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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 30 avril 2008

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 52

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice et de M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République (n° 820) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur)

– Informations relatives à la Commission

La Commission a procédé à l’audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice et de M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République (n° 820) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur).

Le président Jean-Luc Warsmann, après avoir souhaité la bienvenue à Mme Rachida Dati, garde des Sceaux et à M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, a souligné que si, en cinquante ans de fonctionnement, la Constitution de la VRépublique a démontré sa solidité et son adaptabilité et a fait l’objet d’une très forte adhésion des citoyens, des aspirations nouvelles se sont fait jour. Aussitôt élu, le Président de la République a souhaité que des propositions de modernisation de nos institutions lui soient soumises. Il en a chargé un comité pluraliste, présidé par l’ancien Premier ministre M. Édouard Balladur, qui sera entendu immédiatement après les ministres.

Au mois d’octobre dernier, après trois mois et demi de travaux, ce comité a remis son rapport, à partir duquel un avant-projet de loi a été élaboré. Celui-ci a été soumis à une large consultation et le projet de loi définitif a été déposé mercredi dernier sur le bureau de l’Assemblée. Il vise tout à la fois à mieux contrôler le pouvoir exécutif, à renforcer les droits du Parlement et à en accorder de nouveaux aux citoyens.

Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, a d’abord rappelé que les institutions étant au cœur de la vie politique et constituant le socle de l’action de l’État, elles ne peuvent rester à l’écart de l’effort de modernisation souhaité par les Français.

Si la vie démocratique du pays a déjà connu, depuis 1958, plusieurs inflexions, jamais l’équilibre général des institutions n’a été repensé dans une réflexion d’ensemble. C’est dire l’ambition du projet de loi constitutionnelle.

Il convient à cet égard de rendre hommage au comité de réflexion, présidé par M. Édouard Balladur, qui a été chargé par le Président de la République de lui soumettre des propositions sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la VRépublique. Ce comité, dans sa diversité, a formulé, après trois mois et demi de travaux et de consultations, soixante-dix-sept recommandations qui, pour la plupart, ont été soumises à la consultation des différentes forces politiques du pays, l’objectif étant d’élaborer un texte susceptible de recueillir un accord large.

Le projet de loi constitutionnelle, fruit de toutes ces réflexions et consultations, rassemble les mesures qui relèvent du niveau constitutionnel. Les autres seront reprises, le moment venu, dans les textes du niveau adéquat, sur la base de la Constitution révisée.

Le texte s’articule autour de trois orientations qui se confortent mutuellement : des droits nouveaux pour les citoyens, un pouvoir exécutif mieux contrôlé et un Parlement profondément renforcé, point qui est le principal apport de la réforme.

La réforme des institutions ne doit pas se limiter à améliorer les rapports entre les pouvoirs constitués, car les Français veulent être davantage écoutés et voir leurs droits garantis de manière plus efficace. Aussi, le projet de loi constitutionnelle crée de nouveaux droits à leur profit en apportant cinq avancées majeures.

D’abord, l’article 1er reconnaît des droits au profit de l’opposition en termes, par exemple, de règles de financement ou de création de commissions d’enquête ou de missions d’information.

Ensuite, le projet ouvre la voie à un renforcement du Conseil économique et social, qui pourra être saisi par une pétition citoyenne et qui sera consulté sur les questions environnementales, sachant que, parallèlement, une vaste réforme de sa composition devra être entreprise.

Le projet propose, en outre, de franchir une étape fondamentale dans le respect de la Constitution en permettant aux justiciables d’évoquer, devant le juge administratif ou judiciaire, l’inconstitutionnalité d’une loi postérieure à 1958. La disposition déclarée inconstitutionnelle en dernier ressort par le Conseil constitutionnel ne sera alors pas appliquée au justiciable. De plus, elle sera automatiquement abrogée par la seule décision du Conseil.

Par ailleurs, si la création du Médiateur de la République a constitué un progrès notable, la fonction, qui reste très encadrée, n’est pas celle de l’Ombudsman des pays nordiques. Aussi le texte instaure-t-il, en remplacement, un Défenseur des droits des citoyens doté d’un véritable pouvoir de contrôle. Une loi organique précisera ses modalités d’intervention. À terme, il pourrait notamment reprendre les attributions du Contrôleur général des lieux de privation et de liberté, lequel sera d’ailleurs désigné prochainement.

Enfin, le projet reconsidère la composition du Conseil supérieur de la magistrature, réforme qui a été portée par Élisabeth Guigou en 1998, souhaitée par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau en 2006 et expressément demandée par le « comité Balladur ».

Le Gouvernement propose que le Président de la République et le garde des Sceaux ne président plus le CSM et que ses deux formations – celle du siège et celle du parquet – soient respectivement présidées par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près la Cour de cassation. Le CSM émettra désormais un avis sur toutes les nominations du parquet, y compris aux postes de procureur général près la Cour de cassation et de procureurs généraux de cours d’appel.

Pour éviter toutes les critiques de corporatisme, les magistrats de l’ordre judiciaire, au nombre de sept sur quinze membres, président compris, ne seront plus majoritaires. Par ailleurs, les six personnalités désignées par les autorités politiques – Présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée – verront leur nomination soumise à l’avis d’une commission parlementaire et ne seront pas non plus majoritaires à elles seules. Enfin, deux personnalités indépendantes siégeront aussi au CSM : un conseiller d’État et un avocat.

Le deuxième objectif du projet est de rénover les modalités d’exercice du pouvoir exécutif.

Le Président de la République ne pourra exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs – le titulaire de la charge mettra ainsi son énergie à agir plutôt qu’à durer –, le nombre de membres du Gouvernement sera plafonné et tant les désignations au sein des autorités administratives indépendantes, du CSM et du Conseil constitutionnel, que les nominations des présidents des établissements publics effectuées par le Président de la République seront soumises à l’avis d’une commission parlementaire.

Par ailleurs, sans remettre en cause les pleins pouvoirs que l’article 16 de la Constitution donne au Président de la République en cas de crise exceptionnelle, il faut renforcer les garanties qui entourent son application. Le Conseil constitutionnel contrôlera la nécessité de maintenir en vigueur l’article 16.

Le projet de loi modernise également le régime du droit de grâce reconnu au Président de la République. Il ne s’exercera qu’à titre individuel et après qu’une commission de sages aura émis un avis sur la demande.

Aujourd’hui, les députés doivent écouter un message du Président de la République, ce qui est une pratique désuète : il peut s’exprimer dans tous les parlements étrangers de même qu’il peut parler directement aux Français par l’intermédiaire de la télévision, mais il ne peut s’adresser à leurs représentants. Aussi est-il proposé qu’il puisse prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès, ou devant l’une ou l’autre des assemblées, non pas à sa guise, mais dans des moments particulièrement solennels de la vie de la Nation. Son allocution pourra être suivie d’un débat hors de sa présence, mais non d’un vote : il ne s’agit pas de remettre en cause la nature même du régime.

Par ailleurs, si le Premier ministre est, selon la Constitution, responsable de la défense nationale, le Président de la République est le chef des armées et le Gouvernement est collégialement responsable de l’ensemble de la politique de la Nation devant le Parlement. Afin de clarifier les responsabilités en la matière, le texte prévoit que le Premier ministre mettra en œuvre les décisions prises par le comité de défense nationale.

Dans le même temps, la décision d’engager l’armée dans des opérations extérieures donnera lieu à une information du Parlement qui pourra déboucher sur un débat sans vote. Au bout de six mois, la prolongation de l’intervention devra être autorisée par la Représentation nationale.

Enfin, le troisième objectif du projet de loi est de renforcer le Parlement car, si nos institutions fonctionnent bien, elles sont déséquilibrées au détriment du pouvoir législatif.

Les contraintes du parlementarisme rationalisé doivent donc correspondre aux exigences d’une démocratie irréprochable, sans pour autant diminuer l’efficacité qui caractérise le fonctionnement actuel de nos institutions.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, après avoir également rendu hommage au « comité Balladur », a estimé que le système de relations entre l’exécutif et le législatif a atteint ses limites. Aussi convient-il d’évoluer vers un système de coresponsabilité qui permette à chacun, Gouvernement, majorité, mais aussi opposition, de jouer son rôle et d’assumer ses responsabilités au profit de tous les Français.

Le Parlement sera donc renforcé, d’abord en le rendant encore plus représentatif. C’est ainsi que le texte prévoit que le Sénat assurera la représentation des collectivités territoriales « en tenant compte de leur population », que les Français établis hors de France seront aussi représentés à l’Assemblée nationale, que le redécoupage des circonscriptions sera effectué de manière régulière – pour éviter toute polémique, une commission indépendante rendra un avis public sur ce redécoupage périodique – enfin, que les membres du Gouvernement pourront retrouver leur siège au Parlement lorsqu’ils cesseront d’exercer leurs fonctions ministérielles.

Renforcer le Parlement, c’est également accentuer ses prérogatives, que ce soit en matière législative ou de contrôle.

Outre que la Constitution indiquera clairement en son article 24 que le Parlement vote la loi et contrôle l’action du Gouvernement, assisté en cela par la Cour des comptes, toutes les propositions d’actes européens, sans plus aucune restriction, seront transmises aux assemblées et pourront faire l’objet de résolutions.

Concernant les élargissements de l’Union, le Parlement, réuni en Congrès, pourra adopter, selon une procédure renforcée, à la majorité des trois cinquièmes, les lois autorisant les nouvelles adhésions, sachant, ainsi que le Président de la République l’a rappelé solennellement, que le référendum sera toujours la voie naturelle pour les adhésions les plus importantes, comme celle de la Turquie.

Renforcer le Parlement, c’est aussi le rendre plus efficace et plus maître de ses travaux.

Les assemblées parlementaires auront ainsi la liberté d’instituer en leur sein jusqu’à huit commissions permanentes. Les Conférences des Présidents fixeront l’ordre du jour des assemblées qui auront désormais la maîtrise de la moitié de leur ordre du jour. Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale resteront prioritaires, de même que les lois autorisant la prolongation des états de crise.

Plus fondamentalement, le texte discuté en séance plénière ne sera plus le projet du Gouvernement, mais le texte issu des travaux de la commission, gage, pour le travail parlementaire, d’une efficacité et d’un intérêt accrus.

Outre les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, l’article 49, alinéa 3, ne pourra être utilisé que pour un seul texte par session. Quant au droit d’amendement, il pourra être mieux organisé. Pour l’examen des textes techniques, une simple ratification dans l’hémicycle du travail fait en commission pourra être prévue par les règlements des assemblées. De même, la pratique de l’encadrement du dépôt des amendements pourrait trouver une base certaine : tous les amendements seront examinés à un moment ou à un autre, mais la séance plénière devra gagner en solennité et en clarté pour les citoyens.

Le Parlement disposera également de plus de temps pour examiner les textes, avec un minimum d’un mois en première lecture, et la procédure d’urgence sera plus encadrée. Il pourra aussi, sur des questions juridiques ponctuelles et délicates, saisir le Conseil d’État pour examiner une proposition de loi en vue de son passage en commission.

Enfin, renforcer le Parlement c’est redonner toute sa place à la loi, qui doit demeurer la norme essentielle.

Les assemblées pourront adopter des résolutions dans tous les domaines et dans les conditions fixées par les règlements des assemblées. Elles pourront ainsi marquer une volonté politique sans forcément adopter une loi sans aucune portée normative. Le Président de chaque assemblée pourra opposer l’irrecevabilité à un amendement intervenant dans une matière non législative, et le champ des lois de programmation sera étendu en dehors du champ économique et social, ce qui concernera, notamment, la loi de programmation militaire.

Le président Jean-Luc Warsmann, a tout d’abord demandé pourquoi, en matière de droit de grâce, était prévu l’avis préalable d’une commission ad hoc plutôt que celui du CSM.

Dans le domaine de la défense nationale, comment le Parlement pourra-t-il exercer son contrôle sur l’exécutif si le Gouvernement, responsable devant la Représentation nationale, ne fait plus que mettre en œuvre les décisions prises par le Président de la République ?

Quant aux Français établis hors de France, quel sera le nombre de leurs députés et le mode d’élection de ces derniers ?

Enfin, en matière d’intervention des forces armées, pourquoi l’absence de vote du Parlement est-elle systématiquement prévue, alors qu’un vote permettrait de renforcer le poids de la décision du Président de la République ? Par ailleurs, sous quelle forme l’information du Parlement en la matière est-elle prévue ? De même, alors que le « comité Balladur » proposait un vote du Parlement pour les interventions excédant trois mois, pourquoi le Gouvernement a-t-il choisi de porter ce délai à six mois ? Enfin, si ces dispositions sont adoptées, vaudront-elles pour les interventions en cours, ce qui impliquerait à l’automne prochain un vote sur les interventions en cours depuis plus de six mois ?

La garde des Sceaux a rappelé, concernant le droit de grâce, qui ne serait d’ailleurs plus que d’ordre individuel, que la mission première du CSM concerne les nominations, l’avancement et la discipline des magistrats. L’objet du CSM n’est pas d’apprécier de nouveau une décision de justice au regard d’une situation individuelle.

S’agissant de la défense, l’objectif est simplement de lever une ambiguïté puisque la Constitution précise que si le Président de la République est le chef des armées, le Premier ministre est responsable de la défense nationale. La réforme a pour objet de préciser que le Premier ministre a pour tâche de mettre à exécution les décisions prises dans le cadre du comité de défense nationale par le Président de la République. Le Gouvernement reste donc responsable devant le Parlement de la politique suivie en matière de défense nationale.

Concernant les engagements extérieurs, si le Parlement en débattra sans vote, son autorisation sera nécessaire pour leur prolongation au-delà de six mois. Il pourra en outre contrôler l’intervention en refusant, par le biais budgétaire, de la financer.

Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a précisé à cet égard que le Gouvernement s’engageait à ce que les nouvelles dispositions constitutionnelles s’appliquent aux opérations militaires extérieures en cours.

S’agissant de la représentation du 1,4 million de Français de l’étranger, il est envisagé, au stade actuel de la réflexion, un nombre de dix à douze députés élus au scrutin de liste, soit majoritaire soit proportionnel, au sein de très grandes circonscriptions délimitées au niveau mondial – sans que le découpage soit encore arrêté.

M. Bernard Roman ayant demandé si, dans ces conditions, le nombre de députés actuel resterait inchangé, le secrétaire d’État a précisé que, là non plus, rien n’était décidé.

M. Arnaud Montebourg a rappelé que, face à la crise démocratique profonde que connaît le pays, les socialistes proposent depuis de nombreuses années une réforme d’ampleur du système politique national. Leur candidate, Mme Ségolène Royal, lors de la dernière élection présidentielle a d’ailleurs défendu avec eux un grand projet de VIRépublique affectant plus de cinquante articles de l’actuelle Constitution.

La Ve République est naturellement portée vers l’autoritarisme ou vers la dérive du pouvoir personnel et se révèle impuissante à établir des compromis politiques durables permettant au pays de résoudre ses problèmes. Le livre de Pierre Mendès France, Pour une République moderne, n’a pas pris une seule ride.

La discussion de ce texte ne saurait donc être raccourcie si l’on veut que ce dernier ne soit pas seulement celui d’une majorité, mais également celui d’une minorité, d’autant qu’un chantier portant sur le préambule a également été ouvert, dont les conclusions ne seront rendues publiques qu’au mois de septembre par Mme Simone Veil. On comprend d’autant mieux dans ces conditions les réticences exprimées par le président du groupe Socialiste quant au calendrier de l’examen du présent texte.

Conscients que le texte recèle, à côté d’éléments inacceptables, des éléments positifs, les socialistes tenteront cependant de rechercher un compromis, à la condition que, de chaque côté, un pas vers l’autre soit accompli.

Ce ne sont pourtant pas les doutes qui leur manquent, s’agissant des propositions qui sont avancées, du fait des pratiques du pouvoir actuel. S’agissant du Parlement, alors que sont proposées la fin de l’urgence et l’augmentation des délais, la pratique n’est guère encourageante, comme l’illustre l’exemple du projet de loi sur le pouvoir d’achat. Les seuls incidents concernant le procureur général d’Agen et le procureur de Nancy – celui-ci ayant même été convoqué par la garde des Sceaux – ne peuvent en effet que faire craindre une repolitisation du CSM. D’ailleurs, la proposition du Gouvernement relative à la composition du CSM constitue un recul par rapport au statu quo et est donc inacceptable en l’état.

Il en va de même s’agissant du pouvoir de nomination du Président de la République, que la réforme tend à soumettre à l’avis simple d’une commission paritaire. Aussi les socialistes proposeront-ils que, pour les emplois dont l’indépendance doit être garantie, cette commission statue à la majorité des trois cinquièmes, avec avis conforme. La codécision appliquée aux désignations au CSM, au CSA et au Conseil constitutionnel constituerait en effet un progrès significatif, plutôt que d’aboutir à la création d’un comité Théodule supplémentaire.

Plus généralement, les propositions des socialistes tendent à combattre tout ce qui augmente les pouvoirs de l’exécutif et à encourager tout ce qui améliore la séparation et l’équilibre des pouvoirs. Ainsi n’est-il pas acceptable que le Premier ministre perde des pouvoirs en matière de défense nationale au profit du Président de la République. Le « comité Balladur » lui-même y a renoncé au motif qu’en cas de cohabitation une telle réforme aboutirait à une crise de régime.

Quant à l’intervention du Président de la République devant le Parlement, tous les parlementaires socialistes s’y opposeront. C’est en effet le Premier ministre que le Parlement contrôle. Si le Président, qui dispose du pouvoir de dissolution, venait à y parler sans qu’aucun vote ne puisse le sanctionner, comme dans le cas de l’impeachment, cela constituerait un déplacement sensible du centre de gravité du pouvoir vers la présidence de la République.

Le dernier élément inacceptable du texte tient à l’actuel article 49, alinéa 3. Si les socialistes sont d’accord pour que ce dernier soit applicable en matière de lois de finances et de lois de financement de la sécurité sociale, envisager son application sur un autre texte une fois par session reviendrait selon eux à ne pas faire de réforme en la matière.

Pour ce qui est de leurs revendications, la première porte sur l’élection du Sénat. Les socialistes estiment en effet inacceptable que le Sénat n’ait pas connu l’alternance depuis cinquante ans. Certes, le texte modifie, de façon homéopathique, les conditions d’élection des sénateurs, mais que signifie vraiment la disposition selon laquelle le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population » ?

La seconde revendication a trait au pluralisme audiovisuel. Du fait de la non-prise en compte du temps de parole du Président de la République et de ses collaborateurs, le gain pour l’exécutif, en termes de temps de parole, sur France 2 et TF1 est respectivement de 99 % et de 256 %. L’opposition est en voie d’élimination audiovisuelle.

Aussi le groupe Socialiste proposera-t-il à la discussion les 20 et 22 mai, dans le cadre de l’ordre du jour qui lui est réservé, deux propositions de loi relatives, l’une au pluralisme dans l’audiovisuel, l’autre aux conditions d’élection des sénateurs. Elles s’expliquent par le désir des socialistes de participer à la construction d’un système politique plus équilibré.

M. Manuel Valls a souligné que la réforme constitutionnelle était l’occasion pour les socialistes de rappeler leur attachement au principe de l’équilibre des pouvoirs et de proposer, dans un état d’esprit constructif, des solutions à la crise de confiance actuelle des citoyens dans leurs institutions en donnant plus de pouvoir d’initiative et de contrôle au Parlement.

À cet égard, il convient d’abord d’encadrer le pouvoir présidentiel, tant son exercice, notamment récent, a montré les excès dangereux auxquels les règles actuelles pouvaient conduire. Aussi convient-il d’approuver les propos de M. Montebourg concernant le rôle du Premier ministre en matière de défense, le droit du Président de la République à venir s’exprimer devant le Parlement, ou encore le délai accordé pour débattre du texte.

Quant à la prise en compte du temps de parole du Président de la République dans celui de la majorité et du Gouvernement, la préservation des règles existantes ne pourrait s’expliquer que si le Président de la République redevenait un simple arbitre. En revanche, si l’on estime qu’il est le principal acteur du pouvoir exécutif, son absence de neutralité implique que son temps de parole soit compris dans celui du Gouvernement.

Afin d’assurer, ensuite, une meilleure représentativité de la population, il convient, premièrement, que le collège électoral du Sénat soit reconsidéré si l’on ne veut pas que la Haute Assemblée devienne toujours plus une anomalie démocratique ; deuxièmement, que le mode de scrutin aux élections législatives intègre une part de proportionnelle – à cet égard qu’en est-il des informations qui circulent sur un possible changement du mode de scrutin pour les élections régionales ? – et que le découpage, dans la transparence, des circonscriptions électorales garantisse mieux l’égalité entre les citoyens ; troisièmement, enfin, que le droit de vote des étrangers aux élections locales soit proposé, car les députés de l’opposition sont prêts à fournir au Président de la République la majorité qu’il craint de ne pas trouver sur ce point dans son propre camp.

Enfin, il convient de garantir l’indépendance de la justice afin qu’elle devienne un pouvoir à part entière, tout soupçon de collusion entre les responsables politiques et l’appareil judiciaire faisant le lit du populisme. À cet égard, le mode de désignation prévu des membres du CSM rend celui-ci beaucoup trop tributaire du pouvoir politique. C’est une commission des nominations, désignée en début de législature et composée à la proportionnelle des groupes qui, dans ce domaine, doit prendre des décisions à la majorité des trois cinquièmes.

M. Michel Hunault, après avoir à son tour salué les travaux du « comité Balladur » et souligné que si un point faisait consensus, c’était bien celui du renforcement du rôle du Parlement, a souhaité, au nom du Nouveau Centre, que la réforme soit l’occasion d’une meilleure représentation des Français grâce à l’élection de quelques députés à la proportionnelle.

M. Guy Geoffroy, soulignant que quatre nouvelles lois organiques au moins seront nécessaires pour décliner des dispositions envisagées au niveau constitutionnel – en matière, par exemple, de droit d’amendement –, a demandé que le Parlement dispose rapidement de l’architecture la plus précise possible de ces textes afin de pouvoir valablement analyser et soutenir la réforme.

La garde des Sceaux a d’abord répondu à M. Arnaud Montebourg qu’il y a loin entre la pratique actuelle et la politisation ou la caporalisation des magistrats : l’expression de certains d’entre eux ne va-t-elle pas bien au-delà de leur devoir de réserve ? En tout état de cause, si les mots ont un sens, dès lors qu’un pouvoir politique s’exprime, cette expression est politique, tout comme celle d’une commission parlementaire donnant un avis sur une nomination.

Au sein du CSM aujourd’hui, qui comprend dix membres votants, les six magistrats sont majoritaires. Si la réforme tend à leur donner encore plus d’importance avec l’augmentation du nombre des membres du Conseil, ils n’y seront plus cependant majoritaires, conformément d’ailleurs au projet de loi constitutionnelle de Mme Guigou en 1998. Quant aux six personnalités désignées par les autorités politiques, elles ne seront nommées qu’après avis d’une commission parlementaire. La confiance envers les magistrats est d’autant plus accrue que les deux formations du CSM seront présidées, celle du siège par le Premier président de la Cour de cassation, et celle du parquet par le procureur général près la Cour de cassation.

S’agissant du procureur général d’Agen – qui était en poste depuis plus de quatorze ans et qui souhaitait bénéficier d’avantages supérieurs à ceux de ses collègues – le Conseil d’État lui-même a estimé que la mutation avait été effectuée dans l’intérêt du service. Quant au procureur de la République de Nancy, si les magistrats n’aiment pas, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, que les décisions de justice soient commentées, il est normal que, dans leurs réquisitions, ils ne commentent pas une décision du pouvoir législatif. Ce magistrat ayant cependant affirmé que tel n’avait pas été le cas, la garde des Sceaux a tenu à l’assurer de sa confiance.

On peut d’autant moins parler de reprise en main des magistrats du parquet que le code de procédure pénale prévoit lui-même que le garde des Sceaux peut leur adresser des instructions écrites. En outre, ces magistrats sont des procureurs « de la République » et non des procureurs indépendants. Ils sont donc là pour appliquer la loi votée par le Parlement et portée par le Gouvernement. De plus, les nominations en Conseil des ministres des procureurs généraux seront dorénavant soumises à l’avis du CSM, sachant que 99 % des avis de ce dernier sont déjà suivis par la Chancellerie.

Si les nominations en Conseil des ministres aux emplois d’exécution – directeurs d’administration centrale, préfets, ambassadeurs, recteurs – ne soulèvent pas de difficultés, toute autre nomination, notamment à des postes en matière économique et sociale ou en rapport avec des libertés, sera soumise à l’avis d’une commission parlementaire. Le pouvoir de nomination est donc très encadré puisqu’un tel avis n’est pas exigé aujourd’hui.

Le secrétaire d’État a rappelé qu’il s’agissait avant tout d’une réforme constitutionnelle et qu’il convenait d’être prudent à propos d’une supposée crise démocratique ou d’un prétendu isolement des dirigeants. Il y a trente-sept ans, une motion de protestation émanant des six présidents de commission de l’Assemblée nationale ne dénonçait-elle pas déjà le manque de respect du Parlement, l’insuffisance des délais d’examen, le recours systématique à l’urgence, le défaut d’écoute de la voix du Parlement et l’absence de tout contrôle sur les nominations ? Le Premier ministre de l’époque était pourtant Jacques Chaban-Delmas, qui avait été lui-même Président de l’Assemblée nationale de 1958 à 1969.

Pour un « gaulliste absolu », l’architecture du régime a fait, depuis cinquante ans, la preuve de sa durabilité. Pour autant, le Parlement ne dispose pas, collectivement ou individuellement, de pouvoirs suffisants pour exercer sa vraie mission de représentant de la nation. En effet, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel, l’instauration du quinquennat ou encore l’inversion du calendrier, on a pu assister sinon à un abaissement du législatif, du moins à l’apparition d’un pôle dominant. Or la réforme tend précisément à renforcer les pouvoirs du Parlement. Ce n’est pas en effet le système institutionnel qui est à bout de souffle, mais le système relationnel entre l’exécutif et le législatif.

Quant à vouloir reporter la réforme, outre que le sujet des institutions a été évoqué par Mme Royal et M. Sarkozy dès le début de la campagne de la présidentielle en 2007, voire avant, la mise en place du « comité Balladur » a suivi immédiatement l’élection du Président de la République, l’avant-projet de loi constitutionnelle issu de ses travaux ayant alors été soumis aux responsables de toutes les formations politiques.

De même, alors qu’il était prévu que le texte adopté lors du Conseil des ministres du 23 avril soit discuté le 13 mai, cette discussion a été reportée au 20 mai à la demande du Président Accoyer. Aussi faut-il raison garder. Le temps de la réforme est maintenant venu, même si celle du préambule doit intervenir plus tard, car celle-ci n’implique en rien les pouvoirs du Parlement.

Enfin, si la présente réforme est adoptée au printemps puis en juillet par le Congrès, tous les tenants du renforcement des pouvoirs du Parlement doivent comprendre qu’elle ne sera applicable qu’au 1er janvier 2009 du fait de la modification nécessaire, à l’automne, des règlements des deux assemblées.

Concernant les inquiétudes de M. Montebourg à propos des pratiques actuelles, issues d’ailleurs directement de la Constitution elle-même, la réforme tend justement à les réviser. L’utilisation de l’article 49, alinéa 3, est ainsi considérablement réduite.

Quant à l’expression du Président de la République sur des sujets de nature exceptionnelle devant le Parlement, elle n’est en rien attentatoire à celle du Premier ministre et du Gouvernement devant les assemblées. Au contraire, elle permettrait au Parlement d’être au cœur du débat public plutôt que de s’en remettre au journal télévisé.

S’agissant des modes d’élection, les lois organiques n’ont été prises en ce domaine en 1958 que treize mois après l’adoption de la Constitution. Si le Gouvernement s’engage à les soumettre plus rapidement, il n’en reste pas moins que, comme en 1958, ces lois organiques ne peuvent être présentées avant que le changement constitutionnel ne soit adopté.

Si le mode d’élection au Sénat représente pour les socialistes un point de discussion important, de même, pour le Nouveau Centre, que l’instillation d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives, ces points ne relèvent pas de la révision constitutionnelle elle-même. Le Parlement est cependant libre d’avancer des propositions en la matière.

Pour ce qui est du pluralisme audiovisuel, le groupe Socialiste a souhaité, dès le début de la discussion de la réforme constitutionnelle, qu’il ne soit pas touché aux articles 20 et 21, c’est-à-dire à l’architecture des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre, cela afin d’éviter tout problème en cas de cohabitation. Or, si une telle cohabitation advenait, le temps de parole du Président de la République, selon le vœu même du groupe Socialiste, serait alors associé à celui de la majorité...

D’une manière générale, la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement n’est en rien modifiée. Rien n’empêchera ce dernier d’évoquer les problèmes de défense dans sa fonction de contrôle du Gouvernement. La contradiction entre le Premier ministre, responsable de la défense nationale, et le Président de la République, chef des armées, avait d’ailleurs déjà été soulignée à l’époque par le « comité Vedel ». La nouvelle rédaction tend simplement à clarifier et à simplifier ces rapports, non à retirer un quelconque pouvoir du Parlement en la matière.

M. André Vallini a d’abord rappelé que la « commission Outreau » avait, s’agissant de la composition du CSM, préconisé la parité entre magistrats et non-magistrats.

Quant à l’expression du Président de la République devant les assemblées, les socialistes y restent unanimement opposés, car ce n’est pas revaloriser le Parlement que de l’obliger à écouter sans pouvoir débattre, sinon une fois le « père de la Nation » reparti.

Enfin, si le comité présidé par Mme Simone Veil ne rend ses conclusions qu’à l’automne, cela signifie que le Parlement devra alors se rendre deux fois à Versailles alors que la réunion du Congrès coûte très cher aux contribuables et que la révision de la Constitution, qui demande du temps – ne serait-ce que pour examiner les nombreuses propositions des socialistes –, pourrait très bien attendre l’automne pour se dérouler alors de manière sinon consensuelle, du moins républicaine.

M. Claude Goasguen a estimé que le débat portait en fait sur deux propositions, soutenues, l’une par le Gouvernement et sa majorité, l’autre par l’opposition. L’objectif étant d’aboutir à un texte rassembleur, cela implique de la part du législateur une grande liberté, mais en même temps une grande mesure.

S’agissant du renforcement des pouvoirs du Parlement, le texte est assez décevant. En effet, qu’il s’agisse du contrôle de l’application de la loi, de celui effectué par la Cour des comptes ou encore de l’évaluation des lois, ce qui est proposé est très en retrait de ce qu’on peut attendre d’un pouvoir législatif moderne.

Cela étant, l’attitude de l’opposition est paradoxale, car elle ne tire pas les conséquences de ce qu’elle a imposé. Avec le quinquennat, réforme qui est restée inachevée, elle devrait en effet être considérée comme le véritable initiateur de la révision constitutionnelle proposée.

De même, la mémoire de l’opposition est courte s’agissant de ses relations avec les magistrats. N’a-t-elle pas en effet largement usé, pendant deux septennats, de pouvoirs discrétionnaires en matière de nomination des procureurs ? Il ne sert à rien de donner des leçons de vertu, d’autant que le projet de réforme du CSM de 1998 était très en retrait par rapport au projet actuel.

Pour autant, il faut éviter que le débat constitutionnel ne tourne qu’autour de l’indépendance de la magistrature, alors que le texte traite de la revalorisation du Parlement. Aussi conviendrait-il de faire droit à la demande de la « commission Outreau » s’agissant de la parité au sein du CSM.

De même, c’est à tort que les Français de l’étranger sont concernés par le texte, car cela aboutit à ouvrir le débat sur les modes de scrutin, qui ne relèvent pas de la Constitution.

Enfin, concernant l’importance accordée par l’opposition à la venue ou non du Président de la République devant les assemblées, il convient de rappeler que l’interdiction faite au Président de la République – en l’occurrence M. Thiers – de s’y rendre, tenait essentiellement au fait que ce dernier était trop bon orateur. Il est amusant de constater que ce qui était à l’époque un coup bas porté contre Thiers, soit devenu, pour l’opposition, une pierre angulaire de l’édifice constitutionnel.

Mme Élisabeth Guigou a rappelé, pour avoir défendu à l’époque le quinquennat devant le Parlement, que c’est M. Chirac qui avait voulu le quinquennat sec, sans augmentation concomitante des pouvoirs du Parlement. C’est le même d’ailleurs qui avait bloqué la réforme de la justice, pourtant votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, en ajournant à la dernière minute la convocation du Congrès. Il s’agissait pourtant d’inscrire dans les textes l’indépendance de la magistrature en supprimant la nomination des procureurs généraux en Conseil des ministres et en garantissant l’indépendance des magistrats du parquet, avec interdiction de toute instruction dans les dossiers individuels – contrairement aux périodes précédentes.

La réforme actuelle est en tout cas abordée par les socialistes dans un état d’esprit constructif. Encore faut-il que le Gouvernement accède à certaines de leurs demandes, voire de leurs exigences.

En aucun cas les pouvoirs du Président de la République ne doivent être accrus, que ce soit vis-à-vis du Premier ministre ou du Parlement. À cet égard, si l’on veut que le Président de la République vienne devant les Assemblées, il faut passer à un véritable régime présidentiel, avec absence du droit de dissolution.

Si l’on ne peut que saluer les progrès en matière de droit de regard du Parlement sur son ordre du jour et sur les nominations, encore faut-il que la parité soit prévue au sein des grands organes institutionnels. Or le prochain renouvellement du Conseil constitutionnel, par exemple, aboutira à la nomination de personnalités, certes estimables, mais qui toutes seront proches de la majorité actuelle.

Concernant le droit de vote des étrangers – adopté sous la XIe législature à l’Assemblée nationale pour les élections locales à l’initiative du groupe Socialiste –, le pays est mûr. Si le Président de la République estime qu’il n’a pas de majorité à cet effet, un référendum peut toujours être organisé sur le sujet, d’autant que si l’on s’en donne les moyens, il peut être gagné.

On ne peut par ailleurs que regretter l’absence de dispositions concernant le cumul des mandats, car ce serait là la meilleure façon de revaloriser le rôle du Parlement.

Certes, le CSM reste garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, et conserve ses prérogatives en matière disciplinaire, puisque le garde des Sceaux n’assiste pas à ses séances consacrées à ce sujet. Cependant, le fait que le Conseil soit présidé par des magistrats et non plus par le Président de la République et le garde des Sceaux, ne change pas la nature de ses relations avec le pouvoir exécutif. Seule en effet une nomination de ses membres par une commission paritaire, où le Parlement aurait son mot à dire, changerait tout.

S’agissant, plus généralement, de la nomination des magistrats, le fait de laisser désigner les procureurs généraux par le Conseil des ministres, sans prévoir un avis conforme du CSM et une interdiction des instructions individuelles, ne peut que jeter un doute profond quant à l’indépendance des magistrats du parquet.

Enfin, la saisine du CSM devrait être rendue possible pour les citoyens s’agissant du fonctionnement matériel de la justice – notamment en matière de délais –, et non, bien entendu, en appel de décisions de justice.

Encore une fois, les socialistes sont prêts à s’associer, dans un esprit constructif, à une réforme d’ensemble. Il conviendrait cependant, par respect du Parlement, d’organiser une présentation à la fois de la réforme constitutionnelle, des lois organiques et ordinaires associées et, éventuellement, de la réforme du préambule de la Constitution. Un délai supplémentaire de quelques mois permettrait à cet égard d’effectuer un bien meilleur travail.

M. Jean-Christophe Lagarde s’est réjoui, au nom du Nouveau Centre, que le projet ait pour objet principal de redonner des pouvoirs au Parlement. Cependant, le fait que le Congrès ait été appelé à se réunir tous les six à huit mois ces dernières années, ne peut que conduire à s’interroger sur la façon dont la question de la réforme des institutions est abordée.

Par ailleurs, si le texte marque certaines avancées, il en manque suffisamment d’autres pour être adoptable en l’état. Si le mode de scrutin ne relève pas de la Constitution, il n’en reste pas moins que la question de la proportionnelle pourrait empêcher le Gouvernement de trouver une majorité au Congrès. De même, il serait étonnant que les représentants des Français de l’étranger soient élus à la proportionnelle alors que le reste de la Représentation nationale ne le serait pas. Faudra-t-il, pour un parti minoritaire, faire élire ses députés à l’étranger afin de disposer d’une représentation au Parlement ? Par ailleurs, peut-on donner plus de pouvoirs à ce dernier tout en refusant que, grâce à la proportionnelle, il représente mieux la population française, sachant qu’aujourd’hui plus de 40 % des votants ne sont déjà pas représentés ?

S’il est très satisfaisant de limiter l’application de l’article 49, alinéa 3, aux projets de loi de finances et aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, il est en revanche inutile d’en prévoir l’utilisation pour un texte par session, puisque cela reviendrait à maintenir la pratique actuelle. Plutôt que d’imposer au Parlement – le plus souvent d’ailleurs à la majorité – une loi dont il ne veut pas, mieux vaut pour le Gouvernement laisser du temps à la négociation.

Concernant l’intervention du Président de la République devant le Parlement, elle ne présente pas d’inconvénient majeur, à condition toutefois que la périodicité de sa venue soit encadrée, et qu’un caractère solennel lui soit conféré. Aussi conviendrait-il de donner seulement au chef de l’État la possibilité de s’exprimer devant le Congrès, puisqu’il ne peut le dissoudre. En tout cas, si le Président de la République doit venir s’exprimer devant les assemblées, un débat doit être organisé en sa présence, même si sa responsabilité ne peut être mise en cause par le Parlement au moyen d’un vote. Le Président de la République risquerait sinon de s’exposer à ce que des parlementaires, en désaccord avec lui, quittent l’hémicycle, ce qui ne pourrait qu’abaisser la fonction présidentielle.

Par ailleurs, l’article 1er relatif à des droits nouveaux attribués à la majorité et à l’opposition est inacceptable. Si des droits nouveaux doivent être attribués, c’est aux groupes parlementaires eux-mêmes, sauf à créer des difficultés de fonctionnement accrues pour certains d’entre eux.

Quant aux interventions militaires, leur prolongation doit faire l’objet d’un vote au bout de trois mois comme le prévoyait le « comité Balladur », surtout s’il s’agit d’intervenir au sein d’une coalition.

Les nominations doivent, elles, n’être prononcées qu’après avis de la commission ad hoc statuant à la majorité qualifiée, afin de s’assurer de la compétence des personnes concernées.

Enfin, le justiciable doit pouvoir mieux accéder à la justice constitutionnelle. En effet, si le Parlement venait à adopter une loi non constitutionnelle, personne ne pourrait aujourd’hui la déférer. S’il faut prévoir des filtres s’agissant de la saisine du Conseil constitutionnel, tout citoyen doit pouvoir faire valoir son droit au respect des dispositions constitutionnelles le concernant.

M. Bernard Derosier a tenu à rappeler que les députés socialistes souhaitent participer à la modernisation des institutions. Or, sans préjuger du débat dans l’hémicycle, le Gouvernement semble, dans ses réponses aux observations tant de l’opposition que de sa majorité, camper sur ses positions.

S’agissant de l’intervention du Président de la République devant les assemblées, si le seul art oratoire de M. Thiers a pu à l’époque expliquer certaines oppositions, une raison plus fondamentale existe aujourd’hui, liée au type de régime souhaité, présidentiel ou parlementaire.

Quant aux nominations, faut-il rappeler l’intervention de M. Sarkozy au congrès de l’UMP le 14 janvier 2007 dans laquelle ce dernier soulignait que « la démocratie irréprochable, ce n’est pas une démocratie où les nominations se décident en fonction des connivences et des amitiés, mais en fonction des compétences » ?

Concernant les lois organiques ou ordinaires auxquelles le texte renvoie, il est souhaitable d’en savoir plus, car si l’on se réfère à l’exemple de l’article 1er du projet, qui fixe les droits de l’opposition, les nombreux changements intervenus depuis le texte du « comité Balladur » conduisent à ne pouvoir se satisfaire de simples déclarations du Gouvernement en la matière.

M. Hervé Mariton a estimé que le problème du calendrier ne constituait pas une difficulté particulière, car il est certainement possible, d’ici au 20 mai, de clarifier plusieurs points. En tout état de cause, la question qui est posée plus généralement par les citoyens n’est pas d’ordre technique. Elle est plutôt de savoir pourquoi l’on veut réformer les institutions. Aussi le Gouvernement ferait-il bien d’expliquer en quoi son projet est de nature à améliorer la vie du pays, par exemple en ce qui concerne le contrôle de la dépense publique, l’exécution des lois de finances ou encore les moyens d’éviter les dérapages budgétaires qui ne figurent pas dans le projet, ce qu’on peut regretter.

S’agissant de la réforme elle-même, le Gouvernement met en avant le rôle du Parlement alors que le problème vient de la présidentialisation de fait du régime – laquelle n’est d’ailleurs pas forcément une mauvaise chose. Or, faute d’assumer cette présidentialisation, le texte aboutit à un réel déséquilibre. À cet égard, la solution consistant à faire venir le Président de la République non pas devant les assemblées, mais devant le Congrès, tend à oublier que ce dernier est un constituant, et qu’à ce titre il doit être le plus libre possible vis-à-vis de l’exécutif.

Quant aux nominations, les commissions permanentes des assemblées auraient pu être le lieu adéquat de consultation. Certes, la Nation ne souhaite pas que l’avis en la matière soit l’affaire des partis, mais elle aurait pu tout à fait comprendre, s’agissant des grandes nominations, qu’une commission parlementaire qui a, par exemple, l’habitude de traiter d’affaires culturelles, puisse être consultée sur une nomination au CSA. Au contraire, une commission des nominations ad hoc ne pourrait aboutir qu’à un fonctionnement politique et partisan, étant entendu que les nominations seraient réparties à l’avance entre les groupes.

Il aurait donc été plus clair d’assumer l’évolution institutionnelle constatée aujourd’hui et d’en tirer les pleines conséquences dans la définition à la fois du rôle du Président de la République et de celui du Parlement.

Tel n’étant pas le cas, le Parlement ferait mieux, plutôt que de chercher en vain un renforcement de son rôle dans une réforme constitutionnelle, de se saisir déjà des pouvoirs qu’il n’exerce pas, notamment en matière de contrôle de l’exécutif. Si le Parlement n’est pas plus fort aujourd’hui, c’est en effet essentiellement de sa faute, et il ne faudrait donc pas que le texte proposé le détourne de l’effort qu’il doit accomplir sur lui-même.

La garde des Sceaux a précisé, s’agissant des personnalités, hors les magistrats, qui composent le CSM, qu’elles seront toujours nommées par les mêmes autorités politiques, mais après avis d’une commission, ce qui permettra de renforcer leur indépendance.

Quant à la parité entre magistrats et non-magistrats préconisée par la « commission Outreau », il faut rappeler que cette commission avait regretté à l’époque le corporatisme de la magistrature et le manque d’oxygène en matière de nomination et de promotion, n’excluant donc pas d’aller au-delà de la stricte parité. En outre, le projet de réforme du CSM de 1998 prévoyait, ainsi que Mme Guigou l’a confirmé, dix magistrats sur vingt et un membres, soit une minorité.

Si le choix a également été fait aujourd’hui de disposer d’une minorité de sept magistrats sur quinze membres, c’est tout simplement pour éviter tout risque de blocage, notamment en matière de désignation, sachant que le CSM émettra désormais un avis non seulement sur les nominations, mais également sur les conditions d’avancement des magistrats ainsi qu’en matière disciplinaire.

S’agissant des instructions individuelles écrites et versées au dossier, domaine dans lequel le Parlement est intervenu en 2004, elles ont pour effet de renforcer la transparence dans les rapports entre le pouvoir exécutif et les parquets. L’indépendance de ces derniers compromettrait, à l’inverse, la mise en œuvre, en application de la loi, d’une politique pénale claire sur tout le territoire.

Mme Élisabeth Guigou a précisé que rien n’a jamais empêché le garde des Sceaux, dans le cadre de la politique pénale, d’adresser des instructions générales aux procureurs généraux. Ce sont les instructions individuelles qui posent un problème.

La garde des Sceaux a rappelé que celles-ci s’inscrivent dans le cadre des dispositions adoptées par le Parlement en 2004 et ne sont pas verbales, mais écrites.

Quant au rôle du Président de la République, le fait de prévoir qu’il ne présidera plus le CSM constitue une réelle avancée. Rien ne lui interdirait en effet aujourd’hui de prendre part au vote en matière de nomination des magistrats. Le Président de la République a choisi de ne plus présider le CSM et donc de s’interdire de prendre part aux décisions. Ce choix, dont la cohérence doit être soulignée, se traduit par une confiance accrue accordée aux deux plus hauts magistrats de France, d’autant que la nomination des procureurs généraux fera désormais l’objet d’un avis du CSM.

S’agissant de l’exception d’inconstitutionnalité, il faut rappeler que le contrôle du Conseil constitutionnel s’exerce aujourd’hui avant promulgation, sur la saisine, notamment, de soixante députés ou sénateurs. Il s’agit aujourd’hui d’aller plus loin afin de donner plus de pouvoirs en la matière aux justiciables qui pourront invoquer devant le juge administratif ou judiciaire l’inconstitutionnalité d’une loi. Si le Conseil constitutionnel, statuant en dernier ressort, déclare une disposition inconstitutionnelle, celle-ci ne sera alors pas appliquée au justiciable concerné et sera automatiquement abrogée.

En réponse à M. Jean-Christophe Lagarde, la garde des Sceaux a confirmé que la disposition en question sera bien abrogée erga omnes et non pour le seul justiciable concerné.

L’engagement pris en matière de nomination par le Président de la République lorsqu’il était candidat est tenu, puisque le pouvoir de nomination est encadré. C’est ainsi que les nominations aux plus hautes responsabilités tant en matière économique et sociale que de libertés seront soumises à un avis avant décision du Président de la République.

Enfin, les droits des citoyens sont renforcés puisqu’il sera créé dans la Constitution – ce qui n’était pas le cas pour le Médiateur de la République – un Défenseur des droits des citoyens, que tout citoyen pourra saisir.

Le secrétaire d’État a rappelé, s’agissant du calendrier, que la Constitution de 1958, à laquelle il est fait souvent référence, a été élaborée en moins de deux mois après la mise en place du comité consultatif constitutionnel au mois de juin précédent, et qu’elle a été soumise à référendum dès le 28 septembre 1958. Le fait d’avoir aujourd’hui disposé d’un an pour préparer la révision de la Constitution paraît donc suffisant.

Pour autant, l’application du seul règlement des assemblées ne saurait suffire à renforcer leur rôle, car ce dernier ne peut être modifié, s’agissant du partage de l’ordre du jour, de l’examen en séance plénière du texte issu des travaux de la commission ou de la limitation de l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, qu’après réforme de la Constitution.

Il convient également de rappeler que si, en 1873, M. Thiers s’est vu refuser la possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement, c’est parce que ce dernier était monarchiste et qu’il ne voulait pas qu’un républicain entre à l’Assemblée.

S’agissant enfin des droits de l’opposition, ils sont considérablement renforcés tant en ce qui concerne les partis que les groupes, étant rappelé qu’une disposition constitutionnelle est nécessaire en la matière afin de plus se heurter au principe d’égalité. C’est donc bien une avancée en faveur des partis d’opposition que le Gouvernement, qui est ouvert à des modifications par voie d’amendement, souhaite établir dans la Constitution.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a procédé à la désignation des membres de la mission d’information relative aux centres de rétention administrative et aux zones d’attente.

Ont été nommés : M. Éric Ciotti, M. Thierry Mariani, M. Christian Vanneste, M. Serge Blisko, Mme George Pau-Langevin, M. Michel Hunault, M. Patrick Braouezec.

La Commission a ensuite procédé à la désignation des membres de la mission d’information relative à la nouvelle méthode de recensement de la population.

Ont été nommés : M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Vuilque.

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La Commission a désigné M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis sur les articles 3, 4, 5, 6, 7, 11, 13, 14, 18, 19, 21, 22, 23, 26, 27, 32, 33, 34 et 35 du projet de loi de modernisation de l’économie (n° 842).

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