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Commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption

Mardi 20 décembre 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Jean-Marc Roubaud, Président

– Table ronde sur la réforme de l’agrément réunissant : MM. Marc Lasserre et Jacques Chomiliers, vice-présidents du Mouvement pour l’adoption sans frontières ; Mme Anne d’Ornano, vice-présidente du conseil général du Calvados ; Mmes Virginie Cordiez, responsable du service adoption au Conseil général de la Somme et Michèle Derambure, psychologue ; M. Dominique Benoit, directeur de l’enfance, de l’adolescence, de la famille et de la santé au Conseil général des Yvelines ; Mmes Hermeline Malherbe, présidente du conseil général des Pyrénées-Orientales, et Michèle Boutin, directrice du service adoption du Conseil général de Loire-Atlantique, pour l’Assemblée des départements de France ; M. Jean-Marie Colombani, auteur du rapport sur l’adoption remis au Président de la République en mars 2008

– Audition de Mmes Amélie Duranton, conseillère en charge du droit civil et économique, et Kristelle Hourques, conseillère parlementaire, au cabinet du garde des Sceaux, et Mme Marie-Catherine Gaffinel, magistrate, bureau du droit des personnes et de la famille à la direction des Affaires civiles et du Sceau

Table ronde sur la réforme de l’agrément réunissant : MM. Marc Lasserre et Jacques Chomiliers, vice-présidents du Mouvement pour l’adoption sans frontières ; Mme Anne d’Ornano, vice-présidente du conseil général du Calvados ; Mmes Virginie Cordiez, responsable du service adoption au Conseil général de la Somme et Michèle Derambure, psychologue ; M. Dominique Benoit, directeur de l’enfance, de l’adolescence, de la famille et de la santé au Conseil général des Yvelines ; Mmes Hermeline Malherbe, présidente du conseil général des Pyrénées-Orientales, et Michèle Boutin, directrice du service adoption du Conseil général de Loire-Atlantique, pour l’Assemblée des départements de France ; M. Jean-Marie Colombani, auteur du rapport sur l’adoption remis au Président de la République en mars 2008.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Mesdames et messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. L’objet de cette table ronde sur la réforme de l’agrément est de recueillir, le cas échéant, vos remarques sur les lacunes de la législation actuelle et le dispositif de la proposition de loi sur l’enfance délaissée et l’adoption.

M. Marc Lasserre, vice-président du Mouvement pour l’adoption sans frontières. Le Mouvement pour l’adoption sans frontières (MASF) est une association qui regroupe plusieurs associations de parents ayant adopté par pays d’origine, dites APPO. Il représente environ 3 000 familles.

Nous nous réjouissons de la réforme de l’agrément contenue dans cette proposition de loi, notamment de la possibilité de prorogation de l’agrément qu’elle prévoit qui permettra d’en porter la durée de validité de cinq à six ans : cela tient compte de la réalité de l’adoption internationale, dont les délais se sont allongés considérablement en quelques années. Par ailleurs, au regard de notre expérience, l’arrivée d’un enfant dans une famille ne doit pas systématiquement rendre l’agrément caduc comme c’est le cas actuellement. De nombreuses familles de notre connaissance, disposant d’un apparentement, se sont vues retirer leur agrément pour ce motif, alors même qu’elles maintenaient leur projet d’adoption. Confier au conseil général le soin d’apprécier, au cas par cas, comme le prévoit la proposition de loi, va donc dans le bon sens. La substitution de la caducité de l’agrément à un retrait pur et simple, en cas de modification de la situation matrimoniale, est également une avancée à saluer.

M. Jacques Chomiliers, vice-président du Mouvement pour l’adoption sans frontières. Membre de la même association que Marc Lasserre, je saisis l’occasion qui nous est offerte pour attirer votre attention sur un point particulier, même s’il ne figure pas dans la proposition de loi, à savoir le double nom des enfants. La loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille prévoit que les enfants nés après le 1er janvier 2005 peuvent porter un double nom. Une période transitoire, durant laquelle les familles pouvaient opter pour le double nom pour des enfants nés avant cette date, a été prévue. Cependant, en ce qui concerne les enfants adoptés, la rédaction de la loi est telle que les enfants nés avant le 1er janvier 2005 mais adoptés après sont privés de cette faculté. Il serait bon que le législateur profite de la proposition de loi pour remédier à cette disparité de traitement.

Ensuite, la mention « par transcription du jugement d’adoption » portée sur les actes de naissance, outre qu’elle heurte nombre de familles adoptives, ne semble pas conforme à l’article 354 du code civil, qui dispose que la transcription ne doit contenir aucune indication relative à la filiation réelle de l’enfant. Nous souhaiterions là aussi une intervention du législateur.

Mme Anne d’Ornano, vice-présidente du conseil général du Calvados. Nul n’ignore que depuis quelques décennies, les problématiques de l’adoption sont en constante évolution. N’oublions pas que nous avons d’abord affaire, du côté des adoptés, à des êtres humains, fragiles et meurtris et, du côté des adoptants à des personnes ayant besoin de transmettre de l’affection. Il est donc probable que la législation devra évoluer fréquemment pour s’adapter.

Délivré par le président du conseil général, l’agrément est le premier pas dans la démarche d’adoption. Il est souvent considéré par les candidats comme une formalité, voire comme un dû, d’autant qu’en cas de recours après un refus, le tribunal donne fréquemment raison aux postulants à l’adoption – au point que certains départements, découragés, ont pratiquement renoncé à refuser l’agrément.

Or l’objet de l’agrément est de donner à quelqu’un la possibilité d’avoir tous les droits sur un enfant, y compris celui de le rejeter. L’agrément ne doit donc pas seulement être conçu comme la reconnaissance d’une capacité à adopter, mais comme un véritable outil de protection de l’enfance. Il doit aussi devenir le garant des possibilités d’évolution et des capacités d’adaptation des adoptants. C’est ce que tend à faire – et je m’en réjouis – la proposition de loi, en redonnant sa finalité à l’agrément (s’assurer que la demande est conforme à l’intérêt et aux besoins spécifiques de l’enfant) et en remettant l’enfant au cœur du dispositif. L’échec de l’adoption, les drames qu’il engendre et le retour de ces enfants deux fois abandonnés dans les services sociaux sont tout simplement insupportables.

La formation préalable à la demande d’agrément me paraît donc primordiale. Le département du Calvados est volontaire pour expérimenter les modules d’information et le cycle de réunions de quatre modules, de trois heures chacun, proposé par le Conseil supérieur de l’adoption. Il serait même intéressant de poursuivre cette démarche pendant la période post-agrément, qui est souvent longue et difficile. Il paraît enfin utile d’ouvrir, comme cela est proposé, le plus possible de consultations d’orientation et de conseil en adoption (COCA), afin d’assurer un accompagnement médical professionnel aux familles une fois que l’enfant tant attendu est arrivé, avec un bagage souvent plus chargé de douleurs qu’on ne l’imagine.

La nature et la qualité des procédures d’évaluation sociale et psychologique des agréments étant très disparates selon les départements, j’appelle de mes vœux la mise en place d’un encadrement par l’élaboration d’un référentiel commun.

J’en viens au délaissement parental. En tant que présidente de conseil général, je me suis toujours étonnée de retrouver année après année les mêmes enfants dans les foyers que je visitais. La moyenne du temps de placement est, je crois, de six ans, ce qui semble bien long dans la vie d’un enfant. C’est donc une bonne chose que de rendre plus accessible l’accueil dans une vraie famille. Néanmoins, comme le rappellent les travailleurs sociaux, il ne suffit pas toujours qu’un enfant soit juridiquement adoptable pour l’être psychologiquement : les blessures subies peuvent le conduire à refuser sa confiance aux adultes et à rejeter les notions de liens et d’attachement.

Les présidents de conseil général sont pleinement conscients de l’importance de l’agrément, dont la délivrance constitue souvent pour eux un choix difficile. La réforme proposée va dans le bon sens, celui du bien des familles comme de celui des enfants qui seront adoptés en France.

Mme Virginie Cordiez, responsable du service adoption au conseil général de la Somme. Les propos qui viennent d’être tenus reflètent tout à fait l’état d’esprit dans lequel nous sommes venus témoigner. En qualité de technicienne, j’insisterai plus particulièrement sur l’impact d’une pratique et d’une clinique autour de l’agrément, ainsi que sur la question du délaissement.

Je puis témoigner d’un changement favorable dans les pratiques des différents professionnels, notamment au sein de notre équipe spécialisée, résultant de l’application d’un référentiel pour l’agrément. Cet outil commun assure une plus grande équité dans le traitement des demandes d’agrément. Construit en collaboration avec l’Assemblée des départements de France et 17 départements, il constitue désormais un guide opérationnel pour les médecins, les psychiatres et les évaluateurs intervenant dans l’enquête sociale. Le conseil général de la Somme peut se prévaloir d’une certaine légitimité à évoquer la réforme de l’adoption : son expertise a notamment été reconnue par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Par ailleurs, les techniciens et les professionnels qui accompagnent les enfants en situation de délaissement et d’adoptabilité ont également la capacité d’accompagner les parents adoptants, car ils font la liaison entre le délaissement et l’adoptabilité des enfants. Or chacun le sait, l’adoption nationale et internationale concerne plutôt aujourd’hui des enfants à besoins spécifiques. Cette proposition de loi présente l’intérêt d’établir un lien entre toutes les étapes du parcours qui peut mener un enfant à l’adoptabilité, qu’il soit pupille de l’État, c’est-à-dire né en France, ou d’origine étrangère. Elle contribue ainsi à promouvoir une vision globale de l’adoption, remontant jusqu’au délaissement et aux critères pouvant permettre à un enfant dans cette situation de devenir adoptable juridiquement puis psychiquement.

Mme Michèle Derambure, psychologue. Il serait intéressant de réfléchir avec les parents aux critères juridiques d’adoptabilité. Le délaissement et les conséquences qu’il entraîne chez un enfant pupille peuvent, par exemple, être expliqués aux candidats à l’adoption lors de la délivrance de l’agrément. Forts d’une meilleure connaissance des critères d’adoptabilité en France nous pourrions ainsi améliorer l’accompagnement des enfants arrivant de l’étranger.

M. Dominique Benoit, directeur de l’enfance, de l’adolescence, de la famille et de la santé au conseil général des Yvelines. La réforme de l’article 350 du code civil qui est proposée est positive, puisqu’elle recentre la problématique sur l’enfant, et non plus sur les parents. La définition du délaissement proposée au 2° de l’article 1er de la proposition de loi sera un outil très utile pour les professionnels. Le fait que le rapport annuel examine obligatoirement la situation de l’enfant au regard du délaissement parental – et que cette évaluation intervienne tous les six mois pour les enfants de moins de deux ans – va également dans le bon sens.

Nous sommes favorables au recentrage de l’agrément autour de l’enfant, mais il conviendrait toutefois de préciser quelques notions, celles notamment qui peuvent fonder des recours, comme la réception de la demande – à quel moment la demande est-elle réputée reçue ? s’agit-il de la réception d’une lettre ou du dépôt du dossier ? – ou les modalités de confirmation – faut-il un courrier ou un simple appel téléphonique est-il suffisant ? Dans le même ordre d’idées, il serait utile d’indiquer dans quels cas l’agrément pourra être prorogé : un apparentement ou une proposition d’apparentement suffiront-ils par exemple pour obtenir la prorogation ? S’agissant enfin de la caducité de l’agrément, peut-être faut-il aussi faire référence aux procédures de kafala, largement utilisées dans un certain nombre de départements – dont le mien.

En ce qui concerne la révocation, il me semble intéressant – toujours du point de vue de l’enfant – de relever l’âge minimum de la révocation à la demande de l’adoptant de quinze à dix-huit ans.

Les dispositions concernant l’Agence française de l’adoption (AFA) sont également bienvenues. L’adéquation du projet aux spécificités des pays d’origine, la notion de pays d’implantation prioritaire et celle de conditions qui garantissent l’intérêt de l’enfant et des familles, ainsi que la possibilité de développer une coopération humanitaire, vont dans le bon sens.

Intéressantes, les propositions faites à propos de l’information risquent cependant de se révéler lourdes à mettre en œuvre, en dépit de la compensation de cette charge par l’État. Nous préférerions pour notre part procéder en deux temps : un premier temps autour des questions administratives et juridiques, permettant de rappeler le cadre légal, la réalité de l’adoption et ses statistiques, et un deuxième temps consacré à la réflexion sur la spécificité de la parentalité adoptive.

À quelques nuances près, nous sommes donc favorables aux évolutions envisagées.

Permettez-moi, pour finir, d’attirer votre attention sur l’exercice du droit de visite prescrit par les magistrats. Dans certains cas, il peut être assimilé à un maintien forcé de la relation entre les parents et les enfants, maintien qui n’est pas toujours dans l’intérêt de ces derniers. Nous peinons hélas à le faire entendre aux magistrats.

M. le président Jean-Marc Roubaud. La Commission spéciale a décidé d’organiser une table ronde sur la kafala. Le sujet ne pourra cependant être abordé dans la proposition de loi, à moins de prendre le risque d’en retarder le vote, dont nous souhaitons qu’il intervienne avant la suspension des travaux du Parlement fin février.

M. Dominique Benoit. C’est néanmoins un vrai sujet.

Mme Hermeline Malherbe, présidente du conseil général des Pyrénées-Orientales. En tant que représentante de l’Assemblée des départements de France (ADF), je tiens à dire que si les propositions avancées sur l’agrément retiennent toute notre attention, nous ne partageons pas la même certitude sur le délaissement. Nous considérons qu’il n’y a pas urgence à légiférer sur ce dernier point. Il est toujours difficile de tenter d’enfermer une notion subjective dans une définition légale. La définition du délaissement reste en effet très floue : les références aux « carences » et aux « responsabilités parentales » sont délicates à manier sur le plan juridique. Le compte rendu de la dernière audition atteste d’ailleurs que cet avis est partagé par l’ensemble des professionnels. La déclaration d’abandon prévue par l’article 350 du code civil doit rester une mesure de protection de l’enfance, et non une sanction à l’encontre des parents et nous devons garder à l’esprit le principe du droit de l’enfant à être élevé par ses parents, consacré par les conventions internationales des droits de l’enfant. Je note en outre l’absence de construction prétorienne sur cette question. Pour toutes ces raisons, il nous semble important de prendre du recul, à la fois sur le plan juridique et sur le plan administratif.

Nous approuvons en revanche la réforme de l’agrément et la modification proposée de l’article L. 225-2 du code de l’action sociale et des familles, qui est motivée par le souci d’une plus grande égalité entre les adoptants. Deux observations s’imposent cependant. Le délai de validation de l’agrément aujourd’hui fixé à onze mois – deux pour l’information du demandeur, puis neuf à compter de la confirmation de la demande – se trouve ramené à neuf mois. C’est problématique au regard de la réalité administrative, mais aussi au regard de la maturation du projet d’adoption par les candidats futurs parents, qui requiert une certaine durée.

Ensuite, nous attendons des clarifications sur la question de la caducité. Il semble pertinent de donner une base légale à la prorogation de l’agrément par le président du conseil général, notamment en cas d’arrivée au foyer d’un enfant biologique. Mais la proposition de loi qui prévoit que l’agrément est caduc à compter de l’arrivée au foyer d’au moins un enfant adopté, ainsi qu’en cas de modification de la situation matrimoniale, obligerait un couple non marié à recommencer ab initio une procédure d’adoption s’il décidait de se marier. Il faudrait préciser qu’en pareil cas, la démarche entamée avant le mariage peut être poursuivie.

Mme Michèle Boutin, directrice du service adoption du conseil général de Loire-Atlantique. Je dirige le service adoption du conseil général de Loire-Atlantique, qui instruit environ 300 demandes d’agrément par an et a comptabilisé, en 2010, 140 adoptions internationales et l’octroi du statut de pupille de l’État à une quinzaine d’enfants.

Il est intéressant que le code de l’action sociale et des familles rappelle que l’agrément est un outil de protection de l’enfance. Cette affirmation doit s’entendre aussi bien pour les enfants nés en France que pour ceux nés à l’étranger. L’adoption internationale aussi est une mesure de protection de l’enfance : cela doit être clairement affirmé. Il est d’autre part nécessaire de sensibiliser les adultes en demande d’enfant au fait qu’ils vont aller à la rencontre d’un enfant déjà né et éprouvé, et que ce sera à eux d’adapter leur légitime désir d’enfant. Cela peut apparaître comme une banalité, mais il importe de le redire, y compris pour l’adoption internationale. L’adoption ne peut plus être présentée comme une alternative possible lorsqu’on est « en panne » pour construire sa famille.

J’en viens aux dispositions de la proposition de loi. Tout d’abord, il me semble important de préciser que la prorogation d’un an de l’agrément ne peut intervenir que s’il y a un apparentement, c’est-à-dire lorsque l’adoption d’un enfant est prévue et que la procédure n’est pas terminée. Sinon, je ne vois pas au nom de quoi le président du conseil général pourrait proroger l’agrément. Cela nécessiterait en tout cas une réévaluation du dossier.

Nous sommes d’accord pour que la notice jointe à l’arrêté d’agrément soit modifiée le cas échéant, car le projet des adultes peut évoluer. Encore faut-il que les services du conseil général puissent les entendre pour comprendre en quoi l’enfant rêvé est maintenant différent, qu’il s’agisse de son âge, de sa santé ou du nombre d’enfants à accueillir. Nous avons là une véritable responsabilité, celle de mesurer si les parents se sont adaptés et de les préparer à l’évolution de leur projet. Il ne doit pas s’agir de leur part d’une stratégie pour obtenir un enfant plus vite.

Les précisions relatives à la caducité de l’agrément nous faciliteront sans doute la tâche.

L’article 4 de la proposition de loi porte sur l’expérimentation par les conseils généraux volontaires d’un dispositif visant à renforcer l’information et la préparation des candidats à l’agrément en vue de l’adoption. Pour sa part, le département de la Loire-Atlantique organise déjà des « ateliers thématiques » entre l’agrément et l’arrivée de l’enfant. Il serait dommage de se borner à une démarche expérimentale. Certes, mon département sera volontaire, car la dynamique et la réalité locale de l’adoption l’y inciteront, mais ce ne sera pas le cas de tous. D’autre part, nous avons sans doute besoin d’une réforme de fond. Nous bénéficions désormais d’un certain recul sur l’adoption internationale ; nous savons également que de moins en moins d’enfants vont pouvoir être adoptés au niveau international, et que leurs profils seront désormais différents. Autrement dit, il n’y aura plus d’enfants jeunes en bonne santé. Il est donc urgent de réfléchir à la préparation des familles. On peut ici distinguer cinq phases : la phase de sensibilisation et de préparation à l’adoption, la phase d’évaluation, l’accompagnement entre l’agrément et l’arrivée de l’enfant, l’arrivée de l’enfant, avec la mise en place des liens, et enfin le soutien à la parentalité adoptive, qui n’a pas de limite dans le temps. Les différents partenaires – conseils généraux, COCA, associations de parents, organismes autorisés pour l’adoption (OAA) – travaillent de plus en plus ensemble. Nous avons donc les moyens de croiser sur les points de vue sur l’appréhension de l’adoption en France aujourd’hui.

Pour accueillir des enfants étrangers déjà grands, ayant des parcours chaotiques, notre pays doit se doter de moyens supplémentaires. Nous ne pouvons leurrer les familles et les pays d’origine sur les structures d’accueil dont nous disposons pour soutenir une parentalité qui peut être délicate. Quelles propositions l’éducation nationale fait-elle pour intégrer des enfants déjà grands qui éprouvent des difficultés à s’adapter ? Les instituts médico-sociaux manquent de places, les délais d’attente des consultations médico-psychologiques sont très longs… Si l’on veut inciter à l’adoption d’enfants plus grands ayant des problèmes de santé, il faut se donner les moyens d’accompagner les familles et les enfants.

M. Jean-Marie Colombani. Depuis le rapport que j’ai remis au Président de la République en 2008, la situation a beaucoup évolué, notamment sur les points qui nous occupent. Je me félicite aujourd’hui que la proposition de loi reprenne la plupart des conclusions de ce rapport.

La notion la plus délicate est celle du délaissement. J’avais pris l’option d’éviter d’en inscrire la définition dans la loi, afin d’éviter un choc frontal sur des questions qui sont assez sensibles pour diviser nos compatriotes. Choisir le vecteur législatif, c’est donner un coup d’accélérateur peut-être salutaire, mais dans un domaine qui reste hautement sensible.

En ce qui concerne l’adoption internationale, le rapport avait été très tôt suivi d’effets. Beaucoup de changements sont intervenus et je souscris donc entièrement à ce que vient de dire Mme Boutin.

M. Georges Colombier. Mme d’Ornano en a témoigné : les présidents de conseil général, qui délivrent l’agrément, ont conscience de l’importance de leur rôle. Et, dans l’exercice de leurs responsabilités, ils savent pouvoir compter sur le sérieux et la compétence des techniciens.

Mme Boutin a justement insisté sur la nécessité de réintroduire la notion de protection de l’enfance dans l’adoption. On adopte un enfant non pour se faire plaisir, mais d’abord pour essayer de l’aimer – ce qui est tout autre chose et ne va pas de soi.

Mme Anne d’Ornano. Le président du conseil général ne décide évidemment pas seul, mais avec ses collaborateurs. Il reste que la décision lui appartient en propre. Aussi est-il important que les dossiers soient bien construits. Les outils que cette réforme permettra de mettre en place seront précieux à cet égard, qu’il s’agisse du référentiel ou de l’approfondissement de la formation des candidats à l’adoption. Je me félicite en outre que l’enfant ait été remis au cœur du dispositif. C’est l’enfant qui a droit à une famille, et non l’inverse.

Mme Colette Langlade. À entendre les différents intervenants, il semble que les évaluations sociales soient très disparates d’un département à l’autre. Nous avons donc besoin d’un référentiel commun.

Cette réforme vise surtout à faciliter le recours à l’article 350 du code civil, sans pour autant réduire le délai de procédure, ni modifier l’état d’esprit des adoptants. Le parquet pourra-t-il être directement saisi par le juge, et avec quels éléments ? Le conseil général devra-t-il fournir des informations ? Comment s’assurer que l’éthique est respectée ?

Le fait d’examiner chaque année la situation des enfants placés au regard du délaissement parental soulève une interrogation sur le plan éthique : la mission de prévention et de protection des conseils généraux ne doit-elle pas œuvrer au retour de l’enfant dans son foyer, même si cela semble difficile dans certains cas ? Gardons à l’esprit que derrière les termes de « désintérêt » ou « délaissement » peuvent se cacher des situations sociales dramatiques.

Mme Virginie Cordiez. Le département de la Somme a travaillé de façon expérimentale sur l’évaluation de la parentalité dès 2007. Cette phase d’expérimentation, aujourd’hui close, nous a permis de définir un protocole d’intervention, avec une équipe spécialisée dans l’observation du lien de filiation chez des enfants ayant été confiés précocement au titre de la protection de l’enfance. Nous avons constaté – dans le cadre d’un travail d’objectivation sur les critères de délaissement – un certain nombre de situations de délaissement avérées, qui ont donné lieu à des transmissions aux autorités judiciaires. L’examen des dossiers des enfants confiés depuis un certain nombre d’années en situation avérée de délaissement a fait apparaître que, si le lien de filiation faisait l’objet d’une observation, les éléments du développement psycho-affectif de l’enfant et les traumatismes liés à une « dysparentalité » étaient inscrits précocement dans le dossier, et si une attention particulière était portée à l’accueil et à l’accompagnement de ces enfants, nous pourrions conduire un travail de prévention et de soutien à la parentalité. Si la situation aboutissait à un délaissement de fait, nous aurions dès lors les moyens de l’objectiver, puis de transmettre les résultats de cet examen objectif aux autorités judiciaires.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Que pensez-vous de l’obligation faite au titulaire de l’agrément de le confirmer chaque année ? Le retrait de cet agrément en l’absence de confirmation permettrait-il, à votre avis, d’identifier les candidats les plus motivés ?

Mme Michèle Boutin. C’est ce que nous appelons l’abrogation : les familles doivent confirmer annuellement qu’elles ont toujours un projet d’adoption, et attester sur l’honneur qu’il n’y a pas de changement dans leur situation. Dans le cas inverse, il revient au président du conseil général d’apprécier s’il faut actualiser le dossier. La loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption s’était déjà montrée plus rigoureuse sur ce point. Les pays d’origine et les intermédiaires demandent des attestations de validité. Or 10 % à 15 % des titulaires d’un agrément ne donneront pas suite, ce qui peut fausser le nombre de dossiers réellement « actifs ». Il n’est donc pas inutile que le législateur contraigne les départements à mettre régulièrement à jour les dossiers. Encore faut-il préciser quelles sont les règles d’abrogation si l’on veut éviter des contentieux.

Mme Hermeline Malherbe. La majorité des départements ont déjà des règles internes qui mettent en œuvre un certain nombre des dispositions relatives à l’agrément prévues par la proposition de loi – d’où notre accord sur celles-ci. Leur inscription dans la loi apportera une meilleure sécurité juridique et permettra d’harmoniser les pratiques sur l’ensemble du territoire.

Mme Annick Le Loch. Il est souvent fait état de disparités dans les procédures d’agrément d’un département à l’autre. La proposition de loi permettra-t-elle une harmonisation ?

M. Jacques Chomiliers. Je puis vous citer un exemple particulièrement grave aux yeux des familles adoptantes. Un pays d’origine, comme l’Éthiopie, oblige le passage par un OAA, dont l’agrément se fait au niveau départemental. Or un département comme le Gard n’a agréé aucun OAA pour l’Éthiopie. Autrement dit, les habitants de ce département n’ont plus qu’à déménager s’ils souhaitent adopter en Éthiopie !

M. le président Jean-Marc Roubaud. Je suis député du Gard, mais je ne siège pas au conseil général…

Mme George Pau-Langevin. Quelle est aujourd’hui la situation des couples ou des personnes homosexuels au regard de l’agrément ? L’approche variant d’un département à l’autre, la jurisprudence a eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises. Y a-t-il une harmonisation sur ce point ?

Mme Virginie Cordiez. Votre question renvoie à celle de l’hétérogénéité dans le fonctionnement des départements. Nous sommes tous garants du respect de la loi, mais il existe néanmoins des représentations différentes, sans doute liées au fonctionnement interne des commissions d’agrément et à leurs membres. Pour notre part, nous avons fait un cheminement conceptuel, théorique, voire idéologique, sur la question de l’homoparentalité. Cela nous a permis, sans nier les représentations propres à chacun des membres de la commission d’agrément et du conseil de famille, d’agréer des candidats qui s’étaient clairement déclarés homosexuels. Sur la question de la contre-indication à exercer une parentalité d’un point de vue clinique, je vous renvoie aux psychologues.

M. Jacques Chomiliers. Un pays comme la Colombie, qui passe souvent pour un modèle du genre, interdit l’adoption par un couple homosexuel. Il ne suffit donc pas de l’autoriser en France pour la rendre possible à l’international.

M. le président Jean-Marc Roubaud. En tant que psychologue, madame Derambure, êtes-vous favorable à la création de référentiels nationaux pour guider les travailleurs sociaux, les psychologues et les psychiatres en termes de méthodologie ?

Mme Michèle Derambure. L’intérêt d’un référentiel est de fournir une base de travail et des pistes de réflexion communes aux professionnels, sans pour autant leur interdire de mener l’entretien socio-psychologique comme ils l’entendent.

M. Marc Lasserre. Pour avoir participé au sein du Conseil supérieur de l’adoption au groupe de travail sur le délaissement parental, je sais que certains départements ou régions disposent déjà de référentiels aboutis. Nous avons donc une base de travail. Il s’agit d’étendre ce qui peut l’être à d’autres départements qui ne disposent pas des mêmes moyens.

Mme Hermeline Malherbe. Au regard de l’agrément, les couples homosexuels sont confrontés à la même problématique que les couples non mariés : le code civil ne prévoit pas d’autorité parentale partagée en dehors du cadre du mariage, ce qui a des implications concrètes qui se manifestent nécessairement lorsque l’enfant grandit.

Mme George Pau-Langevin. La loi n’oblige pas à faire mention de l’orientation sexuelle du parent adoptant, mais c’est dans le cadre de l’instruction de la demande d’agrément que la question est posée par les services sociaux.

M. Marc Lasserre. Une personne seule peut obtenir un agrément. La question est de savoir si elle doit pour cela cacher son homosexualité.

M. Dominique Benoit. La réponse est non. La question n’est pas abordée en ces termes. Certains candidats homosexuels se présentent comme tels, d’autres non. Pour notre part, nous n’avons pas à poser la question de l’orientation sexuelle.

Mme Michèle Boutin. Pour exercer l’autorité parentale conjointe sur un enfant adopté, il faut être marié, donc hétérosexuel. Le débat se déplace donc sur le terrain des dispositions du code civil relatives aux régimes matrimoniaux.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Je vous remercie de votre contribution.

La séance est levée à 17 heures 45.

*

* *

La Commission procède ensuite à l’audition de Mmes Amélie Duranton, conseillère en charge du droit civil et économique, et Kristelle Hourques, conseillère parlementaire, au cabinet du garde des Sceaux, et Mme Marie-Catherine Gaffinel, magistrate, bureau du droit des personnes et de la famille à la direction des Affaires civiles et du Sceau.

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Nous poursuivons nos auditions en accueillant Mme Amélie Duranton, conseillère en charge du droit civil et économique au cabinet du garde des Sceaux, et Mme Marie-Catherine Gaffinel, magistrate au bureau du droit des personnes et de la famille à la direction des affaires civiles et du Sceau, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Nous souhaiterions recueillir vos remarques sur les lacunes de la législation actuelle et sur le dispositif de la proposition de loi.

Mme Amélie Duranton, conseillère en charge du droit civil et économique. Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, nous vous remercions très vivement de nous permettre d’intervenir sur des questions qui mettent en jeu une partie centrale de notre droit civil, à savoir les droits de la famille et de l’enfance en danger, qui relèvent respectivement du juge aux affaires familiales et du juge des enfants.

Je n’ai pas de proposition particulière à faire concernant de possibles réformes, mais Mme Gaffinel et moi-même sommes à votre disposition pour répondre à vos questions et évoquer les dispositions de la proposition de loi de Mme Tabarot.

Mme Colette Langlade. En l’état actuel du droit, en cas de changement de situation matrimoniale dû à un décès ou à un divorce, l’agrément peut être retiré. La réforme le rendrait seulement caduc, ce qui permettrait de déposer très rapidement une nouvelle demande, alors qu’il faut aujourd'hui respecter un délai de trente mois. Est-ce une bonne chose ?

Mme Amélie Duranton. Sans empiéter sur les compétences du ministère de la cohésion sociale, qui s’occupe de ce qui a trait à l’agrément, il conviendrait de trouver un équilibre entre la prise en compte d’un événement traumatique comme le décès du conjoint, ou, dans une moindre mesure, une séparation, et un délai de carence qui paraît long au regard d’une procédure longue elle aussi. Il n’y a pas de raison de s’interdire de réfléchir à une amélioration du dispositif et de ne pas se demander s’il est opportun d’imposer à quelqu’un qui a été éprouvé de reprendre les démarches à zéro. Cela étant, une adoption est souvent un projet à deux, qui risque de perdre sa raison d’être si le couple disparaît.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Nous vous avons adressé un questionnaire, comprenant notamment des demandes de statistiques, dont nous n’avons pas reçu à ce jour les réponses…

Mme Amélie Duranton. Nous vous remettrons très rapidement les réponses à ce questionnaire. Une remarque, cependant. Les chiffres des déclarations judiciaires d’abandon dont nous disposons diffèrent de ceux qui figurent dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, qui fait état de quelques dizaines. En 2000, nous comptabilisions 247 demandes et 166 déclarations judiciaires d’abandon prononcées. En effet, il n’est pas fait droit à toutes les demandes, compte tenu des conséquences très lourdes qu’elles emportent, puisque l’abandon rompt irrévocablement tout lien entre l’enfant et les parents. En 2010, 247 demandes ont été faites et 185 décisions d’abandon ont été prononcées.

Mme Martine Lignières-Cassou. Les chiffres sont stables ?

Mme Amélie Duranton. Oui, en très légère augmentation sur dix ans. Nous avons renseigné en détail le tableau que vous nous avez adressé. Les mesures d’assistance éducative sont beaucoup plus nombreuses : près de 325 000 par an.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Les juridictions sont-elles désormais en mesure d’examiner plus rapidement les demandes de déclarations judiciaires d’abandon, comme le préconise le rapport Colombani ?

Mme Marie-Catherine Gaffinel, magistrate au bureau du droit de la famille et des personnes à la direction des affaires civiles et du Sceau. À la suite du rapport de M. Jean-Marie Colombani, remis au Président de la République en mars 2008, la Chancellerie a adressé aux parquets une dépêche appelant leur attention sur la nécessité de s’attacher à réduire les délais de procédure. Les parquets, qui sont présents dans plusieurs procédures, notamment celles relatives à l’assistance éducative devant le juge des enfants, peuvent sensibiliser le conseil général afin qu’il mette en œuvre la procédure de déclaration judiciaire d’abandon le plus rapidement possible. L’augmentation des chiffres que l’on a constatée depuis 2008, date à laquelle la circulaire a été diffusée, peuvent laisser à penser qu’il y a une corrélation.

S’agissant des délais de procédure pour le prononcé des déclarations judiciaires d’abandon, ils se réduisent. Ainsi, en 2008, le délai moyen était de 7,5 mois, contre 6,9 mois en 2010, quelle que soit l’issue. Et, en cas d’acceptation, la durée moyenne tombe à 6,5 mois.

M. le président Jean-Marc Roubaud. La définition du délaissement parental, telle qu’elle figure à l’article 1er de la proposition de loi vous semble-t-elle convenir ? Et que pensez-vous de l’irrévocabilité de l’adoption simple prévue à l’article 5 ?

Mme Amélie Duranton. L’article 1er, qui définit le délaissement, suscite des réserves de la part du ministère de la justice et des libertés. S’il nous paraît opportun de prévoir que le procureur de la République peut saisir d’office le tribunal de grande instance d’une demande de déclaration judiciaire d’abandon, en revanche, nous sommes circonspects sur la définition du délaissement parental, inspirée apparemment par le Conseil supérieur de l’adoption (CSA). Le juge des enfants dispose d’un éventail de mesures relatives à l’autorité parentale, qui vont des mesures d’assistance éducative – lesquelles ne remettent pas en cause l’autorité des parents, même si elle fait alors l’objet d’une surveillance particulière –, à la délégation d’autorité parentale, voire à son retrait. La définition du délaissement, telle qu’elle figure dans la proposition de loi conduirait paradoxalement à un moindre degré d’exigence, si bien que la décision judiciaire d’abandon serait plus facile à prononcer que les autres mesures de restrictions de l’autorité parentale, alors même qu’elle a des conséquences plus graves puisque définitives. Déplacer la définition du délaissement du titre consacré à la filiation adoptive à celui consacré à l’autorité parentale irait dans le bon sens, mais en tant que telle, la définition proposée est difficilement compatible avec la gradation des précautions qui entourent les mesures de restriction de l’autorité parentale.

Par ailleurs, la définition substitue à la notion d’autorité parentale qui est décrite par le code civil comme un ensemble de droits et de devoirs que les parents ont à l’égard des enfants, l’expression de « responsabilités parentales » qui n’a pas de réel contenu juridique.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Vaudrait-il mieux conserver la référence à l’autorité parentale ?

Mme Amélie Duranton. Il serait au moins préférable de reprendre l’expression « droits et devoirs », selon les termes du code civil.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Avez-vous des suggestions à faire à propos des dispositions de l’article 6 relatif à l’Agence française de l’adoption (AFA) et à l’autorité centrale pour l’adoption internationale, instances où le ministère de la justice est représenté ?

Mme Marie-Catherine Gaffinel. Le ministère siège en effet au conseil d’administration de l’AFA qui est un groupement d’intérêt public. Nous sommes tout à fait favorables à ce que l’autorité centrale pour l’adoption internationale, qui s’adosse au service de l’adoption internationale du ministère des affaires étrangères et européennes (SAI), soit chargée de donner à l’AFA les orientations à suivre concernant ses implantations futures. Cependant, la légitimité naturelle du SAI ne doit pas empêcher, au sein de l’AFA, une concertation avec l’autorité de tutelle, la direction générale de la cohésion sociale, et, dans une moindre mesure, le ministère de la justice qui est concerné par la transposition en droit français d’adoptions prononcées à l’étranger. Aussi peut-on s’interroger sur la nécessité de donner à l’autorité centrale pour l’adoption internationale, une suprématie aussi nette que le fait la proposition de loi, d’autant que l’article L. 225-15 du code de l’action sociale et des familles prévoit déjà que l’autorité centrale est consultée sur les orientations.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Il a été question, lors de l’audition du cabinet de la secrétaire d’État chargée de la famille, d’un décret en Conseil d’État en cours d’élaboration qui préciserait notamment le contenu du rapport annuel des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sur les enfants bénéficiant d’une mesure éducative ou placés et qui, de ce fait, rendrait inutile l’article 2 de la proposition de loi.

Mme Amélie Duranton. Le décret est toujours en cours d’élaboration au ministère de la solidarité et de la cohésion sociale et nous n’en avons pas été destinataires pour le moment.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Peut-être le législateur ferait-il mieux de ne compter que sur lui-même… Que pensez-vous de l’irrévocabilité de l’adoption simple ?

Mme Amélie Duranton. Nous y sommes également réticents, dans la mesure où cette irrévocabilité rapprocherait l’adoption simple de l’adoption plénière, ce qui n’est pas forcément souhaitable. L’adoption simple permet d’ores et déjà l’introduction de l’enfant dans la famille des adoptants et la création d’un lien juridique.

Les personnes ayant adopté un enfant mineur par adoption simple perçoivent la révocabilité comme un grave risque qui empêche l’enfant de faire partie à part entière de la famille. Il n’empêche que l’enfant est juridiquement considéré comme le fils ou la fille de ses parents adoptifs. Par ailleurs, la révocation est soumise à des conditions extrêmement restrictives puisqu’il faut un motif grave et que cette gravité est appréciée par un magistrat. En 2010, sur les 56 demandes de révocation d’adoption simple, 19 ont été acceptées, et 26 rejetées. Le phénomène est donc marginal. Malheureusement, ces statistiques n’indiquent pas qui est à l’origine de la demande : les parents, le ministère public, l’enfant majeur ou la famille d’origine. Si je puis vous faire part de mon expérience personnelle, j’ai été responsable du parquet civil à Meaux et juge aux affaires familiales à Meaux et en province, et je n’ai jamais vu de demande émanant des familles biologiques. Je comprends l’angoisse des familles adoptantes mais j’insiste sur le fait que la révocation ne peut être prononcée par le juge que pour motif grave.

M. Serge Blisko. Même s’il n’en est pas question dans la présente proposition de loi, quelle est la position du ministère de la justice concernant la kafala ?

Mme Amélie Duranton. Le sujet est récurrent. Vis-à-vis de la loi française, l’accueil d’un enfant en kafala peut relever de deux statuts différents. Il s’agit soit d’une délégation d’autorité parentale, si les parents biologiques n’entendent pas être dépourvus de tout droit à l’égard de leur enfant ; soit d’une tutelle, avec un conseil de famille, quand il n’existe pas de titulaire de l’autorité parentale dans le pays d’origine de l’enfant. La difficulté vient de ce que certains États musulmans prohibent l’adoption et que nos engagements internationaux tels que la convention de La Haye nous imposent de respecter la loi personnelle de l’enfant.

Afin de rappeler les règles applicables à ces enfants en droit français, nous avons décidé de diffuser une circulaire sur la kafala à l’ensemble des parquets.

Mme Marie-Catherine Gaffinel. Les décisions de kafala sont reconnues de plein droit. Aussi la famille kafil, celle qui recueille l’enfant, n’a-t-elle pas besoin d’entreprendre de démarche particulière en France. Le groupe de travail qui avait été constitué, sous l’égide du médiateur de la République, a fait ressortir que les principales difficultés étaient d’ordre social : prestations familiales et sorties scolaires. Nous avons expliqué au ministère de l’éducation nationale que les parents d’accueil exerçaient bien l’autorité parentale. La circulaire en cours d’élaboration rappellera que la kafala est reconnue de plein droit en droit interne et qu’elle produit les effets, selon les cas, soit d’une délégation d’autorité parentale, soit d’une tutelle. L’enfant, une fois présent sur le territoire national, pourra au bout de cinq ans demander la nationalité française qui, une fois acquise, lèvera la prohibition sur l’adoption puisque sa loi personnelle sera la loi française qui autorise l’adoption.

Mme George Pau-Langevin. Si la kafala est reconnue de plein droit, comment expliquer les difficultés à obtenir des visas pour rentrer en France avec les enfants ?

Mme Marie-Catherine Gaffinel. Le problème tient aux conditions d’exercice du droit au regroupement familial dont la définition ne relève pas du ministère de la justice. En outre, pour laisser partir les enfants, certaines juridictions étrangères demandent l’équivalent d’un agrément que les conseils généraux refusent de délivrer puisqu’il ne s’agit pas d’une adoption.

Mme George Pau-Langevin. Si la kafala est reconnue de plein droit, elle doit permettre le regroupement familial.

Mme Marie-Catherine Gaffinel. C’est le ministère chargé de l’immigration qui édicte les règles qui encadrent le regroupement familial, en particulier celles qui touchent aux délais.

Mme Amélie Duranton. La circulaire qui sera diffusée par le ministère de la justice n’abordera pas la question de la délivrance des visas. En revanche, elle clarifiera aux yeux des magistrats le statut précis d’un enfant bénéficiant d’une kafala sur le territoire français.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Mme la rapporteure organisera une table ronde sur la kafala, mais elle a décidé de ne pas intégrer cette question dans la proposition de loi, de peur d’en retarder l’examen.

Mme Annick Le Loch. Qui sont les quelque 200 personnes qui abandonnent leur enfant tous les ans ? Que sait-on sur elles ? Et peut-on prévenir ces abandons ?

Mme Marie-Catherine Gaffinel. Il n’y a pas de statistiques sur le profil de ces familles. À l’origine, généralement, un juge confie les enfants à l’aide sociale à l’enfance à cause du désintérêt manifeste de leurs parents à leur égard. Après plusieurs années, les services sociaux saisissent les tribunaux pour obtenir une déclaration judiciaire d’abandon. Les cas en question relèvent surtout de la protection de l’enfance, si bien que les organismes qui s’occupent d’adoption n’ont pas de statistiques, pas plus d’ailleurs que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

Les familles concernées sont des familles en grande difficulté, souvent désocialisées, avec des revenus faibles. Les parents ont souvent été agressés dans leur enfance. Les enfants placés ont en général un lourd passé.

M. Philippe Tourtelier. Les associations du type ATD Quart-monde s’opposent-elles, au nom de la préservation du lien familial, aux décisions d’abandon ?

Mme Amélie Duranton. La déclaration judiciaire d’abandon entraînant une rupture irrévocable entre un enfant et ses parents, elle demeure rarement prononcée. Un enfant peut vivre dans une famille extrêmement fragile et précaire, qui rencontre des problèmes de logement, de dépendance, de santé psychique ou autre, et être entouré d’amour, malgré les épreuves endurées par les parents qui les empêchent de s’en occuper convenablement. Dans de telles circonstances, l’enfant peut être en situation de danger, même si ses parents sont bien disposés à son égard. Ces parents ne sont d’ailleurs pas toujours opposés à une mesure de placement qui offre à l’enfant un cadre plus sécurisant, même si elle représente incontestablement un arrachement. Maintenir le lien est fondamental et les services sociaux s’y emploient, c’est même une partie du travail de l’aide sociale à l’enfance, puis de la protection judiciaire de la jeunesse, quand on bascule dans le cadre judiciaire. Les enfants qui n’ont pas connu leurs parents entreprennent très souvent des recherches sur leurs origines à un moment ou à un autre de leur vie. Cette importance du maintien du lien explique pourquoi la notion de délaissement doit répondre à des critères rigoureux. Faciliter le prononcé de la déclaration d’abandon reviendrait à accepter l’idée que le lien entre l’enfant et ses parents peut être défait relativement facilement par la justice. Cela irait à l’encontre de tout le travail qui est fait pour préserver un contact essentiel à la construction d’un enfant.

Il reste que certains parents sont nocifs pour leurs enfants, qu’ils s’en désintéressent manifestement et qu’il n’est pas souhaitable qu’ils conservent leurs droits.

Mme Marie-Catherine Gaffinel. La déclaration judiciaire d’abandon est l’issue ultime, une fois que tout a été tenté par les éducateurs, qui poursuivent les mêmes buts qu’ATD Quart-monde. D’ailleurs, comme cela a été dit, le nombre de décisions est faible, ce qui traduit la conviction que bien des parents, même s’ils ne sont pas exemplaires, ont quelque chose à apporter à leur enfant.

Mme George Pau-Langevin. Auditionnerons-nous ATD Quart-Monde ?

M. le président Jean-Marc Roubaud. Tout dépendra de la date d’inscription de la proposition de loi à l’ordre du jour.

M. Serge Blisko. À quoi correspond exactement le délai de six mois environ dont vous avez parlé ? Et qui prononce la décision d’abandon : le juge aux affaires familiales ou le tribunal ?

Mme Marie-Catherine Gaffinel. Il s’agit du temps qui sépare l’introduction de la requête et le prononcé du jugement, qui est rendu par une instance collégiale.

M. Serge Blisko. C’est long !

Mme Marie-Catherine Gaffinel. Cela s’explique par la nécessité pour le tribunal d’être parfaitement informé et il arrive que les services de l’aide sociale à l’enfance ne parviennent pas à entrer en contact avec les parents. Dans ce cas, le procureur de la République doit diligenter une enquête pour s’assurer que les parents se désintéressent de leur enfant.

Mme Amélie Duranton. Je précise que le tribunal est composé de juges aux affaires familiales. Ce sont donc des spécialistes qui se prononcent.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Les inspecteurs généraux de l’IGAS ont signalé que dans le cadre des travaux qui ont conduit à la rédaction de leur rapport, rendu public en novembre 2009, ils avaient constaté que la circulaire du 28 octobre 2008 de la direction des affaires civiles et du Sceau relative à l’application de l’article 350 du code civil restait mal connue des magistrats. Est-ce toujours le cas ?

Mme Amélie Duranton. Il est dans le rôle du ministère de la justice d’harmoniser les pratiques des magistrats du parquet et du siège, dans le respect de l’indépendance dont ces derniers jouissent dans le prononcé de leurs décisions. Les magistrats spécialistes de ce type de contentieux ont eu connaissance de cette circulaire. Le fait que les chiffres cités par Mme Gaffinel aillent dans le bon sens, qu’il s’agisse du nombre de décisions judiciaires d’abandon, ou de la réduction du délai des procédures depuis 2008 pourrait apporter la confirmation que cette circulaire n’est pas restée lettre morte. Cela étant, le rapport de l’IGAS datant lui de 2009, il n’est pas exclu qu’il ait fallu un peu de temps pour que les magistrats s’imprègnent de l’information.

Par ailleurs, à chaque changement d’affectation, les magistrats suivent des modules de formation continue organisés par l’École nationale de la magistrature. D’une manière générale, la formation continue des professions juridiques est devenue une obligation depuis la loi de modernisation des professions judiciaires et la loi relative à l’exécution des décisions de justice. Pour les magistrats, il existe un module « parquet civil », comprenant deux niveaux, pour sensibiliser les magistrats aux questions d’état civil et d’adoption.

Il est animé par le procureur de la République de Nantes, M. Laurent Fichot, dont les compétences ne sont plus à démontrer.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Il ne me reste plus, Mesdames, qu’à vous remercier pour votre contribution à nos travaux.

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Serge Blisko, M. Bruno Bourg-Broc, M. Georges Colombier, M. Bernard Gérard, Mme Colette Langlade, Mme Annick Le Loch, Mme Martine Lignières-Cassou, Mme George Pau-Langevin, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean-Marc Roubaud, M. Philippe Tourtelier, Mme Isabelle Vasseur

Excusés. - Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Chantal Bourragué, M. Xavier Breton, M. Guy Delcourt, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Mme Michèle Tabarot