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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 10 décembre 2008

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 51

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, sur la demande d’autorisation d’une garantie de l’État en faveur de la FSA, filiale de Dexia

M. le président Didier Migaud. Je remercie Mme la ministre de l’économie d’avoir répondu à l’invitation de la Commission. Je remercie aussi pour sa présence M. Pierre Mariani, le nouvel administrateur délégué de Dexia.

La Commission souhaite être mieux informée sur la nouvelle demande d’autorisation de garantie que le Gouvernement formule en faveur de Dexia, ainsi que sur les perspectives de cette société. Le Gouvernement a déposé un amendement exposant cette demande. La Commission n’a pas souhaité l’adopter avant d’avoir reçu une information complémentaire. Elle vous a déjà entendu sur ce dossier, Madame la ministre, et le Parlement a déjà pris des décisions concernant Dexia : lors de l’examen de la loi de finances rectificatives pour le financement de l’économie du 16 octobre 2008, nous avons en effet approuvé l’augmentation de capital de Dexia de 1 milliard d'euros, souscrite par la Société de prise de participation de l’État – SPPE –, ainsi que l’octroi de garanties financières par la Société française de financement de l’économie – SFEF – pour couvrir les besoins de financement de la banque à hauteur de 55 milliards d'euros. Il avait aussi été demandé à la Caisse des Dépôts, également actionnaire de Dexia, de souscrire au capital du groupe pour 2 milliards d'euros. Les États belge et luxembourgeois ont aussi pris des participations dans Dexia.

Il nous est désormais demandé d’autoriser une garantie supplémentaire pour permettre à Dexia de vendre l’activité d’assurance de la filiale de rehaussement de crédit FSA – Financial Security Assurance – ; c’est l’objet de l’amendement du Gouvernement ; cette demande, qui a déjà fait l’objet d’un premier débat de notre Commission, est la raison de l’audition de Mme la ministre.

Je rappelle aussi que la Commission insiste beaucoup sur la mise en place du comité de suivi, qui doit inclure des parlementaires, des décisions prises par le Gouvernement et approuvées par le Parlement, notamment concernant la SFEF ; nous souhaitons également que le Gouvernement puisse à bref délai apporter des précisions sur le fonds stratégique d’investissement, ainsi que sur la composition du capital de la filiale de la Caisse des dépôts à mettre en place.

M. Jean Launay. Je ne vois aucune différence entre l’amendement 375 rectifié qui nous est aujourd’hui distribué et sa première version, l’amendement 375.

M. le président Didier Migaud. En effet, il n’y a qu’une rectification d’erreur matérielle. Mais cela oblige au dépôt d’un amendement rectifié.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. Je suis très heureuse de venir présenter ce dossier devant la Commission des finances. Je ne suis pas surprise de son invitation et je n’y vois aucune marque de suspicion comme il a pu être dit. C’est un dossier très difficile par sa structure, son volume et l’architecture de la solution trouvée, et il appelle des explications claires.

L’administrateur délégué de Dexia, M. Pierre Mariani, pourra compléter mes explications : il découvre en ce moment la nature et le contenu d’un certain nombre d’obligations de Dexia. Je vais vous présenter l’amendement 375, et le resituer dans le contexte de l’opération que nous avons conduite en coopération avec l’État belge.

Mais d’abord un mot sur la SFEF et la SPPE. Le décret relatif au comité de suivi a été signé aujourd’hui ; il sera publié au Journal Officiel de demain.

L’activité de la SFEF consiste à donner la garantie de l’État, dans la limite d’un plafond de 320 milliards d'euros, à des emprunts qui sont ensuite réacheminés vers les banques de façon à leur permettre de financer l’économie française. Onze milliards d'euros ont déjà été émis par la SFEF, en une tranche de six milliards d'euros et une autre de cinq milliards. Une tranche préalable de cinq milliards avait été une simple avance de la Caisse des dépôts et consignations.

S’agissant de la SPPE, nous avions identifié, au sein de l’enveloppe maximale de 40 milliards d'euros votée par le Parlement, 10,5 milliards pour renforcer les fonds propres des banques. Les négociations avec la Commission européenne ont été longues et difficiles. L’assistance de la Banque centrale européenne a été déterminante pour nous permettre de convaincre la Commission qu’il fallait distinguer les banques qui faisaient l’objet d’un plan de sauvegarde et celles qui faisaient l’objet d’un plan de soutien, et que, entre les deux catégories, des taux d’intérêts et des conditions différentes étaient justifiés.

Dexia relève d’un plan de sauvegarde. Pour ce plan, la Commission a travaillé efficacement et dans des délais très rapides. En revanche, les négociations relatives aux plans de soutien ont été plus longues. Notre plan de soutien aux banques françaises est validé depuis deux jours. Demain, nous allons souscrire à 10,5 milliards d'euros de titres subordonnés émis par les six grandes banques de réseau françaises.

C’est la SPPE qui porte la prise de participation de l’État d’un milliard d'euros dans le capital de Dexia. Dexia était confrontée à la fois à une crise de liquidité et à une crise de solvabilité. Cette crise a conduit les États belge, français et luxembourgeois à décider de participer à la recapitalisation du groupe, de changer sa direction, et de lui accorder une garantie spécifique sur ses émissions. Cependant, cette garantie, de 55 milliards d'euros, ne couvre que les financements des sociétés du « groupe Dexia » : Dexia SA, Dexia Banque Belgique, Dexia Crédit local, Dexia Banque Internationale du Luxembourg. Elle ne concerne pas la société américaine FSA, qui est une filiale de Dexia Holdings.

C’est Financial Security Assurance Inc, filiale à 100 % de FSA Holdings Limited – la holding de tête de FSA –, qui fait l’objet de la cession. Elle détient 420 milliards de dollars d’engagements, dont 310 sur des collectivités locales américaines.

La société qui pose problème est la société de gestion FSA Asset Management - FSAAM – , autre filiale à 100 % de FSA Holdings Limited. En effet, elle détient 17 milliards de placements notamment des dépôts des collectivités locales américaines ; or elle a géré ces dépôts de façon sans doute hasardeuse, puisqu’aujourd’hui la valeur au prix du marché de ces 17 milliards de dollars a été réduite à 11,5 milliards de dollars, une forte partie de ces dépôts ayant été placée en produits de titrisation, notamment en produits hypothécaires.

Le premier objectif des États français, belge et luxembourgeois était, en soutenant Dexia, d’éviter un risque systémique qui, compte tenu des ramifications de l’activité de Dexia, aurait été catastrophique pour le système bancaire européen.

Dans les objectifs fixés à la nouvelle direction figuraient le rétablissement d’une structure de financement appropriée et la réduction des risques auxquels était exposée Dexia, notamment aux États-Unis. Lors de la conférence de presse qui a suivi la nuit de négociation entre les trois États, la seule question qui intéressait les analystes financiers et les journalistes était : qu’advient-il de FSA ?

La réduction des risques du portefeuille international de Dexia, et en particulier la résolution du cas FSA, est déterminante pour le maintien de la viabilité du groupe et sa concentration sur ses métiers de base : la banque de détail et de dépôt en Belgique et au Luxembourg, et le financement des collectivités locales en France et en Belgique.

Dexia est exposée au risque américain par le biais de FSA Inc. et de FSA Asset Management. FSA Inc est essentiellement un rehausseur de crédit. FSAAM en revanche a une activité de gestion d’actifs. Son portefeuille comporte un risque de pertes significatif.

Les actionnaires de Dexia ont donc demandé à la nouvelle direction de céder aussi vite que possible FSA, de façon à réduire une exposition au marché américain qui crée pour elle un risque disproportionné par rapport à son bilan, qui est de 637 milliards d'euros.

La nouvelle direction s’est immédiatement mise en quête d’acquéreurs potentiels. Elle a recueilli quatre offres et est entrée en discussion effective avec Assured Guaranty, un rehausseur de crédit détenu par Wilbur Ross, et qui est en train de prendre une position de forte domination sur ce marché. Aux termes des discussions, Dexia a conclu un accord avec Assured Garanty. Celle-ci reprend, pour 722 millions de dollars, FSA Inc., ainsi que ses 420 milliards d’engagements, dont 310 auprès de collectivités locales américaines, et le risque qui leur est associé compte tenu de l’état de la santé financière de ces collectivités.

En revanche, Assured Garanty a refusé d’inclure FSA Asset Management dans le champ de l’accord, sauf à être payée pour cela.

Par ailleurs, FSA Inc supporte un grand nombre de garanties, notamment sur FSA Asset Management, la totalité de son bilan et de ses contreparties. Ces garanties ne pouvant être débouclées (il faudrait pour cela obtenir l’aval de toutes les contreparties, ce qui est en pratique très difficile), il s’est avéré impossible de vendre FSA Inc. hors FSA AM sans garantir au repreneur que FSA Inc. ne serait jamais appelé au titre de ces garanties de FSA Inc. sur FSA AM. En pratique cela supposait une garantie d’État.

Comment va fonctionner la garantie des États français et belge ? Elle fait l’objet de l’amendement qui vous est proposé et d’une convention qui sera signée avec Dexia et l’État belge. D’abord, pour ce qui est de l’État français, elle s’inscrira à l’intérieur du plafond des 360 milliards d'euros déjà voté. Ensuite, elle est portée ensemble par la Belgique, pour 62 %, et la France, pour 38 %. Elle s’applique aux engagements de Dexia relatifs aux actifs de FSA AM. Elle ne s’applique qu’aux actifs et pas au passif : elle porte au maximum sur le total des actifs de FSA AM, c’est-à-dire les 17 milliards de dollars déjà évoqués. Ce montant initial va progressivement diminuer à mesure que les engagements seront remboursés aux contreparties. Comme l’indique l’amendement, elle est accordée à titre onéreux, et non gratuit. Enfin, elle diminue au fur et à mesure que les actifs sont cédés par Dexia et elle prend fin lorsque le montant des actifs devient inférieur à 4,5 milliards de dollars moins les montants déjà appelés en garantie. Il est par ailleurs convenu qu’en cas de réalisation du sinistre, les 4,5 premiers milliards seront supportés par Dexia ; c’est seulement au-delà de cette somme qu’intervient la contre-garantie des États belge, pour 62 %, et français, pour 38 %.

Enfin, si les États français et belge étaient appelés en garantie, ils recevraient en échange, à concurrence des montants engagés, des actions ou titres de Dexia. La garantie, qui est rémunérée, ouvre donc droit en outre, si elle est exercée, à souscrire en priorité à des actions de Dexia, et donc à monter au capital de la banque ou à des certificats ou des titres participatifs.

M. Henri Emmanuelli. Pourquoi ?

Mme la ministre. Cela reste une possibilité, mais non une obligation : nous aurons le choix.

M. le président Didier Migaud. Pour quelle raison le gouvernement luxembourgeois n’est-il pas partie à ce montage ?

M. Pierre Mariani, administrateur délégué de Dexia. Le montage du dispositif est déjà très compliqué. Lors de la première phase, il a été très difficile d’obtenir la participation des Luxembourgeois à la garantie. Ils ont aussi refusé de participer au capital du groupe, ne voulant intervenir qu’auprès de la filiale luxembourgeoise, et sous forme d’obligations convertibles. Dans la mesure où le Luxembourg représente environ 3 % de la garantie octroyée par les États à Dexia en octobre 2008, les États belge et français ont pensé qu’ils aboutiraient plus facilement si le Luxembourg n’était pas associé au dispositif.

M. le président Didier Migaud. Nous découvrons donc que Dexia a progressivement changé de métier, ainsi que le coût et les inconvénients de cette mutation.

M. Pierre Mariani. Quels sont les risques attachés au portefeuille d’activité de FSA ? L’essentiel de ces risques concerne l’activité d’assurance de FSA. Il ne s’agit pas seulement des collectivités locales, mais de l’assurance de toute une série de structures de titrisation immobilière. Ce sont 115 milliards de dollars d’actifs qui sont assurés : titrisation de créances immobilières, de subprimes, et aussi de créances sur des entreprises américaines. Au 30 septembre, nous estimions que ce risque de pertes potentiel sur cette activité d’assurance pourrait aller jusqu’à 10 milliards de dollars environ.

M. Charles de Courson. Pas plus ?

M. Pierre Mariani. C’est déjà un montant tout à fait considérable, compte tenu des caractéristiques de ces actifs.

Vient ensuite l’activité de financial product. C’est une activité de dépôts garantis : des collectivités locales déposaient des fonds auprès de FSAAM et se voyaient garantir un taux d’intérêt sur la durée de leurs placements. La difficulté vient du fait que ces dépôts ont souvent été réinvestis dans des actifs immobiliers. Si l’on est capable de porter ces actifs jusqu’à leur échéance, le risque est moins un risque de crédit ou de dévalorisation qu’un risque de liquidité. Ce risque de liquidité est lié au rating, à la cotation, de la société qui assure les actifs, autrement dit FSA  : si le rating passe en dessous de AA, les 17 milliards de dollars de dépôts doivent faire l’objet d’un remboursement anticipé. Or, aujourd’hui, à la valeur du marché, ces actifs ne valent plus que 11 milliards de dollars.

Le risque de perte en cas de liquidation du portefeuille pour cause d’obligation de remboursement anticipé est donc de 6 milliards de dollars. En revanche, nous considérons, après des simulations approfondies, que, si nous conservons ce portefeuille, la perte finale ne devrait pas dépasser 1,5 milliard de dollars. Dans l’hypothèse la plus dégradée que nous pouvons faire, c’est-à-dire celle d’une baisse supplémentaire de 40 %, par rapport à la situation actuelle, du prix des actifs immobiliers aux États-Unis, la perte serait de 4 milliards de dollars.

La garantie que nous avons demandée à l’État n’est pas une garantie des pertes ; nous estimons que celles-ci doivent être supportées par les actionnaires de Dexia, et qu’en outre elles sont gérables, dans la mesure où elles vont apparaître sur la duration du portefeuille, qui est d’une dizaine d’années. C’est une garantie pour conserver à FSA un rating d’une qualité suffisante pour lui éviter de procéder à des remboursements anticipés de ces contrats. C’est ce risque de remboursement anticipé, et non pas le risque de crédit, que les acheteurs ne pouvaient pas prendre dans la situation actuelle de liquidité de l’ensemble des acteurs financiers. C’est pourquoi nous avons demandé l’aide des États. Cette aide nous permet de céder la partie la plus risquée de l’activité, l’activité d’assurance, et en même temps de prendre le risque de première perte sur ce portefeuille, risque qui à notre sens est inférieur au risque calculé sur le prix actuel du marché. Nous avons passé 1,5 milliard de dollars de provisions ; mais les défauts de cash flow réels effectivement constatés qui ne touchent que trois lignes sur ce portefeuille de 17 milliards de dollars sont de 14 millions de dollars seulement à fin novembre. Cela permet de prendre la mesure du risque réel que nous demandons aux États de prendre. Nous marquons aussi notre confiance dans notre analyse en acceptant d’assumer une première perte représentant trois fois le risque que nous estimons, et, en cas de réalisation d’un risque supérieur, – qui signifierait une situation très grave de l’ensemble de l’économie –, d’émettre des actions de la société au profit des États, ce qui aboutit à diluer la participation des autres actionnaires, et à leur faire supporter les conséquences économiques de cette garantie.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. La loi de finances rectificative pour le financement de l’économie, adoptée en octobre dernier, mettait en place à la fois un mécanisme de garantie de l’État pour l’organisme de refinancement des banques et un mécanisme éventuel de recapitalisation. Dans l’enveloppe maximale de 320 milliards d’euros mis à disposition de cet organisme de refinancement, il était déjà prévu une garantie spécifique pour Dexia. La garantie nouvelle que vous nous proposez, nous dites-vous, s’inscrit également dans cette enveloppe ; simplement, eu égard à la spécificité juridique de son objet – permettre la cession de FSA Inc. –, on ne peut pas l’attribuer sous couvert de la garantie générale. Ceci est clair.

Cependant, quand la Commission des finances a examiné l’amendement, il m’a été impossible de répondre à deux questions. D’abord, quelles sont la nature et la composition précises de ces actifs de 17 milliards de dollars, aujourd’hui évalués à 11 ? Nous aurions besoin de le savoir pour apprécier l’intérêt d’un montage destiné à permettre à Dexia de les conserver jusqu’à maturité, en attente d’une meilleure valorisation. Ensuite, comment est-on garanti contre un risque de manipulation des actifs et de cession à prix cassé compensée par l’activation de la garantie de l’État ?

Enfin, au début des années 2000, il s’agissait pour Dexia de mettre au profit des collectivités locales américaines sa grande expertise en matière de services aux collectivités locales, en pratiquant l’activité de rehausseur de crédit. Or, on s’aperçoit d’une part que les clients du portefeuille d’assurances ne sont pas seulement des collectivités locales, même si celles-ci en représentent la grande majorité, et de l’autre que s’est développée une activité de gestion d’actifs, où l’on gère la trésorerie des clients, en la plaçant sur des actifs plus ou moins risqués. C’est là un métier complètement différent du métier traditionnel de Dexia. Comment ce type de décision a-t-il pu être pris ? La partie franco-belge, qui était majoritaire, et siégeait au conseil de FSA, était-elle informée ? Comment a-t-elle pu laisser faire ? Pour nous, Dexia, même si elle est partie en Belgique, c’était d’abord la banque de financement des collectivités locales.

M. Henri Emmanuelli. Il nous est très difficile d’avoir une appréciation sur un dossier aussi complexe. Quelle est la composition du portefeuille ? Quelles sont les relations entre les filiales ?

Je regrette aussi que le Luxembourg reste à l’écart du dispositif. Certes, il ne représente que 3 % du capital, mais il ne compte que 400 000 habitants et c’est un paradis fiscal. Il s’en tire bien.

La justice, d’une manière ou d’une autre, devrait se mêler de l’évolution de Dexia. On nous parle de dirigeants qui partent sans indemnités. Mais on voit l’un rejoindre le Crédit Foncier, un autre prendre la direction d’une filiale aux Caraïbes… Les pertes se chiffrent pourtant en milliards d’euros, tandis que des gens sont poursuivis pour le vol d’un steak. Le Gouvernement va-t-il engager des poursuites au motif des agissements de certains de ces mandataires sociaux ? Ce serait justifié.

Le portefeuille est trop compliqué pour qu’on y voie clair. Cependant, si les pertes potentielles sont très faibles, très inférieures à ce qu’on pourrait craindre, alors le prix de vente n’est pas cohérent. Si le risque de pertes n’est que d’un milliard de dollars, un prix de vente de moins d’un milliard de dollars n’est pas cher du tout.

Ensuite, comment arrive-t-on à déterminer ce montant de 11 milliards de dollars que vaudrait aujourd’hui ce portefeuille acheté avec les 17 milliards de dollars des dépôts des collectivités locales américaines ? Sait-on vraiment ce que vaut ce portefeuille ?

M. Charles de Courson. Vous avez dit que FSA Inc. allait être vendue pour 722 millions de dollars. Pour quelle valeur cette société figure-t-elle dans les écritures de la holding ? Autrement dit, à quel montant peut-on évaluer la perte créée par la cession ?

D’autre part les États belge et français, à qui il est demandé d’assurer les risques, ne sont pas les seuls actionnaires, avec l’État luxembourgeois, de Dexia. Pourquoi la garantie n’est-elle pas portée par l’ensemble des actionnaires, au prorata de leur participation ? Il y a une sorte d’abus de bien social à l’envers à exonérer de cette charge les actionnaires non publics.

M. Henri Emmanuelli. Les pertes sont socialisées, les bénéfices privatisés !

M. Charles de Courson. De plus, comment établit-on la valorisation du portefeuille ? On nous indique une valeur de marché. Mais les subprimes représentent presque la moitié de ce portefeuille ; or, ces actifs, nous dit-on, sont illiquides. S’il n’y a plus de marché, comment peut-on établir une valeur de marché ? Quelles ont donc été les méthodes d’évaluation de chacune des neuf catégories d’actifs ?

La garantie des États est fournie à titre onéreux, nous dit l’amendement. Pourriez-vous nous préciser les conditions de sa rémunération ?

Enfin, la nouvelle garantie en faveur de Dexia s’inscrit, nous dites-vous, dans les 320 milliards d'euros ouverts en loi de finances rectificative. Mais ces 320 milliards d’euros n’avaient pas du tout ce type d’objet : il s’agissait de garantir des emprunts pour réalimenter le marché interbancaire ! À mon sens, la garantie accordée à Dexia est une garantie nouvelle qui, eu égard à sa nature, est hors du champ des 320 milliards d'euros. Pourriez-vous préciser ce point ?

M. Jean-Pierre Brard. Je m’associe aux questions de notre collègue Henri Emmanuelli, notamment en ce qui concerne les poursuites. Les anciens dirigeants doivent rendre compte et rendre gorge.

Une remarque de forme : j’insiste pour qu’on ne parle que le français dans l’enceinte de notre Assemblée.

Nous allons devoir nous justifier de notre vote sur l’amendement présenté par le Gouvernement. Nos mandants vont nous demander si nous avons bien compris le dispositif que nous aurons voté, si nous en avons vérifié le coût prévisible. À toutes ces questions, la réponse est évidemment non. Pour moi, un parlementaire ne peut pas donner un chèque en blanc. Quelle que soit l’urgence apparente, nous ne voterons rien sans avoir eu les moyens de vérifier par nous-mêmes. La Terre ne cessera pas de tourner pour cela. Nous n’avons rien à reprocher à M. Mariani, mais il est déjà arrivé que des patrons viennent dire autre chose que la vérité devant la Commission des finances.

Imaginons que l’amendement du Gouvernement soit repoussé. Quelles seront alors les conséquences concrètes de ce rejet ? FSA fait faillite ? Quelles en sont les conséquences pour nous ? Pour les collectivités locales ? Nous devons le savoir, et pour cela disposer des moyens d’investigation nécessaires. Je ne conteste pas, Mme la Ministre, le travail que vous avez fait depuis le début dans cette affaire, mais cela ne suffit pas.

M. Michel Bouvard. Nous devons être conscients que, la collecte de dépôts de Dexia étant extrêmement limitée, – elle ne couvre que 20 % de ses prêts –, Dexia a pour problème essentiel de se refinancer sur les marchés. La confiance que ceux-ci lui font, et qui s’exprime par son niveau de rating, est donc essentielle. Alors que la garantie demandée est limitée, et que l’État français et la première institution financière publique française sont actionnaires de Dexia, un rejet de l’amendement du Gouvernement par la représentation nationale serait interprété comme un vote de défiance ; cela ne serait pas sans conséquences pour Dexia.

Cela dit, je partage les interrogations de mes collègues sur les responsabilités des cadres dirigeants de Dexia. Les administrateurs de Dexia représentant la Caisse des dépôts et consignations n’avaient manifestement pas connaissance de la situation réelle de la banque. Après la parution dans la presse, dix jours avant la première nuit de négociation, d’informations sur une éventuelle modification du rating de Dexia, j’avais été amené à demander en commission de surveillance de la Caisse des dépôts des informations, notamment sur l’exposition de Dexia. Il ne m’a jamais été dit qu’elle était celle que vous avez découverte. La question de la responsabilité des dirigeants de Dexia devra donc être posée ; leur départ sans indemnités ne la clôt pas.

Ensuite, se pose la question de savoir comment une banque a pu se doubler d’un hedge fund et sortir complètement de son métier pour aller s’exposer dans le monde entier. C’est une autre question, qu’il nous faudra aborder plus tard.

La question d’aujourd’hui est celle de la cession d’un actif qui bénéficie d’une garantie liée, pour la réalisation de laquelle une contre-garantie est demandée à l’État, dans le cadre d’une enveloppe déjà ouverte et sachant que l’exposition de l’État restera limitée si le portefeuille peut aller à terme. Dans ces conditions, au regard des autres enjeux relatifs à Dexia, la garantie me paraît valoir la peine d’être donnée.

M. Dominique Baert. La présentation de ce dossier suscite en nous un malaise. Lorsque j’étais jeune banquier, mes supérieurs m’avaient donné ce conseil : « tout ce qui est pressé n’est pas urgent ; il ne faut jamais signer sous la pression de l’urgence ». Il y a donc une difficulté de forme dans la demande formulée par le Gouvernement. Les décisions prises dans l’urgence ont parfois des conséquences lourdes et imprévues : qu’on songe au Crédit Lyonnais.

Une autre cause de malaise vient du fait que FSA a été très longtemps décrite comme apportant beaucoup d’argent à Dexia, voire comme le principal contributeur à ses résultats. Aujourd’hui, on nous dit qu’il faut payer pour FSA. Cela crée un trouble.

Quelle est la portée, pour aujourd’hui et demain, de l’engagement que vous nous demandez ? L’État ne garantit pas FSAAM, nous dites-vous. Mais FSA Inc. apparaît comme donnant des garanties à FSAAM et même à GIC Buyers, qui, pour ce que j’en sais, semble une institution de grand risque. La solution que vous proposez n’amène-t-elle pas l’État français à assumer des garanties directes en faveur non seulement de FSA Inc mais aussi de FSAAM ? Lorsqu’on nous dit que ce sont les actionnaires qui assumeront les pertes, n’oublions pas que l’État français est actionnaire de Dexia.

Par ailleurs, M. Mariani, vous avez « chargé la barque » des comptes de Dexia au troisième trimestre 2008, en y incorporant des pertes importantes. Cependant, on voit bien que, malgré cela, Dexia n’est pas au bout de l’apurement de ses comptes. N’allez-vous pas, au-delà des garanties que vous sollicitez aujourd’hui, demander bientôt à l’État actionnaire de participer à une augmentation du capital de Dexia ?

Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. Sur le comportement des dirigeants, la facilité serait de dire que, puisqu’à l’époque des agissements l’État n’était pas actionnaire, il n’a pas à s’en mêler. Tel n’est pas mon point de vue. Nous sommes engagés dans un processus de révision et dans la découverte d’opérations, d’organisations contractuelles, de développements sur certains marchés, dont des pans entiers ne semblent pas avoir été convenablement présentés au conseil d’administration. Lorsque nous disposerons d’informations suffisamment précises et documentées, et si ces informations font apparaître des comportements pénalement répréhensibles ou non conformes au droit des sociétés, en ce qu’ils auraient constitué des dissimulations à l’égard des administrateurs et donc des actionnaires, nous devrons intenter des actions devant les juridictions appropriées soit en Belgique, soit en France, de façon à ce que chacun assume ses responsabilités. C’est la recommandation que je ferai au Premier Ministre.

Pourquoi les autres actionnaires ne participent-ils pas à la garantie ? Après plusieurs nuits successives de négociation avec les représentants de l’État belge mais aussi du Luxembourg, notamment le Gouverneur de sa banque centrale, nous sommes arrivés à la conclusion que, vu l’urgence du dossier et les montants en cause pour le Luxembourg, il valait mieux renoncer à associer cet État si nous voulions aboutir. Les autres actionnaires sont des syndicats de communes belges qui ne sont pas en mesure de fournir ces garanties. En revanche, le mécanisme de montée au capital des États belge et français diluera leur participation à mesure que la garantie sera activée, si elle doit l’être.

M. Charles de Courson. Et les actionnaires privés ?

Mme la ministre. Ils ne sont guère nombreux.

M. Michel Bouvard. Il y a surtout la Caisse des dépôts et consignations. Mais elle a déjà été beaucoup sollicitée.

Mme la ministre. L’enveloppe de 360 milliards d'euros instituée par la loi du 16 octobre 2008 recouvre les garanties accordées par l’ensemble du plan. Le dispositif mis en place en faveur de Dexia présente cependant, avec le mécanisme de contre-garantie, des caractéristiques très particulières, qui empêchaient qu’on puisse le passer sans autre formalité dans la masse des garanties de refinancement sous plafond. C’est pourquoi le Gouvernement a déposé cet amendement : il s’agissait de décrire parfaitement le mécanisme à l’attention de la représentation nationale. Pour autant, je ne vois pas à quel titre ce dispositif ne pourrait pas s’inscrire dans le plafond des 360 milliards d'euros prévu par la loi.

M. le président Didier Migaud. C’est en effet possible, dès lors que cette précision est apportée.

Mme la ministre. Par ailleurs, la garantie est apportée sur les engagements de Dexia relatifs aux actifs de FSA AM.

M. Pierre Mariani. Comment Dexia en est-elle arrivée là ? Lorsque FSA a été achetée par Dexia, en 2000, sa principale activité était le rehaussement de structures de titrisation. Ce n’est qu’à partir de cet achat que FSA s’est engagée dans le refinancement des collectivités locales, et qu’elle a fortement développé cette activité, qui représente aujourd’hui les trois quarts de son portefeuille.

Cependant, pendant ce temps, l’activité traditionnelle de FSA Inc a continué à se développer : FSA a assuré à peu près tous les types de structures de titrisation que l’on peut imaginer. Des risques supplémentaires ont même été pris depuis le début de la crise, à l’été 2007 : la société a considéré que celle-ci lui offrait des opportunités, et s’est précipitée pour engranger des risques nouveaux.

FSA était cependant contrôlée à 100 % par Dexia. L’administrateur délégué de Dexia siégeait au conseil d’administration, de même que le directeur des risques, le directeur financier, et le numéro deux du groupe Dexia. Même si ses membres n’ont pas compris tous les risques qu’ils prenaient, l’activité de FSA s’est développée avec la pleine connaissance et participation de l’état-major de Dexia.

L’activité de financial product est très banale aux États-Unis. Elle permet aux banques de se financer au-dessous du prix du marché. Le produit est réinvesti dans le bilan général de l’activité des banques. C’est donc un produit de refinancement des banques comme les autres. La difficulté est que dans ce cas particulier les produits ont été réinvestis dans des produits à rendement plus élevés, et donc plus risqués – et que les risques se sont matérialisés.

Quelle est la structure du portefeuille ? 3 à 4 milliards de dollars sont constitués d’actifs peu risqués : liquidités, titres gouvernementaux ou quasi gouvernementaux, comme des titres d’agences gouvernementales américaines.

Mais beaucoup d’autres actifs sont plus risqués. Le portefeuille de subprimes est important, mais – paradoxalement – c’est lui qui est le plus faible porteur de risques aujourd’hui ! En effet, le taux de défaut implicite retenu étant très élevé, on n’est pas encore arrivé aux seuils correspondant aux tranches les plus sécurisées de ces portefeuilles. Les risques de pertes potentielles les plus importants portent sur tous les autres actifs immobiliers, où les taux de défauts sont traditionnellement faibles ; la réalisation actuelle de taux de défauts élevés met en danger ces portefeuilles.

Quelle est la valeur de ces actifs ? Nous effectuons des évaluations trimestrielles. Depuis l’évaluation au 30 septembre, cette valeur a dû se dégrader : au prix du marché, les pertes doivent se situer entre 6 et 7 milliards de dollars. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de marché. S’il nous fallait réaliser le portefeuille, il n’est pas sûr que nous trouverions acheteur : il n’y en a pas ! Un candidat au rachat nous a demandé 8 milliards de dollars pour le reprendre ! Nous avons refusé.

Les valorisations sont donc calculées de façon théorique. Les agences de rating nous donnent chaque trimestre des éléments, que nous retraduisons dans nos comptes. Nous calculons les pertes à partir d’une modélisation de notre estimation de l’évolution du marché américain, de la durée de la crise et de l’actualisation des cash flow sur chacune des 900 lignes de produits. Les deux États, la France et la Belgique, revoient aussi le portefeuille avec l’aide de leurs propres conseils, pour évaluer le risque de perte.

Par ailleurs, lorsque la garantie sera donnée, nous n’aurons pas le droit de revendre le portefeuille à n’importe quel prix ; nous serons obligés d’informer d’abord les garants de nos projets ; nous ne pourrons pas provoquer de nous-mêmes la mise en jeu de la garantie de l’État.

M. Hervé Mariton. FSA Inc. est-elle vendable ?

M. Pierre Mariani. Elle est vendue ! Il y avait quatre acheteurs, relevant de deux catégories différentes : des fonds d’investissements privés, et des rehausseurs de crédits, dont MBIA et Assured Guaranty.

FSA est l’assureur de beaucoup d’actifs qui restent dans le portefeuille de crédits de Dexia. C’est pour cela que nous avions besoin d’une solution industrielle, avec un partenaire suffisamment solide pour conserver un rating satisfaisant à Dexia.

Que se passera-t-il si l’amendement n’est pas voté ? Sans garantie sur le financial product, nous ne pouvons pas vendre la partie assurance ; dans ce cas nous conservons dans sa totalité notre exposition au risque américain. Cette exposition est de 530 milliards de dollars. Aujourd’hui, nous estimons le besoin de financement supplémentaire pour l’activité d’assurance à 1,5 milliard de dollars ; mais s’y ajouteront peut-être 500 à 700 millions de dollars supplémentaires par trimestre.

M. le président Didier Migaud. Comment trouve-t-on un acheteur dans ces conditions ?

M. Pierre Mariani. On en trouve un car il y a des synergies relativement importantes entre FSA et l’acheteur. De plus, FSA a aujourd’hui les moyens de faire face à ses pertes : 8 milliards de trésorerie sont ou seront mobilisables à cette fin. Assured Garanty achète pour moitié en liquide et pour moitié en actions, valorisées dans les mêmes conditions qu’Assured au moment de l’accord, soit 0,38 fois la situation nette de l’entreprise.

Les 50 % payés en actions Assured Guaranty, l’ont été au cours de 8 dollars par action. Aujourd’hui, l’action Assured Guaranty vaut 14 dollars. La valorisation de FSA est donc plus proche de 900 que de 700 millions de dollars. Mais ces données sont très variables.

Cela dit, l’opération FSA est une très mauvaise affaire pour Dexia. FSA a été payée en 2000 2,7 milliards de dollars. Elle a été constamment bénéficiaire jusqu’en 2007, mais elle n’a rien rapporté à Dexia : tous les bénéfices ont été réinvestis localement dans l’entreprise. La perte aujourd’hui, compte tenu de cette cession, est d’environ 1,9 milliard d'euros. Elle se décompose en 1,5 milliard d'euros représentant la baisse de la valeur comptable de d’entreprise, et en plus de 300 millions d’euros de crédits d’impôts, qui avaient été activés et qu’il va falloir annuler dans les comptes de l’entreprise car elle n’aura pas la possibilité de les récupérer.

Depuis deux mois nous avons été amenés à procéder à un certain nombre de changements dans la gouvernance de l’entreprise. Sur dix membres de l’équipe de direction du groupe Dexia, il n’en reste plus qu’un aujourd’hui qui demeure membre de la nouvelle équipe.

Nous avons aussi complètement revu les conditions de fin de contrat chez FSA. Une clause adoptée en février dernier prévoyait que toute baisse de rémunération, y compris liée à une baisse des résultats, déclenchait le paiement des indemnités de départ des dirigeants. Nous avons fait voter par le comité des rémunérations une disposition revenant sur cette clause. Nous sommes également en conflit avec le numéro deux de FSA, dont nous nous séparons et pour qui nous refusons d’appliquer les clauses d’indemnité de départ prévues contractuellement, ainsi qu’avec le management et quelques administrateurs dits indépendants de FSA, actionnaires de la société et qui peuvent obliger Dexia à racheter leurs actions à 1,47 fois la situation nette. Nous refusons de payer ces sommes, qui correspondent à un montant d’environ 100 millions de dollars.

Si nous ne procédons pas à cette cession, Dexia va supporter des pertes ; tôt ou tard son rating passera en dessous de AA – il en est déjà proche –, ce qui déclenchera la vente du portefeuille, avec le risque de liquidation de FSA, soit une perte de 7,5 milliards d’euros pour Dexia, sans parler des éventuels procès qui lui seront intentés. Ce scénario peut se déclencher en quelques semaines.

M. Michel Bouvard. Bref, nous avons le choix entre perdre 1,9 milliard et perdre 7 milliards...

M. Pierre Mariani. Les comptes du troisième trimestre font apparaître une perte de 1,5 milliard d'euros. Je n’ai pas chargé les comptes : ces pertes sont effectives. Dexia était exposée pour quelques centaines de millions d’euros notamment sur Lehman Brothers et sur les banques islandaises.

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