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Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A(H1N1)

Mercredi 26 mai 2010

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Jean-Christophe LAGARDE, Président puis de M. Guy LEFRAND, Vice-président

– Audition de M. Jean Leonetti, président de la Fédération hospitalière de France

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ
PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE
DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 26 mai 2010

La séance est ouverte à dix-huit heures.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d’enquête,
puis de M. Guy Lefrand, vice-président)

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Nous accueillons maintenant M. Jean Leonetti, président de la Fédération hospitalière de France.

M. Jean Leonetti prête serment.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Je vous propose d’engager immédiatement notre échange.

Pouvez-vous nous dire comment se sont organisés les hôpitaux publics pour faire face à la pandémie dans les domaines de l’information, de la formation des personnels, des services dédiés et des plans blancs ?

Quelles ont été leurs relations avec les agences régionales de l’hospitalisation, qui avaient communiqué des directives à tous les hôpitaux publics pour faire face à cette pandémie ?

Comment se sont déroulées les opérations de ravitaillement en matériels, masques, antiviraux puis vaccins ?

Dans quel cadre s’est déroulée la vaccination, dans un premier temps, des personnels hospitaliers – et de leurs proches qui l’ont demandé – puis, dans un second temps, du grand public ?

Avez-vous connaissance du coût financier de la grippe pour les établissements publics en France ?

M. Jean Leonetti, président de la Fédération hospitalière de France. En tant qu’organisme d’appui, d’information et de relais, la Fédération hospitalière de France recevait non seulement des informations de la direction générale de la santé et des services du ministère, mais également du terrain et des hôpitaux, en particulier de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. J’ai ainsi l’impression que l’on a déclenché une énorme machine de guerre face à une épidémie pressentie comme redoutable, au motif que l’on pensait que la médecine générale allait être submergée de malades, que les hôpitaux, en particulier les services de réanimation recevraient un afflux de cas graves et qu’il convenait donc de vacciner de manière décentralisée, avec les collectivités territoriales comme support. On s’est par la suite aperçu que la situation était bien moins grave. De la sorte, le processus s’est déroulé par phases successives et de façon évolutive.

Première des vaccinations organisées, la vaccination à l’hôpital n’a pas été à la hauteur de ce qu’on aurait pu souhaiter en temps de pandémie : seulement 37 % des personnels hospitaliers ont été vaccinés, un peu plus chez les médecins que parmi le personnel infirmier. Il est vrai que les avis médicaux à son sujet étaient contradictoires et tranchés : certains affirmaient que ce n’était pas la peine de se faire vacciner tandis que d’autres incitaient l’ensemble des services à le faire pour des raisons à la fois médicales et médico-légales.

Une première ouverture a eu lieu à la demande des proches des personnels hospitaliers vaccinés. Comme ils ne recevaient pas leur bon de vaccination alors que la maladie était annoncée comme grave et que des doses de vaccin étaient disponibles à l’hôpital puisque tout le monde ne se faisait pas vacciner, ils ont réclamé une vaccination, et le corps médical a fini par accéder à leur demande. Le même phénomène s’est produit dans les centres de vaccination en ville. Au début, on n’acceptait que les gens qui avaient reçu leur bon, selon le niveau de risque établi par le plan – enfants, femmes enceintes, personnes à risque – puis, comme les gens faisaient la queue – tout au moins au début –, on les a admis en consultation et on les a vaccinés. L’élargissement s’est fait au fur et à mesure, avec un petit décalage parfois entre les instructions données et les prises de décision sur le terrain, qui relevaient du bon sens.

Je ne décrirai pas en détail l’organisation des hôpitaux publics. Vous la connaissez : elle avait pour but d’assurer la continuité de l’activité et comportait un plan blanc, des exercices programmés et des simulations de déprogrammation. Les hôpitaux étaient prêts car il avait été annoncé, bien en amont, l’arrivée d’une grippe très contagieuse, qui devait toucher 30 % de la population et tuer massivement, notamment les enfants et les femmes enceintes. Si les jeunes et les femmes enceintes ont hélas payé un certain tribut à cette grippe, leur nombre n’a heureusement pas été aussi important qu’il avait été craint.

M. le rapporteur. L’envoi d’internes et d’étudiants à l’extérieur a-t-il entraîné une désorganisation des services ? L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et les Hospices civils de Lyon nous ont fait part de dysfonctionnements.

M. Jean Leonetti. Deux situations auraient été possibles. À notre connaissance, elles n’ont pas eu lieu.

Premièrement, il aurait pu y avoir une saturation des services de réanimation car les malades graves de la grippe avaient besoin d’un matériel d’oxygénation extracorporelle et de longues durées d’hospitalisation, notamment en réanimation, dans une période où la population était touchée par la grippe saisonnière, les gastro-entérites et les bronchiolites. Or, si certains services ont été pleins, on n’a pas connu de saturation.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cette addition de phénomènes a-t-elle permis à la fédération de déterminer dans les hôpitaux un seuil d’accueil maximal qu’il faudrait prendre en compte si on avait affaire à un virus plus virulent ? L’expérience a-t-elle permis de mieux évaluer nos capacités de traitement ?

M. Jean Leonetti. Une mission d’expertise menée avec le ministère avant l’épidémie avait permis d’évaluer la capacité d’accueil des services de réanimation et de soins intensifs en cas de pandémie. Si celle-ci avait vraiment touché 30 % de la population, avec un taux de mortalité de 5 %, je ne suis pas sûr, en vérité, qu’on n’aurait pas été, à un moment, débordé puisque, avec l’épidémie qu’on a connue, même si les services n’ont pas été saturés, ils étaient, dans de nombreux cas, pleins. Cela nous a donné une idée de ce que peut être une pandémie virale, et des mesures à prendre dans ce cas.

Pour compléter ma réponse à M. Jean-Pierre Door, je précise que les internes, les externes et les élèves infirmiers ne devaient pas sortir des hôpitaux. Les secteurs avaient bien été catégorisés : l’hôpital recevait les malades avérés, la vaccination avait lieu à l’extérieur. L’idée, qui est assez logique, était de ne pas modifier les flux : on ne devrait pas faire entrer des populations à l’intérieur de l’hôpital pour les vacciner où étaient soignés des malades graves atteints d’une pandémie caractérisée par une grande contagiosité.

Mais, devant la pénurie de personnels médicaux – puisqu’on ne pouvait pas recourir aux médecins généralistes – on s’est trouvé dans l’obligation de faire appel aux internes. En dehors de Paris où cela a entraîné des problèmes, essentiellement parce que les centres de vaccination étaient excentrés, cela s’est plutôt bien déroulé. Il n’y a pas eu, à notre connaissance, de déprogrammation.

Nous nous sommes alors tous demandé pourquoi, au lieu de faire sortir les internes, on ne vaccinait pas à l’intérieur de l’hôpital. C’est parce qu’on s’attendait à ce qu’il y ait un deuxième pic. Le premier n’avait pas été virulent mais le virus pouvait muter, entraînant une recrudescence de vaccinations. L’hôpital restait donc sur le pied de guerre. Il ne voulait pas se démunir localement pour la vaccination afin d’être prêt à traiter éventuellement les cas graves causés par la mutation du virus.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. En septembre-octobre, les informations concernant l’hémisphère Sud et le fait que les services des hôpitaux n’étaient pas débordés montraient que l’épidémie était moins forte que prévu. N’avez-vous pas eu le sentiment que la rigidité du système empêchait de s’adapter. Trouvez-vous logique qu’on n’ait pas demandé aux hôpitaux de s’organiser pour participer à la vaccination en réservant un espace pour cela ? Après tout, les hôpitaux sont des endroits où les gens se rendent pour subir des actes médicaux. Ne pensez-vous pas que cela aurait été jouable ? Ne faudrait-il pas prendre en compte cet élément lors d’une future épidémie ?

M. Jean Leonetti. La vaccination à l’hôpital n’est possible que sous certaines conditions : l’hôpital doit avoir des locaux vides suffisamment grands et il faut prévoir un apport supplémentaire de personnels extérieurs afin de ne pas déprogrammer les activités quotidiennes de l’hôpital, surtout en période hivernale où se développent d’autres pathologies, ce qui nécessite d’anticiper les différents phénomènes.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Les internes ont bien été envoyés à l’extérieur…

M. Jean Leonetti. Ils ne sont pas très nombreux à l’avoir été. De plus, le fonctionnement d’un service hospitalier repose non pas sur les internes, mais sur des seniors. Les blocs opératoires et les salles d’accouchement n’ont pas été déprogrammés.

Ce qui a été choquant, mais qui était difficilement prévisible, c’est que, lorsque les internes ont été appelés en renfort, ils sont arrivés après le pic de vaccinations et ils ont quelquefois eu le sentiment qu’ils auraient été plus utiles à l’hôpital qu’à attendre le « client » dans un centre...

L’impression que j’ai eue, c’est qu’on recherchait l’organisation la plus rationnelle possible mais qu’on courrait toujours après l’événement qui venait contredire la prévision, le mot d’ordre constant étant d’assurer la sécurité des malades les plus graves, en cohérence avec la mission essentielle de l’hôpital.

Cela étant, il s’est posé la question, en fin de vaccination, de la fermeture de tel ou tel centre de vaccination. Lorsque dix personnes seulement venaient se faire vacciner, on aurait pu leur demander d’aller à l’hôpital et ainsi éviter aux internes de se déplacer.

En cas de nouvelle épidémie, une certaine souplesse serait probablement utile dans la gestion des actions menées localement.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Sans doute serait-il intéressant, s’agissant de la nécessaire souplesse, que vous rencontriez le secrétaire général de la défense nationale…

M. Jean Leonetti. Une dotation de 10 millions d’euros avait été prévue dans le cadre des missions d’intérêt général et de l’aide à la contractualisation, mais le coût a atteint entre 110 et 130 millions d’euros pour l’ensemble des hôpitaux français, en incluant les pathologies, financées dans le cadre de la tarification à l’activité.

Mme Catherine Lemorton. Les publics prioritaires – femmes enceintes, personnes atteintes d’affections de longue durée – sont connus du milieu hospitalier où ils doivent se rendre régulièrement. Les hôpitaux disposant des doses de vaccin non utilisées, leur a-t-on proposé de se faire vacciner lors de leurs consultations habituelles ?

M. Jean Leonetti. Les personnes vulnérables ont été assez rapidement et efficacement vaccinées dans les centres de vaccination. S’il n’y a eu presque personne le premier jour, la diffusion d’une information a ensuite provoqué un pic de vaccinations, si bien qu’il y a eu des queues à l’extérieur des centres dans les collectivités qui n’avaient pas prévu de gymnases ou de grandes salles à cet effet. Puis, on a assisté à une chute des vaccinations lorsque sont arrivées des nouvelles rassurantes.

On a recensé 1 334 cas graves et 312 décès. Les cas graves se sont caractérisés par la nécessité d’une oxygénation par membrane extracorporelle et des réanimations beaucoup plus longues que celles pratiquées normalement pour une détresse respiratoire aiguë.

M. le rapporteur. Avez-vous été dotés de matériels respiratoires supplémentaires ? Cette dotation était-elle suffisante ?

M. Jean Leonetti. Oui. Cette dotation était antérieure à l’épidémie de grippe A(H1N1). Elle remontait à l’alerte précédente de pandémie H5N1.

Les moyens des hôpitaux ont été suffisants pour recevoir et soigner les malades graves dans le cadre de l’épidémie que nous avons connue. Il n’y a pas eu de déprogrammation au-delà de quarante-huit heures.

La vraie question est celle de l’évolution du système en fonction de l’évolution de l’épidémie.

Les premiers cas de grippe ont été acheminés à l’hôpital par les services d’aide médicale d’urgence (SAMU) ou les services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) et placés en isolement dans les services de réanimation, les personnels soignants étant soumis à de contraintes d’hygiène et de sécurité drastiques. Il n’en a pas été de même pour les cas suivants. On a élargi le processus et abaissé le seuil de réponse.

D’ailleurs, un enseignement est à tirer de l’application des mesures d’hygiène et de sécurité dans les hôpitaux où il y a eu un lavage des mains quasi obsessionnel : on a observé une diminution de la transmission des maladies infectieuses durant la période. Cela nous a réappris des gestes élémentaires d’hygiène.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela a-t-il également réduit le nombre des maladies nosocomiales ?

M. Jean Leonetti. Je ne suis pas sûr que le lavage des mains soit suffisant pour cela en raison de la virulence des virus et de leur adaptation aux antibiothérapies, qui font de l’hôpital un milieu particulièrement propice à leur diffusion.

M. Jean-Louis Touraine. Dans certains secteurs, il y a eu, pendant quelques semaines, une relative désorganisation des services du fait de la réquisition des internes.

J’ai également relevé deux aspects quelque peu surréalistes.

Premièrement, alors que médecins des hôpitaux et malades chroniques suivis régulièrement à l’hôpital – dialysés, greffés, porteurs du sida – allaient à contrecœur dans les centres de vaccination situés dans des endroits excentrés – ce qui a provoqué une sous-vaccination de ces populations à risque –, il aurait été plus simple de vacciner ces malades en même temps que leur étaient prodigués les autres soins qu’ils viennent recevoir régulièrement à l’hôpital.

Deuxièmement, lorsqu’il a été possible de vacciner certaines populations de malades dans les hôpitaux, …

M. Jean Leonetti. En phase 2 !

M. Jean-Louis Touraine. …comme les médecins libéraux qui les suivaient n’avaient pas le droit de les vacciner dans leur cabinet, ils les faisaient venir dans l’hôpital où ils travaillaient une partie de la semaine pour les faire bénéficier du vaccin…

En résumé, des patients qui se rendent régulièrement à l’hôpital ont dû aller dans des centres de vaccination extérieurs alors que des personnes suivies en ville ont dû se rendre à l’hôpital pour se faire vacciner. Au lieu de distribuer les vaccins dans tous les lieux de santé, on a déplacé les gens, ce qui a entraîné des pertes en ligne pour la vaccination.

La leçon qui me semble devoir être tirée de ces dysfonctionnements est qu’il faut se calquer le plus possible sur l’existant et procéder à la vaccination là où elle est naturelle, sans demander à la médecine de ville ou à la médecine hospitalière de modifier leurs pratiques.

M. Jean Leonetti. Si l’on ne garde pas à l’esprit le fait qu’on s’est toujours placé – même lorsque les faits démentaient les hypothèses – dans l’éventualité du pire, on ne peut pas comprendre l’organisation mise en place ni la relative lenteur de l’adaptation du dispositif.

Pourquoi les médecins généralistes ne pouvaient-ils pas vacciner ? Parce que les vaccins étaient distribués en multidoses. Quand une dose était utilisée sur les dix, les neufs autres étaient perdues si elles n’étaient pas utilisées dans les vingt-quatre heures. Comme on n’était pas sûr d’avoir suffisamment de doses, on n’a pas voulu gaspiller les stocks dont on disposait, ce qui, quand on y réfléchit, n’est pas complètement illogique.

Pourquoi n’a-t-on pas vacciné dans les hôpitaux ? Parce que les queues qu’il y avait dans les centres de vaccination, même quand il s’agissait de gymnases, dissuadaient de mettre des salles de consultation à la disposition de cette vaccination. L’hôpital aurait été envahi. De plus, les règles d’hygiène et de sécurité interdisaient de faire vacciner des personnes fragiles au même endroit ou à proximité de malades gravement atteints par le virus.

Le nombre de malades graves n’ayant pas été très important, on se dit, après coup, qu’on aurait pu organiser différemment les flux et les espaces. La vraie question à se poser est de savoir si on referait la même chose si c’était à refaire. Mais cette question impose de considérer tous les cas possibles. Un virus ne ressemble pas à un autre. Il peut être plus virulent. Il peut muter. Si l’on connaît une pandémie de la gravité de la grippe espagnole, vaccinera-t-on dans les hôpitaux en détachant des personnels de tels ou tels services à cet effet, en mélangeant les populations fragiles et les malades gravement atteints et en disséminant les doses de vaccin sur l’ensemble des médecins, sans aucune traçabilité ?

Compte tenu de l’épidémie qu’on a connue, on peut en effet dire, a posteriori, qu’il aurait été plus rationnel d’organiser la vaccination à partir du centre hospitalier du fait de ses compétences et du réseau qu’il développe avec la population. Mais on ne peut tirer aucune conclusion pour l’avenir car on ne sait pas si on sera face au même type de pandémie.

L’épidémie a touché l’Australie et la Nouvelle-Calédonie avant d’atteindre l’hexagone, si bien qu’on savait qu’elle se caractérisait par une mortalité importante dans des populations qui n’étaient d’ordinaire pas considérées à risque – jeunes de vingt-cinq ans, femmes enceintes, enfants en bas âge –, ce qui était inquiétant. Mais il y avait aussi une information rassurante, à savoir que la population n’avait été touchée qu’à 15 % et que le taux de mortalité n’atteignait pas les 5 % que on l’avait craints, bien qu’il s’agisse d’un territoire où il n’y avait pas eu de vaccination et où l'on n’avait développé que des règles d’hygiène, de sécurité et d’isolement.

De toutes ces informations, nous avons retenu qu’il y allait y avoir des cas graves, que les hôpitaux devaient être en situation d’accueillir, mais nous n’avions aucune idée de leur nombre. Il n’y avait eu là-bas qu’un pic d’épidémie mais rien ne permettait d’assurer qu’il n’y en aurait pas un second, ou qu’il n’y en aurait pas un second chez nous. Rien ne permettait non plus d’assurer que le virus de l’hémisphère Sud n’allait pas muter et accroître sa virulence.

En même temps, nous avons dû nous livrer à une course à la vaccination puisque nous avons dû l’organiser trois semaines avant la période normale, en distinguant, de surcroît, les personnes âgées, pour qui la grippe saisonnière présentait plus de dangers, et les enfants, les femmes enceintes, les jeunes, les personnes en contact avec les malades et les personnes immunodéficientes, qui constituaient une population à risque pour la grippe A(H1N1).

La vaccination a, d’abord, été réservée aux personnels hospitaliers, puis elle s’est ouverte à l’ambulatoire. Elle a ensuite été assurée à l’extérieur où ont été envoyés, à un certain moment, des internes, pour enfin, être organisée également l’hôpital. On a d’abord vacciné les porteurs de bons, puis toutes les personnes qui se présentaient. Au fur et à mesure de l’évolution de la situation, on a cherché à assouplir le système, tout en restant dans l’hypothèse du pire, que l’on n’a jamais pu totalement exclure : en effet, après le premier pic, un certain nombre d’épidémiologistes et de virologues avaient expliqué qu’il y en aurait un second. Par ailleurs, il y avait eu quatre cas de mutations en Norvège.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Le raisonnement que vous venez de rapporter, et qui sous-tend la philosophie globale du plan tel qu’il a été monté, ne constitue-t-il pas, en se fondant sur le scénario le plus catastrophique, une application excessive du principe de précaution ? À force de préparer la guerre atomique pour ce qui se révèle en définitive n’être qu’un accident de la route, ne risque-t-on pas de décrédibiliser notre capacité de réaction aux yeux de la population ? La stratégie du secrétaire général de la défense nationale me paraît avoir consisté à ne pas bouger son armée en attendant que les renforts de l’autre arrivent…

Il a certes été procédé à des ajustements mais ne faut-il pas accroître notre capacité à décélérer ou à accélérer à nouveau, c’est-à-dire développer notre souplesse de réaction ? Les hôpitaux pourraient y contribuer, même si de nombreux paramètres doivent être pris en compte. Entre ceux qui alarment la population et ceux qui la dissuadent de se faire vacciner, on risque de ne plus être efficace en cas de coup dur.

Il y a quelques semaines, le directeur général de la santé a dit qu’il ne changerait pas grand-chose au plan, s’il était à refaire. Or le caractère incertain de la grippe nécessite qu’on ait un système souple, prêt à parer à la catastrophe comme à accompagner un événement de moindre importance.

M. Jean Leonetti. Quel est le bilan du plan de lutte contre la grippe A(H1N1) ? Il y a eu très peu de morts. Tous les malades ont été pris en charge de façon parfaite par l’ensemble des hôpitaux et personne n’a pâti d’un manque de préparation de ces derniers. C’est un bilan extrêmement positif. Imaginez qu’à l’inverse, on ait manqué, par exemple, de respirateurs…

Cela montre que la vraie question que vous posez est de savoir si la mobilisation des moyens n’était pas trop haute pour la situation telle qu’on l’a trouvée et comment la réajuster en fonction de l’évolution.

Il me semble indispensable, en cas de pandémie du même type, qu’il y ait une organisation nationale, c’est-à-dire que des consignes globales soient données. On ne peut, en effet, imaginer que chaque région mette en place une organisation différente.

Cela étant, une fois ces consignes globales données, il devrait être possible de trouver des adaptations locales en fonction de la situation dans les centres de vaccination. – cas de sur-effectif ou de sous-effectif – sans créer de distorsions entre les territoires. Mais ce n’est pas facile à organiser.

Personnellement, je pense qu’il faudrait suivre le même chemin en cas de nouvelle épidémie. Mais nous pourrions améliorer notre réactivité à chaque nouvelle information sans céder à la panique ou à la banalisation.

Bien que le médico-social ait opposé une résistance farouche à la vaccination, il n’y a eu aucun malade hospitalisé dans ses rangs. Le virus frappait durement les personnes mais de manière aléatoire. Pourquoi tel jeune homme de vingt ans ou telle femme enceinte sont-ils morts alors qu’un vieillard de quatre-vingts ans en contact avec le même virus n’a développé qu’une fébricule simple qui a disparu au bout de vingt-quatre heures ? Nous n’avons pas à ce jour de réponse à cette question.

Lorsque nous serons confrontés à une nouvelle pandémie, il faudra faire attention à ne pas jouer à « Pierre et le loup », sous peine de ne plus être crus par les Français. Nous devrons trouver un système qui soit aussi sécurisant que celui mis en place pour lutter contre la grippe A(H1N1) et suffisamment souple sur le plan local. Je n’ai pas de solution à proposer mais votre commission est là pour en trouver une.

M. le président Jean-Christophe Lagarde. Tout au moins pour en chercher une…

Mme Catherine Lemorton. Le problème est beaucoup plus profond. J’ai l’impression que les gens ne raisonnent plus en termes de balance bénéfice/risque collective mais en termes de balance bénéfice/risque individuelle. Je me suis rendu compte, en tant que pharmacienne, que les gens ne voient pas, dans la vaccination, un moyen de protéger l’ensemble de la population. Ils calculent les risques entraînés par la maladie et les effets secondaires de la vaccination pour eux-mêmes : comme ils ne voyaient pas d’hécatombe due à la grippe et qu’on leur disait qu’il pouvait y avoir des effets secondaires à une vaccination, ils préféraient prendre le risque d’attraper la maladie, considérant qu’ils avaient plus de chances d’en guérir que d’en mourir.

Je ne vois pas ce qu’on peut faire pour inverser la tendance. Si, demain, on trouvait un vaccin contre le sida, je ne suis pas sûre que les Français courraient se faire vacciner…

M. Jean Leonetti. Je dois avouer que, personnellement, je ne courrais pas me faire vacciner contre le sida parce que, compte tenu de mon mode de vie et des contrôles qui entourent les transfusions, je ne me considère pas comme faisant partie des populations à risque.

Mme Catherine Lemorton. Cela n’engage que vous.

M. Jean Leonetti. Ce n’est pas le même cas de figure quand un virus que tout le monde peut attraper se ballade dans l’air.

Cela étant, je rejoins votre préoccupation. Je me demande, moi aussi, comment inciter les Français à avoir une démarche collective de prévention et à sortir d’une démarche individuelle et égoïste ? Celle-ci a des répercussions sur le politique puisqu’elle a été responsable de la mort d’un jeune de quatorze ans dans les Alpes-Maritimes. On doit demander aux personnes concernées si elles ont vraiment fait tout ce qui était possible pour que cet adolescent ait toutes les chances d’être sauvé. C’est la vraie question à se poser dans un contexte médiatique qui, soit crée la panique, soit pousse à la banalisation, en oscillant entre « Vous n’en avez pas fait assez » et « Vous en avez fait trop ».

Comme je l’ai déjà indiqué, le bilan est positif. Les gens ont été vaccinés. Ceux qui ont été gravement atteints par la maladie ont été bien soignés. Il n’y a pas eu beaucoup de morts et celles qui sont intervenues ne sont pas « illégitimes », c’est-à-dire ne sont pas dues à une mauvaise prise en charge, une mauvaise détection ou à un retard dans la vaccination.

Certains vont mettre en balance le coût. Fallait-il dépenser autant ? C’est une question à poser aux Français. Sont-ils prêts à payer pour avoir une sécurité maximale ou abandonne-t-on toute idée de vaccination contre la grippe saisonnière au motif qu’elle ne tue, chaque année, que 5 000 personnes, dont une majorité de personnes âgées qui, de toute façon, seraient mortes un jour ou l’autre ?

Comme vous l’avez souligné, nous vivons dans une société où le risque individuel est évalué. Dans les centres de vaccination, nous avons assisté à de véritables batailles pour obtenir le vaccin sans adjuvant. La même demande a certainement été faite, madame Lemorton, dans votre pharmacie.

M. Guy Lefrand. Nous vous remercions, monsieur Leonetti.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.