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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mardi 20 février 2008

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 64

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, et de M. Gérard Rameix, secrétaire général de l’AMF sur les dispositifs de contrôle bancaire et sur la régulation des systèmes financiers

Le Président Didier Migaud a accueilli M. Michel Prada, Président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), et M. Gérard Rameix, secrétaire général de l’AMF. Puis il rappelle que M. Prada participe aux travaux du Forum de stabilité financière – instance commune de concertation et de coordination des représentants des pays du G7 et de toutes les instances ayant à connaître de la stabilité financière – et préside l’un de ses comités spécialisés à vocation prudentielle : l’organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), qui intervient en matière de normalisation des règles de surveillance des marchés.

À l’occasion d’une audition précédente, en octobre 2007, M. Prada avait estimé que la crise financière apparue durant l’été 2007 aux États-Unis était d’un type nouveau puisqu’elle résultait, d’une part, d’un vaste mouvement de désintermédiation intervenu dans un contexte de très forte liquidité, de faible aversion pour le risque et de taux d’intérêt relativement bas, et, d’autre part, d’une très grande innovation en matière de produits financiers. La désintermédiation pose le problème de la transparence financière. M. Prada avait également relevé la grande difficulté à mesurer le risque inhérent à des produits structurés et, en conséquence, la nécessité d’engager une réflexion sur l’élaboration des notations par les agences. Enfin, à propos de la responsabilité des régulateurs dans la diffusion de l’information sur les risques, M. Prada avait indiqué que les régulateurs naviguent entre deux écueils : être peu entendus, l’avertissement restant alors sans effet, ou être mal entendus, avec le risque d’un impact disproportionné de la communication.

Toujours est-il que la crise perdure, qu’elle s’est même quelque peu amplifiée et que ses effets sur l’économie réelle sont avérés. La commission des Finances s’intéresse aux difficultés que traverse la Société générale. Les pertes consécutives à la crise des subprimes illustrent l’importance de la crise ; celles imputables aux opérations d’un trader ne sont pas sans lien avec la complexité de marchés pas toujours sous contrôle. Toutefois, les travaux de la Commission ne se focalisent pas sur la Société générale. Elle poursuit sa réflexion engagée dès octobre 2007 afin de mieux comprendre cette crise, de mieux en cerner les causes, les effets et les remèdes possibles. À cet égard, la question des mécanismes de contrôle internes et externes est cruciale.

La Cour des comptes recommande que le président de l’AMF siège à la Commission bancaire. Serait-ce opportun ? Comment l’AMF apprécie-t-elle les défaillances des contrôles internes ? Comment faire pour rendre ces derniers plus efficaces ? Comment l’AMF peut-elle contribuer à la réflexion sur l’amélioration des contrôles externes, au plan français comme au plan européen et au plan mondial ? Sur quelles perspectives de réformes l’AMF travaille-t-elle ?

M. Michel Prada a souligné que, dans l’affaire de la Société générale, l’AMF a aujourd’hui deux actions : conduire une enquête afin de vérifier les conditions dans lesquelles la banque a dispensé les informations financières au cours de la période précédant les événements ; examiner si des manquements d’initiés ont pu se produire. C’est le secrétaire général qui est chargé d’ouvrir et de superviser ce type d’enquêtes. L’opération sera assez longue car les sujets sont complexes. L’AMF est également engagée dans le suivi du déroulement de l’opération d’augmentation de capital, qui démarre le 21 février. Quant aux problèmes plus techniques d’organisation des contrôles et de vérification des conditions dans lesquelles cet accident gravissime s’est produit, ils relèvent plutôt de la compétence de la Commission bancaire.

La crise des subprimes n’est malheureusement pas terminée.

Au plan domestique, l’intervention de l’AMF a été limitée par le tour pris par la crise. Au départ, il s’agissait d’une crise de la titrisation, qui aurait par conséquent pu frapper le monde des investisseurs actifs sur les produits titrisés, mais, au cours de l’hiver, elle s’est progressivement transformée en une crise de liquidité et en une crise bancaire. Au début de la crise, l’AMF s’est interrogée sur la manière dont il conviendrait de surveiller les opérations si devaient se développer des problèmes de valorisation des fonds ou de demandes de rachats massifs dans le secteur de la gestion d’actifs pour compte de tiers dont elle a la charge. L’AMF a alors été amenée à traiter avec trois établissements, et deux principes très clairs ont été posés : les sociétés de gestion doivent prendre leurs responsabilités, en fonction de l’intérêt exclusif de leurs clients ; les sociétés de gestion doivent garantir l’égalité de traitement entre leurs clients.

Puis, les grands opérateurs ont repris les risques dans leurs livres, soit pour soutenir les conduits ou les Structured Investments Vehicles – SIV – qui constituaient les vecteurs d’opérations de titrisation qu’ils avaient eux-mêmes conduites, soit dans une optique réputationnelle, pour protéger leur « marque ». La crise est donc devenue bancaire. Les banques centrales sont intervenues de la manière la plus déterminante en fournissant des liquidités, alors que le marché était gelé, en raison de la perte de confiance des opérateurs et surtout de la volonté des banques de conserver leurs liquidités en vue de faire face à leurs obligations. Les superviseurs bancaires regardent dorénavant de très près les conditions dans lesquelles les banques font face à ces risques et les provisionnent.

L’AMF est très attentive à cette question, compte tenu de sa mission, qui consiste non pas à surveiller les banques mais à surveiller la qualité de l’information financière donnée au marché. Il lui incombe de déterminer si les établissements financiers cotés sont transparents sur leurs risques et les provisions correspondantes. Les règles applicables en la matière sont extrêmement précises. Le régulateur bancaire exerce sa mission en temps réel. L’AMF s’appuie sur les prises de responsabilité des établissements et sur le rôle du régulateur bancaire, mais cela ne signifie pas qu’elle se dispense d’examiner la façon dont l’information est délivrée : les banques cotées, qui font appel public à l’épargne, doivent donner au marché des informations ponctuelles et claires.

La difficulté de l’exercice tient à la complexité des conditions de valorisation des instruments. Avec des instruments simples, il peut être relativement aisé de mesurer ab initio le volume de provisionnement à mettre en œuvre. Avec des instruments complexes, la valorisation évolue dans le temps. C’est ainsi que, en cas de crise, des établissements bancaires, trimestre après trimestre, peuvent être conduits à prendre des décisions successives en fonction de l’évolution du marché. L’AMF examine cela de très près ; les banques savent qu’elle le fera, le moment venu, de manière plus précise encore et elles doivent faire preuve de la plus grande vigilance. En outre, indépendamment du phénomène du temps qui passe, les problèmes de doctrine ne sont pas simples puisqu’il est possible de retenir trois valeurs différentes : la valeur du marché lorsque celui-ci est actif, la valeur de modèle et la valeur « à la casse », qui peut tomber extrêmement bas, lorsque l’on est obligé de vendre. L’arbitrage entre ces trois valeurs est un sujet qui n’est pas simple, sur lequel toutes les autorités travaillent en étroite connexion avec les représentants de l’industrie financière et les commissaires aux comptes.

Au plan international, la réflexion a été plus intense à l’échelle mondiale qu’à l’échelle européenne. Le Forum de stabilité financière qui, d’une certaine façon, joue le rôle de secrétariat général du G7 et de chef d’orchestre des grands organismes de régulation, distribue le travail. Deux grandes séries de travaux sont en cours : ceux concernant les régulateurs bancaires, relatifs à la pertinence des accords de Bâle II, par lesquels le dispositif prudentiel applicable aux banques a été rénové ; ceux concernant les régulateurs de marché. Sur ce second point, l’AMF réfléchit à quatre sujets.

Le premier est celui de la transparence. Une partie des difficultés rencontrées sur les marchés au cours des derniers mois provient de l’extrême complexité des produits et de l’insuffisante information dont on disposait quant à la nature de ces produits, leurs détenteurs et les conditions dans lesquelles ils étaient négociés. Il y a eu une grande méconnaissance de ce qui est survenu, à la limite du secteur régulé de la banque et du secteur traditionnel des marchés réglementés : il faut, dans cette zone, accroître la transparence pour les investisseurs, qui, ne disposant pas d’outils suffisants, ont pris le risque de s’appuyer sur les seuls avis des agences de rating.

Le deuxième sujet est celui des techniques de gestion des risques qui sont mises en œuvre par les investisseurs et de leur capacité à mieux mesurer les risques.

Le troisième sujet est de nature comptable : on a été surpris de constater, après l’affaire Enron, la facilité avec laquelle il a été possible de mettre hors bilan des masses considérables. Les règles comptables actuelles sont à préciser.

Quatrièmement, les agences de rating ont été défaillantes. Même si elles ne doivent pas être prises comme boucs émissaires, elles portent indiscutablement une part de responsabilité. L’OICV dispose d’une task force qui travaille depuis 2003 sur le thème des agences, pour essayer de leur faire appliquer un nouveau code de conduite. Celui édicté en 2003 concernait la notation classique des agences, celle portant sur les entreprises, la notation corporate. À l’époque, il n’avait pas été prévu de traiter la notation des produits structurés, qui s’est développée par la suite. L’AMF a été probablement l’un des premiers organismes à identifier le problème, dès 2006, et ses analyses, publiées en 2007, restent parmi les plus achevées sur le sujet.

Il convient de se pencher sur les principales défaillances auxquelles les marchés ont été confrontés. Il s’agit de problèmes de méthodologie et de signification de la notation. Les agences se défendent d’avoir délivré des notes sur la volatilité et la liquidité des produits ; mais c’est malheureusement ce que les investisseurs avaient compris. Les agences se focalisent sur les probabilités de remboursement au terme, sans s’intéresser à la volatilité ni à des événements exceptionnels. Elles s’intéressent à des moyennes et pas aux distributions, et notamment pas aux situations de « stress ». En outre, des conflits d’intérêt peuvent exister car les agences et les émetteurs de produits entretiennent des relations commerciales étroites, différentes de celles qui existent en matière de notation corporate.

D’autres sujets délicats tiennent au fait que le champ de la régulation n’est pas identique dans tous les pays. Ainsi, aux États-Unis, certaines activités financières échappent à la régulation ou font l’objet d’une régulation très superficielle, ce qui peut provoquer des déséquilibres beaucoup plus importants que prévus. C’est ce qui s’est passé avec les subprimes, qui constituaient à l’origine un segment très modeste du financement hypothécaire américain, avant de devenir rapidement l’objet de spéculations contaminant l’ensemble du système.

L’OICV envisage de délivrer ses travaux dans le courant du semestre. Le Forum de la stabilité financière compte faire son rapport au G7 lors de sa réunion d’avril 2008, qui se tiendra à Washington. Des chantiers dureront plus longtemps, notamment ceux du comité de Bâle II.

En ce qui concerne la situation française, depuis le début de la crise, la coopération entre le régulateur bancaire et le régulateur de marché a été excellente. Ces sujets sont extraordinairement compliqués et les conclusions ne doivent pas être tirées trop hâtivement. Cette première grande crise de la titrisation ne signifie pas que la titrisation est intrinsèquement condamnable. Elle établit un pont entre un système économique essentiellement intermédié et un système économique essentiellement de marché. Elle présente de grands mérites pour optimiser la gestion des établissements financiers, répartir les risques et élargir la base des fonds propres à partir desquels financer une économie, mais cela suppose la mise en place d’outils de connaissance et de contrôle, tout au long de la chaîne.

À la question de savoir s’il est préférable que la régulation financière soit le fait d’organismes totalement intégrés, comme en Grande-Bretagne, avec le Financial Services Authority, ou de régulateurs centrés sur des missions plus particulières, M. Michel Prada se prononce résolument en faveur de la seconde option, pour deux raisons principales. Premièrement, la régulation prudentielle des intermédiaires est un métier spécifique qui ne s’étend pas à l’ensemble du marché et de ses opérateurs. Deuxièmement, l’un des mérites du système français est d’organiser aussi bien à l’AMF que chez les superviseurs bancaires ou assurantiels, la collégialité, c’est-à-dire la prise de décision par des personnalités indépendantes apportant des expertises diverses. Dans un marché de taille importante, ce dispositif ne pourrait pas fonctionner s’il concernait tous les secteurs. Les événements récents confortent plutôt le bien-fondé du dispositif français.

Au niveau européen, le problème qui se pose actuellement est celui de la mise à niveau du dispositif en vigueur par rapport à la situation après réalisation du plan d’action des services financiers. Les régulateurs européens ont pris l’initiative en 1997 de s’organiser en club très tôt. Ils étaient donc un peu en avance sur le processus législatif d’intégration conduit par la Commission européenne. Ils ont même pu se mettre au service de ce dispositif en se transformant en Comité européen des régulateurs de marché de valeurs mobilières CERVM et en devenant le principal conseiller de la Commission européenne sur ce sujet. La Commission européenne, avec le Parlement et le Conseil, en trois ou quatre ans seulement, a construit un système législatif harmonisé. Mais le CERVM est au même stade qu’au début du processus : c’est une association loi de 1901 dépourvue de pouvoir à proprement parler, de place juridique dans les institutions européennes. Il est souhaitable qu’il devienne la tête de réseau des régulateurs européens, capable de leur donner des standards communs, de vérifier qu’ils les appliquent de la même manière, d’améliorer leur coopération, de leur fournir des services d’intérêt commun, bref, de constituer la holding du réseau de régulateurs. Cela passe par un renforcement significatif du rôle de ce « comité de niveau 3 », pour reprendre la formule d’Alexandre Lamfalussy. Toutefois, un certain nombre de partenaires de la France n’ont pas la même vision. Il reviendra à la présidence française, au second semestre 2008, d’être le vecteur de nouveaux progrès dans ce domaine.

Le Président Didier Migaud a réitéré sa question sur l’utilité de faire siéger le président de l’AMF à la Commission bancaire.

M. Michel Prada s’est déclaré très favorable au principe d’une représentation croisée. Le gouverneur de la Banque de France est représenté au collège de l’AMF et le président de l’AMF siège au Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissements
– CECEI –. Toutefois, la Commission bancaire a une fonction de sanction à côté d’une fonction de réglementation, de surveillance et de normalisation. Une coopération plus étroite entre l’AMF et la Commission bancaire sur ce second aspect pourrait être envisagée mais, s’agissant de la fonction répressive, cela semble moins évident. Les modalités pratiques d’une telle représentation croisée appellent donc une analyse plus fine.

À propos de la Société générale, M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s’est étonné qu’un seul trader ait pu exposer 50 milliards d’euros sur les marchés. Comment se fait-il qu’un tel montage de couvertures fictives ne laisse pas de trace repérable par les autorités de marché ?

Dans les trois jours au cours desquels les positions de la Société générale ont été débouclées, jusqu’à quel point l’AMF a-t-elle été informée de la situation ?

Lors d’une audition précédente, en octobre, la commission avait recueilli des déclarations rassurantes sur l’issue de la crise, émanant en particulier de M. Prada.

Aujourd’hui, les établissements financiers ont-ils, non pas seulement une évaluation, mais une connaissance de l’ensemble des risques qu’ils portent au travers des chaînes complexes de produits structurés et de titrisation ?

Enfin, l’AMF doit protéger les investisseurs les plus vulnérables. Les deux régulateurs sont complètement imbriqués et se doivent de coordonner leur travail. Quels sont les moyens d’une meilleure coopération ?

Le Président Didier Migaud a estimé qu’il conviendrait de prévoir un dispositif d’alerte obligatoire des autorités de régulation lorsqu’une banque ou un opérateur décèle des comportements anormaux.

M. Michel Prada a considéré que la commission bancaire serait mieux à même de répondre sur la question de l’efficacité des contrôles mis en œuvre à la Société générale. Il rappelle que ces opérations ont été effectuées pour l’essentiel sur deux marchés réglementés étrangers : Eurex, à Francfort pour 80 %, et Liffe, à Londres pour le reste. Au cours de la période, l’AMF n’a jamais été informée d’une difficulté sur l’un ou l’autre de ces deux marchés. Lorsque les événements se sont déroulés, des contacts ont été pris avec l’autorité de régulation allemande, la BaFin, et il en ressort qu’aucune mise en cause particulière n’a été signalée, même si Eurex, courant novembre, a, semble-t-il, interrogé la Société générale sur une transaction. Il ne faut pas se focaliser sur les volumes notionnels car, compte tenu du fonctionnement même de ces marchés, les montants exposés peuvent être considérables. Les enjeux du marché portent sur les différences.

Ce n’est donc pas une anomalie en soi que la Société générale ait pris des positions pour des montants aussi importants sur des dérivés d’Eurex ou du Liffe. Ce qui est grave c’est que ces positions, en l’absence de toute couverture, aient entraîné une exposition considérable et purement spéculative. Mais, pour l’avenir, il importe sans doute de réfléchir à nouveau aux modalités de communication de l’information avec les entreprises de marché et les régulateurs étrangers.

En tout cas, sur la période incriminée, les entreprises de marché concernées n’ont pas fait part à l’AMF de comportements anormaux. L’enquête déterminera si des informations lui ont échappé.

Le secrétaire général et le président de l’AMF ont été informés le dimanche dans l’après-midi, c’est-à-dire en même temps que le gouverneur de la Banque de France, de la découverte par la Société générale d’une position importante qui la conduirait à ne pas communiquer comme prévu, le lundi matin, à propos du provisionnement des subprimes. L’AMF a alors décidé sans aucune hésitation d’appliquer la règle prévue dans la directive « abus de marché » comme dans le règlement général de l’AMF, permettant à un émetteur, pour des raisons stratégiques, de différer la publication d’une information, dès lors qu’il en conserve le secret absolu, qu’il prend les mesures adéquates pour faire face à ses difficultés et qu’il se conforme aux règles de marché.

Au départ, l’AMF connaissait l’importance de la position mais non l’issue de l’opération, qui s’est déroulée sur trois jours. Il incombait alors à la Société générale, d’une part, de déboucler ses positions dans le respect des règles et, d’autre part, de gérer son opération d’augmentation de capital avec ses contreparties. Entre le dimanche soir et le jeudi matin, dans des circonstances de crise aussi graves, les choses se sont passées aussi bien que possible ; si la situation avait été gérée différemment, elle aurait pu avoir un impact systémique majeur. À l’AMF, deux personnes ont porté le secret. La relation de l’AMF avec le régulateur bancaire, la Banque de France, a été optimale.

M. Michel Prada croit se souvenir avoir déclaré, lors de son audition d’octobre 2007, que les banques françaises étaient robustes et plutôt moins exposées à ce type de risques que les autres grandes banques des pays développés, ce qui se confirme au vu des provisionnements annoncés par les établissements financiers. En octobre, on pouvait estimer que la crise se cantonnerait aux subprimes ; l’ensemble du dispositif a malheureusement été contaminé. Les autorités de marché sont généralement prudentes dans leurs annonces et s’efforcent de gérer les problèmes au fur et à mesure de leur apparition. Aujourd’hui, il existe de nouveaux risques. Le premier est celui des monolines, institutions d’assurances américaines, régulées par les autorités américaines, dotées de fonds propres relativement limités et qui ont la capacité de rehausser la valeur des produits notés par les agences de rating. Le risque existe.

Celles qui sont bien capitalisées tiennent le coup. Il faut savoir que ces établissements assurent deux types de papiers : des papiers municipaux, réputés de qualité correcte, et des papiers de titrisation quelconques, dont la qualité est sans doute inégale. D’après les Échos, les trois grands monolines – ou rehausseurs – représenteraient 2 400 milliards de municipal bonds et 2 000 milliards de produits titrisés. La période est donc extrêmement sensible et dangereuse, à tel point qu’il est difficile de porter un jugement serein. Il ne faut cependant pas non plus ajouter à l’inquiétude. Les banquiers centraux ont réagi avec vigueur et rapidité pour apporter aux marchés les liquidités nécessaires et ils semblent déterminés à poursuivre dans cette voie.

Par ailleurs, l’économie mondiale présente des éléments de robustesse. Les marchés d’actions ont décoté mais résistent. Hormis le secteur financier, les entreprises obtiennent des résultats remarquables et se désendettent. La croissance reste soutenue dans les pays de l’Est et en Asie. Cela dit, l’AMF n’a pas une connaissance exhaustive des risques qui restent liés aux évolutions des performances de l’économie et au succès des mesures de redressement prises par les autorités américaines et européennes. Il est urgent d’améliorer le système de connaissance, ce que les Américains ont commencé à le faire avec le warehouse, l’entrepôt, construit par la Federal Reserve (Fed) et le Depository Trust & Clearing Corporation
– DTCC – pour enregistrer les dérivés. Les Européens devraient prendre des initiatives de même nature, sans oublier la summa divisio, entre les marchés réglementés d’une part, bien connus et surveillés, et l’énorme marché Over The Counter – OTC –, de gré à gré, entre opérateurs professionnels, qui appelle sans doute une implication plus forte des régulateurs.

Quant à la coopération entre régulateurs, elle constitue un sujet délicat. La posture du régulateur prudentiel, qui pose les règles de fond, est différente de celle du régulateur de marché, qui a vocation à garantir la transmission la plus rapide possible de l’information au marché. Les conditions dans lesquelles le premier et le second travaillent sont complexes. Cette difficulté peut être réglée en fusionnant les deux organismes, mais elle réapparaît alors en interne – c’est le cas à la BaFin ou à la Financial Services Authority – FSA – anglaise, dont une partie du personnel s’occupe du prudentiel et l’autre partie de l’information. Le maintien d’une régulation prudentielle et d’une régulation de marché distinctes est souhaitable mais leur coopération doit alors être très étroite. Ensuite, il n’existe pas de solution technique toute faite : c’est aux hommes d’assumer leurs responsabilités face aux situations de crise. Quoi qu’il en soit, la représentation institutionnelle réciproque et la coopération technique sont hautement souhaitables.

En ce qui concerne les dispositifs d’alerte, la réglementation prévoit d’ores et déjà que les entreprises de marché doivent prévenir les autorités lorsque survient un tel événement. Les dispositifs réglementaires doivent être revisités mais ils s’avèrent relativement opérationnels. La principale difficulté, c’est que les opérateurs eux-mêmes peuvent avoir des doutes sur la gravité d’une situation. Face au nombre considérable de transactions, il peut leur arriver de ne pas saisir qu’une information sur telle ou telle opération serait utile aux régulateurs et mériterait de leur être communiquée. L’AMF est très bien informée de ce qui se passe, en France, sur le marché réglementé. Elle travaille pratiquement en temps réel et identifie des anomalies grâce à des algorithmes complexes, suscitant des enquêtes diligentées par le secrétaire général. L’information de l’AMF sur les autres marchés est assez faible – alors que leur mise en réseau va sans doute se développer avec l’entrée en vigueur de la directive sur les services d’investissements –.

M. Jean-Pierre Balligand a estimé que la commission des Finances se doit de réfléchir à l’évolution du métier bancaire, qui s’est profondément transformé. Il y a quinze ans, le risque était porté par les banques ; avec la titrisation, il a été externalisé et dispersé dans des filiales non bancarisées. La crise est d’abord du ressort des autorités bancaires, mais a affecté aussi les marchés. Des décisions doivent absolument être prises au niveau national, au niveau européen et au niveau international. Il a rappelé que les prises de position des économistes Michel Aglietta et Henri Bourguinat au cours de l’audition du mois d’octobre se sont révélées très pertinentes. La crise bancaire, qui cache une vraie crise du crédit, ne s’est pas arrêtée, à l’instar du nuage de Tchernobyl, aux frontières de la France. Lorsque les banques centrales injectent 400 milliards de dollars de liquidités, la crise est évidente.

Quelle est désormais l’ampleur réelle du phénomène, qui pourrait concerner, au-delà des subprimes, les crédits à la consommation et les cartes de crédit ? Les régulateurs n’ont-ils pas pour rôle d’alerter sur les risques, de les identifier et de sécuriser les marchés ?

Avec la généralisation de la titrisation et la sophistication des produits, n’est-il pas nécessaire de mettre sur pied un vrai dispositif de régulation, voire de mutualisation ? À quel niveau ?

Enfin, L’AMF a-t-elle été alertée par Eurex, concernant les prises de position de la Société générale ?

M. Michel Prada a répondu que l’AMF a appris que l’Eurex, courant novembre, avait posé une question à la Société générale, sans que son comportement appelle d’observations particulières de la part de la BaFin. L’enquête reviendra sur ce qui a conduit Eurex à poser cette question et les conditions dans lesquelles la réponse de la Société générale a été élaborée.

M. Gérard Rameix a confirmé que le débouclage des 50 milliards d’euros de positions notionnelles n’a pas suscité d’inquiétudes chez les régulateurs des deux marchés concernés, Liffe et Eurex : durant ces trois jours, la Société générale semble être intervenue de façon très professionnelle.

L’AMF a appris, fin janvier, que le service de surveillance d’Eurex, en octobre et en novembre, avait écrit directement à la Société générale. Ni la BaFin ni l’AMF n’ont été mises au courant. L’expertise de ces échanges, entre la cellule spécialisée de surveillance du marché Eurex et le service de conformité de la Société générale, relève de la compétence de la Commission bancaire. En tout cas, deux courriers ont été échangés. Il semble que, même si le comportement du trader a été pointé du doigt, les réponses qu’il a pu donner à son propre service de contrôle ont été jugées satisfaisantes. Cela montrerait que la lisibilité des activités d’un trader peut être brouillée par sa simulation, qui aurait déjoué les moyens de contrôle disponibles.

M. Louis Giscard d’Estaing a demandé si l’AMF aurait pu identifier le problème dans l’hypothèse où les 50 milliards d’euros de volumes notionnels avaient été engagés non pas sur les marchés allemand et britannique mais sur le marché français.

Serait-il concevable de mettre sur pied un système de traçabilité des produits financiers structurés, afin de mesurer la part adossée à des crédits à risques de type subprimes ?

En réponse aux différentes questions, M. Michel Prada a jugé parfaitement juste l’analyse de Michel Aglietta et Henri Bourguinat, de leur point de vue de macroéconomistes. Il est néanmoins extrêmement délicat pour les régulateurs de se prononcer, au fur et à mesure que les événements se produisent, sur le bien-fondé des évolutions économiques résultant des stratégies des États et des entreprises. Ces dernières années, les échanges mondiaux se sont profondément déséquilibrés et des réserves phénoménales ont été accumulées par un certain nombre de très gros acteurs asiatiques ; ces liquidités, au lieu d’être réinvesties sur place, se sont retrouvées aux États-unis, sur des produits à risques, afin de dégager des rendements supérieurs aux taux d’intérêt sans risque, très bas. Ce phénomène a du reste entretenu une croissance presque ininterrompue et riche en emploi pendant quinze ans. M. Aglietta a probablement été l’un des premiers à analyser ce grand déséquilibre et les autorités politiques et monétaires françaises ont été de celles qui soulevaient le problème dans le concert international. Fallait-il arrêter la croissance ? Organiser le protectionnisme ? En tout cas, l’évolution macroéconomique mondiale est à la source des dévoiements constatés aujourd’hui.

La transformation du système appelle en effet une évolution des modes de régulation, afin de maîtriser les activités liant la banque classique et le marché classique. Le contrôle, au départ, est un contrôle bancaire classique : il ne fallait pas laisser ce type de crédits prendre de l’ampleur. Néanmoins, une fois qu’ils se sont développés, la chaîne de titrisation commence, ils sont arrangés en paquets, les agences de rating les notent et des investisseurs les achètent. C’est à ces quatre stades que des contrôles beaucoup plus rigoureux doivent être mis en œuvre. Les agences de notation ont probablement utilisé des taux de défaut résultant de dix années d’existence de subprimes sans problème, sans comprendre que leur explosion allait se traduire par une augmentation très significative des taux de défaut. Elles n’ont pas assez surveillé l’évolution et elles ont réagi tardivement. Que ce serait-il passé si elles avaient commencé à décoter plus tôt ? Personne ne le sait. Un énorme travail technique de standardisation, d’information, de méthode et de mise en réseau des régulateurs est nécessaire pour gérer la chaîne de la titrisation.

Les marchés français de dérivés sont modestes. La France dispose encore d’un marché d’options mais le marché à terme des instruments financiers – MATIF – qui était le grand concurrent d’Eurex, a hélas perdu son leadership des années 80. Si de telles positions étaient prises sur ces marchés, l’AMF les identifierait immédiatement. En revanche, eu égard aux volumes notionnels mobilisés sur les marchés allemand et britannique, il n’est pas certain que l’AMF aurait été en mesure d’identifier une quelconque anomalie. En 2006, le total mondial des volumes notionnels de produits dérivés a été estimé à 20 000 milliards de dollars, une somme sans commune mesure avec les 50 milliards de la position incriminée.

Pour les produits vendus au public, il est possible de fixer des règles de traçabilité ou plutôt d’éligibilité aux fonds de type SICAV ou fonds mutuels. Toutefois, cela ne couvre pas les marchés professionnels. De surcroît, la problématique de l’éligibilité de certains actifs à certains fonds vendus dans le public est rendue très complexe, compte tenu de la concurrence entre places financières, de la concurrence entre concepteurs de produits financiers et des différences de degré du contrôle exercé par les régulateurs. En Europe, les régulateurs britannique, français, allemand, luxembourgeois et autres discutent très âprement, sous l’égide de la Commission, pour déterminer s’il est acceptable, par exemple, de faire entrer 10 % de hedge funds dans des produits vendus au public. Certains n’y voient pas d’inconvénients, considérant que le risque est dispersé et que le public doit avoir accès à ces produits qui rapportent de l’argent. L’AMF, quant à elle, a toujours pris des positions assez prudentes et elle a souvent été battue. Il est donc malaisé d’interdire la commercialisation de certains produits auprès de certaines catégories d’acheteurs dans un marché en voie d’unification, compte tenu des enjeux de technique financière et de compétitivité. A posteriori, il aurait été bienvenu que les subprimes ne puissent être vendus au public…

Le Président Didier Migaud a remercié M. Prada et M. Rameix pour leurs réponses.

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