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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Jeudi 13 décembre 2007

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 27

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Présentation du premier rapport de la mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale concernant les personnes majeures (M. Étienne Blanc, rapporteur)

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Étienne Blanc, les conclusions du premier rapport de la mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale concernant les personnes majeures.

M. Étienne Blanc, rapporteur, a tout d’abord rappelé que la mission d’information a été créée le 25 juillet dernier par la commission des Lois, qui a souhaité faire de l’exécution des décisions de justice pénale l’une de ses priorités pour la durée de la législature. Partant du diagnostic que l’inexécution ou l’exécution tardive des décisions de justice décrédibilise le système judiciaire, la mission s’est efforcée de rechercher les points de blocage qui aboutissent à cette situation.

Le rapporteur a indiqué que, dans le cadre de ses travaux, la mission avait procédé à 25 auditions, 10 déplacements dans des juridictions et 6 déplacements dans des établissements pénitentiaires, et a adressé ses remerciements les plus chaleureux à l’ensemble des personnes entendues lors de ces auditions et déplacements, ainsi qu’aux membres de la mission qui ont activement participé à ses travaux.

Le rapport présenté contient 49 propositions, articulées autour de cinq axes principaux.

Le premier axe sur lequel la mission a souhaité insister est la nécessité de reconnaître l’importance de l’exécution des décisions de justice pénale. La mission a déploré que les statistiques disponibles en la matière soient insuffisamment précises et demande donc que le ministère de la justice modifie ses indicateurs pour permettre de connaître, pour toutes les peines existantes, l’état précis de leur exécution. En outre, elle demande la création d’un code de l’exécution des peines, qui permettrait de donner une meilleure lisibilité à ce droit aujourd’hui disséminé dans des textes différents.

Le deuxième axe sur lequel la mission a travaillé est la nécessité de trouver des solutions aux difficultés posées par les jugements contradictoires à signifier. Ces jugements sont généralement exécutés plus tard et plus mal que les jugements contradictoires, car si une peine d’emprisonnement a été prononcée, elle ne pourra être exécutée qu’après signification à personne par un huissier, ce qui dans nombre de cas s’avère extrêmement difficile. Les personnes absentes à l’audience et condamnées profitent de l’inefficacité du système, en sachant que, lorsqu’elles ont été absentes à l’audience, elles ont de bonnes chances d’échapper à l’exécution de la décision.

La piste un temps envisagée par la mission de l’élection de domicile n’ayant pu être retenue, en raison de l’exigence européenne de signification à personne, la mission a formulé trois propositions principales : tout d’abord, elle propose une mesure destinée à tarir la source des jugements contradictoires à signifier, en encourageant la présence des prévenus à l’audience qui seront informés que, s’ils sont absents, le droit fixe de procédure dont ils sont redevables en cas de condamnation sera majoré de 90 à 180 euros. Ensuite, il est proposé d’imposer un délai maximal de 45 jours aux huissiers de justice pour procéder à la signification, au-delà duquel la signification sera faite par la police ou la gendarmerie. Enfin, la mission demande que soit supprimée l’obligation pour les parquets de transmettre leur demande de signification au parquet du domicile de la personne condamnée.

Le troisième axe des travaux de la mission réside dans la recherche d’une amélioration de l’efficacité de la chaîne pénale. La mission n’a pu que constater l’obsolescence du matériel informatique utilisé dans les juridictions et l’absence de communication entre les applications des différents acteurs de la chaîne pénale. Le projet Cassiopée est en marche, il devra être entré en service dans tous les tribunaux de province avant la fin de l’année 2009. La mission d’information veillera à ce que ce calendrier soit tenu, à ce que les juridictions franciliennes soient également intégrées à Cassiopée au printemps 2010, mais aussi à ce que Cassiopée soit amélioré pour permettre la mise en place du dossier judiciaire unique, partagé par tous les intervenants de la chaîne pénale, avant la fin de l’année 2009.

Le quatrième axe suivi par la mission a résidé dans la recherche de moyens pour améliorer la mise à exécution des décisions. Tout d’abord, la mission estime indispensable que le droit de la victime à obtenir le paiement des dommages-intérêts prononcés devienne enfin effectif. Elle demande donc que le futur service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions, dont la garde des sceaux a annoncé la création, soit systématiquement saisi si la victime le demande, et que la victime reçoive une avance forfaitaire dont le montant maximal sera de 3 000 euros. Le Fonds de garantie, qui dispose d’un réel savoir-faire en matière de recouvrement, sera le partenaire idéal pour accompagner cette démarche nécessaire à l’amélioration des droits des victimes. En outre, dans le cas particulier des destructions volontaires de véhicules, notamment par incendie, la mission demande que les conditions d’indemnisation par la commission d’indemnisation des victimes d’infractions soient assouplies : le plafond de ressources que la victime ne doit pas dépasser, actuellement fixé à 1 200 euros par mois, devra être doublé et le plafond de l’indemnisation porté de 3 600 euros à 5 000 euros.

En ce qui concerne les bureaux de l’exécution des peines, la mission souligne le rôle considérable que leur création a joué dans l’amélioration récente de la situation de l’exécution des peines, et demande en conséquence leur généralisation, non seulement aux six tribunaux qui n’en ont pas encore, mais aussi à toutes les audiences de tous les tribunaux. La mission propose également que l’efficacité des BEX soit améliorée, notamment en leur permettant de percevoir le paiement d’amendes en espèces et en leur donnant un accès direct au Fichier national des permis de conduire.

En matière d’exécution des peines d’emprisonnement, la mission propose plusieurs mesures destinées à encourager l’enseignement, la formation et le travail, notamment en permettant l’ouverture d’ateliers par des entreprises d’insertion.

Le cinquième et dernier axe de réflexion de la mission a porté sur la nécessité de favoriser le développement des aménagements de peine. En effet, la mission a pu constater l’efficacité des aménagements de peine et des peines alternatives à l’emprisonnement en termes de prévention de la récidive, raison pour laquelle elle propose plusieurs mesures destinées à encourager leur développement. Tout d’abord, la mission estime nécessaire que soit poursuivie l’évolution engagée dans la répartition des rôles des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et des juges de l’application des peines (JAP), en donnant aux SPIP la faculté de décider, sauf opposition du JAP, les modifications d’aménagements, le lieu d’affectation d’un travail d’intérêt général (TIG) et le renouvellement de permissions de sortir. Ensuite, la mission considère que le nombre de places de semi-liberté doit être adapté aux besoins locaux et que les centres pour peines aménagées, qui permettent la préparation dans de bonnes conditions de projets sérieux de sortie de prison, soient développés. Elle propose également de permettre que soient exécutées sous le régime de la semi-liberté ou du placement sous surveillance électronique les peines comprises entre 1 et 2 ans d’emprisonnement, le seuil maximal étant actuellement fixé à 1 an. Elle estime en outre que la procédure d’aménagement de peine pour les courtes peines d’emprisonnement d’une durée inférieure à 6 mois devra être allégée. Enfin, elle souhaite que l’octroi d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle en vue de la recherche d’un emploi devienne possible.

Le rapporteur a ensuite indiqué que la question de l’exécution des peines de travail d’intérêt général a particulièrement retenu l’attention de la mission, les SPIP éprouvant des difficultés croissantes à trouver des places pour accueillir les personnes condamnées à ces peines. Pour remédier à ces problèmes, la mission propose de prévoir dans les contrats locaux de sécurité une clause relative à l’accueil par les collectivités locales et les services de l’État de personnes condamnées à un TIG, et d’alléger la procédure d’habilitation à l’accueil de personnes condamnées à un TIG, pour faciliter l’accueil par les associations.

Le Président Jean-Luc Warsmann a indiqué qu’après ce premier rapport d’étape, adopté à l’unanimité par la mission d’information, les travaux cette dernière se poursuivront tout au long de la législature, notamment pour assurer le suivi des réponses qui seront apportées aux propositions présentées. Des thèmes d’étude méritent par ailleurs d’être approfondis, tels que les conditions d’exécution des suivis socio-judicaires, des mesures de travail d’intérêt général ou des sursis avec mise à l’épreuve. Dans ce cadre a été adressé aux différents départements un questionnaire visant à évaluer le fonctionnement des partenariats avec des instances privées, telles que les structures prenant en charge les stages de lutte contre les addictions. Il a relevé que certains centres d’alcoologie ne recevaient plus, par manque de moyens, de personnes condamnées par la justice et a regretté que des peines « intelligentes » deviennent en quelque sorte virtuelles, faute des moyens financiers nécessaires. Il a enfin rappelé qu’en janvier serait examiné le premier rapport du volet « mineurs » de la mission, établi par Mme Michèle Tabarot.

M. François Goulard a salué la qualité du rapport de M. Étienne Blanc dont les propositions nombreuses sont marquées par une démarche pragmatique et réaliste. Le rapport procède à une réelle évaluation du fonctionnement du service public de la Justice : il est en effet important que le législateur ne se contente pas de voter la loi pénale mais se soucie également des conditions dans lesquelles les peines prononcées sur le fondement de cette loi sont mises à exécution.

Trois points méritent d’être soulignés.

Le premier a trait au constat établi par le rapporteur de la défaillance du système informatique de la justice. M. François Goulard a rappelé que de telles difficultés ne sont malheureusement pas rares dans les grandes administrations. Les administrations publiques, telle celle du ministère des Finances qui a connu des soucis analogues, rencontrent des difficultés dans la mise en œuvre de leurs programmes informatiques faute de pouvoir recruter des personnels parfaitement qualifiés pour piloter ces outils, du fait des rigidités des modes de recrutement dans la fonction publique qui font prévaloir des logiques de corps. Le développement d’outils informatiques est donc aujourd’hui confié à des prestataires privés, sans réel contrôle public et au prix d’un grand gaspillage des deniers publics. Il serait utile de réfléchir aux moyens d’associer, au sein d’un partenariat public-privé, l’administration et un prestataire privé qui serait chargé de la conception, de la mise en œuvre et de la maintenance des outils informatiques, avec des obligations de résultats.

La deuxième remarque a trait à la déficience des huissiers de justice, constatée par la mission, en matière de contradictoire à signifier. Il a suggéré que soient en ces matières rapprochés les services de la Justice de ceux du Trésor, dont les huissiers, certes distincts des huissiers de Justice, savent pour leur part très bien repérer les contribuables qui sont redevables envers l’État. Reconnaissant l’originalité de sa suggestion, M. François Goulard a souhaité qu’elle soit étudiée pour améliorer la procédure de contradictoire à signifier.

M. François Goulard a enfin souligné l’importance cruciale de la question de l’effectivité du recouvrement des dommages et intérêts par les victimes d’infraction ; il s’agit d’une question d’intérêt public, qui relève aussi d’une politique sociale : pour toutes les affaires courantes, telles les destructions de véhicules, il est indispensable d’aider les victimes qui n’en ont pas les moyens à faire assurer le recouvrement de l’indemnisation.

Mme Delphine Batho a souligné que l’exécution des décisions de justice pénale est un domaine dans lequel le Parlement a déjà eu une influence importante, notamment s’agissant de la mise en œuvre des BEX. Elle a souhaité que les propositions du rapport de la mission rencontrent l’écoute du Gouvernement. Elle a regretté que s’agissant des mineurs, les mêmes progrès n’aient pas encore été constatés, comme le montrera le rapport du volet « mineurs » de la mission, qui sera présenté en janvier.

S’agissant des questions informatiques, elle a souligné le fait que le projet « Cassiopée » consiste dans une numérisation des documents existant sous forme papier et non en une réelle informatisation des procédures. Contrairement à M. Goulard, elle ne souhaite pas voir confier à des prestataires privés le soin de mettre en œuvre des programmes informatiques car, non spécialistes des procédures suivies par l’administration, ces prestataires pourraient mettre en œuvre des programmes inadéquats, comme cela a pu être le cas dans les services de santé. Il faut aussi prendre garde à ne pas mettre en œuvre des outils fondés sur des techniques dépassées, source d’un gâchis d’argent. Il est en revanche indispensable de prévoir l’instauration d’un numéro de procédure unique, qui suivrait la procédure des services de police et de gendarmerie à l’exécution de la peine. Une telle mesure permettrait d’avoir une réelle vision d’ensemble de la chaîne pénale et donnerait enfin aux chercheurs des données autorisant une réelle analyse des faits commis et de la réponse pénale qui y est apportée.

S’agissant de l’indemnisation des victimes, Mme Delphine Batho a déclaré partager le souhait de voir mieux indemnisées les victimes de dégradations volontaires de véhicules. Elle a rappelé qu’à la suite des événements de novembre 2005, de nombreuses collectivités locales ont mis en place des fonds d’indemnisation spécifiques.

Revenant sur les propositions de la mission en matière d’amélioration des conditions du travail et de la formation professionnelle en détention, elle a souhaité que la réflexion s’étende à l’ensemble du contenu de la peine, plaidant pour le développement d’une prise en charge de nature comportementale, à l’image de ce qui est pratiqué au Canada, qui enregistre de très bons résultats en matière de prévention de la récidive.

Après s’être réjoui de la qualité du travail de la mission, M. Arnaud Montebourg s’est demandé si les propositions relevant du domaine de la loi feraient l’objet d’une proposition de loi dans de brefs délais.

Il a indiqué que les propositions tendant à améliorer l’effectivité des décisions de justice et du versement des dommages et intérêts, impliquaient de s’interroger sur le rôle des huissiers de justice, étant précisé qu’aujourd’hui, la personne condamnée qui change de département échappe, dans les faits, aux obligations décidées par une juridiction. Il a estimé qu’une perte de confiance dans la profession d’huissier de justice pouvait être constatée.

Il a ajouté que l’amélioration de la mise en œuvre des décisions de justice reposait notamment sur le décloisonnement des différents fichiers contenant des données individuelles et qu’il n’était pas certain que les huissiers de justice soient les mieux à même d’effectuer cette tâche.

Il a jugé très important que la mission d’information ait traité du cas des victimes d’infractions pénales disposant de peu de moyens financiers, pour lesquelles l’effectivité de l’indemnisation de leur préjudice est primordiale.

Pour que les décisions de justice ne demeurent pas inappliquées, il a enfin estimé qu’il convenait de décloisonner les données individuelles et de mettre en place des outils informatiques vraiment opérationnels, dans le respect des principes fondamentaux auxquels doit tout particulièrement veiller la commission des Lois.

Le Président Jean-Luc Warsmann a rappelé que la détermination de la Commission de mener à bien ces réformes ne faisait pas de doute. Elle a d’ailleurs constitué cette mission d’information pour la durée de la législature afin de pouvoir assurer le suivi de ses propositions. Il conviendra donc de déposer prochainement une proposition de loi reprenant les propositions de la mission de nature législative.

Il a souligné que la non-exécution, ou l’exécution différée dans le temps, des décisions de justice rendait parfois la justice « virtuelle ». Il arrive même que des huissiers de justice conseillent à des victimes de ne pas engager de frais car les perspectives d’obtenir un dédommagement effectif sont dans certains cas inexistantes.

Il s’est enfin félicité du soutien unanime de la Commission à la proposition de la mission d’information tendant à améliorer l’indemnisation des victimes de dégradations de véhicules.

Sur la question de l’informatique, le rapporteur a souligné que la mission avait mesuré toute l’ampleur du problème et constaté que les responsabilités dans le domaine du pilotage des projets informatiques au sein du ministère de la justice étaient trop diffuses. Il a formulé le souhait que le projet Cassiopée ait enfin un pilote unique. Il a également indiqué que la proposition de la mission sur le dossier judiciaire unique était claire : ce dossier devra permettre à l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale, des services de police à l’Administration pénitentiaire, non seulement de ne pas avoir à ressaisir à chaque étape de la procédure des informations déjà saisies en amont, mais aussi de disposer des pièces du dossier auxquelles ils doivent avoir accès.

En ce qui concerne les difficultés soulevées par l’absence de signification des décisions, le rapporteur a souligné que l’intérêt du justiciable commandait que la décision lui soit signifiée le plus rapidement possible et que la peine soit exécutée dans les meilleurs délais. Il est donc indispensable que des solutions, qui passeront notamment par la dématérialisation, soient trouvées pour que les significations de décisions ne soient plus différées comme elles le sont encore trop souvent actuellement.

Puis, conformément à l’article 145 du Règlement, la commission a autorisé le dépôt du rapport de la mission d’information en vue de sa publication.

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