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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 27 mai 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 91

Présidence de M. Didier Migaud Président

–  Audition, ouverte à la presse, de MM. Jérôme Cazes, directeur général de la COFACE, Michel Mollard, président du directoire de Euler-Hermès et Éric Lenoir, directeur des risques d’Atradius, sur l’assurance-crédit 2

–  Information relative à la Commission 10

M. le président Didier Migaud. Nous accueillons aujourd'hui les dirigeants de trois sociétés d’assurance-crédit majeures – M. Jérôme Cazes, directeur général de la COFACE, M. Michel Mollard, président du directoire de Euler-Hermès, et M. Éric Lenoir, directeur des risques pour l’Europe du Sud d’Atradius – pour faire le point avec eux sur la place et l’évolution de l’assurance-crédit dans notre économie à un moment particulièrement difficile pour les entreprises françaises.

Les premières manifestations de la crise financière ont focalisé l’attention sur les établissements bancaires, sur leur solvabilité, puis sur leur liquidité lorsque le crédit interbancaire a été quasiment paralysé. La crise s’est muée ensuite en crise économique et le financement des entreprises est devenu un enjeu primordial. L’assurance-crédit, dont on parle peu habituellement, est alors apparue comme un enjeu essentiel sur lequel les feux de l’actualité se sont braqués. Aux dirigeants de PME se plaignant que la diminution des couvertures d’assurance-crédit qu’ils subissaient les mettaient en péril, les sociétés d’assurance-crédit répondent qu'à défaut d'être vigilantes, voire exigeantes vis-à-vis de leurs clients, elles perdront le crédit qu’elles ont auprès des réassureurs. Comment justifier ce principe de précaution quand certaines entreprises disposent de données financières pourtant rassurantes – chiffre d’affaires stable, trésorerie abondante – à l’exemple de la société d’ameublement But, qui compte 6 000 salariés ?

De leur côté, les petites sociétés qui bénéficiaient jusqu'à présent de garanties de crédit collectives – octroyées, par exemple, aux entreprises d’un même pays – et automatiques via des comptes clients dits « non dénommés », ont été brutalement exclues du champ de l'assurance. Privées d'assurance pour certains clients, les entreprises n’ont guère d’autre choix que d’exiger d’eux un paiement au comptant, sinon de mettre fin à leurs relations commerciales. Quant aux clients « déréférencés », qui ne peuvent plus compter sur le crédit interentreprises et doivent payer comptant leurs fournisseurs, ils sont contraints de limiter leurs achats, donc leurs ventes.

Depuis le début de la crise, combien d'entreprises ont été victimes des restrictions de couverture d’assurance-crédit ? Quelles ont été les conséquences sur l’emploi, en particulier dans des filières exportatrices, comme l’agro-alimentaire ?

Le législateur est intervenu en autorisant l’État à apporter sa garantie à la Caisse centrale de réassurance, la CCR, pour ses opérations de réassurance de risques d’assurance-crédit portant sur des PME. Un système de partage des risques a été mis en place avec le complément d’assurance-crédit public, le CAP, par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2008, et le CAP + par la deuxième loi de finances rectificative pour 2009 dont il convient d'évaluer l’efficacité.

À la suite de la réunion organisée par le Premier ministre le 12 mai dernier, quelles initiatives concrètes comptez-vous prendre pour informer en amont les entreprises d’une prochaine décote et les orienter vers des dispositifs d’assurance publics ou de cautionnement mutuel ?

Concernant la COFACE, des mesures ont été décidées en janvier 2008 par le secrétaire d’État Hervé Novelli pour alléger les règles exigeant des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 75 millions d’euros, une part française minimale dans leurs exportations, avec pour conséquence que la fabrication peut être très majoritairement étrangère alors que la garantie est consentie par l’État français. Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 75 millions d’euros, il est prévu une incorporation automatique de la part étrangère à hauteur de 50 % pour tout contrat dont le montant est inférieur ou égal à 500 millions d’euros. Une telle règle ne favorise-t-elle pas les délocalisations puisqu’il est désormais possible que la garantie de l’État sur une exportation soit accordée à une entreprise qui ne ferait qu’importer les différents éléments nécessaires à la fabrication du produit et qui se contenterait de les assembler en France ?

M. Jérôme Cazes, directeur général de la COFACE. Quand une entreprise vend à une autre entreprise, elle lui fait crédit. C’est la règle, même si la durée varie selon les métiers. Le Parlement s’est prononcé en faveur d’une réduction des délais de paiement pour les ramener à trente ou quarante jours en moyenne. Néanmoins, l’encours du crédit interentreprises est considérable, de l’ordre de 650 milliards d’euros. Les concours bancaires ne représentent que 20 % du crédit court terme des entreprises. De fait, les entreprises sont les banquiers de leurs clients et se posent les mêmes questions qu’eux : à qui faire crédit ? comment couvrir son risque ? comment récupérer son argent en cas de problème ? Entre 20 % et 25 % des entreprises s’adressent à des prestataires, les assureurs-crédit, qui les conseillent. Et s’ils se trompent, ils indemnisent, en général à hauteur de 90 % et aident leurs clients à recouvrer les sommes dues. Nous fournissons un service global couvrant l’ensemble du portefeuille clients de l’assuré.

En période de crise de crédit, des tensions se produisent sur le crédit interentreprises parce que les défaillances augmentent parallèlement au recul du crédit fournisseurs. Sur 100 000 entreprises, 20 000 n’en obtiennent pas en temps normal, et 30 000 en temps de crise. L’assureur-crédit n’est pas forcément en cause. Dans la majorité des cas, c’est l’entreprise elle-même qui ne veut plus faire crédit à son client parce qu’elle craint de ne pas être payée. Le principe de précaution se justifie pleinement. N’a-t-on pas rendu les banquiers responsables de la crise des subprimes parce qu’ils avaient prêté à des gens qui ne pouvaient rembourser ? Aucune entreprise n’accepte de vendre à un client qui ne la paiera pas.

La crise touche des entreprises qui perdent leur crédit mais qui pourraient s’en tirer si un coup de pouce public leur permettait de tenir jusqu’à la reprise. C’est sur ce constat que reposent les dispositifs CAP et CAP +, destinés à suppléer des entreprises jugées trop prudentes, sur le modèle des garanties mises en place pour encourager les banques à se faire crédit les unes aux autres.

S’agissant des mesures propres à l’exportation, la COFACE en est à l’origine. Notre but, conforme à la mission de service public que nous a déléguée l’État, consiste bien à aider les exportateurs. Mais les contrôles des parts étrangères conçus il y a très longtemps pour ne pas apporter d’aide publique à des entreprises étrangères ne correspondaient plus du tout à la réalité des petites entreprises qui s’approvisionnent un peu partout : les procédures que nous appliquions les décourageaient. Les importations que nous évitions étaient inférieures à ce qu’on perdait en exportations. La nouvelle approche consiste à distinguer les gros dossiers qui continuent de faire l’objet d’un contrôle du ministère de l’industrie des autres qui se voient appliquer le régime qui est celui de tous nos grands concurrents européens.

M. Michel Mollard, président du directoire de Euler-Hermès. L’assurance-crédit, même si elle a été décriée, est un instrument anticyclique. Une défaillance d’entreprise sur quatre ou cinq provient de celle d’un de ses clients. C’est considérable. L’assurance-crédit est souscrite en général par des entreprises plutôt bien gérées, et d’une certaine taille, qui n’ont pas les moyens d’investir dans le credit management et qui veulent se prémunir contre les risques que les délais de paiement en usage les contraignent à prendre sur leurs clients. Nous avons un rôle très positif et beaucoup d’entreprises survivent parce que nous avons indemnisé un impayé.

La crise économique que nous traversons est la plus violente depuis l’après-guerre. Nous sommes les mieux placés pour en juger car, avant de cesser de payer son banquier, on commence par ne pas payer son fournisseur. Les impayés atteignent un plus haut historique, le double de l’année dernière, soit, pour nous qui avons entre 50 % et 60 % du marché en France, 1,2 milliard d’euros. Dans ce contexte, nos clients nous demandent de les prémunir contre les impayés et de les aider à se développer en vendant à des entreprises financièrement saines. Nous avons avec nos clients les mêmes débats qu’un directeur commercial, qui veut faire du chiffre d’affaires, avec un directeur financier, qui veut avant tout être payé. Nous leur rendons service en les poussant à prendre des positions plus restrictives. Mais le crédit fournisseurs se contracte au détriment des acheteurs.

Comme le système bancaire ne tourne pas à plein, des tensions peuvent apparaître dans la trésorerie. C’est la raison pour laquelle nous avons été amenés à mettre en place, avec les pouvoirs publics, des dispositifs destinés à répartir le risque. En effet, dans cette situation, il n’existe que trois possibilités : les assurés payent des taux de prime très supérieurs à ce qu’ils paient aujourd'hui ; ou bien les assureurs acceptent des pertes colossales, quitte à réclamer ensuite des injections de capital ; ou bien les pouvoirs publics décident de venir en aide pas tant aux assureurs qu’aux entreprises elles-mêmes. C’est la philosophie du CAP et du CAP +. Le premier couvre les réductions de couverture et, avec 3 000 entreprises « fournisseurs » assurées, 6 000 entreprises « acheteurs » couvertes, et 200 millions d’encours, c’est un succès. Dans un premier temps, nous avions mis en garde les pouvoirs publics contre un mécanisme dans lequel le secteur privé ne garderait pas une certaine part de risque. Puis la conjoncture a conduit à prendre en charge le risque « résiliation » par le biais du CAP + annoncé mi-mai par le Premier ministre. Les débuts sont intéressants : nous comptons 160 entreprises bénéficiaires pour un encours de 2 millions d’euros.

Compte tenu de la brutalité de la crise, les acheteurs se sont émus à juste titre de la manière dont ils apprenaient les décisions de réduction ou de résiliation. Mais nous ne sommes pas les seuls en cause. Nous formons, avec les fournisseurs et les acheteurs, un ménage à trois. Le fournisseur a une plus grande latitude contractuelle que celle dont il use généralement : il a tendance à appeler rapidement pour annoncer qu’on coupe les garanties. En quelques mois, nous avons fait notre révolution culturelle. Nous avons pris des engagements envers le Premier ministre sur l’information que nous donnons à l’acheteur. Ce que nous faisions jusqu’alors mérite d’être beaucoup plus formalisé. Nous souhaitons continuer sur la bonne voie et faire en sorte que les décisions prises à Matignon soient un succès.

M. Éric Lenoir, directeur des risques pour l’Europe du Sud d’Atradius. À mon sens, le produit CAP ne répond pas encore aux attentes dans la mesure où il ne s’agit pas vraiment d’un outil de gestion de crise. Il donnera sa pleine mesure dans la durée, en permettant aux entreprises fragilisées de redémarrer plus rapidement, lors du retournement de crise.

M. Hervé Mariton. Pouvez-vous nous éclairer sur la polémique, dont la presse s’est fait l’écho, concernant le point de savoir s’il s’agit d’une crise du crédit fournisseurs ou d’une crise du crédit acheteurs ?

M. Jérôme Cazes. En gros, de 20 % à 25 % des entreprises s’assurent auprès de nous. Face au problème du crédit fournisseurs, le Gouvernement a choisi d’intervenir par notre intermédiaire, et je m’en réjouis. Mais ceux qui souffrent aujourd'hui, ce ne sont pas tant les vendeurs que les acheteurs, qui perdent leur trésorerie. S’ils ont la chance d’avoir des fournisseurs qui sont assurés auprès de nous, le système gouvernemental fonctionne parfaitement. Mais, trois fois sur quatre, ce n’est pas le cas. Mission accomplie en ce qui nous concerne, donc, mais il reste deux points d’interrogation : le crédit interentreprises qui n’est pas assuré, et l’export, puisque CAP et CAP + ne s’appliquent pas aux entreprises étrangères.

Il ressort des nombreuses réunions que nous avons avec nos clients, que la situation pour les fournisseurs n’est pas dramatique. Ils se réorganisent, demandent à être réglés comptant ou trouvent d’autres clients. Les entreprises qui souffrent, et les services du Médiateur du crédit nous le confirment, ce sont, dans 90 % des cas, celles qui perdent leur crédit fournisseurs. C’est pourquoi on peut parler d’une crise d’acheteurs, au-delà des problèmes bien réels de débouchés. Certes, des systèmes existent, telle la contre-garantie de leurs crédits de trésorerie proposée par OSÉO aux banques. Mais les banques ne financent qu’un cinquième des crédits à court terme des entreprises en France. On ne peut pas leur demander, surtout en période de crise, de se substituer du jour au lendemain au crédit fournisseurs, qui représente des sommes considérables, même avec l’aide d’OSÉO. D’autres mécanismes sont nécessaires pour conforter temporairement des acheteurs fragiles, pour rassurer leurs fournisseurs. Nous avons suggéré de recourir à la caution fournisseurs, mais ce n’est qu’une solution parmi d’autres. En tout cas, si la conjoncture ne s’arrange pas, il faudra imaginer un dispositif à l’intention des acheteurs.

M. Michel Mollard. Je ne suis pas du tout d’accord. Si les assureurs-crédit ont été mis en cause, c’est bien qu’il y a un problème pour les acheteurs des fournisseurs qui sont assurés auprès de nous. Je n’ai pas vu d’acheteur se plaindre d’une restriction de son crédit auprès d’un fournisseur qui ne soit pas « assuré-crédit ». Par ailleurs, bien que l’assurance-crédit ne couvre aujourd'hui que 20 % du crédit fournisseurs en France, l’honnêteté oblige à reconnaître que, dans certains secteurs, le pourcentage est beaucoup plus élevé, quasiment de 100 %, même s’il est de 0 % dans d’autres. À ce stade, CAP et CAP + doivent pouvoir répondre à la demande.

Quant à la caution fournisseurs, nous la commercialiserons si elle voit le jour, mais je ne peux m’empêcher de frémir à l’idée d’un produit qui ouvrirait une sorte de droit à la caution : il risque de coûter extrêmement cher aux finances publiques. En cautionnant l’acheteur, outre que le système est complexe à gérer pour de très petites entreprises, le risque de fraude est très élevé car rien n’empêche d’aller montrer sa caution à plusieurs fournisseurs. Cela étant, notre responsabilité, c’est d’aider notre pays à traverser la crise le mieux possible. Si CAP et CAP + ne suffisent pas, il faudra inventer autre chose.

À mon avis, la priorité est aujourd'hui le « CAP Export », parce que ce qui est vrai en France est vrai ailleurs. En tant que leader mondial, nous avons vu notre encours passer de 700 milliards à 600 milliards d’euros. Autrement dit, une extension du CAP à l’export de manière transitoire aiderait les exportateurs français. Les mesures prises par les pouvoirs publics bénéficient aux entreprises ; les assureurs-crédit se contentent de distribuer. Nous sommes aujourd'hui, en quelque sorte, les avocats des entreprises.

M. Éric Lenoir. Le débat sur la caution fournisseur est clos. Il faudrait sans doute que les assureurs-crédit réfléchissent à l’opportunité de mettre en avant un tel produit dans leur future stratégie commerciale.

En revanche, je rejoins Michel Mollard sur l’importance de proposer un CAP + à l’exportation. Même si les entreprises exportatrices sont relativement peu nombreuses, il est nécessaire de leur offrir très rapidement un soutien.

M. Lionel Tardy. Nous, parlementaires, aurions tout à gagner à regarder de plus près les statistiques des sociétés d’assurance-crédit car elles sont la vigie de l’économie, elles ont des données que les autres organismes n’ont pas. Sur les six derniers mois, environ 57 % des PME ont perdu des garanties, et 20 % d’entre elles ont fait l’objet de résiliations. Les assureurs-crédit ne sont pas des philanthropes et ils ont demandé une garantie de l’État. Ils l’ont obtenue avec le dispositif CAP qui prend en charge 50 % du montant des risques garantis que les assureurs considèrent comme difficiles à assurer. Mais, selon les sondages, 29 % des entreprises seulement connaissent ce dispositif et, à ma connaissance, au 9 avril, CAP couvrait 100 millions d’euros. C’est dérisoire. Comment faire en sorte que la solution, qui est bonne, soit utilisée ?

Lors de la réunion du 12 mai avec le Premier ministre, les sociétés d’assurance-crédit se sont engagées sur deux points : une plus grande transparence vis-à-vis des acheteurs et un préavis d’un mois en cas de résiliation ou de réduction de l’encours. À cet égard, où en êtes-vous ? Pourriez-vous détailler le mécanisme CAP +, qui garantira, à hauteur de 5 milliards d’euros, des risques non couverts par les assureurs ?

M. Michel Mollard. Les Français ont été les premiers à mettre en place le dispositif CAP qui est copié par la Nouvelle-Zélande, Singapour, le Portugal, le Danemark, le Canada, ainsi que – c’est une première – par la Grande-Bretagne. Nous avons fait preuve d’une réactivité extraordinaire. Mais les grands débats d’idées ont pris le dessus et CAP n’a pas été porté sur les fonds baptismaux comme il aurait dû, si bien qu’il reste largement méconnu.

En ce qui concerne CAP +, c’est la même chose. La communication est un enjeu considérable et il nous faut le soutien effectif du Médiateur du crédit et des fédérations professionnelles. Tout le monde doit aller dans le même sens.

M. Jérôme Cazes. Monsieur Tardy, que 29 % des entreprises connaissent CAP ne vous semble pas suffisant. Mais c’est déjà remarquable puisque 20 % des entreprises sont assurées. Si vous organisiez des réunions dans votre circonscription pour annoncer CAP à son de trompe, 80 % de l’assistance ne seraient pas concernés. Je vous garantis que nos 15 000 assurés sont au courant depuis le premier jour. Et bon nombre d’entre eux nous ont dit que CAP ne servait à rien parce que, dans 80 % des cas, les assureurs conservent les plafonds ou résilient. CAP + a le grand mérite d’apporter une réponse en cas de résiliation, dans la limite de 100 000 ou 200 000 euros : il ne s’agit donc pas de très gros montants. Les solutions sont très bonnes, mais seulement pour ceux qui sont assurés crédit, et dans la limite des plafonds fixés. Je vous mets en garde contre les effets d’annonce.

Pour le moment, aucun pays au monde n’a en pratique adopté CAP. L’Angleterre en parle…

M. Michel Mollard. Les Anglais ont mis en place une procédure qui est effective, après les Portugais et les Danois.

M. Jérôme Cazes. Cela ne fonctionne pas plus qu’en France. Par ailleurs, il n’est pas vrai que, depuis le début de la crise, la COFACE ait diminué ses garanties. Tout le monde doit prendre des risques. L’État aide modestement, sur 20 % de la cible. Nos assurés sont contents de CAP +, mais je ne suis pas sûr que cela suffise.

M. Lionel Tardy. La plupart des risques sont portés par les entreprises. Beaucoup de chefs d’entreprise sont réticents à l’idée de recourir à l’assurance-crédit, moi le premier. Mais il faut en passer par là pour bénéficier de CAP et CAP +. L’État n’ayant apparemment pas d’autre solution pour intervenir, comment aider les TPE à faire le pas, d’autant que, pour beaucoup d’entre elles, l’assurance-crédit, c’est presque honteux ? Je pense qu’il faudrait agir en amont, par l’organisation de réunions, car les services de l’État ne répondent que lorsqu’ils sont sollicités.

M. Éric Lenoir. Il s’agit là d’un problème de fond. Nous avons intégralement assuré la communication autour de CAP et CAP +. Il nous faut maintenant des relais, que ce soit les fédérations professionnelles ou la médiation. Pourquoi ne pas réfléchir à un soutien que nous pourrions apporter ponctuellement dans les réunions que vous organiseriez localement, avec les entreprises de vos régions ? Nous y sommes quant à nous tout à fait disposés.

M. Gaël Yanno. Comment les entreprises ultramarines peuvent-elles bénéficier de CAP et de CAP + ?

M. Jérôme Cazes et M. Michel Mollard. De la même manière que les autres.

M. Laurent Hénart. Concernant « CAP Export », avez-vous réfléchi aux limites de garantie et aux relais permettant les adaptations nécessaires ?

M. Jérôme Cazes. Il est très difficile d’expliquer à un assuré pourquoi ce qui existe pour le marché domestique n’existe pas à l’export. Les pouvoirs publics l’ont bien compris puisque M. Fillon a demandé à Mme Lagarde de faire des propositions. Mais il faudra obtenir l’accord de Bruxelles et celui du Parlement qui n’a autorisé la garantie de l’État qu’en faveur d’entreprises françaises. Sur le fond, plus c’est simple, mieux c’est : une transposition pure et simple de CAP et CAP + devrait suffire. L’État se protège en acceptant les signatures jugées seulement médiocres pour éviter de couvrir des défaillances inéluctables. Les systèmes de notation à l’export peuvent être plus compliqués, bien que la COFACE ait les mêmes en France et à l’export.

M. Michel Mollard. Le CAP Export permettra de redonner un « coup de jeune » à nos procédures export publiques. Le CAP, je le rappelle, a été conçu initialement pour ne rien coûter aux finances publiques. Avec CAP +, on a pris la décision d’engager des fonds budgétaires, ce qui constitue une sérieuse nuance.

L’exemple des exportateurs de vin, qui vendent à des grossistes russes ou britanniques dépourvus de fonds propres, est emblématique de ce qui se passe à l’exportation aujourd’hui. S’il y a deux ans on pouvait encore supporter des encours significatifs pour ces entreprises, aujourd’hui cela n’est plus le cas. De tels blocages apparaissent dans beaucoup d’autres secteurs. Il faut bien garder en tête que la crise est pire chez nos voisins, ainsi qu’en dehors de l’Europe.

C’est pourquoi, même si le dispositif « CAP Export » coûte peu, voire rien, aux finances publiques, pourvu que la tarification soit adaptée, et donne de l’air aux exportateurs français, l’extension du CAP + à l’export doit être envisagée avec une certaine prudence.

La question des fonds propres des TPE françaises est un vrai sujet. Je prendrai l’exemple tout à fait représentatif d’une entreprise artisanale de l’ouest de la France, dont les fonds propres s’élèvent à 3 000 euros. L’année dernière, nous garantissions 100 000 euros de crédit fournisseurs sur cette entreprise, couverture réduite à 50 000 euros pour cause de mauvais bilan ; notre engagement reste cependant dix-sept fois supérieur à celui des actionnaires, ce qui n’est pas normal. À force de faciliter, ces dernières années, la création d’entreprises, ce qui est en soi positif, on se retrouve aujourd’hui avec un problème de capitalisation insuffisante des TPE : celles-ci sont dépourvues du minimum de fonds propres nécessaire à enclencher un effet de levier, qu’il s’agisse du crédit bancaire ou du crédit fournisseurs. Je ne vois guère que l’arme fiscale pour résoudre ce problème essentiel.

M. le président Didier Migaud. Pouvez-vous nous dire un mot de votre propre situation financière ? Êtes-vous vous-même exposés ?

M. Jerôme Cazes. Si nos clients ne sont pas exposés, le groupe COFACE disposant de 400 millions d’excédents de fonds propres, nos résultats sont en baisse au quatrième trimestre 2008 et au premier trimestre 2009. Notre loss ratio en France – soit notre taux de sinistralité pour un euro de prime – qui est de 50 % les bonnes années, est actuellement de 140 % : c’est dire que nous jouons notre rôle citoyen, et même au-delà. Ces pertes traduisent l’augmentation de nos garanties de crédit aux entreprises françaises, 11 milliards d’euros depuis le début de la crise. Mais nous ne pouvons évidemment pas enregistrer indéfiniment des pertes : si cette crise dure, il faudra, soit inventer de nouveaux dispositifs, tels qu’un « CAP ++ », soit se résigner à voir beaucoup d’autres entreprises aller au tapis. En effet, si certaines entreprises peuvent tenir quatre ou six mois, plus la crise durera, plus ce sera difficile pour elles.

Notre analyse est que l’économie mondiale touchera le fond dans les prochaines semaines, mais peut-être nous trompons-nous. Dans ce cas, il ne faudra pas trop traîner à prendre la mesure de la gravité et de la durée de la crise, afin de soutenir les entreprises qui ne peuvent pas lui résister plus de dix mois.

M. Michel Mollard. Notre vision de la crise est significativement différente.

Dès janvier 2008 – Lionel Tardy peut en témoigner –, nous avions annoncé que l’économie mondiale allait connaître une crise très grave et nous avions pris des mesures en conséquence.

Nous considérons qu’un assureur-crédit n’a pas à faire de pertes. Après avoir réalisé 410 millions d’euros de profit en 2007, nous en avons réalisé 83 millions en 2008 et 16 millions au premier trimestre 2009. Ces chiffres traduisent l’ampleur de la crise. Mais si les assureurs-crédit devaient enregistrer des pertes durables, cela mettrait en péril la réassurance et d’une façon générale le fonctionnement de l’économie, au point de nécessiter l’intervention de la puissance publique, ce qui n’est pas forcément souhaitable en période de déficit budgétaire. Voilà pourquoi notre objectif minimal, cette année, est d’atteindre un résultat positif : c’est une ambition modeste, mais nécessaire dans la situation actuelle.

M. Éric Lenoir. Atradius joue pleinement son rôle d’assureur-crédit en période de crise. Nous avons à ce titre beaucoup indemnisé les entreprises, notamment au cours du dernier trimestre 2008, ce qui se traduit par des baisses dans nos résultats. Ces pertes n’affectent pas nos clients, nos fonds propres représentant 300 % de ce que nous demandent les régulateurs.

M. le président Didier Migaud. Quels sont les effets concrets de la crise ? On a parlé tout à l’heure de l’augmentation des impayés : est-ce un phénomène que vous constatez encore aujourd’hui ? Apercevez-vous des perspectives de sortie de crise ?

M. Jérôme Cazes. Les résultats se sont un tout petit peu améliorés au mois d’avril, et une fenêtre d’opportunité pour l’économie mondiale se dessine pour les semaines qui viennent. Tous les chiffres publiés actuellement convergent vers l’hypothèse que la chute libre de la croissance mondiale depuis la faillite de Lehman Brothers s’arrêtera dans les semaines qui viennent, du fait de phénomènes tels que le restockage, ou liés à la psychologie collective : à un moment donné, on ne veut plus être pessimiste ! Nous sommes en effet en présence de la première crise de globalisation, qui a fait que 50 millions de chefs d’entreprise dans le monde ont pris, en octobre dernier, les mêmes décisions : ces chefs d’entreprise en ont aujourd’hui assez. Si nous avons la chance de ne pas connaître une nouvelle catastrophe financière dans les semaines qui viennent et de commencer à entendre une petite musique positive en provenance des États-Unis, nous pensons que la chute de la croissance mondiale cessera, donnant aux entreprises une base sur laquelle travailler, ce qui leur permettra de redémarrer leur activité.

Mais un autre scénario, noir celui-là, est aussi évoqué : cette crise, la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale, peut encore s’aggraver et la croissance mondiale, qui a déjà chuté de six points depuis 2007, risque de perdre encore deux points, soit une chute de huit points, quatre fois supérieure à celle du début des années 2000.

Il ne faut donc pas dissimuler le fait que notre scénario de base, qui voit la confirmation de l’embellie du mois d’avril, suppose que nous ayons de la chance car la faillite d’un pays suffirait à entraîner tout le monde dans une aggravation de la crise.

M. Michel Mollard. La bonne nouvelle, monsieur le président, est que la situation ne se dégrade plus depuis janvier. Il faut aussi souligner que la situation de la France n’est pas la pire, si on la compare à celle de l’Espagne, dont l’économie est fondée sur l’immobilier et le tourisme et quasiment dépourvue de base industrielle, à celle du Royaume-Uni, qui va extrêmement mal, ou de l’Allemagne, qui traverse une crise d’une ampleur considérable.

Mais l’honnêteté oblige à dire qu’on ne sait pas ce qui va se passer. Même si, sur le plan macro-économique, on constate un rebond technique au deuxième trimestre, cela n’empêchera ni les plans sociaux, ni les dépôts de bilan. C’est pourquoi il est urgent d’injecter dans l’économie les dépenses prévues dans le cadre du plan de relance. On devra aussi s’interroger dans les prochains mois sur l’opportunité de soutenir la consommation, qui est en temps normal le premier moteur de la croissance dans notre pays. Pour 2010, la question qui se pose est celle du financement de toutes ces mesures.

M. Éric Lenoir. Je pense que la crise suivra une courbe en L. Nous ne devrions pas atteindre le point le plus bas avant septembre, et nous devrions nous maintenir à ce niveau jusqu’à la fin de l’année, avant d’entamer au début de l’année 2010 une reprise que j’espère très graduelle, faute de quoi nous serons confrontés à des problèmes plus graves encore que ceux que nous connaissons aujourd’hui.

M. le président Didier Migaud. Messieurs, nous vous remercions de toutes les précisions que vous nous avez apportées.

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Information relative à la Commission

La Commission a reçu, en application de l’article 12 de la LOLF :

– un projet de décret portant transfert de crédit d’un montant de 451,26 millions d’euros en crédits de paiement qui va être effectué sur 14 missions et 24 programmes du budget général à partir du programme 316 Soutien exceptionnel à l’activité économique et à l’emploi de la mission Plan de relance de l’économie, au titre de la mesure de majoration temporaire des avances sur les marchés publics de l’État (action 02 Avances versées sur les marchés publics de l’État).

Cette mesure consiste à augmenter exceptionnellement en 2009 le niveau des avances versées par l’État à ses fournisseurs dans le cadre de marchés publics, afin d’améliorer leur situation de trésorerie. Une avance de 20 % (au lieu de 5 %) doit être systématiquement prévue quand le montant initial du marché ou de la tranche affermie est supérieur à 20.000 € HT et inférieur à 5 millions d’euros.

——fpfp——