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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Vendredi 26 octobre 2007

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie, sur les conditions d’élaboration et le contenu du pacte d’actionnaires d’EADS

Le Président Didier Migaud : Je suis heureux d’accueillir Dominique Strauss-Kahn dans une Commission qu’il connaît bien, puisqu’il en a été membre et qu’il l’a présidée.

M. le ministre, je vous remercie d’avoir pris le temps de venir vous exprimer devant nous alors que vous allez prendre dans quelques jours vos fonctions de directeur général du Fonds monétaire international. C’est en votre qualité d’ancien ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie que nous souhaitons vous entendre aujourd'hui. La commission des Finances procède en effet, depuis quelques semaines, à une série d’auditions sur certains aspects du dossier EADS – je dis bien certains aspects car nous laissons bien sûr à l’Autorité des marchés financiers et à la justice, qui a été saisie, le soin d’enquêter sur ce qui pourrait relever de la qualification de délit d’initié. Notre Commission s’intéresse plus particulièrement à la gouvernance publique, aux relations entre l’État français, le groupe Lagardère, Daimler-Chrysler, l’État allemand, et aux conditions d’élaboration du pacte d’actionnaires en 1999.

Nous souhaiterions donc que vous vous reportiez quelques années en arrière pour nous décrire le contexte et les conditions dans lesquels l’État a organisé sa participation dans EADS. Quels sont la genèse, le fonctionnement et les conséquences de ce pacte d’actionnaires qui lie l’État au groupe Lagardère et à la société allemande Daimler-Chrysler ? Quel est le rôle dévolu à chacune des parties prenantes ? Quelles sont les relations de chaque actionnaire avec EADS, ou encore les relations, au sein de la SOGEADE, entre l’État français et le groupe Lagardère ? Quels sont les circuits de l’information entre EADS et la SOGEADE ?

M. Dominique Strauss-Kahn : C’est avec plaisir que je réponds à l’invitation de la commission des Finances ce matin. À vrai dire, ayant quitté l’Assemblée il y a quelques jours, je n’espérais pas y revenir si rapidement !

Pour suivre l’ordre de vos questions, M. le Président, je commencerai par évoquer le contexte.

Dans la période que vous évoquez, le groupement d’intérêt économique Airbus est industriellement bloqué. Il est géré par quatre partenaires et sa structure ne permet pas d’avancer réellement. Le sentiment général est que l’on s’expose à un vrai risque de marginalisation de l’industrie aéronautique française et européenne. Tout laisse à penser que les Allemands et les Britanniques ont plutôt pour objectif de se retrouver entre eux, comme ils l’ont déjà fait pour l’Eurofighter. Cela leur semble plus confortable que de travailler avec l’État français. Rien n’est dit ouvertement, rien n’est formalisé, mais c’est plutôt une alliance germano-britannique qui se dessine pour faire avancer le GIE. J’en veux pour preuve qu’avant les élections de 1997, Alain Juppé avait tenté une opération avec Dassault – qui s’était soldée par un échec – pour sortir le GIE de cette situation. Le tropisme germano-britannique se révèle pleinement un peu plus tard dans les réunions qui se sont tenues à Genève entre la direction de DASA et celle de BAE.

Face à cela, le Gouvernement dont je fais partie se fixe trois objectifs : essayer de conforter durablement l’industrie aéronautique européenne ; veiller au respect du poids de la France dans cette industrie ; plus particulièrement, s’assurer que le site de Toulouse reste le site majeur de l’activité d’Airbus. Les choses ne peuvent rester en l’état : si l’on ne passe pas à la manœuvre, on risque d’assister à l’effilochement, voire à la disparition du système.

La décision est donc prise d’agir en deux temps. Tout d’abord, il faut rassembler les forces françaises : ce sera la fusion Aérospatiale-Matra, préférée pour diverses raisons à la fusion Aérospatiale-Thomson. La parité entre les deux sociétés est souhaitée, d’où la soulte destinée à compenser les apports d’actifs. Il résulte de cette opération qu’en additionnant la part de l’État et celle des salariés dans la société fusionnée, on obtient une majorité. Voilà pourquoi on a parlé, non sans exagération, de « nationalisation » de Matra. Le montant de la soulte a été beaucoup discuté à l’époque. Je n’ai aucun commentaire à faire sur ce point, sinon que la Commission des participations et des transferts a validé les chiffres : tout s’est passé de façon traditionnelle, transparente et ouverte.

Vient ensuite une deuxième étape. À la fin du premier semestre 1999, Jean-Luc Lagardère rencontre le Premier ministre Lionel Jospin. Il lui fait part du résultat de ses discussions avec Dick Evans, patron de BAE, et Jürgen Schremp, patron de DASA, d’où il a conclu que le moment est venu de bouger, en s’arrangeant plutôt avec la partie allemande. Nous sommes, rappelons-le, dans la période des discussions de Genève entre Allemands et Britanniques, qui achoppent sur de sombres histoires de rémunération des dirigeants et de stock-options. L’idée de Jean-Luc Lagardère est que l’État sorte de la structure tandis que Lagardère et DASA avancent. La réaction de Lionel Jospin à cette proposition peut être qualifiée de mesurée, la sortie de l’État ne lui apparaissant pas forcément comme la meilleure voie. On propose donc que l’État participe au processus. La réaction des Allemands est très vive : il est hors de question de s’associer à une opération à laquelle participerait l’État. Il faut dire que M. Schremp garde un très mauvais souvenir d’une affaire assez récente avec Fokker aux Pays-Bas.

Le Premier ministre me confie, pendant l’été 1999, une mission pour tenter de remédier à cette allergie et de mener à bien, malgré tout, l’opération. Je rencontre Jürgen Schremp à de nombreuses reprises en juillet et en août. Nous en arrivons à une position où les Allemands acceptent la présence de l’État et où est instaurée une parité franco-allemande. De mon point de vue, non seulement les Allemands acceptent l’État, mais nous plaçons les pouvoirs publics français en position dominante dans le système. Aux yeux de la partie française en effet, l’engagement de l’État est un engagement de long terme, plus stable et porteur d’une vision plus industrielle que ne peut l’être l’engagement des partenaires privés, qu’ils soient français ou allemands. Par ailleurs, il se pourrait bien qu’un jour ou l’autre, conformément à ce que projetait Alain Juppé, Dassault finisse par rejoindre l’ensemble, ce qui mettrait fin à la parité et donnerait l’avantage à la France.

La dynamique est donc française : sur le long terme, nous avons le sentiment que l’équilibre accepté finalement par la partie allemande est satisfaisant pour nous. D’ailleurs, le marché ne s’y trompe pas : dans les premiers jours de cotation, les volumes de cotation sont à Paris et non ailleurs.

Nous en venons maintenant à la teneur du pacte. Un pacte d’actionnaires est, par définition, un compromis qui lie des partenaires. Pour faire passer la pilule de la participation de l’État, les Français acceptent que celui-ci ne soit pas représenté en tant que tel. En revanche, nous imposons qu’il détienne des droits importants : dans le cadre de la SOGEADE, les décisions importantes – accords stratégiques, coopérations industrielles et financières, acquisitions et cessions d’un montant important, garanties, etc. – doivent être prises à une majorité de six sur huit, ce qui revient à instituer un veto français puisque le public et le privé détiennent chacun quatre voix.

Au total, nous sommes passés d’une situation de départ où les Allemands ne voulaient pas de l’État français dans le système à une situation dans laquelle le partenaire français est organisé de telle manière que l’État un droit de veto sur les grandes décisions. On le voit, beaucoup de chemin a été parcouru.

Les Allemands ont pour leur part obtenu ce qui est un avantage à leurs yeux  : ils bénéficient d’un put – une option de vente – sur leur partie. Ils craignent en effet que l’État français ne se mette à intervenir sur la moindre fermeture d’usine, comme cela avait été le cas avec Fokker, et que des préoccupations non industrielles interfèrent dans la gestion de l’entreprise. En vertu du put, ils peuvent, s’ils veulent sortir, forcer la partie française à racheter leurs titres. S’ils considèrent cela comme une facilité, je vois les choses autrement : à mon sens, si une situation de blocage conduit à l’exercice du put, il nous faudra certes débourser un peu d’argent mais toute l’opération deviendra française.

Je vous l’ai dit : l’objectif de la manœuvre était de construire une industrie aéronautique européenne, mais aussi d’y préserver la part des intérêts français. À cet égard, le put m’apparaît particulièrement bienvenu.

On peut considérer qu’il existe deux pactes : le pacte global entre Français et Allemand d’une part ; d’autre part la partie française de ce pacte, qui prévoit un droit de préemption pour l’État. Contrairement à la version primitive, aux termes de laquelle l’exercice de ce droit est limité par le plafond de 15 % de participation de l’État, le droit de préemption mis effectivement en place permet à l’État – mais aussi à Lagardère, puisque le dispositif fonctionne dans les deux sens – de préempter en dépassant le plafond, à charge pour lui de revenir à 15 % en se défaisant sur un autre partenaire de ce qu’il aura préempté. En d’autres termes, il est possible de préempter « pour compte de », ce qui laisse à l’opérateur plus de latitude.

Autre élément, la nomination des administrateurs d’EADS par la SOGEADE : elle se fait, dans la version initiale du texte, « sur proposition » du groupe Lagardère puis, dans la version finale, « en tenant compte » des propositions du groupe. L’État se voit donc ouvrir la possibilité de choisir. On peut douter qu’il aille jusqu’à le faire en conflit avec la partie privée, mais il ne décide pas sur une liste fermée.

En ajoutant à cela le droit de veto et la promesse de vente sur les missiles balistiques au cas où un tiers viendrait à prendre plus de 10 % du capital d’EADS, on dispose d’une vision complète de l’équilibre institué par ce pacte. Pour moi, je le répète, le résultat dépasse les espérances que l’on pouvait nourrir au début de la négociation en ce qui concerne la présence et les prérogatives de l’État d’une part, la présence et les prérogatives françaises d’autre part, dans le système mis en place.

Les Français doivent arrêter de se taper eux-mêmes sur les doigts. Nous avons toutes les raisons de tirer fierté de ce qui a été construit à ce moment-là. Cette fierté est d’abord industrielle : si l’accord avait échoué, non seulement l’A380 ne volerait pas aujourd'hui mais il ne resterait plus grand-chose de cette industrie. Toutes majorités confondues et avec nos partenaires allemands, nous avons fait œuvre collective et Airbus est devenu, à égalité avec Boeing, le premier avionneur dans le monde. Cette société a une part prépondérante dans le chiffre d’affaires et dans les bénéfices d’EADS, mais il faut aussi mentionner la réussite d’Atrium, d’Eurocopter ou de MTBA.

Au terme d’une négociation où les Allemands ont vu leur intérêt et nous le nôtre, nous obtenons que l’État ne soit pas à moins de 50 % dans SOGEADE, qu’il puisse imposer ses vues pour les décisions importantes et, plus globalement, que la dynamique d’ensemble soit française, l’État étant le seul à même d’avoir une vision de long terme. Du reste, ce que nous observons sur le marché depuis quelques mois – en faisant abstraction des éventuels délits d’initiés – est l’illustration de cet état de fait : un partenaire privé allemand dont l’activité principale est de fabriquer des automobiles et qui, rencontrant des difficultés dans ce secteur, se demande s’il ne va pas se retirer partiellement d’EADS ; un partenaire privé français qui, depuis le décès de Jean-Luc Lagardère, ne fait pas mystère que sa priorité est autre et que son intention est plutôt, quand l’occasion se présentera, de sortir ; enfin, le seul partenaire susceptible de soutenir le projet sur la durée et contre vents et marées : l’État.

Il serait désobligeant pour nos partenaires allemands d’affirmer que le pacte d’actionnaires a été construit de façon déséquilibrée. On dira plutôt qu’il est suffisamment équilibré pour que les intérêts français publics et privés soient préservés sur le long terme.

Cependant, un pacte ne fait pas tout. Derrière, il y a les hommes. Or, dans cette affaire, la personnalité de Jean-Luc Lagardère, grand industriel français passionné d’aéronautique, prêt à prendre des risques et à consacrer à ce projet son temps et son argent, est pour beaucoup. Sa disparition malheureuse a un peu modifié les équilibres. Je tiens en tout cas à rendre hommage à sa mémoire. Il avait au départ une vision dans laquelle l’État n’était pas associé au processus, mais, ayant plus que d’autres le sens de la France, il a accepté au bout du compte que ses intérêts personnels soient peut-être moins bien servis qu’il ne l’aurait souhaité pour préserver l’intérêt du pays et mener le projet à son terme.

Je sais que l’histoire a, depuis, donné lieu aux développements sur lesquels vous enquêtez, mais il m’était demandé de retracer les conditions d’élaboration du pacte : c’est ce que je me suis efforcé de faire dans cette introduction.

Le Président Didier Migaud : Nous n’enquêtons encore sur rien, M. le ministre. Nous essayons, par ces auditions publiques, de nous informer et d’éclairer l’opinion publique.

M. Dominique Strauss-Kahn : Bien sûr, M. le Président, vous vous renseignez.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Il ressort de l’exposé de M. Strauss-Kahn que l’État avait la volonté affirmée d’organiser sa présence dans la durée au sein d’EADS. Le contraste est frappant entre cette volonté affichée, qui s’est traduite par l’élaboration de moyens juridiques, et le sentiment que nous ont laissé les auditions de certains représentants des intérêts de l’État. Quelques années après la mise en place du pacte, on a l’impression d’une impuissance de l’État, d’une véritable paralysie et d’une ignorance généralisée de ce qui se passe à l’intérieur d’EADS.

Cela n’est peut-être pas sans lien avec le problème ponctuel que constitue le soupçon de délit d’initié, mais j’y vois aussi quelque chose de plus profond. Le montage élaboré il y a quelques années est ressenti par ceux qui ont à le faire vivre en défendant les intérêts de l’État comme une contrainte paralysante. Le directeur de l’Agence des participations de l’État nous a affirmé par exemple qu’EADS est un cas particulier et que l’Agence est dans l’incapacité de suivre cette entreprise. Le président de la SOGEADE soutient pour sa part que la question, pourtant essentielle, des retards de fabrication de l’A380 est seulement mentionnée en juillet 2006 et abordée véritablement en septembre de la même année. Le directeur du Trésor, quant à lui, se montre tout à fait transparent, au sens littéral du terme.

Se pose donc l’éternel problème du rôle de l’État actionnaire. Comme ministre de l’Économie et des finances, vous avez beaucoup réfléchi à ces questions. Pensez-vous que l’État peut jouer un rôle d’actionnaire minoritaire dans des entreprises du secteur concurrentiel ? Ne peut-on considérer que même les meilleurs montages, ceux qui résultent, comme celui que vous nous avez décrit, de la volonté la plus affirmée de faire jouer un rôle à l’État, se traduisent dans les faits par l’impuissance de l’État ?

Le Président Didier Migaud : Lorsque vous étiez ministre, avez-vous eu vous-même le sentiment, après la conclusion du pacte d’actionnaires, que vous étiez totalement impuissant en ce qui concerne la conduite des affaires d’EADS ?

M. Dominique Strauss-Kahn : À travers la question de la prise de participation minoritaire par l’État, c’est tout le problème de la politique industrielle qui se trouve posé. On peut à cet égard distinguer trois temps.

D’abord le temps socialiste traditionnel : on affirme que la participation de l’État est décisive car elle garantit tout à la fois le long terme, l’intérêt collectif, etc. Tout cela est bien connu.

Ensuite le temps libéral : on soutient que de tels dispositifs ne marchent jamais, que l’État est incapable de s’en occuper – la preuve en est que l’on ne s’en occupe pas –, on brandit les mauvais résultats, etc.

Puis nous entrons dans un troisième temps, qui peut être illustré de deux façons.

Lorsque Daimler-Chrysler décide de réduire sa participation, ce sont d’abord des Allemands qui se proposent d’acheter afin de ne pas provoquer de déséquilibre avec la partie française. Pour une bonne part, ce sont des entités publiques : l’équivalent de la Caisse des dépôts, les Länder. Mme Merkel, qui pourtant n’est pas au parti socialiste, indique qu’elle veut une participation publique allemande dans EADS. C’est là un élément de réponse à votre question, M. Carrez : un État aujourd'hui dirigé par une chancelière qui est loin d’être une gauchiste – certes dans le cadre d’une coalition – saisit l’occasion, non pas pour trouver des partenaires allemands privés, mais pour que des entités publiques achètent.

De façon plus générale, un des grands débats qui agitent la communauté financière internationale concerne les fonds souverains. Ces fonds sont constitués d’argent public généré soit par des excédents de ressources naturelles – Arabie Saoudite, Norvège… –, soit, de façon plus trouble, par des phénomènes de change – en Chine principalement. Par leur biais, l’autorité publique met des milliards de dollars sur le marché et prend des participations minoritaires dans des entreprises partout sur la planète. On pourra saluer dans ce phénomène le grand retour de l’entreprise publique, ce qui n’est d’ailleurs pas totalement faux. Toute considération idéologique mise à part, ce qui est sûr est que Qatar Investment, le fonds de pension gouvernemental norvégien ou les 200 milliards de dollars de réserves de change chinoises investissent effectivement de l’argent public en participation minoritaire dans des entreprises du secteur concurrentiel. À ma connaissance, il ne s’agit pas de généreux donateurs qui perdent leur argent !

Le problème consiste donc, non seulement à réaliser les bons montages, mais surtout à s’en occuper par la suite. Ce n’est pas parce qu’il y a de l’argent public dans une entreprise que, par un coup de baguette magique, les intérêts de la collectivité se trouvent garantis. Il faut des gestionnaires. Du reste, les fonds souverains que je viens d’évoquer sont gérés par des professionnels de la gestion de fonds privés, et ceux-ci gèrent le fonds public comme ils auraient géré un fonds privé, c'est-à-dire en recherchant l’efficacité et la rentabilité, en contrôlant les conseils d’administration, etc. Si les représentants de l’État sont là pour dormir, l’argent part de toute façon à vau-l’eau, que la participation soit majoritaire ou minoritaire !

En définitive, la question n’est pas de savoir s’il faut ou non des participations publiques. Si celles-ci existent, il y a des raisons à cela. La question centrale est de savoir s’il y a des gens pour les gérer. Or notre pays n’est sans doute pas assez armé pour que ses fonds publics soient gérés au mieux.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Je souscris pleinement à cette analyse et souhaite prolonger ma question : pensez-vous que l’État peut gérer en direct ? Ne faut-il pas une vraie intermédiation ? Certains prônent une autonomie bien plus large de l’Agence des participations de l’État, d’autres évoquent le rôle de la Caisse des dépôts. Dans le contexte actuel, et compte tenu des caractéristiques culturelles de notre pays, comment voyez-vous les choses ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Je pense moi aussi qu’une assez grande autonomie de gestion est nécessaire. Dans le cadre d’une structure existante ou non, il faut poser des contraintes d’objectifs – non seulement financiers, mais aussi industriels ou autres – et juger les responsables sur leurs résultats. Cependant, pour la réalisation des objectifs, il faut laisser à ceux-ci une autonomie assez large.

Les fonds souverains auxquels j’ai fait allusion sont loin d’être indépendants. En Russie, dans les émirats ou ailleurs, le pouvoir politique leur donne à tout le moins quelques indications. Mais, dans leur gestion, ils jouissent d’une assez grande indépendance. C’était d’ailleurs, dans une certaine mesure, l’idée qui a conduit à la création de la SOGEADE - laquelle, il faut le reconnaître, n’était nullement une anticipation de génie mais la réponse à une demande très forte des Allemands.

Les structures de gestion des participations de l’État ne doivent pas être cantonnées à l’enregistrement et à la comptabilité : elles doivent être des outils de gestion.

M. Jérôme Cahuzac : Après les nombreuses auditions qui ont précédé la vôtre, il était très intéressant d’avoir votre éclairage sur la genèse du pacte d’actionnaire et sur les garanties qu’au sein de ce dernier l’État a su préserver pour lui-même.

Pour autant, le rôle de l’État se pose puisque le directeur lui-même de l’agence des participations de l’État nous a indiqué qu’EADS était finalement la seule entreprise dans laquelle l’État, en dépit de ses participations, n’avait aucun moyen d’intervenir. Je crois comprendre que c’était là une volonté des Allemands à l’origine, mais si j’ai bien compris hier Arnaud Lagardère, il s’est agi, dans l’affaire qui nous intéresse, beaucoup moins d’une question de pacte d’actionnaire que d’une question de reporting ou d’information des actionnaires. Arnaud Lagardère se considère en effet dans ce domaine non comme un gestionnaire, mais comme un actionnaire ayant, comme l’État, confié la gestion d’EADS à des gens dont c’est le métier – et plutôt correctement rémunérés...

Dans ces conditions, peut-on incriminer le pacte d’actionnaire dans le fait que l’État n’était pas plus informé qu’Arnaud Lagardère ? Si vraiment il y a eu un défaut d’information inhérent au pacte d’actionnaire, cela signifie donc qu’il était consubstantiel au compromis passé avec les Allemands, ce qui peut d’ailleurs expliquer que l’on ait choisi de sauver l’industrie aéronautique à l’époque d’Airbus, quitte à ce que l’État et Lagardère ne jouent qu’un rôle d’actionnaire. Cela étant, on peut tout de même se poser des questions sur ce défaut d’information. N’est-il pas en effet troublant de penser que 1 200 cadres d’une entreprise n’informent, ainsi que cela nous a été affirmé, aucun des actionnaires ?

S’agissant des nominations, pouvez-vous nous confirmer, ainsi que cela nous a été indiqué par deux fois devant la représentation nationale lors des questions au Gouvernement, que le pacte d’actionnaire empêchait toute influence de l’État dans les nominations du groupe Lagardère au sein du conseil d’administration d’EADS ou à la présidence de la SOGEADE ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Les membres du conseil d’administration disent n’avoir pas été informés comme il aurait fallu des difficultés rencontrées. L’ont-ils été ou non ? Je n’en sais rien, faute de disposer d’autres informations que celles que je recueille dans la presse. La seule chose que je sais, en revanche, c'est que la qualité privée ou publique des représentants de la SOGEADE à ce conseil d’administration n'a strictement aucune importance. Toute personne mandatée par son conseil d’administration pour le représenter dans un autre, en rapporte les informations. Quant à savoir de quoi le conseil d’administration d’EADS était au courant, je ne le sais absolument pas.

Pour ce qui est des nominations, je ne peux que répéter ce que j’ai dit. Le pacte d’actionnaire prévoit, pour certaines décisions importantes, une majorité de six membres sur huit, ce que n’atteint ni la partie privée ni la partie publique à elle seule. Il faut donc l’accord des deux partenaires. Toutefois, lorsque l’un des deux – en l’occurrence, le partenaire privé – se retire en partie et que l’autre, le partenaire public, se retrouve posséder 66 % du capital, je ne vois pas très bien comment l’État pourrait être incapable d’avoir une influence sur les nominations. Ayant, pour ma part, quitté le ministère de l’Économie et des finances le 2 novembre 1999, je peux ne pas avoir connaissance de modifications du pacte d’actionnaire intervenues après cette date. En tout cas, tel qu’il a été établi et tel que je le vois fonctionner aujourd’hui, je ne vois pas pourquoi l’État serait dans l’incapacité d’intervenir.

M. Jérôme Cahuzac : Nous avons eu confirmation hier que M. Lagardère et le représentant de Daimler-Chrysler avaient rencontré en novembre 2005 le ministre de l’Économie et des finances de l’époque pour lui faire part non seulement de leur intention, mais de leur décision de vendre leurs participations. Dans l’hypothèse où c'est vous qui auriez été en place, auriez-vous estimé nécessaire, par souci de transparence, d’informer le marché ou auriez-vous, au regard de l’importance stratégique de l’entreprise, plutôt choisi de conserver une certaine confidentialité ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Je peux concevoir que le ministre de l’Économie et des finances, informé par un actionnaire de ses intentions, puisse considérer que cette information est délivrée sous le sceau du secret. Là où je m’interroge, c'est si le ministre en question – il faudrait vérifier les dates – avait une information ou une crainte sur l’évolution du cours à terme. Dans ce cas, une information du marché, non pas sur le projet de vente, mais sur l’évolution du cours, était peut-être nécessaire. Compte tenu des éléments à ma disposition, je ne peux cependant rien affirmer. En tout cas, sur le principe, lorsqu’une évolution de cours est prévisible, surtout lorsque s’y associe une opération de vente, la question se pose pour les autorités de l’information du marché.

M. Jérôme Cahuzac : À l’époque, le ministre, M. Breton, sait qu’il peut y avoir une évolution de cours puisqu’il est alors détenteur d’une note de l’agence des participations de l’État qui l’alerte en ce sens, au point même de lui conseiller de vendre.

M. Dominique Strauss-Kahn : Peut-être, mais heureusement que les ministres ne croient pas toujours les notes de l’administration !

Le Président Didier Migaud : C'est certainement ce qui a dû se passer...

M. Jérôme Chartier : Lorsque le pacte d’actionnaire est projeté avec Jean-Luc Lagardère et Jürgen Schremp, il est établi comme principe qu’aucun représentant de l’État français ne doit être membre du conseil d’administration d’EADS. Est-il cependant fait en sorte que l’État ne perde pas une miette de l’information qui peut être donnée au sein de ce conseil ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Aucun représentant de l’État ne peut être membre du conseil en tant que tel. Cette interdiction ne vaut pas en tant que représentant de la SOGEADE.

M. Jérôme Chartier : Cette dernière pouvait donc désigner un administrateur qui, par ailleurs, exerçait des responsabilités au sein de la structure d’État, comme le directeur de l’agence des participations de l’État ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Je n’en suis pas certain. Le texte exclut, je crois, les fonctionnaires en activité.

M. Jérôme Chartier : Au titre des administrateurs, on pouvait, en revanche, trouver des personnalités qualifiées qui n’étaient pas forcément des ennemis mortels de l’État français ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Ou des anciens agents de l’État ou des agents de l’État en disponibilité exerçant, par exemple, la direction d’une entreprise publique.

M. Jérôme Chartier : Le directeur de l’agence des participations de l’État a-t-il, selon vous, raison ou tort de dire que l’État ne peut remplir son rôle d’actionnaire dans EADS ?

M. Dominique Strauss-Kahn : C’est formellement juste, puisqu’il n’y a pas de représentant de l’État en tant que tel au conseil d’administration. Il me semble néanmoins que la structure même de la SOGEADE permettait à l’État – légitimement puisqu’il est actionnaire – d’être informé de ce qu'il devait savoir. De ce point de vue, l’information que rapportent du conseil d’administration les représentants de la SOGEADE, quelle que soit leur origine, vaut pour tous les partenaires de la SOGEADE. C'est à raison que M. Arnaud Lagardère a pu dire hier, selon ce que j’ai lu dans la presse ce matin, qu’il en savait autant que l’État – pas plus pas moins. Il est en effet informé par les administrateurs de la SOGEADE auprès d’EADS de la même manière que l’est l’État.

M. Jérôme Chartier : Selon le compte rendu, M. Lagardère a dit : « Tout ce que je savais, l’État le savait. »

Le Président Didier Migaud : Il a également eu cette formule : « Tout ce que je sais, l’État le sait. »

M. Jérôme Chartier : Il parlait, bien entendu, d’EADS et d’elle seule.

Le Président Didier Migaud : C'est le seul sujet qui nous intéresse aujourd’hui.

M. Jérôme Chartier : Le rapport entre l’État et la SOGEADE ne change pas tant que Lagardère conserve une participation d’au moins 6 %. À l’époque où vous avez conçu le pacte d’actionnaire, cette disposition existait-elle, ce qui signifierait que Lagardère prévoyait déjà qu’une réduction de sa participation lui permettrait tout de même de conserver sa position d’actionnaire majoritaire ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Je n’ai jamais eu le sentiment – c'est un peu pour cela que je vous parlais tout à l’heure des hommes – que Jean-Luc Lagardère, même s’il pouvait prendre des précautions comme tout bon gestionnaire d’une grande entreprise privée, avait l’intention de lever le pied. Bien au contraire, il voulait ce projet.

M. Jérôme Chartier : Puisque vous fûtes ministre de l’Économie et des finances - ne voyez pas là une question malicieuse – auriez-vous, si vous vous étiez trouvé, fin novembre 2005, face à Arnaud Lagardère et au président en exercice de Daimler-Chrysler venus vous parler de leur intention de céder conjointement une partie de leur participation au sein d’EADS, formulé des demandes ou des conseils particuliers ?

M. Dominique Strauss-Kahn : La tradition anglo-saxonne – à laquelle il va d’ailleurs falloir que je me conforme de plus en plus – est de ne pas répondre aux questions hypothétiques ! Pour répondre cependant à votre question, tout dépend de ce que j’aurais su à ce moment-là sur l’état des finances publiques françaises ou sur notre capacité à investir. Il me semble – avec toutes les précautions d’usage – qu’une opportunité pouvait en l’occurrence se présenter pour l’État de mettre en œuvre ce que certains esprits tout aussi malicieux que le vôtre pouvaient alors concevoir, à savoir saisir l’occasion pour augmenter la participation publique. Mais, je le répète, tout aurait dépendu du contexte. J’aurais pu tout aussi bien préférer convaincre les deux partenaires privés de ne pas poursuivre dans la voie dans laquelle ils voulaient s’engager, car l’équilibre auquel nous étions parvenus était heureux. Cela étant, ils seraient restés libres de faire ce qu’ils entendaient.

Arnaud Lagardère n’a jamais caché son idée de vouloir réorienter son groupe. Cette vente, ce n'est donc pas une tocade de sa part. De même, on voit bien que les problèmes posés par Chrysler justifient la démarche de Daimler-Chrysler. Il n’empêche qu’il y avait peut-être – ou peut-être pas, car je manque d’informations sur ce point – une occasion d’accroître la part publique, ce qui renvoie cependant à la question de M. Carrez : à quoi cela sert-il si on ne sait pas quoi en faire ?

M. Louis Giscard d’Estaing : En 2003, lors des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur la gestion des entreprises publiques, nous nous étions posé des questions analogues à celles d’aujourd’hui sur le rôle de l’État actionnaire. Vous déclariez vous-même d’ailleurs, lors de votre audition du 28 mai 2003 : « l’État doit tout d’abord jouer un véritable rôle d’actionnaire. » Employant le mot de « tutelle », vous précisiez : « Je crois justement qu’il faut que nous sortions de cette logique pour que l’État, lorsqu’il est actionnaire d’une entreprise, qu’il soit majoritaire ou non, ait un comportement d’actionnaire, avec les droits et les devoirs qui s’y attachent » – c'est ce que vous venez de rappeler. « Les nombreuses participations de l’État sont gérées tant bien que mal. On peut critiquer cette situation, même si globalement, à long terme, ce n'est pas si mal. De toute façon la complexité est là, et ce n'est pas parce que l’on regroupera ces participations que l’on aggravera la situation. [...] Quand un ministre nomme un dirigeant, je ne suis pas absolument persuadé qu’ensuite ce dernier lui obéisse beaucoup. J’ai une proposition à faire en ce sens : il pourrait y avoir une procédure de type earings, d’audition du candidat présenté par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale afin de choisir la personne qui dirigera l’agence. Évidemment, dans ces conditions, cette personne aurait ensuite à rendre compte à la représentation nationale. »

Vous concluiez votre propos en vous interrogeant : « Qu’est-ce qu’un ministre ? C'est le chef de l’administration. Là, il s’agit de quelque chose qui est un peu différent d’une administration, c'est le patrimoine des contribuables qui est en cause. Par conséquent, à un moment ou à une autre de la procédure, le fait que la représentation nationale ait à donner son sentiment sur la qualité des personnes amenées à diriger l’agence, non seulement ne me choque pas, mais me paraît même recommandable. » Nous ne pouvons que partager ces propos.

Abordant ensuite le rôle particulier du ministre des finances, en particulier dans l’affaire des acquisitions stratégiques de France Télécom, vous rappeliez ce qu’avait indiqué Michel Bon, le dirigeant de l’entreprise en question : « Quand le ministre est d’accord, le conseil n’a aucune légitimité pour aller contre, car la messe est dite. » S’agissant toujours du rôle dévolu au ministre des finances dans des décisions stratégiques prises par des entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire aux côtés d’entreprises privées ou d’actionnaires individuels, l’État a-t-il selon vous réellement joué son rôle de contrôle dans le cas d’EADS ? Une attitude de sleeping partner n’est-elle pas contraire au rôle qu’il doit jouer selon vous ?

J’ai conclu de vos propos que, dans le cas d’une participation stratégique, l’État se devait de ne pas vendre sa participation. Cela signifie-t-il également que, s’il avait des informations sur une évolution défavorable du cours, il se devait, dans le cadre de son droit de préemption, de ne pas acheter ?

M. Dominique Strauss-Kahn : Il est toujours dangereux d’être confronté à ce que l’on a dit ! En l’occurrence, je ne renie aucun mot.

Le problème est que je ne dispose que de peu d’informations concernant les questions de fait que vous posez. Selon moi, la SOGEADE, membre du conseil d’EADS, était en situation d’avoir des informations. Dans quelle mesure cependant le conseil a exercé son contrôle industriel, financier, stratégique sur EADS ? Je n’en sais absolument rien.

Plus généralement, la question est de savoir si les dirigeants opérationnels d’EADS ont ou n’ont pas diffusé à leur conseil une information qu’ils détenaient. Tout ce petit monde semblait alors préoccupé par d’autres questions que celles d’ordre stratégique et industriel de l’entreprise. C'est d’ailleurs ce qui expliquerait leur attitude. Pour autant, le problème ne tient pas au pacte d’actionnaire. Quelles qu’aient été les personnes présentes autour de la table du conseil d’administration, le même problème se serait posé.

Pour ce qui est des participations, deux cas sont à considérer : celles que l’État prend pour des raisons d’ordre stratégique, en gérant un projet industriel, comme ce fut le cas pour EADS, et celles qu’il gère, selon l’expression consacrée, comme un père de famille, à l’image du fonds de réserve pour les retraites.

Pour conserver l’exemple d’EADS, ce qui peut pousser l’État à augmenter sa participation, c'est la vision stratégique qu’il a de l’entreprise à long terme, et non le cours du jour, même s’il est préférable qu’il n’achète pas au plus haut et vende au plus bas. Veiller aux intérêts du contribuable est une préoccupation majeure. Néanmoins, elle passe après la préoccupation stratégique, si l’opération peut être utile au pays, à l’Europe, à l’avenir. C'est d’ailleurs pour cela que la responsabilité des décideurs, notamment les responsables politiques, est alors considérable. Si l’investisseur prend son risque pour lui, l’investisseur public prend, lui, le risque pour la collectivité. Ce n'est pas le cours qui doit pousser l’État à participer plus ou à se retirer. Ce qui doit le guider, c'est la vision qu’il a de l’entreprise pour le pays.

M. Jérôme Chartier : Sachant que si l’on détient plus de 6 % d’EADS, rien ne change en termes de pouvoir au sein du conseil d’administration, le groupe Lagardère ou l’État français peuvent donc parfaitement envisager, dans le cas où ils auraient besoin de liquidités, de céder une partie de leur participation.

M. Dominique Strauss-Kahn : Sur cette question, un débat théologique s’est instauré dans notre pays voilà vingt-six ans afin de savoir s’il fallait nationaliser à 100 % ou à 51 %, certains estimant cependant que si la bonne nationalisation se situe à 51 %, il convient néanmoins de nationaliser à 100 % afin de disposer d’une marge de manœuvre le moment venu en vendant 49 % ! Le problème, lorsque l’on est à 51 %, c'est que l’on est au taquet. Si l’on considère qu’il est légitime que, dans un pays comme le nôtre, l’État – notamment parce que c'est le seul à être stable et à avoir une vision à long terme dans ce qui est, non pas une fabrique de petits pois, mais une industrie de l’avenir – ait son mot à dire dans une entreprise de cette importance, il faut en tout cas qu'il soit représenté à égalité avec les autres partenaires parce que, au-delà des arguments juridiques ayant trait au niveau de la participation, la dynamique de groupe fait que l’on a plus d’influence quand on est plus gros que quand on est plus petit.

M. Louis Giscard d’Estaing : Lors de la constitution du pacte d’actionnaires, les Allemands avaient fait part de leur grande réticence à voir l’État français devenir un actionnaire prépondérant.

M. Dominique Strauss-Kahn : Et même un actionnaire tout court !

M. Louis Giscard d’Estaing : Cela signifie-t-il que pour les représentants des actionnaires allemands, il n’est pas concevable que siège au conseil d’administration d’EADS un représentant de l’État français en tant que tel ?

M. Dominique Strauss-Kahn : C’était le cas au départ, mais toute chose est appelée à bouger, surtout dans une structure à 50/50 – mais c’était cela ou rien. Pour autant, cet équilibre n'est pas inscrit dans le marbre jusqu’à la fin des temps. Même s’il était compréhensible que, pendant un temps, une certaine stabilité devait régner, voilà maintenant plusieurs années qu'il est possible aux deux partenaires de renégocier dans un sens ou dans un autre – l’éventail est très large –, d’autant que l’attitude de l’État français ne peut être considérée par les Allemands comme ayant été par trop intrusive – c'est même, au contraire, ce que certains lui reprochent. Sans vouloir livrer de secret, certains avaient même à l’idée qu’un jour ou l’autre les Allemands voudraient s’en aller. La situation pouvait donc évoluer dans les deux sens : soit les Allemands entraient de façon plus massive dans cette structure un peu instable par l’intermédiaire de DASA, et ils étaient alors les bienvenus ; soit c'est le contraire qui se passait, et il fallait alors mettre la France en situation de ne pas être perdante. Les deux cas de figure pouvaient convenir.

Le Président Didier Migaud : Il me reste à vous remercier d’avoir accepté d’être entendu par nous et de nous avoir apporté cet ensemble de précisions.

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