Accueil > Travaux en commission > Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mardi 23 juin 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 98

Présidence de M. Didier Migaud Président et de M. Pierre Méhaignerie Président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales

–  Audition, ouverte à la presse, commune avec la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, de M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport préalable au débat d’orientation des finances publiques

M. le président Didier Migaud. Nous sommes très heureux d'accueillir M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des Comptes, accompagné de M. Christian Babusiaux, président de la première chambre, de Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre, ainsi que de plusieurs autres magistrats.

Cette audition nous permettra d'évoquer le rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques, destiné à éclairer le débat d'orientation budgétaire qui devrait avoir lieu mardi prochain. J’observe que c'est le troisième rapport que vous nous remettez cette année, monsieur le Premier président, après l’acte de certification des comptes de l’État pour 2008 et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État portant sur la même année.

Je n’ai pas besoin de rappeler que vous avez déjà exprimé votre inquiétude au sujet du déficit pour l'exercice 2009, dont vous avez indiqué qu'il serait sans précédent dans l’histoire moderne, du moins en temps de paix. Cette audition ne pourrait avoir lieu à un moment plus opportun, car nous ne sommes pas seulement à quelques jours du débat d’orientation budgétaire, comme je l’ai indiqué : nous sommes aussi au lendemain de l’annonce d’un « grand emprunt » national. Pour compléter ce tableau, j’ajoute que la Cour des comptes redoute un emballement de la dette publique et déplore la faible maîtrise du déficit. Voilà autant de sujets sur lesquels vous aurez certainement à cœur de revenir.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je crois qu'il n'y a pas besoin de faire de cinéma : chacun connaît la situation des finances sociales. En 2009 et en 2010, nous allons pâtir non seulement de la pente naturellement croissante des dépenses, mais aussi de l’affaiblissement des recettes.

Outre le problème posé par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), que nous évoquerons sans doute tout à l’heure, nous devons nous interroger sur la performance des politiques sociales. Comme l’a rappelé Jérôme Vignon, président des Semaines sociales de France, nos dépenses en matière sociale dépassent en effet celles de la Suède d’un point de PIB, sans que les résultats obtenus soient à la hauteur de cet effort, qu’il s’agisse de la lutte contre la pauvreté, de l’insertion professionnelle des jeunes, ou de la lutte contre le chômage. Nous devons donc réfléchir à l’efficacité des dépenses sociales.

J’ai ainsi interrogé le Gouvernement sur la possibilité d’unifier les aides à la personne, dont le fonctionnement présente aujourd’hui une grande complexité.

C’est avec la plus grande attention que nous allons vous écouter, Monsieur le Premier président. Nous savons bien, en effet, que la situation actuelle ne peut plus durer : il va falloir adopter très rapidement d’importantes mesures de correction.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Je suis très honoré de vous présenter ce rapport, relatif à l’ensemble des finances publiques – État, sécurité sociale et collectivités territoriales –, et je suis très heureux de pouvoir m’adresser simultanément à la Commission des finances et à celle des affaires culturelles et sociales. Je vous remercie d’avoir organisé cette audition commune, et je vous sais naturellement gré de votre invitation, qui témoigne de l’intérêt que le Parlement porte aux travaux de la Cour.

Ce rapport a pour origine la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, qui prévoit que nous vous remettions un rapport préliminaire au débat d’orientation budgétaire en nous plaçant dans une perspective pluriannuelle. Il s’agit du troisième élément d’une tétralogie, composée en outre du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État pour 2008, de l’acte de certification des comptes de l’État pour le même exercice – deux documents que j’ai eu l’honneur de présenter à la Commission des finances le 3 juin dernier –, et de l’acte de certification des comptes de la sécurité sociale, que je présenterai le 15 juillet prochain. Le présent document a pour vocation d’être public, mais nous avons souhaité vous en réserver la primeur.

En dépit des circonstances exceptionnelles que nous traversons, le message de la Cour s’inscrit dans une certaine continuité : nous faisons face à un mouvement continu de dégradation des finances publiques qui a commencé bien avant la crise actuelle. Cela fait, en effet, plusieurs années que nous alertons les pouvoirs publics : la France accumule les déficits depuis plus de vingt-cinq ans, faute de parvenir à équilibrer son budget, alors que certains de ses voisins y sont parvenus. Pour la sixième année consécutive, nous avons dépassé en 2008 un taux d’endettement de 60 %, limite fixée par un traité que vous connaissez bien.

Au vu de ces résultats, d’aucuns pourraient penser que la Cour a prêché dans le désert. Il faut toutefois rappeler qu’un certain nombre d’initiatives nouvelles, encore limitées mais réelles, ont vu le jour. Je pense notamment à la RGPP, la révision générale des politiques publiques, et au début d’encadrement des dépenses fiscales que nous avons connu. Ce que nous craignons aujourd’hui, c’est précisément que le contexte de la crise ne remette en cause ces premières avancées : la crise peut certes justifier des réponses tendant à aggraver temporairement le déficit public, mais il ne faudrait pas qu’elle instaure un climat propice au relâchement des efforts dans des secteurs dépourvus de toute relation avec le soutien de la croissance ou la réparation des dégâts sociaux causés par la situation économique. Le risque est qu’il se produise une « décompensation » conduisant à déséquilibrer gravement l’ensemble des comptes.

En effet, la dégradation actuelle de notre situation financière, qui concerne l’ensemble des acteurs publics, n’est pas seulement liée aux premiers effets tangibles de la crise. Le ralentissement de l’activité explique sans conteste une partie des évolutions récentes – le déficit public est passé de 2,7 à 3,4 % du PIB de 2007 à 2008 –, mais pas leur totalité. Force est de constater qu’une partie de la dégradation s’inscrit dans une tendance de fond, résultant notamment des baisses d’impôts décidées en 2008, en 2007 et au cours des années précédentes. Il en a résulté une diminution des ressources publiques de 10 milliards d’euros, soit 0,5 point de PIB, dont 6,5 milliards du fait de la loi pour le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat, dite TEPA, et 2,9 milliards du fait des dégrèvements de taxe professionnelle.

La dégradation des finances publiques résulte également d’une maîtrise insuffisante des dépenses. Il y a certes eu des progrès, car le rythme de l’augmentation s’est notablement réduit par rapport à ce que nous avions constaté entre 1998 et 2007. Il n’en reste pas moins que les dépenses viennent de retrouver le niveau atteint en 2006, alors qu’il y avait eu une légère décrue. Une partie de cette évolution s’explique sans doute par une moindre progression du PIB au cours de la période récente. Toutefois, il faut également rappeler qu’un seul pays consent aujourd’hui des dépenses publiques plus importantes que les nôtres : la Suède. Il faut également se souvenir que ce pays parvenait en 2008 à dégager un solde budgétaire très nettement excédentaire, contrairement à la France.

Je ne reviendrai pas sur les raisons expliquant l’augmentation des dépenses de l’État, car la Cour y a déjà consacré de nombreux développements. En revanche, je répète qu’il faudra réaliser un effort de grande ampleur en vue de réaliser les objectifs que se sont fixés les pouvoirs publics.

La notion de déficit structurel, corrigé des variations conjoncturelles, me semble particulièrement éclairante pour comprendre la situation. Selon plusieurs organisations internationales, le déficit structurel s’élève à environ 3,5 % du PIB, soit l’intégralité du déficit constaté à la fin de l’année 2008. Ce chiffre n’est qu’un ordre de grandeur, mais il démontre que l’essentiel du problème est non pas de nature conjoncturelle, mais structurelle.

Au sens du traité de Maastricht, la dette publique a augmenté de 10 % en 2008 : elle est passée de 1 209 à 1 327 milliards d’euros, c’est-à-dire de 63,8 à 68,1 % du PIB. La moitié de cette hausse résulte du déficit public, et 20 % des emprunts contractés pour le financement des banques. La Société de financement de l’économie françaises, la SFEF, et la Société de prise de participation de l’État, la SPPE, ont en effet été classées par l’INSEE et par Eurostat parmi les administrations publiques, même s’il y a encore un débat sur la réalité du contrôle de l’État sur la SFEF. Les emprunts contractés font donc partie de la dette publique.

Le niveau de la dette brute appelle deux autres observations. Dans son rapport de juin 2008, la Cour avait souligné que la moitié des 28 milliards d’euros de dette relevant de Réseau ferré de France (RFF), aujourd’hui classé hors du champ des administrations publiques, ne pouvait être remboursée que par l’État ; en dépit de la récente réforme de la tarification ferroviaire, la Cour maintient cette observation. En second lieu, j’observe que l’État a acheté des billets de trésorerie émis par l’ACOSS pour un montant de 10 milliards d’euros à la fin de l’année 2008, contre 8 milliards en 2007 et 5 milliards en 2006 ; cette opération, qui est financièrement positive pour l’État comme pour l’ACOSS, a temporairement diminué le niveau de la dette publique brute.

Chacun sait que la dette accumulée par les administrations publiques a un coût immédiat : les intérêts colossaux que la France doit aujourd’hui acquitter. À la fin de l’année 2008, ils s’élèvent à 54 milliards d’euros, soit plus que le produit de l’impôt sur le revenu. La seule charge des intérêts représente 2,8 % du PIB, soit 2 000 euros par an pour chaque actif. Or, plus la dette est importante, plus la prime de risque et, partant, le taux d’intérêt, augmentent. L’écart avec le taux exigé de l’Allemagne s’élevait ainsi à 0,4 point à la fin de l’année 2008. Cet écart est certes variable dans le temps, et il a d’ailleurs récemment diminué, mais il n’en demeure pas moins que la qualité de notre signature pourrait faire l’objet d’une attention accrue de la part des marchés.

Le solde primaire des administrations publiques, hors charge des intérêts, s’est de nouveau dégradé depuis 2007, alors qu’il était redevenu positif en 2006. Il s’élève maintenant à - 0,6 % du PIB. Cela signifie que les administrations publiques doivent emprunter pour payer non seulement les intérêts de la dette, mais aussi une partie de leurs dépenses courantes. Or, il est impossible de stabiliser l’endettement par rapport au PIB si le solde primaire demeure négatif, le taux d’intérêt de la dette étant supérieur au taux de croissance.

L’année passée, à la même époque, j’avais fait part à la Commission des affaires culturelles et sociales des vives inquiétudes que nous inspirait le déficit de la sécurité sociale. Ces inquiétudes demeurent, car le déficit du régime général ne s’est pas réduit – il s’élève désormais à environ 10 milliards d’euros. La croissance des charges a certes diminué de 0,5 point par rapport à 2007, mais celle des recettes s’est également réduite en raison d’un début de contraction de la masse salariale. Comme l’État, la sécurité sociale a donc abordé la crise actuelle en situation de déséquilibre structurel, et elle va subir de plein fouet la réduction de la masse salariale en 2009.

Il reste que les différentes branches présentent des résultats contrastés. Sous l’effet du ralentissement de la progression de l’ONDAM, qui n’a augmenté que de 3,4 % en 2008, contre 4 % en 2007, et du ralentissement de l’augmentation du coût des soins de ville, qui n’a crû que de 2,5 % contre 4,4 % l’année précédente, le déficit de l’assurance maladie s’est stabilisé à un peu moins de 5 milliards d’euros. L’objectif fixé par la loi de financement de la sécurité sociale a toutefois été dépassé de 860 millions d’euros.

Le déficit de la branche retraite a en revanche continué de s’aggraver : il s’est élevé à 5,6 milliards d’euros en 2008, contre 4,6 milliards en 2007 et 1,9 milliard en 2006. Les causes sont bien connues : l’arrivée massive de nouveaux retraités et la poursuite des départs anticipés consécutifs à la réforme de 2003, qui pèse sur les comptes de 2008 pour un montant de 2,4 milliards d’euros.

Tout aussi inquiétante est la rechute de la branche famille, qui s’explique par une augmentation de 3,5 points des prestations versées en moyenne. Excédentaire de 0,2 milliard d’euros en 2007, cette branche est aujourd’hui déficitaire de 0,3 milliard.

Le déficit constaté pour l’année 2008, qui s’ajoute à ceux qui ont été accumulés depuis le dernier transfert de dette à la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, a conduit le Gouvernement à prévoir une nouvelle reprise de dette dans la loi de financement pour la sécurité sociale de 2009, à hauteur de 26,9 milliards d’euros. Pour la première fois, la reprise de dette n’a pas porté seulement sur les déficits de l’assurance maladie – pour 14,1 milliards d’euros –, mais aussi sur ceux de la CNAV, la Caisse nationale d’assurance vieillesse – pour 8,8 milliards – et sur ceux du FSV, le Fonds de solidarité vieillesse – pour 4 milliards.

Conformément à la loi organique du 2 août 2005, qui prévoit que toute nouvelle reprise de dette doit s’accompagner du transfert de la recette fiscale nécessaire à son amortissement, une fraction de 0,2 point de CSG a été transférée du FSV à la CADES. Malgré l’excédent de 812 millions d’euros dégagé en 2008, il était évident, depuis les premiers signes de la crise financière, à l’automne dernier, que la dégradation de l’emploi allait peser sur les résultats du FSV et qu’il n’était pas raisonnable de le priver d’une fraction, fût-elle limitée, de ses ressources. Dans ces conditions, on ne peut pas s’étonner que la commission des comptes de la sécurité sociale ait prévu un déficit de 2,1 milliards d’euros pour l’année en cours.

Pour toutes ces raisons, c’est dans un contexte déjà dégradé que les administrations publiques ont dû affronter, en 2009, les pleins effets d’une crise qui pourrait être d’une rare violence. On peut donc s’attendre à une dégradation sans précédent des comptes publics. Si les prévisions de croissance se confirmaient, le déficit devrait s’élever, au minimum, à 7 % du PIB à la fin de l’année et la dette publique devrait atteindre 75 % du PIB, SFEF exclue – et même 80 % si elle est intégrée dans les comptes. Je rappelle que le ministre du budget est encore plus pessimiste que la Cour, puisqu’il a évoqué un déficit de 7,5 % pour l’année 2009.

Cette augmentation du déficit budgétaire s'explique non seulement par l'impact du plan de relance, mais aussi par la baisse spontanée des rentrées d’impôt et des cotisations sociales, ainsi que par l'augmentation, elle aussi spontanée, de certaines dépenses, notamment celles de l'assurance chômage. Notre déficit sera certainement moins élevé que celui du Royaume-Uni ou que celui des États-Unis, mais il dépassera probablement celui de l’Allemagne, alors même que le plan de relance de ce pays est plus important que le nôtre et que son déficit structurel est plus faible.

J’ajoute que la dégradation des comptes devrait concerner l’ensemble des administrations publiques. Le déficit de l'État devrait ainsi doubler en 2009 : il passerait de 56,3 milliards d’euros à plus de 120 milliards, ce qui représente plus de la moitié des recettes nettes de l'État. Les prévisions sont plus délicates à établir pour les administrations publiques locales, mais il ne fait aucun doute que leurs dépenses devraient continuer à croître de façon soutenue et que le niveau des recettes, notamment fiscales, ne pourra être maintenu qu'au prix d'une augmentation des taux d'imposition. Toutes les administrations sociales seront également dans le rouge : le déficit du régime général devrait doubler, pour s’élever à 20 milliards d'euros ; après deux années d’excédents, l’assurance chômage devrait renouer avec les déficits, estimés par l'UNEDIC à 1,3 milliard d'euros pour 2009 ; les régimes complémentaires et le FSV devraient eux aussi être déficitaires.

J'observe en outre que le financement du déficit du régime général va poser un problème dès cette année : le plafond d’avances, fixé à 18,2 milliards d'euros au-delà du premier trimestre de 2009, devrait être dépassé à l’automne. Mais nous aurons l'occasion d'y revenir à l'occasion du prochain rapport sur les comptes de la sécurité sociale.

À l’horizon 2012, les perspectives ne sont pas meilleures : même si l’on retient les prévisions de croissance du Gouvernement et que l’on table sur une progression des dépenses limitée à 2,2 %, le déficit devrait dépasser 6 % et la dette devrait atteindre 90 % du PIB. D'autre part, on ne peut pas être certain que la croissance retrouvera dès 2 011 ou 2 012 le rythme qui était le sien avant la crise.

Dans ces conditions, les objectifs fixés par les pouvoirs publics ne pourront être atteints qu'au prix d'un effort supplémentaire d’une ampleur considérable. Il faut saluer, dans cette perspective, l'instauration d'une loi de programmation pour les finances publiques et d'un budget triennal de l'État, qui constitue une avancée essentielle sur le plan des principes : la loi de programmation favorise en effet une vision pluriannuelle pour l'ensemble des acteurs publics, tout en fixant de grandes orientations auxquelles on ne peut que souscrire, notamment en ce qui concerne la maîtrise des dépenses et la sécurisation des recettes ; elle pose également le principe que les mesures de relance seront de nature temporaire.

Il reste que plusieurs éléments intervenus depuis l’adoption de la première loi de programmation nuisent à la lisibilité de la stratégie retenue, et pourraient même remettre en cause sa crédibilité. Je pense, par exemple, à la baisse du taux de TVA sur la restauration et à la suppression de la taxe professionnelle. Le respect des orientations fixées par la loi de programmation imposerait que ces évolutions soient compensées par des augmentations d'impôts ou bien par la suppression d'avantages fiscaux à due proportion, ce qui ne semble pas prévu pour le moment.

Compte tenu des évolutions récentes, la Cour répète que la perspective d'une réduction de la dette et du déficit à l'horizon 2 012 ne sera pas crédible sans un effort drastique de réduction des dépenses. À défaut, il faudra se résigner à augmenter les prélèvements obligatoires. J’ajoute qu’il y a urgence à agir, car nous approchons d'une zone dangereuse.

Le premier risque encouru est de nature économique : la dégradation des finances publiques risque de nourrir l'inquiétude des acteurs, qui pourraient augmenter leur épargne et réduire leur demande par crainte d’une hausse des impôts et des cotisations sociales. Il en résulterait un cercle vicieux, la crise risquant de s'aggraver et la reprise d’être affaiblie. Je rappelle également que l’impact des politiques de relance est d’autant plus faible que la dette est élevée, si l’on en croit une étude du FMI.

Le deuxième risque consiste en un appauvrissement de l’État : en effet, la quasi-totalité de la dépense publique ne sert plus à financer des investissements destinés à préparer l'avenir, mais à payer des dépenses de fonctionnement et d’intervention. L’appauvrissement de l'État pourrait se traduire par une réduction des services apportés aux Français et par une dégradation de la protection sociale.

Le troisième risque est un emballement de la dette, parfois appelé effet « boule de neige ». Dans cette hypothèse, la charge des intérêts devient si importante qu'il faut emprunter sans cesse davantage. Il en résulte un phénomène d’auto-alimentation de la dette qui conduit à son explosion. Or, nous avons aujourd’hui atteint un tel niveau de déficit structurel et d'endettement qu'une aggravation, même limitée, du déficit – du fait, par exemple, de l’augmentation prévisible des dépenses liées au vieillissement de la population – pourrait suffire à provoquer une croissance exponentielle de la dette.

Selon certains scénarios, qui ne font que prolonger les tendances actuelles, la dette pourrait atteindre 100 % du PIB en 2 018. Pour que chacun puisse prendre la mesure du problème, je rappelle que notre dette s’élevait à 118 % du PIB à la fin de la Première guerre mondiale et à 170 % en 1945. Avec un taux d'intérêt de 4 %, la seule charge des intérêts pourrait s’élever à 8 % de la richesse produite par le pays, chiffre auquel il faut ajouter le remboursement du capital emprunté. L’effort total serait alors supérieur au produit annuel de la TVA.

Le quatrième risque, lié au précédent, est que la crédibilité de la signature de la France soit affaiblie. En effet, plus la dette augmente, plus la prime de risque s’accroît. Le remboursement des intérêts ne pouvant mobiliser une proportion indéfiniment croissante des ressources, les créanciers risquent alors de se montrer réticents à l’idée de financer des prêts supplémentaires, ce qui pourrait contraindre à un ajustement dramatique des finances publiques.

À force de répéter que les caisses sont vides, il ne faudrait pas accréditer l’idée qu’elles sont inépuisables. On balaie souvent d’un revers de la main l’hypothèse d’une faillite de l’État, mais il ne faut pas négliger pour autant les conséquentes concrètes que pourrait entraîner la dégradation des finances publiques dans la vie quotidienne des Français. Or, plus on attend, plus le prix sera élevé : il faudra payer plus pour rembourser plus, et l’on encourt une double peine, puisqu’il faudra remettre en cause une partie des politiques publiques.

Face à ce problème, il y a de vraies et de fausses solutions.

Certains observateurs pensent que les difficultés pourraient être résolues sans effort grâce à une augmentation de la croissance, ou bien à la faveur d’une résurgence de l’inflation. Or le retour d’une croissance dynamique dans des délais brefs est généralement considéré comme peu crédible, la crise ayant conduit les organismes internationaux à retenir des hypothèses de croissance potentielle inférieures à la tendance actuelle ; d’autre part, chacun sait qu’un éventuel recours à l’inflation serait combattu par la Banque centrale européenne et par nos partenaires européens, au premier rang desquels figure l’Allemagne. Au surplus, quand bien même l’inflation repartirait à la hausse, les taux d’intérêt appliqués à la dette publique seraient très rapidement relevés.

Selon la Cour, il n’existe que deux pistes envisageables, de façon alternative ou cumulative : une réduction des dépenses et/ou une augmentation des prélèvements, laquelle passe d’abord par une réduction des « niches » fiscales et sociales.

Loin de nous l’idée de prescrire un programme politique, car il ne nous appartient pas de prescrire la voie à suivre : c’est au Gouvernement qu’il revient de définir la stratégie, la Cour se bornant à donner l’alerte sur les risques encourus.

Si l’on veut rétablir l’équilibre des comptes, il faudra d’abord s’attaquer au déficit structurel. Ce défi peut paraître considérable, mais l’effort à réaliser n’est pas sans précédent au sein de l’OCDE. Pour l’essentiel, l’ajustement repose sur une réduction du poids des dépenses dans le PIB afin de tendre vers la moyenne constatée dans les pays comparables. Plusieurs pays ont déjà réalisé un tel effort au cours des dernières années sans remettre en cause leur système de protection sociale. En outre, je rappelle que la France a déjà démontré, au cours de son histoire, qu’elle était capable d’adopter des mesures en vue d’assurer le redressement de son économie.

Pour le moment, la limitation des dépenses prévue par le ministère des finances pour la période 2009-2012 ne représente qu’un point de PIB, soit 20 milliards d’euros. J’observe par ailleurs que les économies envisagées dans le cadre de la RGPP ne sont pas toujours bien documentées et qu’elles ne devraient pas rapporter plus de 6 milliards d’euros. Des efforts beaucoup plus ambitieux seront donc absolument nécessaires. Il faut également être conscient qu’une hausse des prélèvements sera inéluctable si la réduction des dépenses s’avère insuffisante.

La dérive des prestations sociales appelle une poursuite des réformes. La dégradation rapide des comptes de l’assurance vieillesse justifie notamment une nouvelle négociation sur les retraites. Dans le domaine de la santé, il faudra non seulement réviser le cadre des négociations conventionnelles avec les professions de santé, mais aussi engager une réflexion sur certaines prestations et poursuivre la réorganisation du système hospitalier. Ces différents efforts risquant d’être insuffisants, il pourrait également être nécessaire de dégager des financements supplémentaires pour la sécurité sociale.

En ce qui concerne les dépenses de l’État, des économies supplémentaires pourraient être réalisées grâce à une meilleure gestion budgétaire en mode LOLF, autour des principes de mesure des coûts et de performance, mais aussi grâce à une réforme de la gestion des ressources humaines et à une plus grande maîtrise de la masse salariale et du coût des pensions. Il conviendrait également de se pencher sur la question des effectifs et des charges de fonctionnement des opérateurs de l’État, qui sont de plus en plus nombreux.

Il est en outre impératif d’assurer la maîtrise des dépenses locales. Pour cela, encore faudrait-il que l’État ne demande pas aux collectivités territoriales de financer à sa place des politiques qu’il n’aurait plus les moyens de mener lui-même. Une rationalisation de l’intercommunalité s’impose en tout cas, de même qu’une réforme de la fiscalité locale et des concours financiers de l’État.

Il faut également être conscient que l’impact des réformes n’est perceptible qu’à long terme. Il convient donc de ne pas en différer le lancement.

Par ailleurs, l’idée que la France s’en tirerait mieux que ses voisins est un peu trompeuse : notre pays supporte peut-être un peu mieux que d’autres pays la phase actuelle, mais la comparaison pourrait être moins flatteuse lors de la sortie de la crise.

À la fin de l’année 2008, notre déficit public était déjà très supérieur à celui de nos voisins : il s’élevait à 3,4 % du PIB contre 1,5 % dans la zone euro et 2,1 % au sein de l’Union européenne, France non comprise. Notre déficit structurel était également bien plus élevé : il atteignait en effet 3,5 % du PIB, je le répète, contre 1,4 % dans la zone euro et 1 % en Allemagne.

Ajoutons à ce constat que la France est aujourd’hui le quatrième État le plus endetté de la zone euro, après l’Italie, la Grèce et la Belgique, et que son taux de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires compte parmi les plus élevés des pays de l’OCDE. À ce sujet, il ne faut pas oublier que l’écart s’est fortement creusé avec l’Allemagne, où la décrue des dépenses publiques s’est poursuivie en 2008 : elles ont été ramenées à 43,8 points du PIB, ce qui porte à 9 points l’écart avec la France – cet écart n’a jamais été atteint.

Dans ce contexte, il ne saurait y avoir de démarche crédible de rétablissement des comptes sans un effort accru de vérité sur l’état de nos finances. Dans un récent rapport, l’OCDE rappelait notamment que le Canada avait fait le choix, dans les années quatre-vingt-dix, de construire ses budgets selon des prévisions de croissance volontairement pessimistes, afin de garantir que les objectifs seraient atteints, voire dépassés. Selon l’OCDE, cette démarche aurait contribué au succès de l’assainissement des finances publiques réalisé dans ce pays. Force est de constater que nous adoptons trop souvent la démarche inverse en France, ce qui nuit à la crédibilité de nos programmes pluriannuels.

Compte tenu du déficit structurel, il faudrait dégager environ 70 milliards d’euros pour rétablir l’équilibre de nos comptes. Cela nous impose de ne plus nous contenter de réformes ponctuelles, seulement destinées à lutter contre les gaspillages et les dysfonctionnements les plus flagrants : nous ne pourrons plus faire l’économie d’une véritable réflexion sur le rôle de l’État, sur les missions du service public et sur les modalités de leur financement. L’effort devra porter sur l’ensemble des acteurs de la dépense publique, y compris la sécurité sociale et les collectivités territoriales.

Voilà les principales observations que je tenais à vous présenter. Avec mes collègues ici présents, je suis à votre disposition pour répondre aux questions que vous souhaiterez poser.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je fais largement miennes vos analyses, qui sont malheureusement étayées par les chiffres. Mais j’en viens à me demander si la répétition de ces constats, à un rythme de plus en plus rapide, ne devient pas contreproductive : en dépit de la situation que vous avez parfaitement décrite, il ne se passe rien pour le moment, alors qu’on assistait autrefois, dans des circonstances comparables, à des dévaluations et à des hausses brutales des taux d’intérêt. Il fallait alors supplier les emprunteurs, ce qui conférait par la suite un certain poids aux mises en garde que l’on pouvait adresser.

En 2009, nous allons devoir trouver 250 milliards d’euros : 150 milliards pour les déficits et 100 milliards pour le remboursement de capital. Or le monde entier accourt pour nous prêter de l’argent. Près de 70 % de nos besoins de financement sont couverts par des acteurs étrangers, et les OAT que nous émettons connaissent un succès extraordinaire, de même que les BTF, ce qui ne favorise pas une prise de conscience de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Ma première question porte sur la révision de la loi fondamentale qui a été entreprise en Allemagne dans le but de fixer une limite au déficit structurel. Pensez-vous qu’une démarche similaire pourrait être utile dans notre pays, où il a suffi de quelques mois pour que la loi de programmation des finances publiques soit remise en cause ?

On constate aujourd’hui que les collectivités territoriales ont un besoin de financement. Même si l’on peut difficilement parler de déficit, l’amortissement de la dette était couvert par les recettes de fonctionnement, il reste préoccupant que le besoin de financement augmente : celui-ci dépasse désormais 0,3 point de PIB, alors que nous étions en situation d’excédent il y a six ou sept ans. Le rapport de la Cour évoque une stabilisation de la situation en 2009, mais quid de 2010 ?

Vos propos pourraient laissent penser, Monsieur le Premier président, que notre pays finance les baisses d’impôt par le déficit et, partant, par la dette, ce qui me semble quelque peu injuste. C’est peut-être le cas pour la baisse de la TVA sur la restauration, mais pas pour la réforme de la taxe professionnelle, dont le solde – d’environ 8 milliards d’euros – devrait être financé par la taxe carbone. Qu’en pensez-vous ?

Ma dernière question porte sur la proposition de recourir à un grand emprunt national. Ne pensez-vous pas qu’une telle solution pourrait être plus coûteuse pour les finances publiques que des émissions supplémentaires d’obligations ? En outre, cela ne risque-t-il pas de donner l’impression que nous nous inquiétons de nos possibilités de financement ? Les prêteurs étrangers pourraient alors être incités à se poser des questions. Enfin, cela ne risque-t-il pas de faire croire à nos concitoyens que le recours à l’emprunt est un moyen normal et légitime de financer les dépenses?

M. le président Didier Migaud. On pourrait sans doute prolonger cette dernière question : dans quelle catégorie l’idée d’un grand emprunt national doit-elle être classée ? Est-ce une « vraie » ou une « fausse » solution ?

M. Yves Bur. Les comptes sociaux vont mal, et cela de façon structurelle. En 2009, les déficits devraient s’élever à 22 milliards d’euros, FSV compris, avant de se porter à 30 milliards d’euros en 2010. Le rapport indique que les déficits pourraient se maintenir durablement à ce niveau. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ?

Vous indiquez que les réformes de notre système de sécurité sociale, bien qu’elles soient inéluctables, pourraient s’avérer insuffisantes. Je pense notamment à la branche vieillesse, où il est de plus en plus dangereux d’attendre, et à la branche maladie, où nous devons accélérer la maîtrise médicalisée des dépenses, tout en veillant à améliorer la structuration de l’offre hospitalière. Selon vous, il faudrait alors envisager de prélever des recettes supplémentaires, et vous évoquez notamment la piste des « niches » sociales. Or, on peut se demander s’il est réellement opportun de réduire l’attractivité de certaines de ces « niches », ou d’augmenter la pression fiscale par de nouveaux prélèvements. Cela risque en effet de fragiliser encore la croissance.

Par contre, il ne semble pas qu’une hausse limitée de la CRDS, de 0,15 point, comme nous l’avions envisagé en 2004, produirait un tel effet. Qu’en pensez-vous ?

M. le président Pierre Méhaignerie. Je voudrais préciser qu’à la différence des « niches » fiscales, les « niches » sociales ont pour effet d’améliorer la compétitivité des entreprises et de réduire les charges sociales sur les bas salaires et les aides aux personnes, ce qui permet de réduire le coût du travail.

M. Philippe Séguin. Il était prévu d’incorporer dans la loi fondamentale, en Allemagne, une limitation de tout nouveau déficit à 0,5 % du PIB, une fois absorbé le choc de la crise actuelle. Le Bundestag et le Bundesrat ont finalement décidé que le déficit structurel de l’État fédéral ne pourra plus dépasser 0,35 point de PIB à compter de 2016, sauf circonstances exceptionnelles, et que les Länder ne seront plus autorisés à être en déficit à partir de 2020. Le débat a eu lieu dans un relatif consensus, et il s’est essentiellement concentré sur la liste des dérogations. Il faut dire que nos voisins Allemands se préoccupent davantage des déficits pour 2009 et les années suivantes que de l’adoption de règles constitutionnelles.

Ce que je retiens de cette réforme, ce n’est pas tant l’instauration de nouveaux principes de gouvernance que la détermination dont ont fait preuve les partis de gouvernement pour mettre de l’ordre dans les finances publiques. La réunification de l’Allemagne avait quelque peu contribué à affaiblir cette tradition, mais force est de constater qu’elle a repris de la vigueur depuis 2007. Il existe aujourd’hui un profond consensus sur le sujet.

Faut-il s’inspirer de cet exemple en France? On pourrait considérer qu’une obligation similaire existe déjà dans notre droit constitutionnel, puisque la révision de 2008 impose aux lois de programmation des finances publiques un objectif d’équilibre des comptes. Même si l’on peut considérer qu’il s’agit d’un simple objectif de moyen terme, cela implique tout de même que le déficit structurel devrait être nul. Les recommandations de la Cour ont pour but d’aider à atteindre cet objectif.

S’agissant des collectivités territoriales, il existe une différence de 19 milliards d’euros entre les engagements pris par les collectivités signataires de conventions avec l’État portant sur le remboursement anticipé du fonds de compensation de la TVA et les montants investis en 2007. Une partie des investissements ne devant pas être réalisée avant 2010, le besoin de financement des administrations locales devrait être allégé. En revanche, on peut s’attendre à une hausse des dépenses sociales et des dépenses de fonctionnement, qu’il faudra mettre en rapport avec la baisse du produit des droits de mutation. L’augmentation des bases et des taux des impôts directs devrait néanmoins permettre d’éviter une hausse sensible du besoin de financement des collectivités territoriales.

Vous m’avez interrogé sur la réforme de la taxe professionnelle et sur l’instauration d’une taxe carbone. Mais j’ignore dans quelle direction nous nous acheminons : j’ai lu avec beaucoup d’attention les travaux parlementaires réalisés dans ces deux domaines, mais je me suis laissé dire qu’ils n’étaient pas toujours pris en compte dans leur intégralité. La crainte que l’on peut éprouver aujourd’hui est qu’un éventuel manque à gagner ne soit porté à la charge de l’État, au risque d’aggraver encore la situation des finances publiques.

J’ajoute qu’il faudrait en profiter pour réaliser une refonte globale de la fiscalité locale, laquelle est inefficace, illisible et inéquitable – tout le monde s’accorde pour le reconnaître. Nos investigations nous ont ainsi permis de constater qu’il existe d’importantes disparités entre collectivités de même niveau dans le domaine de l’éducation, notamment en ce qui concerne les équipements informatiques, les voyages scolaires, l’offre périscolaire ou encore l’accompagnement des enfants. D’autre part, je rappelle que l’autonomie financière des collectivités territoriales n’est pas équivalente à leur autonomie fiscale.

La Cour ne peut pas se prononcer sur un futur « grand emprunt national », car elle en ignore le montant et la destination. Je voudrais toutefois rappeler que des circonstances exceptionnelles peuvent justifier des mesures exceptionnelles, à condition qu’elles se limitent à la lutte contre la crise, qu’elles présentent un caractère provisoire et que l’on poursuive les efforts par ailleurs entrepris en matière de réduction des dépenses et de sécurisation des recettes. J’ajoute que le recours à l’emprunt ne fait que renforcer la nécessité d’un effort de réduction du déficit structurel.

Je laisserai à M. Babusiaux et à Mme Ruellan le soin de répondre aux questions portant sur le déficit de la sécurité sociale, mais je voudrais évoquer, pour ma part, les « niches » sociales.

J’espère que les progrès à venir en matière d’évaluation nous permettront enfin d’obtenir des éléments de réponses crédibles et scientifiquement fondés sur l’impact réel de certaines dépenses d’intervention, qu’elles soient directes ou qu’elles consistent en des dépenses fiscales. Cela devrait nous permettre de constater – j’en suis convaincu – que l’objet de certaines « niches » n’est pas atteint aujourd’hui, et qu’il ne peut l’être.

En 2007, la Cour a déjà eu l’occasion de chercher à apprécier l’incidence financière de nombreuses exonérations. Elle a ainsi préconisé de revoir les dispositions applicables aux plus-values tirées des stock-options, les déductions forfaitaires spécifiques dont bénéficient certaines professions, de même que les avantages accordés en cas de départ en retraite, dont le coût a été respectivement chiffré à 3 milliards, 800 millions et 4 milliards d’euros.

Nous savons gré à la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de s’être fait l’écho de nos préoccupations en proposant un certain nombre de modifications législatives. La loi de finances pour 2008 a ainsi instauré une cotisation patronale de 10 % et une cotisation salariale de 2,5 % sur les avantages tirés des distributions d’options et d’actions, ainsi qu’une taxation – à hauteur de 50 % – des indemnités des départs en retraite décidés par les employeurs et un « forfait social » de 2 % sur des rémunérations et des gains jusque-là exonérés de cotisations sociales. Beaucoup reste à faire, mais nous avons avancé.

Pour aller plus loin, il faudrait probablement disposer d’évaluations beaucoup plus précises de l’impact des modifications des textes en vigueur. Il reste que l’existence de régimes spécifiques bénéficiant à certaines catégories sociales pose un problème accru dans l’état actuel de nos finances publiques.

M. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes. Les dépenses du régime général augmentent chaque année de 4 à 4,5 % ; les recettes dépendant de la masse salariale, celle-ci doit croître de façon proportionnelle afin que le déficit se stabilise. Pour cela, il est nécessaire que la croissance dépasse 2,25 % du PIB.

La prévision de croissance retenue par le Gouvernement n’est que de 0,5 % en 2010, ce qui signifie que nous serons loin du compte. Compte tenu des taux de croissance potentiels qui nous ont semblé réalistes pour 2011 et 2012, nous considérons que le déficit devrait se maintenir à un niveau élevé par la suite.

Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. Année après année, les rapports de la Cour proposent un certain nombre de réformes concernant les régimes d’assurance maladie et de retraite, mais il faut avoir conscience que ces mesures ne peuvent pas produire immédiatement leurs effets. C’est d’ailleurs pour cette raison que les réformes doivent être adoptées aussi rapidement que possible.

En matière de retraites, il n’existe pas de solution miracle. Un coup de frein a certes été donné à la multiplication des départs anticipés en retraite, dont l’ampleur ne correspondait sans doute pas à l’intention initiale du législateur, mais les mesures d’effet immédiat ne sont pas nombreuses.

Le même constat vaut en matière d’assurance maladie : à moins d’accepter une réduction des taux de remboursement, il faudra adopter durablement des mesures volontaristes, à mille lieux de toute politique de stop and go. La restructuration hospitalière, l’amélioration de la gouvernance ou encore la réforme de la médecine de ville mettront du temps à produire des résultats. Dans ces conditions, il faudra sans doute augmenter les recettes, mais cela ne doit pas conduire, pour autant, à ne pas adopter aussi vite que possible des réformes – bien au contraire.

M. Michel Bouvard. Il faut remercier la Cour pour l’éclairage qu’elle nous apporte – même s’il est parfois douloureux –, ainsi que pour les pistes qu’elle nous propose. J’observe que celles-ci ne sont pas nécessairement contradictoires avec ce que nous avons pu entendre hier, notamment en ce qui concerne la « mauvaise dépense ». Cela étant, nous avons bien compris que nous ne pourrons pas nous contenter, compte tenu de la situation actuelle, de remettre en cause les seules dépenses dont la performance ne semblerait pas suffisante.

Eric Woerth avait évoqué l’an dernier une mise sous plafond des dépenses fiscales, qui ne serait en réalité applicable qu’à l’année n+1, car nous sommes dans une logique de « guichet ». De ce fait, nous nous heurtons à deux impératifs : la nécessité d’assurer une certaine stabilité des dispositifs dans la durée pour qu’ils produisent des effets réels, et celle de nous appuyer sur des évaluations fiables. Or les derniers rapports annuels de performance, les RAP, montrent que les estimations initiales doivent fréquemment être actualisées en cours d’année. C’est par exemple le cas des crédits d’impôt applicables à l’emploi des salariés à domicile et des mesures relatives à l’apprentissage. On constate en outre que de nombreuses pages des RAP ne sont pas renseignées. Je m’étonne également de lire qu’en raison d’une modification de la définition même des dépenses fiscales, leur estimation passe subitement de 79 milliards à 69 milliards d’euros.

J’aimerais savoir, monsieur le Premier président, comment nous pourrons procéder à un plafonnement réel des dépenses fiscales dans ces conditions. Cela me semble pourtant une nécessité si nous voulons mettre un frein à l’augmentation des déficits et de la dette publique. De quelle façon la Cour pourrait-elle nous accompagner dans notre travail d’évaluation ?

M. Denis Jacquat. En tant que rapporteur pour l’assurance vieillesse, je ne peux qu’approuver l’idée qu’une action résolument volontariste est nécessaire dans la durée.

Le rapport de la Cour appelle à une vigilance accrue sur le taux de revalorisation des retraites. Sachant que nous sommes déjà passés de la prise en compte des salaires à celle des prix, j’aimerais savoir ce qui nous est suggéré pour l’avenir.

S’agissant des avantages familiaux de retraite, la Commission avait indiqué, l’an dernier, son souhait d’attendre le rapport du Conseil d’orientation des retraites. Celui-ci nous a été remis en décembre dernier, et nous avons pu constater au cours de nos auditions que certains de nos interlocuteurs ne voyaient pas d’un mauvais œil une éventuelle forfaitisation des avantages familiaux et conjugaux, ainsi que leur imposition fiscale. Pouvez-vous nous dire quel est l’avis de la Cour à ce sujet ?

S’agissant de l’AVPF, l’assurance vieillesse des parents au foyer, la Cour nous renvoie à un prochain rapport. Or nous avons constaté qu’un certain nombre de nos interlocuteurs ne verraient pas d’inconvénient à une réforme plus rapide, certains avantages accordés étant parfois très éloignés de l’esprit de compensation qui avait présidé à leur instauration. Pourrions-nous avoir un aperçu des préconisations que la Cour pourrait formuler ?

M. Jérôme Cahuzac. Il me semble qu’il existe aujourd’hui un consensus sur deux points : le premier porte, du moins au sein de la Commission des finances, sur la nécessité de mettre sous plafond les dépenses fiscales ; le second est relatif à la nécessité de limiter le déficit de fonctionnement de l’État, limitation aujourd’hui devenue un principe constitutionnel en Allemagne.

En dépit de la réforme des régimes spéciaux de retraite adoptée en 2007, un récent rapport de nos collègues Patrick Lemasle et Michel Vergnier a fait apparaître que des subventions d’équilibre, majorées de 300 millions d’euros cette année, sont versées à la SNCF et la RATP, pourtant censées être alignées sur le droit commun. Comment expliquer cette situation ? Où sont les économies prévues en 2007 pour justifier cette réforme, mis à part les raisons éthiques ? Pour le moment, nous constatons une dépense supplémentaire.

Nous avons appris hier que toute personne faisant l’objet d’un licenciement bénéficierait d’un contrat de transition professionnelle. À combien la Cour estime-t-elle le coût de cette mesure, dont le président de l’UNEDIC a indiqué qu’elle lui paraissait très chère et très difficile à appliquer ?

La réduction du taux de TVA sur la restauration a été justifiée au nom de la nécessité de tenir les promesses souscrites, ce qui est sans doute une bonne chose. Mais quid de la promesse d’augmenter la consultation des généralistes de 1 euro ? Combien cela coûterait-il au régime général ?

Nous avons également appris hier que chaque euro de recettes produit par le retour de la croissance servirait intégralement à rembourser la dette. J’aimerais savoir ce que cela représente comme effort en matière de dépenses de fonctionnement.

M. Charles de Courson. Le rapport de la Cour a pour mérite d’établir que la dépense de l’État n’est pas gérée avec une grande rigueur, contrairement à ce que l’on entend souvent dire. En effet, si le taux d’augmentation des « dépenses nettes » se limite effectivement à 2,8 %, il s’élève à 3,6 % si l’on y ajoute les prélèvements sur recettes en faveur des collectivités locales, et à 3,7 % si l’on intègre les sommes transitant par un certain nombre de comptes, notamment les comptes spéciaux. D’autre part, l’argument avancé par la Cour à l’encontre de l’inclusion du prélèvement sur recettes en faveur de l’Union européenne me semble bien spécieux : il s’agit d’un accord négocié par la France, et non de la simple application d’un accord international. Quant à la prise en compte des taxes à périmètre constant, elle nous permet d’avoir un aperçu des opérateurs, mais il manque tout de même les dépenses fiscales, lesquelles ont augmenté de 7,1 % en 2008, ce qui représente 5 milliards d’euros. Au total, l’augmentation des dépenses s’élève en réalité à 5,6 %, alors qu’elle devait se limiter à la hausse des prix amputée de 1 %, soit 1,8 %. Le résultat est donc trois fois plus élevé que prévu. Dans ces conditions, ne pensez-vous pas qu’il soit nécessaire de réviser la norme de dépense figurant en loi de finances initiale ?

« Quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limite », si l’on en croit un célèbre humoriste. Or l’analyse de la Cour tend à démontrer le contraire. Vous avez notamment rappelé les dispositions constitutionnelles adoptées par nos voisins Allemands. Quelle est la seule sanction possible du pouvoir politique en matière budgétaire ? Que le Conseil constitutionnel censure la loi de finances ou la loi de financement de la sécurité sociale. Pour ma part, je fais partie de ceux qui ont défendu, avec un succès partiel, l’inscription de la « règle d’or » dans notre Constitution.

Ceux qui ont combattu notre proposition ne souhaitaient pas tirer les conséquences d’une gestion sérieuse des finances publiques. Ils voudraient maintenant nous faire croire que l’on pourrait spontanément revenir à l’équilibre, idée que le rapport de la Cour met en pièces. Afin d’éclairer davantage le Parlement, la Cour ne pourrait-elle pas nous livrer, dans son rapport, davantage d’éléments de comparaison sur la manière dont d’autres pays ont su limiter, voire contrer, la dégradation de leurs finances publiques ?

J’ai été surpris du traitement réservé, cette année, par la Cour à la question de la dette sociale. Il y a un débat à ce sujet, certains avançant l’idée qu’il faudrait reprendre cette dette, car elle fait partie de l’endettement public, l’État garantissant le paiement des prestations. La Cour avait précédemment indiqué que les recettes courantes risquaient de ne plus permettre de couvrir les intérêts à partir de 2010 ou de 2011. Nous y sommes presque. Qu’en est-il exactement ?

J’aimerais enfin savoir si la Cour serait prête à nous proposer 70 milliards d’euros d’économies, sans trancher sur leur opportunité, en nous présentant seulement les avantages et les inconvénients qui pourraient en résulter. Chacun sait, en effet, que ce n’est pas en continuant à faire du bricolage que l’on parviendra à réduire notre déficit structurel, qui représente 3,5 % du PIB, soit les 70 milliards d’euros que j’ai mentionnés. La RGPP ne devrait rapporter que 7 milliards d’euros en cinq ans. Si nous ne changeons rien, plus aucun gouvernement ne sera en mesure de gouverner et ce n’est pas un retour de l’inflation ou de la croissance qui nous sauvera !

M. Jean-Pierre Brard. Notre collègue Michel Bouvard évoquait tout à l’heure l’éclairage « douloureux » que nous apporte la Cour, mais c’est plutôt la situation qui me paraît douloureuse en elle-même.

En vous écoutant, monsieur le Premier président, j’ai eu l’impression que vous étiez au Gouvernement ce que le médecin clinicien est au rebouteux : comme lui, vous regardez la situation avec objectivité en essayant d’établir un diagnostic et un pronostic. J’ai également été heureux que Mme Ruellan évoque sans détour l’hypothèse d’une augmentation des recettes, et j’ai observé avec plaisir que la Cour faisait preuve d’une grande constance au sujet des exonérations fiscales et sociales.

Sans vous demander de formuler une opinion personnelle, Monsieur le Premier président, j’aimerais savoir ce que vous pensez de la pertinence du « bouclier fiscal ».

Le Président de la République a évoqué hier le recours à un « grand emprunt » dont nous ignorons pour le moment les contours et l’objet. Au cours de notre histoire, nous avons démontré que nous étions capables d’adopter des remèdes de cheval en cas de circonstances exceptionnelles. L’argent étant le nerf de la guerre, des efforts financiers sont bien sûr nécessaires. Or ceux qui sont les plus susceptibles de réaliser ces efforts ne sont pas toujours disposés à les réaliser de manière spontanée. Pour remédier à ce problème, ne pensez-vous pas qu’il serait bon de recourir à un emprunt obligatoire, qui pourrait être rémunéré à un taux de 0 % sur dix ans et assis sur les plus riches ?

Mme Marie-Françoise Clergeau. En 2008, la Cour a conclu à l’impossibilité de certifier les comptes de la branche famille de la sécurité sociale. Estimez-vous que les efforts accomplis par la CNAF permettront une certification cette année ?

Ma deuxième question concerne les contrats d’objectifs et de gestion signés par l’État et par la CNAF pour la période 2009-2012. Dans le contexte actuel de difficultés économiques et sociales, mais aussi d’extension des missions des caisses d’allocation familiales, pensez-vous que les moyens alloués permettront d’assurer un service de qualité et de répondre aux besoins de nos concitoyens ?

Au risque d’anticiper sur le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, que pensez-vous de l’idée d’allonger la durée d’assurance exigée des femmes ayant élevé au moins un enfant ? Sachant que les inégalités entre les hommes et les femmes en matière de retraite sont le reflet des inégalités observées dans le déroulement des carrières professionnelles, quelles évolutions la Cour recommanderait-elle d’adopter ?

M. Nicolas Perruchot. Le présent rapport précise que les charges d’intérêt de la dette ont crû de 7,3 %. Elles atteignent aujourd’hui un total 54,6 milliards d’euros, ce qui représente davantage que l’impôt sur le revenu et près de 2 000 euros par actif. Ce poste budgétaire constitue aujourd’hui le troisième budget de l’État, après l’effort financier à destination des collectivités territoriales et les dépenses consacrées à l’éducation nationale. À quelle date pensez-vous qu’il représentera le premier poste de dépenses ?

Le rapport indique qu’une dette supérieure à 80 % pourrait conduire les agences à s’interroger sur le maintien de la notation « AAA », mais que cette évolution n’a rien d’automatique. On perçoit tout de même que l’on aborde une « zone dangereuse » pour reprendre une expression figurant dans le rapport. À partir de quel seuil pensez-vous que nous risquions de « passer dans le rouge » ?

M. Pascal Terrasse. Vous avez fait référence à une distinction très pertinente entre l’autonomie fiscale et l’autonomie financière, qui est le principe retenu par la plupart des grands pays qui nous entourent. J’aimerais savoir quelle est la position de la Cour à propos d’une éventuelle réforme de la fiscalité locale, laquelle mêle indissolublement les questions de maîtrise des dépenses et de gouvernance, c’est-à-dire de compétences des collectivités.

M. Yves Censi. Vous avez distingué le déficit « conjoncturel » du déficit « structurel ». Mais ne serait-il pas également utile de mettre en rapport l’actif et le passif de l’État, à l’image de ce qui se pratique dans le monde de l’entreprise ? Comment nous situons-nous de ce point de vue par rapport à l’Allemagne, pays qui a été évoqué tout à l’heure ?

Puisqu’il est question d’un « emprunt national », je m’interroge également sur la part de la dette actuellement détenue par les résidents français.

M. Philippe Séguin. Des progrès ont été réalisés en 2008 et en 2009 en matière de dépenses fiscales grâce à l’obligation de gager toute création ou modification de ce type de dispositifs, mais aussi grâce au plafonnement de certaines mesures, notamment en matière d’accès au logement, grâce à l’amélioration de l’information budgétaire disponible et, surtout, grâce à l’objectif annuel prévu par la loi de programmation des finances publiques. Toutefois, il manque encore un dispositif d’évaluation et de suivi des dispositions existantes – aujourd’hui au nombre de 486. Inutile de préciser, dans ces conditions, que les responsables de programmes n’ont pas d’idée précise de l’évolution ni de la pertinence de ces dépenses fiscales.

Cela étant, je ne crois pas excessif d’affirmer que certaines d’entre elles ont probablement pour effet, et peut-être même, dans certains cas, pour principal objet de limiter les dépenses en s’exonérant du respect de la norme de dépense. Il faudrait sans doute être plus sélectif afin de réserver ce mécanisme aux seules interventions ne pouvant pas entrer dans le droit commun, à savoir l’ouverture de crédits budgétaires.

D’autre part, je crois qu’il faudra mener une expertise sérieuse sur la modification de la définition des dépenses fiscales qui a conduit à une réduction de 10 milliards d’euros du montant estimé de ces mesures.

J’ajoute que la Cour est prête à se prononcer sur les principales dépenses fiscales dans le cadre d’une demande formulée au titre du 2° de l’article 58 de la LOLF.

M. le président Didier Migaud. Une partie du travail a d’ailleurs été réalisée, mais il ne serait sans doute pas inutile que vous synthétisiez et que vous actualisiez les propositions qui nous ont déjà été présentées.

M. Philippe Séguin. M. Cahuzac a évoqué à juste titre l’absence d’un véritable consensus sur le plafonnement des dépenses fiscales. Je n’y reviendrai pas.

Quant à l’effort qui pourrait être consacré à la réduction de la dette grâce aux fruits de la croissance, je n’ai pas de réponse à vous apporter : je peux seulement rappeler que l’objectif de maintenir les dépenses de fonctionnement des administrations dans des limites strictes me semble bienvenu, et qu’il ne faudrait pas attendre la sortie de la crise pour s’atteler à la tâche.

M. de Courson nous demande de proposer au Parlement 70 milliards d’euros d’économies sans nous prononcer sur leur opportunité. Il reste que chacun saurait très bien qui est à l’origine de ces mesures. D’autre part, il me faudrait au moins 1 milliard d’euros supplémentaire pour réaliser des évaluations sérieuses. Si nous nous sommes interrogés sur certaines dépenses, c’est précisément parce qu’il n’existait pas d’évaluation de leurs effets. Il faut en outre être conscient que leur suppression pure et simple pourrait avoir des conséquences négatives. C’est d’ailleurs pour cela que des évaluations sont nécessaires.

J’ajoute que cela prendra du temps – sans doute plus, d’ailleurs, que celui requis pour réaliser les travaux qui nous sont demandés au titre du 2° de l’article 58. Il faut savoir se donner du temps pour réaliser un travail pluridisciplinaire incontestable. Nous devons en effet nous méfier d’une rapidité excessive et faire preuve d’une grande prudence : même si l’on pressent que certaines mesures adoptées en direction des entreprises ne servent à rien, leur suppression reviendrait en réalité, pour elles, à une augmentation de la fiscalité à due concurrence.

J’en viens à la norme de dépense, qui n’est pas encore satisfaisante à ce jour – il faut le reconnaître. Elle pèche par excès, car elle intègre des « loyers budgétaires » qui ne correspondent à aucun décaissement, étant simplement voués à retracer ce que la location des locaux coûterait aux administrations si elles n’étaient pas des administrations, ainsi que des prélèvements au profit de l’Union européenne qui sont très variables dans le temps, ce qui perturbe inutilement l’interprétation des dépenses. La norme de dépense pèche également par défaut, car elle fait l’impasse sur un certain nombre de financements qui ne se distinguent des dépenses budgétaires ni par leur nature ni par leur destination, et ont parfois pour effet de se substituer à une inscription de crédits en loi de finances. Je pense, par exemple, à certaines charges payées par l’État sans qu’elles soient retracées en tant que dépenses, aux remboursements et aux dégrèvements, à certaines dépenses fiscales, ou encore à certaines affectations de recettes qui s’apparentent surtout à une débudgétisation.

M. Brard m’a demandé ce que je pensais du « bouclier fiscal », tout en indiquant d’emblée qu’il ne s’attendait pas à ce que je lui réponde. Sur ce sujet, je peux seulement le renvoyer au rapport du Conseil des impôts sur la fiscalité du patrimoine, qui préconise de ne pas exonérer les bénéficiaires du « bouclier fiscal » des mesures nouvelles qui pourraient être rendues nécessaires.

De la même façon, un éventuel recours à un emprunt obligatoire constitue une décision de nature politique que mon devoir m’interdit de commenter.

À la question de Mme Clergeau sur la certification des comptes de la sécurité sociale, je dois répondre qu’il faudra encore attendre une semaine pour en savoir plus. En effet, notre rapport n’a pas encore été examiné par la Chambre du Conseil.

Il me semble que M. Terrasse a eu tout à fait raison d’établir un lien entre les ressources et les compétences des collectivités territoriales. À titre personnel, je ne pense pas qu’il soit possible de remettre entièrement en cause la compétence générale de certains niveaux de collectivités. En effet, il est difficile de se dire incompétent sur un quelconque sujet quand on est élu au suffrage universel. D’autre part, il ne faudrait pas remettre en cause l’effort de péréquation déjà réalisé entre communes au plan départemental et parfois régional, même s’il est encore insuffisant. Que deviendraient, par exemple, certains petits clubs sportifs si les départements et les régions devaient cesser de leur apporter un concours financier ? Je ne pense pas que l’on puisse compter, pour le moment, sur le budget du secrétariat d’État chargé des sports pour compenser le manque à gagner, surtout tant que la coûteuse question des droits d’image n’aura pas été réglée.

Je précise, à l’intention de M. Censi, qu’il existe déjà une mise en perspective des actifs et du passif de l’État. Celui-ci a aujourd’hui 1 200 milliards d’euros de dettes pour 550 milliards d’actifs. L’État n’est certes pas une entreprise, et certains éléments de son patrimoine sont inestimables, leur vente étant très aléatoire, mais il faut admettre qu’on est encore loin du compte.

Je laisse à M. Babusiaux et à Mme Ruellan le soin de compléter ces réponses.

M. Christian Babusiaux. Au rythme actuel, la dette pourrait devenir le premier budget de l’État vers 2012.

Existe-t-il un seuil limite ? Tout dépend du niveau de la dette et de sa structure. À partir de 80 % du PIB, seuil que nous avons déjà atteint si l’on tient compte des engagements de la SFEF, les marchés commencent à être plus regardants. La prime de risque exigée d’un certain nombre d’États en atteste. Nous pouvons donc atteindre assez rapidement une « zone dangereuse ».

On constate également que la part de la dette à court terme, laquelle est plus fragile que la dette à long terme, s’est fortement accrue depuis 2008. L’État a en effet profité de la faiblesse des taux d’intérêt à court terme pour limiter sa charge financière. Il reste que cette politique de placement peut avoir pour conséquence de fragiliser la dette si la demande des marchés se réduit. La place accrue des bons du Trésor à court terme s’explique également par les difficultés que l’État commençait à éprouver pour placer ses émissions obligataires. Pour toutes ces raisons, nous nous approchons probablement d’une zone sensible.

Je précise que 40 % des OAT sont aujourd’hui détenues par des personnes résidant en France ; 3 % de ces 40 % sont des ménages, qui détiennent des OAT de façon directe. D’autres composantes de la dette publique sont plus massivement détenues par des non-résidents, notamment les emprunts de la SFEF et ceux de la CADES, l’État ayant conseillé aux autres émetteurs publics de se porter sur d’autres devises que l’euro et de faire largement appel aux marchés internationaux. Ce n’est bien sûr pas neutre, car la dette française est devenue plus sensible aux évolutions des marchés internationaux.

M. Philippe Séguin. Pour compléter ma réponse à M. Cahuzac, je précise que l’État n’a pas encore eu le temps d’évaluer le coût de la généralisation du contrat de transition professionnelle.

Mme Rolande Ruellan. En ce qui concerne les avantages familiaux de retraite, je ne peux pas vous indiquer dès aujourd’hui le contenu du rapport que nous publierons au mois de septembre prochain. Toutefois, je rappelle que la Cour a déjà proposé de fiscaliser, pour des raisons d’équité, les majorations de pension versées à partir de trois enfants : ces majorations étant proportionnelles, elles sont d’autant plus élevées que les pensions sont importantes.

D’autre part, nous n’avons pas encore eu l’occasion d’examiner la convention signée avec la CNAF pour la période 2009-2012. Nous savons que les caisses rencontrent des difficultés, mais nous n’avons pas encore mené d’expertise à ce sujet. Parmi les causes qui nous ont été rapportées, je peux tout de même citer la création d’un répertoire national d’indentification des bénéficiaires, demandée dans le cadre de la certification des comptes afin de lutter contre les fraudes, ou encore l’instauration de relations directes avec la direction générale des finances publiques, destinée à permettre un accès direct aux données fiscales des allocataires. On peut également penser que le RSA ne facilitera pas la tâche dévolue aux caisses.

En l’absence de toute évaluation, je ne porterai pas non plus d’appréciation sur la réforme des régimes spéciaux. Mais ce n’est pas parce que la durée d’assurance a été allongée que les régimes concernés vont miraculeusement se trouver en équilibre et qu’ils pourront se dispenser de faire appel au budget général de l’État. Nous avons notamment cru comprendre que les autres données demeuraient inchangées : les avantages particuliers n’ont pas été modifiés, et j’observe que nous n’entendons plus parler d’un adossement au régime général et aux régimes complémentaires. Pour l’instant, nous en restons donc à une subvention versée par le budget de l’État, qui est effectivement majorée d’année en année.

Je ne pourrai pas non plus vous apporter de réponse concernant une éventuelle majoration des consultations des généralistes. C’est une question qui relève de la négociation entre les partenaires sociaux. De façon plus générale, la rémunération des médecins est un sujet fort complexe compte tenu de la multiplication des forfaits s’ajoutant au paiement à l’acte. Sur le fond, la Cour a déjà fait part de ses inquiétudes concernant les pressions en faveur de la revalorisation des rémunérations des médecins.

M. le président Didier Migaud. Monsieur le Premier président, Madame, Monsieur, nous vous remercions.

Je tiens à saluer le travail réalisé en coopération par la Cour et par le Parlement. Vos rapports contribuent en effet à éclairer utilement la représentation nationale en lui apportant des éléments d’information fort intéressants pour mieux appréhender la situation des comptes publics.