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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 22 juillet 2009

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 117

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition de M. Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, sur les moyens de lutter contre les paradis fiscaux

La Commission procède à l’audition de M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État sur les moyens de lutter contre les paradis fiscaux

M. le président Didier Migaud. Je suis très heureux d’accueillir le ministre Éric Woerth pour l’entendre sur les moyens de lutter contre les paradis fiscaux. Notre Commission a mis en place une mission d’information, dont les travaux seront rendus publics à la rentrée et à laquelle appartiennent, outre le rapporteur général et moi-même, MM. Jean-François Mancel, Henri Emmanuelli, Jean-Pierre Brard et Nicolas Perruchot.

Vous avez, Monsieur le ministre, avec le ministre des finances allemand, été à l’origine d’une reprise des travaux de l’OCDE sur le sujet. Le dernier G20 a entériné les listes des paradis fiscaux et posé le principe de sanctions. Une conférence de l’OCDE s’est tenue à Berlin le 23 juin. Enfin, la question a été inscrite à l’ordre du jour du prochain G20, qui se tiendra au mois de septembre à Pittsburgh. Comme elle avait déjà été évoquée au sommet de Londres, il sera intéressant de mesurer le chemin parcouru.

Au moment de l’affaire du Liechtenstein, Monsieur le ministre, vous aviez déclaré à la Commission des finances que la France paraissait moins bien armée que d’autres pays, au niveau de son organisation administrative, pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Est-ce toujours le cas ? Avez-vous à cet égard des propositions à formuler ?

Pouvez-vous aussi commenter les résultats de la conférence de Berlin ? Il est question de sanctions, mais quelles sont celles qui sont réellement envisageables ? Tous les États membres de l’OCDE abordent-ils le problème avec la même volonté ? Ont-ils la même définition de la levée du secret bancaire et de l’échange d’informations ? Quelles sont les perspectives d’avancées au prochain G20 ?

Sur le plan européen, quelle sera la position de la France sur les directives concernant la fiscalité de l’épargne et les échanges d’informations ? Certains plaident au Parlement européen pour un échange automatique d’informations.

Pouvez-vous par ailleurs nous faire part des accords en cours de signature sur des dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale ? Comptez-vous renforcer les moyens de lutte dans le prochain projet de loi de finances ? Enfin, où en êtes-vous en ce qui concerne le projet d’un service fiscal judiciaire, sur lequel notre Commission entendra aussi la garde des sceaux et le ministre de l’intérieur.

M. Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État. Dans la lutte contre les paradis fiscaux, les centres off shore et les juridictions non coopératives, il est essentiel de disposer d’une vision d’ensemble recouvrant les volets d’évasion fiscale, de dérégulation financière et de blanchiment d’argent. Je n’évoquerai pour ma part que l’aspect fiscal, le reste incombant à Christine Lagarde.

Le 21 octobre 2008, une conférence de l’OCDE s’est réunie à Paris, à mon initiative et à celle de Peer Steinbrück, le ministre des finances allemand, sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales. Elle a permis de commencer à travailler sur les paradis fiscaux, et notamment à en établir la liste. Le G20 a repris nos propositions, ce qui a donné un coup d’accélérateur à notre travail. Comme dans le même temps Américains et Suisses étaient en train de se battre à coups de demandes d’informations, l’idée de la fin du secret bancaire en vue d’évasion fiscale a commencé à s’imposer. Le 23 juin, une nouvelle conférence a eu lieu, toujours en présence de l’OCDE, à Berlin, sur le suivi du G20 de Londres et les perspectives de celui de Pittsburgh. Elle s’est aussi penchée sur les possibilités de contournement des obligations d’échange d’informations fiscales, notamment par le biais des entités qui rendent ces informations très difficilement accessibles, comme les trusts et les fondations.

Il existe une liste noire des paradis fiscaux, qui comprend les quatre États qui ne se sont engagés à rien en matière de transparence fiscale : le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l’Uruguay. Sur la liste grise figurent les quarante-deux pays ou territoires qui ont pris l'engagement d'appliquer l’article 26 de la convention modèle de l’OCDE régissant les échanges d’informations financières et fiscales, mais qui ne le mettent pas en œuvre en l’état. Or, l’une des conclusions majeures de la conférence de Berlin a été de mettre en place, au sein d’un forum mondial élargi, une procédure d’évaluation de l’effectivité des échanges de renseignements, basée sur une procédure de revue par les pairs. Le défaut d’échange effectif entraînera des mesures de rétorsion. Il est dorénavant très clair qu’il ne suffira pas de signer les accords.

Les conclusions de la conférence de Berlin mentionnent quelques possibilités de mesures de rétorsion, dont l’application dépend toutefois des droits nationaux. Il s’agit principalement de l’augmentation des retenues à la source sur une grande variété de versements effectués à destination des juridictions non coopératives, de la non-déductibilité des charges correspondant à des paiements effectués au profit de leurs résidents – ce qui concerne en particulier le régime des sociétés mères-filles – ou de la dénonciation des traités signés avec des pays ou territoires refusant l'échange effectif d'informations.

Le sujet des paradis fiscaux est aussi traité au niveau européen. La directive sur les revenus de l’épargne instaure une transmission automatique d’informations entre les États membres de l'Union européenne et, à titre transitoire, un dispositif alternatif de retenue à la source pour l'Autriche, le Luxembourg et la Belgique. Les dispositions de cette directive ont été étendues à certains États tiers : Suisse, Liechtenstein, Saint-Marin, Monaco et Andorre. Sont également concernés les territoires associés anglais (Anguilla, Montserrat, Îles Cayman, Jersey, Guernesey, Île de Man, Îles Vierges britanniques, Turks et Caïcos) et les territoires associés néerlandais (Antilles néerlandaises et Aruba).

Les conditions de passage à l'échange automatique pour les pays concernés par la retenue à la source semblent maintenant réunies puisque tous les pays sont conduits à conclure des accords prévoyant l'échange de renseignements selon l'article 26 de la convention modèle de l'OCDE. Cet article 26 est traditionnellement utilisé au cas par cas, mais n’en permet pas moins l’échange automatisé des données.

Nous avons déjà signé de nombreux accords, à un rythme quasi hebdomadaire. La plupart des pays sont bien disposés à l’égard de cette démarche. Dans la majorité des cas, il suffit d’un avenant à la convention fiscale qui nous lie déjà pour intégrer l’article 26 de la convention de l’OCDE. Mais il y a d’autres pays, de véritables paradis fiscaux, avec lesquels nous ne sommes liés par aucune convention fiscale et avec lesquels il ne faut surtout pas en signer car cela reviendrait à accepter leurs propres normes. Avec eux, nous signons des conventions simples – et non fiscales – d’échanges d’informations. Cela a été le cas il y a quinze jours avec les Îles Vierges britanniques.

Enfin, la direction générale des finances publiques a mis en place un service, la fameuse cellule de régularisation fiscale, chargée de répondre aux questions que se posent les gens dont les comptes dans les paradis fiscaux seront dévoilés après la levée effective du secret bancaire. Nous avons déjà reçu six cents appels. Nous en aurions reçu beaucoup plus si ces gens s’attendaient à être amnistiés sans histoires, mais ce n’est pas l’objet de la cellule. Le but est plutôt d’engager la discussion avec eux et de leur proposer une solution de retour, sans quoi ils ne rapatrieront toujours pas leurs fonds. En pratique, ils paieront l’impôt normalement dû, parce qu’il ne peut en aller autrement vis-à-vis des autres contribuables français, mais les pénalités seront négociées. Lorsque le dispositif sera en régime de croisière, après la levée effective du secret bancaire, et que les gens commenceront à savoir comment cela fonctionne, nous aurons un afflux de demandes de régularisation.

Il y a trois grandes catégories de régularisations. La première concerne des personnes ayant hérité ou bénéficié d’une donation d’avoirs à l’étranger et qui les y ont laissés, en connaissant les avantages qu’elles en retirent mais sans les avoir recherchés elles-mêmes. La seconde est celle des expatriés qui ont ouvert un compte tout à fait régulier là où ils vivaient et l’ont conservé sans le déclarer à leur retour en France. La dernière est celle des touristes fiscaux, qui cherchent à optimiser illégalement leur fiscalité. Il y a évidemment des différences de traitement entre ces catégories.

Par ailleurs, un nouveau paquet de mesures est envisagé dans le prochain projet de loi de finances. Il s’agit notamment de l’alourdissement des retenues à la source sur les revenus passifs à destination des juridictions non coopératives, dont le taux serait porté à 50 %, et du renforcement des mesures anti-abus, rendues plus systématiques. Ainsi, la déductibilité de certains paiements effectués à des personnes domiciliées dans des pays au régime fiscal privilégié serait subordonnée à la démonstration par le débiteur de la réalité de la prestation, qui ne doit en outre pas être exagérée. Les versements faits à une personne morale ou physique domiciliée ou établie dans un État non coopératif ne seraient par ailleurs jamais déductibles. Une autre piste serait de soumettre les institutions financières françaises à des obligations accrues en matière de divulgation d’informations.

Quant à la création d’un service fiscal judiciaire, j’y suis très favorable, mais il faut encore faire preuve d’un peu de pédagogie avant que l’idée ne soit acceptée. Il s’agirait en effet d’un pouvoir supplémentaire donné à l’administration fiscale, qui n’a traditionnellement chez nous que très peu d’activité judiciaire. Pour l’instant, lorsqu’ils veulent transmettre un dossier à la justice, les services fiscaux doivent présenter à la commission des infractions fiscales un dossier complet qui prouve l’existence d’un problème pénal nécessitant l’intervention judiciaire. Mais, souvent, leur enquête s’arrête très vite car ils n’ont justement pas de pouvoirs judiciaires. La création d’un service fiscal judiciaire permettrait de répondre à cette situation. Il faut bien faire comprendre que ce service serait destiné à s’attaquer à la grande fraude, qui met en œuvre des montages, des structures et des comportements bien déterminés, mais aucunement à la fraude « de tous les jours », qui est parfaitement traitée par l’administration fiscale ; ce ne serait pas une police nouvelle qui viendrait restreindre les libertés, mais une arme dont nous avons besoin contre la fraude de grande ampleur. La collaboration avec la police judiciaire sera sereine parce que le but de ce service sera de renforcer non pas le pouvoir, mais l’efficacité de l’administration fiscale.

Nous allons continuer de travailler sur le sujet, de rassurer et de montrer que d’autres pays disposent de tels pouvoirs judicaires. Je ne désespère pas d’aboutir.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Beaucoup de choses ont été faites récemment en ce qui concerne les paradis fiscaux, mais toute la question est de savoir si les décisions de principe seront suivies d’effets.

Vous dites que l’article 26 de la convention modèle de l’OCDE autorise les échanges automatiques d’informations entre États signataires. Mais comme ces renseignements doivent être « vraisemblablement pertinents », il sera bien facile à un État de trouver de bonnes raisons pour ne pas les communiquer !

Il existe une convention fiscale franco-suisse, mais la définition de la fraude fiscale n’est pas la même des deux côtés. Les Suisses peuvent donc refuser de donner tout renseignement qui n’entrerait pas dans le cadre de leur propre acception de la fraude fiscale ! Autre exemple : la directive sur l’épargne permet à l’Autriche, la Belgique et le Luxembourg de ne pas communiquer d’informations en échange d’un prélèvement à la source. Cette disposition n’a pas été éliminée dans le cadre de la révision de la directive, alors que son principe même est contraire à l’article 26. Cet article commence-t-il donc vraiment à être appliqué ? Où en est la coopération entre les administrations fiscales ? Les conventions fiscales que vous avez récemment signées seront-elles respectées ?

Quant au fait de donner des pouvoirs judiciaires à l’administration fiscale, cela paraît une idée de bon sens. Depuis très longtemps, les douanes se voient confier par la justice ou la police le soin d’enquêtes à l’aspect fiscal ou financier très important, parce que les ministères de l’intérieur et de la justice n’ont pas les compétences nécessaires. Pourquoi refuseraient-ils de conférer des pouvoirs judiciaires aux services fiscaux, de façon très encadrée et sous l’autorité d’un magistrat ? Pourtant, cette idée suscite une réticence générale. Où est le blocage, et comment pourrions-nous vous aider à progresser ? Trouve-t-il son fondement dans des principes philosophiques ou, une fois de plus, dans une guerre entre services ?

Quoi qu’il en soit, c’est maintenant qu’il faut agir. Tout le monde est conscient du problème et il ne faut pas attendre que l’air du temps s’y prête moins.

M. le ministre. L’article 26 de la convention modèle n’interdit pas l’échange automatique d’informations, mais il ne le requiert pas non plus. Dans la pratique courante, il est utilisé pour des demandes ponctuelles. Lorsqu’un contrôle fiscal fait apparaître des fraudes à l’étranger, l’administration française demande les informations dont elle a besoin à l’administration de l’autre pays. Grâce à l’article 26, elle dispose d’un correspondant : une fois que la demande est transmise, c’est à l’administration étrangère de procéder à toutes les vérifications requises. Il suffit d’affirmer qu’elles sont nécessaires dans le cadre d’un contrôle fiscal, sans avoir à donner de détails. De même, toujours grâce à cet article, il n’y a plus de divergence d’interprétation de la définition de la fraude : il suffit de dire qu’il s’agit d’une fraude fiscale dans votre propre pays. Jusqu’à présent, de tels problèmes d’interprétation étaient fréquents. Par ailleurs, l’État ne peut pas se soustraire à son obligation de renseignement sous le prétexte que l’information n’existe pas, dans le cas d’un trust ou d’une fondation, par exemple. C’est là aussi une évolution considérable ! En conséquence, les États doivent veiller à ce qu’aucun système ne permette l’anonymat et rectifier le cas échéant leur propre législation. Au final, sans prétendre que tout fonctionnera pour le mieux dès le début, je pense que tous ces sujets sont bien traités par l’article 26.

Outre l’échange ponctuel, l’article 26 permet aussi l’échange automatisé de données, mais il est peu utilisé en ce sens. En revanche, le sujet est traité par la directive sur l’épargne, qui est repartie pour une nouvelle négociation, dans laquelle la France est très active, concernant en particulier l’élargissement des produits et personnes concernés par la directive et la question de la diffusion automatique.

Il y a plusieurs types d’échanges automatisés. On peut en prévoir à propos de certains types de produits ou de comportements ou, par exemple, au-dessus de certains seuils de transaction. La directive devrait donner un fondement à ce type d’échange, que nous pratiquons avec les Allemand et les Anglais, mais qui n’est pas possible lorsque les conventions fiscales ne le prévoient pas. C’est pourquoi il faut faire évoluer la directive pour élargir cette pratique.

En outre, de sa propre initiative – et la France le fait – une administration peut envoyer à un pays la liste de l’ensemble de ses ressortissants ayant réalisé un type de transaction déterminé.

Il y a de nombreux progrès à faire pour ces deux types d’échanges, et c’est pourquoi la négociation de la directive est si importante.

Nous pouvons aussi demander aux banques et compagnies d’assurance françaises des informations sur les transactions réalisées vers des pays avec lesquels nous ne sommes liés par aucune convention fiscale ou d’échange d’informations. Les banques y sont bien sûr très réticentes, mais nous y travaillons activement.

Nous sommes donc sur tous les fronts : nous « poussons » l’article 26 de la convention de l’OCDE dans toutes nos relations bilatérales, nous soutenons fortement la directive épargne et nous discutons avec les établissements français.

M. le président Didier Migaud. Ce n’est pas la première fois qu’une volonté s’exprime contre les paradis fiscaux. Le problème est sa concrétisation. Plusieurs listes ont été établies, mais ce qui n’y figure pas est tout aussi édifiant que ce qui y apparaît. Un certain nombre de paradis fiscaux n’y sont pas mentionnés. Nous avons le sentiment que ces listes adoptées par le G20 et l’OCDE sont en fait le résultat d’un compromis entre grands États. Comment améliorer les choses ?

Il faut aussi faire un point d’étape sur le dossier du Liechtenstein.

Par ailleurs, le Parlement a voté une disposition pour faire la transparence sur les antennes dont beaucoup d’établissements financiers et d’assurance français disposent dans des territoires étrangers non coopératifs. En ce domaine, où en sommes-nous ?

M. Jérôme Cahuzac. À vous entendre, monsieur le ministre, on éprouve un sentiment mitigé car, si votre sincérité et votre engagement ne peuvent être mis en doute, il y a quand même loin de la coupe aux lèvres.

Le passé ne nous incite guère à l'optimisme : en 1987, lors du sommet du G7 de Venise, la liste du Groupe d’action financière, le GAFI, a été élaborée et la volonté des autorités publiques, notamment françaises, a été affirmée, de même d'ailleurs qu'aux sommets de Denver, Cologne, Birmingham, ainsi qu'à Lyon. En 2000, la coopération internationale a abouti à l'élaboration de trois listes : outre celle relative à la fraude fiscale, qui vous concerne directement, la liste du forum de stabilité financière, relative aux opérations financières, et la liste du GAFI portant sur le blanchiment. Mais plus rien de 2001 à 2008, à tel point que, et l'excellent rapport de nos collègues Daniel Garrigue et Élisabeth Guigou le montre, à l'automne 2008 la liste du forum de stabilité financière était vide, comme si tous les États assuraient une transparence et une régularité parfaites aux activités financières – la crise a toutefois montré que l'on péchait au moins par optimisme. Et la liste du GAFI était tout aussi vide, les autorités des différents pays, y compris la France, estimant qu'il n'y a plus d'État qui blanchisse de l'argent. Pour sa part, la liste de l'OCDE ne comporte que trois États : Monaco, Andorre, le Liechtenstein, mais aucun de ceux qui viennent d'être cités. Cela ne signifie pas que ces États sont subitement devenus critiquables mais, après que l’on a connu, faute d'une véritable volonté politique, un trou noir de sept années, les choses changent, du moins l'espère-t-on, tout comme on espère que ce changement sera durable, le rapporteur général venant toutefois de faire part de nos doutes.

L'article 26 de la convention de l'OCDE n'induit pas que la notion de fraude fiscale ait la même signification de part et d'autre du lac Léman. Quant à la directive « épargne », rien ne permet de penser que les causes de l’échec précédent ont disparu, et le rapporteur général a eu raison de souligner l’anomalie que constituerait le prélèvement à la source pour prix de l'anonymat. Les autorités françaises sont-elles prêtes à l'accepter dans les négociations européennes ?

S'agissant du retour, il me semble en effet judicieux de distinguer les héritiers, les expatriés et les fraudeurs actifs. Pour autant, vous « négociez », ce qui signifie qu'il y a au moins amnistie partielle dans la mesure où vous ne réclamez pas la totalité de ce qui devrait être dû.

M. le ministre. À l'impôt éludé peuvent s'ajouter des pénalités de retard ainsi que des pénalités liées à la mauvaise foi du contribuable. Les pénalités ne sont jamais automatiques !

M. Jérôme Cahuzac. Estimez-vous qu'un véhicule législatif soit nécessaire pour autoriser la cellule à négocier ?

Enfin, à l'occasion du prochain sommet, la France s'efforcera-t-elle, non seulement pour la liste de l'OCDE, mais aussi pour les deux autres listes, de maintenir l’élan politique impulsé au plus fort de la crise ?

M. Charles de Courson. Même avec l'article 26 de la convention de l’OCDE, on se demande comment lutter contre l'anonymat. Vous avez fait référence, monsieur le ministre, aux fiducies et aux fondations. En Suisse, elles ont à leur tête des hommes et des femmes de paille, souvent de nationalité suisse. Du coup, le citoyen français sur lequel on demande des renseignements est inconnu des services suisses. Qui plus est, les fonds ne sont pas rapatriés dans les pays d'origine par des transferts, mais par le biais de compensations. Comment combattre de tels détournements ?

Que pensez-vous de la solution qui consisterait de porter de 15 à 50 % – soit le niveau du bouclier fiscal – le taux du prélèvement forfaitaire, ce qui priverait l'anonymat de tout intérêt ?

S'agissant de la cellule de régularisation, j'ai ici un document émanant d'un cabinet spécialisé qui explique comment les choses se passent : un avocat prend contact avec la cellule et lui demande comment sera traitée la personne qui déciderait de tout déclarer. En fait, on recalcule l’ISF pour les six dernières années et l’IR pour les trois dernières, puis on ajoute les intérêts et les pénalités. Comme l'a dit le ministre, il n'y a pas de négociation sur le capital mais bien sur les pénalités. Le fisc fait une proposition que l'avocat transmet à son client qui décide à ce moment de révéler son identité. Ne pourrait-on distinguer ceux qui accomplissent une démarche positive de régularisation, par exemple après un héritage, de ceux qui se font prendre, pour lesquels le fisc pourrait être autorisé à remonter deux ou trois fois plus loin dans le temps ?

M. le président Didier Migaud. Le rapporteur général et moi-même nous sommes rendus auprès de la cellule afin de rencontrer les personnels et de voir comment les choses se passent. Nous en ferons état dans le rapport.

M. Daniel Garrigue. Jérôme Cahuzac a mentionné le rapport que j'ai rédigé pour la Commission des affaires européennes en compagnie d'Élisabeth Guigou. Il montre en particulier qu’il ne faut pas minimiser le rôle des paradis fiscaux dans la crise financière car, même s’ils n’en sont pas à l’origine, ils ont souvent servi de refuge à des pratiques financières contestables qui l'ont aggravée.

M. Jérôme Cahuzac. Et ils continuent !

M. Daniel Garrigue. S’agissant des listes, il faut rappeler que celle qui avait été établie en 2000 a été rapidement vidée de son contenu. On peut craindre que le même phénomène ne se reproduise : quelle est la portée réelle des listes noire et grise de l'OCDE s'il suffit pour en sortir de signer douze conventions avec n'importe quels pays ou d'adopter une simple déclaration d'intention ?

En fait, la difficulté tient à la portée réelle de l’article 26. Même s'il a été amélioré en 2006, l'échange d'informations sur demande se heurte à certaines limites, en particulier au fait que ces informations doivent être « vraisemblablement pertinentes » – il faut donc disposer d'indices –, mais aussi au caractère dilatoire de certaines procédures de recours. En fait, ce qui importe, c'est d'évaluer la volonté effective de lever le secret bancaire, donc de prendre des décisions effectives dans le prolongement de la conférence de Berlin.

On a aussi évoqué l'idée de la centralisation des comptes bancaires, mais la France est actuellement le seul pays à y procéder grâce au fichier des comptes bancaires (FICOBA). Ce dispositif a-t-il des chances d'être généralisé en dépit des réticences très fortes de nos partenaires ?

S'agissant de la directive « épargne », pour que l'on passe à l'échange d'informations automatiques avec les pays qui ne l'ont pas accepté jusqu'à présent, il faut préalablement que des conventions modèles de l'OCDE soient passées avec un certain nombre d'autres pays. Si tel est effectivement le cas, pensez-vous qu'il sera véritablement possible d'exercer des pressions suffisamment fortes sur le Luxembourg pour qu'il renonce au statut dont il dispose dans le cadre de la directive « épargne » qui, je le rappelle, suppose une décision unanime du Conseil européen ? Si des progrès ont été accomplis entre la Suisse et les États-Unis, c'est parce que ces derniers ont exercé de fortes pressions dans l'affaire UBS. Au-delà, c'est bien la question de l'harmonisation fiscale au sein de l'Union qui est posée.

Où en est-on par ailleurs de nos relations avec les États-Unis ? Ces derniers font-ils preuve d’une réelle détermination ? On sait que le succès du G20 est étroitement lié à l'existence d'un même niveau d'exigence en Europe et aux États-Unis.

Concernant les sanctions, vous avez évoqué des mesures à caractère fiscal. Mais ne faudrait-il pas aller jusqu'à interdire à nos établissements de fréquenter certains paradis fiscaux, ce qui supposerait une action internationale ?

Enfin, comme le rapporteur général et le président, j'aimerais savoir quelles suites sont données à la liste du Liechtenstein sur laquelle figureraient 200 noms français.

M. Jean-Yves Cousin. Je salue l'ensemble des initiatives prises afin de renforcer la transparence. Le rapporteur général a toutefois évoqué les difficultés rencontrées pour obtenir des réponses claires de la part des établissements. Je souhaite donc savoir de quels moyens de coercition on dispose et quelles sanctions sont prévues.

M. Henri Emmanuelli. Il conviendrait, Monsieur le ministre, que vous nous apportiez plus de précisions sur la question du retour car on a quand même du mal à expliquer à des contribuables qui ont 800 euros de revenu mensuel et qui se voient poursuivis pour une dette de 200 euros que certains parviennent à négocier des pénalités portant sur des dizaines de millions ! Les choses doivent être claires : s'il y a amnistie partielle, il faut un débat public et un cadre législatif afin que les règles soient connues de tous.

Vous vous êtes rendu auprès de la cellule, monsieur le président, mais cette affaire est suffisamment grave pour que l'on nous fournisse des critères précis.

Il est par ailleurs évident que les paradis fiscaux, par lesquels passe la moitié des transactions internationales, sont directement liés à la crise. Même dans un petit département comme le mien, les entreprises en difficulté sont rachetées par des fonds de placements qui continuent à être systématiquement domiciliés au Luxembourg. Cela n'est pas dû au hasard, mais bien au fait qu'ils y trouvent encore un intérêt !

Je crains beaucoup qu'après le grand moment d'émotion liée à la crise le soufflé ne retombe et qu'il ne se passe finalement pas grand-chose. Ne soyons pas naïfs, nous sommes face à un Éverest de difficultés que seule la volonté politique du G20 nous permettra de gravir. Or je nourris beaucoup de doutes sur le caractère pérenne de la volonté qui s'est manifestée à un moment donné. D'ailleurs, les États-Unis évoquent de moins en moins souvent ce sujet et, quand on voit comment se comporte la Banque fédérale américaine, on peut douter des décisions qui seront prises lors du prochain G20.

Quant au contrôle fiscal, aux États-Unis, où l’on ne me semble pas moins soucieux des libertés publiques qu’en France, l’IRS (Internal Revenue Service) est effectivement doté de pouvoirs judiciaires. Chez nous, le ministère de l'économie et des finances le souhaite, de même, et cela m'a surpris, que le ministère de la justice ; mais le ministère de l'intérieur continue de s'y opposer. Comment ne pas penser que, si l'on ne donne pas de pouvoirs suffisants à l'administration, la lutte contre la grande fraude a peu de chances d'aboutir ?

Sur toutes ces questions, nos collègues de la Commission des affaires européennes ont fait un travail très intéressant et je souhaite que la Commission des finances ne soit pas à la traîne.

M. le président Didier Migaud. Ce ne sera pas le cas puisque nous avons créé une mission d’information. Devant se prononcer dans un délai contraint sur une proposition de résolution relative à la directive épargne, la Commission des affaires européennes a jugé nécessaire de creuser quelque peu le sujet. Pour notre part, nous souhaitons aller au fond des choses et remettre, au mois de septembre, un rapport complet comportant un certain nombre de propositions précises. Le rendez-vous de la loi de finances nous permettra ensuite de traiter de ce qui peut être fait à l'échelon national.

Des initiatives doivent également continuer à être prises au sein du G20 comme de l'Union européenne, et nous faisons pression pour que les dossiers avancent.

Des débats comme celui d'aujourd'hui nous permettent de mesurer le chemin parcouru comme celui qui reste à accomplir. On nous dit que la France fait preuve de détermination, mais nous demeurerons bien sûr vigilants.

M. le ministre. Je me réjouis de cette discussion.

Bien sûr, on peut considérer que ce qui a été fait est insuffisant ou risque de ne pas durer, mais jusqu'à présent on n'avait jamais été aussi efficace sur tous ces sujets ! À nous de maintenir la pression et de continuer à avancer de façon rigoureuse au niveau international tout en nous dotant d'armes nationales efficaces !

La cellule de régularisation applique scrupuleusement le code général des impôts. Il y a d'ailleurs quelque paradoxe à nous reprocher de procéder à une amnistie rampante tout en déplorant que la cellule ne reçoive pas davantage d'appels. Il ne s'agit pas pour nous d’ouvrir les vannes, et une amnistie ferait naître un sentiment d'injustice particulièrement intolérable dans ce contexte de crise. Pour autant, si l'on veut que les gens viennent à nous, il faut leur proposer des solutions.

M. Henri Emmanuelli. Mais si l'on applique les textes, il n'y a pas lieu d'ouvrir des discussions !

M. le ministre. Il faut être conscient que, lorsqu’on a un compte en Suisse, on ne se précipite pas vers l'administration fiscale, et qu'il est préalablement nécessaire de tisser des liens. C'est pour cela que la cellule discute et essaie de comprendre la situation, mais elle applique les textes. Dans la mesure où elle n’intervient que depuis le mois d'avril, il m’est difficile de dresser aujourd'hui un bilan de son activité, mais vous pouvez être assurés que je m'y emploierai, par exemple au bout d'un an. J'ajoute que nous avons bien sûr tout intérêt à ce que les fonds soient rapatriés et que le mouvement devrait s'accélérer dès lors que le secret bancaire sera effectivement levé et que les titulaires des comptes s'apercevront que la protection n'est pas celle qu'ils croyaient. Les choses progresseront donc quand la Suisse et le Luxembourg, où se trouvent près de 80 % des comptes français à l’étranger, auront intégré la levée du secret bancaire dans leur droit interne ce qui devrait intervenir, selon le Président de la Confédération suisse, avant la fin de l'année.

Aux termes de l'article 26, dès lors qu'une administration fiscale étrangère est avertie d'un soupçon d'évasion fiscale pesant sur une personne dont le nom lui est communiqué, elle doit être capable de détenir l’information. Dès lors, les fiducies ou les trusts, même s'ils relèvent du droit étranger, ne peuvent pas faire obstacle à la fourniture d'informations, à moins que le pays concerné ne respecte pas le traité fiscal et n’encoure le risque d'être inscrit sur la liste grise.

On ne changera pas le monde d'un coup de baguette magique, mais je vous assure que tout ce qui est fait est fait de façon sérieuse et méthodique !

S'agissant du Liechtenstein, nous pouvons aujourd'hui dresser un bilan presque définitif. Sur le listing qui nous a été remis figurent 64 groupes familiaux français. Deux d’entre eux concernaient des personnes décédées et 20 autres des groupes composés de non-résidents. Quatre groupes familiaux n'ont fait l'objet d'aucune transmission ultérieure d'informations et trois dossiers ont fait l'objet d'une transmission au parquet en application de l'article 40 du code de procédure pénale. Sur les 35 groupes restant, 12 ont pu justifier de leur situation, notamment de la dissolution ancienne des fondations, et 19 ont été régularisés selon le processus que j'ai décrit.

Au total, les régularisations concernent un montant de capitaux de 33 078 686 euros, ce qui correspond à 5 265 000 euros de droits, à 397 635 euros d'intérêts de retard et à 191 154 euros de pénalités. Près de 90 % de ces sommes sont liés aux trois dossiers que nous avons transmis au parquet. Un groupe familial a rompu ses contacts avec l’administration ; nous allons le poursuivre.

Au total, grâce au travail remarquable du fisc, nous avons régularisé les situations et avons perçu les impôts éludés ainsi que les pénalités.

Dans les négociations sur le projet de directive, la France considère que la retenue à la source n'est pas une bonne idée et qu'il vaudrait mieux privilégier les échanges d'informations permettant d'appliquer la fiscalité qui devrait être appliquée. Mais d'autres États s'y opposent. La retenue à la source devrait atteindre 35 % dans deux ans et l'on pourrait aller encore plus loin pour se montrer plus dissuasif. Certes, cela ne s'inscrit pas dans le cadre de la convention de l'OCDE et ce n'est pas une bonne manière de faire, mais c'est mieux que rien. La directive étant remise en chantier, nous avons l'intention de la faire évoluer sur la nature des produits comme sur l'échange automatisé de données.

Les règles relatives à l'entrée et à la sortie de la liste grise sont précises. L'OCDE l’a établie après avoir étudié la situation de 84 pays, et d'autres pourraient y être ajoutés. Pour sortir de cette liste, il ne suffit pas d'en avoir l'intention : il faut en sortir effectivement et ne pas se contenter de signer des conventions avec d'autres paradis fiscaux !

M. Henri Emmanuelli. Lorsque nous avons auditionné les représentants de l’OCDE, je les avais trouvés bien naïf à ce propos !

M. le ministre. Les choses ne sont pas si simples dans le contexte politique du G20 ! Sur la base des 84 pays analysés, la liste est exhaustive et l'on n’en sort qu'avec des conventions en bonne et due forme. Le mécanisme de contrôle des conventions a été précisé à Berlin, notamment avec la procédure de revue par les pairs de la capacité à agir, et il faut espérer qu'il sera repris à l'occasion du prochain G20.

La France attend l'arme au pied que les conventions soient définitivement signées. Nous les testerons immédiatement dans les pays dans lesquels nous pensons que des citoyens français ont pu frauder. Nous le ferons sans naïveté aucune, sur la base de la situation réelle et, si nous n'obtenons pas les informations, nous dénoncerons les conventions. Après 2009, année de la transparence et de l'établissement des listes, 2010 sera celle au cours de laquelle les conventions seront testées.

Enfin, il ne faut pas confondre paradis fiscal et compétitivité fiscale : on est encore loin de l'harmonisation fiscale évoquée par M. Garrigue et chaque pays peut fixer librement son taux d'imposition sur les sociétés, les revenus et le patrimoine. Mais il doit le faire de façon transparente.

M. Charles de Courson. Vous ne nous avez pas dit ce que vous pensez de l'idée de porter à 50 % le taux du prélèvement forfaitaire.

M. le ministre. Pourquoi pas ?

M. Charles de Courson. Comment pourrait-on mieux lutter contre l'anonymat ?

M. le ministre. Nous connaissons les montages propices à l'anonymat. Dès lors qu'il existe une convention en vertu de laquelle l'information doit être tenue à notre disposition, si l'anonymat faisait obstacle à son application, nous la dénoncerions.

M. Jérôme Cahuzac. Passer une convention, la tester puis la dénoncer si elle n'est pas appliquée me paraît de bonne stratégie.

M. Henri Emmanuelli. Au-delà des aspects fiscaux et financiers, il y a un aspect politique. L'ambassadeur du Luxembourg est venu m'exposer les turpitudes d’autres États que le sien, comme le Delaware. Mais on peut se demander si le Gouvernement est prêt à dire au Luxembourg qu'il s'y passe des choses qui nous déplaisent : comment ce pays se sentirait-il menacé quand on laisse Dexia y déplacer son siège social et y créer 1 200 emplois ? Il s’agit bien là de volonté politique, ce qui avive nos craintes.

M. le président Didier Migaud. Nous avons reçu nos homologues luxembourgeois et nous leur avons expliqué clairement que nous considérerions leur pays comme un paradis fiscal dès lors qu'il ne répondrait pas aux demandes d'informations sur la base d'une présomption de fraude fiscale. Les conventions devront déterminer les informations que l'on est en droit d'attendre sur la situation d'un contribuable français ; si les réponses ne nous sont pas apportées, il faudra dénoncer les conventions.

M. le ministre. Ces échanges passionnants montrent que de nombreuses questions restent en suspens, mais que les progrès réalisés en un an sont considérables.

MM. Jérôme Cahuzac, Henri Emmanuelli et Daniel Garrigue. Après un trou noir de sept ans !

M. le ministre. Certes, mais nous l'avons largement rebouché au cours de la dernière année : de nombreuses conventions ont été signées, dont je vous communiquerai la liste.

Faute d'avoir obtenu une réponse de Singapour, je suis allé expliquer à son ministre des finances que l'application de l'article 26 pouvait entraîner des mesures de rétorsion et que son pays pouvait être mis au ban des nations. Il m'est apparu clairement qu'il ne le souhaitait pas et qu'il entendait faire la démonstration que Singapour était une place financière importante en raison de son expertise et non pas uniquement parce qu'on y pratique le secret bancaire. Pour autant, n'avons pas signé la convention parce que le texte nous semblait imparfait. Nous devons faire très attention à ce que nous signons, et contrôler ensuite l'application des conventions.

M. le président Didier Migaud. Monsieur le ministre, nous vous remercions. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce dossier. Soyez assuré de notre soutien, mais aussi de notre vigilance.

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