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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 16 septembre 2009

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 125

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, de M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, et de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l’Écologie, sur la contribution climat- énergie

M. le président Didier Migaud. Nous accueillons M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, et Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’Écologie, pour évoquer la contribution énergie climat qui constituera une disposition majeure du projet de loi de finances pour 2010.

Afin de guider sa réflexion, la commission a désigné deux rapporteurs d’information issus de la majorité et de l’opposition, Michel Diefenbacher et Jean Launay. La semaine dernière, ils nous ont présenté les enjeux et les grandes options de la contribution climat-énergie dans un esprit de consensus. Selon les objectifs que se sera fixés le législateur, c'est-à-dire une taxe carbone ou une taxe climat-énergie, l’assiette de cette contribution devra être limitée à la consommation de combustibles fossiles ou étendue à celle d’électricité, notamment d’origine nucléaire. Nos rapporteurs nous ont rappelé que le Conseil constitutionnel avait annulé en 2000 l’extension à l’énergie de la taxe générale sur les activités polluantes– la TGAP – qui faisait l’objet d’une motivation inappropriée.

Par ailleurs, le rapporteur général et moi-même avons mis à profit une rencontre interparlementaire à Stockholm pour nous informer sur l’expérience de la Suède, pays pionnier dans la taxation des émissions de carbone, qui comporte des réussites indéniables, mais n’apporte pas de solution définitive. En taxant la tonne de CO2, de 27 euros en 1991 à 108 euros en 2008, la Suède a réduit ses émissions de 9 % tandis que son PIB augmentait de plus de 40 %. Mais cette réduction a été obtenue en partie à l’aide de délocalisations vers des pays aux règles moins contraignantes. De plus, le système est complexe, les exonérations multiples et les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Si les modes de chauffage de l’habitat se sont modifiés, la lutte contre la pollution dans les transports s’est révélée plus décevante.

S’agissant des redevables de la future contribution, la commission s’est accordée sur les risques liés à une multiplication des exonérations. Pour autant, la question des secteurs exposés devra être examinée, en particulier pour les établissements industriels qui, à compter de 2013, devront payer leurs quotas annuels d’émissions. Les questions des commissaires ont été nombreuses et devraient l’être aussi après vos exposés.

M. le rapporteur général Gilles Carrez. Auparavant, je souhaiterais appeler l’attention des membres du Gouvernement sur les difficultés que la commission des finances de l’Assemblée nationale rencontre dans la préparation de ce projet de loi de finances. La présentation en Conseil des ministres a été repoussée au 30 septembre, ce qui réduit encore les délais dont nous disposons pour examiner des réformes colossales : suppression de la taxe professionnelle, introduction de la taxe carbone,… Il faut absolument que nous soient communiquées dans les jours qui viennent des simulations concernant l’impact de la réforme de la taxe professionnelle sur les collectivités territoriales, sur les contribuables perdants. Il nous faudrait aussi, pour pouvoir nous prononcer, des éléments précis sur les modalités de compensation, les exonérations, et l’impact de la contribution énergie-climat sur les différents secteurs.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer. Je prends très à cœur les remarques de votre rapporteur général qui seront transmises au plus vite au Premier ministre et au Président de la République car il faut éviter les erreurs et les malentendus. La contribution climat-énergie est un élément du compromis historique sur la nécessité d’opérer une mutation de l’économie dans le sens d’une plus grande sobriété. Cet axe de croissance stratégique implique en même temps tous les acteurs de la société réunis dans le Grenelle de l’environnement. Mais la contribution climat-énergie n’est que la partie d’un tout qui nous a fait prendre de l’avance sur nos obligations et nos objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Souvenez-vous, le bonus-malus écologique vous a été présenté au départ comme un message adressé en fait aux constructeurs, mais ses détracteurs ont nié son impact en n’y voyant qu’une vignette déguisée. Le résultat est que le nouveau parc français réduit ses émissions de gaz à effet de serre douze fois plus vite que le parc européen, soit un gramme par mois contre un gramme par an. Encore plus important, les constructeurs européens ont pris conscience que la voiture décarbonée était la condition de leur survie à une échéance de trois ou quatre ans. Alors que les rapports des constructeurs français tablaient sur un déplacement de 2 % du marché, nous en sommes à 52 %. Il s’est passé quelque chose : qui aurait imaginé que le dispositif présenté il y a un an et demi, et considéré par certains comme une simple niche fiscale, permettrait, dès 2013, de faire du véhicule décarboné un produit de marché de masse ?

La contribution climat-énergie était un des éléments du compromis historique conclu entre les syndicats, les collectivités, le Parlement et dont je suis le notaire scrupuleux pour préserver la confiance dont ont été empreints les débats. En vertu de l’article 2 de la loi, voté à l’unanimité, « l’État étudiera une contribution climat-énergie qui pèsera sur les énergies fossiles et qui sera compensée de telle manière qu’elle n’affectera pas le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. » Nous nous sommes efforcés de la rendre aussi simple que possible. La conférence de consensus présidée par Michel Rocard, qui apporte à l’action publique l’éclairage des experts, a conclu d’abord que cette contribution était nécessaire ; ensuite, qu’il fallait aller vite ; enfin, que l’important était la progressivité dans le temps. Par ailleurs, il ne fallait pas toucher à la compétitivité des entreprises et accorder aux ménages une sorte d’allocation universelle qui tienne compte des réalités de terrain, notamment de la desserte en transports en commun, dont l’absence oblige les couples à avoir deux voitures.

Nous vous proposons donc qu’une commission composée de parlementaires garantisse que les sommes collectées seront intégralement redistribuées et que l’écologie n’est pas un prétexte pour alourdir les prélèvements obligatoires. Dans un souci de crédibilité, nous commencerons par verser les restitutions sous la forme d’un chèque ou d’une baisse forfaitaire du premier acompte de l’impôt sur le revenu, de façon à ce que les gens se rendent compte que l’on taxe le carbone, et pas les ménages. C’est la raison pour laquelle nous avons écarté l’idée d’un fonds dédié à des actions d’accompagnement en faveur des économies d’énergie. Avec la possibilité d’utiliser l’argent à autre chose, le risque aurait été trop grand de susciter la défiance. La contribution énergie-climat doit être neutre, et elle n’est destinée qu’à nous préparer au pétrole cher qui finira de toute façon par nous rattraper.

M. le président Didier Migaud. Les notaires sont des gens précis. Nous attendons donc plus de détails…

Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi. En voici quelques-uns.

S’agissant du champ d’application, il sera très vaste mais en seront exclues les entreprises éligibles au marché des émissions de CO2, pour ne pas leur infliger une sorte de « double peine »; le transport maritime et aérien, soumis à une réglementation communautaire les exonérant d’accises ; et l’agriculture ainsi que la pêche qui seront assujetties progressivement pour leur laisser le temps de s’adapter. Le transport routier bénéficiera d’un mécanisme particulier et novateur destiné à faire finalement peser la taxe sur les chargeurs. Les routiers paieront donc le supplément de 4,1 centimes par litre, se le feront rembourser comme la TIPP, et le refactureront ensuite aux chargeurs qui régleront l’État. Le dispositif sera le même, que le transporteur soit français ou étranger.

M. Charles de Courson. À condition que le carburant soit acheté sur le sol français.

Mme la ministre. Nous avons imaginé le système le moins pénalisant pour les constructeurs routiers, qui doivent néanmoins être soumis à la taxe puisqu’ils sont à l’origine d’une grande partie des émissions de CO2.

S’agissant du niveau, nous avons retenu un prix moyen, 17 euros par tonne, pour avoir un point de repère. Cela revient à majorer le litre de gazole de 4,52 centimes et celui de super ou d’essence de 4,1 centimes. Il s’agit avant tout d’un signal prix, destiné à évoluer sous l’autorité d’une commission « verte » dans laquelle les parlementaires devraient être nombreux.

Le projet sera inscrit dans le projet de loi de finances que vous examinerez à partir du 15 octobre, après sa présentation en conseil des ministres le 30 septembre, soit une semaine plus tard que d’habitude. Des simulations par catégorie d’entreprises seront disponibles avant la fin de la semaine prochaine. Le mécanisme entrera en vigueur le 1er janvier 2010 et le versement aux ménages prendra la forme soit d’un crédit d’impôt à valoir sur le premier tiers provisionnel, soit d’un chèque vert pour les non-imposables, de façon à prouver que l’État ne prend rien au passage. Le calcul tiendra compte à la fois de la composition de la famille et de la zone d’habitation, selon que la commune bénéficie ou non d’un plan de transport. C’est le critère le moins contestable pour différencier les urbains et les ruraux, même s’il n’est pas parfait.

Le climat n’a pas été retenu comme critère parce que, dans les régions chaudes, on chauffe moins mais on climatise plus.

M. Jérôme Cahuzac. Surtout dans les logements sociaux ! C’est une plaisanterie.

Mme la ministre. L’électricité a été exclue dans la mesure où, sauf en période de pic de consommation, elle est produite sans émettre de CO2, à partir du nucléaire et de l’hydraulique surtout, qui relèvent en outre des quotas.

M. le rapporteur général Gilles Carrez. Comme l’a dit notre président, il faut examiner le dispositif dans ses détails. Il est très important de réussir l’intégration de la taxe carbone dans notre paysage fiscal car ce n’est pas une taxe comme les autres. Elle n’a pas vocation à fournir des ressources pérennes au budget de l’État. Par exemple, en Suède où elle a été introduite en 1991, elle a frappé d’abord les carburants, mais, dans un premier temps, le prix à la pompe n’a pas été modifié grâce à un abaissement de l’équivalent de notre TIPP. Ce n’est que dans un deuxième temps que la taxe a été relevée progressivement pour arriver aujourd'hui à 108 euros par tonne. Nous avons choisi un autre système, celui d’une restitution intégrale aux ménages et d’un allégement concomitant de 8 milliards d’euros de la taxe professionnelle pour les entreprises. Comment envisagez-vous, Monsieur le ministre d’État, l’évolution de cette contribution climat-énergie ? Y aura-t-il des dispositions précises sur ce point dans le texte ou dans l’exposé des motifs ?

En Suède toujours, dès l’origine, l’industrie a été exonérée totalement – même si elle a été rattrapée ensuite par les quotas –, l’agriculture à 75 %, de même que l’industrie forestière. Le débat porte aujourd'hui sur l’opportunité d’aller plus loin dans les exonérations des secteurs non éligibles aux quotas, en particulier l’agriculture. Face aux risques de délocalisation et de perte de compétitivité, la considération économique l’a emporté sur la préoccupation environnementale, même en Suède. Quel sera, madame la ministre, le régime applicable à des secteurs vulnérables comme l’agriculture ou le transport routier ? Quelles modulations faut-il apporter ?

Dans le cadre de la restitution aux ménages, le Gouvernement a choisi un système simple ne retenant que deux critères : la taille de la famille et la zone d’habitation. Je m’attends à voir déposer des dizaines et des dizaines d’amendements pour corriger les imperfections. Jusqu’où êtes-vous prête à aller, madame la ministre, pour prendre en compte les situations particulières ?

M. le président Didier Migaud. Je donne maintenant la parole à nos rapporteurs d’information.

M. Michel Diefenbacher. Je tiens, avant de vous interroger, à souligner la convergence des deux rapporteurs de la mission d’information sur l’intérêt de cette taxe.

Sommes-nous en présence d’une taxe carbone ou d’une contribution climat-énergie ? Il s’agit là d’une question de fond, qui détermine l’assiette. Jean Launay et moi-même sommes plutôt favorables à l’inclusion de l’électricité car il s’agit d’inciter à un changement de comportement. Le chauffage électrique étant dispendieux, il n’est pas certain que l’orientation retenue soit satisfaisante. Ensuite, les pics de consommation sont de plus en plus pointus, et il serait logique de soumettre cette énergie d’origine thermique à la contribution. Enfin, comment inciter les Français à un comportement plus vertueux en excluant la consommation d’électricité ? D’ailleurs, la loi de programme parle bien de contribution « climat-énergie » et non de taxe carbone.

Nous nous interrogeons ensuite sur les conséquences pour la compétitivité de nos entreprises. La taxe carbone créera bel et bien une charge supplémentaire. Le Gouvernement veut éviter la « double peine » en exonérant de la taxe les entreprises relevant des quotas. Or, ils resteront gratuits jusqu’en 2013 et les entreprises assujetties ne supporteront de charge supplémentaire que si elles doivent acheter de nouveaux droits, ce qui est rare car les quotas ont été calculés largement. Peut-on dès lors parler d’un traitement équitable par rapport à celles qui paieront la taxe ? La réforme de la taxe professionnelle va certes alléger les prélèvements sur les entreprises, mais pas forcément sur celles qui seront les plus touchées par la taxe carbone, je pense en particulier à l’agriculture, à la pêche et aux transports. Il existe par ailleurs des professions qui exigent de se déplacer : les VRP, les infirmières libérales, les taxis, les aides à domicile…

Se pose également la question de l’harmonisation européenne. Pour le moment, la règle n’est pas la même dans tous les pays membres. La taxe carbone existe dans les pays scandinaves, en Grande-Bretagne et, dans une certaine mesure, en Allemagne, mais pas en Europe du Sud. Le Gouvernement entend-il prendre une initiative allant dans le sens de la convergence ? Et quelles sont ses chances de succès ?

Nous n’avons pas encore évoqué la taxe aux frontières de l’Union. Est-elle envisageable ? Dans quel délai ?

Je conclus en soulignant l’extrême sensibilité du problème dans nos départements d’outre-mer. N’oublions pas que les événements aux Antilles se sont déclenchés après une augmentation des prix du carburant.

M. Jean Launay. Choisir de fixer pour 2010 le taux de la taxe à 17 ou 32 euros la tonne n’est pas neutre. Comment atteindre l’objectif de 100 euros en 2020 ? On ne peut guère imaginer autre chose qu’une progression linéaire. Une courbe exponentielle signifierait un transfert de la charge environnementale aux générations futures. Demander plus de visibilité se justifie dans le cadre de la programmation pluriannuelle des finances publiques et au regard de notre engagement politique, dit « facteur 4 », de diviser par quatre nos émissions à l’horizon 2050.

S’agissant des compensations aux ménages, pourquoi ne pas les avoir ciblées sur les bas revenus qui, eux, n’ont pas le choix, alors que les ménages aisés choisissent leur mode de vie ? Pourriez-vous détailler davantage le mode de calcul ? Cette compensation sera-t-elle assortie, ou non, de conditions liées à la performance énergétique ? Un effort particulier sera-t-il consenti en faveur des ménages ruraux ? Comment différencier les locataires et les propriétaires ?

Par ailleurs, je crains que les 2 milliards d’euros récupérés sur les entreprises au titre de la contribution climat-énergie ne soient considérés comme une ressource budgétaire classique, au détriment du financement de la transition énergétique. Le signal prix adressé aux entreprises en perdra de sa force.

La France plaidera-t-elle à Copenhague pour une taxe carbone harmonisée au niveau européen ? Quelles sont nos marges de manœuvre face à des pays comme la Chine et l’Inde qui représentaient en 2005 respectivement 18 % et 4,1 % des émissions mondiales de CO2 ?

M. le ministre d'État. L’électricité est un problème, incontestablement, mais, M. Diefenbacher, force est de constater que l’article 2 de la loi parle d’une « taxation des consommations d’énergies fossiles ». Sur le fond, notre choix se justifie aussi par l’existence des quotas pour les industries électriques qui sont au cœur du paquet climat énergie européen. Enfin, on se bat tous pour la voiture électrique décarbonée, pour le photovoltaïque. L’idée de base, c’est l’énergie renouvelable au coin de la rue à laquelle je crois beaucoup. Ayant été ministre du logement, je connais le problème des pointes et des convecteurs. Il sera traité de manière ciblée, au moyen d’une part d’une réforme de la tarification EDF des heures de pointe, et d’autre part grâce à un plan pour l’habitat collectif que le Gouvernement annoncera dans le cadre du congrès de l’Union sociale pour l’habitat.

S’agissant de la tarification des routiers, ma collègue Christine Lagarde lèvera le malentendu.

Oui, nous défendons une extension de la taxe au niveau européen. Elle est inévitable, c’est le sens de l’histoire. Nous défendons également le mécanisme d’inclusion carbone, autrement dit la taxe aux frontières, qui incorpore le coût des quotas d’émission dans le prix des produits en provenance de pays qui n’auraient pas adhéré à des traités internationaux. Mais il ne s’agit pas d’une taxe contre eux. Les Britanniques qui, en Europe, étaient les plus réticents avec les Suédois, viennent de changer d’avis. Nous devrions donc parvenir à un accord.

Oui aussi à la progressivité qui est le vrai sujet – pas le taux. C’est elle qui constitue le signal prix qui sera diffusé pour les vingt ou trente ans à venir. Rien n’est parfait mais, surtout, il faut en rester aux idées simples. Les personnes aisées consommant beaucoup plus – les chiffres le prouvent – que la moyenne, il y aura une redistribution incidente et ceux qui sont en dessous de la moyenne y gagneront dans un premier temps. L’objectif, c’est de changer les comportements.

S’agissant de la conditionnalité de la restitution, nous l’avons exclue, pour écarter la tentation de tricher. Le financement des trams ou des économies d’énergie par le biais de fonds relève du droit commun. Entreront en considération deux paramètres, familial et territorial.

Mme la ministre. Évitons de faire fausse route. Le cœur de cette réforme importante, c’est le signal prix. Mais elle nous fournit aussi l’occasion de redessiner le paysage fiscal par un transfert d’assiette en allégeant la charge qui pèse sur le travail et l’investissement, et en pénalisant la consommation de carbone, afin d’inciter nos compatriotes à des comportements plus vertueux.

À propos des allégements et des compensations, la commission Rocard nous a mis en garde contre un « gruyère fiscal », la multiplication des exceptions risquant de vider le mécanisme de sa substance. Cela étant, des aménagements ne sont pas exclus. Mais il faut veiller à conserver la position la plus cohérente possible.

Quant à la taxe aux frontières, c’est un chapitre essentiel du projet. Être vertueux chez soi, c’est bien, harmoniser, c’est mieux. Le Président de la République est un ardent défenseur de la mise en place d’une taxation aux frontières, que devrait faciliter une lecture attentive du rapport de l’OMC publié au mois de juillet. Et le président américain vient de prendre des mesures à l’encontre des camions mexicains et des produits chinois fabriqués sans considération du réchauffement climatique. Nous aurions tort de nous priver de la possibilité d’instituer une telle taxe aux frontières de l’Union.

L’impact sur la compétitivité des entreprises a été appréhendé par grandes masses, et non secteur par secteur. En tout état de cause, les entreprises seront gagnantes avec la suppression de la taxe professionnelle sur les biens et équipements mobiliers, de l’ordre de 5 milliards d’euros nets d’impôt sur les sociétés, la taxe carbone devant rapporter 3 milliards d’euros hors taxes. Nous avons porté une attention particulière à des branches qui pourraient y perdre, comme le secteur financier. En 2010, il est prévu de rembourser au secteur primaire 75 % de la taxe carbone, en étalant la progressivité qui reste à cadencer. S’agissant des transports routiers, si le transporteur s’approvisionne en France, il paiera la taxe carbone, se la fera rembourser et la refacturera au chargeur. Celui qui aura fait le plein de l’autre côté de la frontière ne paiera pas la taxe carbone, mais il ne se la fera pas rembourser non plus.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Deux précisions. Premièrement, la Suède avait à l’origine exclu l’électricité du champ de la taxe, notamment les biocombustibles. Deuxièmement, pour inciter aux économies d’énergie, il existe, à côté de la tarification heures creuses-heures pleines, le mécanisme des certificats d’économie d’énergie sur lesquels il faudrait mettre l’accent. La Suède est en passe de nous rattraper puisqu’elle prévoit qu’en 2015, les entreprises paieront 60 % de la taxe carbone.

Venons-en à la dimension sociale de la taxe. Une analyse par décile de la population des dépenses de chauffage et de carburant montre que le chèque vert reçu en février profitera aux sept ou huit premiers déciles dans les milieux ruraux, et aux cinq premiers en zone urbaine. Même si ce n’est pas l’objectif visé, la taxe aura un effet redistributif. La Suède n’avait pas pris en compte cet aspect dans sa taxation car elle assigne la fonction de redistribution à d’autres outils, comme l’impôt sur le revenu.

M. le président Didier Migaud. Le problème, c’est que, chez nous, il ne remplit plus ce rôle !

M. Marc Le Fur. Cinq observations. D’abord, la comparaison entre le bonus-malus automobile et la taxe carbone ne me paraît pas très pertinente dans la mesure où le premier intervient dans une décision d’achat alors que la seconde frappe des éléments difficilement modifiables à court terme : la distance domicile-travail, la présence ou non de transports collectifs…

Deuxièmement, la taxe sera mise en place à un moment où le prix à la pompe ne sera pas excessif. S’il devait augmenter sensiblement, je mets en garde mes collègues contre les réactions de l’opinion.

Troisièmement, on distingue les grandes entreprises, qui seront soumises au marché des quotas, un système autrement plus intelligent, soit dit en passant ; et les autres relevant du droit commun. Pourquoi ce qui est bon pour les grandes entreprises ne le serait-il pas pour de plus petites ?

Quatrièmement, la taxe transport obéit à la même logique que la taxe carbone. Quel est l’intérêt de combiner les deux pour les entreprises de transport et de leur infliger une sorte de double peine ? Vous ne me rassurez pas, madame la ministre, en disant que l’affréteur paiera puisque, de toute façon, ce seront les produits transportés qui seront plus chers, en particulier ceux qui viendront des régions éloignées des centres de consommation et qui ne sont desservies que par camion.

Cinquièmement, le chauffage est payé par les locataires, mais ils n’ont aucune prise sur la décision du mode de chauffage qui revient aux propriétaires. Que proposez-vous ?

M. Jérôme Cahuzac. Cette taxe supplémentaire, qui a vocation à modifier les comportements, soulève deux questions. M. Borloo a dit que peu importait son niveau pourvu qu’elle soit progressive. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, qu’en pensez-vous ? Plus important et plus grave, autant on peut espérer modifier le comportement des particuliers, autant votre présentation de la réforme montre qu’il est inutile d’en attendre autant des entreprises puisqu’elles n’auront aucune incitation, 2 milliards d’euros ne servant qu’à boucher une partie du trou creusé par la réforme de la taxe professionnelle.

Les modalités de restitution aux ménages sont sujettes à caution. Vous avez exclu des critères les revenus pour ne retenir que la famille et la localisation géographique. Or il existe des communes étendues, notamment en zone rurbaine, dont une partie est desservie par les transports collectifs, et l’autre pas. Comment seront-elles classées ? Jusqu’où affinerez-vous la segmentation ? Appliquer un même régime serait profondément injuste. Le climat non plus n’a pas été pris en compte au motif que, dans le Nord, on se chauffe et que, dans le Sud, on climatise. Mais dans le premier cas on utilise souvent du fioul et, dans le second, exclusivement de l’électricité qui échappe à la taxe. Il n’y a donc pas d’équité.

Enfin, il semble qu’il y ait une niche fiscale pour ceux qui se chauffent au gaz. Si tel est le cas, qu’envisagez-vous ? Pour pouvoir baisser la TVA sur la restauration, le Gouvernement s’est engagé à renoncer à toute baisse de TVA sur les produits écologiques. À la lumière des résultats obtenus, estimez-vous ce choix judicieux ?

M. Charles de Courson. Le Gouvernement déclare s’être inspiré du bonus-malus dans la conception de cette taxe. On pourrait le suivre, à quelques réserves près, pour les ménages, mais certainement pas pour les entreprises puisqu’il n’existe aucun lien entre la réduction de taxe professionnelle et la taxe carbone. En s’inspirant d’exemples étrangers, il aurait été possible de subordonner le remboursement aux entreprises de la taxe carbone à la signature de conventions, au niveau de la branche ou de l’entreprise, pour modifier les comportements. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?

Le dispositif prévu handicape considérablement la compétitivité de certaines branches. À 17 euros la tonne, le prélèvement représente pour le transport routier 1 % du chiffre d’affaires, soit le résultat net de l’ensemble de la branche. Un tiers de l’activité du transport routier provient de l’international, contre 55 % ou 60 % il y a vingt ans, et cette part va s’effondrer. La situation des entreprises françaises et étrangères ne sera absolument pas équivalente parce que les Polonais, les Portugais, qui sont les plus performants, se sont équipés de super-réservoirs qui leur permettent de traverser la France sans s’approvisionner. La « répercutabilité » est un concept juridique mais pas économique. De toute façon, les chargeurs pourront s’adresser à des Polonais ou à des Tchèques.

Incidemment, êtes-vous si sûre, madame la ministre, que la convention de Chicago interdit d’instaurer la taxe carbone sur le transport aérien ?... Non. L’idéal serait tout de même un système international. Vous avez évoqué le transport maritime. Mais quid du transport fluvial ? Et des transports ferroviaires qui consomment beaucoup de carburants fossiles ? Toutes les lignes ne sont pas électrifiées, celles qui servent au fret notamment.

Cette taxe respecte-t-elle le principe constitutionnel d’égalité entre redevables et non-redevables ? Entre les entreprises sous quotas et les autres, même si le taux initial que vous avez retenu est cohérent avec le prix des quotas d’émission, encore qu’ils soient gratuits pour le moment ? Le problème, qui a d’ailleurs été soulevé dans le rapport Rocard, ne fera que croître et embellir au fur et à mesure que la taxe augmentera et s’écartera des prix de marché. Êtes-vous sûre aussi que les exonérations de tel ou tel secteur pourront se justifier ? Le cabotage peut-il être exonéré quand, sur un trajet comparable, le transport routier ne l’est pas ?

Enfin, sur les produits auxquels elle s’applique, cette taxe revient à une majoration de TIPP dont le niveau est, selon les pays européens, extraordinairement varié, et particulièrement élevé en France. Ne commet-on pas une énorme faute de raisonnement en s’abstenant d’additionner les deux taxes dans nos comparaisons avec nos partenaires ? Où est la cohérence européenne ? La taxe carbone est-elle compatible avec le droit communautaire ?

M. Jean-Pierre Brard. Je m’inquiète de notre calendrier de travail. Comment étudier des réformes extrêmement complexes que vous improvisez, au moins en partie, parce qu’il a été décidé ailleurs de passer à la vitesse supérieure, et au forceps le cas échéant ? Il ne suffit pas d’y aller à l’esbroufe, les questions de nos collègues le montrent. Vous avez plus d’une semaine de retard sur le calendrier usuel, madame la ministre, puisqu’il est arrivé que le projet de loi de finances soit présenté en conseil des ministres le 15 septembre. En dehors de toute polémique, la discussion sera longue parce que le sujet est compliqué. Vous allez assister à un déluge d’amendements. Comment allons-nous nous en sortir ?

Sous un égalitarisme de façade, en ignorant les réalités, vous allez promouvoir de graves inégalités. Et, madame la secrétaire d’État, je vous invite à venir expliquer vos déciles aux familles qui habitent les HLM de Montreuil. Prévoyez un certain temps et venez avec votre décodeur ! Déjà, vous avez perdu la bataille de l’opinion. Votre système crée l’inégalité sous prétexte de simplicité. Vous avez vu où la simplification pouvait mener… L’exemple suédois, vous avez eu raison de le mettre en avant, madame la secrétaire d’État. Là-bas, on corrige avec l’impôt sur le revenu ! En France, on fait l’inverse.

Par ailleurs, le tout électrique mène à la catastrophe. Or, EDF, qui réalise des profits substantiels, lesquels vont encore grossir avec les hausses de tarif que vous avez autorisées, a beaucoup poussé en ce sens. À ce titre, elle devrait être mise à contribution en tant que telle même si ce n’est pas simple.

Sur un même territoire, les inégalités existent, par exemple entre un Parisien qui habite à la station de métro Châtelet et un habitant de Meaux. Vous n’allez pas les corriger, au contraire. Et ce sera comme la TVA : plus on sera pauvre, plus on sera taxé.

M. Nicolas Perruchot. L’exemple suédois est intéressant puisque ce dispositif a été mis en place en 1991 et que nous disposons d’un certain recul : la taxe s’y élevait initialement à 30 euros ; elle est aujourd’hui de 108 euros pour les ménages et de 23 euros pour les entreprises. Telle que vous l’avez élaborée chez nous, ne constitue-t-elle donc pas une nouvelle imposition pour les ménages que la progressivité, d’ailleurs, ne manquera pas de pénaliser ?

En outre, le système des quotas ayant fait ses preuves pour faire changer le comportement des grandes entreprises, sa généralisation aux PME et aux TPE ne serait-elle pas à la fois plus simple et plus efficace ?

S’agissant de l’électricité, je suis d’autant plus à l’aise pour m’associer aux propos de M. Brard que dans ma bonne ville de Blois, les bailleurs sociaux ont prévu d’installer le « tout électrique » dans l’ensemble des programmes immobiliers des zones à urbaniser en priorité – les ZUP. Nos débats permettront-ils de changer cette situation ?

Enfin, si nous avons l’ambition de modifier les comportements des Français, le Gouvernement changera-t-il quant à lui son comportement à l’endroit des amendements des parlementaires dans le cadre de l’examen du PLF pour 2010 ? Il faut bien le dire : en commission, nous ne parvenons à faire varier la masse budgétaire que de façon infinitésimale. J’espère qu’en séance il n’en sera pas de même et qu’un travail conjoint entre les pouvoirs législatif et exécutif portera ses fruits.

M. François de Rugy. J’entends dire trop souvent que l’opposition n’a pas de projet. Or, dès le mois de mai, j’ai déposé avec trois autres collègues une proposition de loi sur la contribution climat-énergie dans laquelle nous avons défendu l’idée d’une assiette plus large incluant l’électricité : en effet, les pires ennemis de la taxe carbone sont les exemptions, les exonérations, les exceptions : en l’occurrence, l’exclusion de l’électricité, comme l’a dit M. Diefenbacher, est très grave. En effet, contrairement à de ce que prétend M. Borloo, votre objectif n’est pas de tendre vers la sobriété énergétique mais vers le tout électrique – son plaidoyer pour le passage à la voiture électrique, de ce point de vue, m’a effrayé. J’ajoute que les locataires ne pourront pas, eux, changer de comportement, le propriétaire ou le bailleur leur transférant les charges, ce qui ne fera qu’aggraver la situation sociale.

S’agissant de la redistribution, la délimitation entre ruraux et urbains est on ne peut plus floue : je suis moi-même élu d’une communauté urbaine dans laquelle des ruraux habitent dans des hameaux que les transports en commun ne desservent pas. Qu’en sera-t-il pour eux ? Et quid des personnes qui habitent en ville dans un périmètre desservi par des transports en commun mais qui travaillent à la campagne ? Combien de chômeurs, en effet, décrochent des emplois à temps partiel – cueillette des fruits et légumes, services à la personne ?

Enfin, sans vouloir particulièrement défendre les Parisiens, il serait possible de gloser à l’infini sur ceux qui bénéficient ou non de l’éco-prêt à taux zéro ou du crédit d’impôt pour les énergies renouvelables : ne vivent-ils pas plus souvent dans les zones rurales qu’en ville ou en zone pavillonnaire ? In fine, le critère du revenu aurait été beaucoup plus juste que celui du lieu de résidence.

M. Pierre-Alain Muet. L’efficacité de la taxe carbone repose essentiellement sur son montant. Or, selon les experts, le respect du facteur 4 implique un montant de 100 euros en 2030. Pour ce faire, il devrait être aujourd’hui de 45 euros environ, la « commission Rocard » ayant quant à elle proposé un minimum de 32 euros. Le Président de la République a commis une série d’erreurs en ne la suivant pas, en se fondant sur le prix moyen des quotas d’émission et en refusant de taxer les entreprises soumises à ce régime. Nous savons que le marché des quotas ne reflète en rien les objectifs de la société quant à la réduction des gaz à effet de serre (GES). Si l’on avait voulu qu’il en soit autrement, il aurait fallu instituer un prix plancher et taxer les entreprises sous quota de manière différentielle – 32 euros moins 17 par exemple. De surcroît, le système des quotas n’est pas efficace dès lors qu’il ne permet pas de taxer les stocks accumulés de pollution. Une taxe dite écologique fondée sur le marché – quand elle devrait plutôt l’orienter – ne joue pas son rôle.

Par ailleurs, la mise en place d’une véritable taxe implique une réforme fiscale digne de ce nom comme l’ont faite en leur temps les Suédois. Je cite le rapport Rocard : « N’aurions-nous pas beaucoup à gagner à repenser profondément nos prélèvements obligatoires plutôt que de traiter séparément une partie des problèmes posés par le climat ? » Outre que notre système fiscal a longtemps ignoré l’écologie, il est profondément injuste ; sa réforme permettrait de mettre en place une compensation très importante pour les ménages les plus modestes quand, pour les entreprises, la taxe est plus que compensée par la disparition de la taxe professionnelle. A ce propos, qu’en sera-t-il pour les collectivités territoriales ?

Enfin, la non-application de la taxe au transport aérien constitue une aberration même si cela relève de l’Union européenne.

Mme la ministre. L’Europe, précisément, doit montrer la voie comme nous nous y employons, y compris au sein du G20. Les Suédois, cela a été dit, ont ouvert la route et Mme Merkel a jugé positivement la taxe carbone.

S’agissant de la détermination du prix, le rapport Quinet – sur lequel s’est appuyée la « commission Rocard » – préconisait en effet un seuil de 32 euros. En ce qui concerne le signal prix, la somme la plus élevée aurait été bien entendu la meilleure, mais changer les comportements implique de tenir compte d’un seuil d’acceptabilité, raison pour laquelle nous avons choisi 17 euros. Je souhaite, en tout cas, que nous reconnaissions tous le bien-fondé du signal prix dont le rapport Stiglitz souligne également la vertu citoyenne. J’ajoute que l’établissement de signaux de prix différents ouvre la porte à des écarts qui, immanquablement, suscitent un risque de spéculation – d’où la nécessité de se situer au plus près du marché, même si ce n’est pas l’idéal. Enfin, le texte établira le principe de la progressivité de la taxe dans le temps ainsi que les objectifs à atteindre.

Concernant les transports, M. Le Fur, mon exemple était sans doute imparfait mais je vous confirme, ainsi qu’à M. de Courson, que le chargeur paiera, quoi qu’il arrive, la contrepartie de la taxe carbone : il recevra donc du transporteur français l’information sur ce que ce dernier aura dû payer de même qu’il connaîtra le kilométrage parcouru par le transporteur qui n’aura pas fait le plein de gazole sur notre territoire.

M. Charles de Courson. Rien n’oblige à choisir un chargeur français.

Mme la ministre. Par exemple, La Redoute, établie à Roubaix, paiera la taxe carbone dans tous les cas de figure, qu’elle utilise un transporteur qui aurait fait le plein en Belgique ou en France.

M. Charles de Courson. Comment ?

Mme la ministre. L’entreprise devra faire une déclaration indiquant le kilométrage réalisé sur le territoire français ou fournir la facture de la taxe carbone donnée par le transporteur.

M. Marc Le Fur. Il s’agit donc bien d’une taxe transport bis.

Mme la ministre. Je propose que le directeur adjoint de mon cabinet vous apporte les précisions techniques.

M. Yohann Bénard, directeur adjoint du cabinet de Mme la ministre. Il ne faut pas confondre la taxe kilométrique sur les poids lourds, répercutée en « pied de facture », avec la charge qui pèse sur les chargeurs français, qu’ils aient recours à un transporteur polonais, allemand ou portugais par exemple. Le transporteur étranger ne bénéficiera donc d’aucun avantage comparatif par rapport au transporteur français, de même que le transporteur qui fait le plein à l’étranger par rapport à celui qui le fait en France. J’ajoute qu’aucune obligation déclarative n’est créée puisque la distance parcourue est connue.

M. Charles de Courson. Admettons que je possède une entreprise dans la Marne et que j’exporte des marchandises à Berlin. Si je fais appel à un transporteur allemand, belge ou luxembourgeois, comment la taxe carbone sera-t-elle perçue alors qu’un transporteur français, lui, ferait le plein en France et me demanderait immanquablement de la répercuter ?

M. le directeur adjoint. Le chargeur français paiera la taxe au titre de la partie du transport effectuée en France, qu’elle le soit par un transporteur belge ou portugais.

M. Charles de Courson. Comment envisagez-vous de procéder dans le domaine des importations où le coût du transport est intégré dans le prix de la marchandise ?

M. le directeur adjoint. Le transporteur étranger vous facturera ses services, en tant que chargeur français. Rappelons que le terme « chargeur », qui peut prêter à confusion, équivaut à « affréteur » ou « donneur d’ordre ».

M. Charles de Courson. Mais je ne connais pas le coût des services !

M. le directeur adjoint. Vous connaîtrez forcément le kilométrage parcouru.

M. Charles de Courson. Admettons que je fasse livrer de Berlin des machines outils port inclus, comment déterminer le coût du transport ? La rupture d’égalité est flagrante !

M. le directeur adjoint. La distance de transport figurera sur la « lettre de voiture », laquelle servira de base à la taxation.

M. Charles de Courson. Calculer la distance entre Berlin et mon entreprise et estimer une consommation moyenne relève, c’est le cas de le dire, de l’usine à gaz !

M. Marc Le Fur. Autant organiser un transport aérien !

Mme la ministre. Outre que nous continuerons de réfléchir tous ensemble à ces questions fort complexes, je suis très sensible à votre travail pour améliorer ce projet : croyez bien que le Gouvernement restera à votre écoute.

Les entreprises, M. Cahuzac, accèderont à une forme de bonus : à l’instar des ménages, elles pourront tendre à une réduction de leur consommation de carbone en changeant leurs comportements et bénéficier ainsi de ce que j’appelle « le super-bonus ». Par ailleurs, l’exonération de taxe professionnelle des biens et équipements immobiliers favorisera leurs investissements.

M. Charles de Courson. Le conventionnement constituerait une bonne solution.

Mme la ministre. Mme la secrétaire d’État vous répondra sur ce point.

M. de Rugy a eu raison d’insister sur l’inégalité entre urbains et ruraux ainsi que sur la difficile distinction des zones. C’est précisément pour cette raison que nous avons retenu le principe des périmètres de transports urbains (PTU) – critère qui nous a semblé le moins imparfait –, lequel s’applique à des villes et à des communes entières.

M. Jérôme Cahuzac. Toute la commune doit-elle être desservie par les transports urbains ou bien une partie seulement ?

Mme la ministre. Les PTU s’appliquent sur une base communale, non sur des parcelles de communes.

M. Jérôme Cahuzac. Les réseaux de transport en commun ne desservent parfois qu’une partie de la commune !

M. Charles de Courson. Quid des personnes qui quittent leur travail dans la nuit alors qu’il n’y a plus de transports en commun ? Les femmes qui finissent de travailler à onze heures ou minuit seront-elles obligées de prendre ce type de transports ?

Mme la ministre. Nous réfléchirons ensemble à ces questions.

S’agissant par ailleurs de la constitutionnalité du texte, nous avons réalisé un certain nombre de consultations et d’études ; j’espère, en particulier, que le projet est conforme au principe d’égalité devant l’impôt, de même qu’il l’est au droit communautaire.

Enfin, convention de Chicago ou pas, la directive communautaire de 2003 exclut les transports aérien ou maritime du principe des accises.

Mme la secrétaire d’État. Sans investissement lourd, il est possible de réduire notre consommation d’énergie de 15 % à 20 % en modifiant par exemple l’utilisation du chauffage : un degré de moins représente 7 % d’économie d’énergie.

Nous avons par ailleurs souhaité l’installation d’une « commission verte » comprenant des parlementaires, des représentants d’ONG ainsi que les partenaires sociaux afin d’évaluer et d’adapter la progressivité de la taxe en cas d’évolution importante du prix de l’essence à la pompe.

A ce jour, 1 100 établissements, représentant 80 % des émissions de gaz à effet de serre, sont sous le régime des quotas. Les autres émissions, dites de « diffus », doivent quant à elles baisser de 14 % d’ici 2020, mais cela suppose de déterminer le bon niveau de quotas d’origine et de prendre en compte la forte volatilité de ce marché, laquelle est moins supportable pour des PME et des TPE.

Nous estimons que les évolutions de prix de la tonne de CO2 seront comprises entre 18 et 24 euros jusqu’à 2010 et proche de 32 euros en 2012. A partir de 2013, aucun quota ne sera gratuit et un système d’enchères sera mis en place, le système devenant ainsi beaucoup plus juste.

M. Charles de Courson. Jusqu’en 2013, la rupture d’égalité est patente.

Mme la secrétaire d’État. Elle l’est tout autant aujourd’hui entre les secteurs relevant du marché de quotas, dit « ETS » –prévu par la directive Emission trading scheme – et les autres.

M. Charles de Courson. Il est toujours possible de se protéger au regard du droit communautaire.

Mme la secrétaire d’État. Plusieurs pays européens appliquent la taxe carbone sans qu’il y ait rupture d’égalité : elle s’élève à 20 euros au Danemark, entre 30 et 50 euros en Finlande, 10 et 40 euros en Norvège, 17 et 34 euros au Royaume-Uni. Je note par ailleurs que la Suède, progressivement, dispense les secteurs soumis au marché ETS de la taxe carbone.

M. le président Didier Migaud. La Suède assume le fait qu’il s’agit là d’un impôt pour les ménages.

Mme la secrétaire d’État. En effet.

M. le rapporteur général. Le taux de TVA s’élève tout de même à 25 %.

Mme la secrétaire d’État. De plus, les Suédois n’ont pas déterminé de critères sociaux.

M. le président Didier Migaud. Leur système fiscal diffère également du nôtre.

M. le rapporteur général. Et l’impôt sur le revenu y est très progressif.

Mme la secrétaire d’État. Si la TIPP française est en effet plus élevée que la moyenne européenne, notre fiscalité énergétique – notamment en raison d’exonérations sur le charbon, le fuel lourd et le gaz – est globalement plus basse puisque nous nous situons au vingt-et-unième rang européen.

M. Charles de Courson. En ce qui concerne le gaz, nous continuons à financer une politique visant à développer l’exploitation du gaz de Lacq alors qu’il n’y en a plus.

Par ailleurs, on peut vous reprocher de ne pas avoir différencié le taux de la taxe carbone par rapport au taux de TIPP sur le gaz et le charbon. Avez-vous réalisé des simulations afin de réduire cet écart ?

Mme la secrétaire d’État. Elles figurent dans le Livre blanc avec les hypothèses de taxe additionnelle et différentielle, l’application de cette dernière étant très délicate.

M. Charles de Courson. Pourquoi ?

Mme la secrétaire d’État. Non seulement cela ne donnerait pas un bon signal aux consommateurs mais elle est quasiment inapplicable en raison de sa complexité.

Le secteur aérien échappe quant à lui à la taxe carbone et au marché ETS en vertu de la convention de Chicago.

M. le président Didier Migaud. Si le président Chirac avait réussi à mettre en place une taxe spécifique sur les billets d’avion, il serait possible de taxer davantage ce secteur.

Mme la secrétaire d’État. En tout état de cause, le système des quotas, qui en l’occurrence sera payant à partir de 2013, pourra inclure l’ensemble des vols internationaux.

En ce qui concerne les transports fluviaux, aucun système de compensation n’est en revanche prévu malgré les importants problèmes de pollution qui se posent. Le fret ferroviaire, quant à lui, bénéficiera du plan d’investissement de 7 milliards d’euros, afin notamment de remettre à niveau le matériel roulant.

Par ailleurs, les normes de construction à l’horizon de 2012 dites de « basses consommations » – 50 kWh par m² et par an – permettront aux locataires de n’utiliser l’électricité que comme chauffage d’appoint.

M. Jérôme Cahuzac. Qu’en est-il de ceux qui ne vivront pas dans ce type de logement ?

Mme la secrétaire d’État. Il est vrai que le chauffage électrique est présent dans 70 % des constructions mais, dans ce cas-là, il existe des dispositifs d’incitation à la rénovation même si les ménages souffrent aujourd’hui du prix erratique de l’électricité : pour le premier décile de revenus, la dépense est passée de 10 % à 15 % des revenus entre 2001 et 2006.

M. Charles de Courson. Comme l’a fait valoir M. de Rugy, en tant que propriétaire, il est toujours possible d’investir dans les économies d’énergie mais tel n’est pas le cas d’un locataire qui verra la taxe répercutée dans ses charges. De quelle marge de manoeuvre dispose-t-il ? Il est piégé !

Mme la secrétaire d’État. L’éco-prêt à taux zéro a été étendu aux propriétaires, avec une dotation de 1,2 milliard d’euros et des prêts à taux super-bonifiés, et nous avons mis en place un plan important de rénovation des HLM, en particulier pour les 100 000 logements sociaux les plus dégradés. La « loi Boutin » du 25 mars 2009 a également créé un dispositif d’incitation à la réalisation de travaux. Quoi qu’il en soit, il est vrai que les marges de manœuvre des locataires demeurent étroites.

Outre que tous les pays n’utilisent pas le principe du conventionnement pour les entreprises, nous ne nous situerions plus dans la logique d’un transfert de fiscalité des investissements productifs aux activités polluantes. Il est certes toujours possible d’en parler mais il faudrait mettre en place un encadrement très contrôlé.

M. Charles de Courson. C’est l’État qui en serait le garant.

Mme la secrétaire d’État. Nous n’y sommes guère favorables.

M. Charles de Courson. Vous ne pourrez pas expliquer longtemps aux transporteurs routiers qu’ils doivent payer la taxe alors que le transport aérien, responsable de 3 % des gaz à effet de serre, en est exonéré.

Mme la secrétaire d’État. Le transport aérien ne sera pas exonéré puisqu’il passera dans le secteur ETS.

M. Charles de Courson. Parlons-en en 2013 et, d’ici là, exonérez les transporteurs routiers !

Mme la secrétaire d’État. Le transfert modal entre les secteurs routier et aérien est très faible.

M. Charles de Courson. Tel n’est pas le cas avec le secteur maritime.

Mme la secrétaire d’État. Cela dit, il est toujours possible de trouver un système transitoire pour le secteur aérien.

Quoi qu’il en soit, nous devons en revenir aux fondamentaux et si l’on exclut de la taxe carbone le secteur du transport, autant ne rien faire ! Il faut garder à l’esprit l’objectif de cette réforme.

M. le président Didier Migaud. Je vous remercie.

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