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Mercredi 7 janvier 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 27

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Avis sur la nomination de M. Bruno Lasserre, candidat à la présidence de l’Autorité de la concurrence (en application de l’article L. 461-1 du code de commerce, modifié par l’article 95 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie

Commission
des affaires économiques, de
l’environnement et du territoire

La commission s’est saisie pour avis, en application de l’article L. 461-1 du code de commerce, modifié par l’article 95 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, de la candidature de M. Bruno Lasserre, à la présidence de l’Autorité de la concurrence.

M. le président Patrick Ollier. Je suis heureux d’accueillir ici M. Bruno Lasserre, conseiller d’État et actuel président du Conseil de la concurrence. Dans le cadre de l’article L. 461-1 du code de commerce, il nous appartient de donner un avis sur la nomination du président de la nouvelle Autorité de la concurrence, qui devrait être mise en place d’ici au 15 janvier. Au terme de cette audition, la commission procédera donc à un vote à bulletin secret – et chacun de ses membres mesure la responsabilité qui lui échoit. La commission, qui compte des spécialistes tels que MM. Christian Jacob, Serge Poignant ou Jean Gaubert, est extrêmement sensible à la question de la concurrence. Elle considère qu’une vigilance rigoureuse est tout à fait nécessaire et elle est intervenue dans le débat sur la loi de modernisation de l’économie, y compris contre l’avis du Gouvernement, pour renforcer la concurrence dans le secteur de la distribution, en y abaissant le seuil de notification des concentrations ou en permettant aux maires de saisir l’Autorité en cas d’abus de position dominante par exemple. Elle a voulu aller le plus loin possible pour assurer cette vigilance. C’est pourquoi cette audition est très importante pour nous.

M. Bruno Lasserre. Merci de votre accueil. Je me réjouis beaucoup d’être ici ce matin pour pouvoir me présenter à vous et vous faire part de mes convictions et de la façon dont j’envisagerais d’exercer la présidence de cette nouvelle institution, pour la création de laquelle le Parlement a joué un rôle essentiel : alors que le Gouvernement avait voulu agir de façon discrète et quelque peu technocratique, par ordonnance, le Parlement a jugé le sujet suffisamment politique pour justifier une intervention forte du législateur.

M. le président Patrick Ollier. A l’initiative de notre commission !

M. Bruno Lasserre. Je suis d’origine provinciale, Bordelais, et je n’ai jamais quitté le service de l’État après l’avoir choisi il y a trente ans. J’ai exercé des fonctions de juge, j’ai dirigé des institutions indépendantes, j’ai eu des responsabilités administratives dans différents ministères, notamment dans les télécommunications, où j’ai eu la chance de travailler toujours en bonne intelligence avec différents hommes d’État, de gauche comme de droite, mais sans jamais vouloir appartenir à un cabinet ministériel car je préfère être jugé sur mes compétences plutôt que sur une appartenance à un réseau. A chaque poste, j’ai essayé non seulement de gérer, mais aussi de transformer. Dans les télécoms, j’ai par exemple beaucoup travaillé aux deux réformes de 1990 et 1996 qui ont bouleversé le secteur. Au Conseil de la concurrence, j’ai largement milité pour la réforme qui a abouti à sa transformation en Autorité. Je crois à la réforme, et je crois que les serviteurs de l’État doivent toujours adapter les institutions dont ils ont la charge. Enfin, si je suis particulièrement intéressé par les questions économiques, j’ai aussi travaillé sur des sujets extrêmement divers, au Conseil d’État notamment : la façon dont les nouvelles technologies de la communication allaient bouleverser le rôle de l’État et des collectivités locales, en 2000, la modernisation de la presse quotidienne ou, en 2004, l’amélioration des études d’impact. J’ai aussi eu la chance de participer à la commission pour la libération de la croissance et de réfléchir ainsi à tous les leviers pouvant être mis en mouvement pour favoriser le dynamisme économique.

J’ai découvert le sujet de la concurrence à partir de mes fonctions dans les télécoms. J’y crois comme à un outil qui force les entreprises à la vertu et qui les conduit à délivrer aux consommateurs le meilleur en termes de produits, de prix et d’innovation. La croissance dépend de l’intensité de la concurrence, qui est un des aspects importants des politiques menées par l’État. Mais la concurrence n’est qu’un instrument, pas une fin en soi. Je me méfie de l’esprit de système dans ce domaine : nous n’avons pas à rechercher, de manière systématique, la concurrence pure et parfaite, à développer des modèles qui ont réussi ailleurs, mais à être pragmatiques. Il faut garder en tête que si la concurrence est une dimension importante, elle n’est pas la seule : il existe d’autres intérêts généraux, la solidarité, l’aménagement du territoire, la recherche et l’innovation par exemple. La concurrence pousse à la vertu économique, mais elle n’est qu’un outil parmi d’autres.

La régulation aussi, je l’ai apprise depuis le secteur des télécoms. C’est un métier difficile, en suspension entre la définition de la politique et la gestion entrepreneuriale. Je crois beaucoup à la régulation, à condition que le régulateur n’empiète sur aucun de ces deux niveaux – ni sur le politique, puisqu’il n’a pas la légitimité de faire la loi, ni sur l’activité des chefs d’entreprise, qu’il peut sanctionner, mais pas remplacer. Il est également indispensable que les régulateurs soient véritablement indépendants : une large part de la crise peut s’expliquer, aux Etats-Unis, par une trop grande proximité entre les régulateurs et les régulés. Outre cette indépendance, transparence, collégialité et responsabilité sont indispensables.

Mes priorités à la tête de l’Autorité de concurrence seraient pour une part en continuité avec celles du Conseil. La première serait ainsi de veiller à agir dans le temps économique. Le Conseil de la concurrence avait la réputation de développer des analyses sophistiquées et de prendre de bonnes décisions, mais trop lentement. J’ai donc voulu accélérer le traitement des affaires : nous sommes passés de 430 affaires en stock en 2000 à 155 fin 2007, avec dix-huit mois de traitement entre la détection d’un cas et la décision. Nous avons aussi développé le recours aux mesures conservatoires pour pouvoir éviter des dommages irréversibles aux marchés. Ce chantier devra être poursuivi. La LME nous y aidera, car le rassemblement dans les mêmes mains de l’enquête et de l’instruction permettra de gagner beaucoup de temps.

J’avais aussi voulu renforcer le rôle dissuasif du Conseil, et la loi dite « Nouvelles régulations économiques » nous avait permis de renforcer les sanctions qui sont à sa disposition. Le montant annuel des sanctions, qui tournait durant les premières années de son existence autour de 50 ou 60 millions d’euros, est donc passé à 754 millions en 2005, puis 128, 221 et enfin 630 millions en 2008. Les entreprises ont compris que nous ne faiblirions pas, qu’elles risquaient des amendes élevées en cas de pratiques anticoncurrentielles. Mais il faut parallèlement développer des outils négociés, faire preuve de pédagogie, apprendre aux entreprises à se prendre en mains. Nous avons ainsi développé de nouveaux outils, reposant sur la discussion et le partage du diagnostic, qui ont connu un grand succès.

Enfin, j’avais aussi voulu renforcer l’analyse économique car, en matière de droit de la concurrence, il faut se garder d’une approche exclusivement juridique et abstraite. Dans chaque cas, chaque stratégie d’entreprise étudiée, il faut rechercher la présence de véritables gains d’efficacité, qui pourraient être répercutés sur le consommateur, et les mettre en balance avec les risques que représente cette stratégie pour la concurrence.

D’autres chantiers devront être ouverts par la nouvelle Autorité. Le Parlement a joué un rôle central dans la conception de cette institution, mise en place en un temps record. Il a réorganisé de fond en comble le contrôle des concentrations économiques et tracé les grandes lignes d’un contrôle des pratiques anticoncurrentielles rassemblé autour d’une entité unique. Reste maintenant à faire vivre le nouveau dispositif, à tirer parti des dispositions prises et à montrer aux Français qu’une régulation intelligente de la concurrence ne consiste pas à bénir la loi de la jungle mais permet de maintenir le dynamisme économique malgré la crise. Pour cela, l’action de l’Autorité devrait s’articuler autour de trois axes : d’abord, défendre sans concession le bien-être des consommateurs, y compris les entreprises utilisatrices, dans un contexte où la tentation peut être grande de cartelliser l’économie, ce qui n’est certainement pas une bonne réponse ; ensuite, donner toutes leurs chances dans la compétition mondiale à nos entreprises, groupes mondiaux ou PME, en stimulant leur capacité à investir et à innover ; enfin, renforcer l’influence de la France sur une régulation qui s’élabore de plus en plus à l’échelon européen ou mondial, sachant que les meilleurs modèles, ceux qui savent convaincre de leur efficacité, deviennent les standards de fait.

Il y aura donc trois chantiers prioritaires. Le premier est, comme pour toutes les autorités administratives indépendantes, celui de la responsabilité. Ces institutions ont fonctionné de façon trop solitaire. On leur a donné l’indépendance sans l’obligation de rendre des comptes. C’est pourquoi j’ai été favorable à l’intervention accrue du Parlement dans la nomination du président, comme un point de départ à un dialogue plus intense qu’auparavant – favorisé par de nouveaux outils comme l’obligation pour l’Autorité de lui remettre son rapport, de répondre à toute convocation des commissions parlementaires et de dialoguer régulièrement. Le deuxième chantier est celui de la pédagogie. Je ne reviendrai pas sur les sanctions et les procédures négociées, mais j’insiste sur le fait que la LME donne la possibilité à l’Autorité de la concurrence de rendre, de sa propre initiative, des avis et recommandations publics pour améliorer le fonctionnement des marchés. Nous pouvons nous aider mutuellement, nous en tant qu’experts, vous en tant que concepteurs de la loi. L’Autorité peut apporter son expertise sur toute une série de sujets – par exemple l’équipement commercial, l’action de groupe, la privatisation des autoroutes, la filière agricole, la distribution de la presse, la vente par internet, la libéralisation du chemin de fer. Je voudrais qu’elle soit un creuset de réflexion pour éclairer la décision du législateur et l’aider à prendre en compte la dimension concurrentielle. Enfin, le troisième chantier est celui des résultats. Les autorités indépendantes doivent rendre des comptes. Toute leur légitimité repose sur leur aptitude à dégager des solutions simples, cohérentes et solides. Il faut donc, alors que le Conseil se voyait plutôt comme un juge, développer une vision plus stratégique, plus axée sur la valeur ajoutée de notre intervention. Cela ne revient certes pas à délaisser les petites affaires, mais à se centrer sur les secteurs structurants pour l’économie, tels que les télécoms bien sûr, à propos desquelles l’action du Conseil a été décisive – pour permettre la concurrence sur le haut débit par exemple – mais aussi la distribution, qui pose des problèmes spécifiques en France à cause de sa très forte concentration, la vente par internet ou des secteurs oligopolistiques, comme la banque et l’assurance aujourd’hui et peut-être demain l’énergie ou les transports. Tous ces secteurs devraient prendre une place importante dans l’activité de l’Autorité de la concurrence, aux côtés de secteurs plus traditionnels comme le BTP.

M. le président Patrick Ollier. Merci de cet exposé passionnant. Je voudrais poser les premières questions. La commission a la volonté, partagée sur tous ses bancs, d’éviter que les concentrations ne portent atteinte à la concurrence, en particulier au commerce de proximité. Elle a obtenu la création du pouvoir d’injonction structurelle qui permet à l’Autorité, en cas d’insuffisance des sanctions de droits commun, d’ordonner des cessions de surfaces commerciales. Etes-vous disposé à appliquer l’article L. 752-26 du code de commerce ? Je souhaite vraiment qu’une interdiction soit un jour prononcée, qui fasse sentir le vent du boulet à certaines entreprises. De façon plus générale, nous voulons être certains que ce qui a été voté soit appliqué. A ce propos, et dans la même optique que vous, je voudrais faire en sorte que tous les présidents nommés puissent revenir devant la commission pour un rapport d’étape au bout de six mois, puis ensuite au moins une fois par an. J’espère que cette initiative sera soutenue sur tous les bancs. Il faut bien que les autorités administratives répondent de leur mission devant les représentants du peuple.

J’en viens à un secteur qui présente des dysfonctionnements évidents : celui des marchés publics. Nous avons le sentiment qu’il existe incontestablement des ententes dans les candidatures, que nous ne pouvons plus supporter. C’est la preuve soit que le droit n’est pas appliqué, soit qu’il est inadapté. Vous aiderez-nous à y remédier ?

M. Jean Gaubert. Nous partageons une large partie des conceptions exposées par le président du Conseil, par exemple que la concurrence est un élément important du progrès économique mais qu’elle ne doit pas pour autant régner seule sur un marché à l’état sauvage. Il est vrai que certains secteurs tels que la grande distribution ou les travaux publics sont en voie de monopolisation – il n’est que de voir toutes ces petites entreprises de travaux publics dans nos régions qui sont rachetées par de grands groupes, bien qu’elles gardent leur nom propre… Il faut donc veiller à préserver les conditions de la concurrence immédiate certes, mais aussi pour le futur, afin d’éviter de ne plus avoir le choix qu’entre un ou deux groupes qui s’entendront des plus discrètement. Quant à l’agriculture, il faut mettre en place, face aux mastodontes que sont les centrales d’achat, des organisations de mise sur le marché, comme l’a fait le Danemark pour le porc – tout en préservant d’ailleurs les coopératives locales. Pour qu’il y ait concurrence, il faut égalité de puissance.

Par ailleurs, combien d’agents comptera l’Autorité de la concurrence, entre ceux du Conseil et ceux qui seront transférés de la DGCCRF, et quel sera leur statut ? Comment sera assurée l’articulation avec d’autres autorités telles que l’ARCEP ou la CRE ? Et quelles seront les relations avec les ministères ? Alors qu’une récente circulaire a contrevenu aux choix du Parlement sur l’extension des grandes surfaces, pensez-vous que l’Autorité sera suffisamment indépendante pour pouvoir éviter ce genre de cas ? Enfin, êtes-vous favorable à un small business act à la française et, de façon plus générale, sommes-nous d’accord sur ce qu’est aujourd’hui une concurrence libre et non faussée ? Par exemple, comment la concilier avec un développement durable – de nombreuses collectivités qui souhaitent développer les circuits courts, faire entrer le bio dans la restauration collective, se heurtent à des règles de concurrence – ou avec la qualité environnementale – une entreprise qui n’est pas la moins chère sur le marché peut l’être en coût total, lorsqu’on tient compte de ses modes de transport ou du pays dont proviennent ses matériaux ? On ne peut pas ne pas se poser ce genre de questions aujourd’hui.

M. Christian Jacob. Il est clair, et c’est apparu au moment du débat sur la LME, que ceux qui réclament le plus fort la concurrence ont parfois en fait l’objectif d’être en situation de monopole. On l’a vu dans la grande distribution avec le problème des accords de gammes, qui permettent aux grandes marques d’occuper tout un linéaire et auxquels on n’a pas encore trouvé de solution. La réponse de la grande distribution, le référencement, est en fait une entrave à la concurrence. Ce système qui oblige à payer pour avoir le droit de vendre un produit dans un magasin a des ramifications financières européennes et même extra-européennes. Comment éviter les dérapages ?

Un autre phénomène est celui de l’intégration des grands groupes. S’il n’est pas question de casser systématiquement les grands groupes français, dont nous avons besoin, il ne faut pas nous laisser abuser par l’argument selon lequel tel grand groupe ferait travailler des centaines de PME. En effet, dans un système d’intégration totale, les PME dépendent à 100 % d’un seul marché et n’ont plus de liberté de manœuvre.

Comment envisagez-vous, enfin, la cohérence et la pertinence des actions menées en coordination avec les autres autorités ?

M. François Brottes. Si nous nous réjouissons de la création de l’Autorité, la question de ses moyens continue cependant de nous préoccuper. En effet, les grands principes ne suffisent pas sans les moyens d’assurer le contrôle de leur application. L’argent des amendes nourrit-il le budget de l’État ou est-il destiné à permettre à l’Autorité d’assurer mieux encore son rôle de régulation ?

Je propose par ailleurs l’instauration d’échanges que nous pourrions appeler « ateliers des entraves ». En tant que députés, nous sommes en effet responsables de l’application de la loi et nous sommes souvent saisis – voire témoins, comme je l’ai moi-même été récemment en changeant à grand-peine de fournisseur d’accès – d’entraves à la concurrence. Des réunions régulières – mensuelles ou trimestrielles, par exemple – de notre Commission avec l’Autorité de la concurrence permettraient d’évoquer des questions concrètes auxquelles nous sommes confrontés et de voir s’il est nécessaire de faire évoluer la législation.

M. Serge Poignant. J’ai apprécié, monsieur le président Lasserre, la présentation que vous avez faite en homme d’expérience et de réflexion qui a accompagné l’évolution de notre société, et l’assurance que vous nous avez donnée que l’Autorité serait un creuset de réflexion et présenterait des résultats au Parlement.

La concentration économique et commerciale est pour nous une importante préoccupation – elle l’était d’ailleurs déjà dans le débat sur la LME à propos des surfaces commerciales.

Je poserai deux questions très pratiques. Tout d’abord, comment envisagez-vous l’évolution des rapports de l’Autorité avec la DGCCRF ? Comment situez-vous, ensuite, l’action et la réflexion de l’Autorité dans le cadre des directives européennes ?

M. Jacques Kossowski. Il arrive que, pour certains marchés publics passés tous les trois ou quatre ans, un seul candidat réponde, et cela même après réitération de l’appel d’offres. Dans de tels cas, la collectivité locale est contrainte de choisir, afin d’assurer la continuité du service. Par ailleurs, on ne peut nier que trois ou quatre entreprises concluent des accords pour se partager les partenariats public-privé : les prix sont ceux que ces entreprises veulent bien pratiquer. Que peut-on faire à cet égard ?

Mme Corinne Erhel. Comment conciliez-vous le développement de la concurrence, qu’il s’accompagne de baisse des prix ou de compression des coûts, avec une politique de maintien de l’emploi ? Où situez-vous le point d’équilibre en la matière ?

Quel est, par ailleurs, votre sentiment sur le développement récent des publicités comparatives, mené notamment par Leclerc, et sur ses répercussions, notamment sur la manière dont le ressent le monde agricole ?

M. Daniel Fasquelle. J’ai eu la chance, en tant qu’universitaire et professeur de droit, de connaître M. Lasserre, dont j’ai pu apprécier la très bonne connaissance du droit de la concurrence et l’approche à la fois économique, juridique et pragmatique.

Ma première question rejoint celle de M. Poignant : comment peut-on articuler l’action de l’Autorité française de concurrence avec celle de la Commission européenne et des autorités de concurrence des vingt-six autres États membres ?

Comment articuler également l’action de l’Autorité avec celle du juge judiciaire ? De fait, si l’Autorité peut prononcer des sanctions, certains consommateurs ou certaines entreprises peuvent préférer saisir le juge judiciaire afin de percevoir des dommages et intérêts. Peuvent-ils le faire directement – auquel cas l’Autorité de la concurrence peut collaborer avec le juge judiciaire ? Si le juge judiciaire est saisi après l’Autorité, dans quelle mesure pourra-t-on utiliser devant le juge judiciaire les éléments réunis par cette dernière ?

Mme Annick Le Loch. Si le législateur a voulu aller plus loin en matière de régulation en instituant l’Autorité de la concurrence, la circulaire du 28 août 2008, qui a permis la création de centaines de milliers de mètres carrés de grandes surfaces, ne va pas dans le sens de ce qu’il souhaitait avec la loi LME. Avez-vous eu à connaître de cette circulaire et de ses conséquences et quelles suites envisagez-vous de donner à cette affaire ?

Pour ce qui concerne l’urbanisme commercial, auquel un texte sera prochainement consacré, quel est votre avis sur l’organisation du commerce en France et sur le déséquilibre entre la grande distribution et le petit commerce de centre-ville ?

Enfin, si la concurrence est, selon vous, un outil et non pas une fin en soi, que pensez-vous du statut de l’auto-entrepreneur et du travail du dimanche ? Ces orientations, qui favorisent évidemment la concurrence, vont-elles dans le bon sens ?

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président Lasserre, outre votre qualité d’Aquitain, je salue en vous la crédibilité de l’expert à la fois de la concurrence et de ce secteur clé que sont les télécommunications, où vous avez fait preuve non seulement de compétence dans la mise en œuvre des réformes, mais aussi de courage dans vos jugements, notamment sur le dossier difficile des ententes entre les majors de la téléphonie.

Lors de l’examen de la loi LME, les centristes ont fortement insisté sur la question des monopoles locaux dans la grande distribution. De fait, près des trois quarts des bassins de vie connaissent de telles situations et, si l’Autorité de la concurrence n’avait pas de pouvoir d’injonction pour procéder à des cessions d’actifs en pareil cas, rien ne changerait dans la grande distribution. Êtes-vous favorable à ce pouvoir d’injonction et en serez-vous le promoteur, malgré ceux, nombreux, qui vous affirmeront que ce n’est pas faisable ?

M. le président Patrick Ollier. J’ai déjà soulevé cette question et je tiens à préciser qu’en cas de problème, le Parlement soutiendra l’Autorité indépendante.

M. Jean-Charles Taugourdeau. La question des ententes n’est pas facile. Certes, les clients n’aiment pas que les producteurs s’entendent, mais, dans certaines filières, les appels d’offres contraignent les producteurs à réduire toujours plus leurs prix. Sera-t-il un jour possible de fixer des prix planchers par filière afin d’éviter que le système des appels d’offres ne finisse par fragiliser les entreprises de production, notamment les petites entreprises ? Pour ce qui concerne les marchés publics, on s’est rendu compte que le principe du « mieux-disant » n’allait pas sans poser quelques problèmes, même dans le domaine de la restauration scolaire, où la qualité et le goût devraient être particulièrement privilégiés.

Je souhaiterais également savoir si votre compétence s’applique à la concurrence internationale. Peut-on vraiment croire que la police new-yorkaise roulera un jour en Peugeot ou en Renault ? Qu’en est-il du marché des ravitailleurs, qu’avait remporté Airbus et qui a été annulé aux États-Unis ? La France ne devrait-elle pas adopter les mêmes pratiques que ses concurrents ?

M. Jean-Yves Le Déaut. J’ai rédigé voici quelques années un rapport intitulé De la coopération commerciale à la domination commerciale, qui demandait précisément la création d’une autorité de la concurrence.

Mes questions compléteront celles qui ont déjà été posées. Tout d’abord, pensez-vous que vous aurez, avec une partie seulement du bras armé de la DGCCRF, une réelle autorité ? Aurez-vous, avec les personnels dont vous disposerez, les moyens d’améliorer le règlement des dossiers, comme vous l’avez déclaré ? En troisième lieu, la DGCCRF restera-t-elle sous l’autorité d’un directeur national et quels seront les rapports entre l’Autorité et ce directeur ? Comment une autorité indépendante pourra-t-elle faire travailler une administration de l’État ? Même si mon opinion en la matière n’est pas majoritaire, je ne pense pas que l’on soit parvenu au système le plus équilibré.

J’ai indiqué dans mon rapport que l’entente était nécessaire dans le domaine de la production agricole. À l’inverse, un groupe de commerçants nationaux a systématiquement contourné la loi – l’un de ces dirigeants déclarant même qu’il s’asseyait dessus. Comment nous concentrer sur les vraies entraves à la concurrence ? La question est comparable à celle qui se pose à l’échelle européenne, où l’on ne peut se focaliser sur une concurrence préjudiciable entre les pays européens sans s’attacher aussi à une meilleure harmonisation de l’industrie européenne pour faire face aux concurrences étrangères. Je souscris à cet égard à la proposition formulée par François Brottes de créer une « commission des entraves » qui se réunirait de temps à autre – un rythme mensuel me semble impossible à tenir – et nous permettrait de vous communiquer notre perception du terrain.

Enfin, puisque l’État cherche à décentraliser un certain nombre de ses services, ne pourrait-on pas, à titre symbolique, créer une autorité nouvelle dans une région française plutôt qu’à Paris ?

M. le président Patrick Ollier. Monsieur Le Déaut, j’ai proposé tout à l’heure que nous ayons dans six mois un premier rendez-vous avec l’Autorité de la concurrence. Cette fréquence me paraît largement suffisante. En cas d’urgence, nous aviserons. En tout état de cause, je me réjouis que le président Lasserre ait lui-même souligné l’importance d’un rapport fort avec le Parlement.

Monsieur le président, avant de vous donner la parole pour répondre aux questions de mes collègues, je voudrais vous faire part d’une anecdote. Je rappelle tout d’abord qu’au cours du débat sur la LME, les membres de notre Commission ont été très présents dans l’Hémicycle, parfois jusqu’à six heures du matin. Nous avons voulu, sur la question des marges arrière, éviter que ne se produise la situation du pot de terre contre le pot de fer et favoriser la transparence, la clarté, la sincérité et l’honnêteté. Or, durant les dernières vacances, en Aquitaine, dans mon Périgord natal, un producteur de viande m’a raconté qu’une grande surface dont il était fournisseur venait de lui téléphoner pour exiger une réduction de 10 % de ses prix, sous peine de ne plus travailler avec lui. On lui laissait 48 heures pour se décider. La conversation avait duré 30 secondes. Si la loi que nous venons de voter doit être ainsi contournée et que nous ne trouvons pas de dispositif assez subtil pour éviter que de tels incidents ne se produisent, le président de l’Autorité de concurrence aura encore plus de travail !

Il convient de rester vigilants et notre commission, qui représente l’ensemble de l’Assemblée nationale, le sera au moins autant que le Gouvernement.

M. Bruno Lasserre. Monsieur le président, je souscris avec enthousiasme à votre proposition de rendez-vous qui permettront d’instaurer entre nous une relation de confiance et de revenir sur les sujets que nous n’aurons pas eu le temps de traiter à fond ce matin.

Un premier groupe de questions porte sur les secteurs de la grande distribution, du BTP et des filières agricoles, puis viennent diverses questions sur les moyens, sur les relations à l’échelon européen et international, sur l’argent des amendes, sur les moyens de l’Autorité et sur ses relations avec la DGCCRF.

La grande distribution restera pour la future Autorité un secteur prioritaire. Le message exprimé par le Parlement à cet égard lors de l’adoption de la LME a été entendu et le sera encore. Ce secteur est prioritaire car, en France, la grande distribution est exceptionnellement concentrée, les quatre grands groupes de ce secteur représentant plus de 60 % du marché tandis que le maxi-discount ne compte dans notre pays que pour 13 % ou 14 % du marché, contre 40 % environ en Belgique ou en Allemagne. Ceux qui souffrent le plus sont les Français qui ont le moins de pouvoir d’achat et le moins de possibilités de faire jouer la concurrence par les prix, car le secteur est trop concentré et la législation a été trop protectrice des grands groupes déjà installés, au détriment des nouveaux formats et des nouveaux concepts. Avec la loi sur l’équipement commercial, développer une nouvelle forme de commerce susceptible de concurrencer les grandes surfaces suppose aujourd’hui de déposer devant 40 commissions départementales d’équipement commercial 40 dossiers dont les modalités et les délais de traitement sont inconnus, ce qui décourage la concurrence par l’innovation des concepts et la concurrence par les prix.

Nous appliquerons bien évidemment la possibilité que vous nous avez donnée d’adresser à un groupe de distribution, en cas de persistance d’un abus de position dominante dans une zone de chalandise, une injonction structurelle de céder des surfaces commerciales à la concurrence afin de réanimer la concurrence par les prix dans cette zone. Cela suppose, bien entendu, que nous disposions de dossiers convaincants qui nous permettent de franchir le standard de preuve que vous avez fixé : l’existence d’une position dominante sur la zone de chalandise, l’existence d’un abus d’éviction ou d’exploitation et la persistance de cet abus malgré une décision de condamnation. La seule solution est alors de redistribuer les cartes pour réanimer la concurrence avec l’arrivée de nouvelles entreprises. Ce nouvel outil est capital et nous l’utiliserons chaque fois que nous serons saisis de dossiers convaincants. Il faut que les acteurs de la grande distribution le comprennent.

Pour ce qui concerne la concentration, il se peut que nous ayons été trop bienveillants dans le passé, peut-être parce que nous étions trop sensibles à un modèle de champion national qui exportait avec succès son modèle à l’étranger. Cependant, lorsque le Conseil de la concurrence a été saisi par le ministre de l’économie de la concentration Carrefour-Promodès, nous avons étudié pour chaque zone de chalandise les conséquences en termes de parts de marché et avons recommandé des cessions de magasins là où les parts de marché nous paraissaient excessives. Nous n’avons été suivis qu’en partie et il n’est donc pas étonnant que nous en payions le prix. Le fait que le contrôle des concentrations soit transféré à l’autorité indépendante permettra peut-être aussi de prendre des décisions impartiales, qui exigent de la distance, de l’indépendance et de la fermeté.

Monsieur Jacob, vous avez évoqué à juste titre les accords de gamme, mais la réponse aux problèmes qui se posent dans la grande distribution passe plus souvent par les structures que par les comportements, car ces derniers dérivent eux aussi d’une excessive concentration. Condamner par essence les accords de gamme ne me semble pas être la bonne solution. En revanche, il convient de sanctionner de tels accords lorsqu’ils visent à évincer les concurrents des linéaires des supermarchés. C’est ce que nous avons fait à propos du roquefort en sanctionnant producteurs et distributeurs qui, par des accords de gamme excessifs, étaient parvenus à faire sortir des linéaires les autres fromages bleus à pâte persillée qui concurrençaient certains roqueforts. Ce type d’accords de gamme discriminatoires visant à saturer les capacités forcément limitées des linéaires pour exclure des produits concurrents doit être condamné.

Le BTP reste lui aussi un secteur prioritaire. Je tiens à saluer le courage dont a fait preuve le Conseil de la concurrence lorsqu’il a sanctionné à hauteur de plus de 500 millions d’euros l’entente entre les trois opérateurs mobiles, mais il a aussi fallu du courage pour sanctionner les majors du BTP dans l’affaire des lycées d’Île-de-France et dans celle des marchés d’Île-de-France. Nous l’avons fait malgré la prescription qu’avait laissé acquérir le juge pénal et nous nous sommes saisis d’office, sans attendre de l’être par des collectivités locales ou par des victimes. Nous avons pris l’initiative d’ouvrir ces cas et de les traiter en toute indépendance et jusqu’au bout. Peut-être n’avons-nous pas, dans le passé, imposé de sanctions assez dissuasives pour éviter la répétition de ces ententes. Cela tient sans doute au fait qu’avant la réforme introduite par la loi NRE, la loi limitait la sanction à 5 % du chiffre d’affaires national de la société en cause : il suffisait de faire porter le marché public par une filiale aux dimensions limitées pour atteindre le plafond de la sanction. En portant celle-ci à 10 % du chiffre d’affaires du groupe mondial auquel appartient la société, la loi NRE permet une assiette beaucoup plus dissuasive du calcul de la sanction. Je puis vous assurer que les groupes de BTP l’ont compris.

Cependant, la sanction n’est pas la seule solution. Il importe d’établir une relation avec vous, qui concevez souvent des appels d’offres en tant que maîtres d’ouvrage, notamment au niveau local, afin que vous puissiez mieux prendre en compte la dimension concurrentielle dans la conception même de ces appels d’offres. Ceux qui sont lancés aujourd’hui au niveau local me semblent donner trop largement aux entreprises la possibilité de se grouper sans nécessité technique ou économique pour éliminer la concurrence par les prix.

Les PPP sont un sujet de préoccupation, mais nous n’avons pas été saisis de la réforme des marchés publics qui les a introduits. Peut-être aurions-nous pu dire à cet égard des choses intéressantes.

Pour ce qui concerne la filière agricole, il faut, comme cela a été dit, être pragmatique. En la matière, la réponse dépend aussi de la possibilité qui sera donnée aux producteurs de se regrouper. Là encore, en effet, il existe un déséquilibre entre la multitude de petits producteurs, même réunis en coopératives locales, et les centrales d’achat ou les grands groupes de distribution : c’est la bataille du pot de terre contre le pot de fer. Les producteurs agricoles doivent aussi comprendre qu’il y a une logique à se regrouper, quitte à perdre un peu d’autonomie, et que la réponse passe par l’intégration et la recherche d’une taille critique qui leur permettra de négocier plus efficacement les prix et les conditions de leurs offres à la distribution. Notre position en la matière est pragmatique : elle consiste à permettre par exemple aux producteurs réunis dans ces organisations d’échanger entre eux des informations et de s’assurer contre la volatilité excessive des cours. La seule limite est que, lorsqu’ils sont autonomes, il ne peuvent fixer ensemble les prix, car la concurrence est la possibilité pour le consommateur de bénéficier de prix fixés en toute autonomie par les producteurs.

J’en viens aux questions transversales.

Pour ce qui est tout d’abord de savoir si nous aurons les moyens de nos ambitions – c’est notamment la question posée par M. Gaubert –, je rappelle que le Conseil de la concurrence emploie aujourd’hui 130 personnes et que, malgré cet effectif relativement faible – très inférieur à ceux de l’ARCEP, du CSA ou de l’AMF, qui sont des régulateurs sectoriels –, il est devenu l’autorité la plus active au sein du réseau communautaire des vingt-sept autorités nationales. Depuis le 1er mai 2004 – et c’est un élément de réponse notamment à M. Fasquelle –, nous fonctionnons en réseau avec la Commission européenne et les 26 autres autorités nationales : chaque fois que nous appliquons le droit communautaire, nous devons informer la Commission et les autres membres du réseau, afin de pouvoir déterminer ensemble qui traitera le cas et nous aider mutuellement, notamment dans le cadre des enquêtes. Depuis cette date, la Commission européenne a ouvert 162 cas sur 970. Le Conseil de la concurrence, quant à lui, en a ouvert 159, soit pratiquement autant qu’elle et bien plus que ses homologues allemand, italien ou britannique. Malgré des moyens limités, nous avons donc été les plus actifs.

Aux termes de l’arbitrage rendu, l’Autorité recevra, grâce à la LME, le renfort de 60 emplois supplémentaires provenant en partie de la DGCCRF et destinés à traiter les enquêtes nationales et les dossiers de concentration pour lesquels la décision est transférée à l’Autorité. J’ai accepté, à titre de contribution – car, en période de crise, un effort s’impose –, que ces soixante emplois ne soient pas transférés dès le 1er janvier 2009, mais progressivement au cours de l’année, de sorte que nous disposerons, en équivalent temps plein, de quarante-huit emplois pour que la montée en charge progressive ne soit pas trop coûteuse pour les finances publiques. À la fin de l’année 2009, le total des emplois devrait atteindre cent-quatre-vingt-dix à deux cent, ce qui devrait nous permettre de faire face à nos nouvelles missions.

Quant aux amendes, leurs recettes vont au budget de l’État – c’est le cas des 630 millions d’euros correspondant au montant des sanctions prononcées en 2008 –, tout comme les amendes perçues par la Commission européenne vont au budget communautaire. Je rappelle que, depuis une réforme récente, ces amendes, qu’elles soient perçues par la Commission européenne ou par l’autorité de la concurrence, ne sont plus déductibles de l’impôt sur les sociétés. En outre, je tiens à préciser qu’elles sont réellement perçues à hauteur de 98 %. Le président en est l’ordonnateur et je veille personnellement à ce qu’elles soient payées rapidement. Ainsi, les 534 millions d’euros de l’amende infligée aux trois opérateurs de téléphonie mobile en décembre 2005 étaient dans les caisses de l’État avant Noël de cette même année, soit trois semaines après la sanction.

En matière de coordination avec les instances européennes et internationales, un bon équilibre a été trouvé avec la création du réseau communautaire, qui fonctionne de manière très satisfaisante depuis le 1er mai 2004. Les autorités partenaires se prêtent une assistance mutuelle dans les enquêtes. Nous venons aussi de sanctionner un cartel des grands pétroliers qui s’étaient entendus pour répondre à l’appel d’offres lancé pour la fourniture de kérosène à Air France à l’escale de la Réunion. Ce résultat a été possible grâce à l’assistance de notre homologue britannique, à qui nous avons demandé de procéder à des perquisitions à Londres, où se trouvent les sièges de ces sociétés pétrolières. C’est la preuve que ce système communautaire fonctionne efficacement.

D’autres ambitions existent, notamment, comme cela a été évoqué par certains d’entre vous, à l’échelon mondial. De fait, il faut plus de réciprocité. À titre personnel, j’ai toujours été favorable à ce que le traité de l’OMC comporte un chapitre consacré à la concurrence. Il n’y a pas de raison pour qu’il n’y ait pas d’intégration et d’égalité des droits des grandes puissances. Le Conseil de la concurrence ne peut cependant, à lui seul, décréter cet élément très important pour la crédibilité de l’économie de marché et la confiance qu’elle peut inspirer.

Je terminerai, monsieur Fasquelle, en évoquant la réparation demandée devant le juge judiciaire. Le droit de la concurrence doit marcher sur deux jambes : il doit dissuader par la sanction et sanctionner lorsque des abus sont constatés, mais l’argent ainsi perçu va au budget de l’État et ne sert pas à réparer le préjudice subi par la victime, qui peut être aussi bien le consommateur qu’une PME. En décembre, par exemple, nous avons imposé une amende de 575 millions d’euros à onze entreprises du secteur de l’acier qui avaient mis en place, entre 1999 et 2004, un cartel très puissant et d’une incroyable sophistication dont les victimes ont été les PME françaises des secteurs de la tôlerie, de la chaudronnerie ou du BTP qui se fournissent en tôles et produits d’acier. Il était normal de sanctionner ces entreprises pour bien faire comprendre qu’elles ont créé un dommage à l’économie. Les victimes ont cependant aussi un droit à réparation du préjudice subi. Ces PME ont surpayé l’acier et ont pu être exposées à des risques de défaillance ou de crise par les surprix imposés par des groupes puissants. Pourquoi les petits préjudices ne seraient-ils pas réparés au même titre que les gros ? L’entente des opérateurs de téléphonie mobile s’est traduite, pour le consommateur, par un préjudice de soixante euros en moyenne sur deux ans et demi, ce qui n’est pas suffisant pour justifier un procès qui serait plus coûteux. Ne pourrait-on réfléchir à une action de groupe « à la française », qui permettrait – en évitant certes les dérives américaines – de grouper les demandes de réparations pour une multitude de préjudices individuels qui, pris individuellement, ne justifient pas une action en justice ? Il s’agit là d’un élément d’équité, mais également de confiance dans l’économie de marché. Si les consommateurs ont le sentiment de n’être que les spectateurs d’une économie de marché qui ne leur apporte pas les bénéfices qu’ils sont en droit d’en attendre, quelle confiance pourront-ils faire à ce système ?

M. le président Patrick Ollier. Monsieur le président, je vous remercie pour ces réponses précises et claires.

La Commission, se prononçant par un vote à bulletin secret, émet, à l’unanimité des vingt-neuf votants, un avis favorable à la nomination de M. Bruno Lasserre à la présidence de l’Autorité de la concurrence.

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