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Jeudi 27 novembre 2008

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Patrick Ollier Président et de M. Pierre Lequiller Président de la commission chargée des affaires européennes

– Audition, ouverte à la presse, conjointe avec la commission chargée des affaires européennes, de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, auprès du ministre des Affaires étrangères et européennes, sur la présidence française et la stratégie économique de l’Union européenne

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

La commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire et la commission chargée des affaires européennes ont, au cours d’une réunion conjointe, entendu M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, auprès du ministre des Affaires étrangères et européennes, sur la présidence française et la stratégie économique de l’Union européenne.

M. Patrick Ollier, président de la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, M. Pierre Lequiller, président de la Commission des affaires européennes et moi-même sommes très heureux de vous accueillir.

Lors du débat relatif au paquet « énergie climat », l’idée nous est venue, à M. Pierre Lequiller et moi, de vous rencontrer avant votre départ du Gouvernement. Nous respectons votre décision, mais nous allons regretter votre action car nous sommes attachés à cette collaboration que vous avez su organiser, notamment avec la Commission des affaires économiques, et plus encore avec la Commission chargée des affaires européennes. J’ai pu mesurer, récemment à Strasbourg, mais également à Bruxelles et dans d’autres capitales européennes, à quel point vous saviez défendre les intérêts de la France et surtout apporter une contribution positive à la construction de l’Europe, à laquelle nous sommes tous attachés. J’ai pensé qu’il était important de vous entendre avant que vous ne quittiez le Gouvernement.

M. Lequiller et moi-même avons souhaité vous recevoir pour dresser le bilan de la présidence française et pour vous rendre hommage. Nous avons apprécié votre action et nous sommes fiers que vous ayez su, grâce à votre sens de la diplomatie qui vous honore, si bien défendre les intérêts de la France et de l’Europe.

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, tracer les grandes lignes de ce bilan avant le Conseil européen des 11 et 12 décembre prochains et le débat qui aura lieu ici même le 10 décembre ? Les conséquences de la crise actuelle sont-elles susceptibles de porter atteinte à la réforme de la politique agricole commune ?   Celle-ci pourra-t-elle être préservée ? Nous orientons-nous vers un accord politique européen sur le paquet « énergie climat » ? Où en est le projet d’accord sur les télécoms, qui permettrait de réduire le coût de la téléphonie mobile pour les consommateurs ?

S’agissant de la relance, pouvez-vous dévoiler ce qui peut être fait à l’échelle de la France, sachant que le président Barroso a exposé hier ce qui sera fait au niveau européen ?

Enfin, je suis certain que nous nous retrouverons dans le cadre de vos nouvelles fonctions et que la Commission des affaires économiques aura l’occasion, en 2009, de vous entendre au sujet des marchés financiers.

M. Pierre Lequiller, président de la Commission chargée des affaires européennes. Nous avons déjà eu l’occasion, M. Ollier et moi-même, de vous dire, monsieur le secrétaire d’État, le plaisir que nous avons eu à travailler avec vous. Nous vous remercions du soin que vous avez mis à collaborer avec les Parlements nationaux, en particulier l’Assemblée nationale.

Je souhaite, à mon tour, vous rendre hommage, car si la présidence française a été aussi brillante – ce que reconnaissent tous nos partenaires européens –, c’est non seulement grâce à l’impulsion donnée par le Président de la République, mais aussi grâce aux relations étroites que vous avez nouées avec tous nos partenaires, comme nous l’avons encore constaté lors de la réunion interparlementaire.

Le plan de relance présenté hier par la Commission européenne privilégie quatre pistes d’intervention – aides à l’emploi, aides aux entreprises, infrastructures, recherche et innovation : comment s’articule-t-il avec les plans de relance nationaux ?

Comment créer les conditions du consensus avec l’Allemagne en vue du Conseil européen des 11 et 12 décembre prochains, compte tenu du fait que ce pays est dans une situation différente de la nôtre, qu’il a fait des efforts importants pour « entrer dans les clous » des critères de Maastricht, et que l’article écrit par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel montre qu’il existe des sensibilités différentes entre l’Allemagne et tous les autres pays ?

Pouvez-vous donner des précisions sur le calendrier, sachant qu’une intervention rapide est nécessaire ?

Au cours d’une mission récente en République tchèque, le plaidoyer du Président Klaus et l’atmosphère qui régnait à Prague nous ont beaucoup inquiétés. Toutefois, l’avis positif – et unanime – rendu par la Cour constitutionnelle à propos de la ratification du traité de Lisbonne nous a rassurés. A-t-on une chance de voir l’une des deux chambres de ce pays se prononcer favorablement sur ce traité avant la présidence tchèque ?

À la suite de l’audition de Mme Pervenche Berès, présidente de la Commission économique et monétaire du Parlement européen, nous nous demandons si l’initiative prise par la présidence française de réunir le sommet de la zone euro en raison de la crise peut devenir pérenne. Au plan institutionnel, il s’agit d’une grande nouveauté, mais il est vrai que ce sont souvent les crises qui permettent d’avancer.

Le Président Patrick Ollier. Avant de donner la parole à M. le secrétaire d’État, je voudrais saluer la présence parmi nous de M. Jacques Toubon, député européen.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le président de la Commission des affaires économiques, monsieur le président de la Commission des affaires européennes, je vous remercie pour vos mots très aimables. Je remercie également Mmes et MM. les députés, ainsi que Jacques Toubon, qui, la semaine dernière, était présent comme moi-même au Parlement européen.

Ma décision n’a pas été facile à prendre car mes sentiments sont mêlés : regret, parce que mon engagement européen est fort ; satisfaction, parce que la proposition que m’ont faite le Président de la République et le Premier ministre correspond à une certaine logique dans mon parcours. En tout cas, ce sera une autre façon de faire l’Europe.

Je me félicite également de tous les contacts que j’ai eus avec les parlementaires. Les débats en commission ont toujours été pour moi une grande source d’enrichissement. Je serai, comme vous l’avez souligné, monsieur le président, à votre disposition dans le cadre de mes nouvelles fonctions.

La date de mon départ, le 15 décembre, ne relève d’aucun caprice et tient à des contraintes juridiques. Comme vous pouvez le penser, j’aurais aimé poursuivre ma mission au-delà ; las, le droit est le droit et je me dois de m’y soumettre.

J’en viens au bilan de la présidence française. Comme l’a souligné Pierre Lequiller, tous les États membres savent gré à la présidence française et au Président de la République de leur réactivité : ils ont su, qu’il s’agisse de la crise entre la Géorgie et la Russie ou de la crise financière, donner les « coups d’épaule » nécessaires pour bousculer certains principes et certaines méthodes. Alors que l’administration américaine traverse une période de transition, cela a permis à l’Union européenne de s’affirmer en tant qu’acteur global et d’être en avance pour apporter des réponses.

Au sein de ce bilan, le premier élément qui me semble essentiel tient à la rénovation de la méthode. Je gage que le mouvement ne s’arrêtera pas avec la fin de la présidence française et que perdureront les nouveaux modes de gestion que nous avons soutenus. Les sujets économiques et financiers continueront à être traités au niveau des Chefs d’État et de Gouvernement, dans les enceintes appropriées et dans le cadre de l’Eurogroupe. En effet, lorsque l’on partage la même monnaie, les mêmes intérêts et la même banque centrale, il convient d’entretenir un dialogue étroit. Et ce ne sont pas les événements du week-end dernier, au Royaume-Uni, qui me feront renoncer à l’idée qu’il y a une différence sensible entre les solidarités qui s’expriment au sein de l’Eurogroupe et celles qui peuvent survenir à l’échelle européenne.

Je ne dis pas que ce sera un phénomène régulier. Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’il existe un espace commun : il y a des zones de solidarité, des intérêts partagés et une vision commune. Au sein de la zone euro, notamment avec nos partenaires allemands, nous avons une ambition industrielle commune au service de l’unité de l’Europe. En dépit de certaines divergences, nous avons la même ambition, et cela suffit à nous distinguer d’autres économies davantage tournées vers la finance, ou les services. Le patrimoine commun de la zone euro doit être pris en compte.

Désormais, rien ne sera plus comme avant. Je le dis, non pas parce que tout cela a eu lieu sous la présidence française et sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy – encore que son action personnelle ait été déterminante – mais parce que tout cela s’est produit à un moment où l’Europe a dû prendre ses responsabilités, inventer des procédures, et faire revenir la politique dans les affaires européennes. Désormais, quelles que soient les difficultés et les divergences, des débats politiques ont lieu au niveau européen. C’est sain et cela rend l’Europe vivante.

Plusieurs enquêtes montrent d’ailleurs que nos concitoyens ont désormais pris conscience de la valeur ajoutée de l’Europe en période de crise et que celle-ci ne se résume pas à une liturgie ou à un ensemble de règles de procédure à respecter.

La deuxième nouveauté de cette présidence, c’est qu’on ne peut plus opposer une Europe communautaire à une Europe intergouvernementale. Les deux coexistent : dans un « mix » européen. Cela prouve que les traités ont raison et qu’il faut continuer à les soutenir. Une Europe nouvelle est en train de naître. Il y a complémentarité naturelle entre les actions nationales et communautaires.

En outre, nous avons tout intérêt à appliquer le traité de Lisbonne. Son principal avantage est d’assurer la continuité. La gestion des crises a, en effet, mis en évidence la nécessité d’assurer, au niveau européen, une continuité d’action, et une bonne combinaison entre leadership et institutions. Sans leadership, les institutions, aussi bonnes soient-elles, font du sur-place. Sans institutions garantissant la continuité, tout leadership, aussi avisé soit-il, se trouve confronté à des mouvements aléatoires.

Je me trouvais avant-hier à Dublin et nos amis irlandais étaient hier à Paris. Dans le cadre de la préparation du Conseil des 11 et 12 décembre prochains, les contacts sont fructueux et je suis persuadé que nous trouverons un accord politique équilibré pour donner une perspective à la mise en œuvre du traité de Lisbonne.

Après le signal prometteur donné par l’excellent avis de la Cour constitutionnelle de la République tchèque – les déclarations du président Klaus ont peut-être aidé sans le vouloir – et après le congrès du parti ODS les 5 et 6 décembre prochains, il n’est pas exclu qu’une chambre vote la ratification du traité de Lisbonne d’ici à la fin de l’année et que l’autre chambre se prononce en janvier ou février prochains.

J’en viens à la crise économique et aux mesures de relance. Un certain nombre d’États de l’Union européenne sont entrés en récession au troisième trimestre et les prévisions de croissance dans l’UE ont été revues fortement à la baisse pour 2009 : la croissance serait au mieux nulle dans les États membres et les prévisions font état d’une contraction pouvant atteindre plus de 1 % du PIB dans certains pays. Nous devons donc conserver toute notre réactivité.

La Commission européenne a adopté hier des propositions pour le plan de relance. Il est vrai que les mesures sont de nature différente et touchent des champs d’intervention communautaires eux-mêmes différenciés. Mais c’est le propre d’un plan de relance présenté par la Commission européenne. Au reste, on ne peut pas demander aux instruments communautaires plus que ce qu’ils peuvent donner. Compte tenu du niveau d’intégration actuel aux plans budgétaire et financier, les institutions européennes ne disposent pas d’instruments financiers suffisants – et assez concentrés – pour conduire, seules, la relance européenne.

Au niveau européen, on dispose d’une « boîte à outils » et on joue sur différents aspects comme les enjeux climatiques, les marges du budget communautaire, les fonds structurels, les fonds sociaux. Je regrette que l’on ne puisse jouer davantage sur le fonds d’ajustement de la mondialisation et je souhaite par conséquent une révision des procédures afférentes, de sorte qu’il puisse être mobilisé pour les mesures de reconversion, d’adaptation et de mutation de secteurs industriels importants comme celui de l’automobile.

En mobilisant les instruments dont elle dispose, la Commission européenne exprime tout son soutien à l’industrie automobile. Pour tous ceux qui suivent l’actualité européenne, ce soutien est important car cela faisait longtemps que la politique économique européenne n’avait pas retenu une telle approche sectorielle. Bien entendu, il convient de compléter l’action au niveau national.

La Chancelière allemande a indiqué hier qu’elle s’en tiendrait à un plan de relance de 32 milliards d’euros, représentant 1,3 % du PIB de son pays. Tel est l’effort moyen demandé par la Commission européenne aux États membres dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et de l’automobile. Le gouvernement allemand attendra le mois de janvier pour s’interroger sur le lancement de nouvelles mesures. Je pense qu’il y sera obligé dès cette date compte tenu de l’évolution de la situation économique.

Ce qui importe, c’est la bonne coordination entre les plans nationaux et le plan de relance européen pour ce qui concerne les baisses de TVA ciblées notamment sur les écoproduits et dans le secteur automobile, les exemptions fiscales, les plans pour le logement, l’efficacité énergétique et les infrastructures.

Il faut tenir compte des flexibilités communautaires dont disposent les États membres dans leur action. Conformément à la demande de la France, un assouplissement du pacte de stabilité et de croissance est prévu pour 2009. Dans une même démarche pragmatique, il est envisagé, en particulier pour soutenir les PME, une « relaxation » des législations relatives à la concurrence et aux aides d’État. Une certaine flexibilité est accordée dans le décaissement des fonds structurels dans plusieurs domaines, sachant qu’il existe des marges de 4 ou 5 milliards d’euros pour leur utilisation. Sans doute est-il aussi souhaitable de revoir un certain nombre de procédures.

Toutes ces dispositions doivent être accompagnées du point de vue macroéconomique, et nous devrons regarder les décisions prises par la Banque centrale européenne en complément des plans nationaux et du plan européen. Tout le monde admet désormais que l’arme des taux d’intérêt devra être encore utilisée dans les prochaines semaines par la BCE. Le but est d’utiliser les instruments de régulation et les marges disponibles en matière d’emprunts et de mobilisation des fonds au niveau communautaire, de manière à disposer d’une « boîte à outils » commune entre les États membres pour répondre aux propositions de la Commission. L’objectif est de parvenir à une relance nationale et communautaire égale à 1,5 % du PIB. La Présidence française est déterminée à obtenir ces décisions lors du Conseil des 11 et 12 décembre. Le Président de la République a également annoncé que la France présenterait un plan de relance ambitieux au cours du mois de décembre.

J’en viens au paquet « énergie-climat » et je serai à votre disposition pour vous répondre sur la conférence de Poznan qui aura lieu la semaine prochaine. Tout ce qui a trait aux énergies renouvelables, au captage et au stockage du carbone a été réglé. Nous restons concentrés sur le problème du marché du carbone et des permis d’émission de CO2 – ETS ou Emissions Trading Scheme. Il est envisagé de prendre – du fait de la crise économique mais sans sacrifier les objectifs « 3x20 » –, les mesures adéquates pour les secteurs industriels les plus consommateurs d’énergie. Avec nos partenaires allemands et italiens, nous mettons au point plusieurs mesures en ce sens, qui visent notamment à accroître la gratuité de certains permis dans ces secteurs.

Le point le plus délicat qui reste en débat d’ici au Conseil européen du 11 décembre concerne les mécanismes de solidarité que nous devons mettre en place avec les pays d’Europe centrale et orientale et, au premier chef, avec la Pologne, qui est le pays le plus important de la région et celui qui possède l’industrie charbonnière de la plus grande taille. En tant que présidente de l’Union, la France plaide pour qu’un effort soit réalisé dans le cadre des enchères – ou dans d’autres cadres, les fonds structurels pouvant aussi être utilisés – pour affirmer cette solidarité. Il nous reste à convaincre un certain nombre de nos partenaires de faire de même et le dialogue reste difficile.

Il faut profiter des investissements que nous devons accomplir dans les secteurs des transports, du bâtiment, des infrastructures, des produits verts, pour lier le paquet « énergie-climat » aux mesures de relance prises dans les plans économique et financier. D’où l’importance des incitations fiscales, des plans d’infrastructures, des décaissements de fonds au niveau national et au niveau communautaire, en cohérence avec les efforts de nos économies en matière de R&D, d’innovation et de développement d’infrastructures.

Les progrès réalisés dans le domaine énergétique n’ont pas été suffisamment pris en compte. Je me souviens d’une période où il n’y avait pas d’Europe de l’énergie. Je ne prétends pas qu’elle existe aujourd’hui mais nous faisons de grands pas dans le sens de sa concrétisation, en concevant avec nos partenaires allemands une alternative à la séparation patrimoniale entre les grands opérateurs électriques et énergéticiens et en affirmant, tant au Conseil « énergie » qu’au Conseil européen du mois d’octobre, la nécessité de renforcer les interconnections, de disposer de capacités de stockage en commun, d’engager un dialogue plus structuré entre l’Europe et les pays producteurs d’énergie et de prendre des mesures particulières en matière d’investissement pour l’efficacité énergétique.

Quelles conséquences la situation actuelle a-t-elle sur la politique agricole commune ?

Lors du Conseil « agricole » du 20 novembre dernier, Michel Barnier a réussi à obtenir un très bon accord sur l’adaptation du cadre législatif de la politique agricole commune, ce qui n’était pas facile. Les instruments de stabilisation et d’intervention sont maintenus, et c’était notre premier objectif. Nous voulions éviter d’avoir un marché agricole dérégulé et essayions, pour cela, de faire comprendre que la hausse des prix ne pouvait être continue – les faits nous donnent raison jusqu’à présent – et qu’on allait encore vivre avec des cycles importants aussi bien dans le marché des céréales que dans celui de la production animale.

Michel Barnier a également obtenu la préservation d’outils d’intervention en direction des zones et des productions les plus fragiles : zones herbagères et zones d’élevage. Les gouvernements disposeront au niveau national d’une nouvelle « boîte à outils » afin que les aides européennes soient rééquilibrées selon les différentes catégories agricoles.

Nous avons également obtenu le maintien d’aides directes et de dispositifs d’assurance pour faire face aux risques climatiques et sanitaires, de plus en plus élevés.

Mais le débat n’est pas clos. Un nouveau Conseil des ministres se tiendra à Bruxelles, sur l’avenir de la PAC après 2013. Nous espérons y faire adopter un document d’orientation, sur la base des conclusions du Conseil des ministres dit informel qui s’est tenu à Annecy. Notre but est double : affirmer la nécessité de maintenir une politique agricole structurée au niveau européen et d’avoir une production agricole importante, moderne et compatible avec les exigences d’environnement ; faire en sorte que l’agriculture européenne puisse jouer toutes ses cartes sur le marché mondial. Cela ne se fera pas au détriment des pays les plus pauvres et des pays en voie de développement. Compte tenu des règles qui sont les nôtres, notamment des règlements commerciaux, nous continuerons à faire entrer les produits de ces pays en franchise de droits et à aider au développement des cultures vivrières sur place.

M. Christophe Caresche. Je tiens à rendre hommage à M. le secrétaire d’État pour la considération qu’il nous a témoignée et pour son action. Il a joué un rôle tout à fait essentiel.

La crise a sans doute permis à l’Europe de progresser. On peut être optimiste
– c’est la vision que vous nous avez présentée – et penser que les acquis vont perdurer et être renforcés. On peut aussi avoir quelques inquiétudes, et c’est sur celles-ci que porteront mes questions.

Des inquiétudes, d’abord, sur le plan européen qui nous est présenté, et qui est, au fond, une compilation de plans nationaux. Sera-t-il à la hauteur de la crise qui s’annonce et qui va être très profonde ? Permettra-t-il à l’Europe d’engager une action véritablement autonome ? Cela pose la question du budget européen. Alors que nous sommes dans une période de crise extrêmement grave, le plan est loin de ce que Jacques Delors préconisait dans son Livre blanc. Cela montre qu’il reste des résistances très fortes.

Second sujet d’inquiétude : l’attitude de l’Allemagne. Pour de nombreuses raisons liées à son histoire, à sa situation politique et économique, elle éprouve beaucoup de difficultés à rentrer dans une logique européenne ambitieuse et dynamique.

Quels sont, selon vous, les leviers sur lesquels la France pourrait agir pour essayer d’avancer ?

M. Daniel Fasquelle. Je remercie, à mon tour, M. Jean-Pierre Jouyet. Si la présidence française est, comme j’en suis convaincu, considérée comme un succès, c’est parce qu’elle a été bien préparée et parce qu’elle a su réagir comme il le fallait face à la crise.

La France rayonne dans le monde à travers l’Europe et elle gagne donc à en faire partie à l’heure de la mondialisation. Cela vaut si l’Europe protège et régule. Le divorce entre les citoyens européens et l’Union européenne vient de ce qu’elle ne l’a pas suffisamment fait. Ce manque de régulation est particulièrement flagrant dans le domaine de la politique agricole commune. On a commencé à la disloquer à partir de la réforme MacSharry en 1992. Elle avait certes des défauts puisqu’elle a conduit à des excédents de production non maîtrisables. Mais s’il fallait la corriger, il ne convenait pas pour autant de la faire disparaître. Le monde agricole est attaché à la PAC. Les consommateurs ont également intérêt au maintien d’une vraie politique agricole commune.

Le secteur de la pêche doit également être mieux régulé. Il y a actuellement un divorce entre les professionnels et l’Union européenne. La politique commune de la pêche a besoin d’évoluer. Au reste, M. Michel Barnier s’est emparé de ce dossier : pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Dans le cadre de l’Europe qui protège, où en sont les négociations au sein de l’OMC ? Sur de nombreuses questions, les politiques internes sont étroitement liées aux négociations internationales et évoluent parfois à la suite de concessions que l’on n’aurait peut-être pas dû accepter.

Ma dernière question porte sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : l’usage de la langue française. Pour aller régulièrement à Bruxelles, j’ai constaté, en dix ans, un recul dramatique ! Or le français reste la langue utilisée pour la procédure devant la Cour de justice de Luxembourg. Il a été question de créer un fonds recensant l’ensemble des textes législatifs dans les langues des vingt-sept États membres et aussi en anglais. J’avais proposé que ce fonds soit également en français. La chancellerie a évoqué cette question il y a quelques mois, mais je n’en entends plus parler depuis. Qu’en est-il ? A-t-on progressé sur ce point ?

J’ajoute que j’ai été très heureux d’entendre le président de la Commission européenne s’exprimer en Français à l’occasion de la conférence de presse qu’il a tenue il y a quelques jours à Bruxelles, car, malheureusement, il ne le faisait plus jamais !

M. Jacques Toubon, député européen. S’agissant du plan de relance, je veux conforter les propos de M. le secrétaire d’État. Dans l’état actuel du budget communautaire, on ne peut pas faire autre chose que ce que M. Barroso a dit, ou alors il faudrait donner une autre dimension à ce budget. La marge de manœuvre se situe, à mon avis, du côté de la banque européenne d’investissement – et je crois que la France a des projets à son sujet –, mais cela concerne des emprunts et non des crédits.

À l’avenir, il faudra se demander si la création d’un fonds doit être assortie de règles aussi contraignantes et restrictives que celles qui régissent le fonds sur la mondialisation. Il est bien d’ouvrir des possibilités d’utilisation du fonds social, mais il faut savoir que, quand il en a été question, la grande majorité des États membres et du Parlement se sont alignés sur la position de la Commission, qui était la plus restrictive possible. J’ajoute que, l’an dernier, nous avons eu la plus grande difficulté à doter le fonds sur la mondialisation de plus de 500 millions d’euros– et je ne parle pas des règles d’utilisation…

Voilà donc un domaine sur lequel chaque État membre doit réfléchir, sachant que l’Assemblée nationale et le Sénat rechignent toujours à donner plus au budget communautaire.

Ma dernière observation concerne le paquet « énergie-climat ». Il existe une grande distance entre le compromis que le Conseil est en train d’établir avec beaucoup d’habileté avec les Polonais, les Italiens et les Allemands, et la position de la majorité du Parlement, laquelle reste encore extrêmement attachée à la pureté de ce que j’appelle la doctrine Merkel, c’est-à-dire l’accord conclu l’année dernière. Ne soyons donc pas béats sur le paquet « énergie-climat » !

M. Daniel Garrigue. Je salue les opérations de sauvetage menées par les Européens pour faire face à la crise financière. Toutefois, il me semble que le G20 s’est contenté de mesures floues et peu opérationnelles. En tout cas, des dispositions auraient dû être prises il y a longtemps. Et je crains que lorsque nous retrouverons une situation économique plus favorable, lâchement, nous ne fassions pas grand-chose. En matière de régulation, d’autorité et de supervision, les Européens ne doivent pas attendre les suites du G20 mais, au contraire, ils doivent accélérer les choses.

Dans le domaine industriel, vous dites que Français et Allemands devraient travailler ensemble. Je rappelle que le fonds stratégique d’investissement est une sorte de « recarossage » de la Caisse des dépôts, créé pour assurer les missions de la Caisse. À l’échelle européenne, il existe deux outils que nous pourrions mobiliser davantage. Le premier est la législation sur les investissements étrangers et les Allemands viennent d’adopter une loi très satisfaisante en la matière. Quant à la France, depuis la loi de 2005, elle est toujours en désaccord avec la Commission. Ne serait-il pas plus cohérent de mettre en place une législation européenne ?

D’autre part, nous sommes bloqués par le budget européen, mais la Banque européenne d’investissement a la capacité d’emprunter et elle est loin d’avoir utilisé tout son potentiel. Pourquoi ne pas regrouper la Banque européenne d’investissement, la Caisse des dépôts, la KfW – Kredit Anstalt für Wiederaufbau –, la Caisse des dépôts italienne, et mettre en place un fonds stratégique d’investissement à l’échelle européenne ? Cela serait sans doute plus efficace.

Enfin, je m’associe à ce qui vient d’être dit : nous regretterons le départ d’un grand ministre des affaires européennes.

Mme Catherine Coutelle. Je m’associe aux remerciements qui ont été adressés à M. le secrétaire d’État.

Les Européens sont très méfiants à l’égard de l’Europe. Ils l’ont montré à travers différents votes et quelques pays, comme l’Irlande et la République tchèque restent dans l’expectative. Après six mois de présidence française, avez-vous l’impression que les Européens, aux yeux desquels la Commission était très favorable à la dérégulation, à la mondialisation et aux délocalisations, ont changé d’opinion avec la crise ? Pensez-vous qu’ils perçoivent l’Europe comme une entité plus protectrice et régulatrice ? N’estiment-ils pas, au contraire, qu’elle n’en fait pas assez, au moment où les États-Unis sont en train de changer de discours. La régulation, le contrôle, la politique d’intervention ne sont plus des gros mots et tous les Américains s’y convertissent, les plus libéraux en tête ! Croyez-vous que la crise a rendu l’opinion publique européenne plus favorable à l’Europe ?

M. Jacques Myard. J’ai le sentiment, monsieur le secrétaire d’État, que la présidence française a été un tournant et que votre jugement sur l’Europe a progressé puisque vous allez quitter le poste que vous occupez…

J’ai la certitude que le système communautaire tel qu’il a été promu pendant des années s’épuise, qu’il a atteint ses limites, et qu’il y a un décalage entre ce qui s’est passé durant la présidence française et le verbatim des traités. En réalité, ceux-ci ont été bousculés.

Nous avons besoin d’une politique industrielle aux niveaux national et européen, qui soit l’antithèse de celle que fait prévaloir la Commission. Or nous n’avons pas encore tiré toutes les leçons du décalage entre le dogmatisme de la Commission – laquelle prône le « tout concurrence », ce qui a débouché sur un échec – et la « praticabilité » issue de la crise.

Contrairement à ce qui a été dit, le budget européen n’augmentera pas, car aucun pays ne veut payer un sou de plus. Il va falloir revenir à la conception originelle de l’Europe dans le Traité de Rome : on agit ensemble, on prend des positions communes et chaque État les met en œuvre. C’est ce qui se passe pour le plan de relance. On peut renforcer la BEI, mais cela n’ira guère plus loin. Nous n’échapperons pas à une remise à plat, car avec le retour des États, il y aura toujours un décalage entre les traités et la praticabilité du système.

Enfin, comment avez-vous jugé la volée de bois vert que nous a adressée le vice-Premier ministre tchèque dans les pages d’un quotidien du soir à propos de l’affaire des missiles ? On parle de politique étrangère commune, mais le vice-Premier ministre tchèque se permet de nous tancer vertement ! Il y a bien deux sortes d’États en Europe : ceux qui sont puissants et les autres.

M. François Loos. Je salue à mon tour l’action de M. Jean-Pierre Jouyet.

S’agissant de la politique industrielle européenne, la première chose à faire entre pays européens, c’est de dire ce que nous voulons. Si nous voulons de l’électricité pas chère, disons-le ! Mais nous ne le disons pas, car nombre de pays ne veulent pas entendre parler du nucléaire. Si nous voulons une industrie pharmaceutique forte, disons-le ! Mais nous ne le disons pas car nombre de pays ne voudront pas s’associer à cette politique. Si nous voulons une politique aéronautique forte, disons-le !… Si l’on veut que l’Europe soit capable de dire ce qu’elle veut, un certain nombre de pays doivent faire leur acte de contrition. La France défend ces politiques sans tabou, mais elle n’est pas toujours suivie. Bref, il reste du chemin à parcourir avant de pouvoir mener une politique industrielle européenne.

Je voudrais par ailleurs savoir à quoi servent, depuis la mise en place de l’euro, les réserves de change des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, a fortiori dans une période de crise. Quand j’entends dire qu’il faut mettre en œuvre la BEI – pour justement ne rien dire sur la BCE –, je me demande si nous ne sommes pas en train de passer à côté d’une occasion historique de remettre les points sur les « i » en matière de politique monétaire européenne.

En temps de guerre, on fait marcher la planche à billets. Or, aujourd’hui, c’est la guerre, parce que la crise n’est pas seulement dans nos têtes : elle est un accélérateur des mutations. Ceux qui en sortiront grandis sont ceux qui seront capables d’aller plus vite vers ce qui est possible. Ceux qui n’y parviendront pas, on n’en parlera plus ! Tout cela nécessite des changements. En bref, une politique monétaire européenne est-elle envisageable ? À quoi ont servi récemment les réserves de change ? Ne pourrait-on pas les utiliser ?

M. Philippe Tourtelier. Je tiens, moi aussi, à remercier M. le secrétaire d’État pour son action.

Les exemples que vient de citer M. Loos sont liés à l’énergie et à l’environnement. En effet, il est important, dans une période comme celle que nous traversons, d’engager une réflexion sur les déchets nucléaires et l’aviation, même si nous ne sommes pas d’accord sur ce qu’il faut faire.

Il y a une grande différence entre le compromis qui se dessine au Conseil européen et l’état d’esprit du Parlement. Comment sortir de ce blocage ? Ne risque-t-on pas de parvenir à un consensus a minima, et ce compromis permettra-t-il d’atteindre les objectifs du « 3 x 20 » ? J’en doute, compte tenu de nos reculs sur les émissions des véhicules, de notre manque d’ambition sur l’efficacité énergétique, et de la flexibilité que nous avons introduite en matière d’ETS.

Par ailleurs, si l’Union européenne veut conserver sa position de leader pour les questions climatiques – ce qui me paraît essentiel, car elle est sur le point d’être suivie par les États-Unis – suivant le « principe de responsabilités communes mais différenciées », que j’approuve, elle doit changer d’attitude vis-à-vis des pays en voie de développement. Dans le débat sur la part des enchères qui va aux pays en voie de développement, nous ne sommes pas assez affirmatifs. Je le regrette. Je pense que si nous voulons envoyer un message clair, il faut faire des propositions significatives. Vous qui avez la possibilité de fixer un pourcentage, monsieur le secrétaire d’État, faites-le.

Enfin, quelle est l’attitude des assemblées nationales par rapport au pays qui assure la présidence européenne ? Les mesures qui ont été prises sont plutôt en retrait par rapport aux propositions de la présidence française. Pour ma part, j’aurais préféré une autre stratégie, qui aurait permis à la présidence française de s’appuyer sur des propositions de l’Assemblée nationale pour aller plus loin.

Le Président Patrick Ollier. Sur ce point, vous n’avez pas tout à fait tort !

M. Jean-Pierre Jouyet. Vos paroles, madame, messieurs les députés, m’ont fait très plaisir.

Il est vrai, monsieur Caresche, qu’on aurait pu attendre de la Commission une attitude plus proactive et plus anticipatrice, à la hauteur des préconisations du Livre blanc de M. Delors. Le plan de relance est une réponse à la crise mais la Commission aurait pu fixer un cadre d’action et de réflexion plus profond en ce qui concerne les infrastructures, la vision et la dimension sociale.

Quels sont les leviers sur lesquels on peut agir ?

Comme l’a indiqué M. Jacques Toubon, la BEI et les capacités d’emprunt sont des leviers importants. Dans un cadre pur et parfait, on devrait se diriger vers une sorte de fonds stratégique européen d’investissement. Je ne pense pas que l’Europe soit mûre pour regrouper les différentes caisses et fonds. La France ne serait pas le pays le plus réticent à une telle évolution, beaucoup moins que l’Allemagne. Elle plaide même en faveur d’un tel regroupement.

L’Europe devrait être plus ambitieuse sur les mobilisations de financements sur les projets d’infrastructures en matière énergétique, climatique ou industrielle. Elle a pris du retard. Une partie des grands projets décidés à Essen en 1994 reste encore d’actualité.

Il faut augmenter le capital de la Banque européenne d’investissement et lui donner les marges de manœuvre nécessaires.

Des emprunts pourraient être contractés au niveau communautaire pour lancer des projets, par exemple en matière d’énergie ou de climat. Actuellement, tout est atone, et des emprunts seraient de nature à stimuler à nouveau la recherche et l’industrie.

L’emprunt me paraît un levier d’autant plus essentiel qu’il peut être internationalisé. À un moment où il y a des déplacements de capitaux et de richesses importants à travers le monde, l’Europe pourrait utiliser de manière intelligente les capitaux asiatiques ou du Golfe pour un certain nombre de projets bien identifiés d’infrastructures. Macroéconomiquement, cela me paraît une idée intéressante, compte tenu, notamment, comme l’a souligné Jacques Toubon, des difficultés que nous avons sur le plan budgétaire.

Monsieur Myard, les traités sont toujours faits pour les temps calmes et beaux. Quand ce n’est pas le cas, il faut adapter et jouer à la fois sur le budgétaire, le monétaire et l’emprunt. Dès lors que le budgétaire est limité au niveau européen et que le monétaire est contraint par l’utilisation des traités, il ne reste plus que l’emprunt.

M. Jacques Myard. Et les avances de la Banque centrale aux États !

M. Jean-Pierre Jouyet. Je vais y revenir, monsieur Myard.

La coopération franco-allemande reste la pierre angulaire du système. La France et l’Allemagne ont une responsabilité particulière car elles sont, sous des aspects différents, les plus engagées, à la fois, pour l’unité européenne et les réalisations de l’Europe. C’est pourquoi leur coopération doit être traitée de manière particulière.

Les difficultés actuelles avec nos amis allemands viennent du fait qu’ils ne souhaitent plus de transferts importants au niveau communautaire. Pour des raisons tenant à leur politique intérieure, à la structure fédérale de leur État, à leur culture, au fait qu’ils ont déjà réalisé les réformes qui s’imposent et qu’ils sont compétitifs,…

Le Président Pierre Lequiller. Et qu’il va bientôt y avoir des élections !

M. Jean-Pierre Jouyet. … les Allemands pensent que le temps n’est pas venu d’élaborer des réponses communautaires ou des plans communautaires, ce qui crée un hiatus. Personnellement, je pense qu’ils vont être rattrapés plus vite qu’ils ne l’imaginent par les réalités. Je fais remarquer à ce propos que le moins-disant européen n’est pas toujours celui que l’on croit.

En matière d’énergie et de climat, un effort de solidarité à l’égard des pays en développement et des pays les moins favorisés s’impose. La France plaide pour cette solidarité. L’Allemagne, quant à elle, est opposée, non pas à la solidarité, mais à la création de nouvelles procédures communautaires.

Je partage totalement votre analyse, monsieur Fasquelle, sur ce que doit faire la France au niveau international à travers l’Europe.

Pour ce qui est de la politique commune de la pêche, M. Michel Barnier a obtenu de la Commission l’ouverture d’un débat européen. Les enjeux sont l’assouplissement de la règle des quotas, la recherche d’un juste équilibre entre préservation de la ressource et intérêts des pêcheurs, le renforcement de certaines mesures d’urgence – un plan pour une pêche durable doit être adopté par la Commission européenne – et la modernisation des flottes de pêche. Des moyens européens doivent venir en appui des moyens nationaux pour répondre à cette priorité.

En ce qui concerne l’OMC, il y a des tentatives de relance des négociations – le directeur général a pris des contacts –, mais il est clair que ces négociations ne peuvent reprendre que si elles sont équilibrées et que si elles incluent les services. À mon avis, en raison de deux facteurs bloquants, le processus sera plus long que ce qui est dit dans les commentaires : premièrement, je ne pense pas que l’Inde, qui est un acteur majeur de ces négociations internationales, soit prête à les reprendre compte tenu des échéances électorales et de la situation dramatique du pays à l’heure actuelle ; deuxièmement, je ne vois aucun signe de l’administration américaine laissant présager une volonté de conclure des négociations dans les deux prochains mois.

Quant à l’usage de la langue française, on part de loin avec l’élargissement. Bien qu’il alterne les langues, le président Barroso parle le plus souvent en français, mais, pour les autres commissaires, nous devons continuer l’effort de formation et de pédagogie. Cela a été fait sous la présidence française : il y a eu une très bonne sensibilisation, et avons été très attentifs à cet impératif. Mais il faut continuer.

M. Jacques Myard. Il faut rappeler aux hauts fonctionnaires de parler français !

M. Jean-Pierre Jouyet. Vous avez raison, et c’est ce que nous faisons.

Le Président Patrick Ollier. Je citerai un incident qui a eu lieu dans notre commission. Lors de l’audition, il y a deux ans, d’une directrice importante de la Commission européenne, j’ai eu la surprise, non seulement, de la voir projeter des documents en anglais, mais également de l’entendre s’exprimer en anglais. Or elle était Française, née à Paris. Je l’ai interrompue pour lui demander les raisons pour lesquelles elle ne parlait pas en Français. Un peu gênée, elle m’a répondu qu’elle avait tellement l’habitude de parler Anglais qu’elle le faisait même en France. Je l’ai menacée de lever la séance si elle n’était pas capable de faire son exposé en Français avec des documents français. Elle s’est reprise et l’audition a pu se poursuivre.

M. Jean-Pierre Jouyet. Les parlementaires doivent être particulièrement vigilants sur cette question, notamment à l’égard de nos fonctionnaires et de nos diplomates, et ne pas lésiner, lors de l’examen des crédits de mon ministère, à la fois sur les formations linguistiques ou sur les invitations de commissaires européens à Paris… Toute une politique d’influence liée à la langue française est à développer.

Et il faut être, comme le président Ollier, intraitable sur l’usage de la langue française et signaler les manquements. Je ne connaissais pas cette histoire, monsieur le président, mais elle ne manque pas de sel ! On ne peut pas nous demander de promouvoir des Français au niveau de la Commission européenne et permettre certains comportements de nos concitoyens dans les enceintes nationales.

M. Jacques Myard. Il faut les noter !

M. Jean-Pierre Jouyet. En ce qui concerne le G 20, Monsieur Garrigue, le fait qu’il se réunisse, que le Président de la République ait réussi à renforcer le rôle de l’Europe au sein de ce groupe, que l’on ait amené dans cette structure plutôt anglo-saxonne les Espagnols, la future présidence tchèque, me paraît tout à fait positif. Le fait que Gordon Brown ait repris l’idée d’une réunion au mois d’avril et que l’on soit engagé dans un processus de régulation économique international me paraît constituer un acquis notable.

Vous avez raison, monsieur Garrigue, le G 20 a mis en évidence notre retard en matière de régulation. Tout n’est pas rattrapable en un jour. Ce qu’il faut, c’est que les thèses françaises en matière de régulation économique et financière internationale ne perdent pas de leur pertinence et de leur influence quand la situation ira un peu mieux. En effet, quand les pays membres auront retrouvé 0,1 %, 0,2 % ou 0,3 % de croissance, ils reviendront au business as usual. C’est un peu ce que nos amis britanniques ont tendance à dire. Il faudra être vigilant et ce sera un combat de tous les instants.

L’histoire et les faits ont donné raison à un certain nombre de nos thèses. Il faut continuer à les faire diffuser ou faire fructifier sur le plan international.

Le Président Pierre Lequiller. Nous sommes confiants puisque c’est vous assumerez ce rôle.

M. Jean-Pierre Jouyet. Bien entendu, aujourd’hui, je vous réponds dans le cadre de mes fonctions présentes.

Nous pouvons être leader sur les agences de notation, les normes comptables, les rémunérations des dirigeants et des traders, la titrisation et la supervision. Le président de la Commission a demandé à Jacques de Larosière de faire des propositions en ce domaine.

Telle est ma vision des choses depuis mon poste actuel. Je serai à la disposition du président Ollier et du président Lequiller dans mes autres fonctions et je ne doute pas qu’ils sauront me rappeler mes éventuelles contradictions.

S’agissant de la création d’un fonds d’investissement stratégique, tout le monde s’accorde sur la nécessité d’être vigilant. S’il y avait une réglementation européenne, vous auriez totalement raison. L’Allemagne dispose d’une bonne réglementation, que l’on pourrait être tenté de porter au niveau communautaire, mais cela poserait des problèmes avec d’autres États plus libéraux.

Il faut aussi préserver l’ouverture aux investisseurs étrangers. Les fonds souverains ont adopté un code de bonnes conduites dit de Santiago. Nous avons besoin d’investisseurs à long terme car il y a une pénurie de capitaux. On peut utiliser le levier des emprunts, mais il ne faut pas non plus délaisser les détenteurs de capitaux qui se trouvent en Asie ou dans la région du Golfe – à condition toutefois de fixer des règles au niveau européen et que ses prêteurs s’engagent sur le long terme.

Pour ce qui concerne l’opinion publique, madame Coutelle, je ressens une évolution positive en Irlande, d’où je reviens. Les Irlandais voient bien qu’ils peuvent avec la crise, se transformer en Islande !

Il reste une ambiguïté : d’un côté, la crise éloigne de l’Europe car ceux qui souffrent et voient les usines fermer considèrent qu’elle ne fait pas assez pour eux ; d’un autre côté, on comprend que seule l’Europe permettra de surmonter la crise.

En Pologne, il y a des évolutions positives sur l’euro, de même qu’en France.

L’évolution sera favorable tant que l’on fera preuve de détermination et que l’on fera de la politique. Ce que je retiens de mes fonctions – et je n’avais pas la même vision avant de les assumer –, c’est qu’il ne faut pas avoir peur de débattre et de poser problème. Il faut également que le débat reste vivant au niveau national pour mieux associer les citoyens. Et il ne faut pas renoncer à utiliser les symboles de l’Europe – le drapeau, le 9 mai… Si l’on a honte de les faire vivre, on ne peut pas demander aux citoyens d’être plus européens que les responsables politiques !

Monsieur Myard, le traité de Lisbonne représente une avancée puisque nous avons obtenu que la concurrence pure et parfaite ne figure plus dans les objectifs.

M. Jacques Myard. On y revient par un protocole !

M. Jean-Pierre Jouyet. Pour ce qui est de la politique étrangère et de sécurité commune, il ne faut pas exagérer, monsieur Myard. Je pense qu’au Conseil européen des 11 et 12 décembre, nous allons progresser sur la défense. Même sans avoir les outils du traité de Lisbonne, nous avons progressé en matière de politique étrangère et de sécurité commune. L’Europe a été unie lors de la crise entre la Géorgie et la Russie, et elle arrive à renouer le dialogue avec cette dernière sur des bases nouvelles. Les États membres sont à peu près unis pour ce qui est du dialogue transatlantique et des grands sujets internationaux.

En ce qui concerne les missiles, le Président de la République s’est exprimé en marge du sommet Union européenne-Russie. Il a clairement exprimé sa position et il a parfaitement raison. Quand les Polonais et les Tchèques ont donné leur accord aux États-Unis pour installer des missiles dans leurs pays, ils n’ont pas demandé aux Européens ce qu’ils en pensaient ni ce qu’ils voulaient faire. Une affirmation de la politique étrangère et de sécurité commune est la présence européenne sur le terrain : EUFOR, EULEX-Kosovo. C’est l’un des domaines où l’Europe a fait les plus grands progrès.

M. Daniel Garrigue. Alors qu’il est question de revenir dans l’organisation intégrée de l’OTAN, il est très gênant que les Américains négocient, en dehors de l’OTAN, avec certains États européens pour installer des défenses antimissiles sur le territoire de l’Union. Il y a là une contradiction. Les Polonais ont prétendu avoir fait des propositions mais personne ne les a vues.

Pourquoi n’a-t-on pas réfléchi à la mise en place d’un système de défense antimissiles européen dans le cadre de discussions avec nos voisins, notamment russes ? Cela aurait permis d’avoir un projet vraiment porteur sur le plan technologique en matière de défense européenne.

Le Président Pierre Lequiller. Est-il exact que la Commission a incité la Banque centrale européenne à baisser ses taux ?

M. Jean-Pierre Jouyet.  Je vous répondrai tout à l’heure, monsieur le président.

Les choix de sécurité restent aujourd’hui, monsieur Myard – vous le savez mieux que quiconque puisque vous défendez cette politique –, l’apanage des États.

M. Jacques Myard. Je suis pour la coopération.

M. Jean-Pierre Jouyet. Comme vous, je considère que les décisions qui ont été prises – en particulier la décision unilatérale de l’administration américaine – sont préoccupantes et ne plaident pas en faveur d’un renforcement de l’Alliance. Au demeurant, il n’est pas dit que le président élu, Barack Obama, aura les mêmes positions sur le déploiement des dispositifs antimissiles. Nous verrons comment se passeront ses premières prises de contact avec les Russes. Cela dit, l’annonce par la Russie, le jour de l’élection de M. Obama, de sa décision de déployer des missiles à Kaliningrad ne constitue pas non plus le meilleur signe d’ouverture.

Je partage vos inquiétudes. Nous ne sommes pas dans la même position que les États-Unis à l’égard de la Russie. Pour notre part, nous devons entretenir avec elle un dialogue ferme et continu. Nous devons notamment examiner ses propositions en matière de pacte de sécurité collective au niveau européen.

Vous avez raison, monsieur Loos de rappeler qu’il est très important de dire les choses. Dans le domaine des énergies, se pose le problème du nucléaire. Dans celui de l’aéronautique, les États européens se débrouillent pas mal entre eux. Dans le secteur automobile, cela avance car des intérêts français, allemands et italiens sont en jeu. Dans le secteur de la pharmacie, les responsables de l’industrie pharmaceutique sont assez d’accord pour renforcer les règles de la propriété intellectuelle au niveau européen, mais, comme vous le savez, on bute toujours sur des problèmes de langue, de juridiction et de brevets.

S’agissant de la réserve de change, M. Lequiller a eu raison de rappeler que la Commission avait formulé plusieurs demandes. Elle a eu raison. Elle a bien fait de le faire car l’équilibre institutionnel entre la Commission et la BCE s’était singulièrement inversé au profit de cette dernière. C’était indispensable car le silence devenait assourdissant.

Comme vous le savez, les réserves de change sont mutualisées entre les banques centrales. Elles servent à crédibiliser la valeur internationale de l’euro, qui est un acquis essentiel. Si nous n’avions pas l’euro, nous ajouterions une crise à la crise. Dans les turbulences actuelles, il n’est pas mauvais de conserver des munitions pour des interventions de change en cas de crise extrême. Les évolutions de change sont actuellement très rapides, y compris sur l’euro. J’ai connu une période où l’on gérait l’euro à 0,80 ou 0,81 par rapport au dollar, et où l’on me demandait, compte tenu des fonctions qui étaient les miennes à l’époque, si cette monnaie allait encore tenir. L’euro reste volatil : le taux de change par rapport au dollar est passé en quelques semaines de 1,60 à 1,25. L’idée de conserver les réserves de change fait consensus.

Dans les aides qu’apportent les banques centrales au système financier, les sommes partent le matin et reviennent le soir à la Banque centrale européenne. Les gens utilisent ce système pour lever les craintes de leurs interlocuteurs. Je me demande si une gestion plus intelligente des réserves n’est pas envisageable. Par ailleurs, la Banque centrale est-elle fondée à rémunérer, comme elle le fait, des dépôts faits le matin et retirés le soir même ?

Monsieur Tourtelier, loin d’être modifiés, les objectifs du paquet « énergie-climat » seront respectés. Le débat actuel porte sur les questions suivantes : qui paye ? Comment fait-on ? Quel va être le degré de solidarité ? M. Toubon a eu raison de rappeler que l’accord du Parlement serait très difficile à obtenir. Il y a accord sur 80 % du paquet, mais les 20 % restants fâchent !

En tant que présidente de l’Union européenne, la France va plaider auprès de nos partenaires pour que des progrès soient réalisés en matière de solidarité : financement des réserves, affectation des revenus aux pays en développement et aux pays d’Europe centrale et orientale, sécurité énergétique.

J’ai bien retenu votre conseil pour la prochaine présidence française, en 2022 : il faudra s’appuyer davantage sur les aspects nationaux. Rassurez-vous, nous l’avons fait dans le secteur de l’agriculture.

Le Président Pierre Lequiller. Vous n’êtes pas pessimiste pour le traité de Lisbonne ?

M. Jean-Pierre Jouyet. Pas du tout !

Pourquoi 2022 ? Tout simplement parce que la présidence de l’Union européenne restera semestrielle, à côté du Président stable du Conseil européen.

Le Président Patrick Ollier. Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d’État, et nous vous prions d’accepter la médaille de la Commission des affaires économiques en témoignage de notre reconnaissance.

——fpfp——