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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 3 septembre 2008

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 110

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Communication, ouverte à la presse, de M. Charles de Courson, représentant de l’Assemblée nationale au conseil d’administration de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), sur les procédures liées aux contentieux entre le Consortium de réalisation (CDR) et le groupe Bernard Tapie

Le Président Didier Migaud : Mes chers collègues, notre réunion de rentrée est consacrée à de premières auditions relatives à un dossier qui engage l’État et les finances publiques : il s'agit des procédures qui opposent, depuis treize ans le Crédit Lyonnais – pour simplifier –, le consortium de réalisation, ou CDR, et le groupe Bernard Tapie.

Alors qu'une dizaine de procédures étaient en cours et que certaines étaient très avancées puisque la Cour de cassation a eu l'occasion de rendre un arrêt de cassation partielle en assemblée plénière le 9 octobre 2006, il a été décidé, en octobre 2007, par les deux parties, à savoir l'établissement public de financement et de restructuration, dit EPFR, et le CDR, d'une part, le groupe Bernard Tapie, d'autre part, d'avoir recours à une procédure d'arbitrage confiée à une formation de trois arbitres.

Une sentence arbitrale a été rendue le 11 juillet dernier aux termes de laquelle le groupe Bernard Tapie doit recevoir un certain montant, qui va maintenant nous être précisé, au titre de la plus-value qu'il aurait pu réaliser avec la vente d'Adidas, et 45 millions d’euros au titre du préjudice moral.

Deux réunions du tribunal arbitral doivent encore se tenir, ce mois-ci et en novembre, afin de déterminer notamment le montant des intérêts dus sur ces sommes.

Plusieurs questions se posent quant à la procédure choisie, à ses conséquences et à la suite à donner à la décision arbitrale.

À la demande des représentants du groupe Tapie, l'EPFR et le CDR ont en effet accepté le recours à la procédure d’arbitrage. Celle-ci est-elle fondée en droit ? Était-elle opportune ? Quels ont été les termes de la convention d’arbitrage ? Quelle a été exactement la décision arbitrale ? S’il existait des recours contre cette décision, pourquoi un recours n’a-t-il pas été exercé ? Quelles sommes seront dues au groupe Bernard Tapie ? Que devra payer l’État et à quel moment ? Les questions qui se posent sont nombreuses, et il a semblé normal à la commission des finances, dans son rôle de contrôle de l’action publique, de se saisir du dossier.

Un membre de la commission des finances, Charles de Courson, représente l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR. Il a eu plusieurs fois l’occasion de rendre compte devant notre commission, notamment sous la législature précédente, des positions que lui-même pouvait exprimer dans le cadre des procédures en cours. Il était donc légitime que nous puissions l’entendre en premier, en particulier en ce qui concerne la façon dont lui-même a pu prendre connaissance des divers éléments d’information et les positions – à partir du moment où il engageait l’Assemblée nationale – qu'il a prises aux différentes étapes de cette affaire.

Je souhaite que nos travaux puissent contribuer à l’information de tous. À chacun de nous et, au-delà, à chaque citoyen, de se forger une opinion. Tout ce qui a pu être dit et écrit doit être vérifié, car il convient d’être le plus rigoureux possible dans l’analyse des faits.

D’autres auditions sont prévues, à commencer, aujourd'hui, par celles des anciens et actuels présidents de l’EPFR et du CDR. La semaine prochaine, nous entendrons Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit lyonnais, et Bernard Tapie, auditions qui seront vraisemblablement précédées par celle de M. Thomas Clay, doyen de la faculté de droit de Versailles et spécialiste du droit d'arbitrage. Nous apprécierons alors si d’autres auditions sont utiles.

Nous sommes convenus que tous nos travaux seraient ouverts à la presse. Nous travaillons en toute transparence, ainsi que le souhait en a été exprimé collégialement.

M. Charles de Courson : Monsieur le président, mes chers collègues, la présente communication, qui répond à une demande formulée par le bureau de la commission des finances, à l'initiative de son président et de son rapporteur général, le 18 juillet dernier, s'inscrit dans le cadre des comptes rendus annuels de mandat d'administrateur dressés par le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'établissement public de financement et de restructuration – EPFR –, qui est responsable de la surveillance du consortium de réalisation – CDR –, structure de cantonnement et de défaisance chargée de la gestion du passif du Crédit Lyonnais. L'EPFR gère ainsi le soutien financier apporté par l'État au Crédit Lyonnais dans le cadre du cantonnement de ses actifs et veille au respect des intérêts financiers de l'État en la matière. Cette communication constitue une première contribution, en vue de l'audition par la commission des finances des différents acteurs de cette affaire. Le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR exerce en effet son mandat depuis 2002, après avoir déjà assumé un premier mandat d'administrateur entre 1995 et 1997.

Dans le temps qui m’a été imparti, je traiterai de trois questions : fallait-il recourir à l'arbitrage ? Devait-on engager un recours en annulation ? En l’absence de recours, quelles suites peut-on donner à l'affaire ?

S’agissant de la première question, quelle était la situation juridique à la veille de l’arbitrage ?

Les parties en présence étaient l'EPFR et le CDR, d’une part, le groupe Bernard Tapie, d’autre part.

Le consortium de réalisation était à l'origine une société par actions
simplifiée dont l'actionnaire était le Crédit Lyonnais jusqu'en novembre 1998, date à laquelle le CDR a été transformé en société anonyme à directoire et conseil de surveillance. Le CDR désigne en réalité un groupe de sociétés organisées autour d'une holding, CDR SA, et de plusieurs filiales, dont CDR Participations, anciennement Clinvest, filiale d'investissement du Crédit Lyonnais, et CDR Créances, constitué à partir de la société de banque occidentale, la fameuse SDBO, elle-même filiale du Crédit Lyonnais. C'est le CDR Créances, société anonyme, qui est en l'occurrence la personne morale qui este en justice dans l'affaire Adidas.

En novembre 1998, les titres du CDR sont cédés à l'établissement public de financement et de restructuration, établissement public administratif – EPA – qui a, aux termes de la loi du 28 novembre 1995 qui le crée, pour mission de « gérer le soutien financier apporté par l'État au Crédit Lyonnais dans le cadre du cantonnement de certains de ses actifs » au sein du CDR. Cette loi valide en fait le protocole d'accord signé entre l'État et le Crédit Lyonnais le 5 avril 1995, qui a été approuvé sous conditions par la Commission européenne dans sa décision du 26 juillet 1995. L'établissement est également chargé de veiller « à ce que soient respectés les intérêts financiers de l'État dans le cadre du plan de redressement du Crédit Lyonnais ».

Le conseil d'administration de l'EPFR est composé de cinq membres, dont trois hauts fonctionnaires – l’un représentant la Direction du Trésor, l’autre la Direction du budget, le troisième étant le président, traditionnellement un inspecteur général des finances, nommé en conseil des ministres  – et deux parlementaires, votre serviteur, représentant l'Assemblée nationale et Roland du Luart le Sénat.

Le groupe Bernard Tapie, ainsi appelé par facilité de langage, est en fait possédé directement et personnellement par les époux Tapie, et est constitué, pour simplifier, de deux pôles principaux :

D’une part, un pôle patrimonial, avec une holding de tête, la SNC « Financière Immobilière Bernard Tapie » – SNC FIBT –, dont fait par exemple partie la société Alain Colas Tahiti – ACT –, qui gère le Phocéa ;

D’autre part, un pôle industriel, avec pour holding de tête la société en nom collectif « Groupe Bernard Tapie » – SNC GBT –, elle-même propriété à 100 % des époux Tapie, et actionnaire de la société anonyme « Bernard Tapie Finance » – SA BTF –, devenue par la suite la compagnie européenne de distribution et de pesage « CEDP ». C'est BTF qui est devenue l'associée majoritaire de la SARL BTF GmbH ADIDAS.

Le groupe compte également en son sein la SA Bernard Tapie Gestion – SA BTG –, propriété directe des époux Tapie.

Il convient à ce moment de rappeler l’historique de l'affaire.

En juillet 1990, Bernard Tapie a acheté 80 % du capital d'Adidas pour le prix de 243,9 millions d'euros, soit 1,6 milliard de francs. Cette opération a été financée en totalité par un prêt consenti par un pool bancaire, dont 30 % par la société de banque occidentale, SDBO, filiale à l'époque du Crédit Lyonnais. Les prêts consentis pour cette acquisition, à court terme, étaient remboursables en deux échéances, à hauteur de 91,5 millions d'euros, soit 600 millions de francs, en 1991 et de 152,4 millions d'euros, c'est-à-dire un milliard de francs, en 1992.

Dès le départ se posait donc la question du remboursement de la somme de 1,6 milliard de francs, puisque le groupe n’était pas capable en tant que tel de payer une telle somme.

En janvier 1991, la société anonyme « Bernard Tapie Finance » acquiert une participation complémentaire de 15 % dans le capital d'Adidas, pour un montant de 10,2 millions d'euros, grâce au concours bancaire d'une banque allemande, Hypobank.

Ayant fait face à la première échéance grâce à l'intervention de partenaires qui ont pris une participation minoritaire de 45 % dans BTF, la société n'a néanmoins pu honorer totalement la seconde échéance.

Élu entre-temps député des Bouches-du-Rhône en mars 1988, Bernard Tapie est nommé à deux reprises ministre de la ville par décret du 16 avril 1992, puis par décret du 26 décembre 1992 – Pierre Bérégovoy étant à l'époque Premier ministre, et François Mitterrand Président de la République. Il entreprend alors de vendre sa participation dans Adidas, incompatible avec ses fonctions ministérielles.

Après avoir cédé, le 13 août 1991, 20 % d'Adidas à la société britannique Pentland, il convient, en juillet 1992, de vendre le reste de ses titres à ce même groupe, qui renonce toutefois en octobre 1992 au motif que l'audit auquel il avait été procédé avait révélé la mauvaise santé financière d'Adidas. La société Bernard Tapie Finance rachète alors la participation de 20 % de Pentland avec l'aide financière du Crédit Lyonnais, la totalité de la société étant alors valorisée à hauteur de 423,8 millions d'euros, soit 2,78 milliards de francs.

Il est peut-être utile de préciser qu’au même moment, la livre sterling a dévalué. Pentland, qui avait prévu une couverture de change, s’est ainsi retrouvée avec une plus-value de change de l’ordre de 150 ou 200 millions d’euros. Il y avait donc probablement un intérêt financier pour la société britannique à renoncer à l’achat, du fait du profit à réaliser sur sa couverture de change.

À la suite de l'échec de la vente d'Adidas à Pentland, et malgré la cession de certaines de ses participations, dont celle dans TF1, la société Bernard Tapie Finance demeure dans l'incapacité d'honorer la seconde échéance, le solde restant dû s'élevant à 91,5 millions d'euros, soit 600 millions de francs. Un mémorandum est alors signé le 12 décembre 1992, par le groupe Bernard Tapie et la SDBO, en vue de la vente d'Adidas par l'intermédiaire de cette dernière, qui a ainsi repris la totalité des engagements financiers du pool bancaire. Le Crédit Lyonnais se substitue donc à tous les autres banquiers alors qu’un principe ancien en matière bancaire veut que l’on partage le risque. Le produit de la vente doit pour sa part être affecté au remboursement des dettes de BTF et du groupe Tapie.

Le 18 décembre 1992, un mandat irrévocable d'intérêt commun à titre onéreux vient confier à la SDBO la vente de 78 % du capital d'Adidas détenu par BTF, au prix de 317,86 millions d'euros, c'est-à-dire 2,085 milliards de francs, au plus tard le 15 février 1993, soit un montant quasiment similaire à celui qui a été offert à Pentland, ce qui est assez logique. Le mémorandum prévoyait notamment la fusion des sociétés BTF SA, GBT et FIBT en une entité unique, afin de pouvoir affecter la plus-value dégagée par la société Bernard Tapie Finance – BTF SA – pour la cession d'Adidas au désendettement des autres sociétés du groupe. Cette fusion n'a en réalité jamais pu intervenir en raison de l'opposition manifestée par les actionnaires minoritaires des sociétés concernées, qui ont à juste titre soutenu qu'un délit d'abus de biens sociaux aurait résulté de la couverture des dettes d'un pôle par l'autre. La SDBO disposait donc de deux mois pour conclure la vente de la société, dont la situation se détériorait.

Le 12 février 1993, la vente intervient, au prix convenu, auprès de huit acquéreurs, parmi lesquels la société Clinvest, filiale du Crédit Lyonnais, qui était déjà titulaire de 10 % du capital d'Adidas et en acquiert, dans cette opération, 9,9 % supplémentaires, mais également la société Rice SA constituée par Robert Louis-Dreyfus, qui prend une part de 15 %. Certains acquéreurs ont bénéficié d'un prêt spécifique dit à « recours limité » accordé par le Crédit Lyonnais et prévoyant notamment qu'en cas de revente, la plus-value serait partagée à raison, grosso modo, d'un tiers pour l'emprunteur et de deux tiers pour la banque. En revanche, en cas d'échec de la cession des parts à un prix égal ou supérieur au principal du prêt à l'échéance de ce dernier, le Crédit Lyonnais prenait à sa charge la totalité du risque.

Robert Louis-Dreyfus bénéficie dans le même temps d'une option d'achat de la totalité du capital d'Adidas au prix de 708,9 millions d'euros, soit 4,65 milliards de francs, valable jusqu'au 31 décembre 1994. Le rachat sera finalisé le 22 décembre 1994.

Ainsi, entre l'échec de la vente d'Adidas à la société Pentland en octobre 1992 et la cession réalisée le 12 février 1993 pour 78 % du capital, la société Adidas est passée d'une valorisation totale de 423,8 millions d'euros, soit 2,78 milliards de francs, à 407,5 millions d'euros, soit 2,673 milliards de francs : la valorisation de la société entre 1992 et 1993 ne varie donc que légèrement.

En résumé, le Crédit Lyonnais assumait, dans cette opération, la totalité du risque en cas d'échec et bénéficiait des deux tiers du profit en cas de succès, situation qu’en particulier les anciens banquiers présents au sein de la commission ne pourront que trouver extraordinaire.

Le 13 mars 1994, un protocole d'accord a été signé entre la SDBO, le Crédit Lyonnais et Bernard Tapie, mettant fin aux relations bancaires des parties et soldant les comptes du groupe Tapie. Le protocole d'accord est assorti d'une condition suspensive, à savoir la production dans un certain délai d'expertises sur le mobilier et les objets d'arts de M. et Mme Tapie. Le 23 novembre 1994, la justice a prononcé la caducité de ce protocole en raison de la non levée de condition suspensive, ce qui a conduit à rendre dès lors exigibles les prêts accordés au groupe Tapie. Par conséquent, le 30 novembre 1994, l'ensemble des sociétés du groupe Bernard Tapie a été placé en redressement judiciaire et a été progressivement mis en liquidation.

À partir de cette date, commence le combat judiciaire.

C'est ainsi que plusieurs décisions de justice sont rendues avant que la Cour d'appel de Paris ne rende plusieurs arrêts : le 23 janvier 1998, le 19 février 1999 – dans lequel elle confirme la caducité du protocole d'accord du 13 mars 1994 pour non levée de la condition suspensive –, le 28 juin 2002, et, enfin, le 30 septembre 2005.

Les arrêts successifs de la Cour d'appel ont d'abord confirmé le sursis à statuer opposé par le tribunal de commerce, mais ont annulé la provision de 91,5 millions d'euros, soit 600 millions de francs, que ce dernier avait accordée. La Cour d'appel a en revanche accordé une nouvelle provision de 6,1 millions d'euros, soit 40 millions de francs, dans l'affaire Alain Colas Tahiti, avant de lever le sursis uniquement sur l'opération de la vente d'Adidas.

À la demande des mandataires liquidateurs, une médiation confiée à Jean-François Burgelin, ancien procureur général près la Cour de cassation, est alors ordonnée par la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 12 novembre 2004. Le principe du recours à une médiation avait été autorisé par la conclusion d'un protocole d'accord auquel le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'établissement public de financement et de restructuration s'était d'ailleurs montré défavorable – j’ai toujours demandé à ce qu’on laisse la justice agir.

La médiation se soldera, au bout de cinq mois, par un échec, en raison du refus opposé par Bernard Tapie aux propositions du médiateur, ces dernières le laissant en effet en situation de débiteur net.

Enfin, par un arrêt rendu le 30 septembre 2005, la Cour d'appel de Paris a jugé que la SDBO et le Crédit Lyonnais avaient failli à leurs obligations de mandataires en se portant acquéreurs par personnes interposées des participations qu'ils étaient chargés de vendre, ainsi qu'en manquant de loyauté envers le mandant qu'ils n'avaient pas informé par écrit des négociations en cours avec Robert Louis-Dreyfus et auquel ils n'avaient pas proposé les prêts à recours limité octroyés aux cessionnaires.

La cour a également jugé que cette dernière faute avait fait perdre au groupe Tapie une chance de réaliser le gain dont il aurait bénéficié si, ayant obtenu le financement adéquat, il avait pu vendre directement les participations d'Adidas à Robert Louis-Dreyfus en décembre 1994. Elle a en conséquence condamné le Crédit Lyonnais et le CDR Créances à payer aux mandataires liquidateurs une indemnité de 135 millions d'euros, égale au tiers de la différence existant entre le prix qui aurait pu être obtenu en décembre 1994 et celui perçu en février 1993. Cet arrêt a d'ailleurs fait l'objet de nombreuses critiques,...

M. François Goulard : Surtout compte tenu des circonstances !

M. Charles de Courson : ...au motif qu'il reconnaît implicitement un « droit au prêt »...

M. François Goulard : Alors que personne ne lui aurait prêté !

M. Charles de Courson : ...que la jurisprudence s'est en réalité toujours interdite de reconnaître.

Pour bénéficier de la plus-value, encore aurait-il fallu trouver le financement. Or aucune banque en effet ne voulait prêter au groupe.

Après de longs débats, le conseil d’administration de l’EPFR a fini par décider d’aller en cassation. C'est ainsi que, réunie en assemblée plénière – précision importante sur le plan juridique – le 9 octobre 2006, la Cour de cassation confirme tout d'abord la recevabilité de l'action engagée par les mandataires liquidateurs.

Elle juge, en revanche, que la responsabilité contractuelle du Crédit Lyonnais ne peut être engagée au titre de manquements dans l'exécution d'un mandat dont elle n'était pas partie – ce qui revient à dénoncer, en quelque sorte, une erreur de personne dans le jugement de la cour d’appel – tout en réservant le sort d'une action menée sur le terrain délictuel.

Enfin, sur le terrain du manquement à la loyauté qu'avait établi la cour d'appel, estimant que la banque s'était abstenue de proposer au groupe Tapie des financements qu'elle avait octroyés à certains cessionnaires des participations litigieuses, la Cour de cassation juge que « le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu’en soit la forme, de s'abstenir ou de refuser de le faire ».

L’affaire étant renvoyée devant la cour d’appel de Paris, bien entendu devant une autre chambre, pouvait-on légalement recourir à l'arbitrage ? Un tel recours m’apparaît d'une légalité très douteuse.

L'ensemble des contentieux liés aux affaires opposant Bernard Tapie au Crédit Lyonnais concerne des personnes physiques – les époux Tapie – et des personnes morales de droit privé – les mandataires liquidateurs des sociétés du groupe Bernard Tapie, le Crédit Lyonnais, les sociétés anonymes Consortium de réalisation et CDR Créances. Dès lors, le recours à la procédure d'arbitrage ne semble a priori pas poser de difficulté. L'arbitrage est d'ailleurs le mode de résolution principal, sinon exclusif, des litiges du commerce international et est de plus en plus utilisé en droit interne pour les conflits liés aux relations contractuelles professionnelles.

Il est toutefois légitime de s'interroger plus avant sur les possibilités d'un recours à l'arbitrage pour une structure, le CDR, qui est certes constituée sous la forme d'une société anonyme, mais dont la surveillance et la gestion financière relèvent directement d'un établissement public administratif – l'EPFR. Or, le recours à l'arbitrage a toujours été exclu par principe pour les personnes publiques, ainsi que le précise très nettement, et en des termes particulièrement larges, l'article 2060 du code civil, qui dispose qu'« on ne peut compromettre [...] sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public ». Le Conseil d'État a érigé cette interdiction en principe général du droit dans son avis du 6 mars 1986.

Les seules dérogations qui ont été apportées à cette règle concernent à ce jour les différends des personnes publiques relatifs à la liquidation de leurs dépenses de travaux publics et de fournitures, les litiges nés autour des contrats conclus pour la réalisation d'opérations d'intérêt national entre plusieurs personnes publiques et une entreprise étrangère ou l'obtention par l'État du retour d'un bien culturel.

Par ailleurs, la loi a ponctuellement ouvert la possibilité du recours à l'arbitrage à certains établissements publics industriels et commerciaux – EPIC – ainsi qu'à certains établissements publics à caractère scientifique et technologique. Enfin, il est admis par la jurisprudence qu'une personne publique peut compromettre lorsque des intérêts du commerce international sont en jeu.

Le recours à l'arbitrage des personnes publiques demeure en tout état de cause l'exception. Dès lors, on peut s'interroger sur la légitimité du choix du recours à la procédure d'arbitrage dans le cadre d'un contentieux dont on ne saurait évidemment nier qu'il engage l'État et les finances publiques. À cet égard, on rappellera que la loi du 28 novembre 1995 relative à l'action de l'État dans les plans de redressement du Crédit Lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs, qui porte création de l'établissement public de financement et de restructuration, n'a pas prévu de possibilité dérogatoire pour l'établissement de recourir à l'arbitrage. Si l'article 5 du décret du 22 décembre 1995 portant statuts de l'établissement public de financement et de restructuration indique que les décisions du conseil d'administration de l'EPFR relatives aux « transactions » sont soumises à l'approbation préalable du ministère chargé de l'économie, on ne peut toutefois en conclure que la faculté de recourir à l'arbitrage serait ainsi couverte par cette disposition.

Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision 2004-506 du 2 décembre 2004, que le principe de l'interdiction pour une personne publique de conclure un compromis d'arbitrage « a valeur législative ». Le recours à l'arbitrage doit donc être prévu par la loi, et l'article L.311-6 du code de justice administrative énumère d'ailleurs de façon limitative les conditions dérogatoires de recours à l'arbitrage pour les personnes publiques.

Cette faculté a, par exemple, été expressément reconnue à Réseau ferré de France – RFF –, tandis que l'article 7 de la loi du 9 juillet 1975 portant dispositions diverses relatives à la réforme de la procédure civile dispose que «des catégories d'établissements publics à caractère industriel et commercial peuvent être autorisées par décret à compromettre ». Un décret est ainsi venu autoriser Charbonnages de France, mais aussi EDF et GDF à recourir à l'arbitrage. Toutefois, l'établissement public de financement et de restructuration est un établissement public administratif – EPA – qui n'est donc pas concerné par la faculté de compromettre offerte à certains établissements publics industriels et commerciaux : seule une loi spéciale aurait pu lui ouvrir la faculté de recourir à l'arbitrage.

Même dans l'hypothèse d’une lecture de l'article 2060 du code de procédure civile selon laquelle le recours à l'arbitrage n'était pas en lui-même illégal, il n'en demeure pas moins que l'on peut s'interroger sur sa pertinence.

Le Président Didier Migaud : Une explication s’impose : d’un côté, vous estimez que le recours à l’arbitrage est d'une légalité très douteuse car il aurait fallu l’autorisation de la loi, mais, de l’autre, vous dites que ce recours ne serait pas en lui-même illégal si l’on s’en tient à une lecture stricte de l'article 2060 du code de procédure civile. Il faut distinguer la légalité de l’opportunité.

M. Nicolas Perruchot : Sans pour autant juger.

Le Président Didier Migaud : J’aurai en effet l’occasion de le rappeler : la commission des Finances n'est pas un tribunal.

M. Charles de Courson : Il faut bien comprendre que l'EPFR, établissement public administratif organe de surveillance du CDR, n'aurait pas pu compromettre directement : l'arbitrage a donc été autorisé par un établissement qui n'aurait pas pu y avoir lui-même recours.

En toute hypothèse, ce sont bien sûr les intérêts de l'État que porte, par personne morale interposée, l'arbitrage litigieux. Le CDR est propriété à 100 % de l’EPFR, lequel est un établissement public administratif. La procédure suivie m’apparaît dans ces conditions comme un détournement du principe de l’interdiction par la loi du recours à l’arbitrage.

Enfin, outre les doutes qui peuvent être émis quant à la possibilité même de recourir à un arbitrage dans ce cadre précis, on ne peut que s'étonner du caractère confidentiel d'une telle procédure, qui concerne des actes privés engageant les deniers publics. Or, avec l'adoption d'une clause de confidentialité, ces actes, qui engagent les finances publiques, sont appelés à échapper à tout contrôle, en particulier à celui émanant de la représentation nationale. Cette situation est clairement contraire à la lettre et à l'esprit de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui dispose, dans son article 15, que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

Les problèmes de communication des informations relatives à la procédure d'arbitrage auxquels le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR s'est heurté pour la préparation du présent document, sont révélateurs de l'interdiction de tout contrôle que toute clause de confidentialité suppose.

Le président la commission des finances a adressé, à la fin du mois de juillet dernier, un courrier aux présidents du CDR et de l'établissement public, afin d'obtenir communication du compromis d'arbitrage. Ce n'est qu'à la veille de la présentation de la présente communication – c'est-à-dire hier après-midi – que le compromis a été transmis au président de la commission ainsi qu'à son rapporteur général. Le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR s'est vu, au nom de la clause de confidentialité qui encadre la procédure d'arbitrage, refuser la communication de ce document. Il a néanmoins pu, en tant que membre du conseil d'administration de l'établissement public, consulter sur place, la veille de la présentation de cette communication, une copie de la convention d'arbitrage, l'original demeurant conservé dans un coffre. Il se doit d'ailleurs de souligner que cette copie, d'assez mauvaise qualité, ne permettait malheureusement pas de décrypter les données chiffrées figurant dans les tableaux annexés au compromis.

M. Jean-Pierre Brard : Incroyable !

M. François Goulard : Cela relève du pénal !

M. Charles de Courson : Le fait que les tenants et les aboutissants de la procédure d'arbitrage échappent ainsi au contrôle de la représentation nationale est un élément qui devrait suffire à lui seul pour prouver le caractère illégal du recours à l'arbitrage. Seule une disposition législative expresse, soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, aurait pu permettre d'y recourir. Soulignons en outre que le principe du contrôle de la bonne utilisation des deniers publics a un caractère constitutionnel. En l'espèce, ni la représentation nationale, ni le juge constitutionnel ne peuvent malheureusement veiller au respect de ce principe fondamental.

On le voit, le recours à l'arbitrage dans ce cas précis est clairement contraire aux droits constitutionnels du Parlement en matière de contrôle de la dépense publique.

Le Président Didier Migaud : Si nous avons pu avoir connaissance de la sentence arbitrale d’une manière quelque peu particulière puisqu’il a suffi de se reporter au site Internet d’un hebdomadaire – celui de L’Express en l’occurrence –, il était important pour notre information d’avoir également connaissance de la convention d’arbitrage. Or celle-ci étant soumise à une règle de confidentialité, un membre du conseil d’administration de l’EPFR pouvait la lire, mais non en disposer.

Le secret n’étant cependant opposable ni au président de la commission des finances ni au rapporteur général, M. Jean-François Rocchi, président du consortium de réalisation, nous a remis à tous deux hier, à ma demande, un exemplaire de cette convention d’arbitrage, non sans avoir rappelé que celle-ci était soumise à la règle de confidentialité. Contacté par mes soins, Bernard Tapie m’a alors indiqué souhaiter que tous les documents soient portés à la connaissance de la représentation parlementaire. Dans un courrier, son conseil a en effet précisé qu’« en ma qualité de conseil des mandataires liquidateurs des sociétés du groupe Bernard Tapie et de M. et Mme Tapie, je vous confirme que mes clients lèvent la confidentialité relative à la sentence, au compromis d’arbitrage et, plus généralement, à tout document préparatoire, pièces produites et mémoires que le CDR, ses représentants ou nous-mêmes souhaiteraient porter à votre connaissance. »

Après en avoir informé M. Rocchi, ce dernier m’a indiqué qu’à partir du moment où l’autre partie acceptait de lever la clause de confidentialité, lui-même en était d’accord, et nous sommes convenus avec Gilles Carrez que la convention serait à la disposition de la Commission ce matin.

M. Charles de Courson : Pour en revenir au recours à l’arbitrage, examinons d’abord les arguments en sa faveur.

Créé en avril 1995, le consortium de réalisation, chargé du cantonnement d'une partie des actifs du Crédit Lyonnais, a fermé ses portes le 29 décembre 2006, la gestion des ultimes dossiers en cours étant assumée à partir du 1er janvier 2007 par la Caisse des dépôts et consignations – CDC. La structure juridique du CDR a été conservée, dans la mesure où le consortium est partie à des contentieux qui sont toujours en cours, mais ses activités sur le plan opérationnel ont cessé. Dès lors, se posait la question de la poursuite, en particulier de la relance de la procédure judiciaire autour de l'affaire Tapie, alors même que le CDR n'avait pratiquement plus de services propres.

Deux arguments pouvaient alors militer en faveur de l'arbitrage.

Le premier tenait au fait que treize années de combat judiciaire n'avaient pas permis de trouver de solution définitive, la procédure contentieuse dans l'affaire Tapie remontant à 1995. La longueur jugée excessive de cette procédure explique ainsi l'acceptation par l'État du recours à l'arbitrage pour clore le contentieux. L'arbitrage présente en effet des avantages certains, en raison de sa souplesse, par opposition à la longueur et la lourdeur des procédures de type juridictionnel. En l'occurrence, le compromis d'arbitrage sur lequel s'accorderont les parties le 30 janvier 2008 prévoit que le tribunal arbitral rendra sa sentence « dans un délai de huit semaines à compter du second jour de l'audience des plaidoiries », ce dernier ayant été fixé au 5 juin 2008. La sentence arbitrale devait donc être rendue au plus tard le 31 juillet 2008. La procédure d'arbitrage, ici fixée à six mois, se révèle donc bien plus rapide qu'une instance judiciaire.

Le second argument était que le recours à l'arbitrage présentait l'avantage de régler définitivement l'ensemble des conflits opposant les mandataires liquidateurs et les époux Tapie au CDR et au Crédit Lyonnais. En effet, l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 octobre 2006 renvoie l'affaire en cour d'appel, ce qui revient à relancer la procédure judiciaire. La Cour a tranché par cet arrêt la seule question de la responsabilité contractuelle du Crédit Lyonnais, ce qui signifie qu'un engagement de la responsabilité civile délictuelle de la banque demeurait envisageable.

Surtout, le litige opposant le CDR aux mandataires liquidateurs et aux époux Tapie concerne en réalité une douzaine de procédures : le recours à l'arbitrage, qui permet de couvrir neuf de ces procédures, propose une issue à l'ensemble de ces contentieux. Ainsi, le compromis d'arbitrage signé le 30 janvier 2008 prévoit, d'une part, que chacune des parties renonce irrévocablement au maintien des instances pendantes ainsi qu'à introduire toute nouvelle action autour des faits litigieux, d'autre part, que les parties renoncent à faire appel de la sentence qui sera prononcée par le tribunal. L'arbitrage rend ainsi possible le règlement définitif d'un conflit qui a duré plus de treize ans.

Hors recours à l'arbitrage ou relance du combat judiciaire, la seule voie qui s'ouvrait aux parties pour le règlement du litige aurait été la médiation : or, une telle procédure, initiée à la fin de l'année 2004, s'est soldée, comme il a été indiqué, par un échec à la mi-2005, du fait du refus opposé aux propositions du médiateur Burgelin par les mandataires liquidateurs et les époux Tapie.

Outre la question évoquée précédemment de la légitimité du recours à une procédure d'arbitrage dans le cadre d'un conflit auquel l'État est en réalité partie, plusieurs arguments pouvaient être avancés à l’encontre du recours à une telle procédure.

En premier lieu, il convient de souligner que si l'article 1450 du code de procédure civile dispose que « les parties ont la faculté de compromettre même au cours d'une instance déjà engagée devant une autre juridiction », le recours à cette procédure intervient généralement en amont du litige, pour éviter que celui-ci ne soit porté devant les instances juridictionnelles. L'arbitrage n'intervient que rarement à un stade de la procédure où de nombreuses décisions de justice ont été rendues. Il est ainsi tout à fait exceptionnel de recourir à l'arbitrage après cassation et renvoi devant une cour d'appel. Il semblerait même que ce soit un cas unique.

Surtout, il est parfaitement incompréhensible d'avoir recours, comme ici, à un arbitrage « en droit » et non « en amiable composition » alors que la cour d'appel de renvoi aurait également statué en droit. Pourquoi demander à des arbitres de dire le droit après la Cour de cassation et avant les juges de renvoi ? Il ne saurait y avoir plusieurs droits. On aurait compris que l'on sorte de la procédure pour solliciter une décision en équité, mais ce n'est pas la voie qui a été choisie.

En second lieu, et par voie de conséquence, s'engager dans une telle procédure revenait évidemment à s'exposer au risque du réexamen par l'instance arbitrale de points du litige qui ont déjà été tranchés, et qui sont dès lors revêtus de l'autorité de la chose jugée. Le tribunal arbitral est ainsi susceptible d'être amené à interpréter constamment des décisions de justice passées en force de chose jugée.

En troisième lieu, le choix de l'arbitrage, dans ce cas précis, renfermait un risque politique important : en effet, pour s'engager dans une telle procédure, le CDR était tenu de recueillir l'avis de l'EPFR, qui est chargé de veiller aux intérêts financiers de l'État dans ce domaine, et dont trois des cinq membres sont des représentants de l'État, qui dépendent directement du ministre pour toutes les décisions importantes prises par l'établissement public.

Dès lors, dans le cadre d'une procédure confidentielle, « transactionnelle », et dans laquelle les parties nomment les juges appelés à se prononcer de façon définitive et irrévocable sur le litige, quelle que soit la position du ministre en charge, elle ne pouvait que donner lieu à interprétation. La confidentialité du compromis d'arbitrage se heurte d'ailleurs frontalement, comme on l'a souligné, aux pouvoirs constitutionnels du Parlement en matière de contrôle des finances publiques.

Enfin, le dernier jugement intervenu dans l'affaire, antérieurement au recours à l'arbitrage, était l'arrêt rendu le 9 octobre 2006 par la Cour de cassation réunie en assemblée plénière, en faveur du CDR : en effet, en établissant que la responsabilité contractuelle de la SDBO ne pouvait être engagée, pas plus qu'un manquement à la loyauté de la part de la banque ne pouvait être établi, l'arrêt de la Cour conduisait à annuler la condamnation infligée par la cour d'appel de Paris au CDR Créances et au Crédit Lyonnais, soit au versement de la somme de 135 millions d'euros aux mandataires liquidateurs des sociétés de Bernard Tapie.

Si le raisonnement suivi par la Haute juridiction n'excluait pas une recherche de la responsabilité de la SDBO sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle, la portée de son jugement invitait indéniablement l'État à poursuivre la procédure judiciaire engagée auprès des juridictions de droit commun. Il faut d'ailleurs souligner que c'est en assemblée plénière que la Cour de cassation a rendu cet arrêt, marquant ainsi sa volonté de lier la cour d'appel de renvoi à son interprétation juridique : en effet, l'article L.131-4 du code de l'organisation judiciaire dispose que, s'agissant de ses arrêts rendus en assemblée plénière, « la juridiction de renvoi doit se conformer à la décision de cette Assemblée sur les points de droit jugés par celle-ci ».

On ne comprend d'ailleurs pas qu'un plaideur se pourvoie en cassation pour ne pas payer une condamnation de 135 millions d'euros, qu'il ait ensuite gain de cause devant la Cour de cassation et qu'il choisisse ensuite de recourir à l'arbitrage. La victoire devant la Cour de cassation justifiait de poursuivre la procédure. Faut-il d'ailleurs souligner combien il est rare d'obtenir ainsi une cassation prononcée par l'assemblée plénière ?

On ne voit donc pas quel intérêt le CDR pouvait avoir à se dépêcher de mettre un terme au litige, alors même qu'il venait d'éviter la condamnation : le temps de la procédure, certes long, jouait évidemment en sa faveur et à l’encontre de Bernard Tapie. Plus encore, à la différence d'un être humain, l'État a la durée pour lui et n'a donc aucune raison d'accélérer le mouvement procédural quand il n'est pas condamné. Ce n'était pas le cas de son adversaire.

Pour sa part, le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR a fait part de ses plus grandes réserves quant à un éventuel recours à l'arbitrage dans l'affaire opposant le CDR aux mandataires liquidateurs et aux époux Tapie, lorsque cette demande a été soumise au conseil d'administration lors de sa réunion du 10 octobre 2007.

Le conseil d'administration de l'établissement public est composé, je le rappelle, de cinq membres – trois représentants de l'État, un représentant de l'Assemblée nationale et un représentant du Sénat. Au cours de la réunion, les trois administrateurs représentant l'État ont indiqué avoir reçu instruction ministérielle de se prononcer en faveur de la proposition : la majorité était donc d'ores et déjà acquise pour autoriser le CDR à recourir à l'arbitrage. Dès lors, seul un encadrement strict du dispositif pouvait être recherché, ce à quoi s'est employé le représentant de l'Assemblée nationale, qui s'est interrogé sur les possibilités de recours qui seraient ouvertes au CDR à l'issue de l'arbitrage, ainsi que sur les moyens de s'assurer que le tribunal arbitral ne remettrait pas en cause l'autorité de la chose jugée qui est attachée à l'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006.

Par ailleurs, en 1999, le Crédit Lyonnais avait pris l'engagement de prendre à sa charge à hauteur de 12 millions d'euros au maximum, à titre de dédommagement, les conséquences du litige en cas de condamnation du CDR. Cette somme avait été versée par la banque en 2005, lors de la condamnation prononcée par la Cour d'appel ; elle avait été remboursée en 2006 à la suite de l'arrêt rendu par la Cour de cassation. Or, le Crédit Lyonnais, qui s'est dit défavorable à un recours à l'arbitrage et qui n’a donc pas signé la convention d’arbitrage, refuse en conséquence catégoriquement d'honorer cet engagement en cas de condamnation du CDR par le tribunal arbitral.

Le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR, qui a participé à la réunion par téléphone, a conditionné son vote en faveur de la proposition d'arbitrage à la prise en charge par le Crédit Lyonnais de la contribution forfaitaire en cas de condamnation du CDR. Étant dans l'obligation de participer à une autre réunion, il a alors quitté celle du conseil d'administration de l'établissement public, avant que le vote sur la proposition de recours à l'arbitrage ne soit intervenu.

Le consentement du Crédit Lyonnais à prendre en charge cette contribution forfaitaire n'est pas intervenu, selon les informations communiquées à ce stade. En revanche, « pour éviter [...] un blocage », les liquidateurs du groupe Tapie ont proposé de constituer au profit du CDR « une franchise de paiement de toute condamnation qui pourrait être prononcée à [son] encontre par la sentence arbitrale, égale au montant de la contribution que [le CDR] est en droit d'obtenir du Crédit Lyonnais, soit 12 millions d'euros » : cet engagement, homologué par le tribunal de commerce, a reçu l'accord du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, sous réserve que le CDR persiste à chercher en premier rang et par tous les moyens l'accord du Crédit Lyonnais pour cette contribution.

La sentence arbitrale étant rendue, fallait-il engager un recours en annulation ?

Par un compromis d'arbitrage, très favorable au groupe Tapie, en date du 30 janvier 2008, les parties étaient donc convenues de recourir à un arbitrage unique pour résoudre, d'une manière globale et définitive, l'ensemble des litiges qui les opposent.

Le tribunal arbitral est composé de M. Pierre Mazeaud, président honoraire du Conseil constitutionnel, de M. Jean-Denis Bredin, avocat au Barreau de Paris, et de M. Pierre Estoup, premier président honoraire de la cour d'appel de Versailles. Les honoraires ont été fixés à un million d'euros, soit 300 000 euros pour chacun des trois arbitres...

M. François Goulard : Où peut-on s’inscrire ?

M. Charles de Courson : ...et 100 000 euros pour couvrir les frais de fonctionnement du tribunal arbitral.

Conformément à l'article 1453 du code de procédure civile et à la jurisprudence, les parties se sont mises d'accord sur la désignation des trois arbitres. On peut à cet égard s'interroger sur l'indépendance et l'impartialité des arbitres désignés par les parties. Si M. Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel aujourd'hui âgé de soixante-dix-neuf ans, est à l'abri d'une contestation de son indépendance, tel n'est pas le cas pour M. Jean-Denis Bredin : âgé de soixante-dix-neuf ans, il fut vice-président du Mouvement des radicaux de gauche – MRG –, parti auquel a également appartenu Bernard Tapie. L'ancien avocat fut d'ailleurs arbitre dans la procédure d'arbitrage qui fut conduite au milieu des années 90 dans l'affaire des frégates de Taïwan. Enfin, M. Pierre Estoup, magistrat de quatre-vingt-un ans, est un spécialiste du droit des affaires, puisqu'il est notamment déjà intervenu par le passé en 1997 dans une procédure d'arbitrage, dans l'un des volets de l'affaire Elf, entre le président gabonais Omar Bongo et André Tarallo.

Le compromis d'arbitrage prévoit que le tribunal arbitral statue « en droit », et non par « amiable composition », ce qui signifie que les arbitres ne peuvent pas statuer en se fondant sur des considérations d'équité ou de pragmatisme, mais sont contraints de se limiter à l'application pure des règles de droit. L'arbitrage sera donc rendu dans le plus strict respect des décisions de justice définitives revêtues de l'autorité de la chose jugée. En l'occurrence, le compromis d'arbitrage précise que sont revêtus de l'autorité de la chose jugée l'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006 et les attendus définitifs de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 septembre 2005.

En outre, le compromis prévoit que l'arbitrage sera conduit conformément aux articles 1460 et suivant du code de procédure civile. Les procédures en instance sont incluses dans le champ de l'arbitrage, les parties s'engageant à se désister des contentieux en cours.

Le compromis fixe ensuite à 295 millions d'euros majorés des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 1994 le plafond des demandes d'indemnisation de M. Tapie et à 50 millions d'euros celui du préjudice moral.

Le montant de 295 millions d'euros a été fixé à partir de la plus-value de 301,4 millions d'euros dégagée par Robert Louis-Dreyfus, correspondant à la différence entre le prix de rachat d'Adidas à la fin de l'année 1994, pour un montant de 708,9 millions d'euros, et la valorisation d'Adidas au moment de la signature du mémorandum, à hauteur de 407,5 millions d'euros : la Cour de cassation ayant rappelé qu'en aucun cas les parties ne pouvaient se prévaloir de la plus-value réalisée, la demande se situe légèrement en deçà.

Quant au plafond fixé en matière de préjudice moral, les époux Tapie avaient souhaité le fixer à hauteur de 100 millions d'euros lors de précédentes requêtes. Le CDR a fait droit à la demande de fixation du plafond à 50 millions d'euros – somme au demeurant extraordinaire –, ayant considéré qu'un tel plafond ne serait jamais atteint, et que l'indemnisation au titre du préjudice moral n'excéderait pas quelques millions d'euros.

Les parties renoncent à la possibilité de faire appel de la sentence et de lancer toute autre procédure. La sentence du tribunal arbitral aura l'autorité de la chose jugée et sera immédiatement exécutoire.

Dès la convention d’arbitrage, les plafonds sont donc fixés beaucoup trop haut.

M. Jerôme Cahuzac : Les époux Tapie ont beaucoup souffert !

M. Charles de Courson : Concernant la sentence arbitrale du 7 juillet 2008, le tribunal arbitral commence, dans une première partie, par rappeler les prétentions des parties, puis établit un exposé des faits de l'espèce. Ce n'est qu'ensuite qu'il se prononce sur l'ensemble des questions pendantes dans le cadre du contentieux :

Le tribunal arbitral déclare recevable l'action des mandataires liquidateurs et des époux Tapie, en se fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 septembre 2005, confirmé sur ce point par l'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006.

Il juge que la banque a manqué à son obligation de loyauté lors de l'exécution du mandat de vente d'Adidas par la SDBO, « en n’informant pas BTF et GBT de la nature réelle des négociations qu'elle menait avec M. Robert Louis-Dreyfus et du montage qu'elle avait conçu et en ne communiquant pas tous les éléments de la transaction alors que ces informations étaient déterminantes du consentement du vendeur ».

Il juge que la banque a violé l'interdiction de se porter contrepartie dans la vente d'Adidas, « en prenant un intérêt dans l'acquisition des actions qu'elle était chargée de vendre [...] contrevenant ainsi aux dispositions de l'article 1596 du code civil », qui précise que les mandataires ne peuvent se rendre adjudicataires, sous peine de nullité, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées, des biens qu'ils sont chargés de vendre.

En conséquence, le tribunal arbitral condamne le CDR à verser 240 millions d'euros hors intérêts à GBT, accordant ainsi 81 % de la somme demandée par les mandataires liquidateurs, ou environ 80 % de la plus-value réalisée lors de la vente d'Adidas en 1994, alors même que la Cour de cassation avait jugé que les parties n'étaient pas recevables à demander la plus-value résultant de la vente dont ils auraient été privés. Cette somme doit être actualisée au taux légal depuis le 30 novembre 1994 et majorée de l'ensemble des frais de liquidation. Il alloue également aux liquidateurs une indemnité de 45 millions d'euros en réparation du préjudice moral, portant la somme totale à 285 millions d'euros. S'agissant de l'indemnisation au titre du préjudice moral, les arbitres octroient donc 90 % du montant, au demeurant exorbitant, initialement demandé.

Enfin, le tribunal arbitral prévoit qu'un éventuel préjudice fiscal pourrait légitimement être intégré au préjudice matériel, s'il apparaissait un écart entre la fiscalité appliquée à la somme allouée et celle qui aurait été applicable en 1995.

On ne peut d'ailleurs que s'étonner d'un tel dispositif, à l'initiative d'un tribunal arbitral, qui n'est pas l'instance compétente pour définir le statut fiscal des sommes à verser. Il semblerait d'ailleurs que le groupe Tapie ait renoncé au bénéfice de ces dispositions dont l'application relève strictement de la compétence de l'administration fiscale.

S'agissant de la question du soutien abusif que la banque aurait apporté à GBT et de la rupture abusive des relations bancaires entre les parties, le tribunal arbitral a rejeté les deux demandes.

La première, qui relève d'une responsabilité quasi-délictuelle, est subsidiaire de la demande formée en matière de responsabilité contractuelle, cette dernière ayant été reconnue par le tribunal.

La seconde, relative à une rupture abusive, ne peut être examinée par le tribunal, en raison de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 février 1999, qui constate la caducité du protocole signé en 1994 entre les parties.

Enfin, s'agissant du contentieux « Alain Colas Tahiti », le tribunal arbitral a rejeté la demande de diminution de la provision allouée aux liquidateurs par l'arrêt de la Cour d'appel du 19 février 1999, au motif qu'il s'agissait d'une demande nouvelle, non prévue au compromis d'arbitrage.

Le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR s'est naturellement interrogé sur les conséquences financières pour l'État et pour les époux Tapie de la condamnation prononcée par le tribunal arbitral, sur son coût total pour les finances publiques, mais également sur le montant du bénéfice final réalisé par les époux Tapie après acquittement de l'ensemble de leurs dettes.

Le tableau suivant récapitule les estimations que l'on peut raisonnablement émettre, en retenant une hypothèse basse et une hypothèse haute :

ESTIMATION DES MONTANTS EN JEU ET DU BÉNÉFICE FINAL
RÉALISÉ PAR LES ÉPOUX TAPIE APRÈS SENTENCE ARBITRALE

 

Hypothèse basse

Hypothèse moyenne

Hypothèse haute

    Montant de la condamnation

240

240

240

    Actualisation au taux d'intérêt légal

+ 95

105

+ 115

    Frais de liquidation

+ 8

+ 15

+ 21

    Créances de la SDBO

– 163

– 163

– 163

    Actions ex-BTF déjà attribuées à la SDBO

+ 76

+ 76

+ 76

    Créances privées

– 30

– 20

– 10

    Dettes fiscales

– 33

– 31

– 30

    Contribution acceptée par les liquidateurs

– 12

– 12

– 12

    Sous-total

181

210

237

    Imposition sur les sociétés(1)

– 60

– 36

– 40

    Imposition sur les revenus(2)

– 60

– 87

– 98

    Sous-total après imposition

61

87

99

    Indemnité pour préjudice moral

+ 45

+ 45

+ 45

    Total

106

132

144

(1) On retient un taux de 33,33 % dans l'hypothèse basse et un taux de 17 % dans l'hypothèse haute. Ce taux, plus vraisemblable, a également été retenu dans l'hypothèse moyenne.

D'après les informations fournies par le CDR et l'EPFR, les parties auraient trouvé un accord sur l'application à la somme de 240 millions d'euros du taux d'intérêt légal, à hauteur de 105 millions d'euros. En outre, les mandataires liquidateurs et les époux Tapie auraient renoncé au bénéfice de l'éventuel écart de fiscalité entre 1995 et 2008.

Cette somme de 240 millions d’euros, qui figure à la première ligne, doit être majorée du fait de plusieurs éléments.

Le premier à trait à l’actualisation au taux d’intérêt légal, entre novembre 1994 et aujourd'hui. Le montant s’échelonne entre 95 millions d’euros, hypothèse basse retenue par le CDR, et 115 millions d’euros, hypothèse haute, la différence étant due à l’estimation du loyer que Bernard Tapie aurait dû payer s’il n’avait pas bénéficié de l’avantage procuré par l’occupation à titre gratuit de l’hôtel de Cavoye.

M. François Bayrou : Qui a payé les impôts locaux pendant la période ?

M. Charles de Courson : Je reviendrai sur ce point par la suite.

Le deuxième élément concerne l’ensemble des frais de liquidation engagés dans la procédure : le montant pourrait atteindre au total près de 21 millions d'euros, incluant les 8,4 millions d'euros fixés par le tribunal arbitral à la charge du CDR.

Il convient également de tenir compte des créances déclarées. La ligne correspondante, qui est pratiquement illisible dans la photocopie de l’annexe, établit à cet égard de façon certaine la créance totale de la SDBO à l'égard du groupe Tapie à 163 millions d'euros. De même les actions ex-BTF déjà attribuées à la SDBO par une décision de justice, sont évaluées de façon tout aussi certaine à 76 millions, ce qui explique là encore, que le même chiffre figure dans les trois colonnes.

Les créances privées sont estimées à 10 millions d’euros, mais d’autres créanciers privés pouvant se manifester, elles pourraient s’élever jusqu’à 30 millions d’euros.

M. François Goulard : Les créanciers se sont en principe déjà déclarés.

M. Charles de Courson : Non. Permettez-moi cependant de ne pas développer ce point, dans l’intérêt de l’État.

Pour leur part, les dettes fiscales représenteraient entre 30 et 33 millions d’euros. Quant à la contribution acceptée par les liquidateurs, elle s’élève à un montant forfaitaire de 12 millions d’euros.

Une fois les dettes payées, le sous-total s’établirait donc entre 181 et 237 millions d’euros.

Après acquittement de l'imposition sur les sociétés – en supposant une hypothèse basse d'imposition au taux de droit commun de 33,33 % et une hypothèse haute à hauteur de 17 % si l’on considère qu’il s’agit de plus-values – puis de l'imposition sur les revenus à 50 %, dans l'hypothèse de l'application du bouclier fiscal, la somme restante, hors préjudice moral, pourrait s'établir, sur la base d’un montant de la condamnation de 240 millions d’euros, entre 61 millions d'euros et 99 millions d'euros.

En réintégrant les sommes afférentes au préjudice moral, en principe exonérées de tout impôt et de toute cotisation, le bénéfice final pour les époux Tapie serait compris – car il s’agit d’une estimation – entre 106 millions d'euros et 144 millions d'euros, sommes qui sont considérables.

Pour ce qui est de l’État, ce dernier devra verser au groupe Tapie entre 226 et 282 millions d’euros, sachant que le coût net pour l'État, décalé dans le temps du fait des impôts, dépendra du montant dont bénéficiera en net Bernard Tapie, sans oublier les créances privées estimées entre 10 et 30 millions d’euros.

S'agissant de la créance hypothécaire sur l'hôtel de Cavoye – ou plutôt sur 92 % de l’immeuble puisqu’un appartement n’appartient pas à Bernard Tapie –, estimée entre 25 et 30 millions d'euros, elle tomberait dans l'hypothèse où les époux Tapie rembourseraient la totalité de leurs dettes. Cette somme leur reviendrait alors également.

Après fiscalisation – en ne tenant compte que des impôts d'État, soit l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu, l’impôt de solidarité sur la fortune, la contribution sociale généralisée et la contribution au remboursement de la dette sociale – le coût net pour l’État serait donc compris entre 136 et 154 millions d’euros.

Il convient bien entendu de manier avec la plus grande prudence ces estimations chiffrées : en effet, si le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR a interrogé le ministère chargé des finances sur la fiscalité applicable en la matière, il n'a à ce jour obtenu aucune réponse officielle à ce sujet. Par ailleurs, les estimations concernant certaines créances demeurent incertaines. Il faudrait d'ailleurs, pour être exact, tenir compte également des frais d'avocat engagés par les époux Tapie, ou des clauses d’intéressement, que je n’ai pas à connaître.

Ces estimations permettent toutefois de supposer que le bénéfice réalisé par les époux Tapie du fait de la condamnation prononcée par le tribunal arbitral, pourrait se révéler bien supérieur aux chiffres avancés dans des déclarations imprudentes.

Fallait-il, enfin, introduire un recours en annulation de la sentence arbitrale, extrêmement favorable, ainsi que j’ai essayé de le montrer, aux époux Tapie ?

La sentence arbitrale a été rendue le 7 juillet 2008, et conformément aux dispositions des articles 1479, alinéa 1er, et 515 du code de procédure civile qui en ouvre la faculté à l'arbitre, l'exécution provisoire de la sentence a été ordonnée.

Afin que la sentence puisse être rendue exécutoire, une ordonnance d'exequatur doit être prononcée : elle peut être requise par l'une des parties, et c'est la signification de cette ordonnance qui ouvre les délais d'appel ou de recours. La requête à fin d'exequatur a été présentée par les mandataires liquidateurs et les époux Tapie quelques jours après le prononcé de la sentence.

Dès lors, dans la mesure où les parties s'étaient engagées à ne pas faire appel de la décision rendue par le tribunal arbitral, et aux termes de l'article 1486 du code de procédure civile, un délai d'un mois était ouvert aux parties à partir de la signification de la sentence revêtue de l'exequatur pour introduire un éventuel recours en annulation de la sentence.

Après avoir recueilli l'avis du conseil d'administration de l'EPFR, le CDR a renoncé à former un recours en annulation de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008. Le vote en défaveur d'un recours en annulation a été acquis à quatre voix contre une – la mienne – au conseil d'administration de l'établissement public, et à trois voix contre deux – en l’occurrence des personnalités qualifiées – au conseil d'administration du CDR. Le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'établissement public a toutefois demandé, lors de sa réunion, communication des notes émanant des différents cabinets d'avocats et juristes spécialisés que le CDR a consultés relativement à la question du recours en annulation : sur les quatre contributions, deux se montraient défavorables à un tel recours, tandis que les deux autres s'y déclaraient favorables.

Plusieurs arguments ont été avancés pour justifier cette décision :

En premier lieu, il a été considéré que l'introduction d'un recours en annulation aurait signifié la poursuite d'un combat judiciaire que la procédure d'arbitrage avait précisément pour objectif de clore de façon définitive. La volonté de mettre fin au litige avait ainsi conduit à la conclusion d'un compromis d'arbitrage dans lequel les parties s'engageaient à ne pas faire appel de la décision rendue. En assimilant ainsi le recours en annulation à un appel, les conseils d'administration des deux structures ont donc considéré qu'un tel recours eût été contraire à la volonté des parties d'en finir avec le combat judiciaire. On rappellera néanmoins qu'un recours en annulation ne constitue précisément pas un appel : c'est au contraire une manière de défendre l'ordre public et des principes essentiels.

En second lieu, un recours en annulation contre la sentence arbitrale devait se fonder sur l'un des six cas prévus par l'article 1484 du code de procédure civile.

Seul un recours fondé sur le non-respect de la mission conférée aux arbitres ou sur la violation d'une règle d'ordre public était envisageable, avec toutefois, des chances de succès très limitées.

En effet, c'est sur le terrain de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée que la sentence arbitrale aurait été susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation. Or, ce type de grief ne peut être soulevé sur le fondement d'une atteinte à une règle d'ordre public : il a en effet été jugé que « la règle de l'autorité de la chose jugée est d'ordre privé et non d'ordre public en droit interne comme en droit international», selon un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, le 16 février 1995. La méconnaissance de l'autorité de la chose jugée pouvait donc seulement être soulevée sur le fondement du moyen tiré de la méconnaissance par les arbitres de leur mission, dans la mesure où le compromis d'arbitrage précise que les arbitres respecteront l'autorité de la chose jugée attachée à certaines décisions de justice déjà rendues.

Concernant les arguments en faveur d'un recours en annulation, si l'absence de convention ne peut aucunement être invoquée, pas plus qu'une composition irrégulière du tribunal ne peut être soutenue ou la violation par le tribunal arbitral du principe du contradictoire être objectée – encore que le respect du principe a été discuté, au motif que certains acteurs majeurs de l'affaire n'auraient pas été auditionnés, argument qui me paraît fragile –, la lecture de la sentence invite cependant à s'interroger, comme on l'a vu, sur le respect par le tribunal arbitral de l'autorité de la chose jugée. Cette exigence avait d'ailleurs été précisée par le compromis d'arbitrage, à la demande expresse de l'EPFR, qui en avait fait une condition à son avis favorable concernant le recours à l'arbitrage.

En effet, l'article 7-1 du compromis d'arbitrage prévoit que « les parties rappellent que le tribunal arbitral sera tenu par l'autorité de la chose jugée des décisions définitives rendues dans les contentieux, notamment l'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006 et les attendus définitifs de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 septembre 2005, étant expressément rappelé et précisé que les décisions rendues en première instance, et qui ont fait l'objet d'une procédure d'appel dont les instances sont en sursis à statuer, ne sauraient être considérées comme revêtues d'une quelconque autorité de la chose jugée ».

Le tribunal arbitral a-t-il violé l'autorité de la chose jugée, ce qui signifierait qu'il aurait statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée ?

S'agissant du périmètre de la recevabilité à agir des liquidateurs de la société en nom collectif Groupe Bernard Tapie, et par voie de conséquence, s'agissant de l'étendue du préjudice dont ces derniers peuvent se prévaloir, l'interprétation donnée par la sentence arbitrale se révèle très éloignée de la lettre des arrêts respectifs de la cour d'appel et de la Cour de cassation.

Il faut tout d'abord rappeler que si, généralement, les motifs d'une décision de justice ne sont pas par eux-mêmes revêtus de l'autorité de la chose jugée, il n'en va pas de même lorsque ces motifs sont le soutien du dispositif. Au surplus, il faut souligner l'autorité particulière qui s'attache aux arrêts rendus par l'assemblée plénière de la Cour de cassation : en effet, l'article L.131-4 du code de l'organisation judiciaire dispose que, s'agissant de ses arrêts, « la juridiction de renvoi doit se conformer à la décision de cette Assemblée sur les points de droit jugés par celle-ci », c'est-à-dire qu'elle doit se conformer à la doctrine juridique qui y est développée.

Voudrait-on nier au tribunal arbitral la qualité de juge de renvoi pour le dégager du respect de l'autorité de la chose jugée des points de droit jugés par la Cour de cassation ? Le compromis d'arbitrage, dans son article 7-1, précise pourtant expressément que le tribunal se conformera à la décision. Le compromis va même plus loin, puisqu'il reconnaît l'autorité de la chose jugée aux « attendus définitifs » de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, c'est-à-dire aux attendus dont la Cour de cassation a approuvé la justesse et la pertinence.

Or, s'agissant de la recevabilité à agir des liquidateurs, la cour d'appel et la Cour de cassation ont nié la possibilité pour les mandataires liquidateurs de « demander la plus-value résultant de la vente dont ils auraient été privés », limitant leur intérêt à agir à la réparation du préjudice personnel subi. En accordant aux liquidateurs 98 % des plus-values dont le groupe Tapie, dans son ensemble, aurait été privé, la sentence arbitrale s'inscrit clairement en porte-à-faux avec les jugements rendus respectivement par la Cour d'appel et la Cour de cassation.

Cet élément est essentiel, car en refusant aux mandataires liquidateurs de revendiquer pour eux-mêmes un préjudice qu'ils n'avaient pas subi en propre et en cantonnant leur droit à agir dans d'étroites limites, le jugement rendu par la Cour de cassation avait logiquement pour conséquence de limiter le montant de l'indemnisation à laquelle les liquidateurs pouvaient prétendre. A contrario, l'élargissement par le tribunal arbitral de l'intérêt à agir des liquidateurs conduit à leur octroyer une indemnisation maximale, égale à la quasi-totalité de la plus-value qu'aurait pu espérer encaisser sa filiale, si le mandat avait été exécuté dans des conditions différentes.

Le moyen tiré du non-respect de la mission confiée aux arbitres, au motif que les arbitres auraient méconnu l'autorité de la chose jugée, pouvait donc paraître fondé et justifier un recours en annulation contre la sentence arbitrale.

Le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR était pour sa part favorable à un recours en annulation à rencontre de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008 en raison, d’abord, de l'illégalité du compromis d'arbitrage. Mais c'est avant tout sur le terrain de la violation par la sentence arbitrale de l'autorité de la chose jugée – essentiellement l’arrêt de la Cour de cassation – qu'il considère que le recours aurait pu être formé.

J’en viens aux suites à donner à l'affaire.

Lors des réunions respectives des conseils d'administration du consortium de réalisation et de l'établissement public de financement et de restructuration le 28 juillet dernier, les deux structures ont renoncé à engager un recours en annulation de la sentence d'arbitrage, à trois voix contre deux pour le CDR et à une voix contre quatre pour l'EPFR, ainsi que je l’ai déjà indiqué. Les représentants de l'État au conseil d'administration de l'établissement public ont en effet reçu instruction du ministre des finances de voter en défaveur d'un recours en annulation de la sentence d'arbitrage rendue le 7 juillet 2008.

Dès lors, plusieurs pistes méritent d'être explorées sur les suites à donner à l'affaire, en particulier l’audition non seulement de l’actuelle ministre chargée de l'économie, Mme Christine Lagarde, mais également son prédécesseur, M. Thierry Breton.

Concernant la création, dont l’éventualité a été soulevée par certains collègues, d'une commission d'enquête sur la procédure d'arbitrage conduite dans le cadre de cette affaire, si rien ne s’y oppose en droit, il serait cependant prudent d’attendre la fin des auditions afin de savoir si une telle création présenterait un intérêt.

Le Président Didier Migaud : Une commission d’enquête ne peut être décidée...

M. Charles de Courson : Avant que le garde des sceaux n’exprime un avis.

Le Président Didier Migaud : En effet.

Et uniquement lorsque l’Assemble siège en session ordinaire. Toute décision en la matière ne saurait donc être prise avant le 1er octobre.

M. Charles de Courson : Reste la formation d'un recours de tierce opposition.

En l'absence d'un recours en annulation formé par le CDR dans un délai d'un mois à partir de la signification de la sentence revêtue de l'exequatur, seule une voie de recours extraordinaire pourrait en l'état être envisagée. Ainsi, l'article 1481, alinéa 2 du code de procédure civile consacre la possibilité pour des tiers de former un recours de tierce opposition à l'encontre d'une sentence arbitrale qui leur porterait préjudice. Cette voie de recours est ouverte à « toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque », selon les termes de l'article 583 du code de procédure civile. Il semblerait donc possible d'envisager un recours qui serait formé devant la cour d'appel de Paris par des contribuables en leur nom propre ou par une association de contribuables.

Ce recours serait recevable dans la mesure où le tiers aurait à la fois un intérêt à agir et où il pourrait se prévaloir de ne pas avoir été représenté devant le tribunal arbitral. L'examen de sa recevabilité aurait d'ailleurs l'avantage de clarifier les rapports juridiques entre l'établissement public de financement et de restructuration et le consortium de réalisation. En effet, si la cour considérait que la sentence arbitrale a été rendue concernant un litige entre deux entités commerciales, les mandataires liquidateurs du groupe Tapie, d'une part, le CDR, de l'autre, elle serait amenée à reconnaître la recevabilité d'un tel recours en tierce opposition, considérant que les contribuables n'ont pas été représentés à l'instance.

En revanche, si elle estimait que le CDR représente en réalité les intérêts de l'État, un tel recours en tierce opposition se révélerait dès lors irrecevable, dans la mesure où l'on jugerait que les tiers ont été représentés au jugement qu'ils attaquent. Il convient enfin de souligner que « la tierce opposition est ouverte à titre principal pendant trente ans à compter du jugement à moins que la loi n'en dispose autrement», selon les termes de l'article 586 du code de procédure civile.

À l'aune de ces analyses, le représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR considère que le fait même, pour le CDR, de recourir à une procédure d'arbitrage était plus que contestable. Il estime en outre qu'un recours en annulation contre la sentence arbitrale eût été légitime et aurait eu des chances raisonnables d'aboutir. Le recours à une justice privée et la confidentialité que cette procédure implique sont en tout état de cause incompatibles avec l'exercice des droits du Parlement en matière de contrôle de la dépense publique. Il importait dès lors que la commission des Finances se saisisse de cette affaire.

Le président Didier Migaud. Je rappelle que la communication de Charles de Courson, que je remercie, n’engage pas la commission des Finances en tant que telle. Cette première audition, qui sera suivie d’autres, était indispensable puisque Charles de Courson représente l’Assemblée nationale au conseil d’administration de l’EPFR.

Sur un plan strictement juridique, nous n’enquêtons, ni ne jugeons – que les choses soient claires – mais les décisions qui ont été prises engagent l’État. Nous sommes donc réunis en raison de notre rôle d’information, de transparence et de contrôle. Le mémoire de Charles de Courson est une contribution utile en ce qu’il soulève des questions que nous devrons poser à ceux dont l’audition est déjà prévue, et éventuellement à d’autres. Il est vraisemblable que nous serons amenés à entendre la ministre chargée du dossier, qui s’est d’ailleurs exprimée. Comme l’on dit, nous allons avancer en marchant, c'est-à-dire en auditionnant l’ensemble des acteurs de la procédure.

M. Jérôme Cahuzac. Au nom de tous mes collègues, je remercie Charles de Courson qui vient de nous donner un nouvel exemple de son attachement au bien public.

S’agissant du raisonnement juridique, de deux choses l’une : ou bien l’autorisation de recourir à cette procédure particulière fut consentie entre deux parties privées – le CDR et les liquidateurs du groupe Tapie – et le recours devant la cour d’appel de Paris d’une tierce partie, c'est-à-dire un contribuable, est parfaitement recevable puisqu’il n’était représenté ni par les liquidateurs du groupe Tapie, ni par le CDR ; ou bien la décision fut prise par les liquidateurs et par l’EPFR, dont M. de Courson a dit qu’il avait un statut d’établissement public administratif – dès lors, l’EPFR, c’est l’État – et, alors la décision contrevient explicitement à l’article 2060 du code civil. Autrement dit, la ministre, en l’autorisant, commet, me semble-t-il, un excès de pouvoir dont l’appréciation revient au Conseil d’État. La décision est alors susceptible d’un autre type de recours : le recours pour excès de pouvoir. Ce raisonnement est-il valable ? Pouvons-nous donc estimer que l’affaire n’est pas close, contrairement à ce que certains pourraient espérer ?

Tout à l’heure, M. de Courson n’a pas voulu être plus précis à propos des créanciers privés au nom des intérêts de l’État. Je peux comprendre ce souci, mais son rapport étant par ailleurs très complet, vous comprendrez que nous soyons un peu frustrés sur ce point, qu’il juge peut-être secondaire. Si tel était le cas, je m’en tiendrais là.

M. Charles de Courson : S’agissant des créances privées, l’ensemble des procédures n’est pas achevé. Il n’est donc pas exclu que, au-delà des 10 millions existants, d’autres créanciers privés se manifestent. Je n’en dirai pas plus, pour ne pas nuire aux intérêts de l’État.

L’État a créé par la loi un établissement public, l’EPFR. Il est propriétaire de 100 % des actions du CDR qui est une société privée. L’État a tous les pouvoirs, mais « les décisions du conseil d’administration de l’EPFR soumises à l’approbation préalable du ministre chargé de l’économie en vertu de l’article 6 de la loi du 28 novembre 1995 susvisée sont : […] celles relatives aux transactions… ». En tout état de cause, la décision du conseil ne pouvait être mise en œuvre par le CDR qu’avec l’accord du ministre. Quelle forme cette autorisation a-t-elle prise ? Chaque fois – lors de la médiation, de l’arbitrage et de la discussion sur le recours en annulation de la sentence arbitrale – j’ai demandé aux trois représentants de l’État s’ils avaient des instructions ministérielles et, si oui, si elles étaient écrites. Ils m’ont répondu : « oui », y compris sur le recours en annulation. Au moment de prendre des décisions très importantes, certains, d’après ce qu’ils m’ont expliqué, ont fait jouer la clause de conscience. Ils ont fait une note au ministre pour lui faire part de ce qu’ils pensaient être conforme à l’intérêt public, mais en lui indiquant qu’ils attendaient ses instructions. Et ils ont appliqué les instructions ministérielles en bons et fidèles serviteurs de l’État. C’est ce qu’ils m’ont dit, il faut leur demander directement, mais ces échanges figurent dans les procès-verbaux que j’ai et qui sont classifiés pour des raisons évidentes. Cela étant, j’ai toujours dit au conseil d’administration que je n’étais pas engagé par la clause de confidentialité puisque je représente le peuple français et que je suis donc responsable devant la seule Assemblée nationale.

Quand on a discuté de la convention d’arbitrage, sachez que je ne l’ai jamais vue. On nous a dit ce qu’il y avait dedans. Je n’en ai pris connaissance qu’hier, par l’intermédiaire d’une photocopie dont les annexes sont difficilement lisibles. La sentence arbitrale ne nous a pas été communiquée, toujours au nom de la confidentialité. J’ai appelé M. Rocchi, le président du CDR, pour lui en demander copie et – c’est tout de même extraordinaire –il m’a répondu que, pour cette raison précisément, il ne pouvait pas me la donner et que l’État se mettrait en mauvaise position s’il me la transmettait. Il a ajouté dans un sourire qu’elle était depuis deux heures sur le site de L’Express. C’est là que je l’ai lue.

On m’a aussi questionné sur la façon dont l’EPFR allait payer les quelque 300 millions d’euros puisque la décision est exécutoire. Lors du dernier conseil d’administration de l’EPFR, on nous a demandé si nous étions d’accord pour tirer sur une vieille ligne auprès du Crédit Lyonnais – qui date de 1995 et qui n’a jamais été utilisée –, à un taux très bas, avec un plafond de 300 millions puisque le détail de la somme n’est pas encore connu. J’ai répondu : « Ah, non, ça, jamais ! ». J’ai toujours dit à la commission des Finances – et nous sommes nombreux dans ce cas – qu’il fallait mettre le holà à l’endettement des faux nez de l’État. J’ai donc demandé au président de l’EPFR d’écrire au ministre pour demander une dotation exceptionnelle sur une ligne « frais de justice ». On ne va pas s’endetter pour payer Tapie !

M. François Bayrou : Finalement, quelle a été la décision prise ?

M. Charles de Courson : Eh bien, on a décidé de s’endetter ! J’ai été mis en minorité, comme l’explique une note de bas de page du rapport.

Quant à la possibilité d’un recours, pour attaquer, il faut un acte. Probablement la décision ministérielle, mais je ne l’ai pas vue.

M. François Bayrou : Mme Lagarde l’a reconnue dans tous les journaux.

M. Jérôme Cahuzac : La décision est de notoriété publique.

M. Charles de Courson : Je peux témoigner et les procès-verbaux sont à votre disposition. À chaque fois, j’ai posé la question.

M. Jérôme Cahuzac : D’après votre analyse, si recours il devait y avoir, la voie du Conseil d’État apparaît la plus raisonnable.

M. Charles de Courson : Quand bien même vous obtiendriez l’annulation pour excès de pouvoir de l’instruction donnée par le ministre, il faudrait bien en mesurer la portée, d’une part, sur la décision de l’EPFR, d’autre part, sur celle du conseil d’administration du CDR. Il faut examiner très attentivement la question.

Il est aussi possible d’attaquer la décision du conseil d’administration d’EPFR qui est secrète, mais, par mon intermédiaire ou celui de mon collègue du Sénat, on a les procès-verbaux avec le texte de la délibération.

Le président Didier Migaud : Il y a des points de droit qui méritent d’être précisés et des questions qui devront être posées à d’autres interlocuteurs que Charles de Courson.

M. François Goulard : Le rapport de Charles de Courson résume autant qu’il peut l’être un dossier extrêmement complexe. Tout est anormal dans ce dossier, et depuis le début. Ce n’est pas une question politicienne dans la mesure où beaucoup de gouvernements sont concernés. En tout cas, on ne peut pas rester dans l’ignorance de ce qui a motivé autant de décisions qui, aujourd’hui, apparaissent profondément anormales. Nous devons aller jusqu’au bout des investigations. Les procédures juridictionnelles sont une chose, mais le Parlement, la commission des Finances, doivent faire la lumière sur cette affaire avec tous les moyens qui sont les nôtres en session ordinaire. Je plaide pour que nous ne nous limitions pas à quelques auditions, et nous devons savoir ce qui a réellement motivé des décisions qui, au vu des éléments en notre possession, apparaissent profondément injustifiées.

M. Jean-Pierre Brard : Excellent !

Le président Didier Migaud : En tout cas, vous pouvez donner acte à la commission des Finances du travail qu’elle entreprend.

M. Jérôme Chartier : J’aimerais que soit organisée, aussi rapidement que possible, l’audition des avocats du groupe Tapie. Nous allons entendre les responsables d’EPFR, du CDR, après Charles de Courson qui a exposé son point de vue personnel. En ce qui me concerne, je ne connais rien à cette affaire et je voudrais pouvoir me faire mon opinion en entendant toutes les parties. Or, il n’est prévu d’auditionner M. Tapie que la semaine prochaine. Ne pourrait-on le recevoir avant, lui ou ses avocats ? Pour se forger une opinion, il faut connaître sa vision des événements : pourquoi a-t-il entamé une procédure ? Pourquoi estime-t-il avoir été lésé ? Il ne faudrait pas que la commission des Finances de l’Assemblée nationale se fasse un avis tout de suite et choisisse d’emblée la voie de la commission d’enquête. Je voudrais pouvoir comprendre un dossier extrêmement compliqué. La Cour de cassation en formation plénière s’est-elle prononcée sur tout ou partie des neuf procédures ? Nous n’en sommes qu’au début des auditions. Il faudrait pouvoir entendre toutes les parties dès le départ. Monsieur le président, vous nous avez transmis la lettre que vous avez reçue de l’avocat du groupe Tapie qui était accompagnée de plusieurs pièces. Serait-il possible d’en obtenir aussi la copie ?

Le président Didier Migaud : Pour que les choses soient claires, il était tout à fait légitime, dans le cadre de la première audition, d’entendre Charles de Courson qui représente l’Assemblée au conseil d’administration de l’EPFR. Nous entendrons aussi ceux qui ont été désignés par l’État pour régler le dossier. J’ai demandé à Bernard Tapie de venir devant la commission des Finances et il a accepté. Il sera là dès la semaine prochaine. Mais nous n’aurons pas terminé notre travail pour autant. Il est hors de question de dire que tout est terminé après le travail de Charles de Courson.

M. Jérôme Chartier : Monsieur le président, nous avons cinq auditions du CDR aujourd'hui ! Et aucune de l’autre partie !

Le président Didier Migaud : Elle sera entendue la semaine prochaine.

En cette affaire, il ne faut pas se précipiter. Faisons notre travail de façon méthodique. Je ferai en sorte que nous entendions tous les points de vue et je préciserai à M. Tapie qu’il peut venir accompagné de qui il veut. Je n’exclus pas non plus que nous demandions à entendre une nouvelle fois une personne que nous aurons déjà auditionnée, compte tenu de ce qui aura été dit entre-temps. N’ayez crainte. Nous commençons tout juste notre travail par une mise à niveau en matière d’information. Le dossier est complexe, et je n’ai pas voulu m’exprimer car, quand on est en responsabilité, il vaut mieux éviter de parler trop vite. Nous nous forgerons une opinion petit à petit, et, par là même, nous aiderons l’opinion publique à en faire autant. Tel est le sens de notre travail.

M. Jérôme Chartier : C’est précisément pour cette raison qu’il m’aurait semblé préférable d’organiser les auditions en pensant à ceux qui prennent connaissance du dossier et qui ont besoin d’avoir dès le départ un spectre des opinions le plus large possible, pour pouvoir poser des questions.

Le président Didier Migaud : C’est ce qui sera fait.

M. Charles de Courson : Ce rapport est un mémoire introductif en vue des auditions. Quelqu’un qui prendrait connaissance du dossier sans rien y connaître serait immédiatement noyé. Il s’agit de sérier les grandes questions, d’essayer d’exposer les points de vue des uns et des autres, avant de vous donner le mien, de façon à éclairer les débats, à vous rendre plus intelligibles les auditions et plus faciles les questions que vous voudrez poser à ceux qui seront reçus, dont j’espère que la liste sera un peu étoffée. Mais nous en discuterons. En deux heures de lecture, vous aurez les points essentiels qui vous permettront de suivre les auditions et de poser des questions.

M. Jérôme Chartier : J’aimerais surtout savoir – et sans doute ai-je insuffisamment lu ce rapport – pourquoi le groupe Tapie a engagé des procédures.

M. Charles de Courson : S’il avait perdu, M. Tapie aurait été définitivement ruiné !

M. Jérôme Chartier : Je ne l’ai vu nulle part !

M. Charles de Courson : C’est pourtant de lecture directe !

Le président Didier Migaud : D’où l’utilité de prendre le temps de lire les rapports !

Une fois de plus, nous engageons ce travail par une communication que Gilles Carrez et moi-même avons demandée à Charles de Courson puisqu’il représente l’Assemblée nationale au conseil d’administration de l’EPFR. Il n’a pas écrit son rapport en notre nom, mais, dans ce document, il plante le décor en fonction de son propre sentiment sur ce dossier. Les auditions vont commencer et la liste n’est pas close. Ce dossier dure depuis suffisamment longtemps pour ne pas avoir la prétention de l’épuiser en une seule journée d’auditions. Je souhaite que la commission des Finances soit en situation d’entendre tous les points de vue.

M. Gaëtan Gorce : La question que nous devons nous poser, c’est non pas de savoir si M. Tapie a été lésé, mais si l’État l’a été ! Nous représentons la nation, et défendons les intérêts du contribuable. Est-ce que les décisions qui ont été prises par ceux qui défendent les intérêts de l’État ont abouti à une situation défavorable au contribuable ? C’est la seule question à laquelle nous avons à répondre.

M. Michel Bouvard : Exactement !

M. Jérôme Chartier : C’est pourquoi il faut entendre tous les points de vue !

M. François Bayrou : Comme on le sent bien, il s’agit d’une affaire très extraordinaire, lourde de conséquences. C’est pourquoi il faut prendre le temps d’établir les faits de façon indiscutable. Je vais reprendre ceux qui commencent à apparaître avant de poser une question au rapporteur dont la communication est tout à fait éclairante.

Comme notre collègue vient de le dire, le sujet n’est pas Bernard Tapie. On pourrait le croire, mais à tort. Des aventures mettant en cause les banques, l’URSSAF, le fisc – vous apprécierez la prudence de mon expression – qui tentent de tirer avantage de situations économiques particulières, il y en a beaucoup. Mais, d’habitude, les protagonistes trouvent l’État en face d’eux. C’est la mission de l’État que de défendre le droit, et le contribuable accessoirement. Dans le cas présent, l’État, le pouvoir politique, a décidé d’abandonner la solidité des positions établies par les décisions juridictionnelles, en particulier celle de la plus haute juridiction française réunie en formation plénière, c'est-à-dire liant la cour d’appel dans son jugement ultérieur sur les points de droit jugés, dont l’essentiel : y avait-il lieu à indemnisation, ou pas ? L’État, donc, a décidé d’abandonner la force de sa position et de s’en remettre à un arbitrage privé dont on verra, à la lecture de la convention d’arbitrage, que son orientation était soigneusement indiquée. Jusqu’au montant des indemnisations qui allaient être accordées ! Voilà ce que la commission des Finances doit examiner. Il est donc en effet très important de prendre le temps, mais le travail qui commence aujourd'hui est très précieux.

L’État a donc décidé que le contribuable paierait à Bernard Tapie une dette dont la Cour de cassation en formation plénière a dit qu’elle n’existait pas, ou qu’elle n’avait pas à être estimée sous cette forme. Je ne sais pas si quelqu’un pourra me donner des exemples, mais je crois que c’est absolument sans précédent. Nous devrons déterminer quel est le mobile de tout cela.

À votre connaissance, Monsieur de Courson, quand cette somme, dont il apparaît, d’après vous et d’après moi, qu’elle est infondée juridiquement, sera-t-elle payée ? Une fois ces 300 millions versés, il n’y aura plus de retour en arrière possible. Que se passerait-il dans le cas, qui est plausible en l’état de la réflexion, où l’on découvrirait que l’indemnisation est juridiquement infondée, et que l’on n’a pas respecté la chose jugée à cause d’une décision politique ? Quand ce versement, cette spoliation de l’État et du contribuable, aura-t-il lieu ? Dès lors, de l’irréversible est en jeu.

Accessoirement, ne pourrait-on pas réfléchir en urgence à une protection de l’État et du contribuable dans la mesure où l’on considérerait qu’il y a au moins un doute sérieux sur la légitimité, voire la légalité, des décisions prises.

Le président Didier Migaud : Tout en n’anticipant pas sur les conclusions qui pourraient être les nôtres…

M. Charles de Courson : S’agissant de la date de versement, il faudrait déjà que le montant de la somme soit connu. Or, je l’explique dans mon rapport – page 20 –, deux audiences sont prévues – l’une en septembre, l’autre en octobre – sur les taux d’intérêt, la différence entre 95 millions et 115 millions provenant de la fameuse hypothèque sur l’hôtel de Cavoye et de la prise en compte, ou non, du loyer gratuit sur toute la durée.

M. François Bayrou : Qui paie les impôts locaux ?

M. Charles de Courson : Il y aurait un pré-accord sur les taux d’intérêt autour de 105 millions, mais c’est plus compliqué pour les frais de liquidation. Le règlement devrait intervenir vraisemblablement avant la fin de l’année.

M. Dominique Baert et M. Jérôme Cahuzac : Pour Noël !

M. Charles de Courson : Dans la convention d’arbitrage, l’État n’a pas abandonné ses positions juridiques. C’est dans la sentence arbitrale. J’avais beaucoup insisté car l’État étant en position de force, il était aberrant de recourir à l’arbitrage. Dans ces conditions, il fallait bétonner et mettre dans la convention d’arbitrage que les arbitres doivent juger en droit. Ma thèse est que la sentence arbitrale ne respecte pas intégralement les décisions de justice. On peut en discuter.

M. François Bayrou : Le résultat est le même !

M. Charles de Courson : Certes, mais l’arbitrage n’a pas fait renoncer l’État à sa position de force.

Qui paie les impôts de l’hôtel de Cavoye ? C’est une question que je me suis posée. Vous le savez peut-être, j’avais déclaré de façon plutôt humoristique que Bernard Tapie était le squatter le plus huppé de Paris. Il m’a attaqué en diffamation, mais s’est désisté la veille de l’audience, à mon grand regret. Mon appartement se trouvant, par le plus grand des hasards, dans le même secteur géographique que l’hôtel de Cavoye, j’ai appliqué la loi qui permet à toute personne domiciliée dans le même secteur fiscal de consulter les informations auprès de l’administration. Ce que je peux vous dire, c’est que ce n’est pas M. Tapie qui les payait. J’ai posé la question en tant qu’administrateur de l’EPFR et on n’a jamais voulu me répondre. J’ai voulu en avoir le cœur net. Après avoir passé une bonne heure dans les services d’assiette, on a fini par me dire que c’était une société qui payait les impôts. C’est assez curieux.

M. François Goulard : Ce serait l’association des amis de Bernard Tapie.

M. Charles de Courson : Il faut distinguer le foncier bâti et la taxe d’habitation.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Il est tout à fait légitime que nous commencions par entendre notre représentant à l’EPFR Charles de Courson. Mais, comme certains portent déjà des appréciations quasi définitives, je veux, dès à présent, apporter quelques précisions.

Contrairement à ce que dit François Bayrou, la convention d’arbitrage n’est pas en contradiction avec le jugement de la Cour de cassation. Je souhaite d’ailleurs que chacun d’entre nous le lise attentivement. Nous ne pouvons pas, dès la première audition, affirmer des choses qui ne sont pas forcément exactes. Chacun doit se forcer à écouter, à lire l’ensemble des documents avant de proférer des affirmations. Il faut savoir que, dans cette histoire extraordinairement complexe, le problème principal tourne autour de la cession d’Adidas, qui a fait l’objet d’une succession de décisions. L’arrêt de la cour d’appel de Paris a donné droit aux liquidateurs du groupe Tapie, mais la Cour de cassation est revenue en partie sur cette décision, tout en confirmant la recevabilité de l’action engagée par les mandataires liquidateurs. Avec Didier Migaud, nous sommes les seuls ici à avoir fait partie de la commission d’enquête sur le Crédit Lyonnais – il faut lire son rapport – et je me souviens parfaitement que, quand nous avons auditionné le président du Crédit Lyonnais, il a utilisé le mot « portage ». Le Crédit Lyonnais, par le biais de la SDBO, n’est-il pas allé au-delà de son rôle de mandataire pour assurer le portage et bénéficier de l’option d’achat par le groupe Louis-Dreyfus dans les meilleures conditions possibles ? Tout part de là. La question ne peut pas être traitée à la légère. Et, à ce stade, je m’inscris en faux contre le fait de dire que la convention d’arbitrage est en contradiction avec l’arrêt de la Cour de cassation. Chacun doit lire avant de se forger un jugement. Cela étant, nous sommes tout à fait dans notre rôle puisque nous devons savoir si les intérêts de l’État ont été lésés, ou non. L’État est en cause parce que le Crédit Lyonnais était une entreprise publique. L’État est bien à l’origine de ces affaires.

S’agissant de l’EPFR, où l’Assemblée est représentée, il a tenu le 10 octobre 2007 un conseil d’administration très important, au cours duquel a été proposé un avis sur le fait que le CDR engagerait une procédure d’arbitrage. Le conseil d’administration de l’EPFR a donné son accord pour pouvoir mettre fin à un certain nombre de contentieux. Le contexte était parfaitement clair puisque, dans les compétences de l’EPFR, figure notamment la faculté de donner un avis sur la faculté de transiger.

Le président Didier Migaud : Chacun doit faire l’effort de lire l’ensemble des documents, que nous contribuons à mettre sur la table. Je vous ai adressé, dans le courant de l’été, des extraits du rapport de la commission d’enquête sur le Crédit Lyonnais. Nous disposons aujourd'hui de la convention d’arbitrage, de la sentence arbitrale, de la décision de la Cour de cassation et de l’arrêt de la cour d’appel. Il faut en prendre connaissance, mais, avant d’avoir procédé à l’audition de l’ensemble des parties prenantes, personne ne peut se prononcer définitivement. Notre travail consiste à rassembler l’information la plus complète possible.

M. Charles de Courson : Dans le rapport de la commission présidée par M. Séguin, et dont le rapporteur était M. d’Aubert, le président du Crédit Lyonnais de l’époque parle non pas de « portage financier », mais de « portage économique », ce qui est tout à fait différent. Le portage consiste à acquérir des actions et à les détenir un certain temps avant de les revendre. Ce n’est pas ce qui a été fait et c’est pourquoi le président a parlé de « portage économique ».

Le président Didier Migaud : Nous poserons directement la question à M. Peyrelevade puisque nous l’auditionnons la semaine prochaine.

M. François Bayrou : L’argument du rapporteur général est limité à la fois par ce que vient de dire Charles de Courson et par le fait – que tout le monde semble avoir oublié – qu’au moment de la vente d’Adidas, Jean Peyrelevade n’était pas président du Crédit Lyonnais. Il le deviendra plus de six mois après. Il n’est pas partie dans cette opération.

Le président Didier Migaud : Convenons que ce n’est pas la question.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Ce n’est pas une question d’hommes ! Jean Peyrelevade n’a été nommé, si ma mémoire est bonne, qu’au printemps 1993. Mais l’ensemble des décisions de justice, et la Cour de cassation ne les contredit pas, laisse penser que le Crédit Lyonnais a été au-delà de la simple mission de mandataire.

M. François Bayrou : Il n’était pas mandataire !

Le président Didier Migaud : C’est tout le débat !

M. Nicolas Perruchot : Je félicite moi aussi Charles de Courson pour son travail très intéressant. Dans son rapport, il évoque les honoraires, de 1 million d’euros, des trois membres du tribunal arbitral. Qui les a fixés ?

M. Charles de Courson : Ils figuraient dans la convention d’arbitrage : 1 million d’euros correspondant à 100 000 euros de frais et 300 000 euros pour chacun des trois juges arbitres, le financement étant réparti pour moitié entre les parties, ce qui est tout à fait classique. Comme certains collègues ont tiqué, il s’avère, d’après les renseignements que j’ai pris, et compte tenu de la durée – cinq ou six mois –, que c’est bien payé, sans être extravagant.

M. Jérôme Chartier : Ce qu’il faut dire, c’est que ce n’est pas hors norme !

M. Charles de Courson : Et je confirme que les honoraires sont fiscalisés.

M. Nicolas Perruchot : Je trouverais également utile d’ajouter à la liste des personnes auditionnées les ministres des finances qui ont été en charge des décisions. Je regrette pour ma part que nous auditionnions Bernard Tapie dès la semaine prochaine. C’est beaucoup trop tôt. Il devrait vraisemblablement être l’ultime personne auditionnée.

S’agissant de la qualité des documents communiqués, chacun insiste sur la nécessité de faire toute la lumière. Je ne peux qu’être très choqué de constater que le compromis d’arbitrage qui a été transmis à M. de Courson, tardivement en plus, est, au moins dans l’annexe sur l’état synthétique du passif, illisible. Nous allons penser que l’on veut nous cacher quelque chose, ce qui risque d’influencer nos débats.

Le président Didier Migaud : Vous considérez que l’audition de Bernard Tapie vient trop tôt quand M. Chartier la trouve trop tardive. Il faut bien qu’elle ait lieu, et ce sera la semaine prochaine. J’en ai décidé ainsi après avoir consulté plusieurs d’entre vous.

Vous avez la convention d’arbitrage dans les mains. En raison de la clause de confidentialité, les copies ne sont pas obligatoirement excellentes, mais il n’y a aucune difficulté à avoir des informations précises à partir du moment où nous avons les documents et où les parties ont accepté de lever la confidentialité. La transparence existe et vous pourrez interroger M. Rocchi et M. Tapie sur ce document. Certaines des informations que vous avez dans les mains sont inédites, notamment la convention d’arbitrage. Elles contribuent à la transparence, à la qualité de nos travaux et à la compréhension par chacun du sujet.

M. Charles de Courson : Je me suis fait la même réflexion que notre collègue, mais, à la lecture, seul l’état du passif est illisible. Les chiffres les plus importants sont, d’une part, les 163 millions de créances de la SDBO et les 30 millions de créances fiscales. Les autres dettes, environ 10 millions, ne sont pas certaines ou pourraient s’éteindre.

M. Michel Bouvard : L’affaire est complexe et le Parlement dans son ensemble gagnerait à ce que nous évitions de porter des jugements à l’emporte-pièce et de politiser prématurément un dossier même s’il méritait ultérieurement de l’être. Nous devons conduire nos travaux sereinement si nous voulons qu’ils soient crédibles et qu’ils se poursuivent comme ils ont commencé. À cet égard, je remercie Didier Migaud d’avoir pris le soin de consulter l’ensemble des membres du bureau de la commission pour fixer le calendrier des auditions et, avec le rapporteur général, la façon de procéder.

Outre le cas Tapie, le CDR traite vingt-huit dossiers dits majeurs et de l’ordre de 160 dossiers mineurs. Quelle est l’appréciation de notre représentant sur ces autres contentieux ?

Par ailleurs, à côté de la question de savoir si l’État a été lésé ou non, nous devons, dans le cadre de nos travaux, nous interroger sur la qualité de la gestion des établissements de défaisance. Malheureusement, il y a d’autres structures de ce type, pour le Comptoir des entrepreneurs ou le GAN. Nous ne sommes pas non plus à l’abri pour l’avenir, même si l’État a moins de participations. Je m’interroge aussi sur l’accès de la représentation nationale à l’information quand j’observe, dans l’établissement public dont je préside la commission de surveillance, et qui était chargé d’une gestion purement administrative, qu’un censeur était prévu par la convention de 2004, mais que le poste n’a jamais été pourvu.

M. Charles de Courson : Il reste au sein du CDR deux grandes affaires : le dossier Tapie et la queue de la comète Executive Life. On trouve aussi des affaires immobilières de moindre importance. Le dossier Tapie représente un peu moins de 300 millions, Executive Life quelques dizaines de millions d’euros sous réserve que la justice américaine, parfois surprenante, ne prenne pas de décision inattendue. Mais il ne reste plus que des passifs, en dehors d’un hôtel à New York qui est en cours de réalisation. Je vous ferai le point sur le passif net.

M. Philippe Vigier : Je remercie Charles de Courson pour l’excellent travail qu’il a fait à la demande du président de la Commission et du rapporteur général. Comme François Goulard, je ne vois pas comment ne pas aller au bout de cette affaire, et de façon équilibrée en donnant la parole à tous les acteurs qui sont intervenus à un moment ou à un autre.

M. de Courson laissait clairement entendre que la non-transmission de la convention d’arbitrage constituait une véritable entrave à la connaissance du dossier. Je ne vois pas, en dépit de la clause de confidentialité, pourquoi on a tant tardé à nous la communiquer. Vu le mécanisme de décision qui a conduit à la mise en place de ce tribunal arbitral, il fallait vraiment que la convention puisse être communiquée à notre représentant au sein du conseil d’administration de l’EPFR.

L’affaire a démarré, rappelons-le, en 1990. Il est tout de même étonnant qu’une banque ait prêté 1,6 milliard de francs remboursables en deux années seulement. Comment cette opération a-t-elle pu être validée par le Crédit Lyonnais ? Les conditions tranchent avec les montages financiers que l’on rencontre dans le monde économique ou le monde industriel.

Le cas ne risque-t-il pas de faire jurisprudence ? Jusqu’à présent, les établissements publics administratifs étaient a priori exclus de ce type de règlement.

Comment enfin mieux protéger l’État à l’avenir ? J’insiste sur ce point car d’autres affaires que le Crédit Lyonnais ont coûté très cher.

Le président Didier Migaud : Une nouvelle fois, je précise que Charles de Courson a eu connaissance, à l’occasion d’une réunion du conseil d’administration de l’EPFR, de la convention d’arbitrage, sans en avoir possession. Je l’ai demandée, et nous l’avons obtenue avec Gilles Carrez puisque la clause de confidentialité n’est opposable ni au président ni au rapporteur général de la commission des finances alors qu’elle l’est à Charles de Courson. La loi me donne certains pouvoirs ; j’ai fait en sorte de les exercer pour permettre à la commission des Finances de travailler. Le groupe Tapie aussi bien que le président du CDR ont accepté que cette convention d’arbitrage soit sur les tables ce matin. Vous pouvez la lire et poser des questions. Si elle n’est pas assez lisible, nous ferons en sorte qu’elle le soit.

M. Michel Bouvard : Dans le cadre de la modification de la LOLF, nous pourrions voter une mission spécifique à Charles de Courson lui donnant la possibilité d’avoir accès à tous les documents.

Le président Didier Migaud : De toute façon, tous les documents sont sur la table.

M. Charles de Courson : Il est tout de même incroyable de refuser de communiquer à un administrateur une convention sur laquelle on lui demande de se prononcer. Un administrateur est tenu à la clause de confidentialité, mais, en ce qui me concerne, j’ai toujours dit que je ne me sentais pas lié par cette obligation envers les représentants du peuple.

Pourquoi le Crédit Lyonnais a-t-il accepté de prêter 1,6 milliard ? C’est toute la dérive du Crédit Lyonnais et de ses filiales de banques d’affaires. Je crois que le prédécesseur de M. Peyrelevade, M. Haberer, y a vu une bonne affaire et qu’il a cherché à piéger Tapie car il le savait parfaitement incapable de rembourser. Ce ne sont que des hypothèses, mais un banquier normal ne finance pas à 100 % un client incapable de rembourser.

M. François Bayrou : Un mot seulement pour dire qu’il y avait un nantissement sur les actions ! C’est ce gage qui explique la situation à la fin de 1992.

M. Charles de Courson : Entre parenthèses, ils auraient fait jouer le nantissement au lieu de se lancer dans cette procédure, il n’y aurait jamais eu de débat.

M. François Bayrou : Évidemment !

M. Charles de Courson : Il n’y a pas de risque de jurisprudence parce qu’il faut une disposition législative pour qu’une partie publique puisse recourir à l’arbitrage. Le droit est très clair, à mon avis.

Comment mieux protéger l’État ? En ce qui me concerne, je pense que la création de structures de défaisance est une erreur. Vous pourrez poser la question à M. Peyrelevade. En créant de telles structures, on coupe les ponts avec ceux qui ont initié les dossiers devenus pourris et la perte de mémoire est considérable. On embauche des nouveaux qui ne savent rien de ce qui s’est passé. Et vous aboutissez parfois à des catastrophes.

Le président Didier Migaud : C’est encore un autre sujet.

M. Jean-Pierre Brard : Merci à la troïka qui permet de rehausser le rôle du Parlement par de tels travaux.

Ce qui m’intéresse vraiment, c’est la dernière longueur. On sait comment fonctionne actuellement notre État. Parmi les auditions, je souhaite que soit prévue celle du conseiller de l’Élysée qui suit le dossier et de M. Guéant, puisque, à l’évidence, nous sommes devant une affaire qu’on appellera un jour une affaire d’État.

Le Président Didier Migaud : Nous verrons. La ministre représente l’exécutif et l’État. C’est elle qui est en charge du dossier.

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