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Mercredi 30 avril 2008

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 46

Présidence de Mme Catherine Vautrin vice-présidente

Projet de loi relatif à la modernisation de l’économie. Audition - Table ronde sur la « négociabilité des conditions générales de vente » (représentants de la distribution et des producteurs industriels et agricoles)

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

La commission a organisé, en vue du projet de loi relatif à la modernisation de l’économie, une audition - table ronde sur la « négociabilité des conditions générales de vente » avec des représentants de la distribution et des producteurs industriels et agricoles.

Mme Catherine Vautrin, Présidente, a rappelé que la commission des affaires économiques allait commencer, à partir du 14 mai, l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie adopté le 28 avril par le conseil des ministres. Le texte comprend de très nombreuses dispositions, dont une, très débattue, sur la négociabilité des conditions générales de vente, sujet de la table ronde d’aujourd’hui. Elle a remercié M. Jean-Bernard Bayard, Secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – FNSEA –, M. Jérôme Bédier, Président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution – FCD –, M. Dominique de Gramont, Délégué général de l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation – ILEC – et M. Bruno Luisetti, Administrateur de l’Association nationale des industries alimentaires – ANIA – d’avoir répondu à l’invitation de la commission et les a invités à apporter tout commentaire de nature à éclairer les parlementaires.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur, s’est réjoui que puissent se faire entendre à la fois le point de vue de la distribution à travers la FCD et celui des fournisseurs à travers l’ANIA, la FNSEA et l’ILEC.

Il a suggéré qu’outre la négociabilité des conditions générales de vente dans le secteur agroalimentaire ou à dominante agroalimentaire – notamment, le commerce des produits agricoles périssables – soient abordés, même brièvement les problèmes de l’urbanisme commercial et des délais de paiement.

M. Jean-Bernard Bayard a déclaré que le projet de loi de modernisation de l’économie soulève un certain nombre d’interrogations au sein de la FNSEA. La Fédération souhaite l’élaboration d’un schéma qui conduise à la transparence de la commercialisation des produits et, pour ce faire, la création, non seulement d’un observatoire des prix – sur le modèle des services de la concurrence mais plus développé et se chargeant aussi de communication –, mais aussi d’un observatoire des marges, dont le rapport serait remis annuellement au Parlement.

La FNSEA compte voir réapparaître, dans le projet de loi, la notion de contrepartie à ce qui est abandonné sur les conditions générales de vente. Elle ne peut pas accepter que les prix soient imposés par la distribution sans avoir connaissance des contreparties exigées. Elle a l’impression qu’à travers le projet de loi, sont validées des pratiques occultes en matière de relations commerciales.

Il conviendrait par ailleurs de revoir la liste des produits agricoles périssables, c’est-à-dire des fruits et légumes, qui est incomplète puisque certains produits considérés comme des légumes n’y figurent pas, telles les pommes de terre.

Le projet de loi est présenté comme de nature à régler, comme d’un coup de baguette magique, toutes les questions liées au pouvoir d’achat. Or, l’exemple de la viande porcine montre le contraire : alors que la situation des producteurs est dramatique, le prix du porc dans les rayons a subi une augmentation dénoncée tant par les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes que par un certain nombre d’associations de consommateurs.

On ne saurait oublier le poids de l’activité agricole et de son aval pour l’économie et pour l’emploi : la production agricole est assurée par 550 000 ou 600 000 producteurs et la transformation de ses produits par 10 000 TPE ou PME, qui passent ensuite sous les fourches caudines de cinq centrales de distribution. Les parlementaires comprendront, dès lors, que le schéma proposé dans le projet soulève de fortes interrogations au sein de la Fédération.

M. Bruno Luisetti a indiqué qu’il représente ici l’ANIA, mais qu’il préside par ailleurs une société agroalimentaire, Kraft Jacobs Suchard France. Il a eu ainsi l’occasion d’exercer en France, en Italie, en Belgique et aux Pays-Bas, ce qui lui a permis de comparer les différents systèmes.

Il s’est, tout d’abord, élevé contre l’affirmation selon laquelle les prix sont plus élevés en France que dans les autres pays européens. L’indice Eurostat, seul indice officiel européen, montre que la France se situe dans la moyenne européenne, proche de l’Allemagne, qui bénéficie pourtant de hard discounters qui tirent fortement les prix vers le bas. Une étude Nielsen comparant les prix de produits de même marque sur le plan international montre que la France se situe certainement parmi les pays les moins chers, avec un indice de 98 par rapport à la moyenne.

La loi Chatel n’est en vigueur que depuis le mois de mars et permet surtout aux distributeurs de se concurrencer sur les prix. De nombreuses initiatives ont été prises à la suite de cette loi. Un distributeur a décidé de baisser les prix de cent produits, que l’on trouvait, d’ailleurs, chez les hard discounters. Un autre a fait une remise correspondant à la TVA. Cette nouvelle loi a chassé les marges arrière et donc permis de faire baisser les prix. D’autres se sont alignés sur cette initiative. La négociation des prix entre fournisseurs et distributeurs existe donc aujourd’hui. Elle donne lieu à des remises d’un montant significatif.

L’ANIA demande que, lorsqu’une remise est donnée par un industriel à son distributeur, cela corresponde à un travail mené en commun afin de développer l’activité. Elle est opposée à ce que la négociabilité des tarifs, donc des prix, se fasse sans aucune contrepartie. On ne peut pas négocier un prix contre rien car cela reviendrait à donner à la distribution le pouvoir de fixer les prix. Le rapport de forces en France est différent de celui qui prévaut dans les autres pays européens : la distribution française est très concentrée et fonctionne d’ailleurs efficacement, mais cette concentration lui donne un poids considérable dans les négociations. Quand on sait que le plus petit distributeur pèse 5 % et le plus gros 25 %, et qu’un distributeur représente souvent 30 à 40 % du chiffre d’affaires d’une PME, on imagine le genre de négociations qu’un fournisseur peut conduire si l’on négocie les prix contre rien. Un simple amendement peut permettre de revenir aux propositions faites dans un texte précédent en prévoyant l’établissement par écrit d’un contrat unique dans lequel figure toute somme versée à un distributeur pour développer un business. Si on donne des remises supplémentaires, c’est dans l’espoir de développer le business. Sinon, cela ne peut que tuer la profitabilité de l’entreprise et conduire, par ricochet, à des problèmes de croissance, de salaire et d’emploi.

Dès lors que le projet s’appliquera après qu’elle se sera calmée, il ne faudrait pas que l’actuelle flambée des prix des matières premières serve de prétexte à la distribution à la fois pour fixer ses prix de vente – aucun consommateur ne peut négocier les prix à la caisse d’un hypermarché – et, par son poids, les prix d’achat. Cela lui permettrait en effet de gérer non seulement sa marge mais aussi, par le biais de la négociation, celle de ses fournisseurs. L’équilibre de la négociation impose des engagements de part et d’autre afin que, au final, l’ensemble de la chaîne y gagne.

Il est impossible de faire de la croissance en détruisant de la valeur. Le pouvoir d’achat des consommateurs est le pouvoir d’achat des employés et, quelque part, celui des entreprises. Si ce dernier baisse, cela affectera le pouvoir d’achat des employés, donc des consommateurs.

En Angleterre, seul pays où la négociabilité des tarifs est totale, sur les mêmes produits, les prix et les marges de la distribution sont plus élevés qu’en France. Il ne reste sur les linéaires que quelques marques nationales et internationales. Celles des petites et moyennes entreprises ont disparu ; le tissu industriel s’est réduit.

En France, 80 % des produits consommés en alimentaire sont produits en France. L’industrie alimentaire est la première industrie française et le moteur de la croissance externe. Elle transforme 70 % des produits de l’agriculture. L’ANIA ne tient pas à ce que le tissu industriel alimentaire français disparaisse de l’ensemble de l’économie.

M. Jérôme Bédier a accepté de parler en troisième position, tout en regrettant que M. de Gramont ne s’exprime pas à la suite de M. Bayard et de M. Luisetti.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur, a précisé que c’était la première fois qu’étaient invités à la fois des représentants des fournisseurs et de la distribution. La commission considère qu’entre un client et un fournisseur, il devrait exister des règles plutôt de partenariat que d’opposition, et donc des possibilités d’échanges.

M. Jérôme Bédier a fait valoir qu’il aurait peut-être mieux valu entendre successivement, les interventions des trois autres intervenants puisqu’elles vont dans le même sens.

En ce qui concerne la distribution, la France se fourvoie depuis longtemps dans une économie administrée.

M. François Brottes lui a fait remarquer que celle-ci a bénéficié à la grande distribution.

M. Jérôme Bédier lui a répondu qu’à ses yeux l’économie administrée est comparable à de la morphine : agréable au début, elle finit par délabrer l’organisme. Prévue au départ – c’était l’objectif de la loi Galland – pour permettre aux industriels de contrôler les prix de vente dans les magasins, elle a entraîné en fait une série de difficultés qui aboutissent à une cinquième loi sur le sujet, ce qui n’est pas un signe de bonne gouvernance de l’ensemble du système.

L’important pour la FCD est de trouver ensemble une solution définitive, c’est-à-dire un cadre pour les relations entre l’industrie et le commerce qui fonctionne, comme dans tous les autres pays d’Europe, sur le moyen terme. Il ne faut pas se cacher qu’existe actuellement une forte crise de confiance du consommateur. Tous ces débats ne sont pas sans impact. On observe une baisse importante du moral des consommateurs, qui se traduit par une baisse de la consommation, y compris en volume, ce qui est préoccupant pour l’économie française. Il est indispensable de trouver les moyens de restaurer la confiance globale dans le système et dans la concurrence, dont il faut rappeler qu’elle consiste à agir sur les prix, et non pas à prévoir toute une série d’actions agissant par compressions et contraintes sur tel ou tel acteur afin d’aboutir à tel ou tel résultat. La confiance ne pourra être restaurée que par une concurrence loyale et équilibrée.

Le thème principal de la table ronde, à savoir la négociabilité des conditions générales de vente, est le dernier stade de l’évolution résultant de la loi Galland et de celles qui l’ont suivie : loi « nouvelles régulations économiques », loi Dutreil, loi Chatel, projet de loi de modernisation de l’économie.

La distribution souhaite comme l’industrie avoir un vrai contrat, avec des engagements clairs, écrits et vérifiables. A ce souhait, répond la suppression, proposée dans le projet de loi, du risque de discrimination abusive, risque induit par la loi Galland du fait que, comme il n’est pas facile de négocier sur l’avant, on est obligé de passer par la case « prestations de services », qui est la définition juridique des marges arrière, pour pouvoir négocier les prix avec l’industriel. Il faut mettre fin à ce système, et pouvoir discuter directement les prix.

Contrairement à ce que l’on entend ici ou là, les marges arrière n’ont pas été supprimées. Juridiquement, les prestations de services facturées par le distributeur sont maintenues – contre la proposition de la distribution d’ailleurs. Celle-ci avait indiqué, dès cet automne, dans cette salle même, qu’elle était favorable à leur suppression afin de passer à un mode de négociation simple et direct s’exprimant par réductions de prix ou par avoirs dans le cadre d’un contrat passé à l’avant. Les industriels ont souhaité maintenir les prestations de services, notamment pour la coopération commerciale, et le Gouvernement a arbitré en ce sens. La distribution l’a regretté mais en a pris acte.

Comment négocie-t-on sur l’avant, c’est-à-dire comment, dans le contrat unique, les réductions de prix et les éventuels avoirs sont-ils justifiés ? La distribution est favorable au concept de contreparties globales incluant une explication des réductions de prix et des engagements clairs de la part de l’industriel. Elle approuve la rédaction proposée à cette fin par le Gouvernement qui évite de transférer à l’avant la notion de contrepartie qui existe à l’arrière, laquelle est ligne à ligne. La distribution ne veut pas d’un contrat à l’avant qui aboutisse à une sorte de contrôle ligne à ligne de l’ensemble des points. Concrètement, elle est d’accord pour continuer à négocier des coopérations commerciales, en voyant ce que les industriels souhaitent véritablement. Le niveau de coopération commerciale devrait, selon elle, beaucoup baisser. C’est en tout cas son souhait car c’est tellement compliqué et tellement risqué pour la distribution, compte tenu des contrôles et des risques judiciaires que cela comporte, que moins elle en fera et mieux elle se portera. Elle proposera de négocier plus à l’avant, dans le cadre de véritables plans d’affaires, avec de vrais engagements.

Dans le projet du Gouvernement, quatre garanties sont données aux industriels qui correspondent à leurs souhaits – M. Bédier parle sous leur contrôle. Premièrement, les conditions générales de vente et les tarifs restent le socle de la négociation ; deuxièmement, la coopération commerciale sous forme de prestations de services est maintenue ; troisièmement, il est prévu un contrat unique avec un plan d’affaires et des engagements vérifiables répondant au droit commun des contrats ; quatrièmement, une garantie supplémentaire a été apportée, reprenant les termes mêmes de la proposition que l’ANIA avait formulée au cours des travaux préparatoires, puisqu’est introduite une notion de surveillance de déséquilibre significatif dans les termes du contrat, qui est une manière d’éviter le syndrome du trou noir consistant à ce qu’il n’y ait plus de contractualisation du tout.

La distribution considère que les choix présentés par le Gouvernement correspondent au souci commun qu’il y ait des contrats. Il y a eu une crispation autour du terme de contrepartie. La distribution comprend que ce terme ne soit pas repris à l’avant comme à l’arrière parce qu’il risquerait d’en résulter un système de contrôle ligne à ligne.

En résumé, le projet de loi propose une simplification qui rapproche le système français du droit commun européen.

M. Dominique de Gramont a présenté, tout d’abord, deux remarques sur la procédure.

Premièrement, il déplore, comme Jérôme Bédier, qu’il y ait trop de lois et qu’elles se soient succédées trop rapidement. Le projet de loi de modernisation de l’économie tend à modifier la loi du 3 janvier 2008 alors qu’aucune étude d’impact de cette dernière n’a pu être faite. Ce n’est pas de bonne méthode. La dernière plaisanterie dans les pays européens est : « Quelle est la dernière loi inventée par les Français ? ».

D’immenses efforts et sacrifices sont consentis pour développer l’attractivité de la France vis-à-vis de l’investissement que l’on ne qualifie plus aujourd’hui d’étranger mais de global. Il est à craindre que ces sacrifices ne soient rendus inutiles par la multiplication des lois qui rend le système français incompréhensible, imprévisible et impraticable. Il est très difficile de demander au législateur de ne pas faire de lois, mais M. de Gramont le fait quand même, avec tout le respect qu’il doit au Parlement, se souvenant qu’on lui a appris au cours de ses études que le législateur devait écrire la loi d’une main tremblante.

Mme Catherine Vautrin, Présidente, a fait remarquer que le texte de modernisation de l’économie est d’origine gouvernementale.

M. Dominique de Gramont a également déploré – c’est sa seconde remarque sur la procédure – que la distribution et la production soient sous la pression d’une négociation permanente depuis l’année 2000 et s’est demandé si cela était rentable et n’entraînait pas d’importantes pertes d’énergie. Lors de la dernière concertation, il avait été avancé que, si un accord était trouvé sur un projet commun, celui-ci serait repris par le législateur, un peu comme il a été question de le faire en matière de droit du travail. Le 26 mars dernier, Christine Lagarde et Luc Chatel ont présenté un projet sur lequel – sans enthousiasme excessif parce qu’il y avait beaucoup de sacrifices de part et d’autre – toutes les parties ont été d’accord. Cela ne s’était jamais vu. Or le texte a été transformé sans que l’on sache pourquoi, comment et par qui. Le texte allait plein nord, il va maintenant plein sud. M. de Gramont ne comprend pas cette méthode de travail.

Il s’associe aux remarques faites par M. Luisetti sur les prix. Beaucoup de docteurs « Tant pis » proclament haut et fort que les prix comme les marges sont trop élevés en France. Ces affirmations sont reprises par des professionnels mais aussi par les plus hautes autorités de l’Etat, ce qui est extrêmement dangereux. En effet, le dernier moteur de la croissance, qui est la consommation, se trouve ainsi mis en cause. Les Allemands peuvent s’en passer car ils ont l’exportation et l’investissement. La France n’est pas dans cette situation. Pour la première fois depuis 1993, la consommation a été en baisse en volume dans les circuits hyper- et supermarchés en janvier, février et en mars. On assiste à une sorte de course à l’affolement de l’opinion publique. Résultat : les consommateurs ne consomment plus et, quand on les interroge, leur moral est au plus bas. On est en train de faire le lit de la crise.

Non, les prix ne sont pas plus élevés en France qu’à l’étranger. Ils sont moins élevés que les moyennes de la zone euro. D’après Eurostat, les prix évoluent moins vite dans l’alimentaire que dans la zone euro et même qu’en Allemagne. Pourquoi dénigrer les performances des entreprises françaises ? Pourquoi désespérer le consommateur ? Il faut mesurer les risques avant de faire des effets de manche.

Concernant le thème de la table ronde, M. de Gramont déclare que la négociabilité des conditions générales de vente n’a jamais été interdite en France. On peut offrir une récompense, une sorte de prix Nobel de droit, à qui trouvera dans l’ordonnance de 1986, qui est la base du système français, devenu le titre IV du livre IV du code du commerce, la moindre interdiction de négocier. Il y a toujours eu négociation et celle-ci s’est développée depuis dix ans. De 1998 à 2007, le prix trois fois net de cession de l’industrie de grande consommation des grandes marques en France a perdu dix points. Parallèlement, les marges de distribution sur les marques ont augmenté dans la même proportion. Ces chiffres, établis par l’ILEC, ont été repris par la commission Canivet et par la commission Attali. Il y a donc négociation mais, malheureusement, au détriment des producteurs. Il serait heureux que cette information soit connue du consommateur.

Quant à la discrimination, elle est interdite dans tous les pays, y compris aux Etats-Unis d’Amérique en vertu du Robinson-Patman Act voté au cours des années 1930. Contrairement à ce qui est dit parfois, ce texte est toujours appliqué. Des jurisprudences abondantes datent de la présente décennie. Il a été décidé de permettre la discrimination pour permettre une négociation qui existe depuis toujours. Bien que ce raisonnement soit difficilement compréhensible, les industries de consommation ont accepté de faire un geste politique en l’acceptant. Elles ont indiqué qu’elles voulaient bien négocier à condition que ce soit quelque chose contre quelque chose, conformément au principe du contrat. La production ne veut pas négocier contre rien du tout, que ce soit à l’avant ou à l’arrière. Tout cela crée un prix de cession trois fois net. L’important est de savoir combien on vend à son partenaire. Les fournisseurs se sont regroupés dans une sorte de collectif qui ne dit pas son nom mais qui réunit sept organisations – représentant les grands, les moyens, les petits fournisseurs, les producteurs agricoles, les coopératives, les capitalistes et les indépendants. Ils ont signé un texte important et font circuler une pétition dans laquelle il est clairement affirmé qu’ils veulent négocier contre quelque chose, pétition qui sera adressée au Gouvernement si les choses tournent mal.

M. Jérôme Bédier a indiqué que la distribution est partisane de « contreparties globales et vérifiables ». Ce sont les termes mêmes figurant dans le texte présenté par Christine Lagarde et Luc Chatel le 26 mars dernier et avec lequel les représentants des fournisseurs étaient d’accord, et le demeurent. S’il y a équivoque sur la forme et accord sur le fond, il n’y a pas de problème. Par contre, si l’équivoque sur la forme masque un différend sur le fond pour des raisons politiques, les fournisseurs ne peuvent pas être d’accord. Il est très important – cela demanderait d’entrer un peu dans le détail, or le temps manque et ce n’est pas le lieu – de savoir quelle est la pomme de discorde. Le sentiment actuel des producteurs est qu’il ne s’agit pas uniquement d’une question de rédaction. Mais s’il y a accord général sur la notion de contreparties globales et vérifiables par un tiers, sous-entendu le juge, il ne devrait pas y avoir de problème.

Le texte, tel qu’il a été transformé, « nuitamment » ou « week-endement », ne rejoint pas la dynamique européenne, qui repose sur le principe de mutualité : on discute et on échange quelque chose contre quelque chose, par exemple une amélioration du prix contre un investissement commercial, avec l’idée que la progression du marché en résultant profite aux consommateurs et aux entreprises. Le modèle qui est présenté au Parlement est le modèle anglais, lequel est le cimetière de l’industrie. Si le législateur veut préserver la croissance en France, il ne faut pas s’inspirer du modèle anglais, mais plutôt du modèle rhénan, pro-industriel, pro-fabrication, pro-création de valeurs, qui consiste à commencer par créer de la valeur avant de se demander comment la répartir.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur, a souligné qu’il est de ceux qui, depuis très longtemps, dénoncent les pratiques déloyales existant dans les rapports entre le commerce et l’industrie et qu’il n’accepterait jamais d’être le rapporteur d’un texte consacrant d’une manière ou d’une autre, des pratiques qu’il considérerait contraires à l’intérêt de la société, c’est-à-dire à l’intérêt à la fois des entreprises et des consommateurs. Il ne changera pas d’éthique.

Il a par ailleurs bien noté qu’il n’était pas question, ni d’un côté, ni de l’autre, de négocier sans un minimum de contreparties, de justification, de loyauté et d’éthique. Même si les mots employés laissent percevoir de petites nuances, l’objectif des deux parties paraît être exactement le même.

Tout le monde a intérêt à ce que la loi soit appliquée, car la question la plus importante après le contenu de la loi est celle de l’effectivité de son application.

Les parlementaires, de droite ou de gauche, ont toujours été d’avis que la coopération commerciale pouvait et devait exister. L’absence d’équilibre entre les divers avantages impliquerait celle de la concurrence et donc un nivellement par le bas. Il est de l’intérêt des fournisseurs comme de la distribution qu’un minimum de règles soit défini afin de permettre que soit respectée la concurrence par laquelle passe le juste prix.

M. Michel Piron a remercié les intervenants d’avoir alimenté la réflexion des parlementaires et rappelé certaines vérités qui sont trop peu connues. Les comparaisons européennes sur les prix et les statistiques Eurostat sont très souvent occultées. On aurait tout à gagner à ce que l’information en ce domaine soit mieux diffusée afin de savoir de quoi l’on parle.

Il a fait remarquer à M. Bédier que sa solitude face à trois représentants de producteurs est représentative du rapport existant entre le nombre de centrales d’achat et celui des fournisseurs et de leurs marges de négociation respectives.

M. Jérôme Bédier a précisé qu’il y avait sept centrales d’achat, auxquelles il faut ajouter les discounters, et demandé que le rôle du commerce dans la société ne soit pas négligé.

M. Michel Piron a fait remarquer qu’en matière de négociabilité des conditions générales de vente, la question n’est pas tant de savoir si les marges sont avant ou arrière, mais porte sur les marges elles-mêmes. Quel problème les contreparties ligne à ligne posent-elles exactement à la distribution ? Il se demande si le global est vérifiable et si, en l’occurrence, le diable n’est pas en grande partie dans la sémantique en considérant que des précisions sur la déclinaison des contreparties seraient très utiles.

M. François Brottes s’est étonné des propos de M. de Gramont, qui laissent penser que certains représentants de la société civile ne lisent pas les comptes rendus des commissions de l’Assemblée nationale. Le projet de loi de modernisation de l’économie était annoncé, avec le contenu qu’il semble découvrir. Le Gouvernement a expliqué que la problématique serait « découpée en morceaux ». M. Leclerc, quant à lui, avait indiqué, dans une réunion à laquelle participait M. Jérôme Bédier, que la volonté du Président de la République était de procéder par étapes. Ce n’est donc pas un « scoop » : le Gouvernement essaie de faire passer en plusieurs fois ce qu’il ne parvient pas à faire passer en une seule.

Le législateur devant « faire dans la dentelle » lors de l’examen des textes, il a invité M. de Gramont à entrer dans le détail et notamment à préciser très exactement ce qui avait recueilli l’accord des parties dans le texte initial et ne figure plus dans le projet de loi soumis au Parlement.

Il a demandé à M. Bédier comment il apprécierait le fait que des consommateurs s’autorisent à négocier les prix dans son magasin au motif qu’ils s’y rendent tous les jours et y achètent des quantités importantes. Un tel comportement ne serait pas différent de celui qu’il envisage pour la négociation avec les fournisseurs. A ce sujet, la question des marges arrière ne semble pas poser autant de problèmes qu’on l’a dit parce qu’il y a parfois de vraies prestations de services et paraît être un rideau de fumée ; en souhaitant supprimer les marges arrière, la distribution se montrerait vertueuse et considérerait qu’on réglait ainsi la question de la transparence dans les relations avec les fournisseurs. Le problème qui semble être posé concerne les marges de la grande distribution, sur lesquelles il n’y a aucune transparence. Même si l’augmentation des prix n’est pas un phénomène purement français, il n’en reste pas moins vrai que nos compatriotes sont confrontés à un réel problème de pouvoir d’achat.

Ce qui importe au législateur, c’est la loyauté des relations économiques. Que chacun trouve son compte et gagne sa vie n’est pas choquant en soi, mais il est important qu’il y ait de la transparence. La FNSEA souhaite un observatoire des marges. Le meilleur moyen serait le double étiquetage prix d’achat/prix de vente – en tenant compte de tous les frais afférents comme ceux de transport et de stockage. Ce double étiquetage a existé dans le passé.

M. Brottes a demandé que soit également abordée dans le débat la question de l’urbanisme commercial. Il a fait remarquer à M. Bédier que la distribution a largement profité de l’économie administrée. Les situations captives qu’elle est parvenue à obtenir dans un certain nombre de territoires, ont eu des conséquences favorables sur ses résultats et sur sa capacité à investir ailleurs. Il ne faut pas « cracher dans la soupe ». Peut-être aurait-il fallu qu’une réforme de l’urbanisme commercial intervienne plus tôt car la concurrence n’est pas nécessairement la négociabilité. Le soutenir, c’est mélanger les concepts. On ne peut pas prétendre renforcer la concurrence en supprimant les marges arrière et en instaurant plus de négociabilité.

Il a enfin demandé l’avis des différents intervenants sur la capacité de la nouvelle autorité de la concurrence à améliorer l’observation et la transparence.

M. Michel Raison a souhaité obtenir des éléments comparatifs entre la France et les pays comparables au nôtre en ce qui concerne à la fois les prix et le régime juridique de la discrimination. Evoquant par ailleurs les deux évolutions récentes de la législation, il a souligné que la loi Dutreil a constitué une première étape dans l’autorisation de la revente à perte dont la loi Chatel a renforcé la portée. Il considère par conséquent que le fait que la négociation se fasse à l’arrière ou à l’avant n’a pas une réelle importance pour les fournisseurs qui sont d’ores et déjà   « au taquet ». Seules les quelques grandes marques qui, comme par exemple Coca-Cola, font encore des marges confortables continueront de résister. Il a enfin demandé à M. Bédier si la distribution a utilisé à fond toutes les possibilités qui lui sont offertes de baisser les prix. Si tel est le cas, on peut se demander ce que les modifications apportées à la législation par le projet de loi vont exactement changer.

M. Dominique de Gramont a précisé que la supplique, irrévérencieuse, qu’il a adressée au législateur de faire moins de lois ne mettait pas en cause ce dernier mais concernait le système.

Il a ensuite apporté des précisions sur la modification apportée au texte remis le 26 mars dernier – non daté et non signé, comme il est à présent souvent d’usage –, aux participants à une réunion de concertation présidée par Christine Lagarde et Luc Chatel. Les ministres semblaient le considérer comme un bon compromis puisqu’il recueillait l’assentiment des deux parties. Il tendait à compléter le cinquième alinéa de l’article L. 441-7 du code de commerce – article qui porte sur la convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur – par les termes suivants : « Elle » - la convention – « indique également les contreparties aux avantages tarifaires consentis ». Il était indiqué en note : « observation : il y a consensus des participants pour que les contreparties soient vérifiables et appréciées globalement ». Compte tenu du fait qu’il s’agissait d’un point crucial de la discussion, le terme « vérifiables » avait été inséré pour répondre à l’attente des fournisseurs et les termes « appréciées globalement » pour satisfaire celle des distributeurs. L’insertion de ces termes renvoyait à un accord antérieur, appelé la « plateforme », qui avait été négocié directement, mais qui était imprécis puisqu’il y avait toujours désaccord sur le caractère plus ou moins global des contreparties.

En résumé, il y a eu divergence au départ sur le terme « global » ou « ligne à ligne ». Les fournisseurs ont renoncé au « ligne à ligne » en échange de contreparties, certes globales, mais surtout vérifiables. Tel est le point technique qui sépare fournisseurs et distributeurs. N’est-il que technique ou est-il politique ? S’il y a une divergence politique, il reviendra au législateur de trancher.

M. Michel Raison a fait remarquer qu’il y avait là matière à amendement.

M. Dominique de Gramont lui a répondu qu’un projet d’amendement était d’ores et déjà rédigé en ce sens.

M. Jérôme Bédier a indiqué que la distribution ne voit que des avantages à ce qu’il y ait un débat plus sain sur les prix. Il a souligné que la tendance des Français à se frapper la poitrine en permanence et à critiquer la distribution en disant que les prix et les marges des distributeurs sont plus élevés en France qu’ailleurs et qu’il y a moins de concurrence entre les distributeurs ne repose sur rien. Il s’est déclaré très favorable à la transparence et à ce qu’une véritable information soit donnée sur le sujet en faisant état d’une étude publiée récemment par l’assureur-crédit Euler Hermes SFAC selon laquelle les marges des distributeurs sont tellement sous pression depuis deux ans qu’elles n’incitent pas actuellement aux investissements dans la grande distribution. Les marges des distributeurs, connues de tous les analystes financiers sont aujourd’hui les plus basses sur le marché. Plus le consommateur sera informé de ces réalités et de tous les éléments mis en place par la distribution pour essayer de contrebalancer les effets de la loi Galland – promotions, tickets –, et plus il sera rassuré.

Pourquoi la distribution s’est-elle opposée à l’idée d’une négociation ligne à ligne à l’avant ? Elle peut, certes, sacrifier ses marges dans le cadre de la formation du prix. Elle l’a fait globalement au moment où il y a eu une pression sur les tarifs. Après le vote de la loi Dutreil, elle a fait baisser, entre septembre 2005 et septembre 2007, les prix des grandes marques en moyenne de 2,15 % dans le panel repris par UFC Que Choisir. Elle l’avait fait également en 2004 avec l’accord Sarkozy. Elle avait donc utilisé les marges de manœuvre puisque les tarifs avaient globalement augmenté. Cette augmentation doit être prise en compte dans la négociation qui se déroule dans un contexte compliqué où l’industriel propose des tarifs généralement en hausse. Le problème actuel est que l’on ne peut négocier qu’en vendant des prestations de services, système qui a ses limites puisque toute réduction implique une nouvelle prestation de services. Ce système est celui du ligne à ligne qui entraîne la nécessité de pouvoir utiliser les prestations de services – puisqu’on a décidé de les garder –, non pas comme élément d’habillage, mais pour négocier directement dans un contrat objectif et susceptible de donner lieu à des engagements clairs de la part des deux parties.

Comme M. de Gramont l’a indiqué, fournisseurs et distribution n’étaient pas parvenus à écrire dans le texte cette notion de « contreparties globales et vérifiables ». Ces termes étaient mentionnés en note, sous la forme d’une observation, le mot de « contreparties » étant le même que celui qui justifie les contreparties ligne à ligne à l’arrière. Or, le mode de négociation n’est pas le même sur l’arrière et sur l’avant. Tout ce qui est coopération commerciale restera du ligne à ligne, avec toutes les contraintes qui y sont liées. A l’avant, l’ambiance est différente : il est recherché ce qu’on peut appeler une contrepartie globale. Celle-ci a été « écrite » par le Gouvernement sous une forme qui paraît efficace à la distribution puisqu’elle introduit une nouvelle notion : celle de « déséquilibre significatif ».

Telle est la divergence actuelle. Elle est technique si les parties sont d’accord pour dire qu’il ne faut pas de ligne à ligne à l’avant. Elle est plus politique si l’idée est de vouloir faire du ligne à ligne de manière systématique sur l’ensemble de la négociation.

Quant à la remarque selon laquelle la distribution ne doit pas « cracher dans la soupe » de l’économie administrée, M. Bédier a rappelé qu’elle a combattu les lois Royer, Galland et Raffarin. Il n’est pas la bonne méthode de vouloir encadrer de manière forte le fonctionnement du marché comme le prouve la multiplicité des tentatives visant à corriger les effets pervers que ces lois ont entraînés. C’est pourquoi la distribution milite pour que le projet de loi de modernisation de l’économie soit le dernier texte sur le sujet et que, tout en donnant des garanties aux industriels, il y ait une vraie négociation avec de vrais engagements.

M. Jean-Charles Taugourdeau a demandé si l’on ne pouvait pas envisager d’augmenter un peu les prix à la production et les prix de vente puisqu’ils ne seraient pas plus élevés en France que dans le reste de l’Europe. Il a reconnu cependant que cette proposition n’était pas politiquement correcte aujourd’hui. Il a par ailleurs souhaité savoir s’il ne serait pas possible d’établir , dans chaque filière de production, des prix planchers en dessous desquels on ne pourrait pas descendre. Il a, enfin, suggéré de diminuer aujourd’hui les marges de la distribution, ce qui permettrait une augmentation des prix à la production s’accompagnant d’une baisse des prix. Ce processus favoriserait l’accroissement de la consommation et permettrait donc à la distribution de retrouver, à terme, son volume de marges.

M. Jean-Bernard Bayard a rappelé une expérience malheureuse de prix minimum : une affaire remontant à la crise bovine va passer en justice au niveau européen et vraisemblablement se solder par la condamnation de la France. Même si la profession connaît des difficultés, toutes les filières sont favorables à une politique contractuelle, lisible, contrôlable, qui soit appliquée quelle que soit l’évolution des marchés. Ce dernier point soulève des difficultés. En tant que producteur, il a constaté que des prix courants à la baisse plus bas que le prix de contrat entraîne la remise en cause de ce dernier d’une manière « folklorique » pour des professionnels, arguant sur la qualité ou sur d’autres motifs. A l’inverse, si le prix du marché est plus élevé que celui du contrat, ce dernier est appliqué comme prévu, même si les critères de qualité ne sont pas respectés.

Face aux problèmes abordés depuis le début de la présente table ronde, notamment celui du pouvoir d’achat, la porte de sortie est la politique contractuelle.

M. Jérôme Bédier a fait remarquer qu’en dehors des secteurs affectés par des crises, les prix à la production augmentent globalement du fait notamment de la crise alimentaire. On voit même se profiler une meilleure rémunération des producteurs de porcs.

Les marges brutes de la distribution s’élèvent à 25 %, pourcentage qui doit être relativisé par le niveau des coûts réduisant les marges nettes à environ 2 %. Il a invité les parlementaires à s’informer concrètement du business model de la distribution en visitant une centrale d’achat. Dans le passé, il a été reproché à la distribution d’être trop productive, d’avoir des coûts trop bas et un système trop tendu qui met en difficulté les petits commerçants. Les distributeurs maxi discounters, qui sont encore plus productifs, travaillent de manière différente : ils ont moins de coûts logistiques – leurs marges brutes sont à 20 % au lieu de 25 % - et moins de références. M. Bédier considère qu’il convient de garder en France un dispositif varié et non pas se nourrir, comme les Allemands, avec un petit nombre de références.

La distribution est d’accord avec une contractualisation globale mais très réticente, comme cela a déjà été dit, sur le terme de contreparties car, dans la loi actuelle, il désigne le ligne à ligne. Si l’on distingue entre contreparties globales et contreparties ligne à ligne, un juge aura beaucoup de mal à se repérer. C’est pourquoi le Gouvernement a introduit la notion nouvelle de déséquilibre significatif entre les parties.

M. François Brottes a contesté la possibilité de mesurer ce déséquilibre.

M. Jérôme Bédier a répondu qu’il était mesurable tout autant que les contreparties manifestement disproportionnées introduites par le législateur au moment de la loi NRE et qui ont conduit à des poursuites pénales et à des amendes très élevées.

M. Jean-Paul Charié a souligné, en premier lieu, la volonté clairement affichée par tous les intervenants d’une meilleure loyauté – donc, d’une sanction de ce qui n’est pas loyal. Il a relevé en deuxième lieu qu’il y avait accord sur la notion de contreparties globales et vérifiables. En troisième lieu, il a noté qu’avait été évoquée la capacité des revendeurs à négocier les tarifs, ce qui est différent de négocier la coopération commerciale. En quatrième lieu, il a indiqué qu’un sujet n’a pas été abordé, à savoir celui de la confidentialité. Il ressent la nécessité de faire en sorte que pour que les fournisseurs et les distributeurs redeviennent des partenaires et non pas des concurrents. La concurrence ne devrait pas être entre ces deux parties, mais entre les fournisseurs d’un côté, et entre les revendeurs de l’autre. Cela étant, le législateur est capable de comprendre qu’il y a un devoir d’une certaine confidentialité de la politique d’achat et de revente des uns et des autres.

Sur l’urbanisme commercial, il a invité les intervenants à réfléchir, d’une part, à la question de la validation des schémas de développement commercial et, d’autre part, au relèvement du seuil d’autorisation d’implantation par les commissions départementales d’équipement commercial (CDEC).

M. François Brottes a ajouté la question des délais de paiement. Seront-ils négociables ou non ?

M. Jérôme Bédier lui a répondu qu’ils ne le seront apparemment plus, puisqu’ils vont être réglementés.

La distribution considère que le projet de loi ne répond pas à l’objectif qui devrait être de repositionner vraiment l’urbanisme commercial sur la base du droit commun. La loi Royer a eu pour effet d’« exterritorialiser » l’urbanisme commercial de l’urbanisme de droit commun. Les projets ont été décidés un par un. Comment s’étonner dès lors, au bout de trente ans, que les questions d’urbanisme, notamment celle des entrées de ville ou de la complémentarité entre petit et grand commerces aient été négligées ? M. Bédier craint que les dispositions du projet de loi ne mettent pas fin à ces errements, les CDEC continuant de statuer projet par projet sans que soit posé le problème de la cohérence globale de l’aménagement. Celle-ci est au demeurant du ressort des schémas de cohérence territoriale (SCOT) dont l’élaboration se caractérise d’ailleurs par un grave manque de concertation. Certains justifient le maintien des CDEC en faisant valoir que s’y exprime le pouvoir des élus. Or, le projet de loi prévoit que ces commissions ne pourront désormais plus statuer en fonction de critères économiques mais uniquement sur la base de critères environnementaux et architecturaux et dans ces deux domaines c’est le maire qui détient la compétence dans le cadre du plan local d’urbanisme (PLU). Comment, dans ces conditions, un maire pourra-t-il accepter qu’une autorisation soit donnée par une commission départementale ? La FCD propose de conserver la CDEC pendant trois ans, donc à titre provisoire, avec les modifications prévues par le Gouvernement, et de commencer, pendant cette période, à mettre en place une nouvelle commission départementale chargée d’élaborer, en association étroite avec toutes les formes de commerce et toutes les parties prenantes, et même avec des représentants d’autres départements lorsque des zones de chalandise ou des bassins de vie intéressent plusieurs départements limitrophes, un document d’urbanisme qui s’imposera au PLU comportant un cahier des charges précis.

Dans le projet actuel, il est proposé de revenir au seuil de la loi Royer, c’est-à-dire 1 000 mètres carrés. La loi pourrait prévoir que le document d’urbanisme élaboré par la commission départementale détermine à partir de quel seuil le maire est libre dans le cadre du PLU. Dans une zone rurale, ce pourrait être un seuil inférieur à 300 ou 400 mètres carrés, et, dans une zone très dense comptant beaucoup d’équipements, un seuil inférieur à 800 ou 1 000 mètres carrés.

Pour avoir pris contact à ce sujet avec de nombreuses organisations du commerce, M. Bédier a le sentiment qu’il pourrait y avoir consensus sur cette réforme dès lors que des garanties seraient données pour l’association de l’ensemble des commerces à la préparation de ces documents d’urbanisme,.

Mme Catherine Vautrin, Présidente, a souligné que plusieurs éléments sont à examiner derrière la notion d’urbanisme commercial. Le premier est l’aménagement des entrées de ville compte tenu de l’application du droit commun de l’urbanisme sur ces zones. Le deuxième est la question des seuils, sur laquelle se prononçaient les élus en fonction des bassins de vie et pour laquelle se dessine une volonté d’ouverture, ce que M. Bédier a appelé pudiquement le retour à la loi Royer.

M. Michel Piron a exprimé son accord avec M. Bédier sur la recherche d’une autre gouvernance en matière d’urbanisme. La question est complexe. Faut-il traiter ce sujet à travers le droit de l’occupation des sols, de manière sectorielle, c’est-à-dire à travers des schémas commerciaux, ou dans le cadre de l’approche globale du code de l’urbanisme ? M. Piron a exprimé le souhait d’avoir des éléments de comparaison avec d’autres pays sur la gouvernance en matière d’implantations commerciales. Le droit commun de l’urbanisme semble s’appliquer la plupart du temps mais, en Allemagne, les Länder, voire les villes, ont leur mot à dire. M. Piron souhaite que le commerce soit un des éléments du droit de l’occupation des sols et du code de l’urbanisme en général. Alors que des réflexions sont actuellement conduites, à la suite du Grenelle de l’environnement sur le triptyque « lieu de travail – lieu d’habitation – transport intermédiaire ou services », il semble utile de ne pas dissocier la question du commerce des autres problèmes d’urbanisme. Se pose en la matière une difficulté spécifiquement française, car le droit des sols est communal dans un pays qui compte 36 700 communes. L’instance à qui serait confiée la gouvernance des implantations commerciales doit, au minimum, être intercommunale, bien que les communautés de communes soient la plupart du temps trop petites pour gérer cette question. Certaines agglomérations ont une taille suffisante, d’autres non.

Une réflexion est à mener entre deux concepts différents : celui de bassin de vie et celui de zone de chalandise. On construit parfois des surfaces considérables qui débordent très largement le bassin de vie sans que la zone de chalandise ait été consultée. Le retour à la loi Royer qui a été évoqué traduirait un mouvement circulaire rappelant le stoïcisme. Une réflexion plus ouverte paraît préférable.

M. François Brottes a jugé trop réductrice l’approche du projet de loi, exclusivement liée à la question des seuils, la notion de surface étant liée au droit des sols. Ce qui intéresse un consommateur est d’avoir, pas trop loin de chez lui parce que les déplacements coûtent de plus en plus en cher, des produits de qualité à un prix convenable et une diversité de l’offre. Or, le système actuel repose sur le principe qu’en dessous de tant de mètres carrés, on a un niveau donné de diversité d’offre, et au-delà, une diversité plus importante et, éventuellement, des prix plus bas. M. François Brottes a précisé qu’un débat se déroulait actuellement dans sa commune sur l’implantation de deux moyennes surfaces ayant la même diversité d’offre, mais pouvant entraîner une baisse des prix. Par ailleurs, les moyennes surfaces « thématiques » refusent de s’implanter dans un territoire si l’un des grands généralistes ne vient pas s’y installer car c’est lui qui est « captif ». Les grands généralistes se vantent d’ailleurs d’avoir « dans leur manche » telle ou telle enseigne. L’absence de la locomotive entraîne ainsi celle des wagons. Les habitants des zones rurales ont aussi le droit de ne pas acheter plus cher qu’ailleurs et de bénéficier d’une diversité de choix. Le problème ne peut être résolu par une modification des seuils d’autorisation d’implantation. La concurrence doit assurer le vrai choix pour le client, lequel repose sur le prix, la qualité et la diversité.

Se référant aux critiques formulées contre la multiplication des lois, M. Philippe Tourtelier a fait remarquer que les élus disposaient déjà d’outils permettant de se mettre d’accord, par exemple, sur des chartes d’urbanisme commercial. L’agglomération rennaise dispose d’ores et déjà de trois chartes qui, élaborées avec les commerçants et les consommateurs, ont été incluses dans le SCOT et s’imposent au PLU. Le SCOT en tant que tel n’est pas mentionné dans le projet de loi. Il est pourtant un cadre – en général « inter-établissements de coopération intercommunal (EPCI) – qui permet d’accueillir une charte d’urbanisme commercial. Il s’inscrit de plus dans le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) et prend donc en compte ce dernier dans ses trois dimensions, économique, sociale et environnementale. Restent la question des zones de chalandise qui, parfois, peuvent dépasser les limites du SCOT et celle des déplacements vers les zones commerciales qui seront de plus en plus contraintes par le changement climatique et le prix des déplacements.

Mme Catherine Vautrin, Présidente, a mentionné un élément qui n’a pas été évoqué jusqu’à présent mais dont il faut tenir compte, à savoir le fait qu’un Français sur trois effectue aujourd’hui ses achats sur Internet, ce qui bouscule la notion de bassin de vie et même la question de l’ouverture des commerces le dimanche.

M. Jérôme Bédier a souligné que la montée en puissance de l’e-commerce impose au commerce de s’adapter en temps réel. Si l’on lui met des fers aux pieds et s’il faut dix ans pour mener à bien un projet, il en résultera une multiplication des friches commerciales qui existent d’ores et déjà. Le schéma de développement commercial s’intègre effectivement dans le SCOT. Mais la distribution considère qu’une procédure particulière – conduite de préférence au niveau du département – permettra un vrai débat sur l’élaboration de ce schéma, dès lors qu’elle associera l’ensemble des acteurs économiques et politiques et, éventuellement, les zones situées aux alentours, afin d’aboutir à un document évolutif. De ce dernier point de vue, en effet, le SCOT soulève une difficulté puisqu’il est prévu pour durer dix ans.

Dès lors, il serait bon que le Parlement n’attende pas la réforme du code de l’urbanisme susceptible d’intervenir après le Grenelle de l’environnement, mais se saisisse dès maintenant de ce sujet. Il est souvent reproché au Gouvernement de prendre deux ou trois mesures à la marge sous la pression de Bruxelles au lieu de conduire une vraie réforme, ou de « saucissonner », par exemple en achevant le processus engagé par la loi Dutreil avant de s’occuper de la négociabilité. Pour éviter ce syndrome, la FCD est partisane de poser la question de fond et considère notamment qu’une réflexion inspirée à partir des bassins de vie permettra de dépasser le niveau des communes. Il convient, ensuite, que les élus laissent les acteurs économiques prendre le risque d’investir. Leur rôle est très important pour montrer l’intérêt de leur zone. La FCD n’est pas opposée à ce qu’il puisse y avoir avant le lancement d’un projet un examen de la situation de concurrence pour éviter que des acteurs aient des positions trop fortes au niveau local. En revanche, elle est persuadée que, dès lors que les commerces n’auront plus le sentiment qu’il y a un rationnement des mètres carrés les poussant à se précipiter pour geler des terrains, il sera plus facile de mettre en place des formes de commerce adaptées aux besoins, notamment des formes nouvelles. Le problème numéro un posé par la loi Royer-Raffarin est l’obstacle qu’elle représente pour les acteurs entrant sur le marché qui veulent lancer des formats supérieurs à 300 mètres carrés. Les seules formes nouvelles de commerce actuellement développées en France ont une superficie inférieure à ce seuil. Or, notre pays a toujours été un novateur en matière de commerces. Il a inventé beaucoup de concepts et de formes commerciales qui fonctionnent bien partout dans le monde. Il doit continuer à permettre que de nouveaux formats soient testés et développés.

M. Jean-Charles Taugourdeau a demandé à M. Bédier si la distribution ne craignait que ses fournisseurs lointains ne soient un jour captés par les pays en voie de développement et que cela n’entraîne une pénurie de produits pouvant être produits en France. Ne serait-il pas bon « de choyer un peu » les producteurs situés plus près ?

M. Jérôme Bédier a répondu que la distribution se doit de le faire, non pas par souci citoyen, mais parce que c’est de son intérêt. Elle le fait déjà pour les produits agricoles. Ce n’est sans doute par une très bonne nouvelle à annoncer aux Français, mais la distribution considère qu’elle est au bout de la phase de mondialisation qui a provoqué régulièrement des baisses de prix. Les économistes l’annonçaient depuis un certain temps. On entre dans une économie un peu différente, dans laquelle la compétition va s’accentuer, notamment à cause des achats sur Internet et de leur répercussion sur les prix. Comme toutes les nouvelles formes de commerce, l’e-commerce se développe d’abord sur un marketing de prix bas. C’est pourquoi la FCD souhaiterait sortir définitivement du débat industrie/commerce à la faveur de l’adoption de ce projet de loi, afin de pouvoir retravailler dans le cadre d’une contractualisation assouplie, comme cela se fait dans les autres pays.

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