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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 16 janvier 2008

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition de M. Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste et de M. Patrick Werner, président du directoire de La Banque postale sur la distribution du livret A et le financement du logement social

Le Président Didier Migaud a indiqué que la commission des Finances commençait une série d'auditions sur la question de la distribution des Livrets A et bleu, aujourd'hui réservée à la Banque Postale, aux Caisses d'épargne et au Crédit mutuel, s'agissant du Livret bleu.

Elle accueille cette fois M. Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste et M. Patrick Werner, président du directoire de la Banque Postale, accompagnés de MM. Bernard Roy, directeur de la régulation européenne et nationale de La Poste et Yves Brassard, directeur financier de La Banque Postale.

La Commission entendra le 30 janvier M. Augustin de Romanet et M. Michel Bouvard, pour la Caisse des dépôts et consignations, Mme Christine Boutin, ministre du Logement et de la Ville et M. Michel Camdessus, auteur du rapport remis au Gouvernement sur cette question et, le 6 février, l'intersyndicale du secteur semi-public économique et financier, l'Union sociale pour l'habitat et, pour conclure, Mme Christine Lagarde, ministre des finances.

Le Président Didier Migaud a rappelé que le dispositif de distribution des livrets avait fait l'objet d'une contestation devant la Commission européenne en septembre et décembre 2005 par plusieurs banques françaises. Après avoir examiné les observations du Gouvernement français, présentées le 29 septembre 2006, la Commission, par une décision du 10 mai 2007, lui a donné neuf mois pour modifier sa législation afin de supprimer ce qu’elle considère comme des entraves aux règles du marché intérieur qui résultent des droits spéciaux de distribution de ces livrets.

À la suite de cette décision, le Gouvernement a, d’une part, confié à M. Michel Camdessus la mission d'étudier les modalités d'une réforme de la distribution du Livret A afin de se mettre en conformité avec les règles communautaires tout en préservant les missions d'intérêt général de financement du logement social et d'accessibilité bancaire, d’autre part déposé un recours contre la décision de la Commission.

Dans son rapport remis en décembre dernier, M. Camdessus souligne la nécessité, selon lui, d'une réforme d'ensemble du circuit du financement du logement social pour accompagner la généralisation de la distribution du Livret A. La vingtaine de propositions présentées forme un ensemble qui se veut cohérent : en résumé, toutes les banques seraient autorisées à distribuer le livret A, à un coût moindre pour les finances publiques car on réduirait le commissionnement des réseaux et le financement du logement social serait, dans le même temps, renforcé par le « recyclage » des économies rendues possibles par une diminution de la rémunération de ces comptes et un plus grand recours au marché.

Toutefois, ce rapport semble reposer sur un certain nombre d'hypothèses optimistes, notamment en comptant sur la mobilisation des banques pour remplir la mission de service public d'accessibilité bancaire. Bien des points demeurent donc à discuter.

M. Jean-Paul Bailly a tout d’abord souhaité décrire rapidement la situation et le fonctionnement actuel de ce dispositif.

Le livret A existe depuis 150 ans et il est détenu par 45 millions de Français, on peut donc considérer qu’il s’agit d’un produit qui n’est pas loin d’être à maturité.

Il est bien plus qu’un simple produit financier car il est porteur de deux missions de service public. La première est de soutenir et de favoriser le logement social. La seconde, qui est montée en puissance depuis les années 1960, est de participer à la lutte contre l’exclusion bancaire, un certain nombre de décisions ayant donné au livret A les caractéristiques d’un compte courant, par exemple en ouvrant la possibilité d’y verser un certain nombre de prestations et de pensions.

Des auditions étant prévues sur la première mission, le président Bailly n’a pas souhaité la commenter, se contentant d’indiquer que la Banque Postale adhérait à l’objectif de réduction des coûts de la collecte.

Quant à la mission d’accessibilité bancaire, elle est essentiellement portée, au sein de la Banque Postale, par le livret A, mais pas seulement. Parmi les missions de la Banque Postale, la loi de 2005 fait bien figurer le service au plus grand nombre, ce qui est une spécificité notable par rapport aux autres établissements bancaires. Cette mission se traduit d’abord, sur le terrain, par les caractéristiques du livret A aujourd’hui : accessibilité à tous, gratuité, fonctions importantes de dépôt et de retrait au guichet à partir de la somme très modeste de 1,50 euro, présence très répartie sur l’ensemble du territoire, capacité à traiter tous ceux qui sont dans une situation intermédiaire, comme les demandeurs d’asile en instance de régularisation. La Banque Postale compte ainsi 1,2 million de clients particulièrement vulnérables pour qui le livret A est une sorte de compte courant, la moitié des minima sociaux étant aujourd’hui versée sur ce livret.

Cette mission présente aussi la caractéristique, suffisamment rare pour être notée, d’avoir été reconnue par Bruxelles. En effet, lorsqu’en mai 2007 la Commission a demandé à la France de régler la question de la banalisation de la distribution du livret A, sa notification comportait un passage important sur la spécificité de la Banque Postale et sur la reconnaissance de la mission d’accessibilité bancaire. Cette dernière a même été chiffrée, un peu en deçà des estimations de la Banque Postale elle-même, à 428 millions d’euros.

Même si ce n’est pas dans les conditions que la Banque Postale aurait souhaitées, le rapport Camdessus fait également état de cette mission, en proposant une période de transition de cinq ans pour régler un certain nombre de problèmes qui y sont liés.

Cette mission est financée, dans le cadre du monopole actuel, par le régime des commissions sur encours. Sur 23 millions de livrets A, un peu plus de la moitié ont des encours inférieurs à 150 euros. Ils représentent à peu près la moitié des opérations, donc des coûts, mais seulement 0,7 % des encours. Cette partie n’est donc pas directement financée et elle est en fait rémunérée par les bénéfices retirés de la commission de 1,3 % sur les encours des livrets les mieux remplis. Ce sont donc les gros livrets qui financent l’accessibilité bancaire, par un mécanisme assez simple, qui n’entraîne aucune dépense budgétaire et qui est une forme de solidarité.

Dans le contexte actuel, à la demande de Bruxelles, les comptes de livret A font l’objet d’un audit qui montre que cette activité est légèrement déficitaire pour la Banque Postale : 50 millions d’euros en 2007.

Les responsables de la Banque Postale ne sont pas parvenus à faire partager à Michel Camdessus l’idée que cette mission serait durable. Pourtant, quels que soient les efforts accomplis, la société continue à générer de nouveaux exclus et il est donc probable que cette mission continuera à être exercée à la Poste, qui a une tradition d’accueil sur le territoire et vers laquelle les banques ont pris l’habitude de conseiller à leurs clients les plus fragiles de se tourner.

Le rapport Camdessus part de l’hypothèse que, dans cinq ans, tout le monde sera traité à la même enseigne, ce qui suppose que les personnes en risque d’exclusion bancaire se seront adaptées au nouveau livret  A, au prix d’un effort d’accompagnement et de pédagogie qui paraît tout bonnement impossible. Le rapport considère également que la charge de cette mission sera équitablement répartie entre toutes les banques. Or, on peut penser que ce ne sera pas le cas et qu’elle sera surtout supportée par la Banque Postale.

Par ailleurs, le rapport préconise non seulement la banalisation de la distribution mais aussi la modernisation du produit alors que la demande de Bruxelles ne porte que sur la première, avec l’objectif d’augmenter la collecte et d’en réduire le coût. Or l’amélioration de la collecte dépendra beaucoup de la stratégie des autres banques et l’on entend à ce propos bien des choses contradictoires. Le rapport propose aussi, à terme, une économie de 2 milliards d’euros : un milliard sur les taux, ce qui n’est pas le sujet de cette audition, et un milliard sur la rémunération.

La banalisation, qui fait actuellement l’objet de plusieurs recours, mettra à mal le financement de la mission d’accessibilité car la Banque Postale ne sera plus la seule à pouvoir pratiquer l’écrémage sur les gros livrets, souvent détenus par des gens qui ne sont pas clients chez elle.

Le rapport propose de financer cette mission uniquement pendant la période de transition de cinq ans. La Banque Postale, qui continuera à l’assurer très largement et très majoritairement, sera donc déstabilisée. Or elle est un acteur de la lutte contre l’exclusion bancaire, pas seulement par l’intermédiaire du livret A et l’on a donc intérêt à ce qu’elle se porte bien. Réduire le coût de la collecte empêchera donc de financer la mission d’accessibilité et il conviendrait sans doute de mener une réflexion d’ensemble sur l’exclusion salariale et bancaire.

Dès lors que la mission d’accessibilité est reconnue et que l’on exclut qu’elle soit financée par une nouvelle dépense budgétaire, il convient de s’interroger sur une évolution du mode de calcul des commissions afin qu’elles ne soient pas seulement calculées en proportion des encours mais qu’elles prennent en compte la réalité des prestations et des coûts, en particulier ceux des opérations sur les petits livrets. La Banque Postale est convaincue qu’elle est appelée à exercer durablement cette mission, ce qui ne signifie pas qu’elle s’exonère d’efforts pour en améliorer l’efficacité et pour réduire progressivement le nombre des opérations au guichet.

On peut par ailleurs s’interroger sur l’objectif de modernisation car le livret A, sous sa forme dématérialisée qui représente aujourd’hui 55 % des livrets, paraît un produit moderne, adapté à tous les publics, intégrant les nouvelles technologies. Il est donc un peu rapide de le présenter comme dépassé. La Banque Postale a d’ailleurs fait de gros efforts pour accompagner cette modernisation : 55 % des livrets sont déjà dématérialisés et elle en dématérialise 500 000 de plus chaque année, neuf nouveaux livrets sur dix étant ouverts de manière dématérialisée.

Le nouveau produit proposé ne faciliterait pas l’accessibilité bancaire et pourrait poser des problèmes aux populations les plus fragiles. Dès lors que ce dispositif serait articulé avec un compte à vue normal, il marquerait la fin de la gratuité totale. Il n’y aurait en outre pratiquement plus aucun service aux guichets alors que, y compris parmi les personnes qui disposent aujourd’hui d’une carte leur permettant d’effectuer des retraits, on en trouve un nombre important qui ont recours aux guichets. De même, le maintien du droit au compte paraîtrait dans ces conditions assez théorique. L’effort de pédagogie qui serait nécessaire pour expliquer les nouvelles caractéristiques aux populations en difficulté venant ouvrir un livret A serait extrêmement lourd et il serait impossible de le faire supporter à la seule Banque Postale. Michel Camdessus propose en outre que l’on transforme en cinq ans 23 millions de livrets A.

Ces transformations seront douloureuses pour les équilibres de la Banque Postale. Dès lors que l’on admettrait le principe de la banalisation de la distribution du livret A, il conviendrait donc de donner à la Banque Postale la possibilité d’ouvrir la gamme complète des services que ses clients sont en droit d’attendre. Néanmoins cela serait loin de compenser, en termes de montant comme de calendrier, les effets d’une banalisation sans précaution du livret A, qui représenterait rapidement un coût de 400 à 500 millions d’euros, tandis que la montée en gamme de nouveaux produits, qui ne représenterait guère que quelques dizaines de millions, nécessiterait deux années d’installation sur le réseau et de recherche d’un partenaire et trois années pour conquérir des parts de marché.

M. François Scellier a observé que la problématique de la banalisation du livret A au titre du financement du logement social, qui l’intéresse tout particulièrement en tant que rapporteur spécial du budget du logement, serait évoquée lors d’auditions ultérieures.

Pour ce qui est de l’accessibilité bancaire, cette banalisation entraînerait en effet des difficultés dans le fonctionnement général de la Banque Postale, qui joue un rôle irremplaçable à l’égard des plus fragiles. Cette mission de service public doit donc bien être financée, d’une manière ou d’une autre, le système actuel présentant l’avantage de le permettre.

Il est vrai également que le livret A est aujourd’hui un produit moderne. En tant que membre du conseil de surveillance de la Caisse d’épargne Île-de-France Nord, M. Scellier avait voulu il y a deux ou trois ans anticiper la banalisation et s’était vu opposer les problèmes que cela poserait au logement social. Il paraît en effet évident que la banalisation du livret A devrait entraîner pour la Banque Postale la possibilité d’offrir d’autres produits.

Quelle que soit sa spécificité, il ne faudrait pas que la Banque Postale soit considérée comme la banque des pauvres, ce qui présenterait des inconvénients. Réussir la banalisation supposerait donc de répartir la charge de ce service public et d’élargir la gamme des produits que la Banque Postale pourrait distribuer afin de ne pas la pénaliser.

Or on peut se demander si l’ensemble du réseau de la Poste a bien pris conscience de ce qu’ont représenté l’arrivée de la Banque Postale ainsi que l’évolution du livret A, avec la possibilité d’y déposer les prestations sociales et d’y effectuer des retraits, ce qui suppose que l’on puisse accéder au guichet. Pour cela, il faut que les bureaux de Poste soient bien implantés et suffisamment grands pour que les missions d’accueil des personnes en difficulté économique ne soient pas mal ressenties par les autres usagers, qui risqueraient de se tourner vers d’autres établissements et de conforter ainsi cette image de « banque des pauvres ».

Au total, le rapport Camdessus suscite un certain nombre d’interrogations et il semble devoir être vu surtout comme un travail préparatoire à la révolution de la banalisation.

M. Gérard Bapt a confirmé que, quand on évoque la banalisation de la distribution du Livret A, le logement social est la première occupation des élus, qui ont tendance à sous-estimer la question de l’accessibilité de certaines catégories au réseau bancaire.

Dès lors que l’on envisage un milliard d’euros d’économies sur la rémunération, ce qui paraît énorme, il serait intéressant de savoir combien a coûté cette rémunération au cours de l’année écoulée, d’autant que l’on entend dire que l’augmentation du taux, en raison de l’inflation, pourrait être moindre que ce que l’on avait envisagé. Qui plus est, la modernisation serait également compensée par une diminution du taux de rémunération. Tout ceci est inquiétant.

M. François Scellier a eu raison par ailleurs d’insister sur l’exiguïté de certains locaux : lorsque les gens sont obligés d’attendre sur le trottoir, comme lui-même a pu le voir, le risque est grand qu’ils se tournent rapidement vers les banques…

M. François Brottes, usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des Commissions dont ils ne sont pas membres, a rappelé qu’il était, en tant que membre de la commission des Affaires économiques, co-rapporteur, avec Jean Proriol, du suivi de la mise en œuvre de la loi sur la régulation postale. À l’occasion du débat sur ce texte, un certain nombre de députés avait déjà souligné les effets probables de la banalisation annoncée du livret A.

C’est une question extrêmement grave car aucune mission de service public n’est véritablement reconnue à la Banque Postale en ce qui concerne les services financiers. Dès lors qu’elle ne s’appuie sur aucun dispositif législatif, aucun financement ne viendra jamais la soutenir.

Le rapport Camdessus n’envisage pas toutes les possibilités d’appréhender ce dossier. On ne saurait en effet l’analyser sous le seul angle du logement social, pour important qu’il soit. Il convient bien évidemment aussi de s’intéresser à la Poste et aux conséquences sur son fonctionnement. L’étanchéité qui existe désormais entre ses différents métiers, l’obligation de subir la concurrence dans chacun d’entre eux la mettent dans une situation extrêmement tendue et aucune marge de manœuvre ne permet désormais d’envisager que l’on finance l’accessibilité par autre chose que le livret A.

On peut aussi se poser la question de l’accessibilité. La péréquation naturelle actuelle entre les gros et les petits clients est appelée à disparaître en raison de la fuite des gros clients vers les organismes bancaires, sans qu’on dispose pour autant d’un projet de substitution au livret A pour financer cette accessibilité.

On peut donc envisager la banalisation sous l’angle de la libre concurrence sur le marché : dès lors que l’on a fait le choix regrettable de banaliser la Banque Postale, on peut comprendre que les autres établissements bancaires exigent les mêmes droits quant à la distribution d’un certain nombre de produits. Certes, la Poste pourra mettre en œuvre un fonds de compensation au service de ses missions d’intérêt général, mais il ne concernera que les missions qui relèvent du courrier et non les services financiers. Il ne permettra donc pas de rétribuer la mission d’accessibilité, qui concerne des centaines de milliers de familles, lesquelles ne se tourneront pas vers les autres organismes bancaires. On va donc se trouver face à des difficultés sociales majeures d’autant que, si l’on n’anticipe pas, La Poste ne sera toujours pas en mesure de supporter cette charge au bout de cinq ans.

En la matière, il est assez difficile de comprendre la position du Gouvernement car, si des recours ont été déposés contre la banalisation complète, le Premier ministre a pour sa part indiqué clairement qu’il y était, lui, très favorable, afin de réduire le coût de la collecte et du commissionnement.

M. Michel Bouvard a rappelé que les parlementaires avaient pour mission de veiller à ce que la réforme à venir ne déstabilise pas La Poste au moment où elle est confrontée à des réformes nécessaires et à une concurrence accrue.

L’incidence de la banalisation est à l’évidence plus forte pour La Poste que pour les autres réseaux de distribution, Caisses d’épargne et Crédit mutuel, en raison d’une part de son rôle dans la bancarisation de publics en difficulté, d’autre part de la fidélisation par l’intermédiaire du livret A d’un public jeune qui peut ensuite être amené à ouvrir un compte à la Banque Postale, enfin du risque d’évasion des titulaires de livrets A qui n’ont pas de compte à la Banque Postale. Il est illusoire de penser qu’interviendra en cinq ans une bancarisation des publics en difficulté auprès de l’ensemble des établissements bancaires. Il conviendra donc d’apporter des sécurités, au travers de péréquations ou de limites à la capacité de la Banque Postale à absorber des réformes.

Bien évidemment, plus rien ne doit contraindre la Banque Postale dans sa capacité à accéder à l’ensemble des produits de marché nécessaires à son implantation. Dès lors qu’une première étape a été franchie, on ne pourra pas rester indéfiniment dans cette situation bancale.

Le Président de la République s’est prononcé sur l’ouverture à la concurrence que souhaitait la Commission européenne. Il n’est pas possible de retirer un recours et même si celui de l’État n’était finalement pas jugé, le président de La Poste et d’autres acteurs pourraient maintenir le leur.

M. Jean Launay a considéré à son tour que la question de l’exclusion restera importante et que les difficultés d’accès bancaire n’auront pas disparu après un délai de cinq ans.

L’acceptation de la demande de banalisation a pour corollaire l’ouverture de la gamme des produits proposés par la Banque Postale. Il serait donc intéressant de savoir où en est aujourd’hui cette dernière dans la recherche de partenaires, en particulier pour les produits d’assurance et les crédits à la consommation.

M. Dominique Baert a vu, derrière la banalisation, le risque d’écrémage, de spécialisation des établissements bancaires et au total de paupérisation du plus jeune d’entre eux, la Banque Postale.

Cette décision à venir est porteuse d’importants déséquilibres. Ainsi, les caisses d’épargne ne seront pas touchées par la même onde de choc. Pour autant, elles auraient tort de ne pas prendre en considération leur propre situation financière et elles semblent faire preuve d’un optimisme excessif.

Ce qui est aujourd’hui menacé, sans qu’aucun mécanisme de substitution ne soit envisagé, c’est un instrument qui lutte contre une exclusion bancaire et financière de plus en plus importante.

Dans le contexte actuel, sans doute serait-il utile que le président Bailly rappelât quelles sont les relations entre La Poste et la Caisse des dépôts et consignations, s’agissant de la gestion des fonds et des rémunérations.

Par ailleurs, face à ces nouveaux défis et à une redistribution des cartes, il ne faudrait pas que la Banque Postale puisse être attaquée sans avoir la possibilité de se défendre. Il serait donc intéressant de savoir quelles autorisations lui ont déjà été données quant à la distribution d’autres produits comme les crédits à la consommation et les assurances. Qu’en est-il également de sa participation à la diffusion du micro-crédit.

M. Jean-Paul Bailly a souligné que La Poste avait engagé un programme ambitieux pour progresser significativement, dans les 1 000 bureaux qui posent le plus de problèmes, dans les domaines de l’accessibilité, de la gestion des flux et l’implantation d’automates pour les opérations les plus simples, ne nécessitant pas de valeur ajoutée au guichet.

Il s’agit en effet d’éviter l’éviction des clients à fort potentiel, qui risquerait de faire davantage encore de la Banque Postale la banque du pauvre. La Banque Postale fait donc des efforts équilibrés pour essayer de satisfaire la totalité de ses clients actuels ainsi que sa clientèle potentielle qui est estimée à 600 000 personnes. Tout est fait, dans le développement de la gamme, des services et du partenariat, pour contenter l’ensemble de la clientèle, d’autant que faire de la Banque Postale une banque exclusivement sociale constituerait en fait une nouvelle forme d’exclusion. Bien évidemment, tout ceci n’est en rien contradictoire avec la spécificité de la Banque Postale en matière d’accessibilité.

M. Patrick Werner a ajouté que, s’il n’était pas souhaitable qu’un établissement se spécialise dans ce rôle de banque des pauvres, alourdir la charge de la Banque Postale et de l’ensemble du réseau de La Poste dans ce domaine n’était en outre pas possible au plan opérationnel : il suffit pour s’en convaincre de voir les queues dans de nombreux bureaux de poste, en début de mois, au moment du versement d’un certain nombre de prestations. L’effet d’éviction qui en résulterait mettrait en danger l’existence même de la Banque Postale, donc de l’outil de lutte contre l’exclusion bancaire. C’est pourquoi la Banque Postale essaie d’être effectivement une banque pour tous.

C’est le rapport de Michel Camdessus qui fait référence aux 2 milliards d’économies. Dans la mesure où il y a un peu plus de 115 milliards d’euros d’encours, avec un taux d’intérêt de 3 %, le montant total des intérêts versés aux clients est d’environ 3,4 milliards. La Banque Postale ayant en dépôt 50 milliards de l’encours total, 1,5 milliard d’euros d’intérêts va vers ses clients.

Avec une commission de 1,3 % sur l’encours, la Banque Postale a touché en 2007 environ 650 millions d’euros pour un coût d’environ 700 millions ; on retrouve là les 50 millions d’euros de déficit évoqués par le président Bailly. Sur ces 700 millions, la Commission européenne a reconnu 430 millions de coûts d’accessibilité alors que la Banque Postale table plutôt sur 500 à 550 millions. L’essentiel des coûts de gestion du livret A est donc lié à l’accessibilité. Dans ces conditions, dès lors que Michel Camdessus considère que la question de l’accessibilité sera réglée dans cinq ans, il lui est facile de proposer 500 à 550 millions d’économies sur le dos de la Banque Postale, quand bien même cette dernière sera obligée de continuer à supporter le poids de l’accessibilité puisque l’exclusion se perpétuera. Ce hiatus économique inquiète fortement les dirigeants de La Poste, qui espèrent vivement que les discussions permettront de progresser sur la manière dont seront mises en œuvre les décisions du gouvernement.

Dans ces conditions, l’élargissement de la gamme est devenu absolument crucial et l’on peut même regretter, s’il fallait vraiment banaliser la distribution du Livret A, que ce mouvement n’ait pas été engagé plus tôt. Il y a en effet un décalage entre les effets de la banalisation du Livret A, qui seront pratiquement immédiats, et le temps nécessaire pour que la Banque Postale se prépare à mettre en marché de nouveaux produits.

Le 19 novembre 2007, elle a reçu le feu vert du Gouvernement pour le crédit à la consommation. Elle a commencé à sélectionner un partenaire, ce qui lui est indispensable pour gagner du temps. Au total, deux années lui seront cependant nécessaires. Il faut rappeler que le Crédit agricole a mis trois ans, dans le marché beaucoup plus simple de la fin des années 80, et avec des moyens sans commune mesure avec ceux de la Banque Postale, pour mettre l’assurance IARD – incendie, accidents, risques divers – sur le marché.

Si la loi de 1990 a autorisé La Poste à faire toute forme d’assurance, l’État a ensuite considéré qu’il ne fallait pas s’engager dans cette voie et la Banque Postale attend aujourd’hui son feu vert pour l’assurance dommages avec une grande impatience car elle est prête techniquement à engager le processus, là aussi en partenariat puisqu’elle ne dispose pas du savoir-faire nécessaire.

Elle a reçu au mois de mai dernier le feu vert pour le micro-crédit social et elle tisse actuellement les relations indispensables avec le monde associatif. Il s’agit d’accords locaux dont les premiers ont été passés dans la région Poitou-Charentes. Ce n’est sans doute pas cela qui va bouleverser l’économie de la Banque Postale, mais il était important d’engager ce mouvement car elle est un acteur légitime dans ce domaine.

Ses relations avec la Caisse des dépôts sont très approfondies. Il faut toutefois rappeler que le bilan du livret A ne passe pas par celui de la Banque Postale mais par celui de la Caisse nationale d’épargne, objet juridique indéterminé dont l’existence remonte à 1881. Pour autant, c’est bien la Banque Postale qui effectue tout le travail de réseau.

Sur le livret A, la vision de la Banque Postale est en phase avec celle de la Caisse des dépôts. Le réglage économique entre d’une part les intérêts du logement social, d’autre part ceux de la Banque, qui doit couvrir ses charges de réseau collecteur est la seule question en suspens entre les deux institutions, mais elle ne pèse nullement sur leurs relations.

Elles collaborent également au sein de la Caisse nationale de prévoyance, dont la Caisse des dépôts est le premier actionnaire, tandis que la holding Banque Postale – Caisses d’épargne détient 36 % du capital.

Des discussions sont également en cours sur les majeurs sous tutelle, ainsi que sur certains sujets bancaires, la Caisse des dépôts ayant une activité bancaire spécifique mais sans être membre de la Fédération bancaire française ni disposer d’un volume d’activité lui permettant de développer des systèmes de gestion coûteux.

Le Président Didier Migaud, après avoir souligné l’intérêt de suivre l’évolution des recours qui ont été déposés, a remercié les participants à cette audition.

——fpfp——