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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jeudi 2 juillet 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 107

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Examen d’un rapport d’information sur l’application de la loi fiscale (M. Gilles Carrez, rapporteur général) 2

La Commission procède, en application de l’article 145 du Règlement, à l’examen du rapport d’information sur l’application de la loi fiscale, présenté par M. Gilles Carrez, rapporteur général.

M. le président Didier Migaud. Le rapport que va nous présenter notre Rapporteur général est destiné à suivre au plus près l’application des mesures fiscales adoptées en loi de finances et dans la loi TEPA. Nous devons nous assurer que les mesures que nous votons entrent en vigueur, que les décrets d’application paraissent, mais aussi évaluer l’effet de ces mesures. Cette année, Gilles Carrez a porté son attention sur trois dispositions: premièrement, le renforcement du bouclier fiscal par la loi TEPA ; deuxièmement, la réforme du crédit d’impôt recherche, rendu plus attractif par la loi de finances pour 2008 ; enfin, la participation des collectivités territoriales au plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée qui, ajoutée à la suppression de la taxe professionnelle sur les investissements nouveaux, leur a coûté environ 2,9 milliards d’euros pour l’année 2008.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. S’agissant des conditions juridiques d’exécution des lois comportant des incidences fiscales, je me bornerai à quelques chiffres. Nous avons examiné une douzaine de lois promulguées entre 2003 et début 2009, comportant 241 articles fiscaux. Sur ce total 90 articles, soit un tiers environ, sont encore en attente de textes d’application ; mais 6 d’entre eux seulement ont été votés depuis plus de deux ans et demi. Sur les 74 dispositions fiscales de la loi de finances initiale pour 2009, 39 étaient pleinement en application au 1er juin 2009. C’est le cas de 63 % des mesures fiscales contenues dans la loi de finances rectificative pour 2008. Globalement, le niveau d’application des lois à incidence fiscale est donc correct.

Incidemment, j’ai participé à un petit groupe de travail piloté par la directrice de la législation fiscale, Mme Lepetit, sur les instructions fiscales. Même si les dispositions fiscales ne nécessitent pas toujours de décret d’application, les contribuables attendent des instructions, pour être tout à fait sûrs de l’interprétation des textes législatifs. Participaient également à ce groupe des entreprises et des représentants des contribuables. Ce groupe de travail va faire des propositions dans un rapport, afin de sécuriser le contribuable le mieux possible, dans le droit fil du rapport de la commission présidée par M. Fouquet et sorti il y a un an et demi.

Depuis deux ans, je profite du présent rapport pour donner un coup de projecteur sur des mesures importantes. Cette année, ce seront la nouvelle version du bouclier fiscal, le crédit d’impôt recherche – je sais qu’il est un peu tôt, mais il représente une dépense fiscale qui se chiffre en milliards d’euros –, et, dans la perspective de la réforme de la taxe professionnelle, le fonctionnement du « ticket modérateur » qui a tant ému les collectivités locales.

En ce qui concerne le bouclier fiscal, nous avons désormais le recul de deux campagnes d’application.

En 2007, ce sont près de 250 millions d’euros qui ont été restitués aux contribuables au titre des impôts acquittés en 2006 en fonction des revenus de 2005. Le seuil de déclenchement du bouclier était de 60 % et le numérateur n’incorporait pas les prélèvements sociaux. Figuraient au numérateur l’impôt sur le revenu payé en 2006 sur les revenus de 2005, l’ISF acquitté en 2006, la taxe d’habitation et la taxe sur le foncier bâti attachées à la résidence principale payées en 2006. Les contribuables disposaient de toute l’année 2007 pour vérifier qu’ils bénéficiaient du bouclier et réclamer leur dû. Les derniers dossiers ayant été traités par l’administration début 2008, nous avons une vision exhaustive des restitutions.

Pour 2008, les dernières demandes sont en cours d’examen. Les restitutions concernent les impôts réglés au titre des revenus de 2006. Entrent désormais dans le calcul du numérateur les prélèvements sociaux, ce qui complique un peu les choses dans la mesure où ils sont payés sur deux exercices. Le seuil a été abaissé à 50 %. Au final, ce seront un peu moins de 600 millions d’euros qui seront restitués : on est en deçà des 810 millions de dépense fiscale prévus lors de la loi TEPA.

L’examen de l’évolution des restitutions – détaillée dans le rapport – révèle une très forte corrélation, et qui s’accentue fortement la deuxième année, entre le déclenchement du bouclier et l’assujettissement à l’ISF. Néanmoins, les gros bataillons des bénéficiaires sont des contribuables disposant de revenus modestes ou moyens et qui ne sont pas éligibles à l’ISF. Les revenus des deux tiers des bénéficiaires se situent dans les quatre premiers déciles de revenu. Parmi les propriétaires d’un patrimoine de plus de 15 581 000 euros, vingt ont un revenu fiscal de référence de moins de 3 263 euros. Je demanderai des informations complémentaires sur leurs types de revenus, leurs éventuelles défiscalisations, etc. Il s’agit vraisemblablement, d’après les informations qui m’ont été transmises sur un échantillon de 209 bénéficiaires, de détenteurs d’un patrimoine ne produisant aucun revenu ou des contribuables qui ont dégagé pour l’année considérée des déficits professionnels très importants.

On pouvait craindre que le bouclier donne lieu à des stratégies fiscales consistant à minorer artificiellement ses revenus, pour bénéficier de la restitution maximale. L’étude à laquelle j’ai procédé est tout à fait rassurante à cet égard. Le bouclier fiscal n’a pas servi à une stratégie de défiscalisation généralisée. Pour l’avenir, nous avons transformé les niches fiscales d’assiette en réductions d’impôt, si bien que le revenu ne pourra plus être minoré de ces dépenses.

Mme Arlette Grosskost. Sauf dans le cas de BNC par exemple.

M. le rapporteur général. J’y reviendrai en abordant les questions techniques. Du fait de la corrélation avec l’ISF, les restitutions augmentent, dans toutes les catégories mais avec une forte concentration. Les plus gros bénéficiaires des restitutions sont essentiellement les contribuables qui se situent dans les tranches supérieures de l’ISF. Cela étant, en l’absence de bouclier, le taux de fiscalisation aurait atteint 115 % pour les 10 plus gros bénéficiaires, 130 % pour les 100 plus gros et 103 % pour les 1 000 plus gros. Compte tenu du poids très lourd de l’ISF, on a clairement besoin d’un système de protection.

Un mécanisme de plafonnement de l’ISF a d’ailleurs été imaginé dès 1988, sous une autre majorité, et il existe toujours. À l’origine, le numérateur, rapporté aux revenus, ne recensait que l’ISF, l’impôt sur le revenu et la CSG, et le plafonnement s’établissait à 70 % en 1989 puis à 85 %. En 1995 a été introduit le dispositif Juppé -Séguin de « plafonnement du plafonnement », qui a provoqué une hémorragie de départs à l’étranger, plus que ne l’avait fait l’instauration de l’ISF.

Naturellement, les extrêmes attirent l’œil, notamment la situation de ceux qui ont un gros patrimoine et des revenus faibles, ou celles des bénéficiaires des restitutions les plus élevées. Pourtant, il n’y a rien d’aberrant dans ces résultats.

Cela étant, le bouclier comporte des défauts de fabrication. Le principal, qui tenait aux facultés offertes de minorer artificiellement son revenu, a été corrigé, mais il demeure des imperfections. Ainsi, les revenus sont retenus au dénominateur nets de CSG déduite, alors que toute la CSG figure au numérateur. Est-ce logique ? Je ne le pense pas.

Ensuite, le traitement des dividendes diffère selon que le contribuable a opté pour le prélèvement libératoire ou pour le barème. Dans ce dernier cas, les dividendes bénéficient d’un abattement de 40 %, si bien qu’ils n’entrent au dénominateur qu’à hauteur de 60 % de ce qu’ils sont réellement. Une telle distorsion ne se justifie pas et devrait être rectifiée dès l’automne. Se pose également un problème d’arbitrage entre les salaires et les dividendes pour les contribuables éligibles au bouclier.

La suppression de l’abattement de 20 % sur les salaires, en contrepartie d’un allégement des taux d’imposition sur le revenu, a pour conséquence que, pour un revenu identique, le dénominateur est désormais plus élevé : les revenus salariaux y figurent non plus pour 80 % mais en totalité. Les salaires y perdent l’équivalent de ce que leur fait simultanément gagner le passage du seuil de déclenchement du bouclier de 60 % à 50 %. Tel n’est pas le cas pour les autres revenus.

L’assurance-vie pose de son côté un problème redoutable car elle est l’outil le plus efficace d’optimisation fiscale du patrimoine. Il faut distinguer les contrats en unités de compte, pour lesquels les revenus sont réputés réalisés quand ils sont définitivement acquis, c'est-à-dire au dénouement, et les contrats libellés en euros, dont les revenus sont acquis dès leur inscription en compte et font l’objet de prélèvements sociaux payables chaque année. Mais si vous arrivez à qualifier vos contrats en unités de compte, alors qu’ils sont en réalité en euros, ils bénéficient indûment d’un traitement plus avantageux. Le problème ayant été identifié, une instruction fiscale a été publiée en vertu de laquelle, si un contrat multisupports est investi pendant plus de six mois et à plus de 80 % en euros, il ne peut être considéré comme un contrat en unités de compte. Mais un recours a été introduit qui a une bonne chance d’aboutir… Ce traitement fiscal est en outre incohérent avec les modalités de prise en compte des prélèvements sociaux au numérateur.

En ce qui concerne les plus-values, il va falloir bouger dès l’automne. Une réforme des plus-values immobilières a eu lieu il y a plusieurs années, supprimant les plus-values réalisées sur les cessions d’immeubles détenus depuis plus de quinze ans, sachant que, traditionnellement, la résidence principale est exonérée. J’avais attiré l’attention sur le traitement social de ces revenus. La fiscalité sociale a en effet disparu également, au motif que les plus-values n’étant plus imposées, elles ne seraient plus connues. Mais il n’est pas acceptable d’exonérer toutes les plus-values de prélèvements sociaux. De même, les plus-values mobilières bénéficient d’une exonération totale, à la fois fiscale et sociale, tant que les transactions restent inférieures à un montant de 25 000 euros par an. Il faut là aussi réintroduire une fiscalité sociale. Du coup, dans le cadre du bouclier, les plus-values échappent à toute prise en compte, alors que les autres revenus fiscalement exonérés figurent au dénominateur. Cette distorsion n’est pas justifiée.

Il faut travailler, comme le préconise le Conseil des prélèvements obligatoires, à instaurer, dans un souci d’équité et d’efficacité économique, une fiscalité équilibrée entre les différentes sources de revenu : travail, patrimoine et revenus du patrimoine. Ces derniers ne doivent pas être totalement exonérés. Nous avons introduit une exonération de plus-values mobilières au-delà de 8 ans. Les détenteurs d’un très gros patrimoine, qui peuvent attendre, risquent d’être tentés de différer et de fractionner leurs cessions, de façon à ne plus payer d’impôt du tout. On le voit : le bouclier fiscal met en lumière tous les problèmes que soulève notre fiscalité. Il joue comme un révélateur.

Par ailleurs, l’examen de l’ISF au travers du prisme du bouclier fiscal fait ressortir une tendance à la « fonciarisation » de cet impôt, laquelle ne permet pas aux assujettis les plus nombreux de bénéficier de la correction apportée par le bouclier. Par exemple, un couple de retraités paiera l’ISF en raison de sa résidence principale mais ses revenus seront trop importants pour qu’il soit protégé par le bouclier. Ce sera aussi le cas d’un ménage d’actifs d’âge moyen avec enfants : bénéficiant du quotient familial, il paiera trop peu d’impôt sur le revenu, cependant que son patrimoine, encore en formation, n’est pas susceptible de lui faire atteindre par le biais de l’ISF le seuil de déclenchement du bouclier. On aperçoit les limites d’un ISF qui reposera de plus en plus sur la résidence principale des classes moyennes supérieures, et d’un bouclier qui ne profitera qu’aux deux extrêmes, c'est-à-dire aux contribuables à très faibles revenus non assujettis à l’ISF et aux très gros patrimoines.

Je rappelle enfin le problème majeur soulevé par Didier Migaud il y a un an : la faculté offerte à un contribuable de minorer le dénominateur en imputant des déficits sur son revenu. Nous avons bloqué cette possibilité en transformant toutes les réductions d’assiette en réductions d’impôt. Sur les revenus de 2006 (impôts de 2007 et restitutions de 2008), rien d’anormal n’a été observé. Cela devrait être aussi le cas pour les revenus 2007, année électorale qui ne facilitait pas la mise en place d’une stratégie fiscale postulant la permanence du bouclier. Il reste les revenus 2008. Ensuite, notre réforme entre en vigueur. Pour l’automne, il faudra réfléchir aux moyens de supprimer la possibilité de prendre en compte les déficits en report, afin d’écluser le passé et de donner satisfaction à notre Président...

Reste la question des BIC et des BNC posée par Mme Grosskost. Mais les contribuables relevant des BIC et des BNC peuvent faire des pertes. Les artisans, commerçants et autres professions libérales savent qu’il existe de mauvaises années. C’est pourquoi on ne peut pas traiter de la même manière les niches fiscales, qui sont un moyen de défiscalisation, et les déficits professionnels normaux qui grèvent le revenu. C’est une question de principe. Or, aujourd’hui, le seul moyen de minorer son revenu est quasimement uniquement l’imputation de déficits professionnels.

La totalité des déficits imputés, y compris les déficits professionnels et les déficits fonciers de droit commun plafonnés à 10 700 euros, ne représente qu’une dépense fiscale de 11 millions d’euros, sur les presque 600 millions de restitutions versées au titre de 2007. Seuls 75 contribuables bénéficiant du bouclier fiscal ont diminué leur revenu global par imputation de déficits fonciers au-delà des 10 700 euros. Ce chiffre est marginal et rassurant. Pour plus de détails, je vous renvoie au rapport.

Je serai plus rapide sur le crédit d’impôt recherche, d’autant qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur son efficacité. Son coût estimé sera en 2009 de deux milliards d’euros de pertes de recettes d’impôt sur les sociétés, soit une augmentation de 45 % par rapport à 2007. Ce chiffre n’apparaît pas énorme, mais les engagements au titre du CIR représentent déjà quatre milliards d’euros au 1er janvier 2009. La croissance rapide de cette dépense fiscale a contribué à l’effondrement des recettes de l’impôt sur les sociétés.

Une analyse de la répartition de cette dépense fiscale révèle que le gain de la réforme du crédit d’impôt recherche sera concentré pour 80 % sur les entreprises de plus de 250 salariés et pour près de 25 % sur celles de plus de 5 000 salariés. Ce résultat n’a rien de surprenant, puisque ce sont elles qui exposent les plus grandes dépenses de R&D. Plus préoccupant : ce sont les secteurs de la finance, de la banque et de l’assurance qui en profitent prioritairement, bien avant l’industrie… À relier au fait que 80 % des dépenses de recherche éligibles sont des dépenses de personnels et de fonctionnement. Ceci étant dit, il faudra attendre les résultats de l’année prochaine pour affiner l’analyse.

Il faut également souligner que les dépenses en R&D, qui représentaient 2,13 % du PIB en 2005, devraient s’élever à 2,26 % du PIB dès 2013. C’est au crédit impôt recherche que nous devons cette progression, certes très lente, mais incontestable.

J’en viens au plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, ou PVA. Nous avons créé ce dispositif afin de responsabiliser les collectivités locales en matière de fixation des taux de la taxe professionnelle, la déliaison des taux (décidée en 2003 malgré l’opposition de Pierre Méhaignerie et la mienne) ayant provoqué une forte progression de ces taux. C’est pourquoi, à partir de 2006, la TP a été plafonnée à 3,5 % de la valeur ajoutée des entreprises. Dans le « ménage à trois » de la TP, unissant un contribuable – les entreprises – un bénéficiaire – les collectivités locales – et l’État qui fait le tampon, c’est à l’État qu’il revenait d’assumer à 100 % l’augmentation de la facture nécessaire pour ramener à 3,5 % de la valeur ajoutée les entreprises taxées au-dessus de ce taux ; mais si l’addition redevenait supérieure à ces 3,5 % en raison d’augmentations de taux votées par les collectivités, le différentiel est depuis 2007 payé par ces dernières : c’est ce qu’on appelle le « ticket modérateur ».

Son montant s’est élevé à 645 millions d’euros en 2007, sa première année d’application, ainsi répartis : 21 pour les communes, 68 millions pour les établissements publics de coopération intercommunale, notamment ceux à taxe professionnelle unique, 278 pour les départements et 277 pour les régions, collectivités qui ont le plus augmenté leur taux de taxe professionnelle. Ce montant atteint 765 millions d’euros en 2008.

Le taux de référence du PVA est celui de 2004 majoré du taux moyen d’augmentation en 2005 dans les communes, les EPCI, les départements et les régions. Dès lors qu’une collectivité a augmenté son taux en 2006 dans des proportions supérieures, la TP ne générait aucune recette supplémentaire s’agissant des entreprises dont la TP était déjà plafonnée.

S’agissant de la réforme à venir de la TP, ceci montre bien qu’on ne peut pas proposer aux entreprises (comme le souhaite notre Commission) un découplage de l’assiette actuelle de la taxe professionnelle en deux impositions distinctes, d’une part un impôt assis sur les valeurs locatives foncières des propriétés bâties des entreprises, et d’autre part un impôt assis sur la valeur ajoutée, si les entreprises ne reçoivent pas la garantie de ne pas voir déraper le taux du foncier. Or, à côté d’une contribution à la valeur ajoutée dont le taux serait fixé au niveau national (il devrait l’être à 1,5 %), les collectivités auront la liberté de déterminer le taux de la partie de l’impôt assis sur le foncier.

Notre Commission préconise donc de revenir pour la partie foncière de la taxe professionnelle à une liaison stricte avec le taux de la taxe d’habitation (ou la moyenne de celle-ci et de la taxe foncière) afin de protéger les collectivités contre un dérapage des taux. En la matière en effet, on doit bien reconnaître que le ticket modérateur, qui était la grande idée de Bercy, n’a pas eu l’effet dissuasif escompté. Bercy, quant à lui, juge la liaison des taux insuffisamment efficace. Mais, pour connaître assez bien les contraintes des collectivités locales, je ne pense pas qu’on puisse cumuler les deux options, et la liaison des taux me semble infiniment plus efficace que le ticket modérateur.

Le taux de la contribution à la valeur ajoutée, nouvelle fiscalité locale des entreprises, sera national, et son produit sera réparti entre les régions et les départements, si une entreprise a des établissements dans plusieurs de ces collectivités, selon des critères physiques – effectifs, surface d’implantation, etc.– pour garder un lien avec le territoire. La compensation qui se fera à l’euro près, mais devra tenir compte du ticket modérateur. Ainsi un département, qui avait théoriquement 100, si son ticket modérateur est de 10, sera en réalité compensé sur 90. Ce sera une disparition de fait du ticket modérateur.

Cette réforme touche également à la question des dotations de l’État aux collectivités locales. La répartition de la dotation globale de fonctionnement, qui s’élève à quelque 40 milliards d’euros, est établie à partir du potentiel fiscal, dont l’essentiel est constitué par la taxe professionnelle. Or celle-ci est déterminée par les bases du département, multipliées par un taux moyen : si le taux effectif diffère de cette moyenne, le différentiel joue sur la répartition de la DGF. Le taux national de la nouvelle TP bouleversera donc cette répartition. C’est pourquoi nous proposons de repousser l’entrée en application de cette réforme à 2011 pour les collectivités locales, après que des simulations auront été menées.

M. le président Didier Migaud. Je vous félicite, Monsieur le Rapporteur général, pour la qualité et la densité de votre travail. Il nous faudra un peu de temps pour digérer toutes les informations contenues dans ce rapport, et je suggère d’échanger à ce sujet lors d’une prochaine réunion. Je formulerai cependant déjà quelques observations.

En ce qui concerne le crédit impôt recherche, nous devons être attentifs à ses véritables bénéficiaires, d’autant que ce dispositif est appelé à monter en charge, avec des engagements de quatre milliards. La Commission doit jouer tout son rôle dans l’appréciation de son efficacité, qui se mesure non au seul volume des sommes en jeu, mais surtout d’après leur usage et la nature des secteurs qui en ont bénéficié. Le fait qu’elles profitent surtout aux secteurs de la banque et de l’assurance ne laisse pas de poser question.

Le bouclier fiscal mérite des travaux complémentaires, notamment sur la question des revenus à prendre en considération pour sa détermination. Ce qui a été fait récemment va dans le bon sens, mais ne règle pas tout. Si la dépense fiscale n’a été finalement que de 600 millions d’euros, au lieu des 800 millions attendus, c’est aussi que le nombre de redevables concernés est moindre que prévu.

Je vous remercie d’avoir souligné la forte corrélation entre bouclier fiscal et ISF, alors qu’on nous l’avait présenté au moment de sa création comme destiné à protéger les revenus du travail. J’entends encore Nicolas Sarkozy nous expliquer qu’on ne devait pas laisser au fisc plus de 50 % des fruits de son travail.

M. le rapporteur général. Nous avons toujours dit qu’il était lié à l’ISF.

M. le président Didier Migaud. Peut-être, mais ce qui a marqué l’opinion, c’est ce principe qu’on doit pouvoir conserver au moins la moitié du fruit de son travail.

M. le rapporteur général. C’est bien l’objet du bouclier, et j’ajoute que le patrimoine est le fruit du travail.

M. le président Didier Migaud. Pas nécessairement du travail du contribuable concerné.

M. Michel Bouvard. Voudriez-vous remettre en cause l’héritage ?

M. le président Didier Migaud. Vous avancez par ailleurs, Monsieur le Rapporteur général, que sans le bouclier fiscal, certains contribuables auraient été soumis à des taux d’imposition de 110, voire de 130 % de leurs revenus : de tels taux s’entendent-ils hors de tout dispositif ou tiennent-ils compte des mécanismes de plafonnement, ou de plafonnement du plafonnement, déjà existants ? En effet, si un plafonnement de l’imposition peut paraître tout à fait légitime, encore faut-il s’entendre sur les revenus et les impôts à prendre en compte. Plutôt que de s’engager dans le mécanisme du bouclier fiscal, ne pouvait-on adapter les mécanismes de plafonnement déjà mis en place, vous l’avez rappelé, par une autre majorité ?

M. Jean-Pierre Brard. Il s’agit d’un rapport très intéressant, et je remercie à mon tour le Rapporteur général pour la valeur pédagogique, sinon pour la pertinence, de sa description des arcanes du bouclier fiscal, dont le caractère d’usine à gaz justifierait à lui seul la suppression.

Ce dispositif pose en réalité une question essentielle : resterons-nous fidèles à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? La réponse négative à cette question est au cœur de la politique du régime. Nous ferions honneur à la politique en prenant le temps de suivre tout cela de près, afin de nous affronter sur des sujets essentiels. Je crains que certains députés de cette majorité, qui cultivent la tradition gaulliste, celle du CNR, ne se sentent pas à l’aise face à ce qui se dessine ; mais un tel débat en vaudra la peine.

Quant à l’application des lois de finances je ne partage pas l’optimisme du Rapporteur général : comment peut-on se contenter d’un taux d’application de 63 % de la loi de finances rectificative pour 2008 ? Je trouve particulièrement inadmissible que six articles ne soient pas appliqués depuis deux ans et demi. Nous savons tous pourquoi : c’est l’effet de l’intense lobbying auxquels se livrent des associations patronales dans les couloirs de Bercy, au mépris du Parlement et de la démocratie elle-même.

En ce qui concerne le crédit d’impôt recherche, il faut enquêter sur la façon dont Carlos Ghosn – c’est de lui qu’il s’agit, même si le texte de la Commission européenne qui y fait allusion ne le nomme pas – a pu escroquer l’administration fiscale de 25 millions d’euros. Ce montage (la constitution en Suisse d’une entreprise de 200 salariés) destiné à soustraire les revenus de certains salariés de Renault à l’obligation fiscale est contraire à l’esprit de nos lois.

Concernant le bouclier fiscal, nous devons savoir qui sont ces 20 contribuables à moins de 300 euros par mois de revenu. Vous défendez le bouclier fiscal, nous le combattons ; mais il faut au moins en éliminer les anomalies ! Nous voulons bien que nos filets laissent passer le petit fretin qui bénéficie de 500 euros de restitution, pourvu que nous ramenions les gros poissons.

À l’occasion de mon travail sur la fraude fiscale, j’avais pu apprécier, en Grande-Bretagne, comment les patrimoines avaient pu se transmettre au fil des siècles sans être entamés : il avait suffi de ne pas les fiscaliser. Eh bien ! vous êtes en train d’établir un système comparable, au moins en partie. Bientôt, chez nous aussi, ceux qui sont nés avec une cuillère en or dans la bouche en transmettront deux à la génération suivante, sans avoir eu à faire aucun effort pour faire prospérer un patrimoine dont vous leur aurez assuré la conservation sans qu’ils aient besoin de travailler.

Et puis qu’on en finisse avec les fantasmes autour d’exilés fiscaux dont on n’a jamais dressé la liste. Vous êtes-vous au moins demandé pourquoi quelques grandes fortunes s’étaient exilées sous le gouvernement Juppé et non au moment de la création de l’impôt sur la fortune ? C’est qu’elles ne s’attendaient pas à de telles mesures de la part d’un gouvernement de droite ! En réalité, très peu sont concernés. De plus, il y a toujours eu des « Coblençards », et c’est votre devoir, chers collègues de la majorité, de les stigmatiser publiquement, tout comme les fraudeurs redoutent la publicité de la décision de justice, et craignent bien moins de traiter discrètement avec la direction générale des impôts ou les douanes.

Je finirai en me félicitant de ce que la rectitude intellectuelle du Rapporteur général nous permette une confrontation honnête et un débat objectif, quoique sans concession.

M. Gérard Bapt. Je partage le sentiment qui vient d’être exprimé sur la façon dont le Rapporteur général et toute l’équipe de la Commission ont admirablement démonté le système. Mais à quoi cela sert-il si on continue à pédaler dans le vide, hormis des corrections mineures ?

À l’heure où la nécessité du développement durable nous appelle à changer nos modes de vie à tel point qu’on peut parler d’un changement de civilisation, comment accepter les inégalités de patrimoines ou de revenus qui commandent précisément ces modes de vie ? De même que les pays en voie de développement ne comprennent pas que nous leur demandions de ralentir un développement qui nous a conduits, nous, au point où nous en sommes, on ne voit pas pourquoi il serait illégitime pour une classe sociale de revendiquer le modèle de consommation de la classe supérieure. Tant qu’on ne comprendra pas que ces inégalités concourent à un modèle économique opposé au développement durable dont chacun proclame la nécessité, on ne s’en sortira pas.

En ce qui concerne le crédit d’impôt recherche, j’ai entendu le président de France Biotech se plaindre de ce que les start-up privilégiant la R&D en profitaient très peu. Ne profite-il pas trop aux grandes entreprises, au point de commencer à constituer un problème budgétaire, alors qu’il faudrait plutôt favoriser l’investissement dans ces start-up œuvrant dans des secteurs de pointe ?

Quant aux exonérations des plus-values immobilières, M. Carrez connaît sans doute comme moi, en tant que maire, de ces promoteurs qui attendent le dernier moment pour vendre une dernière parcelle afin de bénéficier des exonérations fiscales. Ce qui contribue, dans une ville en plein développement comme Toulouse, à l’élévation des prix de l’immobilier, à la raréfaction du logement en centre-ville et conséquemment à la croissance des transports et des émissions des gaz à effet de serre.

J’espère en conséquence que, lors du débat budgétaire, vous voterez en faveur de nos propositions de suppression, ou du moins de modération, de ces exonérations.

Mme Chantal Brunel. L’exemple, mis en exergue par ce rapport remarquable, des vingt contribuables jouissant d’un patrimoine de quinze millions d’euros et d’un revenu inférieur à 3 000 euros a une valeur symbolique très forte ; même s’ils ne sont que vingt, ce phénomène mérite une évaluation au cas par cas.

Deuxièmement, son analyse du bouclier fiscal est fondée sur les revenus de l’année 2006. Mais peut-on prévoir ce que sera l’incidence sur ce dispositif  de la crise et de la chute subséquente des valeurs mobilières et du prix de l’immobilier ?

M. le rapporteur général. Je m’attends plutôt à une baisse des restitutions. Les revenus baisseront, ainsi que les impôts, mais la baisse de ces derniers devrait être plus forte. C’est l’occasion de souligner à nouveau que le bouclier fiscal ne fonctionne pas comme une nouvelle niche fiscale. Il y aura une baisse substantielle de l’ISF acquitté, du fait à la fois de la révision à la baisse des valeurs patrimoniales à compter du 1er janvier 2009 et de la mesure incitant à investir l’ISF dans les PME, qui n’était pas en place en 2006 ; il en résultera une baisse de la cotisation d’ISF plus rapide que la baisse de revenus, et donc une baisse des restitutions.

M. Louis Giscard d’Estaing. Le Rapporteur général a parfaitement décrit ce moment de notre histoire fiscale. Le parallèle avec la Grande-Bretagne établi par M. Brard est éclairant à cet égard : en dépit de ses nombreux gouvernements travaillistes, le Royaume-Uni n’a pas traité ces enjeux successoraux ou patrimoniaux comme ils l’ont été par notre République.

Je pense notamment à notre fiscalité des plus-values de cession, qui n’est instituée qu’au milieu des années soixante-dix. Avec l’impôt sur les grandes fortunes, nous en sommes à la fiscalisation de plus-values latentes, puisqu’il s’agit d’un mécanisme d’imposition de plus-values qui ne se réaliseront pas nécessairement, et qui ne sont donc pas assimilables à un revenu : l’exemple fameux du pêcheur de l’Île de Ré montre l’inconvénient de ce type d’imposition. L’ISF pose également le problème de l’imposition de la résidence principale, qui ne procure pas de revenu et qui a déjà été imposée.

Le crédit d’impôt recherche pose un vrai problème s’il s’avère qu’il ne bénéficie pas en priorité aux secteurs industriels et technologiques.

Concernant enfin les revenus catégoriels, je me demande comment il serait possible d’empêcher le report de déficits imputables au titre d’années antérieures ?

M. Laurent Hénart. En ce qui concerne la taxe professionnelle, je me félicite que le Rapporteur général ait démontré comment la montée en puissance du mécanisme du plafonnement de la valeur ajoutée vide de substance la souveraineté fiscale des élus locaux, et prouve la nécessité de réformer ce système.

Pour ce qui est du crédit d’impôt recherche, qui intéresse particulièrement le Rapporteur spécial du budget de l’enseignement supérieur que je suis, j’aimerais savoir si l’on dispose d’éléments de comparaison avec d’autres pays, notamment en ce qui concerne les secteurs bénéficiaires.

M. le rapporteur général. En matière de comparaison internationale, Monsieur Hénart, l’étude la plus récente date de 2005, et elle est due à l’OCDE.

En ce qui concerne les secteurs bénéficiaires, il nous faudrait des séries plus longues pour établir des comparaisons valables. Je vous soumets cependant ces quelques chiffres.

Pour les services bancaires et les assurances, la dépense fiscale due au CIR s’est élevée à 312,6 millions d’euros en 2007, contre 14,6 millions d’euros en 2005 et 11,3 en 2006. Il y a là quelque chose d’étonnant, dont je veux m’entretenir au plus vite avec Alain Claeys, le Rapporteur du budget de la recherche. La dépense progresse certes dans tous les secteurs, mais pas dans de telles proportions. Elle s’est élevée à 173 millions d’euros en 2006 comme en 2007, contre 100 millions en 2005, pour l’industrie électrique et électronique ; à 63 millions en 2007 pour l’industrie automobile, contre 22 et 32 millions en 2005 et 2006 ; à 67 millions pour la chimie, contre 59 en 2005 ; enfin à 271 millions pour le conseil et l’assistance aux entreprises (une activité de services), contre 280 en 2006 et 19 millions en 2005... Il y a là des variations très surprenantes.

La détermination du bouclier fiscal étant fixée, Monsieur Giscard d’Estaing, sur la comparaison entre l’impôt acquitté sur des revenus effectivement perçus, il n’y a pas lieu d’en déduire les déficits reportés : la logique n’est pas celle de l’impôt sur le revenu, qui n’est évidemment pas remise en cause.

Il semble, Monsieur Brard, que je n’ai pas été assez clair sur l’application des textes fiscaux. La Constitution donne au Parlement le pouvoir de voter le taux, l’assiette et les modalités de recouvrement de l’impôt, et c’est le Parlement qui fixe la date d’entrée en vigueur des dispositions fiscales, ce qui n’empêche pas l’administration fiscale de publier une instruction qui n’est pas toujours utile. Ainsi, si le dispositif Scellier, pourtant limpide, est entré en application dès le 1er janvier 2009, l’administration fiscale a publié une instruction.

M. François Scellier. Il faut reconnaître que la matière fiscale est devenue d’une complexité extraordinaire. Ainsi, mon amendement faisait référence à une réglementation thermique dont le respect était nécessaire pour être éligible au dispositif qu’il instituait. Or cette réglementation, instituée en 2000, avait été modifiée en 2006 et doit l’être encore pour être conforme au Grenelle de l’environnement. Comme c’est à l’acquéreur de justifier de la conformité de la construction en cause à cette réglementation, on peut comprendre qu’il ressente le besoin que toute incertitude soit levée par une instruction fiscale.

Mon âge m’a permis de voir tous les principes qui fondaient notre droit fiscal s’effacer les uns après les autres. Ainsi l’ISF taxe des plus-values non constatées, alors que nous avons en même temps un système de taxation des plus-values. Cela m’amène à penser que nous n’échapperons pas à une refonte de l’ensemble de notre système fiscal, autour de trois impositions : un véritable impôt sur le capital, avec des taux réduits, un impôt sur le revenu progressif, pour assurer l’équité fiscale, et un impôt sur la consommation. Faute d’une telle mise à plat, nous serons réduits à argumenter sans fin sur les avantages et les inconvénients du bouclier fiscal et de l’ISF. Pour ma part, je serais partisan qu’on supprime les deux.

M. le président Didier Migaud. Si vous voulez conserver une fiscalité du patrimoine, il s’agira plutôt d’une transformation que d’une suppression de l’ISF.

Je vous propose d’autoriser la publication de ce rapport.

La Commission autorise la publication du rapport d’information du Rapporteur général.

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