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Mercredi 19 septembre 2007

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition, ouverte à la presse, commune avec la commission des Affaires économiques, de l’environnement et du territoire, de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, des finances et de l’emploi, sur la fusion Suez-Gaz de France 2

Commission des Finances,
de l’économie générale et du Plan

Le Président Didier Migaud s’est réjoui d’accueillir, en compagnie de Patrick Ollier, président de la commission des Affaires économiques, le ministre Christine Lagarde, pour cette audition commune aux deux commissions sur un sujet qui retient l’attention de la représentation nationale depuis plusieurs mois. Les commissions auront d’ailleurs l’occasion de recevoir cet après-midi, sur le même sujet, les présidents de Gaz de France et de Suez.

Le projet de fusion entre Gaz de France et Suez soulève de nombreuses questions qui touchent à l’avenir du secteur clé de l’énergie et qui portent tant sur les modalités de la fusion que sur la privatisation de GDF, sur l’impact des intentions de la Commission européenne, sur la position du futur groupe sur les marchés de l’électricité et du gaz, sur l’évolution des tarifs, sur les conditions et sur le coût pour le contribuable des synergies fiscales. C’est pour tenter d’apporter des réponses que les commissions des affaires économiques et des finances ont souhaité entendre le ministre en charge de l’ensemble de ces sujets.

M. Patrick Ollier, Président de la commission des Affaires économiques, a souligné que cette réunion inaugurait un nouveau système d’auditions communes aux deux commissions, destinées à leur permettre de mieux exercer le droit de contrôle du Parlement sur l’application des lois.

On ne saurait oublier que le débat sur ce texte a été l’occasion d’un véritable marathon, au cours duquel pas moins de 137 000 amendements avaient été déposés. Il a conduit à donner au gouvernement la possibilité de réduire la part de l’État dans le capital de Gaz de France et la première question portera donc sur les conséquences que la constitution du nouveau groupe a sur les finances publiques.

Il conviendrait que des précisions soient données sur les garanties de contrôle dont disposera le Gouvernement au sein du nouveau groupe et sur les priorités qui seront les siennes en matière d’obligations de service public. On entre en effet dans une nouvelle ère qui doit permettre de s’adapter tout en préservant un certain nombre de choses et la commission des affaires économiques s’intéresse tout particulièrement à la protection du consommateur, notamment à ce qui a trait aux tarifications.

Enfin, la Commission européenne doit rendre public aujourd’hui même le nouveau paquet énergétique. Le ministre peut-elle préciser comment le nouveau groupe s’insèrera dans ces nouvelles dispositions ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l'Économie, des finances et de l’emploi, s’est réjouie d’avoir ainsi l’occasion de s’exprimer devant les deux commissions de l’Assemblée et de répondre à toutes les questions qui relèvent de son champ de compétences, sachant que certaines sont plutôt du domaine du grand ministère de Jean-Louis Borloo.

À l’occasion d’un débat organisé la semaine dernière par Libération sur le thème : la politique est-elle l'esclave du financier, elle avait tenté d’expliquer quel pouvait être le rôle de l'État en matière de politique industrielle, en particulier en tant qu'actionnaire. L’opération Gaz de France Suez en est une bonne illustration car elle peut s’analyser à la fois comme une opération patrimoniale d’ordre public et comme l’expression d’une politique industrielle.

Elle commencera par répondre à ces questions simples : pourquoi, qui, comment, quand et pour qui ?

Première question : pourquoi cette opération ?

Après des mois d'incertitude et de valse-hésitation il était important qu'une décision soit prise rapidement, pour permettre aux entreprises, ainsi qu'à leurs salariés, d'aller de l'avant dans un environnement énergétique en évolution rapide. Le Gouvernement a toutefois pris le soin et le temps d'analyser, sans aucun a priori, toutes les options possibles pour l'avenir de Gaz de France, qui ont fait l’objet d’un large débat au sein du Gouvernement.

La première, qui était de fusionner Gaz de France et EDF, a été écartée tout simplement parce qu’elle n'aurait été acceptable pour la Commission européenne qu'au prix d'un démantèlement profond des deux entreprises et, probablement, du parc nucléaire français. Pour sympathique qu’elle paraisse, il s’agissait donc d’une fausse bonne idée.

La deuxième option aurait consisté à abandonner purement et simplement le projet de fusion avec Suez. Cela serait revenu à laisser Gaz de France définir seul une stratégie autonome à moyen terme, ce qui représentait une perte d'opportunité pour l'entreprise car Suez aurait sans doute rapidement trouvé un axe stratégique de développement, le cas échéant le conduisant à un partenariat stratégique structurant avec un autre grand acteur européen du domaine énergétique, espagnol, italien ou allemand.

Le Gouvernement a donc opté pour une troisième voie en proposant une fusion entre Gaz de France et Suez, en recentrant les activités du groupe sur l'énergie et en en écartant la partie environnement. Cette solution répond aux besoins de Gaz de France en lui donnant accès à d'importantes capacités de production électrique et en lui assurant une dimension internationale dont disposait Suez.

Deuxième question : qui ?

Fort d'une capitalisation de près de 90 milliards d'euros et d'un chiffre d'affaires consolidé de 72 milliards d'euros (avant scission de la branche environnement de Suez), le nouveau groupe GDF-Suez sera l'un des plus grands acteurs multi-énergies aux plans européen et mondial, présent sur l'ensemble de la chaîne de valeur – production, transport, commercialisation, fourniture de services annexes. Le groupe sera ainsi leader du gaz en Europe – premier acheteur et premier commercialisateur, premier réseau de transport, deuxième opérateur de stockage – et leader mondial du gaz naturel liquéfié. Le nouveau groupe sera incontournable pour les producteurs, ce qui lui permettra d'acheter du gaz dans des conditions plus compétitives. Il sera également en mesure de mener une politique encore plus volontaire d'investissements dans l'amont gazier. Compte tenu de sa capitalisation boursière, il aura les moyens financiers de ses ambitions.

Avec GDF-SUEZ, la France comptera désormais deux des trois ou quatre premières utilities européennes, au rang desquels figurent également EDF.

Troisième question : comment ?

Il est prévu, dans un premier temps, d'introduire en bourse 65 % du pôle environnement de Suez, qui seront distribués aux actionnaires de Suez, puis, immédiatement après, d'opérer la fusion entre Gaz de France et Suez, sur la base d'une parité de 21 actions Gaz de France en échange de 22 actions Suez. Cette parité a été jugée équitable par les conseils d'administration des deux entreprises. Il est important de préciser qu'ainsi aucun dividende exceptionnel en cash ne sera versé aux actionnaires de Suez, ce qui permettra de préserver entièrement la capacité d'investissement de l'ensemble fusionné.

Quatrième question : quand ?

La fusion devrait pouvoir être effective dans le courant de l'année 2008 compte tenu du temps nécessaire pour opérer la scission puis la cotation de Suez Environnement, mais aussi du délai d’examen par la Commission européenne et de la nécessité de procéder à la consultation des instances représentatives des personnels des deux entités. C’est donc un chantier lourd.

Les grands paramètres de l’opération n’ayant pas changé, les deux entreprises ont demandé à la Commission européenne, qui a déjà approuvé le projet de fusion l'année dernière, une extension jusqu'au 31 octobre 2008 de l’autorisation précédemment donnée.

Cinquième question : pour qui ?

Nombreux sont ceux qui ont déjà exprimé des craintes légitimes sur les conséquences que pourrait avoir cette fusion. Or, l'opération bénéficiera à tout le monde, en prenant en compte les intérêts de l'État comme ceux des consommateurs et des salariés.

L'État y trouvera son compte, même si sa participation passe de 70 à 35 %, tout simplement parce qu’il s’agira de 35 % d’un ensemble beaucoup plus vaste, ce qui donnera une dimension stratégique et une force nouvelle à l’entité ainsi créée, dans laquelle l’État demeurera le principal actionnaire.

En outre, en créant un nouveau champion européen de l'énergie, c'est d'abord la sécurité d'approvisionnement de la France qui s'en trouvera renforcée.

En droit des sociétés, détenir 35 % du capital signifie disposer d’une minorité de blocage : rien de déterminant ne pourra affecter cette nouvelle entité sans avoir préalablement été approuvé par l’actionnaire minoritaire à 35 %. L'État sera en outre largement représenté au conseil d'administration.

Il faut rappeler qu’il ne cédera aucun de ses titres Gaz de France et que la diminution de sa participation résultera du seul effet mécanique de la dilution liée à la fusion. Cette opération ne marquera donc pas du tout un désengagement de l'État qui est et restera l'actionnaire de référence du groupe.

Au demeurant, pour empêcher qu'une décision du conseil d'administration puisse être contraire aux intérêts essentiels de la France, le Gouvernement prendra une action spécifique, appelée golden share, qui donnera à l'État le pouvoir de s'opposer à la cession des infrastructures gazières de Gaz de France situées sur le territoire national.

Le consommateur y trouvera lui aussi son compte.

Aucune hausse des prix de l'électricité et du gaz liée à cette opération n'est à craindre, bien au contraire. C'est en effet l'État qui, en vertu de la loi, continuera de fixer les tarifs de vente du gaz naturel en France, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, et en répercutant à la hausse comme à la baisse, comme la loi le prévoit, l'évolution des prix d'approvisionnement, qui suit le cours du pétrole. Le projet de fusion entre Gaz de France et Suez ne change donc rien à la situation existante. Qui plus est, dès lors qu’il deviendra premier acheteur et commercialisateur de gaz en Europe, GDF Suez disposera d'une position forte dans la négociation de ses prix d'achat avec les gros fournisseurs.

Les salariés y trouveront également leur compte.

Ce qui est sûr, d'abord, c'est qu’ils n'y perdront rien : les deux entreprises étant complémentaires à la fois en termes de métiers et de positionnement géographique, les recouvrements entre activités ne devraient être que marginaux. Mais les salariés pourront même y gagner : la taille du groupe permettra de leur offrir en interne des nouvelles chances d'évolution professionnelle, tant en France qu'à l'étranger.

Les salariés de Suez Environnement peuvent aussi être rassurés : GDF Suez conservera une participation stable de 35 % dans le capital de la société Suez Environnement. Un pacte d'actionnaires sera négocié prochainement afin d'assurer la stabilité de l'actionnariat de la société.

Avec un groupe comme GDF Suez, avec des opérateurs comme EDF, Areva ou Total, la France peut être fière de joyaux que le monde lui envie. On ne peut que se féliciter, pour l’État comme pour les consommateurs et pour les salariés, que ces champions industriels, extrêmement actifs dans leurs domaines, soient français.

Le Rapporteur général a remercié le ministre pour la clarté de son exposé et rappelé qu’il faisait partie de ceux qui ont cru, dès l’origine, à l’intérêt de cette opération, pour les clients, ménages et entreprises, mais aussi pour l’État, d’un point de vue patrimonial et financier.

Pour assurer la parité de l’opération tout en maintenant la participation de l’État à 35 % du nouvel ensemble, il faut faire maigrir Suez et c’est ce qui explique la décision de se séparer des activités environnement. Mais nombreux sont ceux qui considèrent qu’il y a une vraie synergie entre les activités environnement et énergie, par exemple dans le domaine de la valorisation énergétique des déchets, mais aussi parce qu’il est important pour les collectivités locales de disposer d’une offre diversifiée pour l’eau, l’énergie et des déchets.

On peut donc se demander pourquoi l’on est obligé de procéder à cette scission. N’aurait-on pas pu envisager, dans le cadre d’une opération véritablement patrimoniale, que l’État achète des actions du nouvel ensemble à la hauteur nécessaire pour en conserver 35 % ? Cela aurait coûté entre 1,5 et 2,5 milliards d’euros, somme dont il dispose puisque 5 milliards d’euros restent disponibles sur le compte de participation, qui est précisément fait pour les opérations patrimoniales mais dont on a décidé qu’il serait utilisé pour rembourser les dettes de l’État à la sécurité sociale. Pourquoi n’a-t-on pas été plus ambitieux, d’autant que cela aurait été conforme à l’intérêt patrimonial de l’État au regard des perspectives de valorisation de ce groupe ?

Par ailleurs, dans la mesure où les reports fiscaux déficitaires du côté Suez sont importants, le rapporteur général aimerait savoir comment se présenteront les choses dans le nouveau schéma : celui-ci modifie-t-il les montants donnés dans les éléments fournis aux analystes financiers ?

M. François Brottes a rappelé que l’un des prédécesseurs de Mme Lagarde n’avait sans doute rien compris à ce qu’elle vient d’expliquer puisqu’il prônait que l’État reste durablement présent à hauteur de 70 % dans le capital de Gaz de France Sans doute a-t-il aujourd’hui, maintenant qu’il est devenu président de la République, changé d’avis sous l’influence du ministre…

Cette audition est destinée à ce que l’on parle des intérêts de l’État et des Français en matière d’énergie, qui n’est pas un bien comme les autres. Dans ce cadre, un certain nombre de questions se posent.

En premier lieu, ce projet améliore-t-il l’indépendance énergétique de la France et de l’Europe ?

En dehors du GNL – mais il s’agit là plutôt de stockage que d’amont gazier –, les indications qu’a données le ministre quant à la position du nouveau groupe correspondent à peu près à celle qu’occupait GDF seul…

Dans un contexte européen pour le moins mouvant, puisque la Commission s’apprête sans doute à annoncer qu’il faudra demain séparer la partie transport de la partie distribution, ce qui modifierait sensiblement la donne, on peut se demander quelle a été la concertation avec les voisins de la France. S’il est certes difficile, dans la situation politique actuelle de la Belgique, de connaître les intentions du gouvernement de ce pays en ce qui concerne Electrabel, il n’est pas certain que les Italiens se réjouissent que l’on choisisse Suez plutôt qu’Enel et l’on peut comprendre l’intérêt que portent les Espagnols au sujet, dans la mesure où Gaz Natural est directement concerné par Suez. En outre, il n’est pas certain que l’opération décidée par la France la mette dans la meilleure position pour discuter du paquet énergétique à Bruxelles.

La deuxième question a trait aux prix.

Pour sa part, M. François Brottes considère que la meilleure garantie pour les tarifs publics est que les entreprises qui vendent de l’énergie demeurent publiques. Qui plus est, le contrat qui liait Gaz de France à l’État prévoyait déjà que ce dernier s’engageait à ce que les tarifs réglementés rejoignent au plus vite les prix du marché.

En ce qui concerne les services publics, il souhaite savoir quel sera, maintenant que les deux entreprises vont entrer en concurrence, l’avenir d’EDF-GDF Services, qui garantit la qualité du service public de proximité en matière de distribution. Alors que la fusion GDF Suez va fragiliser EDF, que va devenir cette entité commune ? Le savoir est important pour les personnels mais aussi pour le service rendu.

En outre, dans la mesure où l’on va passer d’un monopole public à un monopole privé, qui gérera la quasi-totalité des concessions de service public en matière de distribution du gaz, on peut être certain que des concurrents contesteront cette disposition devant la Cour de justice européenne. Qui plus est, pour Suez environnement comme pour l’énergie, en ce qui concerne la distribution, les clients sont pour l’essentiel des collectivités territoriales et les contrats sont donc des délégations de service public ou des concessions. On peut donc se demander comment tout ceci est valorisé au sein de Suez environnement. A-t-on considéré que les collectivités clientes le demeureront pour l’éternité ?

M. Daniel Paul a estimé qu’il n’y avait aujourd’hui rien de nouveau, si ce n’est que le Gouvernement a manifestement décidé d’accélérer le vaste mouvement de Monopoly dans le secteur énergétique, à tel point que l’on parle aussi de plus en plus d’Areva. Il est donc logique que le ministre ait reconnu que la politique industrielle est de plus en plus dominée par une stratégie financière. Or, alors que l’on s’apprête à faire le bilan de la suppression du lundi de Pentecôte, aucun bilan n’a jamais été dressé en ce qui concerne la politique française et européenne en matière d’énergie. Cela n’a pas empêché de bouleverser le paysage de l’énergie, sans jamais se demander si cela était bon pour les consommateurs, industriels ou domestiques, pour les salariés et pour le pays.

S’agissant de la cession de Suez environnement, si une concertation avec la Commission européenne est en effet nécessaire, la forte présence de ce groupe aux États-Unis et les changements qui vont intervenir ne rendent-ils pas aussi nécessaire une concertation avec les autorités américaines, au niveau fédéral comme avec les États concernés ?

Par ailleurs, à la différence de Suez, GDF n’est pas membre de l’Union Professionnelle des Industries Privées du Gaz (UPRIGAZ), qui est en quelque sorte le MEDEF du gaz. Il serait intéressant de savoir si le nouveau groupe, dans lequel l’État sera actionnaire à 35 %, y adhérera.

Pour ce qui est des tarifs régulés, le ministre a déclaré il y a quelques jours à Europe 1 que « le fait d’avoir deux grands opérateurs, GDF et EDF, qui seront en concurrence, est la garantie d’un avantage pour les consommateurs. La régulation des tarifs du gaz et de l’électricité restera en vigueur dans le cadre d’un marché certes ouvert par la directive européenne depuis le 1er juillet à tous les secteurs d’activité ». Le problème tient au fait que la Commission européenne, dans la lettre de griefs que l’Assemblée a examinée lors du débat, dit, à propos des freins à l’arrivée des nouveaux entrants sur le marché, que : « les tarifs régulés freinent le développement des concurrents ». L’un d’entre eux souhaite d’ailleurs la disparition la plus rapide possible de ces tarifs, tout comme Uprigaz, dans lequel le nouveau groupe va peut-être entrer, qui préférerait que les tarifs réguliers soient fixés par la commission de régulation de l’énergie (CRE) plutôt que par le gouvernement. Voilà qui en dit long sur l’indépendance de la CRE vis-à-vis d’Uprigaz…

L’intervenant rejoint le ministre dans son opposition à la séparation du transport du gaz avec le reste des activités. Mais dans ce cas, pourquoi faire une différence avec ce qui se passe pour RFF et la SNCF ? Le problème est exactement le même.

Enfin, si la loi prévoit aujourd’hui que l’État possède 70 % du capital de GDF, on sait qu’en fait sa participation est actuellement supérieure et c’est donc d’une véritable descente aux enfers qu’il va s’agir pour tomber à 35 %... Le ministre peut-elle préciser quelle est exactement la part actuelle de l’État dans GDF ?

M. Jean-Claude Lenoir a rappelé qu’un an après un débat qui a occupé l’Assemblée pendant plusieurs semaines et en dépit du scepticisme qui a accueilli sa présentation, en février 2006, on assiste aujourd’hui à l’aboutissement d’un projet industriel. On peut en être satisfait.

Il est vrai que l’on privatise, mais c’est le Parlement qui l’a décidé. Et on ne saurait oublier qu’on est finalement allé moins loin que MM. Fabius et Strauss-Kahn n’avaient envisagé de le faire en prévoyant, en 2002, la privatisation non seulement de GDF mais aussi d’EDF.

Le projet présenté aujourd’hui est pour l’essentiel conforme à la volonté exprimée devant le Parlement, qui lui a exprimé son soutien.

Dans la mesure où le nouveau groupe fera aussi de l’électricité, le ministre peut-elle préciser quelle marge de manœuvre lui sera laissée pour la production d’électricité d’origine nucléaire ?

Par ailleurs, la loi de 2004 dispose que le réseau de transport est à 100 % propriété de Gaz de France et que le capital peut être augmenté essentiellement avec des fonds d’origine publique. Dans ces conditions, comment l’augmentation du capital du réseau de transport pourra-t-elle être entreprise alors que l’on imagine qu’il faudra renforcer l’interconnexion mais aussi les réseaux et les terminaux.

Enfin, le ministre a souligné que les missions de service public du nouveau groupe étaient inscrites dans un contrat. C’est important pour les tarifs mais aussi pour la présence sur le territoire, pour l’harmonisation géographique et pour le tarif social que cette majorité a créé dans la loi de l’an dernier.

M. Charles de Courson a interrogé le ministre sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à écarter une quatrième solution, pourtant envisagée par le Président de la République, qui aurait consisté en un rapprochement entre Gaz de France et un autre producteur de gaz.

Il s’est également demandé si l’on avait une idée de la position que pourrait prendre le futur gouvernement belge sur cette question.

Il a aussi souhaité savoir si le Gouvernement envisageait de conclure un pacte d’actionnaires avec certains actionnaires privés et dans ce cas avec lesquels et autour de quel contenu.

Enfin, une golden share interdisant la cession des réseaux gaziers est-elle eurocompatible ? On ne saurait oublier que l’on a hélas transféré, sous une majorité de gauche, la propriété du réseau gazier à Gaz de France.

Mme le ministre a souligné que c’est l’intérêt patrimonial de l’État qui a amené à privilégier une solution consistant à amincir Suez en écartant son activité strictement environnementale. C’est une solution financière mais aussi un choix stratégique, qui consiste à centrer le nouvel ensemble sur les métiers de l’énergie. Certes, l’activité environnementale y est liée, elle peut même être source de synergies, mais les experts n’ont pas considéré qu’elle appartenait au cœur du métier. L’avenir dira si la solution retenue était la bonne. Ce nouvel ensemble sera en concurrence avec Véolia.

Le report déficitaire d’environ 3 milliards d’euros dont dispose aujourd’hui Suez sera dans l’ensemble reconfiguré après fusion et intégralement reportable sans notification. Suez gardera indéfiniment la capacité d’utiliser ce report.

Outre qu’après la fusion le nouvel ensemble sera le leader mondial pour le GNL, il accroîtra sa taille d’environ 20 % pour les contrats d’approvisionnement à long terme de gaz et d’environ 30 % pour les ventes. Il disposera également de nouvelles capacités électriques, essentiellement grâce aux apports d’Electrabel.

Les 150 000 salariés communs d’EDF – GDF Services sont chargés de la construction des ouvrages, de la maîtrise d’œuvre des travaux, de l’exploitation et de la maintenance des réseaux, des opérations de comptage et de missions afférentes. Quel que soit le statut, public ou privé, de GDF, le périmètre d’activité du service commun demeurera inchangé et les personnels conserveront leur double rattachement. Les directives imposent la séparation juridique des activités de distribution et la loi prévoit qu’EDF et GDF mettent en œuvre cette obligation en créant des sociétés filiales gestionnaires des réseaux de distribution. Il est prévu que l’opérateur commun devienne un service commun des deux filiales, avec des salariés communs.

S’agissant de l’avenir de Suez Environnement aux États-Unis, le ministre a répondu à M. Paul que la nouvelle entité juridique qui apparaîtra après la scission et la cotation, changera d’actionnaire mais demeurera une société de droit français, cotée en France et ne résultera pas d’une fusion, qui, elle, aurait supposé l’autorisation préalable des autorités américaines de la concurrence. Sous réserve de vérifications juridiques, on peut donc dire que l’opérateur, qui contrôle une petite partie du marché américain, ne devrait pas rencontrer de difficultés.

Suez est aujourd’hui membre d’Uprigaz et n’a pas de raison d’en sortir. EDF est bien membre du Medef, on voit mal pourquoi le rapprochement entre GDF et Suez amènerait à boycotter Uprigaz.

En ce qui concerne la détention du capital, on va effectivement passer non pas de 70 mais de 80 % à 35 %

Le Gouvernement est extrêmement attaché aux tarifs réglementés et les directives européennes ne prévoient rien à leur sujet. Ces tarifs sont prévus par la loi et ne sont pas appelés à disparaître en 2010. Ils permettent aux opérateurs de financer les investissements nécessaires tout en faisant bénéficier les consommateurs des tarifs parmi les plus compétitifs en Europe. Au moins sur ce point, la France un avantage sur l’Allemagne… Le Gouvernement est déterminé à montrer que l’existence des tarifs réglementés n’entre pas en contradiction avec l’ouverture des marchés : dans ce nouveau cadre, les consommateurs sont libres de souscrire aux opérateurs alternatifs et de bénéficier des nouveaux services qui sont proposés. Il ne faut pas évaluer l’ouverture des marchés au regard des seuls contrats qui ont été signés cet été car les consommateurs restent prudents, d’autant que les dispositions de la loi du 7 décembre 2006 ne sont pas satisfaisantes. Le ministre se réjouit donc que la proposition de loi de M. Poniatowski à ce propos puisse être examinée le 1er octobre prochain.

Elle a ensuite répondu à M. Jean-Claude Lenoir, qui l’a interrogée à propos de l’énergie nucléaire, que Suez est déjà un opérateur nucléaire, qui dispose en particulier de sept réacteurs en Belgique. Dans le principe, on ne peut qu’être favorable au développement du parc nucléaire de GDF Suez en Europe et en France, même si EDF y est déjà très puissante.

M. Jean-Claude Lenoir a fait observer que la question de la séparation patrimoniale des réseaux était un vrai problème juridique qui se posera dans le cadre de la transposition de la troisième directive sur l’énergie.

Mme le ministre a répondu que c’est précisément cette directive qui est aujourd’hui en débat devant la Commission et a rappelé que, avec neuf autres États membres, la France s’oppose à la proposition de séparer l’activité de transport de celles de production et de distribution.

Répondant à M. de Courson, elle a indiqué que si le gouvernement a écarté une quatrième solution qui aurait consisté à rapprocher Gaz de France d’un producteur de gaz, c’est surtout en raison des exigences des producteurs.

Il est vrai qu’il est actuellement très difficile pour la Belgique d’être représentée dans les discussions internationales et que l’on a du mal à connaître la position de son gouvernement. Ce pays a toutefois été associé au processus et a demandé une golden share, dans les mêmes conditions que la France.

Pour l’instant, aucun pacte n’a été envisagé avec d’autres actionnaires au sein de l’ensemble recomposé. Compte tenu de la participation de la Caisse des dépôts et consignations et d’Areva, l’État a voix au chapitre, directement ou indirectement, au-delà de ses 35 %. Mais il est tout à fait envisageable d’identifier les domaines dans lesquels ces actionnaires et d’autres pourraient convenir entre eux de la manière dont ils orienteraient leurs positions.

Tout cela est-il eurocompatible ? On devrait le savoir assez rapidement, quand la Commission prendra position sur la demande de prolongation jusqu’en octobre 2008 de la validité de l’avis qu’elle avait précédemment rendu.

M. Serge Poignant s’est réjoui que GDF et Suez aient enfin la possibilité de constituer un grand groupe, surtout dans les conditions annoncées, avec une golden share, la prise en compte des missions de service public et un tarif social. Les collectivités territoriales liées à Suez par des concessions devront-elles en signer de nouvelles avec la future entité ?

M. Hervé Mariton a pris note des motifs d’ordre stratégique pour lesquels l’option envisagée quelques mois auparavant a été abandonnée au profit de celle retenue aujourd’hui mais il demande des précisions sur les motifs d’ordre financier.

M. Christian Bataille a rappelé que le financement des investissements de long terme en matière d’énergie, sous la IVe comme sous la Ve République, a essentiellement relevé de l’initiative de l’État, compte tenu de son importance pour l’indépendance nationale. La politique libérale de privatisation initiée par MM. Sarkozy et Breton change la donne.

L’initiative privée est-elle adaptée pour anticiper des investissements dont la durée de vie atteint cinquante ans – dix mandats présidentiels –, comme les centrales nucléaires ou les usines de raffinage ? Comment l’État entend-il encourager des initiatives de long terme ? Enfin, quels types de financements peuvent être envisagés ? Des financements d’origine publics, des financements provenant du système bancaire privé ou peut-être les deux ? À cet égard, le groupe socialiste juge utile que Mme Anne Lauvergeon soit rapidement auditionnée.

M. Patrick Ollier, Président de la commission des Affaires économiques, a indiqué que les contacts pris en ce sens avec Mme Lauvergeon sont avancés.

M. Yves Deniaud s’est inquiété de la position de la Commission de Bruxelles, encore très incertaine. La production devra-t-elle être disjointe de la distribution ? Le nouvel ensemble sera-t-il contraint de se séparer de certains de ses actifs, en Belgique voire en France ?

M. Yves Albarello s’est enquis de la forme sous laquelle la participation de l’État – à hauteur de 35 % du capital – sera rémunérée.

M. Jérôme Cahuzac a demandé si les 90 milliards d’euros de capitalisation et les 72 milliards d’euros de chiffre d’affaires annoncés correspondent à la somme de ce que représente chacune des entités actuelles ou à l’anticipation de ce que sera le futur groupe.

Si la Commission imposait à GDF de se séparer de ses structures de transport, l’entreprise perdrait deux tiers de sa valeur. La parité de vingt et une actions pour vingt-deux serait-elle alors maintenue, pour le plus grand bénéfice de GDF ? L’État ne serait-il pas contraint d’accepter une compensation au profit des actionnaires de Suez ?

De combien de représentants l’État disposera-t-il au sein du conseil d’administration ? Le Gouvernement est-il déterminé à faire usage de la minorité de blocage en ce qui concerne, d’une part, la politique tarifaire et, d’autre part, l’octroi de stock-options aux dirigeants ?

Les deux champions nationaux se livreront à une concurrence très dure. Quelles mesures seront prises pour éviter qu’un troisième acteur du secteur, en tout cas étranger et même peut-être extra-européen, ne tire les marrons du feu ?

M. Jean Lassalle s’est interrogé sur le devenir de l’aménagement du territoire, les déconvenues déjà rencontrées avec La Poste et France Télécom risquant de se reproduire. Le nouvel ensemble sera certes très concurrentiel dans le monde mais 60 ou 70 % du territoire national va se trouver fort démuni.

M. François Brottes a répété sa question sur la fragilisation des concessions de distribution de gaz, qui inquiète beaucoup les collectivités territoriales et ne sera peut-être pas jugé eurocompatible.

L’argument essentiel retenu par le Gouvernement pour rejeter la fusion entre EDF et GDF est le refus de voir une autre entreprise qu’EDF gérer les centrales nucléaires françaises. Mais le nouveau groupe privé GDF-Suez sera tout à fait habilité à construire ou racheter des centrales nucléaires !

Mme le ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

La consolidation GDF-Suez répond à bien des attentes, dans un contexte où il faisait sens pour ces entreprises d’évoluer vers des partenariats stratégiques structurants.

Aucun fondement ne justifierait une renégociation des concessions avec les collectivités territoriales. Mais la personne la plus qualifiée pour répondre à la question est M. Mestrallet, qui sera auditionné cet après-midi.

L’option retenue s’est imposée car elle coûtera moins cher et les finances publiques sont à 1 milliard près. Cette considération rejoint l’intérêt industriel de l’opération.

De tels investissements s’amortissent en effet sur le très long terme. Le fait que les deux sociétés soient solides financièrement et très diversifiées dans leur champ géographique d’intervention est de nature à encourager les investisseurs à rester durablement sur ces valeurs. Les investissements pourront donc être financés par le marché.

S’agissant de la question des « remèdes » communautaires, les entreprises n’ont pas jugé utile de reconstituer un dossier intégralement. Elles ont simplement formulé une demande d’extension de treize mois de l’avis favorable déjà accordé par la Commission européenne en réponse aux engagements pris. Le Gouvernement a bon espoir de voir cette démarche aboutir.

Dès lors que l’État est actionnaire minoritaire ou majoritaire d’une entreprise, il perçoit évidemment des dividendes.

La capitalisation boursière et le chiffre d’affaires ont été calculés sur la base de la situation actuelle des deux entreprises.

Les chiffres ne sont pas encore arrêtés mais le nombre d’administrateurs sera proportionnel à la participation de l’État dans le capital du groupe constitué. La délivrance de stock-options doit s’accompagner d’une véritable participation à tous les étages de l’entreprise ; le Gouvernement est animé par un souci de moralisation de ces pratiques.

Le Gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir, avec le soutien d’autres États membres, pour s’opposer à une séparation de l’activité de transport. Si d’aventure il échouait, la mise en œuvre de cette mesure prendrait un certain temps, que le groupe mettrait à profit pour se déployer et ne pas subir de perte de valeur.

Rien ne permet de penser que le nouvel opérateur se dérobera à l’obligation de présence sur tout le territoire. L’effet de la fusion devra se faire sentir à l’international mais aussi sur le territoire français.

Le caractère privé du regroupement ne changera rien à l’intervention de la CRE. Le statut privé de Total, par exemple, ne l’empêche pas de détenir un tiers du réseau de transport en France, notamment dans le Sud-Ouest de la France.

L’intervention d’un troisième opérateur sera compliquée eu égard, d’une part, à la barrière à l’entrée significative et, d’autre part, à la taille et à la puissance de feu des deux opérateurs. Il faudra être très téméraire pour escompter prendre des parts de marché.

M. Patrick Ollier, Président de la commission des Affaires économiques, a invité Mme le ministre à défendre avec enthousiasme la proposition de loi relative au retour au tarif régulé qu’il a déposée avec MM. Poignant, Lenoir et Bonnot et qu’il espère voir inscrite à l’ordre du jour.

Le Président Didier Migaud a remercié le ministre pour ses réponses.

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