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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mardi 4 décembre 2007

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 39

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Breton, ancien ministre des Finances, sur le rôle de l’État dans l’évolution de l’actionnariat d’EADS en 2005–2006

Le Président Didier Migaud : Je souhaite la bienvenue à M. Thierry Breton, auditionné aujourd’hui au sujet de l’évolution de l’actionnariat d’EADS de 2005 à 2006 en raison de ses anciennes fonctions de ministre des Finances.

Avec cette réunion, la Commission achève le cycle des auditions consacrées à EADS, étant entendu qu’elle a évidemment limité l’objet de son étude au rôle joué par l’État dans l’évolution de l’actionnariat de ce groupe en 2005 et 2006 et à ses relations avec la Caisse des dépôts et consignations.

Entre le 9 et le 26 octobre, la Commission a successivement entendu les anciens et actuels responsables de la Caisse des dépôts, le directeur général du Trésor et de la politique économique au ministère des Finances, M. Xavier Musca, M. Philippe Pontet, qui a présidé le conseil d’administration de la SOGEADE et qui était accompagné de M. Bruno Bézard, directeur de l’Agence des participations de l’État – l’APE –, et de M. Jean-Yves Leclerc, sous-directeur de l’APE, ainsi que MM. Anthony Orsatelli et Bernard Migus, président du directoire et directeur général d’IXIS CB, banque de financement et d’investissement, M. Arnaud Lagardère, président du Groupe Lagardère et M. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Économie et des finances.

La commission des Finances a pu ainsi obtenir des éclaircissements sur le rôle de chaque intervenant dans les opérations de cession et d’acquisition d’une partie du capital d’EADS. Nous avons souhaité vous entendre à la fin de ces auditions, monsieur le ministre, pour vous poser des questions qui demeurent en suspens et pour avoir quelques précisions, notamment quant à la validité du circuit d’information tel qu’il existait entre EADS et les services de l’État, mais également sur les relations entre ces services et la Caisse des dépôts.

Je précise que M. Breton est accompagné de M. Luc Rémont, ancien directeur adjoint de son cabinet, de MM. Bruno Bézard et Jean-Yves Leclerc, respectivement directeur général et directeur adjoint de l’APE, ainsi que de M. Denis Samuel–Lajeunesse, ancien directeur général de l’APE.

S’agissant de la chronologie des événements, vous avez indiqué, monsieur le ministre, notamment lors de votre audition par la commission des Finances du Sénat, qu’à l’issue de votre entrevue avec Manfred Bischoff et Arnaud Lagardère en novembre 2005, vous n’aviez pas eu le sentiment que la décision des actionnaires industriels ait été prise. Cette incertitude avait-elle trait à l’intention même de vendre ou aux modalités de la cession – date, choix de l’intermédiaire et des conditions de ventes ?

Vous avez également précisé au Sénat avoir appris par M. Luc Rémont, en avril 2006, la décision de la Caisse des dépôts d’acquérir 2,25 % du capital d’EADS, M. Rémont tenant lui-même son information de la presse. Voilà qui suscite quelques interrogations ! À l’occasion de son audition, M. Lagardère a déclaré que l’État savait ce que lui-même savait. En janvier 2006, il a ainsi remis un document au Premier ministre dans lequel la Caisse était mentionnée comme étant l’un des acquéreurs des parts du Groupe Lagardère. Pouvez-vous donc préciser vos propos par rapport à ceux que vous avez tenus au Sénat ?

S’agissant du suivi d’EADS à travers la SOGEADE, vous avez indiqué que les particularités du pacte d’actionnaires élaboré en 1999 et 2000 expliquent que l’État ne soit pas directement actionnaire d’EADS et qu’il ne peut avoir des représentants au conseil d’administration de cette entreprise. Toutefois, l’État est actionnaire de la SOGEADE à parité avec le Groupe Lagardère et la SOGEADE a, quant à elle, des représentants à ce conseil d’administration. Vous avez affirmé que l’État ne disposait « que » d’un droit de veto concernant les représentants de la SOGEADE au conseil d’administration d’EADS, mais les choses pourraient sans doute être formulées différemment en disant que l’État « dispose » d’un droit de veto, ce qui signifie que les représentants proposés par le groupe Lagardère ne peuvent devenir des représentants de la SOGEADE qu’avec l’accord de l’État. Les personnes retenues ne sont donc pas imposées à l’État, mais nécessairement « adoubées » par lui et elles ne représentent pas les seuls intérêts du groupe Lagardère, mais ceux de tous les membres de la SOGEADE. Est-ce bien ainsi que vous analysez la situation ?

Comment étiez-vous informé de la situation au niveau de l’entreprise ? À quel moment et dans quelles circonstances avez-vous su que le groupe Lagardère entendait céder une partie de sa participation à des investisseurs institutionnels ? La Caisse des dépôts et consignations a-t-elle été citée à ce moment-là ? Vous avez dit que la prise de participation supplémentaire de la Caisse mettait l’État dans une situation embarrassante à l’égard de son partenaire allemand dans la mesure où celui-ci pouvait considérer qu’il s’agissait d’une intervention en sous main de l’État. Dans ces conditions, en avez-vous fait part à la Caisse des dépôts ? Enfin, connaissiez-vous la situation allemande, où les länder ont également pris une participation qui peut être aussi considérée, en un sens, comme une intervention d’investisseurs institutionnels ?

M. Thierry Breton : Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir convié, avec mes anciens collaborateurs, à revenir sur un sujet sur lequel beaucoup a été dit depuis deux mois. La quasi-totalité des réponses aux questions que vous avez posées a déjà été fournie, mais je m’efforcerai d’y revenir le plus précisément possible.

Il y a deux mois, je suis rapidement revenu des États-unis pour être auditionné par la commission des Finances du Sénat car je sentais que l’État était injustement attaqué. Je comprenais par ailleurs très bien l’émotion suscitée par ce dossier et il m’avait semblé indispensable de venir expliquer la position et le rôle de l’État à ce moment-là. Depuis, votre commission et celle du Sénat ont conduit de nombreuses auditions qui ont contribué, je l’espère, à mieux expliquer un processus dans lequel le rôle de chacun est strictement encadré. Cet encadrement prévaut d’ailleurs pour toutes les relations entre les entreprises ou entre les entreprises et l’État et, a fortiori, s’agissant d’entreprises cotées.

Premier volet de ce dossier : le rôle de l’État dans le pacte d’actionnaires d’EADS.

Ce cadre est donc fixé depuis 1999 et 2000 à travers un pacte d’actionnaires signé par MM. Strauss-Kahn et Fabius à l’issue d’une longue négociation qui a conduit à la création d’EADS. Je crois nécessaire d’en rappeler les principales dispositions.

Je rappelle tout d’abord que l’État n’a pas directement la faculté de nommer un représentant au sein du conseil d’administration d’EADS ; il est en outre seulement représenté au sein de la holding SOGEADE qui porte les actions de l’État et celles du groupe Lagardère. C’est le conseil d’administration de cette holding, composé paritairement d’administrateurs représentant l’État et le Groupe Lagardère, qui pouvait nommer quatre administrateurs d’EADS à parité avec la partie allemande. Le conseil d’administration de SOGEADE Gérance statuant en tenant compte des propositions formulées par le Groupe Lagardère, c’est aux partenaires privés qu’appartient le pouvoir de proposition. Il est de surcroît explicitement prévu que les administrateurs d’EADS nommés sur proposition de la SOGEADE ne peuvent recevoir aucune instruction de celle-ci, sauf sur un nombre très limité de sujets spécifiques.

Pour éviter toute ambiguïté et dans la mesure où j’ai cru comprendre que M. Strauss-Kahn a laissé entendre ici même que l’État aurait pu, par ce moyen, participer aux décisions de gestion d’EADS, je rappelle les seuls cas prévus par le pacte d’actionnaires dans lesquels une majorité des trois-quarts est requise au sein du conseil d’administration de la SOGEADE, donnant ainsi un pouvoir à l’État : acquisitions et cessions de participations ou d’actifs de plus de 500 millions d’euros ; accords stratégiques d’alliances et de coopérations industrielles ou financières ; augmentations de capital d’EADS sans droit préférentiel de souscription lorsqu’elles dépassent 500 millions d’euros ; opérations mettant potentiellement en jeu les engagements d’EADS envers l’État sur sa branche missile-balistique. À l’inverse, une décision de lancement d’un nouveau programme d’avions susceptible de représenter un ordre de grandeur de 10 milliards d’euros d’investissement, par exemple, n’entre pas dans la liste des cas dans lesquels SOGEADE doit être consultée et disposerait d’un pouvoir d’influence quelconque. Sur ces sujets, les administrateurs représentant SOGEADE au conseil d’administration d’EADS sont totalement libres de leur vote.

Deuxième volet : les droits de cession des différents actionnaires.

Chacun des actionnaires membres du pacte est libre de vendre ses actions à condition d’en informer les autres actionnaires qui peuvent seulement préempter la vente ou vendre simultanément le même nombre de titres. L’État s’était en outre engagé envers Daimler à ne jamais dépasser 15 % du capital d’EADS, ce qui est exactement la part de capital détenue par l’État depuis l’origine. L’État ne pouvait donc pas préempter une vente d’actions des autres actionnaires puisqu’il aurait ainsi dépassé le plafond convenu de sa participation.

Telles sont les principales dispositions du pacte qui ont été prévues à la demande des actionnaires industriels, notamment Daimler-Chrysler, à l’époque de la constitution d’EADS. Elles visaient à établir une asymétrie nette entre, d’une part, les actionnaires industriels auxquels le pacte conférait le rôle et les moyens de conduire l’entreprise et, d’autre part, l’État qui disposait seulement de la faculté encadrée de préserver ses intérêts stratégiques en cas d’évolution majeure du périmètre et de préserver sa seule participation en cas d’augmentation du capital.

Par ailleurs, aucune date de révision ou de fin du pacte n’a été prévue. Il n’était donc envisageable de le modifier qu’avec l’accord unanime des trois parties. Je ne critique pas ceux qui ont accepté ces conditions, en 2000, au nom de l’État, car la négociation était sans doute complexe et l’enjeu industriel de création du Groupe EADS était majeur. Je constate simplement que la règle ainsi fixée privait l’État de jouer normalement son rôle d’actionnaire et que rien ne permettait de revenir sur ce point sans l’accord des deux autres parties. L’État n’avait donc pas d’autres options que de respecter les règles qu’il avait acceptées.

Lorsque j’étais au gouvernement, la position de l’État a toujours été de considérer EADS comme une participation stratégique : il n’a donc été procédé à la cession d’aucun titre. Les actionnaires industriels, conformément au pacte d’actionnaires, étaient tenus d’informer l’État de leurs intentions de céder les titres pour lui donner la possibilité de procéder également à des cessions. C’est en application de cette obligation que des contacts ont eu lieu entre novembre 2005 et avril 2006 entre les groupes Lagardère et Daimler puis l’État. Ceux-ci ont connu deux phases : de novembre à février, où les groupes industriels ont évoqué le principe d’une cession partielle de leurs titres – et ils souhaitaient qu’elle soit accompagnée d’une cession par l’État – sans en expliquer les modalités, puis de mars à début avril, où ils ont décidé la mise en œuvre effective d’une cession partielle de leurs titres.

J’ai quant à moi été informé pour la première fois de l’intention de principe des actionnaires industriels de réduire leur participation au cours d’une réunion que j’ai tenue à leur demande avec MM. Lagardère et Bischoff le 28 novembre 2005 en présence de mon directeur-adjoint de cabinet, M. Rémont. Les actionnaires industriels souhaitaient éventuellement réduire partiellement leurs participations pour faire face à des besoins d’investissement dans les autres métiers de leurs groupes respectifs. Ils m’ont suggéré que l’État cède conjointement une partie de ses propres titres s’ils décidaient in fine de mettre en œuvre leur intention. Je leur ai indiqué que la participation de l’État était stratégique et que ce dernier ne céderait donc aucune action. Je leur ai également fait part de mes réserves sur leur projet, considérant qu’un désengagement, même partiel, des actionnaires industriels, pourrait être interprété comme un signal négatif pour l’entreprise. Cela étant, l’État n’avait ni la possibilité de s’opposer à cette cession, ni la faculté de préempter les titres comme l’a rappelé le représentant de Daimler lors de cette réunion.

Des contacts ont eu lieu par la suite en janvier et février 2006 entre le groupe Lagardère et le cabinet du Premier ministre, à qui mes services avaient rappelé les termes du pacte d’actionnaires. Le cabinet a réitéré la position que j’avais exprimée concernant la participation stratégique de l’État. Au terme de ces échanges de principe, dans un mémo daté du 21 février, remis au cabinet du Premier ministre à la fin de ce mois-là – lequel mémo a été ensuite transmis pour information à mon cabinet puis, par ce dernier, à l’APE – le groupe Lagardère suggérait que l’État puisse lever le nantissement de la moitié de ses actions pour les rendre libres à la vente en les sortant du cadre du pacte en vue de faciliter une éventuelle cession ultérieure concomitamment à la baisse de la participation du groupe Lagardère dans SOGEADE. La position de l’État est restée identique, la participation de l’État n’ayant pas vocation à être réduite ni à sortir du périmètre de la SOGEADE.

Une deuxième phase a alors commencé qui a conduit les actionnaires industriels à mettre en œuvre la cession de leurs actions. Le groupe Lagardère a, dans ce but, contacté mon directeur-adjoint de cabinet le 8 mars 2006 pour lui faire part de la décision des actionnaires industriels de mettre en œuvre une réduction partielle de leur participation et demander à ce que cette opération soit examinée dans le cadre du pacte d’actionnaires. Les modalités de la cession envisagée par les actionnaires industriels ont donc été présentées à l’APE au cours d’une réunion qui a eu lieu le 20 mars 2006. Les actionnaires privés ont ensuite notifié formellement leur intention de céder, comme le prévoit le pacte d’actionnaires. Le conseil d’administration de SOGEADE Gérance s’est tenu le 3 avril pour constater l’absence de préemption ou de cession conjointe de l’État. En application du pacte, ce conseil d’administration, tout comme l’État, n’avait aucune autorisation à donner ni aucune possibilité de bloquer une cession des actionnaires industriels.

Le pacte d’actionnaire traite donc différemment l’État des autres actionnaires en le tenant à distance de l’entreprise, conformément à la volonté originelle des actionnaires industriels. Airbus a annoncé à ses clients des retards de livraison de l’A 380 en juin 2005 au salon du Bourget. Un programme de rattrapage a alors été élaboré et annoncé. Ce n’est que le 18 mai 2006 que la direction d’EADS a évoqué pour la première fois avec l’APE le fait que l’industrialisation de l’A 380, je cite, « se passait moyennement », avant que nous ne soyons informés, la veille de l’annonce du 13 juin 2006, de nouveaux retards dans la construction de l’A 380.

Il est exact que l’APE, fin janvier 2006, a procédé à une analyse de la valorisation d’EADS. L’APE a pris l’initiative de cette note, compte tenu de rumeurs de marché évoquant la possibilité d’une cession partielle par les actionnaires industriels. L’APE y fait état d’un ensemble de considérations qui ont trait à des facteurs exogènes – impact de la baisse du dollar sur les résultats d’EADS, agressivité de la concurrence de Boeing, conjoncture générale du cycle aéronautique – pour estimer que le titre EADS est bien valorisé. Compte tenu de cela, elle recommande d’étudier une éventuelle cession. Cette note ne mentionne à aucun moment d’éventuels nouveaux retards de l’A 380 ni la situation industrielle d’Airbus. La réponse que mon directeur-adjoint a adressée à l’APE en mon nom était sans ambiguïté : l’État n’avait pas de raison de se préparer à vendre. Ma position était donc claire.

Le cadre qui s’imposait à l’État était tel que l’État n’avait qu’une seule décision à prendre, sans aucune autre capacité d’appréciation : celle de vendre ou de ne pas vendre d‘actions. C’est sur cette décision qu’il faut juger l’action de l’État à cette période, et celui-ci n’a pas vendu une seule action.

Troisième volet : la décision d’investissement de la Caisse des dépôts.

Il est parfaitement naturel que le groupe Lagardère souhaite proposer ses titres aux investisseurs institutionnels de long terme, parmi lesquels la Caisse des dépôts. Ce groupe a d’ailleurs annoncé son intention de viser cette classe d’investisseurs dans le mémo de principe du 21 février remis au cabinet du Premier ministre et transmis à Bercy. Cela constitue une approche normale et usuelle pour n’importe quelle opération de placement et il est naturel que la Caisse des dépôts soit approchée comme les autres investisseurs. L’opération de placement relevait de la responsabilité des seuls groupes Lagardère et Daimler puis des banques qu’ils avaient mandatées. Dans cette opération sur des titres d’une société cotée à laquelle l’État n’était pas partie prenante, ce dernier, gardien du bon fonctionnement des règles de marché, n’avait en aucun cas à interférer ; s’il l’avait fait, il aurait été fautif. En particulier, l’État n’avait pas à chercher à connaître les intentions ni, a fortiori, à influencer le choix des investisseurs dans un sens ou dans un autre et ce, quels que soient les investisseurs. Il est donc normal que la Caisse des dépôts n’ait ni demandé, ni reçu d’instructions, ni sollicité d’autorisation de l’État. Comme l’a rappelé devant vous M. Dominique Marcel, directeur financier du groupe Caisse des dépôts, conformément à ses procédures internes, la Caisse des dépôts n’a pas informé l’État de ses intentions avant de rendre elle-même sa décision publique le 10 avril 2006.

Même s’il était normal que la Caisse des dépôts soit approchée, au même titre que les autres investisseurs institutionnels, je n’avais pas connaissance de ses intentions d’acquérir des participations non plus que du niveau de participation qu’elle souhaitait atteindre. Pour ma part, j’ai seulement regretté de ne pas pouvoir informer nos partenaires allemands de cette décision quelques heures avant qu’elle ne soit rendue publique afin de prévenir toute réaction négative de leur part. Sur le fond, je n’avais pas plus d’avis à émettre sur cette décision d’investissement prise par la Caisse des dépôts dans le cadre de ses règles de gouvernance interne que pour les autres investisseurs.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Vous avez dit à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que l’État ne pouvait pas exercer ses responsabilités normales d’actionnaire sur EADS, compte tenu des caractéristiques du pacte d’actionnaire. Vous avez été responsable d’entreprises publiques dont le capital est détenu majoritairement par l’État, mais aussi d’entreprises dans lesquelles l’État était actionnaire minoritaire. Qu’entendez-vous par « responsabilité normale de l’État actionnaire » ? Comment ces responsabilités doivent-elles être exercées par l’État ? Doit-il les séparer de ses missions générales de régulation ? Faut-il renforcer le rôle de l’APE par rapport à la direction du Trésor ? Comment envisagez-vous l’organisation de cette difficile mission qui est celle de l’État actionnaire d’entreprises en situation de concurrence ou de monopole ?

L’État, en outre, est représenté par un membre de la direction du Trésor à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts. Quelles instructions lui avez-vous donné avant les différentes réunions de la commission de surveillance ? Comment le dispositif fonctionnait-il ? Si vous répondez en disant que vous ne donniez pas d’instructions particulières, faut-il maintenir un représentant de l’État à la commission de surveillance ? Comment envisagez-vous la gouvernance de la Caisse des dépôts par rapport à l’État ?

M. Thierry Breton : L’APE a été créée en 2004 pour répondre précisément à la question que vous posez sur l’État actionnaire.

S’agissant d’EADS, l’État n’est pas actionnaire direct et ne dispose donc pas d’administrateur direct. Dans la quasi-totalité des autres entreprises dans lesquelles l’État a une participation significative – et j’estime que 15 %, c’est déjà une participation significative, bien entendu – l’État est représenté au sein des conseils d’administration et peut donc s’exprimer. Il participe par ailleurs à de nombreux comités des conseils d’administration, dont les comités stratégiques ou les comités des comptes. Dans ce contexte, l’APE joue pleinement son rôle. À combien de conseils a-t-elle siégé, monsieur Bézard ?

M. Bruno Bézard : Au total, l’APE a siégé l’an dernier dans 500 conseils et comités.

M. Thierry Breton : Mais jamais au sein d’EADS, évidemment. Cette entreprise constitue un cas unique dans le portefeuille des participations gérées par l’APE puisque l’État, donc l’APE, ne peuvent siéger au sein du conseil d’administration. Sans doute est-il impératif de modifier une telle situation. La gouvernance d’EADS a déjà été améliorée à l’initiative du Président de la République, mais il conviendra d’aller plus loin en révisant ce pacte afin que l’État puisse se faire représenter et entendre.

Tel est le vrai problème ! L’asymétrie est palpable par rapport aux autres cas de figure. Peut-être faudrait-il mettre en place une sorte de droit commun des participations gérées par l’APE. Il importe également que l’APE puisse siéger de plus en plus au sein des différents comités des conseils afin que l’État soit en mesure de jouer pleinement son rôle de contrôle et d’accompagnement.

Le Président Didier Migaud : Lorsque vous avez eu la confirmation que l’État ne pouvait pas intervenir directement, ne vous est-il pas venu à l’idée, spontanément, de vouloir changer la situation ?

M. Thierry Breton : Mais évidemment ! Je l’ai d’ailleurs dit publiquement, y compris, me semble-t-il, à l'Assemblée nationale. Le problème, c’est que les trois signataires du pacte doivent être tous d’accord et que ce n’était pas le cas lorsque je leur en ai parlé. Dès lors que le pacte a été ainsi conçu et qu’il n’y a pas de date butoir pour une éventuelle révision, l’accord des trois demeure nécessaire.

Le Président Didier Migaud : Dès lors qu’il s’agit d’un pacte, il faut bien que l’ensemble des signataires soit d’accord pour le modifier. Mais tout dépend également du rôle que peut jouer l’État à travers la SOGEADE et du niveau d’information qu’il peut exiger.

M. Thierry Breton : Il est tout de même surprenant qu’un pacte ne fasse état d’aucune date. Pourquoi les signataires et l’État en particulier n’ont-ils pas prévu une date de révision ? Cela aurait été utile, de manière à pouvoir discuter plus librement.

M. Henri Emmanuelli : Vous auriez dit, dans ce cas, que cela aurait compliqué la tâche.

M. Thierry Breton : Au contraire ! Une date de révision permet de remettre à plat les différents problèmes qui peuvent se poser.

La commission de surveillance de la Caisse des dépôts a un rôle d’information et non un pouvoir de décision. En l’occurrence, le représentant de l’État n’avait pas de consigne à recevoir puisque, comme les autres membres de la commission de surveillance, il a appris un mois plus tard, de la bouche du directeur général de la Caisse des dépôts, que celle-ci a pris une participation de 2,25 % dans le capital d’EADS. Le directeur du Trésor, qui siège dans cette commission, comme des parlementaires d’ailleurs, n’avait pas à s’exprimer puisqu’il s’agissait d’une information. Un problème se pose sans doute au sein de la gouvernance de la Caisse des dépôts s’agissant non de l’information mais de la décision en matière d’investissements.

M. Jérôme Cahuzac : Il ne me semble pas, contrairement à ce que dit M. le ministre, que les auditions précédentes aient apporté la quasi-totalité des réponses attendues et que son audition soit inutile. En outre, M. le ministre parle en permanence de l’État mais, à ce que je sais, ce dernier ne fonctionne pas en roue libre et dispose de suffisamment de hauts fonctionnaires compétents, lesquels ne reçoivent pas leurs instructions d’une autorité indéfinie mais d’un gouvernement. Il ne faut donc pas se demander si l’État a été ou non irréprochable, mais si le gouvernement l’a été et, en particulier, le ministre qui avait la responsabilité de ce dossier, c’est-à-dire vous. Les mots n’étant pas innocents, vous me permettrez de ne pas faire référence à l’État mais au gouvernement, soit à vous.

Cela dit, je souhaite vous poser une série de questions sur les relations entre le gouvernement et la Caisse des dépôts.

M. Thierry Breton : Donc entre moi et la Caisse des dépôts.

M. Jérôme Cahuzac : Oui, en tant que membre du gouvernement bien entendu, même si d’autres responsables gouvernementaux ont eu à connaître du rôle éventuel de la Caisse des dépôts et des évolutions au sein de la gouvernance d’EADS.

Maintenez-vous les propos tenus devant la commission sénatoriale selon lesquels c’est par la voie d’un article de presse que vous a fait connaître votre directeur de cabinet que vous avez appris, le 10 avril, l’achat par la Caisse d’une participation au sein d’EADS ?

M. Pontet, président du conseil d’administration de la SOGEADE a indiqué ici même que la chose était connue depuis le 3 avril. Il a considéré que, dès lors que le conseil d’administration était informé le 3 avril, l’État le savait le soir même. Entre le 3 et le 10 avril, le délai semble un peu long… De plus, lors de son audition au Sénat, M. de Villepin a indiqué avoir immédiatement saisi Bercy des questions soulevées par ce désengagement et un document remis en janvier 2006 au Premier ministre évoquait d’ores et déjà la Caisse des dépôts. Le Premier ministre a assuré vous l’avoir transmis. Si vous étiez informé de la ferme intention de désengagement des principaux actionnaires privés, trouvez-vous normal de vous en désintéresser au point d’attendre la parution d’un article de presse pour réagir ?

Comment interpréter vos propos au Sénat, qui ont donné l’impression que l’État était bien en roue libre et que le gouvernement n’était pas maître de la situation ?

Enfin, sachant que, selon vous, le gouvernement ne dispose d’aucun levier pour peser sur quelque décision que ce soit en la matière, comment expliquer le rôle de certains qui ont bel et bien utilisé l’État, pour remplacer par exemple M. Camus par M. Forgeard ? En juin 2006, vous avez enfin déclaré en réponse à une question d’actualité à l'Assemblée nationale que les difficultés d’EADS étaient derrière nous. Si gouverner c’est prévoir, vos prévisions étaient un peu douteuses.

M. Thierry Breton : Mes propos liminaires apportent une réponse claire aux questions que vous posez, mais je souhaite tout d’abord relever quelques imprécisions dans vos propos.

La note en question du Premier ministre n’est pas de janvier, je l’ai dit, mais du 21 février. La note de janvier, me demandant si je souhaite ou non vendre des titres, est celle de l’APE. La note du 21 février est remise par les collaborateurs de M. Lagardère au cabinet du Premier ministre et elle contient deux éléments : les équipes de M. Lagardère demandent si l’État ne souhaite pas sortir du pacte une partie de ses actions au prorata de celles que le groupe Lagardère veut mettre sur le marché pour les rendre disponibles et se préparer à les céder concomitamment ; la seconde partie de la note ne dit absolument pas, quant à elle, que la Caisse des dépôts sera actionnaire : elle mentionne simplement le fait que les participations pourraient être présentées, sans aucune surprise, à l’ensemble des investisseurs institutionnels français, dont la Caisse des dépôts.

M. Jérôme Cahuzac : Avez-vous eu connaissance de cette note au mois de février 2006 ?

M. Thierry Breton : Elle a été immédiatement transmise à M. Luc Rémont puis à l’APE.

M. Jérôme Cahuzac : À partir de février 2006, vous saviez donc que la Caisse des dépôts pourrait être actionnaire.

M. Thierry Breton : Bien avant ! La Caisse des dépôts est par définition sollicitée dans ce type d’opération ! Ce n’est pas une nouvelle !

M. Jérôme Cahuzac : Le 26 avril…

M. Thierry Breton : Le 10 avril.

M. Jérôme Cahuzac : Le 10 avril, donc, vous avez dit ne pas avoir été content d’apprendre par voie de presse que la Caisse des dépôts procédait à cet achat. Sachant qu’une telle éventualité était par définition connue, qu’avez-vous fait pour éviter de ne pas être content à la fin du mois d’avril ?

M. Thierry Breton. Je vous renvoie à mes déclarations, monsieur Cahuzac. Le 3 avril, je le répète, la réunion de la SOGEADE n’a pas pour but, contrairement à ce que vous avez affirmé de façon erronée, de dire qui seront les acquéreurs des titres de Lagardère. On ne discute que de la possibilité de « purger » les droits de l’État.

Le 10 avril au matin, M. Luc Rémont vient me voir dans mon bureau et me montre un article des Échos qui indique que la Caisse des dépôts a décidé de se porter acquéreur d’une partie significative des titres mis en vente pas Lagardère.

M. Henri Emmanuelli : Les Échos sont donc mieux informés que le cabinet du ministre !

M. Thierry Breton : Cela arrive, monsieur Emmanuelli.

Quelques heures plus tard, la Caisse des dépôts publie un communiqué pour confirmer son initiative. Si j’ai affirmé que je n’étais pas content, ce n’est pas parce que la Caisse des dépôts s’était portée acquéreur – je répète que je n’ai pas à porter de jugement sur ce point –, mais parce que j’estimais qu’il aurait été plus correct qu’elle m’informe quelques heures avant de sa décision définitive pour que je puisse moi-même, hors marché, prévenir les partenaires allemands de cette décision. C’est tout ce que j’ai dit. Le fait que mon directeur de cabinet ait appris cette nouvelle par la presse a soulevé un peu d’émotion, j’en conviens. Peut-être n’aurais-je pas dû le dire, peut-être ai-je commis une erreur, mais telle est la réalité. Il arrive en effet, dans des opérations où l’État n’a pas à intervenir, que les journalistes soient informés quelques heures avant. C’est ce qui s’est passé.

M. Jérôme Cahuzac : Si, selon vous, ni l’État ni le gouvernement n’ont à agir dans ce domaine, estimez-vous qu’ils ont agi lors du drame qui s’est noué entre MM. Camus, Forgeard et Delmas ? Affirmeriez-vous qu’ils n’ont joué rigoureusement aucun rôle dans cette affaire ?

Le Rapporteur général : En ce qui concerne la Caisse des dépôts, il faut bien séparer la forme et le fond. Sur le fond, il est légitime que la Caisse ait pris cette participation stratégique dans EADS. J’y insiste car M. Jérôme Cahuzac ne l’a pas dit d’emblée.

M. Jérôme Cahuzac : Nous sommes d’accord sur ce point, monsieur le Rapporteur général.

M. Thierry Breton : Pour en revenir à la dernière question de M. Cahuzac, je n’étais pas au gouvernement au moment des faits qu’il évoque.

M. Jérôme Cahuzac : Il est un principe républicain qui s’appelle la continuité de l’État, monsieur le ministre. Vous avez succédé à des personnes qui, manifestement, sont intervenues dans cette affaire. Pouvez-vous nous affirmer, dans le cadre de cette audition, qu’à aucun moment et en aucune circonstance vous n’avez eu à connaître, en tant que ministre, des conditions dans lesquelles M. Forgeard a remplacé M. Camus ? Il vous suffit de répondre par oui ou par non.

M. Thierry Breton : S’agissant des problèmes de management, nous nous parlons, et c’est bien normal. Pour le reste, M. Camus avait déjà quitté l’entreprise lorsque j’ai pris mes fonctions.

M. Jérôme Cahuzac : Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Vous avez soutenu que l’État ne pouvait intervenir dans la gestion de quoi que ce soit dès lors que cela concernait la SOGEADE ou EADS. Estimez-vous que l’État et le gouvernement ont pu intervenir peu ou prou dans l’affrontement entre M. Camus et M. Forgeard ?

M. Thierry Breton : Encore une fois, je ne peux répondre puisque je n’étais pas là ! Il faut le demander à mes prédécesseurs.

M. Jérôme Cahuzac : Donc, vous ne savez pas.

M. Thierry Breton : Je n’ai pas la réponse. En revanche, il est évident que nous avons des discussions sur le management, sachant qu’il revient ensuite aux partenaires industriels et au conseil d’administration d’exécuter. Il est bien évident que nous nous parlons.

M. Jérôme Cahuzac : Votre réponse n’en est pas une.

Le Président Didier Migaud : Le fait de dire que l’on se parle est tout de même un élément intéressant. Si l’on se parle, on parle nécessairement de quelque chose.

M. Jérôme Cahuzac : La presse s’est largement fait l’écho de cette affaire. Cela ne vous a jamais intrigué, monsieur le ministre ?

Le Président Didier Migaud : S’il vous plaît, monsieur Cahuzac, il nous faut avancer.

La parole est à M. Henri Emmanuelli.

M. Henri Emmanuelli : Ma question s’adresse plus particulièrement à M. Luc Rémont, ancien directeur adjoint du cabinet de M. Breton.

Si j’ai bien compris, on essaie de nous expliquer ce matin que le journal Les Échos est mieux informé que le cabinet du ministre au sujet d’opérations patrimoniales dans lesquelles l’État est partie prenante. Pouvez-vous nous le confirmer, monsieur Rémont ? Nous n’avons sans doute pas beaucoup d’expérience, mais il y a quand même des limites !

M. Luc Rémont : Je vous le confirme bien volontiers, monsieur le Député. Contrairement à ce que vous dites, l’État n’est pas partie prenante à cette opération patrimoniale.

M. Henri Emmanuelli : Je sais ce que je dis ! L’État est actionnaire d’EADS. Quand on vend une partie du capital de cette entreprise, il est concerné.

M. Luc Rémont : J’essaie de vous répondre précisément, monsieur le Député. Il s’agit d’une opération de marché à laquelle l’État n’est pas partie prenante. Le directeur financier de la Caisse des dépôts a confirmé ici même que la Caisse n’avait pas informé l’État de ses intentions.

Je vous le confirme donc encore une fois : pour ma part, c’est la lecture des Échos le 10 avril qui m’a appris la décision de la Caisse des dépôts d’investir dans EADS. Cette décision a d’ailleurs été confirmée par un communiqué de la Caisse publié le jour même.

M. Henri Emmanuelli : Vous nous expliquez que la vente de 7,5 % du capital d’une société comme EADS, dont l’intérêt stratégique est évident pour tout le monde, s’est faite sans que l’État soit informé, alors qu’il est lui-même actionnaire de l’entreprise à hauteur de 15 %. En outre, le cabinet du ministre aurait été moins informé que le journaliste des Échos. Ce n’est pas crédible !

C’est d’autant moins crédible que nous avons tous assisté à un feuilleton qui a duré près d’un an et au terme duquel l’État français – il est vrai que c’était avant que vous ne soyez ministre, monsieur Breton, et vous, monsieur le directeur adjoint, vous avez dû en être informé par la presse, qui s’en est gargarisée – a obtenu le remplacement d’un co-président d’EADS. Or M. Breton vient de nous expliquer que l’État n’avait aucune possibilité d’intervenir dans la gestion de la société EADS.

M. Thierry Breton : Je comprends la première partie de votre propos, monsieur Emmanuelli, mais il faut être bien conscient qu’il s’agit d’une opération de marché par laquelle une entreprise privée vend des titres à des investisseurs. Contrairement à ce que vous semblez dire, dès lors que le pacte a prévu que les actionnaires industriels peuvent vendre librement leurs actions, ce qui a été le cas.

M. Henri Emmanuelli : Ce n’est pas ce que nous a dit M. Lagardère.

M. Thierry Breton : Lorsqu’une action est vendue, monsieur Emmanuelli, elle peut être rachetée le lendemain par n’importe qui. C’est tout le problème d’une entreprise cotée. Peut-être n’aurait-il pas fallu coter EADS mais, dès lors que l’entreprise l’est, Lagardère peut vendre ses actions à qui il veut. L’État n’a pas à s’immiscer dans la transaction. Il aurait commis une faute s’il l’avait fait. Voilà pourquoi il a appris la vente par des fuites provenant de la Caisse. Mais ces fuites ne sont pas notre sujet aujourd'hui.

Le Président Didier Migaud : Je propose que l’on avance dans l’audition, monsieur le ministre. Les questions et les réponses ont été répétées et l’on a bien compris qu’il existe des appréciations différentes.

Monsieur Cahuzac, vous avez la parole pour une dernière question.

M. Jérôme Cahuzac : Je souhaiterais que M. Breton confirme un témoignage qui diverge radicalement de celui que M. Arnaud Lagardère nous a fait, et qui démontrait que son auteur était manifestement mieux informé que le ministre.

Vous indiquez, monsieur le ministre, n’avoir été informé que de l’éventualité d’une cession alors que M. Lagardère nous a affirmé qu’il vous avait fait part de son intention de céder. Ce n’est pas jouer sur les mots que de relever la différence entre une éventualité et une intention, car cela peut impliquer qu’un ministre de l’économie et des finances se désintéresse ou non de l’évolution du capital d’EADS.

Nous confirmez-vous que, lorsque vous recevez MM. Lagardère et Bischoff, ceux-ci ne vous font part que d’une éventualité de cession, ou corroborez-vous les propos de M. Lagardère, selon lesquels il vous informe de son intention ferme de vendre ? En d’autres termes, accusez-vous M. Lagardère d’avoir menti ?

M. Thierry Breton : Je l’ai déjà dit : lorsque je les reçois, la décision, à ce que je comprends, n’est nullement prise. Il s’agit donc bien d’une intention. Les nombreuses discussions qui ont suivi cette entrevue montrent bien que les choses ne sont pas arrêtées. La décision finale est prise début mars et le directeur financier du groupe Lagardère l’annonce au directeur adjoint de mon cabinet le 8 du même mois. Avant cela, il ne s’agit que d’intentions et c’est bien ainsi que je l’ai compris.

M. Jérôme Cahuzac : Vous indiquez donc avoir été informé d’une intention éventuelle et confirmez ainsi les propos que vous avez tenus au Sénat, alors que M. Lagardère nous a dit qu’il avait fait part de son intention ferme. Les deux témoignages ne concordent pas totalement. Il nous faudra faire la part des choses.

M. Jean-François Lamour : Je ne vois pas très bien où est le problème.

M. Henri Emmanuelli : Le problème, c’est qu’on se moque de nous !

Le Président Didier Migaud : Peut-être M. Lagardère a-t-il fait état de sa volonté de vendre, mais la question de la date de la vente n’était assurément pas encore tranchée.

La parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier : Permettez-moi de rappeler tout d’abord que cette audition se tient dans le cadre d’une information et non dans celui d’une commission d’enquête. On peut manifester son désaccord, mais il faut respecter certaines règles de forme. Je tiens à dire à M. Breton qu’il n’est absolument pas mis sur la sellette et qu’il n’y aurait d’ailleurs pas de raison à cela. L’objectif de la Commission est de comprendre.

Je vous remercie pour votre propos liminaire, monsieur le ministre, car l’affaire date déjà de deux ans et il est bon de rappeler clairement son déroulement. Certaines informations peuvent certes apparaître contradictoires mais personne ne peut se souvenir des termes précis qui ont été utilisés le 28 novembre 2005. Il existe en revanche une concomitance claire entre cette date et celle du 6 décembre, lorsque MM. Arnaud Lagardère et Manfred Bischoff annoncent à leur conseil de surveillance leur intention de céder.

Selon vos souvenirs, monsieur le ministre, qu’avez-vous répondu à ceux-ci le 28 novembre ? Leur avez-vous fait part de votre désaccord au sujet de cette cession ? Leur avez-vous conseillé, au cas où ils vendraient tout de même, de « vendre français » ?

Nous avons bien compris le fonctionnement du pacte d’actionnaires, en vertu duquel l’État français, qui ne peut être membre du conseil d’administration d’EADS, reçoit les informations par le biais de la SOGEADE. Nous connaissons également les conditions d’exercice et de levée du droit de préemption. En l’occurrence, l’État ne peut l’exercer directement puisqu’il atteint déjà le plafond en pourcentage de parts fixé dans le pacte, mais il peut envisager des voies détournées, à charge pour lui de revenir à 15 %. Au moment où ce droit de préemption est levé, la SOGEADE vous indique-t-elle que c’est IXIS qui rachète les titres ?

M. Thierry Breton : Lorsque MM. Bischoff et Lagardère viennent me faire part de leur intention éventuelle de céder leurs titres, j’émets tout de suite des réserves, étant entendu toutefois que je n’ai pas la possibilité de m’opposer à leur décision. Je préférais en effet qu’ils restent actionnaires et accompagnent l’entreprise dans ses développements à venir. De nombreux projets étaient lancés – l’A380 – ou sur le point d’être lancés : on parlait beaucoup à l’époque des sommes significatives qu’il fallait mobiliser pour mettre en route l’A350. J’ai donc fait part de mes craintes que cette vente ne soit un signal mal perçu tant par les salariés de l’entreprise que par ses clients, ses fournisseurs et tous ceux qui contribuent au succès d’EADS et d’Airbus.

En revanche, je n’ai absolument pas dit : « Si vous vendez, vendez français ! » À partir du moment où une entreprise est cotée, celui qui achète des titres de cette entreprise peut les revendre le lendemain matin, même s’il s’agit d’un investisseur institutionnel français. À cet égard, il serait intéressant de savoir combien de titres, dans ces 7,5 % qui ont été vendus, sont encore détenus par les investisseurs qui les ont acquis en 2006. Il est probable que certains en ont revendu dès le lendemain. C’est la loi du marché. Si on le regrette, il ne fallait pas coter EADS. Ce n’est pas parce qu’un ministre dit « Vendez français ! » que les actions vendues resteront françaises ad vitam aeternam.

Je n’ai donc prodigué aucun conseil en ce sens car ce n’est pas mon rôle. Je le répète, l’État aurait été fautif s’il l’avait fait. Il n’avait pas à indiquer à qui M. Lagardère devait vendre ses actions.

Pour le reste, la banque IXIS était, si mes souvenirs sont bons, l’arrangeur. Ce n’est donc pas elle qui a pu acquérir les titres.

Le Président Didier Migaud : Le terme d’« arrangeur » me paraît, en l’occurrence, un peu connoté…

M. Thierry Breton : C’est le terme technique utilisé par le marché, monsieur le président.

Je confirme qu’IXIS n’a pas acquis les titres. Elle les a placés auprès des investisseurs.

M. Jérôme Chartier : C’est tout de même IXIS qui est l’arrangeur. Du fait du dispositif des ORAPA, la libération des titres se fait par tiers et c’est cette banque qui pilote l’opération. C’est également IXIS qui apparaît en façade au départ. Nous aurions pu ne jamais savoir que la Caisse des dépôts détenait des titres. Sa commission a été informée. Le fait est que l’information a filtré par la suite et s’est retrouvée dans la presse mais, en droit, la détention par la Caisse des dépôts de 2,25 % d’EADS aurait pu ne pas être connue.

M. Thierry Breton : En effet. La déclaration ne doit être faite qu’au-dessus d’un certain seuil – sans doute 5 %.

Le Rapporteur général : Comme vous le savez, monsieur le ministre, le dispositif des ORAPA permettait une optimisation fiscale par rapport à un régime de taxation des plus-values sur titres de participation dont la mise en place était en cours. Les services du ministère, notamment la direction de la législation fiscale, ont-ils regardé de près ce montage ?

M. Henri Emmanuelli : Et l’on soutient encore que le cabinet ne savait pas !

M. Luc Rémont : Dans la mesure où la demande du groupe Lagardère, qui a été formulée le 8 mars, concernait uniquement la réalisation d’une cession dans le cadre du pacte d’actionnaires, c’est aussi dans ce cadre que l’unique examen de cette opération a été réalisé et c’est l’Agence des participations de l’État qui s’en est chargée. La demande ne comportant aucun volet fiscal, elle n’a pas été examinée par la DLF à cette époque. Les conséquences fiscales de cette opération relevaient de la seule responsabilité du groupe Lagardère, en lien, le cas échéant, avec l’administration fiscale. Mais cela n’a été évoqué en aucune manière à cette époque-là.

M. Jérôme Chartier : À partir de quand êtes-vous informé du rôle d’IXIS dans l’opération ?

M. Luc Rémont : À partir de mars, nous savons que c’est IXIS qui organise l’opération.

M. Jérôme Chartier : Pour le reste, j’ai bien entendu ce que M. Breton nous a dit : au moment de la levée du droit de préemption lors du conseil d’administration de la SOGEADE, personne ne connaît l’identité des acquéreurs mais IXIS est identifiée comme banque opératrice.

M. Charles de Courson : Monsieur le ministre, j’ai quatre questions à vous poser.

Premièrement, estimez-vous normal que ni votre cabinet ni la direction du Trésor ni l’Agence des participations de l’État n’aient jamais interrogé EADS, via la SOGEADE ou par tout autre moyen, sur l’état des retards dans les chaînes de production de l’A380 alors que l’information était publique depuis juin 2005 ?

Deuxièmement, alors que les groupes Lagardère et Daimler-Chrysler avaient publiquement annoncé, depuis presque un an, leur intention de se désengager du capital d’EADS, quelles initiatives avez-vous prises durant votre mandat de ministre pour faire évoluer le pacte d’actionnaires, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il était très déséquilibré au détriment de l’État ? Pourquoi votre ministère est-il resté passif ? La cession par les deux actionnaires privés de 7,5 % chacun déséquilibrait encore plus le pacte, ce qui a conduit certains à considérer qu’il était remis en question. Fallait-il que les actionnaires privés cèdent, non pas la moitié de 15 % chacun, mais les deux tiers pour faire tomber le pacte ? Vous leur avez en outre exprimé votre souhait qu’ils ne vendent pas alors qu’ils avaient annoncé depuis des mois qu’ils voulaient se désengager.

Troisièmement, estimez-vous normal, en tant qu’ancien ministre responsable, entre autres, du secteur bancaire et de la Caisse des dépôts et consignations, que des décisions aussi importantes que le rachat par la Caisse de près du tiers des actions cédées par le groupe Lagardère n’ait fait l’objet d’un accord ni de l’État ni de la commission de surveillance ? Pourtant, nous avez-vous affirmé, vous étiez bien conscient que, dès lors que Lagardère vendait, la Caisse des dépôts ou certaines de ses filiales se porteraient acquéreurs d’une partie au moins de ces actions.

Enfin, estimez-vous normal que les quatre dirigeants d’EADS puissent lever des stock options alors qu’ils sont susceptibles de bénéficier d’informations privilégiées ?

Sur ces quatre sujets, quelles sont les réformes que vous estimeriez raisonnables ?

M. Jean-François Lamour : Je souhaite vous poser une question complémentaire, monsieur le ministre. Si nous sommes là pour évoquer ces sujets, c’est parce que l’action EADS a plongé.

M. Gérard Bapt : Il n’y a pas que cela !

M. Jean-François Lamour : C’est une donnée très importante. Si l’action avait monté, il en serait allé tout autrement. Or le cours de vente a été établi par deux analystes, JP Morgan et Morgan Stanley, dans une fourchette de 36,20 à 40 euros, le prix de cession ayant été fixé ensuite à 36,20 euros. Tout cela s’est fait sur la base d’informations erronées et incomplètes. Sinon, comment expliquer que l’action plonge deux à trois mois plus tard, au motif que les retards envisagés ne sont plus rattrapables mais, au contraire, irrattrapables ? Comment expliquez-vous que, ni du côté de Lagardère ni de celui d’IXIS, de la Caisse des dépôts, de l’APE ou de la SOGEADE, aucune information correcte n’ait pu remonter jusqu’à vous ? Si l’on avait alors identifié les difficultés, on aurait fixé un niveau de cession inférieur. C’est bien cela qui est incompréhensible dans cette affaire.

En outre, qu’avez-vous fait pour parer à de tels comportements de la part des analystes, sachant que JP Morgan est également, sauf erreur de ma part, la banque d’affaires choisie par la partie allemande pour organiser la vente ? Le mélange des genres est patent !

M. Thierry Breton : Sans doute faut-il distinguer, monsieur le Président, les sujets sur lesquels des procédures sont ouvertes et les problèmes sur lesquels portent les auditions de la commission des finances.

Le Président Didier Migaud : Nous veillons à ce que les deux aspects soient séparés.

M. Thierry Breton : Monsieur de Courson, je suis obligé de vous dire que votre analyse n’est pas exacte.

M. Charles de Courson : Ce n’était pas une analyse : j’ai posé des questions.

M. Thierry Breton : Selon vous, je n’ai pas interrogé le management d’EADS sur les retards. Or je l’ai fait très souvent, et dès que les responsables ont rendu publique l’information à leurs clients. À chaque rencontre, je leur demandais où en étaient leurs plans. Il m’a toujours été répondu que les plans mis en œuvre ne semblaient pas présenter de décalage et que les affaires étaient suivies. Je n’avais aucune raison de remettre en cause ces propos. Dans une entreprise, c’est le management qui est à même de faire la synthèse entre tous les acteurs – et Dieu sait qu’ils sont nombreux dans l’aéronautique ! – pour pouvoir ensuite vérifier s’il existe ou non un décalage.

Il faut ajouter que les retards sur les programmes aéronautiques de cette nature sont, hélas, assez fréquents, comme on l’a vu dernièrement avec Boeing. Cependant, je le répète, les responsables m’ont toujours indiqué que les sujets étaient pris en compte et qu’ils n’avaient pas de raison de s’en inquiéter.

M. Charles de Courson : Ils ont donc menti !

M. Thierry Breton : Vous ne pouvez pas dire cela, monsieur de Courson !

M. Charles de Courson : Personne n’était au courant au sein du groupe ?

M. Thierry Breton : Quand un programme est lancé, on ne peut affirmer en décembre que l’on sait très exactement ce qui se passera au mois d’avril.

Le Président Didier Migaud : À ma connaissance, une instruction est également ouverte sur ce sujet-là.

M. Charles de Courson : Monsieur le ministre, voilà six ans que je suis rapporteur spécial du budget des transports aériens et c’est en cette qualité que j’ai interrogé M. Forgeard à ce propos. Il m’a dit être parfaitement au courant des retards.

M. Thierry Breton : Oui, et c’est bien pourquoi des plans ont été lancés. L’annonce a été faite le 25 juin 2005.

M. Charles de Courson : M. Forgeard a ajouté que, pendant des mois, les responsables techniques l’ont assuré qu’ils étaient capables de rattraper ces retards.

M. Thierry Breton : Je le confirme.

M. Charles de Courson : Le malheur est que l’on a soutenu pendant six mois que l’on allait rattraper des retards alors que l’on ne les rattrapait pas.

M. Thierry Breton : On m’a dit la même chose qu’à vous.

M. Charles de Courson : On vous a donc menti.

M. Thierry Breton : Cela, je ne le sais pas. C’est un autre sujet.

M. Charles de Courson : En outre, monsieur le ministre, vous auriez pu appeler certaines compagnies aériennes, dont Air France, pour savoir si les dates de livraison étaient respectées.

Le Président Didier Migaud : Je crois que M. Bapt souhaite prolonger la première question de M. de Courson.

M. Gérard Bapt : Je souscris à ce que vient de dire M. de Courson. Comme le relève le rapport du Sénat sur la situation d’EADS et ses perspectives d’évolution, en 2006, la direction générale de l’aviation civile, donc l’État, prend acte que le calendrier de livraison de vingt A380 en 2006 est ramené à deux. Elle était donc parfaitement au courant des difficultés.

Quant au Canard enchaîné, il fait état le 1er décembre 2004 des « sueurs froides des dirigeants d’Airbus ». Dès le mois de mai 2006, l’AFP et Reuter évoquent des retards de livraison.

M. Thierry Breton : De quand date ce rapport du Sénat ?

M. Gérard Bapt : C’est un rapport dont le dépôt est annoncé lors de la séance du 27 juin 2007. Il se réfère lui-même à un rapport de la DGAC qui montre que celle-ci est informée dès 2006 de la modification du calendrier de livraison.

M. Thierry Breton : C’est un rapport établi à la fin de 2006, donc après l’annonce faite au mois de juin de cette même année.

M. Gérard Bapt : Dont acte, monsieur le ministre, mais ce qui est inexplicable, c’est que ni votre cabinet ni l’APE n’aient été plus loin sur ce sujet.

M. Thierry Breton : J’en viens à la deuxième question de M. de Courson.

Le pacte permet aux actionnaires industriels de sortir leurs actions sans que ledit pacte soit modifié, et ce tant que Lagardère détient plus de 20 % du bloc français, soit 3,75 % du capital total. C’est ce qui a été signé en 2000. La vente des 7,5 % de Lagardère ne modifie donc pas le pacte.

M. Henri Emmanuelli : Vous n’avez pas répondu à la question.

M. Charles de Courson : Je vous ai demandé pourquoi vous n’avez pas pris d’initiative alors que, depuis 2005, les deux actionnaires privés ont publiquement fait savoir qu’ils voulaient se désengager.

M. Thierry Breton : J’ai dit à maintes reprises que je souhaitais que le pacte soit rouvert. Cela n’a pas été possible car j’étais le seul demandeur et je n’ai pas réussi à le faire accepter par les autres signataires, qui n’enfreignaient pas le pacte en cédant une partie minoritaire de leurs actions. Votre question est très intéressante, mais c’est aux signataires du pacte qu’il faut demander pourquoi ils n’ont pas prévu la possibilité d’une révision au moment où un actionnaire veut vendre.

L’État était donc engagé dans cette dynamique et, malgré des demandes répétées de ma part et de la part de mes successeurs, le pacte n’a toujours pas été rouvert car nous en sommes empêchés juridiquement.

M. Charles de Courson : Puis-je me permettre de vous rappeler, monsieur le ministre, que le pacte n’est pas le seul outil pour une renégociation. Qui paie les avances remboursables, sinon l’État allemand et l’État français ?

M. Thierry Breton : Vous voulez que la renégociation se fasse au détriment des salariés et des clients ?

M. Charles de Courson : Le groupe Lagardère vit pour partie de la commande publique. Vous avez des moyens de négociation globale.

M. Thierry Breton : C’est un autre sujet.

Le Président Didier Migaud : On peut dire aussi que c’est toujours le même sujet, celui de l’État actionnaire.

M. Thierry Breton : Quant à votre question sur la Caisse des dépôts, monsieur de Courson, j’y ai déjà répondu : si l’État était intervenu, il aurait commis une faute. Il n’avait pas à dire à la Caisse des dépôts si elle devait acheter ou non des actions.

Cela a été confirmé, du reste, par M. Dominique Marcel. Il n’y a eu ni demande ni autorisation ni information, et c’est normal. En revanche, il se pose pour la Caisse des dépôts une question de gouvernance interne : comment faire en sorte que ses décisions d’investissement soient prises correctement et avec un niveau d’information suffisant ? Une réforme est aujourd'hui à l’étude. Elle me semble bienvenue.

M. Charles de Courson : C’est bien de le constater, mais vous avez été ministre et il aurait été encore mieux, puisque vous étiez persuadé que la Caisse des dépôts rachèterait probablement une partie de ces actions, de passer un coup de fil au directeur général en indiquant si vous y étiez favorable.

M. Thierry Breton : Non. La Caisse des dépôts intervient systématiquement dans pratiquement toutes les entreprises du CAC 40. Ce sont des opérations de marché et ce n’est pas au ministre…

M. Charles de Courson : Mais vous nous avez dit que c’était une participation stratégique !

M. Thierry Breton : Pas du tout ! J’ai dit que, à partir du moment où l’on accepte que Lagardère cède ses actions, ces actions peuvent être revendues dès le lendemain parce qu’EADS est une société cotée. Le fait que l’action soit vendue à tel ou tel ne signifie pas qu’elle sera gardée ad vitam aeternam.

Le Président Didier Migaud : On peut ne pas être d’accord, monsieur de Courson, mais la réponse de M. Breton est claire.

M. Charles de Courson : Elle me semble, à moi, un peu schizophrénique.

M. Henri Emmanuelli : M. Alain Quinet, ancien directeur adjoint du Premier ministre Dominique de Villepin, a tenu au Sénat les propos suivants : « Une réunion s'était ensuite tenue le 20 mars 2006 à Bercy et avait permis de prendre connaissance des modalités de ce désengagement. Cependant, il revenait au ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie d'instruire plus précisément l'opération. » Vous n’avez donc rien instruit, monsieur le ministre !

M. Thierry Breton : Mais si !

M. Henri Emmanuelli : Vous nous expliquez en somme que, pour ne pas fausser les règles du marché, vous vous êtes totalement désintéressé de savoir où allaient 7,5 % du capital d’une entreprise stratégique européenne.

M. Thierry Breton : Encore une fois, l’instruction demandée à Bercy concerne la possibilité de « purger » les droits de l’État au sein de la SOGEADE : il s’agit de déterminer si cette opération est compatible avec le pacte qui lie l’État.

Par ailleurs, dès lors que les signataires du pacte acceptent qu’EADS soit une entreprise cotée, que les actions tenues dans le pacte donnent aux actionnaires industriels un droit de gestion de l’entreprise, et que l’on ouvre la possibilité que des actions sortent du pacte, ce qui a été souhaité, voulu et signé notamment par MM. Strauss-Kahn et Fabius…

M. Jérôme Cahuzac : Tout à coup, ce n’est plus l’État qui est en cause !

M. Thierry Breton : Dès lors que tout cela est accepté, les actions sont libres de cession, et ce n’est pas parce que vous vendez à un investisseur à un instant t qu’à l’instant t + 1 il aura gardé les actions.

M. Henri Emmanuelli : Monsieur le ministre, la spécificité de la Caisse des dépôts est précisément qu’elle n’est pas n’importe quel investisseur. Si l’on s’est tourné vers des investisseurs institutionnels, c’est bien parce qu’ils n’ont pas les comportements que vous décrivez. L’État français savait parfaitement que si cette partie du capital d’EADS était entre les mains de la Caisse des dépôts, on ne risquait pas de la voir finir chez Boeing.

M. Thierry Breton : Pardonnez-moi de vous contredire, monsieur Emmanuelli, mais je ne pense pas que la Caisse des dépôts ait gardé aujourd'hui ses 2,25 %.

M. Jérôme Cahuzac : Vous auriez donc des informations à ce sujet, monsieur le ministre ?

M. Thierry Breton : Non, je n’en sais rien.

M. Jérôme Cahuzac : Alors pourquoi dites-vous cela ?

M. Thierry Breton : Parce qu’un investisseur est libre, je le répète, de faire ce qu’il veut des actions qu’il détient.

La Caisse des dépôts a-t-elle gardé les actions, monsieur Balligand ?

M. Jean-Pierre Balligand : Oui, ce n’est pas encore vendu.

Le Président Didier Migaud : Puisqu’il est tant question de précision, monsieur le ministre, je doute que MM. Fabius et Strauss-Kahn aient été ministres en même temps.

M. Thierry Breton : En effet. Le pacte a été signé en deux temps.

La dernière question de M. de Courson porte sur les stock options. C’est un autre volet, qui fait l’objet d’une instruction.

M. Charles de Courson : Je vous interrogeais sur le système lui-même. Est-il raisonnable de donner à des cadres dirigeants la possibilité de lever des stock options alors qu’ils sont en exercice et qu’ils ont des informations privilégiées ? Quelle est votre position personnelle sur ce sujet ?

M. Thierry Breton : C’est une question très large. Il existe des « fenêtres » à l’intérieur desquelles les détenteurs peuvent lever leurs stock options. Tout cela doit être extrêmement encadré. Des personnes, au sein des entreprises, doivent pouvoir déterminer quand la levée est possible et quand elle ne l’est pas, mais il faut compter aussi avec le jugement des détenteurs eux-mêmes, en fonction des informations qu’ils détiennent. Selon moi, il faut réduire le plus possible les « fenêtres » d’exercice des actions, et ne les ouvrir que lorsque toute l’information est connue du marché. C’est pourquoi, en général, les fenêtres sont ouvertes dès la communication des résultats financiers, qu’ils soient trimestriels ou semestriels. Cela dit, le sujet est complexe et mérite une étude approfondie.

M. Henri Emmanuelli : Vous continuez donc à estimer que le ministre que vous étiez n’avait pas à se préoccuper de savoir où allaient les 7,5 % du capital d’EADS…

M. Thierry Breton : Je le dis à nouveau : il s’agit d’une cession des groupes Lagardère et Daimler-Chrysler à des investisseurs, à hauteur de 7,5 % du capital chacun.

M. Henri Emmanuelli : Ma question porte sur la part française.

M. Thierry Breton : Le ministre n’a pas à aider le groupe Lagardère à placer ses titres. Et il ne l’a pas fait.

Le Président Didier Migaud : Nous avons bien compris. En revanche, il n’a pas été répondu à la question de M. Jean-François Lamour.

M. Bruno Bézard : Je serai ravi de le faire, monsieur le président, car elle a trait aux informations que l’Agence des participations de l’État a pu obtenir et aux questions qu’elle a pu poser.

À chacune de nos réunions, nous avons interrogé l’entreprise. Nous avons également posé des questions par l’intermédiaire de l’administrateur auprès de la SOGEADE. Je tiens à votre disposition tous les procès-verbaux des conseils d’administration. J’ai entendu dire que les administrateurs de l’État dormaient : dans ce cas, sans doute sont-ils somnambules puisqu’ils ont parlé en dormant !

L’APE a fait sont travail, et ce dans un contexte où l’on essayait de l’en empêcher. Elle n’était pas en situation de détenir des informations privilégiées – car telle était la première question, posée dans un article du Figaro –, elle détenait plutôt un privilège de sous-information.

M. Henri Emmanuelli : Ah bon ? C’est rassurant !

M. Jean-François Lamour : Aujourd'hui, monsieur Bézard, lorsque vous disposez d’analyses effectuées par telle ou telle agence – du type de celles de JP Morgan et Morgan Stanley, qui nous ont « plantés » –, quels contre-feux pouvez-vous allumer, au titre de l’APE ou de toute autre institution, pour éviter que nous soyons envoyés dans le mur comme cela a été le cas avec EADS ? Je vous avais posé cette question lorsque nous vous avons auditionné une première fois, mais je n’avais pas obtenu de réponse.

M. Bruno Bézard : Voilà longtemps que nous avons appris à nous méfier des analyses des analystes, monsieur le Député.

M. Gérard Bapt : Selon La Dépêche du Midi, alors que les Allemands étaient opposés au versement de la fameuse indemnité de fin de contrat – ou « parachute doré » – à M. Noël Forgeard, vous auriez donné au contraire votre accord au versement de ces quelque 8,5 millions d’euros qui ont d’autant plus choqué à Toulouse que, le lendemain, les salariés recevaient une participation d’un montant de 2,88 euros.

M. Thierry Breton : Nous n’avons pas eu à nous exprimer sur cette question ; je l’ai déjà dit à plusieurs reprises.

M. Gérard Bapt : En outre, maintenant que vous n’êtes plus ministre et que vous avez été auditionné par les commissions des Finances du Sénat et de l’Assemblée, je suppose que votre parole est libre. Je me refuse pour ma part à considérer EADS sous le seul angle du cours de l’action, comme le fait M. Jean-François Lamour. De nombreux sous-traitants, dont l’usine Latécoère, sont implantés dans ma circonscription. Or, dans des déclarations répétées, M. Louis Gallois, suivi maintenant par M. Thomas Enders – mais c’est aussi le cas de M. Charles Edelstenne, PDG de Dassault –, affirme que l’entreprise va désormais délocaliser à marche forcée vers la zone dollar. Dès le départ, on a présenté le plan Power 8 en affirmant qu’il fallait imiter ce que Boeing avait réalisé en termes de restructuration. Boeing s’est sans doute redressée, mais a perdu 80 000 emplois, qui ont été délocalisés.

Le Président Didier Migaud : Quelle est votre question, monsieur Bapt ?

M. Gérard Bapt : C’est une question que j’aimerais aussi poser à Mme Christine Lagarde lors des questions d’actualité : quelle est la position de l’État français vis-à-vis de cette volonté de pratiquer des délocalisations massives qui se traduiront par des pertes d’emplois tout aussi massives ?

Le Président Didier Migaud : Vous savez sans doute que M. Breton n’est plus ministre…

M. Gérard Bapt : Précisément : maintenant, sa parole est libre !

M. Thierry Breton : Nous nous sommes très souvent exprimés sur le problème considérable que représentent les taux de change pour la compétitivité de l’industrie française et européenne. Aujourd'hui, la parité est presque de 1,5 dollar pour 1 euro. Je sais que le Président de la République est très mobilisé sur ce sujet qui nécessite une politique européenne commune. Je mesure comme vous, monsieur Bapt, le poids que représentent ces taux pour l’industrie française et européenne et les risques qu’ils lui font courir. J’espère que le mouvement va s’inverser. Cependant, au vu de la légère tendance inflationniste et des prévisions des analystes sur l’évolution des taux aux États-Unis et en Europe, on peut nourrir des inquiétudes.

Le Président Didier Migaud : Il me reste à vous remercier d’avoir répondu à nos questions, monsieur le ministre.

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