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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 4 mars 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 64

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, à l’occasion de la remise d’un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur la fiscalité du patrimoine

M. le président Didier Migaud. Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes.

C’est en votre qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires que nous vous accueillons aujourd’hui, monsieur le Premier président. Pour la première fois en effet, la Commission, en vertu de l’article L. 351-3 du code des juridictions financières, qui dispose que les commissions des finances et des affaires sociales des deux assemblées parlementaires peuvent charger le Conseil de toute étude entrant dans son champ de compétences, a saisi le Conseil d’une demande d’étude sur la fiscalité du patrimoine des ménages. C’est sur ce rapport que nous vous entendons aujourd’hui, ainsi que Mme Catherine Démier, secrétaire générale du Conseil des prélèvements obligatoires, et tous les conseillers ayant participé à son élaboration. Ayant déjà eu le plaisir, ou le déplaisir, de découvrir dans la presse des informations contenues dans ce rapport, nous regrettons que certains persistent à se croire autorisés à communiquer des éléments de rapports avant que leurs commanditaires n’en aient eu connaissance.

Notre législation fiscale a connu depuis 2007 des évolutions notables, qu’il s’agisse de l’impôt sur la fortune, des droits de succession ou du bouclier fiscal. Or l’étude du Conseil porte essentiellement sur une période antérieure à 2007, parce que certains éléments d’information manquent encore sur les effets de ces réformes. Il reviendra à notre commission de prolonger les analyses du Conseil, peut-être dans le cadre d’une mission d’information, si nous voulons pouvoir mesurer les effets de cette évolution.

Les comparaisons internationales auxquels vos collaborateurs et vous-même vous êtes livrés, monsieur le Premier président, nous conduisent à nous interroger également sur l’originalité réelle de notre fiscalité du patrimoine. L’impôt de solidarité sur la fortune devenant essentiellement un impôt immobilier, est-il si différent de ce qui se pratique dans des pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, qui imposent très fortement l’immobilier au niveau local ?

Je voudrais par ailleurs nuancer l’affirmation du Conseil selon laquelle le patrimoine est moins concentré en France qu’au Royaume-Uni : si ce constat vaut pour le dernier décile, ce n’est plus le cas si l’on s’intéresse au dernier centile du dernier décile, c’est-à-dire aux détenteurs des patrimoines les plus importants.

Nous aimerions par ailleurs connaître votre sentiment sur les niches fiscales générées par la fiscalité du patrimoine et sur la difficulté à mesurer leur utilité économique, ou au contraire leur caractère nuisible, questions dont nous savons combien elles préoccupent la Cour des comptes, et singulièrement vous-même, monsieur le Premier président.

Nous voudrions savoir enfin si vous avez pu obtenir des données précises relativement à l’évasion fiscale, notamment sur les pertes de recettes liées au départ de contribuables à l’étranger, qui semblent étonnamment faibles.

Voilà quelques éléments sur lesquels, monsieur le Premier président, nous sommes impatients de vous entendre.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Les informations qui ont pu se retrouver dans la presse ne sont pas, monsieur le président, à proprement parler des fuites, étant erronées pour la plupart. Certaines des assertions, qui figuraient effectivement dans des documents préparatoires, bases nécessaires de nos échanges avec les administrations, n’ont pas été reprises dans le rapport ; d’autres n’ont même jamais été formulées par les auteurs du rapport – je pense notamment aux propos qui nous ont été prêtés sur le bouclier fiscal …

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, c’est en tant que président ès qualités du Conseil des prélèvements obligatoires que j’ai l’honneur de me présenter devant vous, accompagné de Mme Démier, conseiller référendaire à la Cour des comptes, secrétaire général du Conseil, et de M. Marc Fosseux, conseiller référendaire, rapporteur général de cette étude, qui m’assisteront dans les réponses aux questions les plus pointues. M. Fosseux a animé une équipe de rapporteurs, ici présents, dont il a supervisé les travaux et assuré la synthèse des contributions. Le Conseil, qui s’est réuni au cours de huit séances plénières entre septembre 2008 et février 2009, a définitivement adopté le texte le 26 février.

C'est la première fois depuis la réforme dont il a été l'objet en 2005 que le Conseil des prélèvements obligatoires mène une étude à la demande du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, saisine dont le caractère est entièrement nouveau. Cette étude devait porter sur les prélèvements fiscaux et sociaux sur le patrimoine des ménages.

Avec votre permission, je rappellerai brièvement les évolutions récentes qu'a connues le Conseil.

Le Conseil des impôts a été créé en 1971 pour développer une expertise fiscale indépendante. Il était alors ce que l'on appelle communément un organisme rattaché à la Cour des comptes. La réforme de 2005, voulue par le législateur, a modifié le Conseil sous trois points de vue : ses compétences ont été étendues à l'ensemble des prélèvements obligatoires, et non plus seulement à la fiscalité, tant il est vrai qu'aujourd'hui aucune analyse ne peut être menée sérieusement sans évaluer l'ensemble des prélèvements. Cet élargissement correspond d'ailleurs à l'inscription de la notion de « prélèvements obligatoires », considérée avant la LOLF comme purement économique, dans notre droit budgétaire. Le collège du Conseil a été élargi et les présidents des commissions des finances ou des affaires sociales des deux assemblées peuvent désormais saisir le Conseil des prélèvements obligatoires d'une demande d'étude.

Pour en venir au rapport lui-même, je rappellerai que les derniers travaux complets sur la fiscalité du patrimoine des ménages remontent à une dizaine d'années : il s’agit de votre rapport de 1998, monsieur le président, lorsque vous étiez rapporteur général du budget, ainsi que ceux remis par l'ancien Conseil des impôts. Il ne semble pas qu'il y ait eu depuis lors d'étude globale sur le sujet. Il est assez paradoxal que le Parlement ait eu à débattre au cours de ces dernières années de questions importantes sur la fiscalité du patrimoine, sans pouvoir disposer d’éléments d'appréciation de l’ensemble de cette fiscalité, ces dispositions se trouvant de surcroît dispersées, selon les cas, dans les lois de finances initiale ou rectificative, dans la loi de financement de la sécurité sociale, voire dans les lois ordinaires, telles que la « loi TEPA » d'août 2007. Le souhait d'y voir plus clair n'en est que plus légitime. Les dispositions constitutionnelles et organiques qui entreront prochainement en vigueur imposent d’ailleurs aux services du ministère du budget de fournir aux parlementaires une information plus complète que ce à quoi ils ont été jusqu'à présent habitués.

Nous avons, pour notre part, retenu le périmètre d'étude le plus étendu possible dès lors que le patrimoine constitue une notion physique et matérielle avérée, en y incluant les revenus qu'il dégage. Cette étude se limite cependant aux biens matériels qui peuvent donner lieu à une transaction révélant une valeur vénale. Nous ne traitons donc pas des droits à la retraite, les pensions de retraite, notamment dans le cas des régimes de retraite par répartition, n'ayant pas de valeur vénale même si elles constituent indéniablement un capital réel, puisque ce capital ne peut être ni cédé ni transmis. Sur le plan méthodologique, il est donc extrêmement difficile de les quantifier et de les agréger comme un élément du patrimoine individuel. Il reste que la détermination d'un équivalent patrimonial des droits à la retraite permettrait sans doute de mieux comprendre certains comportements d'épargne. En effet, à 12,4 %, le taux d'épargne des Français est l'un des plus élevés de l'OCDE. Il n'est paradoxalement que de 0,6 % aux États-Unis, ce qui ne manque pas de surprendre dans un pays où il n'existe pas de système général de retraite par répartition ni d'indemnisation du chômage, toutes situations théoriquement de nature à nourrir une épargne de précaution.

Si le choix d'un périmètre large n'est pas sans risque – on peut notamment perdre en précision –, il offre une vision aussi complète et transversale que possible des prélèvements sur le patrimoine. Il permet aussi de faire prendre conscience du poids relatif croissant des contributions sociales dans les prélèvements sur le patrimoine, alors qu'il était encore marginal il y a dix ans.

C'est donc les prélèvements sur le patrimoine de l'ensemble des Français, et pas seulement sur la fortune des plus riches d'entre eux, que le Conseil des prélèvements obligatoires a entendu appréhender.

L'étude s'appuie sur des données comparatives portant sur huit autres pays de l'OCDE, qu'il s'agisse des règles fiscales applicables, ou même, plus simplement, de l'évolution du patrimoine observée dans ces pays.

Enfin – je vous prie de bien vouloir excuser ce long préambule, mais il m'apparaît nécessaire pour éclairer ce travail –, les données exploitées par cette étude vont de 1997 à 2007. En effet, comme vous le comprendrez aisément, les données disponibles entre octobre 2008 et fin février 2009, période au cours de laquelle elle a été rédigée, ne permettaient pas d'avoir une appréciation suffisamment fine et complète de l'année 2008. S’agissant de l’ISF, les derniers chiffres connus sont relatifs à l’impôt payé en juin 2008, sur la base d'un patrimoine évalué au 1er janvier 2008 : autant vous dire que les données relatives à l'ISF pour 2009, que nous ne connaîtrons qu'au début de l'année 2010, risquent d'être sensiblement différentes !

Conscients de ces limites, nous avons toutefois fait le choix de respecter l'échéance que vous nous aviez fixée, monsieur le président, sans ignorer pour autant les événements liés à la crise économique et financière. Lorsque cela était nécessaire et possible, nos constatations ont été adaptées pour tenir compte des effets probables de la crise, dont aujourd'hui nous ne pouvons évaluer précisément ni l'ampleur ni les développements. A contrario, autant que faire se pouvait, nous avons tenté de nous situer dans une perspective historique plus longue que la décennie 1997-2007 pour lisser le caractère exceptionnel de la valorisation des patrimoines qu’a connue cette période.

J'en viens maintenant au contenu du rapport, et j’évoquerai d'abord en quelques mots l'évolution du patrimoine des ménages depuis dix ans.

En 1997, la richesse nette patrimoniale des ménages représentait 3 800 milliards d'euros, soit environ 160 000 euros par ménage ; fin 2007, elle s'élevait à 9 400 milliards, soit plus de 380 000 euros par ménage. Cette progression, bien supérieure à celle des revenus sur la même période, est assez exceptionnelle. En effet, alors que le rapport entre le patrimoine net et le revenu disponible était resté globalement stable de 1987 à 1997, il est allé jusqu'à atteindre en 2007 plus de sept années et demi de revenu disponible, et cette progression a été plus forte que dans les autres pays de l'OCDE.

Elle s'explique d'abord par l'évolution des prix réels de l'immobilier. Je me permets de rappeler que l'étude a porté sur ce qu'on appelle dans le jargon des économistes une période dite de « haut de cycle », et que la photographie que je vous donne aujourd'hui risque fort de devenir floue, voire surexposée, compte tenu de la crise qui affecte actuellement la valeur des actifs.

En France, le patrimoine des ménages est composé pour moitié d'immobilier, et principalement de la résidence principale, pour un tiers d'épargne financière, et pour 15 % environ de biens professionnels. Le patrimoine des Français reste donc caractérisé par la part toujours dominante de l'immobilier, renforcée au cours de la période par la hausse des prix, par celle croissante de l'assurance vie, placée principalement en produits sans risques et notamment en titres de dette publique, et par la place encore importante des dépôts et livrets, même si une partie des dépôts s'est reportée précisément vers l'assurance vie. La crise financière de cet automne a montré que ces placements traditionnels pouvaient rencontrer un fort regain d'intérêt chez des Français soucieux de préserver leur épargne. Au fond, si j'ose ce raccourci, la composition du patrimoine de plus de 80 % des Français n'a pas beaucoup évolué : c'est avant tout de la pierre, de l'assurance vie et des livrets d'épargne.

Je ne vous étonnerai pas en précisant que ce patrimoine reste plus concentré encore que les revenus, 10 % des ménages les plus riches en possédant près de la moitié. Pour autant, cette concentration du patrimoine, plutôt moins forte que ce qui s'observe à l'étranger, ne semble pas s'être accentuée depuis le début des années quatre-vingt-dix. Ces inégalités s'expliquent aujourd'hui moins par des différences d'âge, de revenus ou de niveau social, et davantage par les successions et donations.

Le rapport étudie ensuite les différents prélèvements sociaux et fiscaux qui « frappent », selon un terme convenu, le patrimoine à tous les moments de son cycle de vie : la taxation de la simple détention du patrimoine, au travers des taxes foncières et de l'ISF ; la taxation de la transmission du patrimoine, c’est-à-dire les droits sur les mutations à titre onéreux ou les droits de succession et de donation ; enfin, les prélèvements sur les revenus de la part du patrimoine constitué par de l’épargne.

Nous avons fait le choix de confronter l'ensemble de ces prélèvements aux objectifs traditionnellement assignés à la fiscalité au sens large : le rendement budgétaire, l'efficacité économique, l'équité sociale et l'intelligibilité pour le contribuable. C'est donc un diagnostic assorti d'une méthodologie que le Conseil des prélèvements obligatoires a tenté ainsi d'établir. Je rappelle en effet que le président de votre commission ne nous a pas demandé de formuler explicitement des propositions de réforme : c’est à la représentation nationale qu’il appartiendra de tirer, si elle le souhaite, toutes les conséquences de nos conclusions, en s'inspirant le cas échéant de notre méthodologie.

Quelles sont les principales constatations de ce rapport ?

Je vous livrerai d’abord un chiffre peu connu et qui ne figure à notre connaissance dans aucun document officiel : le produit total des prélèvements sur le patrimoine des ménages est évalué à 65 milliards d'euros en 2007. Si ce chiffre est loin d'être négligeable, il faut rappeler qu’il résulte de l'addition de six impôts différents – le rendement de ces prélèvements doit donc être relativisé.

Je tiens également à rappeler un autre élément, qui vous étonnera moins : ce sont les taxes foncières, avec une recette, pour la part payée par les ménages, de 18 milliards d'euros, et les prélèvements sur les revenus de l'épargne, pour 24 milliards, qui constituent, et de loin, les deux ressources principales de la fiscalité du patrimoine. La part des droits sur les mutations à titre onéreux payée par les ménages est évaluée à 9,5 milliards ; les droits de succession et de donation représentent une ressource de 9 milliards ; le produit de l'ISF s'élève à 4 milliards.

Il est intéressant de constater que le produit des prélèvements sur le patrimoine est sensiblement supérieur à celui de la moyenne des autres pays de l'OCDE : il représente 3,4 % du PIB en 2007, contre 2,5 % en 1997, alors qu'il est resté stable dans les dix-neuf autres pays de l'Union européenne membres de l'OCDE, à environ 1,9 %. Cette particularité française ne doit pas surprendre : elle tient en premier lieu au fait que le niveau global des prélèvements obligatoires est en France supérieur à la moyenne européenne. D'autres éléments doivent être toutefois pris en compte puisque le produit de cette fiscalité a doublé en dix ans en euros courants. Il convient néanmoins de ne pas en tirer de conclusions hâtives.

En premier lieu, cette forte progression est d'abord due à ce que l'on appelle un effet d'assiette : les impôts assis sur la valeur vénale des actifs ont naturellement suivi la même évolution que celle des prix de l'immobilier et des actifs financiers. Je rappelle encore une fois que ce qui était vrai à la fin de l'année 2007 risque fort de devoir être infirmé dans les prochains mois.

En second lieu, ce phénomène résulte de la combinaison d'allégements – je pense notamment aux droits de succession et de donation – et de l'alourdissement des prélèvements sociaux, qui sont passés sur la période de 3 à 14 milliards d'euros du fait de la hausse des taux de la contribution sociale généralisée et de la contribution au remboursement de la dette sociale, et de l'élargissement de leur assiette au patrimoine. En d'autres termes, le produit des prélèvements sur le patrimoine se sera alourdi pendant la période considérée, en dépit des mesures d'allégements opérées concomitamment.

Pour autant, cette extension des prélèvements sociaux, dont le taux atteint désormais 12,1 % des revenus de l'épargne, n'a pas eu que des effets négatifs : elle a permis un rééquilibrage de la fiscalité entre les revenus d'activité et les revenus du patrimoine.

Je voudrais également souligner un fait peu connu : les bénéficiaires de ces 65 milliards sont d'abord les collectivités territoriales, pour 40 %, avant l'État pour 38 % et la sécurité sociale pour 22 %, alors qu'en 1997 l'État en était le premier bénéficiaire avec une part de 48 %, et les contributions sociales ne représentaient que 10 % du total des prélèvements sur le patrimoine.

Cette évolution confirme que, depuis trente ans, la hausse des prélèvements obligatoires a profité aux administrations locales et à la sécurité sociale bien davantage qu'à l'État.

Au-delà de ces quelques chiffres, le Conseil des prélèvements obligatoires a été conduit à dresser un constat sans complaisance, qui peut tenir en une phrase : la fiscalité du patrimoine souffre d'une juxtaposition de prélèvements, construits sur des assiettes hétérogènes, sans qu'un pilotage d'ensemble permette de lui donner une cohérence, ni quant à sa nature, ni quant aux objectifs qu'elle est supposée poursuivre.

Concernant les ressources des collectivités territoriales, on constate une dépendance, qui s'est renforcée, à l'égard des droits sur les mutations à titre onéreux et des taxes foncières. Cette situation trahit les contradictions croissantes d'un système financier local inadapté et tiraillé entre le principe constitutionnel d'autonomie fiscale et l'exigence républicaine de solidarité nationale. Dans la réforme constitutionnelle de 2003, on a oublié que ce qui comptait était l'autonomie budgétaire, et que celle-ci serait probablement mieux assurée par un financement local accordant plus de place à des dotations nationales, voire à des partages d'impôts nationaux, comme cela se pratique dans de grands États fédéraux, plutôt que par des impôts locaux étriqués, inéquitables, et que personne ne sait plus comment réformer.

S'agissant de l'équité sociale, le Conseil a estimé qu'elle était mieux assurée par un impôt sur le revenu progressif, combiné avec des cotisations sociales proportionnelles et à assiette large, plutôt que par un ISF dont l'assiette étroite a été mitée par de nombreuses exonérations, avec pour corollaire des taux d'imposition relativement élevés. Sans mésestimer la forte valeur symbolique de la simple existence de cet impôt, je souligne d'ores et déjà qu'il n'est pas, au-delà des apparences, l'impôt qui sert le mieux l'équité sociale.

Pour ce qui touche à l'efficacité économique, il est difficile, là encore, de définir le rôle que le système entend au juste faire jouer à la fiscalité sur le patrimoine. Si celle-ci n'a manifestement qu'un impact très secondaire sur le niveau d'épargne des ménages, son rôle est en revanche important dans l’orientation que les ménages donnent à leur épargne, chaque type de placement ayant son propre dispositif d'incitation fiscale. Toutefois, les outils visant à orienter l'épargne vers le financement des entreprises, notamment françaises, ne parviennent pas à modifier en profondeur le comportement des épargnants, seuls les gros contribuables soucieux de diversifier leur patrimoine y ayant recours.

Est-il utile de préciser que tous ces impôts, avec l’empilement qui les caractérise, sont de moins en moins compréhensibles ? Personnellement, je n'ai jamais rencontré personne qui soit réellement capable de décrypter sa feuille d'imposition à la taxe foncière. Certains impôts ont de surcroît été tellement modifiés que leur physionomie s'en est parfois trouvée dénaturée, sans qu'il soit pour autant toujours possible de cerner les effets tangibles des modifications introduites.

Se pose donc désormais, et de manière urgente, la question de l'intelligibilité de la loi fiscale. Quels que soient les efforts, certainement louables, de l'administration, la maîtrise de tous les arcanes de la loi fiscale nécessite désormais les compétences de professionnels. De là, il n'y a qu'un pas vers une optimisation fiscale de plus en plus sophistiquée, antichambre de l'abus de droit, au bénéfice des ménages les plus aisés, constituant ainsi une source d’inégalité supplémentaire.

On ne peut que se réjouir, en conséquence, que le Conseil constitutionnel ait consacré sur le plan constitutionnel la notion d'intelligibilité de la loi et, partant, de la loi fiscale. Il reviendra au législateur de s’assurer à l’avenir de la bonne compréhension pour le contribuable de la rationalité de l'impôt auquel ce dernier est soumis. Selon toute probabilité, il devra traduire littéralement les textes abscons qu'on continuera de lui présenter. D'ores et déjà, les cours constitutionnelles allemande et autrichienne ont joué un rôle très important dans ce sens.

Il y a beaucoup à faire en France. Je pense notamment aux bases des taxes foncières, dont le mode de calcul est pour le moins opaque, même si, paradoxalement, et peut-être précisément parce qu'elles sont incompréhensibles, ces taxes foncières restent mystérieusement supportées, alors que leur produit fait d'elles le premier impôt sur le patrimoine des ménages.

Du constat que je viens de résumer de manière sans doute un peu sommaire, nous avons cherché à dégager une méthode pour une éventuelle réforme de la fiscalité du patrimoine des ménages.

Le Conseil préconise d’abord que la réflexion sur les évolutions de chaque impôt soit toujours menée dans un cadre global et, surtout, que l’on ne cherche plus à modifier un impôt en le traitant isolément du reste de la fiscalité du patrimoine. À quoi servirait-il, par exemple, de réformer l'ISF, qui est de plus en plus un impôt sur l'immobilier, sans s'interroger sur la pertinence du système actuel des taxes foncières ?

Nombre d'entre vous souhaiteraient probablement savoir si nous préconisons la suppression de l'ISF. Il ne nous a pas échappé que la demande d'étude qui nous était faite pouvait être le moyen de poser la question d’un impôt dont, je le répète, la charge psychologique ne nous est pas inconnue, et d’en faire le diagnostic technique, sans autre considération.

De ce point de vue, le rapport décrit toutes les caractéristiques de l'ISF : des bases étroites, des exonérations croissantes, qui nous semblent le dénaturer, et des taux élevés qui rendent cet impôt mal supporté, alors même que son rendement a tendance à devenir marginal – 3,8 milliards en 2008, en baisse par rapport à 2007 ! Une réflexion quant aux moyens de faire évoluer cet impôt ne saurait pour autant faire l’économie d’une vision globale de l'ensemble de la fiscalité du patrimoine. Je ne saurais mieux dire que le Conseil des prélèvements obligatoires considère qu'une imposition du patrimoine est légitime, car il est normal qu'une partie de la création de richesses revienne à la collectivité, mais encore faut-il l'organiser de manière rationnelle et cohérente.

On se rendra compte alors plus aisément que d'autres pistes seraient envisageables : je pense à l'Allemagne qui, après avoir supprimé son impôt sur la fortune, a relevé le taux de la tranche marginale de l'impôt sur le revenu. L'exemple des Pays-Bas est également à méditer, où l’on taxe à 30 % le revenu théorique du capital évalué à 4 % de sa valeur patrimoniale.

Je souligne au passage qu'une appréciation d'ensemble de la fiscalité du patrimoine passe par une connaissance des prélèvements obligatoires qui suppose des instruments modernes de collation et d’évaluation des données, et fondée de surcroît sur une démarche permanente de comparaison internationale. C’est dire qu'il y a là un chantier à ouvrir !

S’agissant des taxes foncières, par exemple, il n'a pas été possible de déterminer la part réellement supportée par les ménages : les données figurant dans le rapport ne sauraient être autre chose qu'une estimation. Les services du ministère du budget n'ont en effet pas été en mesure de fournir au Conseil des prélèvements obligatoires des informations qui auraient permis de déterminer cette part et de mesurer son évolution.

Les rapporteurs se sont aussi arraché les cheveux pour obtenir dans les temps les données relatives à l'ISF pour 2008, le traitement statistique de cet impôt étant resté très artisanal, pour ne pas dire manuel. À la fin du mois de février, nous n’étions pas en mesure de disposer d’informations sur les demandes de bouclier fiscal en 2008, alors que ces données nous auraient été précieuses pour apprécier les effets de son abaissement à 50 %.

Rechercher la cohérence et la lisibilité des règles fiscales nous est aussi apparu comme une nécessité. Une définition plus claire des objectifs assignés à la fiscalité du patrimoine est seule susceptible de faciliter cette tâche essentielle de clarification des règles. La législation en matière de fiscalité du patrimoine comporte une multitude de dispositifs qui, pris isolément, peuvent être considérés comme légitimes et pertinents, mais dont la cohérence globale est de plus en plus difficile à dégager, certains d'entre eux pouvant même se contredire et se neutraliser. Ainsi, l’abaissement à 50 % du seuil du bouclier fiscal rend probablement moins incitatives les exonérations visant à encourager l'épargne risquée.

Il serait donc de bonne méthode de définir de manière plus claire les objectifs qu'on assigne à la fiscalité du patrimoine. Dans un schéma idéal, les prélèvements sur le patrimoine devraient assurer le meilleur rendement fiscal, minimiser les incidences négatives sur l'économie, voire orienter l'épargne vers le financement de long terme des investissements collectifs, de l'innovation et de la recherche, des fonds propres de nos entreprises, tout en garantissant une juste répartition de l'impôt en fonction des capacités contributives.

Un système d'imposition fondée sur des assiettes larges et des taux proportionnels et neutres entre les différents types d'actifs paraît correspondre à un tel schéma, et est de plus en plus répandu en Europe. Il s’agit de savoir s’il est transposable en France. Cela revient à poser la question de l'équité. Celle-ci suppose le maintien d'une progressivité permettant d'assurer une certaine redistribution. L'équilibre actuel du système français, qui combine une imposition large à taux proportionnel avec un impôt progressif et personnalisé peut paraître réaliser, de ce point de vue, un compromis.

Il faut cependant avoir à l'esprit le fait, reconnu par la plupart des économistes, que la redistribution des richesses résulte aujourd'hui plus de la dépense publique, et notamment des transferts sociaux, que de l'impôt. Pour assurer le financement de ces dépenses, l'objectif principal devrait donc bien être le rendement fiscal.

L'efficacité économique constitue un autre objectif essentiel de la fiscalité du patrimoine. À défaut d'un système d'imposition neutre, quelle que soit la nature des actifs et selon les choix d'épargne des ménages, il convient de définir des objectifs explicites, relativement sélectifs, cohérents entre eux et s'inscrivant dans une certaine durée – les décisions des ménages en matière de patrimoine nécessitant que les règles fiscales soient, sinon stables, du moins relativement prévisibles.

Cela impliquera probablement d'introduire une certaine hiérarchie entre des objectifs aujourd'hui foisonnants, et d'afficher clairement ceux pour lesquels la fiscalité du patrimoine apparaît comme le levier le plus adapté.

Ainsi que je l'ai déjà souligné, l'intelligibilité de la loi fiscale doit par ailleurs devenir un souci constant. C'est une exigence d'équité entre les contribuables et une garantie d'efficacité des mesures incitatives, qui ne peuvent être utilisées à leur plein potentiel que si elles sont comprises.

Le bilan de la réforme des droits de succession et donation, s’il devait être dressé, devrait tenir compte des évolutions profondes de notre société. Ainsi, l'allongement de la durée de vie nécessite de faciliter la circulation des patrimoines, ce qui a été l'un des principaux buts des réformes récentes. Enfin, cet impôt, qui est loin d'avoir été supprimé, doit être adapté à notre temps, ce qui pourrait conduire à faire évoluer les règles en matière de donation et de succession au sein des familles recomposées.

Force est de constater que la création de la CSG puis des différentes contributions sociales a permis un rééquilibrage de la fiscalité entre les revenus du travail et les revenus du patrimoine. Nous ne devons pas pour autant faire l’économie de la question du niveau acceptable de prélèvements sociaux sur le patrimoine. La question mérite d'autant plus d’être posée qu'aujourd'hui toute hausse nouvelle pourrait soulever un problème d'équité, compte tenu du taux actuel du bouclier fiscal. Dans un contexte de marchés d'épargne ouverts, la poursuite de ce mouvement présenterait en effet des risques d'évasion fiscale. Il faut être attentif à l'impact de nouvelles hausses des prélèvements sociaux sur le rendement des placements à revenus fixes, notamment des placements obligataires. Ne perdons pas de vue que ces placements sont massivement investis dans la dette publique française, qui pourrait continuer sa croissance dans les mois qui viennent.

Je n'oublie pas en effet que je préside la Cour des comptes qui s'est très récemment exprimée de manière solennelle, vous le savez, sur le niveau de la dette publique. Or, en souscrivant massivement des contrats d'assurance vie, les Français financent la dette publique française plus sûrement que des investisseurs étrangers.

L'examen des principales exonérations – je pense notamment au Livret A, à l'assurance vie ou au plan d'épargne en actions – doit être conduit avec prudence, surtout dans le contexte actuel d'incertitudes économiques et financières qui imposent de ne pas provoquer de bouleversements majeurs. Il reste que certains aménagements sont certainement souhaitables, pourvu que leurs effets aient été au préalable l’objet d’un examen approfondi.

Il faut enfin se préparer aux contraintes du nouveau contexte économique et financier international. La crise financière actuelle nécessite de replacer les réflexions sur la fiscalité du patrimoine dans un cadre européen, et même au-delà. La forte dégradation des finances publiques devrait inciter à améliorer le rendement de nos systèmes fiscaux, plutôt que d’être soumis à la contrainte du moins-disant fiscal. Le Conseil des prélèvements obligatoires a montré que, vu le niveau élevé de ces derniers, notamment de ceux pesant sur le patrimoine, la France devait en permanence apprécier sa situation au regard de celle des autres États européens.

La crise actuelle révèle la fragilité financière d’un grand nombre de ces États. Cela doit être l'occasion de mieux coordonner les politiques fiscales et d'engager un processus résolu de convergence des systèmes fiscaux, la situation actuelle, qui autorise certaines pratiques de « dumping fiscal », étant loin d'être satisfaisante. La France et un certain nombre d'autres pays, notamment l'Allemagne, doivent favoriser la convergence des systèmes fiscaux au sein de l'Union européenne, afin, d'une part, de rétablir les finances publiques en Europe, dont les déséquilibres actuels peuvent avoir de dangereuses conséquences sur la solidité de sa monnaie et de son économie, et, d'autre part, de jeter les bases d'un développement plus harmonieux entre les pays européens, les risques d’une concurrence anarchique à coups de taux d'imposition réduits, voire de taux zéro, pour attirer les capitaux et les cerveaux, ne conduisant qu’à tirer tout le monde vers le bas.

Dans ces conditions et comme l’a fort justement souligné le Conseil dans sa conclusion, la question du passage à la majorité qualifiée au niveau européen en matière de fiscalité mérite d'être posée. J'observe que le Président de la République lui-même l'a évoquée à propos des taux de TVA lors de son intervention du 5 février.

En présentant ce constat, qu'il a voulu aussi transversal, objectif et précis que possible, le Conseil des prélèvements obligatoires invite à engager une réflexion sur ce que doivent être les objectifs de la fiscalité du patrimoine.

Étant le fruit de l'histoire, de la culture d'une nation, les systèmes fiscaux peuvent encore porter les marques des grandes querelles idéologiques du passé. La tentation est grande ensuite de les ajuster en permanence, parfois en catimini, en fonction des contingences du moment, voire d'intérêts particuliers, aussi légitimes soient-ils.

Dans l'époque qui est la nôtre, où il est nécessaire de donner à notre pays tous les moyens de conforter sa place sur le plan économique tout en conservant des instruments de solidarité nationale, la fiscalité du patrimoine a probablement un rôle essentiel à jouer. Elle doit être, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, un outil au service d'objectifs politiques forts et explicites.

M. le président Didier Migaud. Je me réjouis de l’existence de ce rapport, qui regorge d’informations, d’observations et de préconisations. Il peut constituer pour la Commission des finances la base d’une réflexion globale sur notre fiscalité du patrimoine. On sait qu’en matière d’efficacité économique, d’équité ou d’intelligibilité, la fiscalité française a encore des marges de progression ! La Commission des finances devra notamment mesurer l’impact des réformes fiscales les plus récentes, comme celle instaurant un bouclier fiscal au regard de ces mêmes critères.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je vous remercie, monsieur le Premier président, ainsi que toute l’équipe qui y a travaillé avec vous, pour ce rapport extrêmement utile sur la fiscalité du patrimoine. En vérité, un sujet d’une telle complexité devrait faire l’objet d’études régulières. Comme vous l’avez souligné, la fiscalité du patrimoine est constituée de six impôts, dont le produit bénéficie à l’État, à la sécurité sociale, et aux collectivités locales. Elle est surtout le royaume des réformes ponctuelles, au coup par coup, et des exonérations de toutes sortes, en fonction d’objectifs qui varient sans cesse : économiques un jour, sociaux le lendemain, d’équité le surlendemain.

Cette absence de cohérence d’ensemble de nos réformes successives de la fiscalité du patrimoine peut nous valoir un jour des problèmes considérables. Je pense notamment aux exonérations successives des plus-values, totales ou partielles, que nous avons votées depuis 2003, et qui me semblent mettre en péril le nécessaire équilibre entre la fiscalité des revenus du travail et les prélèvements sur les plus-values tirées du patrimoine. Désormais un ménage à la tête d’un patrimoine très important pourrait en tirer un revenu échappant à l’impôt, voire aux prélèvements sociaux. Nous devons nous montrer beaucoup plus rigoureux dans le pilotage d’ensemble de notre fiscalité du patrimoine : les équilibres nécessaires entre les prélèvements sociaux et les prélèvements fiscaux, mais aussi entre l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales doivent faire l’objet d’une véritable réflexion stratégique.

Vous avez également évoqué, certes avec prudence, la possibilité de substituer une imposition du revenu à celle du capital, comme cela s’est fait en Allemagne ou dans les Pays-Bas. Il faut avoir le courage politique de soulever de telles questions.

Je voudrais enfin saluer la cohérence de votre pensée d’un rapport à l’autre, notamment votre souci d’assurer à notre cadre fiscal et social la stabilité et l’attractivité qui permettront à l’État de couvrir ses besoins de financement. C’est là une dimension de notre fiscalité du patrimoine que l’on doit toujours garder à l’esprit.

M. le président Didier Migaud. Les questions du rapporteur général sont, comme toujours, très pertinentes. Je me dois toutefois de rappeler que c’est nous qui votons l’impôt. De ce point de vue, l’appel à un peu plus de cohérence peut nous être utile. Il démontre l’intérêt d’une réflexion, et peut-être d’une réforme, globale. Après tout, la question du vote de l’impôt est un des facteurs qui ont déclenché la Révolution française !

M. Jérôme Cahuzac. En vous entendant, monsieur le Premier président, on a la forte impression que, texte fiscal après texte fiscal, projet de loi de finances après projet de loi de finances, l’État se prive de ressources qu’il est ensuite obligé d’emprunter précisément à ceux qui viennent de profiter des mesures votées. Je ne dis pas que cela soit systématique, mais il est tentant de faire le rapprochement entre des allègements successifs manquant souvent de visibilité à long terme, voire de cohérence, et la nécessité où l’État se trouve de devoir emprunter à leurs bénéficiaires. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Je vous remercie à mon tour pour ce rapport. Pour au moins deux des mesures du « paquet fiscal », l’exonération des droits de mutation à titre gratuit et le bouclier fiscal, il nous permet de disposer – il n’est jamais trop tard pour bien faire ! – de l’étude d’impact que l’on ne nous a pas fournie à l’été 2007.

Sauf erreur de ma part, la recette des droits de mutation à titre gratuit s’élevait à 9 milliards d’euros. Le coût de l’exonération votée par le Parlement est estimé à 2 milliards. C’est une amputation considérable. De plus, comme 90 % des droits de mutation à titre gratuit étaient déjà exonérés de fait, la mesure revient à réduire de moitié le dernier décile. L’effort collectif ne profite donc qu’à une petite minorité.

Les promoteurs du bouclier fiscal ont souvent affirmé que le dispositif visait à éviter à certains ménages modestes d’être frappés par l’ISF du fait, par exemple, de l’augmentation de la valeur de leur habitation principale. Or il semblerait que seuls 0,08 % des redevables à l’ISF au titre de la première tranche activent le bouclier fiscal, alors qu’ils sont 39 % à le faire dans la dernière tranche. Dès lors, ne peut-on considérer que l’argument de la protection des ménages à revenus modestes soit plus un alibi qu’autre chose ? Certes, le coût du bouclier fiscal – 260 millions d’euros – est bien inférieur à celui de la mesure précédente, mais, comme vous avez bien voulu reconnaître le caractère symbolique de l’ISF, ne considérez-vous pas que ce soit au symbole que certains ont voulu s’attaquer ?

Vous soulignez enfin qu’avec 8 % la France impose plus lourdement le patrimoine que la moyenne des pays de l’OCDE. Mais n’est-ce pas un effet d’optique dû notamment à la prise en compte dans cette moyenne de la très faible imposition du patrimoine en Allemagne ? Il est précisé, à la page 251 du rapport, que le pourcentage est de 10,1 au Canada, de 11,1 aux États-Unis, de 9,1 en Australie, de 12,4 au Royaume-Uni et de 9,1 au Japon.

M. Michel Bouvard. Nous souhaitons exprimer nous aussi notre satisfaction : ce rapport met en évidence les effets de la « sédimentation fiscale » à laquelle nous assistons depuis de nombreuses années, ainsi qu’un certain archaïsme d’ensemble. Il apporte un éclairage bienvenu au moment où l’on s’apprête à modifier certaines données de la fiscalité locale.

Je souhaite revenir sur la relation que vous avez établie, monsieur le Premier président, entre la ressource fiscale, la politique de placement des particuliers et les liquidités disponibles pour financer la dette publique. La réduction des liquidités sera durable. Il faut donc veiller à ce que les décisions que l’on prendra en matière de fiscalité du patrimoine n’aient pas des effets pervers en la matière. À cet égard, l’appel que vous lancez en faveur d’une réflexion au niveau européen sur la fiscalité du patrimoine me paraît tout à fait fondé.

On a beaucoup parlé des recettes, mais la fiscalité du patrimoine comprend également des dépenses. Quel est, notamment, le coût de l’épargne réglementée pour l’État au regard de l’emploi qui est fait de cette épargne ? La Cour des comptes engagera bientôt une étude, commandée par la Commission des finances, sur l’utilisation par les banques de la partie de l’épargne réglementée qu’elles centralisent désormais. Qu’en est-il de l’usage que l’État est susceptible de faire de la liquidité des fonds d’épargne centralisés par la Caisse des dépôts ?

Par ailleurs, dispose-t-on aujourd'hui d’une vision consolidée de l’ensemble de la dépense fiscale liée à la fiscalité du patrimoine ?

Pensez-vous qu’une fiscalité plus dynamique qui réduirait les effets d’aubaine en matière de plus-values foncières – notamment celles que génère, sans aucun retour pour l’État ou les collectivités locales, le développement de grandes infrastructures – soit possible ?

Enfin, dès lors que l’on se donne comme perspective une certaine harmonisation, la fiscalité du patrimoine en France doit être comparée à celle des autres pays de l’Union européenne, et singulièrement les pays de la zone euro, de préférence à celle des pays de l’OCDE tout entière. Il faut notamment mettre en exergue la problématique spécifique de la taxation du patrimoine foncier bâti et de son retour vers les collectivités territoriales. En dix ans, la fiscalité locale sur le foncier a augmenté de 53 % pour les régions et de 30 % pour les départements. Étant donné l’archaïsme des bases de cette imposition, c’est une dynamique qui ne va sans doute pas dans le sens de la justice.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le Premier président, les facéties du calendrier font que la Commission des finances, juste après vous avoir entendu, auditionnera nos syndics de faillites, Mme Christine Lagarde et M. Éric Woerth. Vu l’acte que vous venez de dresser, cela ne manquera pas d’intérêt !

Il faudra proposer à l’Académie française d’ajouter à son dictionnaire une acception particulière du mot « litote » : litote séguiniste, litote faite de transparence et de sens.

Autant dire que je ne suis pas sûr que vos propos aient ravi tout le monde ici. Notre excellent rapporteur général a d’ailleurs dû procéder à une autocritique assez nette, évoquant une complexité effroyable et une grande difficulté à trouver un fil directeur. Votre présentation était pourtant fort claire, monsieur le Premier président : on voit bien par où l’on a péché !

Pour ma part, je n’userai pas de litote, fût-elle séguiniste, pour dire combien je suis choqué par l’absence de coopération des services du ministère du budget. C’est délibérément, on le sait, qu’ils recourent à des méthodes archaïques pour dissimuler la fraude de certains ou les abus de droit qui en sont l’amorce. Lorsque l’on réduit les moyens de la direction nationale d’enquêtes fiscales, cela signifie quelque chose. On ne peut aller à la chasse sans fusil ! La commission des finances, monsieur le président Migaud, ferait bien d’adresser au ministère du budget les remarques qui conviennent car elle est victime des mêmes réticences et des mêmes rétentions.

Monsieur le Premier président, c’est sans doute la première fois que je vous entends insister autant sur la question de la fiscalité du foncier. Nous le savons bien : certaines personnes, généralement des veuves, doivent consacrer plus de 10 % de leur très modeste revenu au paiement de la taxe foncière. On en arrive même à des situations moralement insupportables, où des personnes âgées sont obligées de vendre leur maison pour acquitter cet impôt.

Tout comme le président de la Commission des finances, vous dressez des constats lumineux. Maints rapports de la Cour des comptes ont dénoncé l’inanité des exonérations fiscales et sociales. Chacun s’accorde à reconnaître l’utilité de votre travail – un travail si utile que, bien souvent, on ne l’utilise pas ! Comment rendre les préconisations de la Cour des comptes et du Conseil des prélèvements obligatoire plus incitatives ?

Au sujet de l’harmonisation, vous avez évoqué les Pays-Bas et l’Allemagne. On sait bien que, avec leur air de ne pas y toucher, les autorités néerlandaises comptent parmi celles qui sont le moins intéressées à l’harmonisation et qui pratiquent le plus la fraude, y compris de manière très officielle. Il n’en reste pas moins que, pour des raisons opposées, il serait opportun que la Commission des finances mène une étude sur les deux pays. S’agissant de l’Allemagne, on peut se référer à l’excellent travail qui a permis une transformation consensuelle de l’Office franco-allemand de la jeunesse. Ne pourrions-nous pas travailler avec nos collègues du Bundestag à un rapport commun sur la fiscalité du patrimoine ? Je ne crois pas, en revanche, que nous puissions obtenir la coopération de nos collègues néerlandais, mais il nous est loisible de mener nos propres investigations.

M. Charles de Courson. Les impôts sur le patrimoine sont en fait payés sur le revenu du patrimoine. Dans son rapport de 1986, le Conseil des impôts avait tenté de calculer le prélèvement fiscal par types d’actifs et de le comparer à la rentabilité de chacun de ces actifs. Il y a en effet une grande différence entre la rentabilité des terres, estimée à environ 1,2 %, celle des immeubles – entre 4,5 et 5 % et, pour l’immobilier industriel, entre 5,5 et 6 % –, celle des actions et celle des obligations. Le rapport mettait en évidence une totale absence de cohérence des prélèvements obligatoires sur le capital et les revenus du patrimoine : plus la rentabilité du patrimoine est faible, plus les taxes sont élevées. Je n’ai pas retrouvé ce type d’analyse dans le rapport.

Même si la forte augmentation des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine est une nouveauté, je ne suis pas sûr qu’elle invalide les conclusions du rapport de 1986, qui recommandait notamment de supprimer l’IGF – l’ISF de l’époque – et de réformer l’impôt archaïque sur le foncier non bâti.

Il est également étonnant que vous n’ayez pas relevé la multiplication des exonérations relatives à la taxe d’habitation, qui contraste avec la faiblesse des exonérations sur le foncier bâti. Une veuve aux revenus modestes verra sa taxe d’habitation plafonnée mais n’arrivera plus à payer sa taxe foncière, pour reprendre l’exemple de M. Brard. Il n’y a aucune harmonisation entre les deux taxes.

M. le président Didier Migaud. Ce n’était pas l’objet de notre commande.

M. Charles de Courson. On aurait pu néanmoins souligner cette incohérence, d’autant que 58 % des Français sont propriétaires de leur logement.

En outre, le rapport n’aborde pas la double taxation des entreprises sur le foncier bâti, d’abord comme foncier bâti en tant que tel, ensuite au titre de la taxe professionnelle.

Il n’évalue pas le coût des exonérations sur les plus-values immobilières alors qu’il le fait en ce qui concerne les plus-values mobilières. Le CPO n’a-t-il donc pu obtenir un ordre de grandeur ? Plus généralement, comment expliquer que les revenus et les plus-values soient traités de façon différente ? Il est tout à fait possible, pour une personne disposant d’une certaine fortune, d’arbitrer entre les deux et de décider, par exemple, de ne réaliser que des plus-values une fois tous les huit ans. Quel est le fondement économique du dispositif actuel ?

Enfin, si vous ne préconisez pas explicitement la suppression de l’ISF, vous le faites implicitement, puisque vous indiquez que nous sommes le dernier État, avec quelques cantons suisses, à le pratiquer. Cet impôt, que l’on vide progressivement de son contenu, n’est pas juste. Ne vaudrait-il pas mieux instaurer, pour le même montant, une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu ?

M. Jean-Michel Fourgous. Il est maintenant certain que la crise sera longue et grave. Nous aurons à faire face à des vagues d’emprunt. De nombreux États se tournent vers des fonds souverains, comme celui d’Abou Dabi. Qu’en est-il de l’« arme fiscale » dans un contexte de course effrénée pour trouver des capitaux ?

Par ailleurs, quel avenir réserver à l’ISF ? Tous les pays d’Europe s’en sont débarrassés. Je sais qu’il faut respecter les vieilles traditions conflictuelles de ce pays mais pourra-t-on un jour aborder ce problème, étant entendu que la sortie de crise se fera par l’association du capital et du talent ?

Venons-en au « rendement fiscal ». Étant issu du secteur privé, je considère que le rendement d’un produit doit prendre en compte l’intégralité des coûts : le prix du linéaire, celui de la communication, etc. J’aimerais donc savoir quelles sont les pertes que génère l’ISF, notamment en ce qui concerne les fuites de capitaux et le coût de recouvrement.

Le magazine Forbes attribue à la France la première place en matière de prélèvements obligatoires. Que pensez-vous de ce classement, monsieur le Premier président, et en mesurez-vous les effets dans le contexte de crise mondiale ? Je rappelle que 60 % de la richesse de notre pays est confisquée et redistribuée par l’État.

Enfin, l’exonération d’ISF en faveur des PME s’est avérée être une arme pour sauver les petites entreprises. Pourquoi ne pas en relever le plafond de 50 000 à 200 000 euros pour parer à la catastrophe qui s’annonce ? Voyez-vous un autre outil pour renforcer les fonds propres de nos PME ?

M. Henri Emmanuelli. À titre personnel, je soutiendrais volontiers une résolution parlementaire visant à nommer le Premier président de la Cour des comptes à Bercy.

M. Philippe Séguin. En matière d’évasion fiscale, monsieur le président Migaud, j’ose à peine vous donner les chiffres de Bercy, dont les plus récents remontent à 2006 : les départs à l’étranger des redevables à l’ISF correspondraient, selon les données transmises, à une perte de 17,6 millions d’euros. Nous avons indiqué que les outils de suivi nous apparaissaient peut-être insuffisants à cet égard.

Le pilotage, monsieur le rapporteur général, est en effet un problème de fond qui conduit à poser la question de l’évaluation d’ensemble et du rythme de cette évaluation. Il faudra établir une périodicité – trois ans ? cinq ans ? – et veiller à ce que l’évaluation puisse servir de base aux études d’impact consacrées aux mesures ponctuelles. Je soumets cette question de méthode à la Commission des finances. Quelle place le CPO pourra-t-il avoir dans ce travail ? Il faut y réfléchir, mais le pilotage impose une certaine automaticité, quitte à ce qu’elle soit inscrite dans la loi.

En matière de patrimoine et de revenus, le rapporteur général et M. Brard ont évoqué ma « prudence ». Je leur en donne bien volontiers acte. Les problèmes de cohérence sont bien entendu fondamentaux mais, à l’heure actuelle, nous n’avons pas les moyens d’atteindre les objectifs. Dans vos propos, monsieur le président Migaud, il était sous-entendu que les parlementaires n’avaient qu’à s’en prendre à eux-mêmes puisqu’ils votent la loi fiscale. À leur décharge, il faut souligner qu’ils se prononcent en fonction des informations dont ils disposent et que le problème tient précisément à la nature et à la fiabilité de ces informations.

Vous considérez, monsieur Cahuzac, que l’État se prive de ressources au profit de particuliers auxquels il pourrait emprunter ensuite. Je ne peux nier l’existence de ce phénomène.

Je confirme par ailleurs que les droits de mutation à titre gratuit s’élevaient à 9 milliards d’euros en 2007. Par les effets de la loi TEPA, on est sans doute plus proche maintenant de 7 milliards, même si ce produit, rapporté aux recettes fiscales et à la richesse nationale, reste supérieur à celui que l’on constate en Allemagne et, a fortiori, aux États-Unis et au Royaume-Uni.

M. Marc Fosseux, conseiller référendaire à la Cour des comptes. Pour ce qui est du bouclier fiscal, je confirme les chiffres évoqués par M. Cahuzac, mais j’attire votre attention sur le fait que les données sont celle de 2007. Les services du ministère du budget m’avaient indiqué que l’on disposerait des chiffres pour 2008 dans le courant du mois de mars, ce qui aurait été malheureusement trop tard pour nous. Je ne crois pas qu’il faille tirer des conclusions trop hâtives d’un tableau qui ne concerne que la première année de mise en œuvre du bouclier, d’autant que le taux a été modifié depuis.

M. Philippe Séguin. Cela dit, si l’on assistait à un mouvement général de hausse des prélèvements dans le monde et plus particulièrement en Europe, le CPO estime qu’il n’y a aucune raison pour que les bénéficiaires du bouclier y échappent. Cela ne signifie pas forcément une remise en cause du principe du bouclier, qui a été validé au plan constitutionnel, mais cela pourrait justifier un relèvement du taux, au moins temporairement.

Par ailleurs, on préconise parfois une hausse des droits sur les successions et les donations comme substitut à une éventuelle suppression de l’ISF. Pourtant, aucun des pays qui ont supprimé ces dernières années l’impôt sur la fortune n’a choisi une telle compensation. Du reste, deux ans après les mesures que l’on sait, il pourrait paraître incohérent de repartir dans le sens inverse. Le produit de l’ISF était de 3,8 milliards d’euros, celui des droits de succession et de donation de 7 milliards. Le transfert reviendrait à une augmentation de 50 % du second et le porterait à un niveau supérieur à celui de la période précédant la loi TEPA.

Mme Catherine Démier, conseiller référendaire à la Cour des comptes. Aux pages 249 à 251 du rapport, nous relevons bien que la croissance des prélèvements sur le patrimoine est supérieure à celle que l’on observe dans les pays de l’OCDE. La contradiction avec les chiffres cités par M. Cahuzac n’est qu’apparente : ceux-ci expriment le pourcentage des prélèvements obligatoires sur le patrimoine par rapport aux recettes fiscales des pays considérés. Les prélèvements globaux étant de 7 points supérieurs en France, il n’est pas incohérent que le poids des prélèvements sur le patrimoine soit également supérieur.

M. Philippe Séguin. Concernant les exonérations, monsieur le rapporteur général, je crois qu’il faut d’abord s’accorder sur ce l’on entend par « dépense fiscale ». La réduction d’ISF pour investissement dans une PME entre dans cette catégorie, à l’inverse de l’augmentation de l’abattement pour résidence principale, qui est une mesure d’application, ou encore de l’option pour le prélèvement forfaitaire. Mais notre prudence tient surtout à ce que les principales exonérations – livrets réglementés, assurance vie, PEA, etc. – mettent en jeu des phénomènes très complexes en matière de règles prudentielles des établissements financiers, de droit des contrats et de risques de transferts d’actifs. Dans le contexte actuel d’incertitude financière, les plus grandes précautions nous paraissent nécessaires.

M. Marc Fosseux. Plusieurs parlementaires se sont interrogés sur l’évolution de la fiscalité des plus-values. Nous évoquons ce point dans la synthèse finale du rapport : quel équilibre maintenir entre l’imposition des revenus récurrents du patrimoine et l’imposition des plus-values ? Bien que le régime français en la matière ne soit pas fondamentalement différent de ce que nous avons observé à l’étranger, on peut se poser la question au regard de certaines stratégies d’effacement fiscal de plus-values pour des montants importants.

Cela dit, la mesure d’exonération des plus-values mobilières n’est pas encore entrée véritablement en vigueur. Nous ne disposons donc pas du recul nécessaire. En outre, il serait difficile, dans le contexte actuel, de donner le sentiment de vouloir remettre en cause cette exonération.

Il n’en reste pas moins que nous voulions soulever la question de la légitimité d’un système d’exonération totale.

M. Philippe Séguin. M. Brard souhaite que nos préconisations soient davantage suivies d’effet. S’agissant des travaux du CPO, le problème est entre les mains du législateur. En ce qui concerne la Cour des comptes, M. Pierre Bourguignon décrira sans doute, dans son prochain rapport budgétaire, que nous avons construit un indicateur relatif aux suites données à nos observations. Le rapport public comporte désormais un deuxième tome exclusivement consacré aux résultats obtenus et, le cas échéant, à la relance des questions posées. Le regain d’efficacité que l’on a pu constater ces dernières années est lié, en particulier, au relais de la mission d’évaluation et de contrôle et de la Commission des finances en général. Du fait de la LOLF, la Cour et le Parlement partagent, en quelque sorte, la responsabilité de ce suivi.

Pour le reste, nous ne « lâchons » jamais lorsque l’on nous fait une réponse dilatoire. Vous pouvez nous faire confiance !

M. de Courson ayant évoqué le sujet de la fiscalité locale, je puis vous donner d’ores et déjà quelques indications sur la philosophie du CPO en la matière. Pour nous, la remise à plat du mode de financement des collectivités territoriales est un point clé de la question de l’organisation territoriale dans son ensemble.

Le Conseil a pris acte de la prochaine suppression de la taxe professionnelle. Il n’y a pas lieu de répéter ce qui a été dit de cet impôt, qui apparaît d’autant plus inadapté dans le contexte actuel de concurrence croissante. Si la question du remplacement de la taxe professionnelle est un défi redoutable, il faut aussi y voir l’occasion de remettre un peu de logique et d’équité dans le système de financement des collectivités territoriales.

Il ne nous est pas apparu que les solutions de remplacement généralement évoquées étaient à la hauteur des enjeux. La taxe carbone produirait quelques milliards d’euros par an quand il faudrait en trouver au moins 18. Nous avons quelque peine à faire nôtre l’idée, envisagée par certains, de taxer plus lourdement le patrimoine foncier des entreprises, d’autant que le CPO vient de rappeler avec force que les bases de calcul de l’imposition foncière sont à la fois obsolètes, opaques et inéquitables. Maintenir ces dernières tout en augmentant l’imposition foncière des entreprises engendrerait de nouvelles distorsions entre les territoires et renforcerait, non seulement vis-à-vis de l’extérieur mais aussi à l’intérieur de notre pays, une concurrence fiscale absurde et néfaste.

La voie réaliste semble donc être une remise à plat de l’ensemble du système. Pour ce faire, il faudra accepter de sortir d’une logique, à nos yeux totalement utopique, d’autonomie fiscale et de mettre en place des financements nationaux de plus en plus nombreux, fondés sur des dotations et des partages d’impôt.

Quant aux recettes fiscales susceptibles d’être utilisées pour alimenter un système rénové de financement, seules quelques-unes sont à la hauteur des enjeux : la TVA, la CSG, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les revenus. La taxe professionnelle étant un impôt acquitté par les entreprises, il ne serait probablement pas raisonnable d’en transférer la charge aux ménages. L’essentiel devrait donc provenir d’un impôt sur les entreprises. Ce remplacement nécessitera du temps, de la réflexion, de la concertation, voire de l’expérimentation. Nous sommes prêts à participer à cette phase aux côtés des associations d’élus locaux.

Cela étant, n’oublions pas les perspectives d’équité ouvertes par les formules auxquelles songe le CPO.

Il est également probable que cette instance se tournera vers la Cour des comptes, en invoquant l’existence de solutions en matière de maîtrise des dépenses.

Il appartient à la représentation nationale, monsieur Fourgous, de se prononcer sur la suppression ou sur le maintien de l’ISF. Nous ne pouvons pour notre part qu’apporter des éléments d’information. Le coût de recouvrement, par exemple, s’élève à 2,13 % du produit de cet impôt.

M. Marc Fosseux. M. de Courson a évoqué la disparité des exonérations entre taxe foncière et taxe d’habitation. Bien que la taxe d’habitation ne soit pas un impôt sur le patrimoine, le rapport aborde ce point.

En revanche, il ne comporte pas d’indications sur la rentabilité comparée après impôt – pas plus, d’ailleurs, que le rapport publié il y a dix ans. Il est vrai que la comparaison est difficile à établir. Il n’est pas évident, par exemple, de déterminer quelle est la part de l’ISF payée sur tel ou tel type d’actifs. Nous tentons toutefois, dans la quatrième partie du rapport, d’estimer les prélèvements sur les revenus de l’épargne en tenant compte des différences de rendement.

Nous essayons également, de façon assez empirique, de déterminer si l’imposition des actifs immobiliers est plus lourde que celle des actifs financiers. De ce point de vue, la conclusion est mitigée. Les 65 milliards de recettes proviennent plutôt des actifs immobiliers, mais ces actifs constituent à eux seuls la moitié du patrimoine des Français. Il faut également tenir compte d’autres dispositifs, renvoyant notamment à la dépense fiscale, pour apprécier cet équilibre.

M. Charles de Courson. La rentabilité des actifs est la somme du revenu régulier et des plus-values. Vous démontrez que ce sont les actions qui ont le plus augmenté en dix ans, puis l’immobilier. Mais si l’on inclut la pression fiscale sur cette rentabilité, le constat d’archaïsme dressé il y a vingt-trois ans est toujours valable.

M. Philippe Séguin. M. Fourgous a demandé quels pourraient être les effets d’une modification de la politique dans le contexte de crise longue et forte que nous connaissons. Il est incontestable que la France a l’un des niveaux de prélèvements obligatoires les plus élevés en Europe et dans l’OCDE. Elle a aussi l’un des niveaux de dépenses les plus élevés. Son déficit et sa dette publique sont importants. La question est donc tout autant celle de la maîtrise de la dépense que celle d’un éventuel relèvement des impôts. Cela étant, on ne peut exclure que l’aggravation quasi généralisée des déficits conduise les États, partout dans le monde, à augmenter les impôts. En dépit de sa situation de départ moins favorable, la France n’échapperait pas à ce mouvement. La condition sera alors que les mesures s’inscrivent dans des démarches de coopération entre États, et surtout pas dans un contexte de compétition fiscale.

M. le président Didier Migaud. Monsieur le Premier président, merci pour ce travail très utile, que nous entendons bien utiliser.

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