être vertueux quand ils étaient mis de côté et considérés comme quantités négligeables alors qu’ils sont un maillon très important de la chaîne des soins, que ceux-ci soient préventif ou curatifs ?

M. Philippe Vitel. Alors qu’on avait décidé une vaccination barrière pour laquelle on avait commandé 94 millions de doses pour vacciner 70 % de la population avec deux doses, on a mis en place un système de vaccination bancal d’où étaient exclus à la fois le maillage de la médecine classique et le secteur hospitalier. Ne voyez-vous pas là une incohérence ?

M. Roger Salamon. Il me paraît difficile de confier à des médecins généralistes une vaccination de masse avec des vaccins multidoses qui ne se gardent qu’une journée, une liste prioritaire à respecter et une traçabilité à assurer. Un généraliste pourra difficilement vacciner plusieurs personnes dans la journée et, en tant que praticien libéral, je le vois mal se plier à des règles. C’est la conclusion à laquelle avait abouti la réflexion menée au sein du ministère de la santé, à laquelle avaient participé de nombreux médecins. Cela aurait été beaucoup trop coûteux.

M. Gérard Bapt. Savez-vous combien a coûté l’injection au bout du compte ?

M. Roger Salamon. Je dis que cela aurait été trop coûteux parce qu’il aurait fallu disposer de vaccins monodoses ou jeter la moitié ou les deux tiers des flacons qui n’auraient pas été utilisés par les généralistes.

Mme Catherine Génisson. C’est ce qui s’est passé dans les centres de vaccination !

M. Roger Salamon. Quoi qu’il en soit, depuis quand les médecins ont-ils besoin que le ministre de la santé leur dise ce qui est bon pour leurs patients ?

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Autant je suis d’accord avec vous, monsieur Salamon, pour dire que, quelles que soient les frustrations ressenties par les médecins généralistes d’avoir été écartés de la vaccination, leur rôle était de conseiller leurs patients,…

M. Roger Salamon. …et de faciliter l’action du Gouvernement !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. …autant je trouve votre affirmation quant à l’incapacité des généralistes à gérer une vaccination et à regrouper des patients un peu catégorique.

M. Philippe Vitel. En tout cas, votre raisonnement ne s’applique pas au milieu hospitalier, qui réunit toutes les conditions que vous avez citées. Pourquoi a-t-il été exclu du dispositif ?

M. Roger Salamon. Vouliez-vous que l’on vaccine dans les hôpitaux ?

M. Philippe Vitel. C’est mieux que dans un gymnase ou une salle de spectacle !

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Avec des fonctionnaires des impôts pour assurer la traçabilité !

Mme Catherine Génisson. Quant au gaspillage lié à l’utilisation de vaccins multidoses, on pourrait en parler longtemps…

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous avons découvert, la semaine dernière, que les répartiteurs pharmaceutiques ont distribué 5 millions de doses alors qu’on nous explique que 6 millions de personnes ont été vaccinées.

M. Roger Salamon. Premièrement, contrairement aux médecins généralistes, les personnels hospitaliers n’ont jamais demandé à être associés à la vaccination. Au contraire. Ils étaient déjà suffisamment impliqués à leur goût puisqu’au début de l’épidémie, toute personne atteinte de la grippe était systématique hospitalisée en réanimation ou orientée vers le service d’aide médicale urgente.

Deuxièmement, compte tenu des difficultés que connaissent déjà les hôpitaux et des listes d’attente qui existent dans tous les services, sans parler des urgences, demander aux hôpitaux de vacciner aurait eu pour conséquence de les déstabiliser gravement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous vous remercions, monsieur Salamon.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.