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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mardi 24 juin 2008

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 97

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition de Mme Marie-Thérèse Cornette, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, et de Mme Françoise Bouygard, directrice déléguée adjointe à l’emploi et à la formation professionnelle, sur un rapport d’enquête de la Cour des comptes relatif au droit individuel à la formation 2

– Examen du rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur la gestion des ressources humaines au ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (MM. Jean Launay et Michel Piron, Rapporteurs) 9

Le Président Didier Migaud : Pour évoquer le rapport d’enquête de la Cour de comptes, nous accueillons Mme Marie-Thérèse Cornette, présidente de la cinquième chambre, accompagnée de M. Antoine Durrleman, président de section, et plusieurs autres magistrats de la Cour. Nous recevons également Mme Françoise Bouygard, directrice déléguée adjointe à la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle – DGEFP –, accompagnée de M. Olivier de la Moisonnière.

Chacun se souvient que le 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances permet aux commissions des Finances du Parlement de demander à la Cour des comptes de réaliser des enquêtes sur des sujets qu’elles déterminent. Nous avons fait usage de cette faculté à diverses reprises dans le domaine de la politique de l’emploi, en particulier à propos des exonérations générales, puis ciblées, de cotisations sociales. Le rapport d’enquête relatif aux exonérations ciblées, reçu en octobre dernier, a été le point de départ des travaux de la mission d’information commune avec la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales sur les allégements de charges. Le rapport de cette mission d’information nous sera d’ailleurs présenté demain.

En ce qui concerne le droit individuel à la formation – DIF –, avec Gilles Carrez, Rapporteur général, nous avions saisi la Cour des comptes en septembre dernier. En principe, la Cour dispose de huit mois pour rendre les conclusions de ses enquêtes, mais un usage s’est instauré : l’enquête est préparée par une concertation avec les rapporteurs spéciaux concernés, afin de convenir des objectifs et de la méthode, ainsi que de la date de départ du délai. Au cas présent, la réunion de travail s’est tenue en décembre 2007 et le premier président nous a informés de ses conclusions en janvier dernier. Il a été entendu que le délai de huit mois courrait à partir du 1er novembre 2007 et que la Cour rendrait ses conclusions en ce mois de juin.

Je rappelle que le DIF a été instauré par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Un objectif majeur de cette loi était de lutter contre les inégalités d’accès à la formation, dont sont surtout victimes les salariés les moins qualifiés, travaillant dans les plus petites entreprises et les plus âgés.

Pour sécuriser les parcours professionnels, le DIF est un droit personnel, ouvrant accès à 20 heures de formation par an, cumulable sur six ans. Ce droit, bénéficiant aux salariés en activité, est transférable dans des conditions restrictives, en cas de périodes de chômage. Un accord national interprofessionnel de janvier dernier traduit néanmoins la volonté des partenaires sociaux d’assouplir les règles de transfert au profit des salariés. Je rappelle enfin que le DIF a été étendu aux fonctionnaires en 2007.

Eu égard aux incertitudes pesant sur l’impact de ce dispositif récent, le bureau de la Commission a souhaité disposer d’un rapport d’enquête de la Cour portant sur sa cohérence, ses effets et l’adéquation de son ciblage avec les objectifs affichés. Ce document nous sera présenté dans un instant.

Nous avons également souhaité inviter les représentants de la DGEFP : ayant été saisis par la Cour dans le cadre de la procédure contradictoire, ils pourront nous faire part de leurs points d’accord et de désaccord.

Puis nous évoquerons ensemble les suites qu’il serait souhaitable de donner à ce rapport d’enquête.

Mme Marie-Thérèse Cornette : L’enquête de la Cour n’a pas été classique car il n’y avait guère matière à éplucher des comptes publics, également parce que le DIF est une mesure récente et, enfin, parce que les dépenses incombent principalement aux entreprises. L’enquête a donc été principalement menée au moyen d’entretiens avec des représentants de l’administration, des partenaires sociaux et des responsables d’entreprise.

Le DIF, dispositif phare de l’accord national interprofessionnel de 2003, est passé dans les faits avec la loi de mai 2004. Il offre aux salariés un droit personnel de 20 heures de formation, cumulables sur six ans.

Ce droit des salariés s’exerce en concertation avec leur entreprise. Il s’agit donc d’une procédure originale, à mi-chemin entre les plans de formation des entreprises et les congés individuels de formation, deux mesures créées en 1971, dont l’initiative appartient exclusivement aux entreprises pour la première et exclusivement aux salariés pour la seconde. Le DIF est donc complémentaire de ce qui existait auparavant ; il élargit la palette des choix de formation. Par ailleurs, il a très largement été mis en œuvre par la concertation, au travers des accords de branche puis d’entreprise, pour ce qui concerne les modalités d’application, la durée accordée ou les conditions de transférabilité. Depuis 2004, on peut dire que le DIF est au cœur de toutes les négociations sociales. Le DIF est capitalisable : il peut être utilisé au bout de six ans, ce qui permet d’accéder à des formations plus longues. Enfin, c’est un droit évolutif puisqu’il a été étendu à la fonction publique en 2006 ; les décrets ne sont pas encore pris pour la fonction publique hospitalière mais la mesure est d’ores et déjà effective pour la fonction publique d’État et la fonction publique territoriale.

Ce nouveau droit n’est toutefois pas de nature à remettre en cause les inégalités devant la formation professionnelle. Sa montée en charge est assez significative : le nombre de DIF a été évalué à 400 000 en 2007 et 500 000 sont prévus pour 2008. Cependant, leur durée est trop courte pour offrir aux salariés des formations vraiment qualifiantes. Contrairement au congé individuel de formation, qui peut durer plusieurs mois, les 20 heures du DIF, même capitalisées à hauteur de 120 heures, sont insuffisantes pour obtenir une réelle seconde chance. En outre, ce sont toujours les mêmes catégories qui en bénéficient : les salariés les plus formés. Ce droit laisse en particulier de côté les personnes les plus précarisées, en particulier celles travaillant sous contrat à durée déterminée – CDD –, pour lesquelles aucune solution n’a été trouvée. De même, la transférabilité pour les personnes changeant d’entreprise est limitée à des cas particuliers. Les employés du secteur du travail temporaire, eux, bénéficient d’un fonds de formation spécifique. Ainsi, des insatisfactions subsistent : ce droit ne révolutionne pas les parcours de formation.

Le DIF recèle une charge financière potentielle considérable. Nous avons été amenés à construire un modèle permettant de chiffrer le coût du dispositif car nous n’avons pas retrouvé les évaluations effectuées avant son examen par le Parlement. La durée du DIF avait été fixée à 20 heures car il avait été constaté que la durée moyenne des formations s’établissait à 17 heures. En intégrant tous les coûts, sur la base du nombre de salariés éligibles du secteur privé, le coût serait considérable : 12,9 milliards d’euros, dont 8,5 milliards correspondant au temps de travail et le reste aux dépenses pédagogiques. Ce montant excède le volume actuel de contribution des entreprises à la formation continue, qui est de l’ordre de 10 milliards d’euros. La question de la soutenabilité de ce coût se pose. Lors de la création du DIF, les contributions à la formation continue ont été réévaluées, mais insuffisamment : un dixième de point supplémentaire pour les entreprises de plus de vingt personnes. La montée en charge assez lente du DIF a permis de faire pratiquement face à l’ensemble des demandes, mais que se passera-t-il dans un ou deux ans ? Même si seulement un salarié sur deux ou sur trois demandait un DIF, le coût serait considérable. Ce problème se retrouve dans les fonctions publiques, où la formation représente 20 heures par agent et par an. La création d’un droit supplémentaire de 20 heures conduirait par conséquent à doubler la somme actuellement dépensée dans l’administration, qui s’élève à 5 milliards d’euros. Cette charge potentielle conduit à s’interroger sur l’avenir du financement de la formation professionnelle continue. L’idée a été émise que le DIF serait alternatif au plan de formation. Nous ne pouvons souscrire complètement à cette hypothèse car le DIF est un droit personnel du salarié tandis que le plan de formation constitue une contribution de l’entreprise à l’adaptation de ses salariés à leur travail. La zone de recouvrement est donc partielle et difficile à chiffrer. Nous appelons votre attention sur cette difficulté de financement à laquelle les entreprises risquent d’être confrontées dans l’avenir, qui requerra certainement des adaptations.

M. Charles de Courson : Comment faire en sorte que le DIF ne bénéficie pas uniquement aux couches sociales déjà les mieux formées ?

Vos collègues de la première chambre ont-ils examiné le problème du coût potentiel pour les fonctions publiques en prenant en compte la possibilité de capitaliser les droits ? Il semblerait que les comptes de l’État ne fassent pas apparaître cette charge.

S’agissant du coût potentiel pour les entreprises, comment les sommes correspondantes sont-elles traitées du point de vue fiscal ?

Mme Marie-Thérèse Cornette : Le système de formation professionnelle est actuellement régi par la loi du juste retour : la personne ou l’entreprise qui investit cent entend récupérer cent pour elle-même. Ce système ne peut que perpétuer les inégalités car celui qui investit zéro récupère zéro. La part mutualisée est faible et très mal utilisée, les mécanismes mis en œuvre à cet effet ne donnant pas de grands résultats. La réduction des inégalités passe par la mutualisation, en ce qui concerne non seulement le DIF mais aussi la formation professionnelle en général.

Le Président Didier Migaud : Ce domaine est du domaine législatif, n’est-ce pas ?

Mme Marie-Thérèse Cornette : Absolument.

La première chambre s’est immédiatement approprié nos travaux et les a intégrés en particulier dans le rapport sur les perspectives à moyen terme des finances publiques, qui sera publié demain. Le ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique contestait le fait que tous les fonctionnaires demanderaient un DIF mais le coût potentiel de 5 milliards d’euros a été admis et la certification en tiendra compte.

S’agissant des entreprises, dans un premier temps, il a été demandé au Conseil national de la comptabilité de donner son avis sur la manière de traiter ces sommes. Il n’a pas jugé nécessaire de les provisionner, considérant qu’il ne s’agit pas de charges certaines. Un second avis, qui devait être rendu en 2007, n’est pas intervenu. Compte tenu des conclusions de notre enquête, il nous semble que le sujet doit être revu. Dans les grandes entreprises, il devient évident que ces sommes doivent être provisionnées, au moins hors bilan, tant elles deviennent considérables. J’ajoute que l’administration fiscale n’accepte pas la déductibilité fiscale.

M. Charles de Courson : En application d’une instruction administrative ?

M. Antoine Durrleman : D’un avis du Conseil national de la comptabilité transitoire, valable deux ans. Seuls les cas où le DIF est utilisé après licenciement font exception, car il s’agit alors d’une dépense obligatoire.

M. Philippe Vigier : Comment le DIF s’articule-t-il avec les plans régionaux de formation professionnelle ?

Avez-vous recueilli des premiers retours de la part des organismes de formation ? Comment répondent-ils aux attentes individuelles des salariés, qui ne ressentent pas toujours les mêmes besoins que les entreprises ?

Mme Marie-Thérèse Cornette : Avec les régions, il n’y a pas de coordination, car les accords sont signés au niveau des branches et les deux logiques sont complètement orthogonales.

Le DIF, en principe, doit recueillir l’accord de l’entreprise. L’ingénierie du DIF fait actuellement l’objet d’un débat pour répondre aux demandes des salariés. L’offre de formation peut-elle émaner des entreprises ? Certains partenaires sociaux considèrent que celles-ci risquent de se réapproprier le DIF en sélectionnant les formations qui l’intéressent. Après trois ans d’application, des modes opératoires sont à trouver pour mettre les offres de formation en adéquation avec les demandes des salariés.

Mme Hélène Magnier : Une enquête annuelle montre que les organismes de formation adaptent leur offre de formation à destination des salariés : la part de leur chiffre d’affaires consacrée au DIF est passée de 1,2 % en 2005 à 4,4 % en 2007. Les modules durent généralement 20 ou 40 heures.

M. Charles de Courson : Mais vous n’avez pas répondu à la question de mon collègue Vigier : comment s’articulent le DIF et les crédits de formation des conseils régionaux ? Les accords régionaux sont en effet rarissimes, sauf peut-être en Alsace-Moselle.

M. Philippe Vigier : Compte tenu des mutations économiques, les besoins de formation non satisfaits des entreprises et des salariés sont considérables. Il importe que cette articulation régionale prenne corps dans les prochains mois.

Mme Marie-Thérèse Cornette : Les plans régionaux de formation professionnelle avaient vocation à englober l’ensemble des formations dispensées dans chaque région. En réalité, la région n’organise que ce qu’elle peut payer ; le reste lui échappe totalement. Faute de coordination régionale entre les branches professionnelles – qui possèdent les moyens financiers –, les régions et l’État, en charge des publics particulièrement fragiles, aucun progrès ne pourra être obtenu. Des crédits doivent aussi être mobilisés à cet effet.

M. Charles de Courson : Puisqu’il est possible de capitaliser pendant six ans, ne conviendrait-il pas de monétariser la part non utilisée et de la faire tomber dans des fonds de formation régionaux, nationaux ou de branche ?

Mme Marie-Thérèse Cornette : Nous ne pouvons que souscrire à une telle proposition car elle va dans le sens de la mutualisation. Les OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés, sont liés aux branches et ne financent que les demandes émanant de leur secteur.

M. Michel Bouvard : Les personnels saisonniers, dans les stations touristiques, sont amenés à signer des CDD successifs, d’une année sur l’autre. Quelles ressources pourraient être mobilisées pour qu’ils puissent suivre des formations durant l’intersaison ? Dans le cadre de votre enquête, avez-vous examiné ce problème ?

Mme Marie-Thérèse Cornette : Non, pas spécifiquement. Dans le cas des saisonniers aussi, une mutualisation est nécessaire, car il n’est pas envisageable de laisser chaque salarié se débrouiller pour faire reconnaître ses droits.

Mme Hélène Magnier : Lorsque le salarié enchaîne plusieurs CDD, à quelle entreprise la dépense doit-elle être imputée ? La première où il a travaillé ? Celle dans laquelle il a accompli le plus d’heures ? La jurisprudence ne s’est pas encore prononcée.

Le Président Didier Migaud : Nous remercions la Cour des comptes pour son travail, qui permet de bien cerner les enjeux.

Mme Françoise Bouygard : Nous partageons les principales conclusions de l’enquête de la Cour des comptes, notamment son évaluation du coût du dispositif si chaque salarié éligible faisait usage de son DIF.

Comme le note la Cour, assez peu de salariés en ont fait usage. D’après les dernières statistiques, qui datent de presque un an, moins de 4 % des salariés sont concernés, dans à peu près 14 % des entreprises. Même si nous pouvons estimer que le taux est, depuis, monté à 6 % cela reste très faible.

Le Président Didier Migaud : Comment l’expliquez-vous ?

Mme Françoise Bouygard : Par le peu d’intérêt que nombre de salariés et de chefs d’entreprise accordent à la formation, ce qui s’explique en partie par la complexité de notre système de formation professionnelle.

Trente-cinq branches ont signé des accords organisant la transférabilité du DIF, principe figurant dans l’accord de 2003 et repris dans la loi de 2004. Toutefois, aucun mode opératoire concret n’est prévu et la transférabilité interbranches est impossible.

Les travaux du CEREQ sur lesquels s’est notamment appuyé le groupe de travail présidé par Pierre Ferracci – qui prépare avec les partenaires sociaux et les régions le cadre de la réforme de la formation professionnelle prévue pour 2009 – devraient prochainement être publiés. Ils montrent que, dans les entreprises ayant mis en œuvre le DIF, celui-ci profite plus particulièrement aux salariés qui avaient peu accès à la formation professionnelle, c’est-à-dire les moins qualifiés, appartenant aux catégories socioprofessionnelles les moins élevées et travaillant dans les entreprises de plus petite taille. Mais l’effet reste très faible compte tenu du degré de développement du DIF lui-même.

Je suis davantage en décalage avec la Cour en ce qui concerne le diagnostic plus général porté sur la formation professionnelle et les conditions de son amélioration. Peut-être ne donnons-nous pas la même signification au terme « mutualisation ». Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, sous la conduite des OPCA, je ne suis pas certaine que la mutualisation réduirait les inégalités. Nous constatons exactement l’inverse : la mutualisation favorise les grandes entreprises, la formation de leurs salariés étant financée par les petites entreprises.

L’administration de l’emploi a travaillé sur l’articulation entre les politiques conduites par les conseils régionaux, les stratégies des entreprises et les quelques outils restant à la main de l’État, relatifs pour l’essentiel à la gestion prévisionnelle des compétences. Cela nous a conduits à préconiser la création de fonds régionaux, qui mettraient en commun les moyens dont l’État dispose dans ce champ, une partie de la participation des entreprises à l’effort de formation des salariés et une partie des crédits que chaque conseil régional consacre à la formation professionnelle. Partager un fonds obligerait à partager des priorités de façon très pragmatique et permettrait de répondre avec suffisamment de réactivité aux besoins des actifs et des entreprises. En effet, énormément de particuliers nous saisissent parce qu’ils ne trouvent pas de financement pour leur projet de formation, y compris lorsque celle-ci leur permettrait d’occuper un emploi pour lequel se posent des difficultés de recrutement.

Dans la logique actuelle, chacun entend rester maître de ses financements et contractualiser au coup par coup. Il arrive par exemple que les conseils régionaux abondent des financements apportés par un OPCA pour un salarié en cours de licenciement. Notre proposition tendant à instituer un système plus pérenne de mutualisation entre les trois acteurs, dont les champs de compétences sont très connexes, n’a guère convaincu le groupe de travail de Pierre Ferracci et c’est un euphémisme ! Cependant, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, dans son article 15, accomplit un pas assez considérable : il indique que les partenaires sociaux financeront des formations destinées à d’autres actifs que les salariés.

Le Président Didier Migaud : Où en sont les décrets d’application concernant la fonction publique hospitalière ?

Mme Hélène Magnier : Ils sont à l’étude au Conseil d’État et devraient sortir très vite. Un débat se tiendra pour déterminer s’ils seront rétroactifs ; il faudrait que les fonctionnaires puissent en bénéficier à partir du 1er janvier 2008.

Mme Françoise Bouygard : L’accord national interprofessionnel de 2003, loin de simplifier la situation, a ajouté le DIF aux trois grands dispositifs préexistants : le plan de formation, le contrat en alternance et le congé individuel de formation. Mais nous observons que le DIF se substitue très souvent au plan de formation. Autrement dit, la décision unilatérale du chef d’entreprise a été remplacée par une discussion avec son salarié. Il faudrait aller au-delà en prévoyant une négociation sur la formation professionnelle dans l’entreprise : aujourd’hui, elle n’a lieu que dans les branches. Si l’on considère que la formation est un facteur de développement des entreprises et de sécurisation des parcours professionnels, il faut aller au bout du raisonnement et l’ériger en objet de négociation dans l’entreprise. Ce thème est également discuté dans le groupe de travail de Pierre Ferracci.

M. Charles de Courson : Quelles sont vos idées pour que les salariés précaires puissent bénéficier du DIF ?

Mme Marie-Thérèse Cornette : Je confirme que les OPCA ont fait la preuve de leur incapacité à mutualiser ; il faudra donc envisager d’autres dispositifs ou un recadrage.

Les personnes sous CDD devraient bénéficier d’un droit de tirage auprès d’un organisme mutualisateur, national ou régional, qui prendrait en compte leur passage par plusieurs entreprises. Nous revenons donc toujours au même problème : la Cour des comptes préconise que les fonds soient gérés d’une façon mutuelle et dépensés selon des axes stratégiques connus.

M. Charles de Courson : Mais comment faire pour les salariés précaires ?

Mme Marie-Thérèse Cornette : C’est ce que j’expliquais. Les salariés sous contrat à durée indéterminée – CDI – s’adressent à leur employeur ou à leur OPCA. En revanche, une personne qui a occupé trois emplois successifs n’a aucun interlocuteur, chacun de ses employeurs ne lui devant que quelques heures de DIF. Elle a donc besoin d’un organisme constatant ses droits et répondant à sa demande.

M. Charles de Courson : Pourquoi les partenaires sociaux n’ont-ils pas mis sur pied un tel dispositif ?

Mme Marie-Thérèse Cornette : Je vais vous répondre très franchement. Le système étant organisé par branche, chacune d’entre elles veut retrouver l’argent qu’elle dépense : les salariés à cheval sur des entreprises ou des branches sont complètement exclus de la négociation. Un dispositif d’intérêt général s’impose, appuyé sur une réglementation et structuré autour d’acteurs publics.

Mme Françoise Bouygard : L’accord national de 2003 entre les partenaires sociaux, repris par le législateur, contient une réponse. Les salariés sous CDD accèdent au DIF via le FONGECIF – fonds de gestion du congé individuel de formation –, au pro rata temporis, s’ils peuvent justifier de quatre mois de contrats au cours des douze derniers mois. Le taux de réponses positives à une demande de DIF est d’ailleurs supérieur pour les salariés sous CDD que pour ceux sous CDI.

Cela étant, je ne crois pas que ce dispositif réponde à l’enjeu que vous soulevez : l’élévation du niveau de compétence des salariés travaillant sur des emplois fractionnés. C’est pourquoi nous poussons les acteurs, partenaires sociaux et conseils régionaux, à se décloisonner. Ce qui pose problème, c’est que la personne passe sans cesse du statut de salarié à celui de demandeur d’emploi. La rupture des statuts se traduit par la discontinuité des prises en charge en matière de formation professionnelle : le conseil régional ou l’ASSEDIC pour les chercheurs d’emploi ; l’entreprise pour les salariés ; le conseil régional pour les jeunes. Nous proposons un système où la prise en charge ne serait pas conditionnée par le statut de l’individu.

M. Charles de Courson : C’est un bazar institutionnel, si je puis me permettre. Les conseils régionaux détiennent l’essentiel de la compétence et l’État en a conservé une partie. Les conseils généraux, dans le cadre des actions d’insertion du RMI – revenu minimum d’insertion –, dépensent des sommes significatives. Quant aux partenaires sociaux, ils interviennent dans une logique non pas territoriale mais de branche, sans articulation avec les deux niveaux de collectivités territoriales. Pourquoi ne pas monter des systèmes rapprochant branches, régions et départements ?

M. François Scellier : Il est difficile de mobiliser au profit des actions d’insertion des crédits régionaux destinés à la formation. Des opérations lancées à titre expérimental par mon département n’ont pu continuer à cause de ce blocage.

Mme Marie-Thérèse Cornette : Nous entrons là dans le domaine politique. Le cloisonnement, voire l’incohérence, des financements empêche de répondre aux besoins. Il existe des exemples locaux de financements croisés conventionnels permettant de monter des opérations ponctuelles. Ils doivent être généralisés au profit des branches et secteurs qui manifestent des besoins. Cela suppose une étude des besoins, une analyse économique et sociale des régions et la participation des branches au financement.

Mme Françoise Bouygard : Dans ce débat, chaque acteur cherche à se légitimer, ce qui n’aide pas à trouver des solutions opérationnelles dans des délais très brefs. Les partenaires sociaux, dans l’accord de janvier 2008, ont accompli un pas en avant : le principe du financement de la formation de personnes en situation difficile sur le marché du travail, notamment de chômeurs. Ils doivent maintenant renégocier pour déterminer comment ils s’y prendront concrètement. Sachant que cette compétence est partagée avec les conseils régionaux et que l’État détient la compétence de l’accès à l’emploi, n’est-il pas possible de mettre des moyens en commun au niveau régional ? Il nous reste plusieurs semaines mais ce sera compliqué car les acteurs n’y semblent pas prêts aujourd’hui.

Si nous n’y parvenons pas, il faudra améliorer la contractualisation, en s’inspirant, par exemple, du Nord-Pas-de-Calais. Cette région, qui a connu de multiples sinistres industriels, possède une tradition de partenariat. Elle est capable d’organiser très rapidement des conférences de financeurs avec les OPCA, les conseils généraux et l’État afin de monter des opérations de formation, au cas par cas.

Le Président Didier Migaud : Je vous remercie. Nous aurons certainement l’occasion de revenir sur ce sujet. Nous examinerons, avec les rapporteurs spéciaux, les suites à apporter à vos travaux. Je pense que la Commission acceptera que nous publiions ce rapport d’enquête.

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La Commission a ensuite examiné le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur la gestion des ressources humaines au ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ; présenté par MM. Jean Launay et Michel Piron, Rapporteurs.

Le Président Didier Migaud a rappelé que, dès l’été 2007, la commission des Finances a constitué une mission d’évaluation et de contrôle sur la gestion des ressources humaines au ministère chargé du développement durable et sur les problèmes systémiques éventuellement rencontrés par ce « super ministère », créé après avoir subi la décentralisation et concerné par la révision générale des politiques publiques (RGPP). La commission des Affaires économiques a été associée aux travaux de la mission et les deux rapporteurs ont suivi de près, au cours de la précédente législature, les questions de décentralisation.

M. Jean Launay, Rapporteur, a souligné que le rapport présenté est un rapport d’étape et que l’importance du sujet nécessite qu’une suite lui soit donnée.

Il a rappelé la création du ministère de l’Écologie, du développement et de l’aménagement durable (MEDAD) en mai 2007, sa transformation en ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (MEEDDAT), en mars 2008, le décret d’organisation étant attendu pour juillet 2008, au terme d’un processus dépassant une année.

Auparavant, un tiers des effectifs de son prédécesseur, le ministère des Transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer (MTETM), avait été transféré aux départements en application de la décentralisation de 2004, ce qui a entraîné une réorganisation de ses services. Une expérimentation de la fusion des directions départementales de l’équipement (DDE) et des directions départementales de l’agriculture et des forêts (DDAF) a été réalisée dans huit départements dont le Lot.

Aujourd’hui, le MEEDDAT est un ministère d’un périmètre sans équivalent en Europe, qui va mettre en œuvre une réorganisation majeure, avec le passage de trente-deux directions d’administration centrale à cinq directions générales, un commissariat général et un secrétariat général. Sans attendre que ce dispositif soit éprouvé, le ministère généralisera avant 2010 la fusion des DDE et des DDAF en métropole hors la petite couronne et réalisera, avant 2012, le regroupement des directions régionales de l’équipement (DRE), des directions régionales de l’environnement (DIREN) et des directions de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE).

Les réorganisations aux trois niveaux, national, régional et départemental, inquiètent les agents du ministère et ne doivent pas entraîner la désorganisation, ou pire la désarticulation, de ce dernier.

M. Michel Piron, Rapporteur, a ensuite présenté les douze propositions de la mission.

Pour effectuer les réorganisations nécessitées par les suppressions de postes, 3 500 équivalents temps plein environ sur la période 2009-2011, consécutives au non-remplacement de la moitié au moins des départs en retraite et pour mobiliser les personnels sur les nouvelles ambitions du MEEDDAT, il est impératif de développer, avec les effectifs adéquats, la fonction de gestion des ressources humaines dans ce ministère (proposition n° 1).

La fusion des corps, qui apparaît nécessaire pour rapprocher des cultures administratives différentes, nécessite une évaluation précise de ses conséquences budgétaires (proposition n° 2).

La « gouvernance à cinq » proposée par le Grenelle de l’environnement doit accorder une place primordiale aux élus et avoir comme objectif prioritaire la réduction des délais de réalisation des infrastructures de transport qui sont actuellement, en France, largement supérieurs à ceux de plusieurs autres États membres de l’Union européenne (proposition n° 3).

Pour évaluer les coûts respectifs des différents projets d’infrastructures de transport et déterminer les meilleurs choix, une instance d’évaluation pluraliste doit être créée au sein du MEEDDAT, dont les études seront communiquées au Premier ministre pour arbitrage et au Parlement pour information et contrôle (proposition n° 4). Les priorités, les dates d’entrée en service et les modalités de financement des projets retenus devront être communiquées au Parlement avant la fin 2009 et actualisées ensuite tous les deux ans (proposition n° 5).

Les services de proximité aux usagers et aux collectivités territoriales rendus par le MEEDDAT ainsi que l’aide technique pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (ATESAT) ne peuvent être remis en cause par la réorganisation des services déconcentrés mais doivent, au contraire, être confortés à cette occasion (propositions n° 6 et 7). Un plan national d’ingénierie du développement durable doit établir les perspectives de l’ingénierie publique (proposition n° 8).

Assurant une fonction régalienne fondamentale du MEEDDAT, les effectifs de l’inspection des installations classées doivent faire l’objet d’un plan pluriannuel à trois ans de renforcement de ses effectifs (proposition n° 9), complété par un programme de réalisation et de mise en place des plans de prévention des risques technologiques dont les résultats figurent dans le rapport annuel de performances du MEEDDAT (proposition n° 10).

Pour assumer son rôle clé dans la mise au point de la politique de développement durable, le réseau scientifique et technique du MEEDDAT doit être renforcé par une mise en commun accrue des moyens de ses différentes composantes, les collectivités territoriales étant associées à sa gouvernance et leurs besoins de formation mieux pris en compte (propositions n° 11 et 12).

Le Président Didier Migaud a remercié les Rapporteurs pour la qualité de leur travail ainsi que pour les propositions qu’ils ont émises. Il leur a demandé s’ils estimaient pertinente la nouvelle architecture de ce ministère, à laquelle il s’est lui-même déclaré favorable.

M. Michel Piron, Rapporteur, a indiqué qu’il ne remettait pas en cause l’idée du regroupement de ces administrations en une seule structure ministérielle, mais qu’il fallait l’organiser, puisque, selon Spinoza, « toute idée perd en compréhension ce qu’elle gagne en extension ».

M. Jean Launay, Rapporteur, a signalé que les propositions du rapport peuvent être regroupées en plusieurs blocs.

S’agissant du choix des infrastructures, il est indispensable de mettre fin au va-et-vient des décisions, comme pour le projet de ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse équipée de rames pendulaires, adopté à la grande satisfaction des collectivités territoriales puis rejeté sans explication par le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) de décembre 2003. De façon générale, en matière de transports, s’agissant d’investissements structurants, il est nécessaire de décider en coopération avec les collectivités territoriales.

S’agissant de l’ingénierie publique, la mission souhaite son maintien non pas pour des raisons de doctrine, mais parce que, loin d’être un frein, elle est un moteur du développement économique.

Le contrôle des risques technologiques est également un point sur lequel le ministère doit exercer toutes ses compétences. Les élus de la région Midi-Pyrénées n’ont pas oublié la catastrophe d’AZF, en septembre 2001.

Les réseaux du MEEDDAT doivent être associés aux entreprises. Des pans entiers de savoir-faire, qui pourraient pâtir de la réorganisation en cours, doivent être sauvegardés.

À titre personnel, M. Jean Launay, Rapporteur, a estimé que le poids de la réorganisation des structures ne devait pas bloquer l’organisation décisionnelle du ministère. A titre d’exemple, la notion de « mieux-disant environnemental » qu’il avait préconisée il y a dix ans n’est toujours pas prise en compte dans les cahiers de charges de concessions telles que celles des barrages hydroélectriques. Faudra-t-il attendre la nomination d’un nouveau directeur de la direction Énergie et climat pour aboutir à une réécriture de ces cahiers de charges ? Trop pyramidale, la structure peut être paralysée.

Le bouleversement de l’organisation de ce ministère a été ressenti comme un véritable choc par les personnels, aussi bien pour les agents d’exécution que pour le personnel d’encadrement, même pour ceux qui étaient chargés de la mise en œuvre de la réforme. Le pyramidage forcené auquel nous assistons ne va-t-il pas nous écarter du système traditionnel français d’administration pour nous rapprocher d’un « système des dépouilles » à l’américaine ?

M. Michel Piron, Rapporteur, a noté que la structure actuelle du MEEDDAT, si elle n’est pas choquante, pourrait être différente. L’urbanisme a été confié à ce ministère alors que les ministères de la Ville ou du Logement en sont dépossédés. La préoccupation principale porte sur la gestion commune de l’ensemble des ressources humaines de cette administration qui reste à réaliser.

M. David Habib, co-Président de la MEC, a souligné que peu de ministères suscitaient autant de doutes que le MEEDDAT quant à leur organisation. L’image de ce ministère ainsi que celle des compétences professionnelles qu’on lui prête se sont dégradées. Surtout, c’est la rareté de la dépense publique qui conduit à une remise en cause du MEEDDAT. La chance de ce ministère peut néanmoins venir de la diversité des cultures de ses agents. Ceux issus de l’Équipement ont une chance d’introduire un aspect social et environnemental à leur mode de réflexion ; de même, on peut espérer que ceux qui travaillent déjà sur l’environnement partageront désormais aussi des préoccupations en matière de croissance. La vraie question demeure l’adéquation des réponses que le ministère apportera aux attentes de la population et des collectivités territoriales.

M. David Habib s’est également interrogé sur la durée de réalisation des infrastructures de transport, surtout lorsqu’on la compare avec celle de nos voisins étrangers. Défavorable au principe de « gouvernance à cinq », il a regretté que des procédures qui sont déjà parmi les plus fastidieuses d’Europe soient encore alourdies. On ne construit plus d’aéroport en France, celui de Nantes devant demeurer une exception.

L’audition de Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à la fin des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’allocation des moyens aux universités, a été très utile. La ministre a répondu avec talent et efficacité aux questions des députés. De la même façon, sur le présent thème, l’exercice aurait pu être réalisé avec le ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean Launay, Rapporteur, a confirmé que la mission avait en effet l’intention d’entendre le ministre d’État dans le cadre de son devoir de suite, après publication du décret d’organisation du ministère.

M. David Habib, co-Président de la MEC, a enfin cité l’exemple d’un quartier de sa ville inondé le 16 mars 2006 et qui n’a reçu de réponse de la part du ministère qu’en avril 2008, alors qu’était sur le point de survenir, début juin 2008, une deuxième inondation qui aurait pu être évitée si l’administration avait fait preuve d’un peu plus de promptitude.

M. Jean-Louis Dumont, tout en s’associant aux propos des Rapporteurs, a souligné à quel point il était difficile de travailler sur le MEEDDAT. Pas plus que les Rapporteurs, il n’a obtenu de réponse à ses interrogations sur la RGPP. Il a regretté que la décision de construire une tour de 700 millions d’euros pour abriter les services centraux ait été prise alors que le périmètre de ses services n’est pas encore défini avec précision, certaines directions comme celle de l’Aviation civile étant supposées prendre leur autonomie. Compte tenu des enjeux, une plus grande rigueur serait bienvenue.

Tout en se déclarant favorable à la constitution d’un grand ministère, il a insisté sur la nécessité d’y apporter les compétences et une bonne gestion des ressources humaines, ne serait-ce que parce que les lauréats de concours administratifs ont droit au respect et à des perspectives.

Il a estimé judicieux de concevoir ce travail comme un rapport d’étape. La MEC doit continuer ses travaux sur le MEEDDAT, sans s’arrêter aux déclarations, quelquefois incantatoires, du ministre, comme celles sur l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Il faut être exigeant sur la cohérence à donner à l’architecture du ministère. Les travaux ultérieurs de la MEC devront examiner la réussite de la réforme engagée au regard des ambitions affichées. Le périmètre du ministère devra s’adapter non à l’ego du ministre, mais aux besoins de politique, de stratégie, de compétence en vue d’une bonne administration. Pour l’heure, on constate sur le terrain que des directives contradictoires émanent de ce ministère, ce qui n’est pas sans inquiéter les maires sur la sécurité.

En conclusion, dans une opération comme celle-ci, il importe de comparer les avantages de la décentralisation, de la déconcentration et même de la délégation de certaines compétences, ainsi pour les aides à la pierre.

M. François Scellier a indiqué partager les remarques de M. Jean-Louis Dumont, notamment sur le logement et la construction. La structure du ministère lui a semblé à l’image d’un nom si long qu’il doit être condensé en une appellation quelque peu « barbare » ; il est à craindre que sa durée de vie n’excède guère celle de l’organisation gouvernementale actuelle. Ce ministère semble constitué, non en fonction des objectifs à atteindre, mais de nécessités d’importance inégale : problèmes liés à la décentralisation, volonté justifiée de renouveler les conceptions sur le développement, recherche d’un modèle de développement durable pour la préservation de la planète. Parmi les points positifs, au niveau départemental, on a pu voir avec intérêt les regroupements effectués entre directions de l’agriculture et de l’équipement. L’exemple du Val d’Oise montre toutefois que les propositions ambitieuses des préfets n’ont pas toujours été suivies.

En matière de décentralisation, la pratique territoriale révèle quotidiennement des problèmes considérables. On a décentralisé les routes sans les coordonner entre elles au travers des territoires. Le manque de moyens et le désengagement de l’État créent des situations absurdes : en région Île de France, la mauvaise jonction routière entre le Val d’Oise et la ville de Clichy La Garenne aboutit ainsi à une asphyxie de la circulation à son abord.

Sans être trop critique sur le changement de format et la réorganisation des services, une logique administrative et des objectifs lointains de développement durable ont parfois prévalu sur le souci d’une organisation plus efficace. C’est ce qui explique sûrement qu’il faille deux fois plus de temps qu’en Espagne pour construire une autoroute…

M. Bertrand Lesterlin, usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des Commissions dont ils ne sont pas membres, a noté que l’idée à l’origine de cette organisation imposante et complexe, qui est source de problèmes de gestion des ressources humaines, n’est pas neuve, puisqu’elle date de 2004-2005 : il s’agit de faire prendre en compte la dimension du développement durable dans toutes les politiques publiques. Certes, l’organisation administrative est encore difficile à gérer, mais l’objectif est bon. Seul l’avenir dira si l’idée aboutit, mais on peut dire que, politiquement, l’Écologie a gagné en fédérant les moyens des autres ministères. Il est vrai que ce grand ministère avait été conçu à l’origine pour un autre ministre.

Sur la proposition n° 3, qui découle des délibérations du « Grenelle de l’environnement », il convient d’éviter une confusion entre gouvernance à plusieurs et concertation. Il n’est pas sûr que la réorganisation aboutisse au résultat recherché : réduire les délais de réalisation des infrastructures de transport. L’État ne doit pas baisser la garde sur ses prérogatives régaliennes en matière de prévention des risques : il ne doit ni déléguer ni décentraliser ces fonctions. L’État doit rester le gardien de la protection contre les risques majeurs. Or, il n’est pas sûr que l’organisation décrite par le rapport de la MEC, jointe aux risques de réduction des effectifs dans le cadre de la RGPP, permettent de respecter cet impératif.

M. Jean-Louis Dumont a considéré qu’il fallait s’inscrire dans le cadre de l’équité républicaine.

M. Michel Piron, Rapporteur, a précisé que, concernant la proposition n° 3, il avait parlé de hiérarchisation et qu’il acceptait de mettre des guillemets à l’expression « gouvernance à cinq ». Dans le vocable « développement durable », le substantif ne doit pas se soumettre à l’adjectif. C’est bien sûr le choc entre les partisans du substantif et de l’adjectif que le ministère et la MEC tentent de faire la synthèse. Le vocabulaire auquel nous nous sommes soumis représente un recul idéologique qui n’est pas neutre. C’est ainsi que l’on continue à parler de « plans de prévention des risques », alors que « plan de gestion des risques » serait infiniment plus juste et soutenable, car refuser le risque signifie confondre risque et danger. Qui ne prend pas de risque se prive de toute chance.

Les travaux de la commission des Lois sous la précédente législature ont soulevé la question de la gouvernance générale du pays, au niveau de l’État et des territoires. En matière d’ingénierie, il faut savoir ce que l’on attend de l’État et, là où il se retire, quelles collectivités le remplacent. Cela révèle l’absence de concomitance dans notre pays entre la réforme de l’État et la réforme de l’architecture des pouvoirs territoriaux. L’Espagne il y a vingt ans, le Royaume-Uni avec la loi de dévolution, la Suède ont réformé leurs collectivités territoriales. La réforme de l’État menée en Italie par le ministre Bassanini a échoué en partie parce qu’elle n’était pas accompagnée d’une réforme des collectivités.

M. Jean Launay, Rapporteur, ne pense pas que l’aboutissement des réformes soit la revanche des corps techniques sur les conceptions environnementales. La notion de développement durable mérite une autre ambition. L’introduction du développement durable dans le périmètre ministériel n’a pas exagérément compliqué la réorganisation du ministère et elle sera certainement digérée. En accord avec les propos de M. David Habib, il convient d’affirmer que la Commission attend opérabilité et réactivité de l’administration centrale et des services déconcentrés du MEEDDAT. Or, la durée de réalisation des projets d’infrastructure ferroviaire et routière et des cahiers des charges des concessions hydro-électriques est révélatrice d’un ministère « à la peine ». De même, les plans de prévention et d’analyse des risques doivent faire l’objet d’un ressaisissement rapide pour assurer l’opérationnalité attendue sur le terrain.

À l’issue de ce débat, le Président Didier Migaud a estimé que le droit de suite devait être exercé sur ce rapport et qu’il conviendrait d’auditionner le ministre à la prochaine rentrée parlementaire.

La Commission a enfin autorisé la publication du rapport.

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