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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Jeudi 18 septembre 2008

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 81

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales, sur le fichier EDVIGE

La Commission a procédé à l’audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales, sur le fichier EDVIGE.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous avons le plaisir de vous accueillir, Madame la ministre, après l’intense journée de travail que nous avons eue hier, puisque notre Commission a procédé à huit auditions. Nous avons reçu des représentants de syndicats de magistrats, du collectif «Non à EDVIGE », des barreaux, de l’Ordre des médecins, ainsi que les présidents de la CNIL, de la HALDE et le directeur général de la police nationale.

Au terme de ces auditions, la Commission, après débat, a adopté à l’unanimité neuf recommandations que voici.

S’agissant du champ du fichier tel qu’il résulte de la rédaction actuelle du décret créant EDVIGE, l’expression « personnes pouvant porter atteinte à l’ordre public » nous a paru trop large. Nous souhaitons plutôt que l’on parle «d’individus pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes et des biens». Si l’inclusion dans ce fichier des personnes sur lesquelles une enquête administrative est nécessaire nous semble justifiée, nous souhaitons qu’en soient ôtées « les personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ». La diversité des finalités de ce fichier est en effet le point qui troublait le plus les personnes que nous avons entendues. Nous considérons que les informations dont l’État a besoin sur les personnalités n’ont pas à figurer dans un tel fichier, pouvant parfaitement être recensées dans un répertoire administratif tenu dans les préfectures, le cas échéant, sur déclaration des individus concernés eux-mêmes. Cela n’a rien à voir avec la prévention de la délinquance.

En ce qui concerne les mineurs, qui pourraient figurer dans ce fichier dès l’âge de 13 ans, nous souhaitons que soit introduit un droit à l’oubli. Autant il est utile pour la police de disposer d’informations sur certains mineurs, notamment dans le cadre de la lutte contre les violences urbaines – le directeur général de la police nationale a été extrêmement clair sur ce point –, autant les données doivent pouvoir être effacées au bout d’un certain temps. Il serait injuste qu’un jeune qui a pu avoir pendant quelque temps des comportements ayant conduit à le ficher soit pour toujours pénalisé et se trouve ultérieurement exclu de certaines carrières alors même qu’entre temps il n’aurait plus commis aucun acte répréhensible.

S’agissant des données pouvant figurer au fichier, nous souhaitons que soit exclue toute donnée relative à la santé, à la vie sexuelle, ainsi qu’à l’origine raciale des personnes.

S’agissant de la consultation du fichier, plusieurs des personnes que nous avons auditionnées ont estimé que la rédaction actuelle du texte laissait une trop grande marge de manœuvre. Parce que cette consultation doit demeurer exceptionnelle, nous souhaitons qu’elle ne puisse être effectuée par un fonctionnaire de police ou de gendarmerie qu’après accord préalable écrit de son chef de service. Nous souhaitons également que soit assurée la traçabilité de toute consultation. Pour m’en être entretenu avec vous, je sais que c’est également votre souci. Le directeur général de la police nationale nous a avoué hier avec beaucoup de franchise qu’il avait pu arriver, heureusement très rarement, que des fichiers aient été consultés pour des motifs ne relevant pas de l’intérêt général. Les personnes figurant dans le fichier doivent être protégées de tels comportements.

S’agissant de la mise à jour et du droit de rectification du fichier, nous souhaitons que soit mise en place une procédure formalisée d’actualisation, sous le contrôle de la CNIL et que soit facilité, pour chaque citoyen, l’accès aux informations le concernant et le droit de les rectifier. On nous a en effet signalé le cas d’une personne ayant demandé en 1999 à avoir accès aux informations la concernant, se l’étant vu refuser, ayant contesté ce refus, et n’ayant obtenu une réponse du Conseil d’État qu’en 2008 !

La Commission a par ailleurs décidé, toujours à l’unanimité, la création d’une mission d’information sur les fichiers de police, laquelle sera confiée à un rapporteur de la majorité et à un co-rapporteur de l’opposition. Si, aux termes de leurs travaux, il apparaît nécessaire de renforcer la législation sur tel ou tel point, cela pourrait se faire en 2009, peut-être dans le cadre de la future loi d’orientation sur la sécurité.

Pour être exhaustif, je me dois de dire que M. Noël Mamère a souhaité, pour sa part, que l’on renonce au fichier EDVIGE et que l’on recoure à la loi, non au décret. M. Manuel Valls, lui aussi favorable à un recours à la loi, s’est déclaré hostile à l’inscription dans le fichier de mineurs de moins de 16 ans et a souhaité que ne puissent y être recensées que des « activités » et non des « opinions »politiques, philosophiques ou religieuses.

Nous vous avons transmis ces préconisations hier soir, Madame la ministre. Nous souhaiterions maintenant savoir où en est le Gouvernement dans sa réflexion sur EDVIGE et connaître votre sentiment sur nos demandes.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Je vous remercie de votre accueil et vous redis combien je suis heureuse de venir m’exprimer, chaque fois que vous le souhaitez, devant votre Commission, comme c’est le devoir du Gouvernement vis-à-vis du Parlement, et encore plus depuis la réforme constitutionnelle adoptée cet été.

J’ai moi aussi mené de nombreuses consultations. Je vous ai reçu, Monsieur le président de la Commission, ainsi que votre homologue du Sénat. J’ai également reçu des représentants de la CNIL, de la LICRA, de la HALDE, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, des représentants des magistrats, des avocats, des associations de défense des droits des homosexuels, de l’Association des paralysés de France, des organisations patronales et syndicales, ainsi que des représentants des diverses religions et obédiences. Ces consultations ont été l’occasion de préciser quelques points, de corriger certaines erreurs d’interprétation mais surtout, et tel était bien leur objet, de faire remonter jusqu’à nous toutes les inquiétudes. Les Français doivent avoir confiance dans le ministère de l’Intérieur et le percevoir comme celui de la protection des personnes et des biens mais aussi des libertés. C’est d’ailleurs dans cette perspective que j’ai décidé d’en rendre le fonctionnement le plus transparent possible, en nommant un porte-parole du ministère – et non du ministre – et en ouvrant les services les plus secrets, DST et RG, à la télévision et à la presse. Il est important que les Français sachent comment travaillent au quotidien, avec beaucoup de dévouement, les fonctionnaires de ce ministère.

J’ai écouté les inquiétudes, mais aussi les suggestions. Et j’ai bien sûr étudié avec le plus grand soin, après que vous me les avez transmises hier soir, les propositions de votre Commission qui rejoignent, pour certaines d’entre elles, des idées formulées par mes interlocuteurs. J’ai essayé de les intégrer au nouveau projet de décret modifiant le fichier EDVIGE, que j’ai présenté cet après-midi au Premier ministre.

Tout d’abord, pourquoi un décret plutôt qu’une loi ? Pour des raisons juridiques, parallélisme des formes et séparation des domaines législatif et réglementaire. Il ne s’agit ici, en effet, que d’étendre, dans un cadre différent, un fichier qui existait déjà, celui des Renseignements généraux.

Ensuite, pourquoi un nouveau décret ? Pourquoi ne s’être pas contenté de modifier les dispositions les moins claires ou les plus contestables de celui du 1er juillet ? Il m’a semblé plus clair, plus lisible, plus transparent de réécrire totalement le texte. Les entretiens que j’ai eus ont fait apparaître le besoin de clarifier ce qui constituait initialement les trois finalités du fichier EDVIGE – trouble à l’ordre public, candidature à un emploi sensible et vie publique et qui figurent déjà dans le décret de 1991 ayant formalisé le fichier des RG.

Celui-ci, je le rappelle, avait pour but de « collecter, conserver, traiter les informations pouvant porter atteinte à la sûreté de l’État ou à la sécurité publique ainsi que celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec celles-ci, les personnes ayant obtenu ou sollicitant une autorisation d’accès à des informations protégées, les personnes physiques ou morales qui ont sollicité, exercé ou exercent un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle politique, économique, social ou religieux significatif ». Le « mélange des genres » aujourd’hui dénoncé datait donc tout de même de dix-sept ans ! La clarification apportée n’en est que plus nécessaire. Si nul ne conteste le besoin de constituer des fichiers, il importe de bien définir la finalité de chacun d’entre eux et, partant, les données qu’il doit comporter pour y répondre.

Je commencerai par celui qui a suscité le plus de craintes, celui qu’on appelle communément le fichier des personnalités. Pourquoi collecter des informations sur les personnalités et constituer une sorte de Who’s who de la vie publique ? Cette base de données documentaire sur les activités des personnalités nationales et locales sert par exemple à trouver des interlocuteurs lors de concertations ou de tables rondes sur un sujet donné. Elle sert aussi à l’élaboration des mémoires de proposition pour les candidats à une remise de décoration et, de manière plus anecdotique, à constituer les listes d’invités à certaines réceptions. S’il est très facile d’obtenir les coordonnées des personnalités nationales, il n’en va pas de même au niveau local où il n’est pas toujours aisé de trouver celles de tel président de club sportif ou de responsable d’association de défense de l’environnement.

Si ces informations sont indispensables, la question peut en effet se poser – et elle aurait pu l’être déjà il y a dix-sept ans, car en l’espèce nous n’avons fait que reconduire à l’identique les dispositions du décret de 1991 – de savoir si ce répertoire des personnalités publiques et de leurs activités a bien sa place dans un fichier de police.

Sur la nature des informations collectées, des craintes ont été exprimées. En réalité, il n’a jamais été question que figurent dans ce fichier des données relatives à la santé ou à la sexualité des personnes. Par sa finalité même, ce fichier ne peut comporter que des données relatives à leur vie publique. Tel était bien ce qui était prévu dans la version initiale d’EDVIGE mais le caractère trop vague de la rédaction – demandée par le Conseil d’État –, qui ne visait que la caractéristique des structures ou des institutions a été source de malentendus. Pour connaître les coordonnées du président d’une association de lutte contre les myopathies, nous n’étions pas autorisés, nous a dit le Conseil d’État, à faire figurer dans le fichier le mot « myopathies » si n’était pas expressément prévu dans le décret le droit de faire mention à une référence médicale. C’est de là qu’est née l’ambiguïté, mais c’est bien l’objet de l’association et lui seul qui est visé, en aucun cas les caractéristiques des personnes. Un fichier de police sert à lutter contre la délinquance : tel n’est pas le but d’une base de données documentaire sur les personnalités. Je propose donc de rompre avec la pratique ancestrale d’un fichier des personnalités publiques. Dans le nouveau projet de décret, la partie relative aux personnalités est donc supprimée du fichier EDVIGE lui-même.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Très bien.

Mme la ministre. Afin de recueillir néanmoins les données nécessaires sur l’identité des personnes physiques ou morales « qui jouent un rôle institutionnel politique, économique, social ou religieux significatif », un répertoire administratif des personnalités pourra être tenu dans les préfectures de région.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Aucune donnée sensible n’y figurera ?

Mme la ministre. Ce répertoire n’ayant qu’une vocation documentaire, les données y figurant seront strictement encadrées : état-civil, profession, objet ou but de l’association, adresse postale et – ou – électronique, numéro de téléphone, toutes informations déjà déclarées en préfecture par les structures elles-mêmes. Seront expressément exclues toutes données relatives aux origines raciales, ethniques, à la santé ou à la vie sexuelle des personnes. J’ajoute, car certains syndicats et certaines associations m’ont fait part de leur inquiétude à ce sujet, que ne figureront nullement dans ce fichier les noms des militants ou adhérents eux-mêmes mais bien ceux des seuls responsables, déclarés en préfecture, des structures. Notre seul souci est de savoir qui est responsable de telle association ou de tel syndicat si nous souhaitons le contacter, non d’en connaître les adhérents.

J’en viens à ce qui est au cœur du fichier EDVIGE et constitue l’objet même d’un fichier de police : les informations en lien avec la sécurité. Les fichiers de police servent en effet à lutter contre la délinquance et à préserver la sécurité des Français, dans tous ses aspects. Nul ne peut de bonne foi reprocher à la police d’être renseignée sur les comportements de ceux qui, par leurs attitudes ou leurs actions, constituent ou peuvent constituer une menace pour autrui non plus que pour évaluer la fiabilité des personnes qui postulent à un emploi engageant la sécurité des personnes et des biens. Ces deux finalités sont conservées dans le nouveau projet de décret mais y figurent en deux parties distinctes. La première doit permettre de connaître les personnes susceptibles de troubler l’ordre public
– casseurs, hooligans, trafiquants... Certains ont estimé la notion « d’atteinte à l’ordre public » trop floue et trop vaste. Afin de lever toute ambiguïté, elle sera remplacée par celle « d’atteinte à la sécurité publique, à la sécurité ou à la dignité des personnes, à la sécurité des biens ». Nous avons ajouté la notion de dignité pour pouvoir viser les déclarations racistes ou antisémites. Cette nouvelle formulation, qui a le mérite de la clarté, correspond aux réalités de terrain et est conforme à votre souhait. Des inquiétudes se sont également manifestées sur la nature des informations recueillies. Elles n’ont pas lieu d’être car seront expressément exclues de ce fichier aussi toutes données relatives à la santé ou à la sexualité.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Très bien.

Mme la ministre. J’ai également décidé que les informations fiscales le seraient aussi car elles ne sont pas nécessaires aux forces de police pour remplir leurs missions. La connaissance de certains éléments du train de vie, comme le fait de posséder une voiture de luxe pour des personnes qui n’ont officiellement aucun revenu, est suffisante par exemple en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants.

Le fichage des mineurs est un autre point qui a fait l’objet d’interrogations. Pourquoi collecter des informations sur les mineurs, le cas échéant dès 13 ans ? Tout simplement, car il nous faut tenir compte des réalités. Nous avons certes obtenu depuis 2002 de très bons résultats dans la lutte contre la délinquance. Les chiffres publiés hier attestent encore la diminution de la délinquance de proximité, celle dont souffrent le plus nos concitoyens au quotidien. Pour autant, certaines formes de délinquance progressent, et force est de constater que les mineurs y jouent un rôle croissant : 46 % des vols avec violence sont le fait d’un mineur, de même qu’un viol sur quatre. Et chacun sait que les trafiquants de stupéfiants utilisent des mineurs, parfois très jeunes, pour faire le guet, voire transporter la drogue, parce que ceux-ci sont moins repérables. Collecter des informations sur ces mineurs ne constitue donc pas une hérésie. C’est au contraire faire preuve de pragmatisme face à la réalité à laquelle sont quotidiennement confrontées les forces de police.

Pour autant, j’ai bien entendu vos propositions – et aussi retenu ce que m’a appris mon expérience antérieure de ministre de la jeunesse et des sports. L’adolescence est une période difficile, où l’on se définit souvent par opposition, notamment à sa famille, voire à l’ensemble de la société. Et il ne faudrait pas qu’un acte isolé, commis parfois sous un effet d’entraînement, puisse définitivement obérer l’avenir d’une personne. C’est pourquoi dès la semaine dernière, j’ai proposé un droit à l’oubli et que le mineur puisse être effacé du fichier dès lors que, sur une période assez longue, il sera revenu à une vie normale.

J’en viens aux enquêtes administratives, deuxième finalité du fichier. La loi exige de la police qu’elle vérifie que les candidats à certains emplois présentent toutes les garanties de fiabilité nécessaires. C’est le cas notamment pour les agents de police, nationale ou municipale, les convoyeurs de fonds, les agents des sociétés privées de sécurité, les croupiers des casinos, les agents des courses hippiques, les bagagistes ayant accès aux avions dans un certain nombre d’aéroports... Les informations collectées à ces fins d’enquête administrative seront les mêmes que celles collectées au titre de la sécurité publique, à l’exclusion de données non nécessaires comme les signes physiques particuliers ou l’immatriculation des véhicules. Par ailleurs, ces données seront conservées pour une durée maximale de cinq ans à compter de leur enregistrement ou de la cessation des fonctions ou des missions des personnes au sujet desquelles l’enquête a été diligentée. Ces propositions répondent, je le crois, aux demandes de votre Commission.

Autre point que vous avez soulevé, ainsi que nombre des personnes que j’ai reçues : le contrôle des fichiers. Il faut être sûr que ceux-ci seront bien utilisés uniquement dans le but fixé par le décret. Contrairement à ce que j’ai pu entendre çà et là, le fichier EDVIGE ne sera pas ouvert à tous. Ne pourront le consulter que les fonctionnaires de la sous-direction de l’information générale, individuellement habilités par le directeur central de la sécurité publique, ainsi que les fonctionnaires exerçant la même mission au niveau départemental, là encore sur habilitation individuelle du directeur départemental de la sécurité publique. À Paris, l’habilitation sera délivrée par le préfet de police. Paradoxalement et contrairement à ce que l’on a pu prétendre, les personnes habilitées à consulter EDVIGE seront beaucoup moins nombreuses que celles qui l’étaient pour le fichier des RG. Celui-ci pouvait être consulté par quatre mille personnes, quand EDVIGE ne pourra l’être que par 1 500.

Il peut toutefois arriver que des agents qui ne font pas partie de ces 1 500 personnes, aient besoin d’accéder à certaines données. Il est dans ce cas précisé que, « dans la limite du droit et du besoin de connaître », les agents des services de police ou de gendarmerie peuvent être autorisés à consulter ces fichiers, « sur demande expresse de leur chef de service précisant l’identité du consultant, l’objet de la consultation et ses motifs ». Ces restrictions devraient être de nature à rassurer chacun.

Je ne reviens pas sur la traçabilité des consultations, le directeur général de la police nationale vous ayant apporté hier toutes précisions à ce sujet. Je souligne seulement que cette traçabilité n’était pas possible auparavant avec les fiches papier des RG. Ce sont les moyens informatiques qui nous permettent désormais de définir précisément qui a accès à quelles informations, et de savoir pendant très longtemps qui y a eu effectivement accès. C’est ainsi que j’ai été conduite, l’an passé, à sanctionner à trois reprises des policiers qui avaient consulté des fichiers sans nécessité répondant à l’un des objectifs précisés dans le décret.

Pour ce qui est du contrôle des fichiers et du droit d’accès des personnes aux informations les concernant, EDVIGE sera bien entendu soumis au contrôle de la CNIL et le directeur général de la police nationale devra, comme il le fait déjà pour le fichier des RG, lui rendre compte tous les ans de la mise à jour des données et de leur effacement au terme des délais prévus. Le décret le rappelle. Pour le reste, c’est la loi qui dispose que le droit d’accès à ces fichiers s’exerce auprès de la CNIL. Son président vous a d’ailleurs rappelé que des membres de la CNIL se rendent quotidiennement dans les services de police pour vérifier le contenu de leurs fichiers et faire corriger d’éventuelles erreurs. Vous avez déploré certaines lenteurs dans le droit d’accès aux fichiers. Sur ce point, il m’est difficile de vous répondre personnellement car dès lors que la justice est saisie, cela ne relève plus de mon ministère. Pour autant, je pense qu’une meilleure distinction entre les trois finalités du fichier et le fait que les personnalités figurent désormais dans un répertoire administratif distinct – d’accès simplifié – devrait permettre d’accélérer les procédures tout en déchargeant la CNIL d’une partie de ces tâches, lui laissant plus de temps pour mener à bien ses autres missions.

Vous le voyez, nous avons d’ores et déjà apporté, et sommes prêts à le faire encore, des modifications pour mieux garantir les libertés, tout en préservant les moyens nécessaires aux forces de police pour assurer la protection de la sécurité des personnes et des biens, et de la dignité des personnes. J’espère que ces éclaircissements et la rédaction du nouveau décret permettront de lever tous les doutes et les ambiguïtés. Le travail des forces de police et de gendarmerie est difficile mais essentiel pour nos concitoyens car il ne saurait être de libertés sans la sécurité dans laquelle les exercer.

Je remercie votre Commission pour la manière dont elle a abordé ce dossier car ce qui importe est en effet de trouver un juste équilibre entre l’impératif de sécurité et celui de protection des libertés.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie de la qualité de votre écoute, Madame la ministre, puisque vous avez répondu aux neuf préoccupations que nous avions exprimées. En tout cas, nous ne regretterons pas le texte de feu le décret du 1er juillet ! Vous avez fort bien fait de reprendre votre copie, après avoir consulté et écouté. Comme je vous l’ai dit en introduction, notre Commission conduira dans les mois à venir une étude sur les fichiers de police. Et si des dispositions complémentaires permettent de mieux sécuriser encore le dispositif et de mieux assurer le respect des droits de nos concitoyens, nous ferons des propositions législatives en ce sens.

J’ouvre maintenant le débat.

M. Jacques Alain Benisti. Je vous remercie, Madame la ministre, d’avoir accepté l’invitation de notre Commission et surtout d’avoir répondu aux préconisations formulées hier à l’issue de nos auditions. Merci d’avoir levé les ambiguïtés, les malentendus même qui avaient pu naître sur le projet de décret, y compris parmi les commissaires de la majorité. Vous avez dissipé des craintes légitimes sur le recueil de données relatives à la santé ou à la sexualité. La nouvelle rédaction du décret est beaucoup plus claire, lisible et rassurante pour tous.

Nous nous félicitons que vous ayez choisi de publier ce décret, car vous auriez très bien pu ne pas le faire. Cela a permis d’ouvrir un débat que personne n’avait eu auparavant alors que durant des années, de tels fichiers ont existé sans que nul ne s’en préoccupe – à l’exception du débat qui avait eu lieu en 1991 et suscité les mêmes alarmes. La question a donc pu être ouvertement posée de savoir si certaines données devaient continuer de figurer dans ces fichiers. Merci d’avoir ôté d’EDVIGE celles concernant les personnalités.

J’insisterai, pour ma part, sur la prise en compte des exigences de la sécurité. Nos concitoyens sont extrêmement attachés à l’élucidation des faits délictueux. Un acte de délinquance de voie publique sur deux est aujourd’hui commis par un mineur, mais seuls 7 % à 13 % de ces actes sont élucidés. Neuf victimes sur dix ne reçoivent donc pas de réponse à leur plainte légitime. Ce fichier, désormais étendu aux mineurs, permettra, je l’espère, d’accroître le taux d’élucidation et de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens. J’avoue avoir été surpris que notre collègue Manuel Valls, pourtant maire comme moi d’une commune sensible, ait pu souhaiter que les mineurs ne puissent être fichés qu’à partir de 16 ans, et non de 13.

M. Christophe Caresche. C’est ce que dit la CNIL.

M. Jacques Alain Benisti. Peut-être, mais n’oubliez pas que nous avons voté une loi abaissant l’âge de la responsabilité pénale à 13 ans. Fort heureusement d’ailleurs, car les actes de délinquance de voie publique sont aujourd’hui, dans un cas sur deux, commis par des mineurs, de plus en plus jeunes. Nous aurions pu certes éluder le sujet, au motif notamment que pour des enfants, il convient de privilégier la prévention. Mais je crois précisément que les renseignements collectés sur certains mineurs dans ce fichier sont de nature à prévenir la délinquance. Sachez en tout cas, Madame la ministre, que la plupart des membres de notre Commission sont attachés à ce que le recueil de données sur les mineurs puisse commencer dès l’âge de 13 ans.

Mme la  ministre. J’espère que les précisions que nous apportons permettront de lever toute ambiguïté. Nombreux sont ceux, en effet, qui, tout en reconnaissant que nous avions les meilleures intentions du monde, ont craint d’éventuelles dérives. En inscrivant certaines précisions dans le nouveau texte, nous répondons à leurs préoccupations.

Nous avions la possibilité de ne pas publier le décret, dites-vous. Pour ma part, je ne l’ai jamais envisagé, même si certains de mes services se sont posé la question. Selon moi, la publication était indispensable, ne serait-ce qu’au nom du parallélisme des formes : il ne s’agissait que de mettre à jour l’ancien décret de 1991, qui avait lui-même été publié.

On m’a ensuite reproché de l’avoir publié en été, sans discussion ni débat. Je le reconnais très volontiers : au départ, je n’ai pas beaucoup cherché à communiquer sur ce sujet. En effet, non seulement le fichier existait déjà, mais le Conseil d’État avait ajouté un certain nombre de garanties. À mes yeux, il ne s’agissait que de transférer sa gestion d’un service à un autre, et je ne voyais donc pas la nécessité de communiquer. C’était sans doute une erreur, que je me réjouis de pouvoir corriger aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, cette date du 1er juillet était impérative. Si j’avais signé le décret plus tôt, une partie des Renseignements généraux aurait été privée de ses moyens de travail, puisque le service conservait son ancienne structure jusqu’à cette date. Si je l’avais signé plus tard, après la scission, la nouvelle structure n’aurait pas disposé des moyens juridiques justifiant son intervention.

J’en viens au fond. Vous espérez, monsieur Bénisti, que le fichier sera un moyen d’améliorer les taux d’élucidation, qui restent limités. Je ne dis pas le contraire, mais je remarque que sur l’ensemble des crimes et délits, nous avons connu depuis un an une progression considérable du taux d’élucidation. De 22 % en 2001, il est passé à 34 % en 2006-2007. Et sur les douze derniers mois, nous dépassons 37 %. Pour les violences seules, ce taux atteint 66 % – crimes et délits confondus ; pour les seuls crimes, il est de 90 %. Restent les atteintes aux biens sans violence, un domaine dans lequel le taux d’élucidation reste en effet très bas. Je souhaite donc généraliser la police technique et scientifique, qui permet d’obtenir d’excellents taux d’élucidation. Comme je l’ai annoncé il y a quelques mois déjà, elle sera une priorité de la LOPSI, dont le vote, dans les mois à venir, nous permettra, je l’espère, d’obtenir de meilleurs résultats en matière de lutte contre la délinquance. L’élucidation est en effet la première justice rendue à la victime.

Mme Delphine Batho. Nous sommes heureux, madame la ministre, de pouvoir enfin vous auditionner. La commission des lois s’est, en quelque sorte, autosaisie de ce sujet, et si elle n’a pas attendu de vous recevoir pour formuler ses recommandations – à l’unanimité, même si certains, et notamment l’opposition, auraient souhaité aller plus loin …

M. le président Jean-Luc Warsmann. Comme je l’ai rappelé !

Mme Delphine Batho. …c’était afin que ces recommandations soient prises en compte le mieux possible.

De fait, les choses bougent, même s’il est toujours désagréable, pour des parlementaires, de lire dans un grand quotidien du soir ou sur Internet des informations dont ils auraient voulu avoir connaissance directement. Certaines remarques ont été prises en considération, notamment sur la question très importante du trouble à l’ordre public, qui appelait une définition beaucoup plus précise. Reste que toutes les craintes ne sont pas levées – j’y reviendrai.

Il n’est pas vrai que le décret sur EDVIGE reprenne strictement le texte des décrets de 1991. Non seulement le champ des données susceptibles d’être collectées est étendu, mais le critère du trouble à l’ordre public conduit à changer la nature même du fichier. Des protestations ont été exprimées dès la publication du décret, mais elles n’ont pas été immédiatement prises en considération. Par la suite, une mobilisation citoyenne sans précédent s’est développée. Le 9 septembre, vous avez donc déclaré ne voir aucun inconvénient à ce que l’on ait recours à la loi, car les libertés publiques relèvent souvent du domaine législatif. Or les auditions auxquelles nous avons procédé hier nous renforcent dans la conviction que la question des fichiers de renseignement mérite un vrai débat démocratique, et donc un débat législatif.

Il est vrai que vous héritez d’une situation dont nombre de gouvernements s’étaient accommodés – même si les décrets de 1991 représentaient un progrès en ce qu’ils comblaient un vide juridique. Il est également vrai que la réforme des services de renseignement était l’occasion de clarifier le statut du fichier des Renseignements généraux. Mais l’article 34 de la Constitution dispose que les libertés publiques relèvent du domaine législatif. Hier, le président de la CNIL jugeait d’ailleurs que ce type de sujet devrait plutôt relever de la loi que du décret. Nous sommes convaincus – et pas seulement sur les bancs de l’opposition – que nous aurions tout à gagner d’un tel débat.

La meilleure réponse à apporter à la mobilisation contre le fichier EDVIGE serait donc de retirer le décret au profit d’un projet de loi. On le voit bien : chaque nouvelle version du décret est l’occasion de lever un nouveau lièvre, lequel rend nécessaires de nouvelles corrections. Or le fichier des Renseignements généraux doit disparaître le 31 décembre 2009. Nous avons donc tout le temps d’organiser ce débat législatif.

Selon vous, le texte du nouveau décret distingue plus nettement les différentes finalités du fichier. Mais ces finalités différentes apparaissaient déjà dans le décret de 1991 et dans celui du 1er juillet.

Mme la ministre. Nous en tirons toutes les conséquences.

Mme Delphine Batho. Voulez-vous dire que le fichier unique sera remplacé par deux fichiers différents ?

Mme la ministre. Exactement.

Mme Delphine Batho. En ce qui concerne les enquêtes administratives, j’ai pu lire sur Internet qu’il serait toujours possible de collecter des informations sur les opinions, notamment politiques, des personnes concernées. Le confirmez-vous ?

Deux questions importantes restent en suspens. Au sujet de ceux que l’on appelle les personnalités, je le répète, il est faux d’affirmer qu’EDVIGE ne ferait que reprendre les dispositions de 1991. Il faut cependant admettre que les choses n’ont jamais été clarifiées dans ce domaine. On nous avait pourtant annoncé il n’y a pas si longtemps la fin de la mission de suivi politique assumée par les Renseignements généraux, et la disparition des notes blanches. Ce travail avait donné lieu, en effet, à certaines dérives – au point que votre prédécesseur avait pu justifier son retour place Beauvau par la nécessité de se protéger contre les mauvais coups –, mais la réforme des services de renseignement y met désormais un terme. En revanche, la sous-direction de l’information générale se verra confier un rôle d’alerte et de prévention à l’égard de certains phénomènes de société, voire de contestation sociale. Dans ce contexte, pourquoi conserver le fichier dit « des personnalités » – d’autant qu’il est en réalité beaucoup plus large, car il n’y a pas 2,5 millions de personnalités dans notre pays – ? On affirme que les préfets ont besoin de savoir qui est président de telle association ou d’en connaître l’objet, mais de telles informations figurent au Journal officiel, et les préfectures disposent toutes d’un fichier du protocole !

Je souhaite donc une réponse claire sur ce sujet : allons-nous réellement abandonner le fichage de tous les citoyens engagés dans la vie démocratique de notre pays et qui se contentent d’exercer leurs droits constitutionnels ? On peut lire dans la presse qu’un arrêté autoriserait les préfets à constituer leur propre fichier. Serait-ce vraiment un progrès ? Vous mentionnez les recommandations que le Conseil d’État vous a adressées sur ces questions, mais malheureusement, nous n’en avons pas connaissance.

Certaines de vos affirmations ont de quoi faire sursauter. À vous entendre, les informations relatives à la vie sexuelle ou à la santé seraient nécessaires pour suivre l’activité des associations…

Mme la ministre. Permettez-moi de vous interrompre. Si nous sommes obligés de préciser dans le décret la possibilité de mentionner de telles informations, c’est par exemple pour pouvoir faire figurer dans le fichier une association de lutte contre les myopathies. Mais ces informations ne seront attribuées qu’aux associations elles-mêmes, pas aux individus. Je le répète, il n’est pas question de les associer à une personne.

Mme Delphine Batho. Si j’insiste sur ce point, c’est parce que l’on nous donne depuis plusieurs jours – et hier encore – une autre lecture de l’avis du Conseil d’État : ces informations seraient nécessaires du fait que, par exemple, une personne militant dans une association de lutte contre l’homophobie devait être supposée homosexuelle.

Mme la ministre. C’est une mauvaise interprétation.

Mme Delphine Batho. Cela traduit en tout cas une vision communautariste des engagements associatifs et, plus généralement, de la société française.

Notre sentiment est qu’il existe dans la société un consensus pour s’opposer à la pratique du fichage des personnalités, laquelle a entraîné des dérives. Vos services semblent pourtant manifester une certaine réticence à l’abandonner. Je lisais ainsi dans la presse que les policiers s’étaient émus à l’idée de devoir, en l’absence de décret, continuer à pratiquer le fichage, mais hors cadre. Nous pensons, nous, que les policiers ont beaucoup mieux à faire que de ficher les élus ou les responsables d’associations, d’autant que les informations protocolaires dont les préfets ont besoin sont déjà disponibles.

La deuxième question importante concerne les mineurs. Nous partageons votre analyse en ce qui concerne la délinquance des jeunes – j’observe au passage qu’elle tend à contredire les résultats dont vous vous prévalez en matière de lutte contre la délinquance. Notre conviction est que de nombreux territoires souffrent d’un travail de police judiciaire insuffisant, et surtout – mais cela ne relève pas des compétences du ministère de l’intérieur – d’un grand déficit en matière de prévention. Nous sommes donc conscients du problème que posent des mineurs délinquants de plus en plus jeunes et de plus en plus aguerris, mais nous n’avons guère été convaincus – y compris lors de l’audition du directeur général de la police nationale – par l’idée qu’un fichier de renseignement pourrait constituer une solution.

En outre, je souhaite vous interroger sur le « droit à l’oubli », pour lequel vous n’avez mentionné aucun délai. Le Premier ministre évoquait un droit à l’oubli automatique à la majorité. Confirmez-vous cette information ?

Mme la ministre. Vous vous dites heureuse de pouvoir enfin m’entendre, mais le président Warsmann m’a proposé de vous rencontrer il y a seulement trois jours. Il m’était donc difficile de répondre plus rapidement. Cela étant, je viens à chaque fois que la commission des lois me le demande. Je le fais avec plaisir, parce que cela fait partie du dialogue qui doit naturellement s’instaurer entre le Gouvernement et l’Assemblée.

J’en viens au texte du décret. Selon vous, il aurait fallu recourir à la loi en raison d’un élargissement du champ des données collectées. Mais il n’y a pas d’élargissement. Au contraire, les données susceptibles d’être relevées sont officialisées et encadrées plus précisément, notamment grâce à l’intervention du Conseil d’État. Pour le reste, il s’agit exactement du même fichier. Quant à abroger le décret afin de passer par la voie législative, cela reviendrait à retirer leur habilitation aux services de police et donc à les priver pendant plusieurs mois d’un outil utile. Il n’en est pas question. En outre, en tant que juriste, j’estime que le parallélisme des formes induit le choix du décret. Cela étant, j’ai noté que la commission des lois avait décidé de missionner deux parlementaires pour suivre cette question. Le débat n’est donc pas clos.

Vous m’avez demandé si les opinions politiques figureraient dans le volet du fichier concernant les enquêtes administratives. La réponse est non. En revanche, cela peut être le cas pour les personnalités, si ces opinions ont été expressément déclarées par la personne concernée. En effet, la plupart du temps, un candidat à une mairie ou à un siège de député indique son choix politique à la préfecture.

Vous jugez qu’il ne peut exister tant de personnalités en France, mais – et là, c’est l’ancien ministre de la jeunesse et des sports qui vous parle – notre pays compte environ 1,5 million d’associations et 12 millions de bénévoles. En comparaison, le nombre de personnes mentionnées dans le fichier n’apparaît pas si important. En outre, chaque association doit déclarer en préfecture les noms de son président, de son trésorier et de son secrétaire, ce qui prouve que les renseignements collectés dans le cadre du fichier des personnalités sont de nature officielle. En aucun cas il n’a été question de réaliser un fichage politique, du moins dans la période récente – je ne sais pas ce qu’il en était en des temps plus anciens, notamment lorsque vos amis étaient au pouvoir.

La question du « droit à l’oubli » pour les mineurs est plus compliquée, et c’est pourquoi j’ai demandé à mes services d’étudier différents cas de figure. Le problème n’est pas tant la durée de conservation des données – entre trois et cinq ans – que la façon de la calculer. On peut décider d’effacer le fichier à partir de la majorité, ce qui a l’avantage de la simplicité. Mais si un mineur a, à la veille de sa majorité, un comportement qui peut se révéler dangereux, on ne pourra pas en garder la trace. Autre solution : calculer à partir du dernier fait ayant donné lieu à inscription sur la fiche. Le problème est alors de savoir s’il faut prévoir des nuances, tous les faits susceptibles d’y être portés n’étant pas de la même gravité. Je serais d’ailleurs intéressée d’entendre votre avis sur cette question.

M. Jacques Alain Bénisti. En tout état de cause, le « droit à l’oubli » ne peut s’exercer qu’en l’absence de nouveaux événements.

Mme la ministre. Certes, mais il reste à définir le type d’événements concernés. En outre, la mise à jour serait, dans ce deuxième cas, plus difficile à réaliser. Il faudrait vérifier chaque fiche, ce qui représente un gros travail. Il serait beaucoup plus facile de calculer à partir d’une date de naissance, mais cette solution n’est pas satisfaisante.

M. Jacques Alain Bénisti. On ne peut pas considérer qu’il suffit d’atteindre l’âge de dix-huit ans pour que les faits s’effacent !

Mme la ministre. Bien entendu. La vraie logique est de partir du dernier événement. Mais cela implique un énorme travail de gestion quotidienne, avec, en outre, le risque d’en oublier. Or nous avons intérêt à ce que les fichiers soient « nettoyés » régulièrement. Le principe du « droit à l’oubli » est donc acquis, mais il reste à en définir les modalités, ce que nous allons faire dans les prochaines heures.

M. Sébastien Huyghe. Comme mes collègues, je vous remercie, madame la ministre, d’avoir accepté de vous exprimer très librement devant nous. En ma qualité de représentant de l’Assemblée à la CNIL, je me réjouis de constater que vous avez tenu compte presque intégralement de l’avis que nous avons rendu 16 juin 2008. Mais vous avez annoncé un nouveau décret, sur lequel il me semble que la CNIL devrait être à nouveau consultée. Quand pensez-vous pouvoir lui transmettre le projet ? Dans quel délai le nouveau texte pourrait-il être publié ?

J’en viens au fichier des personnalités, dont l’existence me paraît ne me parait pas inutile, même si ce n’est pas dans un dessein de surveillance. À ce sujet, j’invite notre collègue Delphine Batho à consulter sa propre fiche : elle sera déçue par les informations qui y figurent.

Mme Delphine Batho. Vous l’avez vue ? (Sourires.)

M. Sébastien Huyghe. Pas la vôtre, mais la mienne, oui. Elle ne fait que reporter les indications que j’ai fournies en réponse aux questions que l’on m’a posées après mon élection.

Mais dans le cadre de l’exercice de mon premier mandat, j’ai été confronté, avec ma famille, à des menaces de mort, ce qui m’a amené à saisir le préfet. Je suppose que ce dernier a alors consulté ma fiche pour connaître le lieu de mon domicile, la structure de ma famille, et donc le nombre de personnes susceptibles d’être touchées par ces menaces. C’est pourquoi j’estime que ce fichier des personnalités est utile, par souci de protection. Il ne doit pas concerner seulement les élus, mais tous ceux qui exercent une activité publique et peuvent faire l’objet de menaces.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous en avons débattu longuement hier, et nous sommes tous tombés d’accord pour juger que ce fichier des personnalités n’avait rien à voir avec la prévention de la délinquance. Je suis donc très satisfait qu’il soit séparé du fichier EDVIGE. Par ailleurs, nous devons nous montrer très clairs à l’égard de nos concitoyens : un éventuel répertoire administratif ne devra contenir aucune donnée sensible. Et si vous décidez de le mettre en place, madame la ministre, je serais favorable à ce que son contenu soit déclaratif : il reviendrait ainsi à chaque nouvel élu de fournir ces renseignements. Il faut éviter toute intrusion dans la vie privée d’une personne, même si celle-ci exerce une fonction de représentation ou préside une association. Nous devons trouver un bon équilibre entre la nécessité, pour l’État, de disposer de telles informations et le respect absolu de la vie privée. C’est pourquoi votre décision, madame la ministre, de séparer le fichier des personnalités du fichier EDVIGE va permettre l’extinction de nombreuses polémiques. Il est ainsi mis fin à un mélange des genres qui durait depuis des années. Cette décision fera date en termes de liberté individuelle.

M. Jacques Alain Bénisti. Si le fichier est purement déclaratif, il risque d’être incomplet. Certains conseillers municipaux ont ainsi déjà fait part de leur volonté de ne pas y figurer. Mais comme l’a dit Mme la ministre, chaque élu fait une déclaration officielle en préfecture : ce sont ces renseignements qui doivent figurer dans la fiche.

Mme la ministre. Je vous répondrai d’abord sur le calendrier. J’ai reçu ce matin mes derniers interlocuteurs – syndicalistes et représentants religieux – et j’ai mis à profit l’heure du déjeuner pour tenir compte de leurs remarques. Je viens donc de transmettre au Premier ministre le projet de décret qui, en principe, devrait être soumis demain à la CNIL, puis au Conseil d’État.

Par ailleurs, dans le cas que vous citez, nous n’avons pas besoin de fichier : s’il y a menace, elle est aussitôt prise en compte. Un répertoire administratif suffirait donc à répondre aux besoins. Dans des circonstances exceptionnelles, rien n’empêche de réclamer les informations à la personne concernée, qu’il s’agisse d’une personnalité ou d’un simple citoyen.

En outre, il n’y a pas intrusion dans la vie privée. Le fichier des ex-Renseignements généraux n’a pas vocation à être exhaustif : il est établi en fonction des besoins, lesquels, comme je l’ai dit, sont de trois sortes : consultations, remise de récompenses, relations de convivialité. Quant à savoir si le fichier doit être purement déclaratif, je ne vois pas bien l’intérêt d’une telle nuance. Certes, dans les villes de moins de 3 500 habitants, les candidats ne sont pas tenus de donner des renseignements, mais une fois élus, les informations sont publiques. Il suffit donc, comme c’est le cas actuellement, de se limiter à des indications publiques pour éviter tout débat et toute crainte.

M. Christophe Caresche. Comme vous l’avez vous-même reconnu, vous aviez la possibilité de passer par la voie législative. D’ailleurs, le fichier des empreintes génétiques a été créé – par Mme Guigou – puis modifié à deux reprises – lorsque M. Sarkozy était ministre de l’intérieur – à la suite de débats législatifs qui se sont révélés très utiles. Vous-même avez envisagé cette possibilité, de même que, par exemple, M. Devedjian ou le président de l’Assemblée nationale. Si vous avez opté pour le décret, comme le droit vous y autorisait, c’est sans doute pour tenter de clore un débat qui commençait à vous poser des difficultés.

Mme la ministre. Permettez-moi de vous répondre dès à présent sur ce point, car les choses sont bien plus simples. Au départ, j’étais ouverte à toutes les solutions. Mais après avoir entendu toutes les remarques sur le fichier EDVIGE, il est apparu que les mesures à prendre ne relevaient pas de la loi. En outre, je le répète, le choix du décret respectait le parallélisme des formes, qui avait d’ailleurs, de façon symétrique, été également respecté pour le FNAEG.

M. Christophe Caresche. Je ne nie pas que la voie réglementaire fût possible. Je dis simplement que vous auriez pu passer par la loi, comme cela a été fait pour d’autres fichiers.

La différence entre 1991 et aujourd’hui, c’est qu’il y a dix-sept ans, la loi attribuait à la CNIL un pouvoir de veto sur la création d’un fichier par le Gouvernement. Elle a depuis perdu ce pouvoir d’autorisation – en 2004, lors du vote de la loi relative au traitement des données personnelles. Ainsi, même si la CNIL considère que ses remarques n’ont pas été entendues, elle ne peut plus s’opposer à l’élaboration d’un fichier. EDVIGE en est justement un exemple : la CNIL a émis à ce sujet certaines réserves que vous n’avez pas prises en compte. M. Türk, qui a été rapporteur de la loi de 2004 nous disait hier qu’il y avait effectivement un problème, et qu’il souhaitait pour sa part que l’on passe par la voie législative, afin que le législateur prenne ses responsabilités.

M. Jacques Alain Bénisti. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Christophe Caresche. Consultez le compte rendu.

M. Jacques Alain Bénisti. Il a justement dit qu’il ne souhaitait pas avoir le pouvoir de s’opposer à la création d’un fichier.

M. Christophe Caresche. Monsieur Bénisti, je ne vous ai pas interrompu tout à l’heure. Laissez-moi m’exprimer !

M. Jacques Alain Bénisti. Ne prêtez pas aux personnes auditionnées des propos erronés !

M. Christophe Caresche. M. Türk nous a dit hier qu’il souhaitait que le législateur prenne ses responsabilités…

M. Jacques Alain Bénisti. C’est faux !

M. Christophe Caresche. …parce que la CNIL n’est plus en situation de le faire. Il a ajouté qu’en outre ce n’est pas sa vocation. Il y a donc manifestement un problème, qui ne concerne d’ailleurs pas seulement le fichier EDVIGE : M. Türk a également évoqué le fichier des cartes d’identité et le logiciel Ardoise, sur lesquels il souhaite que le législateur puisse se prononcer. Consultez le compte rendu de la réunion de la commission des lois, et vous constaterez que ce sont bien ses propos (M. Bénisti proteste).

Je rends donc hommage au président de la commission, qui a décidé de mettre en place une mission d’information pour traiter ce problème.

Les modifications que vous nous avez annoncées, madame la ministre, comportent un certain nombre d’avancées. C’est en partie le résultat du travail fourni par la commission, mais aussi de la forte mobilisation des citoyens, qui se sont ému des conditions dans lesquelles ce décret avait été pris. Il convient de leur rendre hommage. En ce qui concerne les personnalités, je partage l’avis du président de la commission des lois. Arrêtons de raconter des histoires : il s’agit d’un fichier politique, héritage d’une longue tradition dans notre pays, celle des Renseignements généraux. La fin de cette activité représente une nouvelle étape, salutaire pour notre démocratie.

Plusieurs autres modifications vont dans le bon sens. Elles correspondent d’ailleurs aux recommandations que nous vous avons adressées. En revanche, je continue à m’interroger sur certains points.

Une question centrale est celle de l’utilisation du fichier par la police. Je comprends parfaitement que la police ait envie de disposer, dans le cadre de sa mission de sécurité, du maximum d’informations sur telle ou telle personne. Je ne remets pas ce principe en cause. Ce qui est en cause, en revanche, c’est le fait – a fortiori lorsque l’on est mineur – de voir son nom dans un fichier pour des actes qui n’ont pas été réprimés. Il suffit d’être vu, à un moment et dans un lieu donnés, avec des personnes ayant commis un acte délictueux pour y figurer. Le champ d’application est extrêmement large, et donne à la police une latitude très importante : celle-ci pourra ficher des personnes à partir d’éléments particulièrement ténus. Or, le préjudice peut être très important pour ceux dont le nom figure dans ce fichier, surtout s’il n’est pas convenablement géré. On nous l’a dit hier : certaines personnes ne peuvent pas accéder à des emplois parce que leur nom figure dans le fichier STIC alors qu’il ne devrait pas s’y trouver. C’est absolument intolérable. La question de l’apurement des fichiers est donc centrale. C’est pourquoi la commission a longuement discuté de ce que vous appelez le « droit à l’oubli ». Sa proposition de prévoir un délai de trois ans avant l’effacement des données me paraît raisonnable et mérite d’être adoptée.

En ce qui concerne les mineurs, nombre de nos interlocuteurs ont estimé, hier, qu’à treize ans on était bien jeune pour se retrouver dans un fichier de ce type. M. Thouzellier, président de l’USM, propose quinze ou seize ans. De même, dans l’avis qu’elle a rendu, la CNIL indique l’âge de seize ans. De toute évidence, le seuil de treize ans résulte d’un choix personnel de votre part, et il provoque notre inquiétude.

Nous avons entendu de nombreux discours sur le thème : « il faut des outils pour la police ». Je voudrais, pour ma part, souligner le préjudice que peut représenter le fait d’avoir son nom sur un fichier.

Mme Delphine Batho. Concrètement, selon quels critères allez-vous vous décider d’inscrire le nom d’un mineur de treize ans sur le fichier ? Qu’est-ce qui rend un mineur « susceptible de porter atteinte à la sécurité publique » ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. La Commission a suggéré le mot : « peuvent » plutôt que l’expression « sont susceptibles de ».

Mme Delphine Batho. Mais le projet de décret ne reprend pas cette proposition.

Mme la ministre. Si cela vous fait plaisir, nous le ferons.

Mme Delphine Batho. Par ailleurs, qu’il s’agisse du fichier des personnalités ou des enquêtes administratives, ne faut-il pas faire référence aux activités plutôt qu’aux opinions ? Ainsi, j’ai une activité au Parti socialiste, mais mes opinions philosophiques et religieuses ne regardent que moi.

Enfin, je suis inquiète lorsque je vous entends justifier l’évolution entre le décret de 1991 et le décret instituant EDVIGE par la nécessité d’officialiser des pratiques qui, sinon, seraient restées hors de tout cadre légal et réglementaire.

M. Jacques-Alain Bénisti. Je tiens à préciser les propos de M. Thouzellier. Il s’est également interrogé sur l’âge de treize ans en rappelant que bon nombre de faits sont commis par des enfants de dix à onze ans.

Mme la ministre. Je répondrai à M. Caresche, qui s’inquiétait du préjudice causé à certains jeunes, que je pense également au préjudice dont souffrent les victimes. Chacun doit être dans son rôle, et le mien est de donner à la police les moyens de protéger les personnes, les biens et les libertés. C’est une ligne dont je ne dévierai pas.

Vous dites que la CNIL n’est plus en capacité de s’opposer à la création d’un nouveau fichier, mais, je vous le rappelle, il ne s’agit pas d’un nouveau fichier, mais du fichier de 1991, auquel vous ne trouviez pas tant de défauts à l’époque où vos amis l’employaient. L’objectif est d’en clarifier l’usage, non de prolonger certaines pratiques. En particulier, il n’est pas question de réaliser un fichier politique.

La police n’a pas « envie » de collecter le maximum d’informations, elle en a besoin. D’où l’intérêt de séparer le fichier des personnalités du fichier EDVIGE : cela permet de se focaliser sur la lutte contre la délinquance, car c’est bien au regard des nécessités de cette mission que seront appréciées les informations collectées.

Vous craignez que des mineurs puissent être fichés pour autre chose que leurs actes. Bien entendu, il ne s’agit pas de recueillir des impressions. Les fiches seront constituées à partir d’activités individuelles et collectives. Ainsi, dans les banlieues, la fréquentation d’une bande est préoccupante car elle peut conduire à des actes de violence. Et je peux vous dire que les quelque cent policiers blessés à Villiers-le-Bel connaissent le sens de tels actes.

Il est exact, monsieur Bénisti, que des enfants de neuf, dix ou onze sont impliqués dans les trafics exercés par certaines bandes. Si nous avons choisi le seuil de treize ans, c’est en référence à l’âge de la responsabilité pénale. La loi doit être logique si nous voulons qu’elle soit comprise par tout le monde.

La réalité, je vous l’ai décrite tout à l’heure : 46 % des vols avec violence sont commis par des mineurs. Il y a trois jours, la police a interpellé un individu majeur et deux mineurs, dont un de quatorze ans. Ils en sont à leur cinquante-septième vol, dont certains ont été commis à main armée et avec violence.

Mme Delphine Batho. Dans ce cas, leurs noms figurent dans le STIC !

Mme la ministre. Non, car ils n’ont jamais été condamnés. Il n’y a jamais eu de procédure. Mais quand on les a interpellés, ils ont avoué.

M. Jacques Alain Bénisti. Voilà ! C’est ça, la réalité !

M. Christophe Caresche. On peut figurer au STIC sans être condamné !

Mme la ministre. Je pense que le directeur général de la police nationale vous l’a expliqué : ce fichier sert à mener des enquêtes. C’est bien le rôle de la police que de mener des enquêtes, lesquelles conduisent à la saisine du juge et, le cas échéant, à une condamnation. Que vous le vouliez ou non, c’est la réalité.

Enfin, monsieur Caresche, il est prévu que la carte d’identité électronique fasse l’objet d’un processus législatif.

Le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie, madame le ministre. Mes chers collègues, ces auditions auront fait honneur à la fonction de contrôle exercée par le Parlement.

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