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Commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption

Mardi 24 janvier 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Jean-Marc Roubaud, Président, puis de M. Georges Colombier, Vice-président

– Table ronde sur la kafala réunissant :
Mme Marie-Catherine Gaffinel, magistrate du bureau du droit des personnes et de la famille, à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice et des libertés, M. Jean de Croone, adjoint au directeur de l’immigration du ministère de l’Intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, Mme Edith Sudre, adjointe au directeur du service de l’adoption internationale du ministère des Affaires étrangères, Mme Marie-José Le Pollotec, responsable du bureau de la protection des mineurs et de la famille au sein de la sous–direction de la protection des droits de personnes du ministère des Affaires étrangères, Mme Martine Timsit, directrice des études et réformes auprès du Défenseur des droits, Mme Malika Bouziane, présidente de l’Association de parents adoptifs d’enfants recueillis par kafala (APAERK) et Mme Linda Arif, juriste, Mme Zora Zemma, présidente adjointe de l’association des parents adoptifs d'enfants nés en Algérie et au Maroc (PARAENAM), M. Jamel Daoudi, membre de l’association Kafala.fr.

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

La Commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi sur l’enfance délaissée et l’adoption procède à l’audition, sous forme de table ronde, de Mme Marie-Catherine Gaffinel, magistrate du bureau du droit des personnes et de la famille, à la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice et des libertés ; de M. Marc Portéous, chef du bureau de l’immigration familiale au ministère de l’Intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration (secrétariat général à l’immigration et à l’intégration) ; de Mme Édith Sudre, adjointe au directeur du service de l’adoption internationale du ministère des Affaires étrangères ; de Mme Marie-José Le Pollotec, responsable du bureau de la protection des mineurs et de la famille au sein de la sous-direction de la protection des droits des personnes du ministère des Affaires étrangères ; de Mme Martine Timsit, directrice des études et réformes auprès du Défenseur des droits ; de Mme Malika Bouziane, présidente de l’Association de parents adoptifs d’enfants recueillis par kafala (APAERK) et de Mme Linda Arif, juriste ; de Mme Zora Zemma, présidente adjointe de l’association des parents adoptifs d’enfants nés en Algérie et au Maroc (PARAENAM), et de M. Jamel Daoudi, représentant l’association Kafala.fr.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Mesdames, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre commission spéciale. Si la proposition de loi que nous avons à examiner ne traite pas de la kafala, celle-ci reste un sujet de préoccupation sur lequel nous souhaitons avoir votre éclairage.

Mme Zora Zemma, présidente adjointe de l’association des parents adoptifs d’enfants nés en Algérie et au Maroc (PARAENAM). L’association PARAENAM se réjouit de cette occasion qui lui est offerte d’apporter sa contribution aux avancées législatives en matière d’adoption. Nos adhérents soutiennent les mesures proposées : réforme de ce véritable outil de protection de l’enfance qu’est l’agrément ; facilitation du prononcé de déclaration judiciaire d’abandon ; amélioration de la préparation et de l’information des candidats ; limitation de la durée d’instruction des dossiers de demande d’agrément ; possibilité pour le président du Conseil général de prolonger la durée de validité de l’agrément après avis de la Commission d’agrément ; substitution, enfin, de la caducité de l’agrément à un retrait pur et simple en cas de modification de la situation matrimoniale du candidat.

Toutes ces avancées, que nous appelions de nos vœux, tendent à faire prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant adopté.

Les problèmes soulevés par l’adoption étant multiples, il est souhaitable que la législation s’adapte le mieux que possible aux situations les plus variées. Les parents adoptifs que nous représentons bénéficieront en partie des effets de la proposition de loi. Cependant, bien que l’adoption internationale soit reconnue comme une mesure de protection de l’enfance, les couples français ou binationaux ayant recueilli des enfants algériens ou marocains en kafala voient leurs requêtes en adoption plénière repoussées, en application des dispositions de la loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale, qui empêche l’adoption d’un mineur étranger si sa loi personnelle prohibe cette institution.

Le sujet de la kafala judiciaire est souvent évoqué dans les débats relatifs à l’adoption. Aussi insistons-nous sur la nécessité d’une concertation interministérielle, en vue de faire évoluer la loi pour permettre aux enfants concernés de s’intégrer pleinement dans leur famille adoptive.

La proposition de loi soumise à votre Commission spéciale ne traite pas des problèmes liés à la kafala, qui aboutissent à priver des enfants d’un véritable statut et plonge les familles françaises dans des situations aussi dramatiques qu’insoutenables. Par exemple, plusieurs départements refusent d’instruire les demandes d’agrément, ou les traitent avec lenteur au motif que certaines familles se tourneront vers la kafala une fois cet agrément obtenu. Par ailleurs, les autorités consulaires françaises en Algérie et au Maroc délivrent les visas au compte-gouttes ; et pour ceux qui ont la chance de les obtenir, le délai oscille entre trois et huit mois. Les parents doivent-ils rester pendant tout ce temps auprès de leur enfant, au risque de perdre leur emploi ? Quant au document de circulation pour étranger mineur (DCEM), sa délivrance est soumise à la libre appréciation des préfectures, certaines d’entre elles la refusant en l’absence de visa. Des enfants sont ainsi en situation irrégulière alors que leurs parents ne le sont pas. Bref, la situation devient ubuesque.

De plus, les droits sociaux sont accordés de manière trop erratique, ce qui accentue la discrimination et le manque d’homogénéité au niveau national. Pour ces enfants en situation d’abandon, le fait d’être privés de ces droits constitue une violence supplémentaire.

Rappelons aussi que le recueil par kafala ne permet pas l’octroi d’un congé d’adoption, pourtant de nature à favoriser l’attachement de l’enfant à ses parents dès les premiers jours de la rencontre.

La déclaration de nationalité française est soumise à la libre appréciation des greffiers, qui, pour certains d’entre eux, méconnaissent les circulaires en vigueur et exigent un exequatur des parents titulaires d’une kafala judiciaire établie en Algérie. D’un tribunal d’instance à l’autre, les pratiques divergent : des dossiers pourtant complets sont rejetés au motif qu’ils ne le seraient pas ; d’ailleurs, la liste des pièces à produire varie selon les départements. Récemment, une greffière a exigé d’une mère, en plus des pièces requises, un justificatif prouvant que l’enfant résidait en France depuis plus de cinq ans. En désespoir de cause, cette mère a proposé de produire une inscription à la mutuelle…

Enfin, beaucoup d’enfants recueillis en kafala judiciaire sont accueillis dans des familles comprenant déjà des enfants biologiques. La différence de statut juridique entre les enfants d’une même famille induit au sein de celle-ci, en plus des difficultés administratives, des effets psychologiques dévastateurs.

La situation successorale de l’enfant recueilli en kafala est dramatique, puisqu’il ne bénéficie pas des droits reconnus aux autres enfants de la fratrie ; l’inquiétude est vive chez les parents, qui craignent pour lui un second abandon s’ils venaient à décéder. « Que deviendra-t-il si nous disparaissons ? » : telle est la question qui torture nos adhérents. De même, en cas de divorce avant l’obtention d’une adoption plénière, l’enfant ne pourra être adopté que par un seul des parents. Il sera fait abstraction de l’adoption familiale initiale, en l’absence de lien de filiation reconnu. Et ces situations perdurent tout au long des huit à dix ans que peuvent durer les démarches d’adoption.

« L’adoption est un aspect majeur de la politique familiale, auquel les Français sont très sensibles », écrivait M. Nicolas Sarkozy dans sa lettre de mission à M. Jean-Marie Colombani. Les adhérents de notre association, Français ou binationaux, sont profondément affectés de ce que l’accueil de leur enfant n’est pas reconnu. « Nous devons permettre à un plus grand nombre de familles d’adopter », ajoutait M. Sarkozy, et « faire disparaître les obstacles administratifs qui peuvent priver certains [de ces enfants] d’une pleine et entière intégration. » Pourtant, certaines autorités françaises continuent de défendre avec acharnement ce statut d’exception, au mépris des dispositions de l’article 20 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, aux termes desquelles tout enfant privé de son milieu familial a droit à une protection de remplacement.

En conclusion, l’intérêt supérieur de l’enfant, mesdames et messieurs les députés, doit vous servir de guide. La kafala est indéniablement une mesure de protection de l’enfant. Il est impératif d’agir. De fait, nous regrettons qu’aucune avancée n’ait été réalisée sur le sujet au cours de la présente législature. Nous réitérons donc notre demande d’une circulaire à destination des autorités consulaires françaises en Algérie et au Maroc, afin de préconiser et d’encadrer la délivrance de visas pour les enfants recueillis en kafala. Nous souhaitons aussi qu’une circulaire interministérielle soit adressée aux organismes sociaux et aux services du Trésor pour expliquer la kafala et ses effets sur le territoire national, afin de favoriser l’octroi des droits sociaux, congé d’adoption compris. Nous demandons la suppression de la condition de durée de résidence posée à l’article 21-12 du code civil pour l’obtention de la nationalité française, ainsi que l’abrogation du deuxième alinéa de l’article 370-3 du code civil, issu de l’article 3 de la loi du 6 février 2001 sur l’adoption internationale. Il convient en outre d’accompagner les parents français qui désirent que leur enfant acquière la nationalité française, ce qui ne peut que favoriser l’intégration familiale et citoyenne de celui-ci. Les requêtes en adoption plénière doivent être accueillies favorablement, dans la mesure où c’est l’adoption plénière qui crée des liens personnels – attribution du nom et d’un prénom choisi par l’adoptant – et patrimoniaux – obligation alimentaire et droits de succession – tels que l’enfant sera traité, juridiquement et socialement, de la même façon qu’un enfant biologique. Enfin, il faut mettre à profit la nomination de M. Thierry Frayssé comme ambassadeur chargé de l’adoption internationale pour traiter des questions demeurant en suspens avec l’Algérie ou le Maroc.

Nous, citoyens français, adhérents de l’association PARAENAM, comptons sur la capacité du droit français à évoluer et à faire montre d’une compréhension moderne de l’islam, et ce dans l’intérêt supérieur des enfants.

M. le président Jean-Marc Roubaud. Je vous prie d’excuser l’absence de notre rapporteure, Mme Tabarot. Par ailleurs, la représentante du Défenseur des droits à qui je vais donner la parole, nous a adressé une proposition de réforme destinée à améliorer les droits et le statut juridique des enfants recueillis par kafala qui va être remise aux membres de la Commission spéciale.

Mme Martine Timsit, directrice des études et réformes auprès du Défenseur des droits. La kafala est un sujet dont sont régulièrement saisies plusieurs autorités aujourd’hui réunies au sein du Défenseur des droits. Le Médiateur de la République avait ainsi pu constater les difficultés concrètes auxquelles se heurtaient les parents et les enfants concernés, ce qui l’avait conduit à constituer en 2009, avec Mme Dominique Versini, Défenseure des enfants, un groupe de travail pluraliste auquel Mme Tabarot, d’autres parlementaires, des associations et des représentants des ministères nous ont fait l’honneur de participer.

Dans le dossier que je vous ai transmis, vous trouverez les comptes rendus de trois tables rondes qui ont permis de mieux appréhender ce problème complexe, encore trop souvent abordé de façon « lapidaire ». En effet, on nous oppose généralement que la France est liée par la Convention de La Haye du 29 mai 1993, laquelle interdit l’adoption d’un enfant qui n’est pas adoptable selon sa loi personnelle, ce qui est le cas des enfants recueillis en kafala. Si l’on peut entendre un tel argument, on peut cependant faire valoir que notre pays est également lié par d’autres conventions internationales, à commencer par celle des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, qui fait obligation aux États signataires de respecter l’égalité des droits des enfants sur leur territoire, sans discrimination quant à l’origine ou la religion. Or, c’est bien en raison de leur origine et de leur religion que les enfants recueillis en kafala se voient privés de certains droits.

La question doit donc être posée, selon nous, en termes d’égalité des droits. Il est pour le moins paradoxal, de surcroît, que la France n’offre pas aux enfants recueillis par kafala une protection équivalente à celle dont ils jouissent dans leur pays d’origine – puisque, je le rappelle, la kafala a été reconnue comme une mesure de protection de l’enfant par l’article 20 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. Les diplomates algériens et marocains nous avaient d’ailleurs exposé, dans le cadre du groupe de travail, la portée juridique de la kafala dans leurs pays respectifs : cette procédure autorise la transmission du nom du recueillant – le « kâfil » – au recueilli – le « makfûl » – ; elle ouvre, dans une certaine mesure, des droits successoraux, et permet l’attribution de droits sociaux. Or, tous ces droits étant, en application de la législation française, liés à la filiation, ils sont refusés, sur notre sol, aux enfants recueillis par kafala.

Les réflexions du groupe de travail ont conduit le Défenseur des droits à proposer cinq mesures précises. La première concerne la procédure d’agrément, qui relève des seules compétences du législateur français. Il existe, en ce domaine une grande insécurité juridique, non seulement pour les familles, mais aussi pour les acteurs publics, notamment les conseils généraux. L’idée d’un agrément délivré aux familles kafiles après une enquête sociale destinée à vérifier les conditions d’accueil de l’enfant, semblait faire consensus ; mais, dans cette perspective, qui serait habilité à délivrer l’agrément, sachant que les conseils généraux ne sont compétents que pour l’adoption stricto sensu ?

La deuxième mesure, qui relève elle aussi du législateur français, consisterait à uniformiser les conditions d’entrée et d’accueil de tous les enfants sur notre territoire. De ce point de vue, il existe une inégalité de traitement quant au regroupement familial, en fonction de l’origine des enfants. Si le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) semble exclure de cette mesure les enfants recueillis par kafala, une dérogation est prévue pour les seuls enfants algériens, en application d’un accord bilatéral. Toutefois, dans un arrêt du 24 mars 2004, le Conseil d’État, saisi du cas d’un enfant marocain abandonné, a jugé que l’intérêt supérieur de celui-ci devait prévaloir, et qu’il devait donc bénéficier du regroupement familial.

Nous demandons aussi qu’un texte précise et rende opposables de plein droit les effets juridiques de la kafala en France. Bon nombre d’institutions et d’administrations ne connaissent guère cette procédure, au sujet de laquelle les spécialistes eux-mêmes se demandent si elle est assimilable à une délégation d’autorité parentale ou à une tutelle, mesure dont on connaît par ailleurs la lourdeur.

Le législateur français peut également décider, sans se heurter à aucun droit étranger opposable, la suppression, pour les enfants recueillis par kafala judiciaire et élevés par une personne de nationalité française, de la condition de résidence de cinq ans nécessaire pour solliciter la nationalité française – selon les dispositions de l’article 21-12 du code civil -, l’acquisition de celle-ci étant, pour ces enfants, le seul moyen d’être éligibles à l’adoption. Je précise que la mesure devrait être limitée aux cas de kafala judiciaire : il existe aussi, en effet, une kafala notariale, mais qui offre des garanties procédurales moindres.

Enfin, il serait souhaitable que le législateur réexamine l’interdiction faite aux français d’adopter lorsque la loi personnelle de l’enfant interdit elle-même l’adoption. Cette interdiction a été introduite il y a une dizaine d’années dans notre code civil. Le souci de respecter la souveraineté des États et la « loi personnelle » des enfants était sans doute louable, mais la mesure n’en est pas moins à la source des multiples difficultés qui viennent d’être évoquées. Nous préconisons, pour notre part, la possibilité de recourir à l’adoption simple quand la loi du pays d’origine interdit l’adoption, ; ce n’est peut-être pas la solution idéale, mais ce serait un moyen de faciliter la vie des familles concernées, tout en permettant de concilier les exigences contradictoires des lois personnelles de l’enfant et de l’adoptant.

S’agissant de la kafala, la sous-direction de la protection des droits des personnes du ministère des Affaires étrangères nous a dit qu’elle était quotidiennement sollicitée par des familles en proie à des difficultés. De son point de vue, la clarification du rôle des différents acteurs est une nécessité qui s’impose d’urgence.

Mme Marie-Catherine Gaffinel, magistrate du bureau du droit des personnes et de la famille, à la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice et des libertés. Je m’efforcerai de vous exposer le statut que nos engagements internationaux et notre droit confèrent à la kafala, en commençant par rappeler ce qu’elle signifie dans les pays d’origine – puisque, selon la représentante du Défenseur des droits, ses effets seraient bien moindres en France que dans ces derniers.

La kafala est une institution issue du droit coranique et, si les associations limitent souvent leur propos – comme je le ferai moi-même – au Maroc et à l’Algérie, elle est en vigueur dans beaucoup d’autres pays, tels que les Comores, le Mali ou l’Éthiopie. Au Maroc, elle est exclusivement judiciaire depuis 2002, ce qui permet un contrôle ab initio. Prononcée par un juge des tutelles après une enquête, elle a l’effet d’une tutelle légale ; en d’autres termes, elle est mentionnée en marge de l’acte de naissance de l’enfant, mais ne modifie pas sa filiation – particularité qui se retrouve dans tous les pays qui la pratiquent –, de sorte que l’enfant conserve son nom patronymique. Le changement de nom est toutefois possible a posteriori, si les kafiles en font la demande.

Le juge des tutelles contrôle le bon déroulement de la kafala. Comme nous l’avait précisé notre magistrat de liaison au Maroc, la venue en France de l’enfant recueilli est soumise à l’autorisation de ce même juge, les autorités consulaires marocaines prenant ensuite son relais. Ces dispositions montrent combien cette procédure est assimilable à une tutelle. Elle ne crée aucun lien de filiation et n’ouvre aucun droit successoral automatique : c’est par le biais du tanzîl que les kafiles peuvent léguer ou donner certains de leurs biens à l’enfant recueilli.

En Algérie aussi, la kafala s’assimile à une tutelle légale et le changement de nom de l’enfant ne s’effectue que sur demande ; en revanche, les kafiles peuvent léguer à cet enfant une partie de leurs biens, dans la limite d’un tiers.

Dans les deux pays, la kafala est temporaire : elle peut cesser, soit à la demande des kafiles, soit à celle des parents biologiques s’ils existent encore. Dans tous les cas, elle cesse lorsque l’enfant atteint la majorité. On voit donc qu’il existe une réelle concordance entre les effets de la kafala dans le pays d’origine et en France, dès lors qu’on l’assimile à une délégation d’autorité parentale ou à une tutelle.

En France, le principe selon lequel la kafala n’est pas une adoption découle de l’article 370-3 du code civil, modifié par la loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale. Néanmoins, plusieurs conventions internationales reconnaissent cette procédure comme protectrice pour l’enfant.

Pour mémoire, la loi du 6 février 2001 a fixé la règle de conflit de lois en matière d’adoption internationale. Ce texte, adopté à l’unanimité, visait à faire respecter la souveraineté des États prohibant l’adoption. À l’époque, la commission des Lois jugeait qu’il n’était pas souhaitable d’imposer unilatéralement l’application du droit français à des États étrangers cultivant une conception contraire à notre ordre public, étant précisé, par ailleurs, que l’interdiction de l’adoption n’est pas contraire à ce dernier, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans cet arrêt du 19 octobre 1999. Le ministère de la justice continue d’adhérer à cette appréciation de la commission des lois, et ne souhaite donc aucune modification législative en ce domaine. Il en va, notamment, du respect des engagements internationaux pris par la France au cours des dernières années.

Ces engagements ne se limitent pas à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, dite Convention de New York. Notre pays est également signataire de deux conventions de La Haye : celle du 29 mai 1993, relative à l’adoption internationale, et celle du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants.

L’article 20 de la Convention de New York dispose que tout enfant privé de son milieu familial doit pouvoir bénéficier d’une protection de remplacement, laquelle, aux termes de l’alinéa 3, « peut notamment avoir la forme du placement dans une famille » ou « de la kafala de droit islamique ».

Par ailleurs, l’article 21 de cette même convention ainsi que l’article 4 de la convention de la Haye du 29 mai 1993 précisent qu’il convient de vérifier si l’adoption de l’enfant est autorisée par l’État d’origine. J’ajoute que la Convention de New York prend en considération le respect de la loi nationale et distingue entre la protection et l’adoption de l’enfant, laquelle ne peut intervenir que si les États l’admettent et l’autorisent.

La Convention de La Haye du 19 octobre 1996 a pour objet d’assurer la mise en œuvre des mesures de protection à l’égard des mineurs, parmi lesquelles elle mentionne expressément la kafala. Rappelons que le Maroc a également ratifié cette convention.

La Cour de cassation a analysé ces différents textes, notamment au regard de l’article 370-3 du code civil. Depuis 2006, elle a rappelé à plusieurs reprises que la kafala n’était assimilable ni à une adoption simple, ni à une adoption plénière et – ce qui répondra aux préoccupations exprimées par le Défenseur des droits – qu’elle constituait une mesure de protection suffisante au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, notion que l’on retrouve non seulement dans notre code civil, mais aussi dans la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989.

M. Jean-Marie Colombani, dans le rapport qu’il remis au Président de la République en 2008, avait exclu toute modification de l’article 370-3 du code civil, pour les raisons que je viens d’indiquer : il préconisait une coopération avec les différents États appliquant la kafala. Les difficultés pratiques, que le ministère de la Justice ne nie pas, ne relèvent pas d’un problème juridique : on pourrait sans doute y remédier par des mesures ponctuelles.

La kafala, qu’elle soit délégation d’autorité parentale ou tutelle, offre donc un véritable statut pour l’enfant en France. Sans doute les personnels des juridictions sont-ils insuffisamment informés sur le sujet ; mais cela est vrai de toutes les décisions ou procédures étrangères : la kafala, sur ce point, ne fait pas exception. Toutefois, afin d’en clarifier les effets dans notre pays et d’éviter les désagréments évoqués par Mme Zora Zemma, la Chancellerie adressera prochainement une circulaire aux juridictions.

La kafala étant reconnue de plein droit dans notre pays, un jugement d’exequatur n’est en principe pas nécessaire ; cependant, il peut avoir un intérêt pratique, car une décision française restera toujours plus compréhensible pour les administrations.

En tout état de cause, la délégation d’autorité parentale comme la tutelle sont des procédures qui fonctionnent. La première s’appliquera essentiellement aux kafiles dont l’enfant a encore une filiation dans le pays d’origine ; dans le cas contraire, c’est le régime de la tutelle qui sera privilégié.

Ces éléments d’appréciation ne sont pas ceux du seul ministère de la Justice : selon de nombreux articles de la doctrine sur les arrêts de la Cour de cassation et sur la loi du 6 février 2001 sur l’adoption internationale, la kafala s’assimile bel et bien à une délégation d’autorité parentale ou à une tutelle.

Le ministère de la Justice, je le répète, ne méconnaît pas les difficultés pratiques liées à l’application de la kafala ; mais il était ressorti de la table ronde organisée par le Médiateur de la République que beaucoup d’entre elles excédaient son domaine de compétence.

Mme Édith Sudre, adjointe au directeur du service de l’adoption internationale du ministère des Affaires étrangères. Le service de l’adoption internationale est l’autorité centrale chargée d’appliquer la Convention de La Haye du 29 mai 1993 en matière d’adoption internationale. À ce titre, il autorise la délivrance des visas « long séjour adoption » aux enfants qui ont fait l’objet d’une adoption à l’étranger.

Nous appliquons la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale dans nos relations avec les 85 États signataires de la Convention, et nous nous efforçons de l’appliquer aussi, dans la mesure où leur situation et leur loi le permettent, dans nos relations avec les pays qui ne sont pas signataires.

Le bureau permanent de la Conférence de La Haye considère que la kafala n’entre pas dans le champ d’application de la Convention et, en juin 2010, la commission spéciale qui réunit tous les cinq ans les pays parties à la Convention et ceux qui envisagent d’y adhérer ou d’en appliquer les principes, l’a rappelé à son tour.

Le service de l’adoption internationale ne délivre aucun visa « long séjour adoption » aux enfants accueillis dans le cadre de la kafala, celle-ci ne créant pas de liens de filiation, du fait de son caractère temporaire. En effet, la kafala prend fin pour les garçons lorsqu’ils atteignent la majorité et pour les filles lorsqu’elles se marient.

Le problème qui nous occupe peut être abordé de deux manières : ou bien on assimile la kafala à l’adoption, par voie législative, ou bien on s’emploie à améliorer la situation des enfants ainsi accueillis, en la rapprochant de celle des enfants biologiques ou adoptifs.

Dans les faits, la kafala n’empêche pas l’adoption. En effet, l’article 21-12 du code civil dispose que l’enfant peut réclamer la nationalité française après cinq années de résidence en France au sein d’une famille française. Dès lors qu’il devient français, il peut faire l’objet d’une adoption. C’est donc pendant les cinq années qui précèdent que les problèmes se posent. C’est pourquoi nous suggérons au législateur de réduire ce délai de quelques années, voire de le supprimer totalement.

Certains enfants accueillis sous le régime de la kafala vivent au Maroc ou en Algérie. Leur adoption en France posera un problème à leur pays d’origine car ces enfants, de nationalité marocaine ou algérienne mais accueillis par une famille française, deviendront automatiquement français. Aussi devons-nous nous rapprocher des autorités de ces pays pour recueillir leur sentiment sur le devenir de ces enfants.

Un certain nombre de familles vivant au Maroc ont interpellé notre service sur les conditions d’accueil des enfants et ont en particulier souhaité l’inscription de ceux-ci au registre consulaire, ce qui leur permettrait de bénéficier du plan de sécurité. Compte tenu de l’intérêt de la mesure en matière d’hygiène et de santé, le ministère des Affaires étrangères a donné son accord.

L’attribution d’un agrément spécifique à l’accueil d’enfants par kafala permettrait au ministère de l’intérieur d’apprécier les conditions de délivrance du visa, qui relèvent de sa seule compétence.

Sur l’extension des droits sociaux à ces enfants, c’est au ministère des Affaires sociales qu’il appartient de se prononcer.

M. Jamel Daoudi, représentant l’association Kafala.fr. L’association Kafala.fr, créée en avril 2011, se consacre uniquement à l’accueil des enfants originaires du Maroc. Elle s’est fixé quatre objectifs : assurer à ces enfants une situation juridique stable et pérenne en obtenant des autorités françaises la reconnaissance officielle de la kafala judiciaire ; mutualiser les expériences que nos membres ont de celle-ci pour donner une aide et un soutien actifs aux personnes s’engageant dans une telle procédure, tant au Maroc qu’à leur retour en France ; améliorer la vie de l’enfant né et abandonné au Maroc ; proposer une démarche humaine et respectueuse de la souveraineté juridique, culturelle et cultuelle du Maroc.

Depuis sa création, le site Kafala.fr a enregistré plus de 230 000 connexions et notre association compte 340 membres. La kafala n’est donc pas un épiphénomène, mais une réalité sociétale que les autorités françaises doivent prendre en compte.

Il est impératif de légiférer sur la kafala judiciaire en France car les enfants recueillis sous ce régime subissent au quotidien une discrimination par rapport aux enfants bénéficiant d’une adoption plénière. Leur affiliation à la sécurité sociale est toujours compliquée et peut demander plusieurs années. Lorsqu’ils sont malades ou hospitalisés, les familles doivent en assumer le coût, qui peut être considérable. S’agissant des allocations familiales, les caisses demandent souvent aux parents des papiers qu’ils ne possèdent pas et ne posséderont jamais et l’on constate des attitudes très diverses de l’une à l’autre. Nous déplorons également le refus systématique du congé d’adoption dans le cas d’une kafala, refus qui est d’ailleurs annoncé sur le site ameli.fr de l’assurance maladie.

Un autre problème s’est posé plus récemment : l’attribution du document de circulation pour étranger mineur (DCEM) fait l’objet, de la part des préfectures, de pratiques très disparates. Dans la région Île-de-France, les familles ne peuvent se le faire délivrer. De ce fait, lorsque le visa long séjour arrive à son terme, elles ne peuvent plus se rendre à l’étranger avec leur enfant.

Nous sommes enfin confrontés à un vide juridique qui peut avoir de graves conséquences et qu’il importe donc de combler : si ses parents décèdent, l’enfant mineur doit-il retourner au Maroc ou en Algérie ? Qui le prend en charge ? Ne faudrait-il pas désigner un tuteur ?

Je suggère de reprendre les propositions du Médiateur de la République sans y ajouter, pour ne pas retarder leur application. En 2009, M. Jean-Paul Delevoye avait proposé de consolider le dispositif d’enquête sociale en vue de l’accueil d’un enfant par kafala en lui donnant une base juridique et en déterminant l’autorité compétente ; il avait également suggéré l’envoi aux postes consulaires d’une circulaire visant à unifier les règles applicables pour la délivrance de visas long séjour aux enfants recueillis par kafala, ainsi que l’envoi à l’ensemble des administrations françaises – éducation nationale, sécurité sociale, caisses d’allocations familiales – de circulaires interministérielles clarifiant la réglementation.

Il conviendrait aussi de réfléchir à la place de la kafala dans le droit français au regard de l’adoption. Le sénateur Alain Milon, membre du groupe UMP, a déposé en mars 2011 une proposition de loi « relative à l’adoption des enfants régulièrement recueillis en kafala », mais celle-ci n’a pas été adoptée par le Sénat. Nous souhaitons que soient reprises les dispositions de ce texte, qui reconnaissaient la kafala judiciaire comme une adoption simple et supprimait le délai de résidence de cinq ans exigé pour l’attribution de la nationalité française aux enfants. Il est en tout cas indispensable, selon nous, de réduire autant que possible ce délai, dont dépend l’attribution du bénéfice des droits sociaux.

Quant au choix entre adoption simple et adoption plénière, nous considérons qu’il appartient aux familles.

Enfin, il convient d’organiser sur ces questions, dans le respect de la souveraineté juridique, culturelle et cultuelle de ces pays, des réunions de travail avec les représentants du Maroc et de l’Algérie afin de parvenir à une convergence susceptible de déboucher sur la signature d’accords bilatéraux.

Mme Marie-José Le Pollotec, responsable du bureau de la protection des mineurs et de la famille au sein de la sous-direction de la protection des droits des personnes du ministère des Affaires étrangères et européennes. Jusqu’en 2009, le ministère des Affaires étrangères avait compétence en matière de kafala et de délivrance des visas dans les consulats. Désormais, cette compétence appartient au ministère de l’Intérieur : c’est sur ses indications que les consulats instruisent les demandes de visa et c’est lui qui fixe la liste des pièces à fournir.

Depuis 2009, ce sont près de vingt familles qui, chaque semaine, nous demandent de leur venir en aide. Face à leur désarroi, le bureau de la protection des mineurs et de la famille avait pris le parti de leur délivrer un certain nombre d’informations, recueillies notamment auprès des conseils généraux. Nous avons mentionné ces difficultés lors des nombreuses réunions auxquelles nous avons participé, notamment lors de celles qu’a organisées le Défenseur des droits. Aujourd’hui, nous sommes contraints de répondre aux familles que notre bureau n’est pas compétent puisqu’il n’instruit pas les demandes de visa et n’assure pas le suivi des enfants entrés sur le territoire français.

Mme Malika Bouziane, présidente de l’association de parents adoptifs d’enfants recueillis par kafala (APAERK). Je suis mère kafile d’une petite fille qui vient d’avoir neuf ans. Les premières années furent en effet très difficiles. Nous étions dans le flou le plus total face à des administrations qui ne connaissaient pas la kafala et nous demandaient de fournir la preuve que notre enfant était arrivée en France légalement. Je tiens à rappeler ici que la procédure de kafala judiciaire est très encadrée, tant au Maroc qu’en Algérie. Pour ce denier pays – je suis d’origine algérienne –, les personnes désirant accueillir un enfant doivent se soumettre à une procédure qui équivaut à celle de l’agrément en France : il leur faut déposer au consulat algérien un dossier qui est adressé au ministère des Affaires sociales d’Algérie et examiné par une commission. Si celle-ci émet un avis favorable, les intéressés peuvent se rendre dans un orphelinat pour rencontrer un enfant.

Lorsque ma fille est arrivée en France, la loi n’avait pas encore été modifiée mais le traitement du dossier a connu quelques lenteurs. La loi du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale est entrée en vigueur avant la fin de l’instruction de notre dossier. Nous avons alors eu l’impression pendant cinq ans d’être mis à l’épreuve, comme si les autorités voulaient vérifier que nous étions des citoyens français. C’était une situation difficile à supporter pour nous qui sommes nés en France et dont la culture est française.

J’ai rencontré des enfants qui vivent au Maroc auprès de parents français. J’entends parler d’équité, de la volonté des autorités françaises de ne pas blesser le Maroc ou l’Algérie. Mais pourquoi les Belges et les Suisses qui recueillent des enfants au Maroc obtiennent-ils, eux, une adoption plénière ? Au nom de quoi la refuse-t-on à une personne qui a obtenu un agrément dans le pays où elle vit et l’accord des autorités pour aller chercher un enfant ? C’est pourtant ce qui arrive aux familles françaises alors que, de l’avis de nos adhérents, cette procédure d’agrément leur a donné tout le temps de réfléchir à leur projet.

Nous vivons en France et nos enfants deviendront Français. Pourquoi ne pas leur faciliter la vie dès leur arrivée dans ce pays ? Ils ont déjà été abandonnés une fois : le législateur français doit améliorer leur situation et celle de leurs parents. Lorsque je confiais ma fille à la crèche pour aller travailler, je me suis souvent demandé ce qu’elle deviendrait si je ne revenais pas…

M. Marc Portéous, chef du bureau de l’immigration familiale du ministère de l’Intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Au regard de la procédure de regroupement familial, régie de manière générale par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les ressortissants algériens bénéficient d’une position particulière en raison de l’existence d’un accord bilatéral sur le sujet. Pour autant, cela ne confère pas aux enfants algériens accueillis par kafala un droit absolu à bénéficier de cette mesure, car d’autres critères – conditions de ressources et de logement, intérêt de l’enfant… – sont également pris en considération. L’accord franco-marocain ne comporte pas la même disposition mais il n’interdit pas la prise en compte de la kafala. Les autorités françaises examinent au cas par cas chaque demande de regroupement familial concernant un enfant marocain, en tenant compte avant tout de l’intérêt de l’enfant.

Sans nier que des documents soient indûment exigés par certaines préfectures ou par certains greffes des juridictions, je signale que le 9 décembre 2009, à propos du cas d’un enfant béninois, le Conseil d’État a rendu un arrêt affirmant de façon très claire que l’intérêt de l’enfant est de vivre auprès de celui qui a reçu délégation d’autorité parentale. Dans un arrêt du 1er décembre 2010, il a consacré la même solution et posé que l’intérêt de l’enfant n’exige pas qu’il demeure à proximité de sa famille biologique, tout en rappelant la nécessité de satisfaire aux conditions d’accueil demandées dans le cadre du droit commun du regroupement familial.

La délivrance du DCEM pose en effet des problèmes dont les préfectures nous saisissent. La kafala n’est pas un obstacle à cette délivrance, mais les règles qui régissent celle-ci doivent être respectées. Nous essayons d’apporter une solution à chacun des cas dont nous sommes saisis.

La procédure d’exequatur, sans être nécessaire, répond à un besoin de sécurité juridique.

La suppression de la condition de résidence de cinq ans pour accéder à la nationalité française avait été envisagée lors de la discussion du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, mais elle a été écartée par le législateur.

Pour résumer, la kafala ne confère pas de droit absolu au regroupement familial, mais elle ne l’exclut pas non plus. Ce qui guide les préfets, plus que jamais depuis l’évolution récente de la jurisprudence, c’est l’intérêt de l’enfant.

Mme Linda Arif, juriste auprès de l’association APAERK. Je précise que je suis moi-même adhérente de l’association APAERK.

Le regroupement familial concerne les personnes de nationalité étrangère – notamment les Algériens, dans le cadre d’une convention bilatérale spécifique –, mais non les nationaux français, pour lesquels il n’existe pas de critères, de sorte que la délivrance du visa est laissée à la libre appréciation du consul de France dans le pays d’origine de l’enfant, consul qui reste au demeurant démuni, faute de savoir sur quels fondements se prononcer. Le ministère des Affaires étrangères a incité les parents à produire un agrément de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) attestant de bonnes conditions d’accueil, ce qui leur a effectivement permis d’obtenir des visas en quelques jours, mais tous les conseils généraux n’ont pas accepté d’instruire une demande d’agrément, de sorte que d’autres personnes ont dû rester plusieurs mois dans le pays de l’enfant dans l’attente du visa.

Fort heureusement, la jurisprudence du Conseil d’État invite maintenant les consulats à attribuer le visa prenant en compte l’intérêt de l’enfant. Il serait néanmoins intéressant d’établir des critères précis et identiques pour toutes les personnes de nationalité française qui souhaitent entrer en France avec un enfant recueilli par kafala.

Je tiens à rappeler que ces cas sont fréquents, comme en atteste le nombre des personnes que notre association est appelée à aider chaque jour. J’ai moi-même recueilli par ce biais un petit garçon aujourd’hui âgé de quatre ans.

Nous sommes de nationalité française et nous recueillons exclusivement des enfants pupilles de l’État, la plupart d’entre eux sans filiation connue. Nous souhaitons adopter ces enfants. En l’état de la législation, nous n’avons d’autre moyen d’y parvenir que d’attendre le terme des cinq ans exigés pour qu’ils puissent réclamer la nationalité française. Nous approuvons donc totalement les propositions du Défenseur des droits. Ces enfants ont vocation à venir en France. Les consulats étrangers savent parfaitement qu’ils y seront pris en charge par des personnes de nationalité française et qu’ils deviendront français. Qu’est-ce qui justifie ce délai de cinq ans ?

En ce qui concerne l’interdiction d’adopter un enfant étranger en raison de la loi de son pays d’origine, je rappelle qu’un recours est pendant depuis 2010 devant la Cour européenne des droits de l’homme.

M. Yves Nicolin. Sur cette question, qui concerne un nombre important d’enfants, nous tournons en rond depuis des années. Le Conseil supérieur de l’adoption, que j’ai présidé de 2002 à fin 2011, a régulièrement abordé le sujet sans jamais aboutir, les autorités de notre pays refusant de faire évoluer la législation. Cependant, il existe aujourd’hui une volonté d’avancer, même si cela ne se fera probablement pas au rythme que souhaiteraient certains. Heureusement aussi, nous avons un Défenseur des droits dont le rapport annuel nourrit la réflexion parlementaire et a une influence sur les décisions publiques. Il a fait des propositions. Ne pas en tenir compte reviendrait à ne pas respecter son travail.

Les difficultés proviennent de l’article 370-3 du code civil qui dispose que l’on ne peut adopter un enfant s’il est originaire d’un pays qui proscrit l’adoption. Nous sommes quasiment le dernier pays d’Europe à être arrêté par cet obstacle juridique. D’autres ont réussi à le contourner et autorisent l’adoption d’enfants provenant de pays dont la législation est fondée sur le droit musulman, en particulier le Maroc et l’Algérie. J’ai discuté avec les autorités marocaines : elles m’ont confié qu’elles fermaient les yeux sur cette pratique et qu’elles sont prêtes à faire de même pour la France.

Si, en raison de notre histoire commune, nous sommes liés avec le Maroc et l’Algérie par des conventions, d’autres pays sont aussi dans ce cas. La Belgique par exemple a modifié sa législation pour permettre l’adoption simple des enfants confiés en kafala judiciaire. Ce qui est possible dans un pays aussi proche doit l’être en France.

Si l’on en croit le ministère de la Justice, avant de modifier le code civil, il faut retenir son bras de longs mois, voire de longues années, mais des avancées concrètes sont possibles au prix d’un peu d’humanité. Les binationaux installés au Maroc et en Algérie souhaitent par exemple que leur enfant confié sous kafala obtienne un visa de longue durée, à entrées et sorties multiples, pour éviter qu’à l’aéroport, lorsque la famille part en voyage, il ne doive emprunter seul la file des passagers ne détenant pas de passeport européen. Il serait également bon de permettre à ces enfants d’accéder aux lycées français dans les mêmes conditions que leurs frères et sœurs de nationalité française – et aux mêmes tarifs. Or, il suffirait de circulaires ou de décrets pour régler rapidement ce genre de problèmes !

Il reste que, si nous voulons que ces enfants grandissent dans de bonnes conditions, il faut abandonner la condition de cinq ans de résidence aujourd’hui nécessaire pour obtenir la nationalité française. M. Portéous a rappelé qu’il avait été question de la supprimer lors de l’examen du projet de loi sur l’immigration mais, en ce qui me concerne, je considère que la place de dispositions sur l’adoption n’est pas dans une loi sur l’immigration. Elles relèvent du droit de la famille et c’est donc dans le cadre d’un texte relatif à cette matière que des amendements devraient être déposés – éventuellement par le Gouvernement – afin de ramener ce délai à un an, voire de le supprimer.

La proposition de loi que nous examinons ne nous permettra pas d’aller aussi loin que nous le souhaitons, mais le débat est ouvert. Cette réunion sera suivie d’autres : il nous appartient donc de collecter toutes les propositions, en vue du lancement d’une fusée à plusieurs étages. Et si, pour commencer, nous obtenons que les enfants accueillis en kafala bénéficient de l’adoption simple telle qu’elle sera améliorée par ce texte qui vise à la rapprocher de l’adoption plénière, nous aurons fait un grand pas.

Mme Martine Lignières-Cassou. Il semble que les différentes administrations n’interprètent pas de la même façon les dispositions des conventions internationales relatives à la kafala. Dans ces conditions, nous aurons du mal à avancer.

L’accueil d’enfants par kafala semble plus facile lorsqu’ils sont originaires d’Algérie, en raison de l’existence d’un accord bilatéral. Le gouvernement marocain est-il prêt à assouplir son interprétation de la kafala et à l’assimiler à l’adoption simple, ou est-ce toujours un sujet tabou ?

M. Jamel Daoudi. Un collectif d’associations marocaines souhaite faire évoluer la loi sur la kafala et la faire reconnaître comme une adoption simple.

Mme Martine Lignières-Cassou. L’un d’entre vous a évoqué des décisions du Conseil d’État en date de 2009 et 2010. Cette évolution de la jurisprudence étant très récente, peut-être les administrations n’ont-elles pas eu le temps de s’en imprégner. En tout état de cause, l’unification de la réglementation que vous souhaitez ne passe pas nécessairement par une loi : il suffirait d’instructions adressées aux caisses et aux services. En revanche, la réduction du délai requis pour l’accès à la nationalité requiert une intervention du législateur : à nous donc de la préparer !

M. Georges Colombier, secrétaire de la Commission spéciale, remplace M. Jean-Marc Roubaud à la présidence de la table ronde.

Mme George Pau-Langevin. La divergence de vues que j’ai cru déceler entre les différentes administrations concernées est regrettable.

Madame Sudre, pouvez-vous m’indiquer pourquoi ne peut-on délivrer un visa de longue durée à un enfant recueilli par une famille vivant en France ? Quelle est la pertinence d’exigences administratives qui compliquent la vie des familles ? Une personne qui réside dans ma circonscription est partie en Algérie en vue de recueillir un enfant en kafala. Elle attend le visa depuis six mois ! Lorsqu’elle l’obtiendra enfin, elle aura perdu son travail. Quel sens peut bien avoir une politique qui reconnaît la validité de la kafala judiciaire mais impose aux parents des obstacles administratifs qui leur rendent la vie impossible ?

L’interdiction d’adopter un enfant étranger au motif que la loi de son pays d’origine n’autorise pas l’adoption n’est pas un argument recevable puisqu’en France on n’applique plus la loi personnelle des parties, en particulier dans le cadre des divorces. Dans la quasi-totalité des cas, les magistrats préfèrent appliquer la loi française, plus protectrice pour la femme que celle de son pays d’origine. Nos engagements internationaux nous obligent à appliquer le régime le plus protecteur pour l’enfant : est-ce bien ce qu’on fait quand on applique la loi personnelle ? Refuser à la kafala les effets de l’adoption simple procède d’un raisonnement difficile à suivre, ne serait-ce que de ce point de vue, et je souscris donc aux propositions du Défenseur des droits.

Mme Chantal Bourragué. Les juges marocains ou algériens assurent-ils le suivi en France des enfants qu’ils ont confiés en kafala, comme le font les autorités des pays d’origine des enfants en matière d’adoption internationale ? Si ce suivi est assuré par le consulat du pays, cesse-t-il lorsque les enfants ont obtenu la nationalité française et ont été adoptés ?

Il faut effectivement que la législation évolue en matière d’adoption simple, d’attribution de visas de longue durée et d’obtention de la nationalité française.

Mme Catherine Gaffinel. En matière de divorce, la loi impose au juge de prendre en compte la loi personnelle des parties. Lorsque j’étais juge aux affaires familiales à Paris, j’ai toujours appliqué la loi marocaine dans les cas de divorce impliquant des Marocains vivant en France.

Mme George Pau-Langevin. J’ai été avocate pendant vingt ans. Dans la majorité des cas, les juges n’appliquaient pas la loi personnelle des parties…

Mme Catherine Gaffinel. C’est pourtant la loi. J’ajoute que cette prise en compte de la loi personnelle des parties sera imposée par le règlement de l’Union européenne Rome III, qui se substituera à partir du 21 juin prochain à l’article 309 de notre code civil.

Mme Édith Sudre. En matière de délivrance des visas, des règles définissent les compétences de chaque ministère. Le ministère des Affaires étrangères, plus précisément le service de l’adoption internationale, n’a de compétence que pour délivrer les visas « long séjour adoption » dès lors qu’une décision d’adoption a été rendue dans le pays d’origine. Si tel n’est pas le cas, la délivrance des visas, dont ceux sollicités par les familles accueillant un enfant en kafala, relève du ministère de l’Intérieur.

Mme George Pau-Langevin. Reconnaissez, Madame, que le visa court séjour n’est pas pertinent en l’espèce.

M. Jamel Daoudi. Je souhaiterais vérifier un point avec vous : j’ai déposé en octobre une demande de visa long séjour pour l’enfant que nous avons recueilli en kafala. Il n’a pas été attribué par le consul, mais par le ministère de l’Intérieur, c’est bien cela ?

Mme Édith Sudre. Oui.

Mme Martine Timsit. Le regroupement familial ne s’appliquant qu’aux familles étrangères vivant en France, le problème des familles françaises reste entier. Si tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, pourquoi le ministère de l’Intérieur n’accepte-t-il pas une clarification de la loi ? L’article L. 411-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile définit l’enfant éligible à la procédure de regroupement familial comme ayant une « filiation légalement établie », ce qui ne vaut que pour l’enfant adopté et exclut les enfants accueillis en kafala.

M. Marc Portéous. Précisément, la kafala n’est pas une adoption. Pour les ressortissants algériens, le regroupement familial est possible parce qu’accord a été signé entre nos deux pays.

Mme Martine Timsit. Ce qui est possible pour les enfants algériens ne peut-il l’être pour les enfants marocains ? Je souhaite que le législateur, dans l’intérêt des enfants et au nom du principe d’égalité, étende cette procédure de regroupement familial.

M. Georges Colombier, président. Comme l’indiquait le président Roubaud, la proposition de loi ne réglera pas tous les problèmes, mais les parlementaires auront à cœur, j’en suis sûr, de régler ultérieurement celui-ci.

Quel est le nombre d’enfants concernés chaque année par la kafala en France ?

Mme Malika Bouziane. Nous ne détenons pas de chiffres précis, mais nous évaluons entre 400 et 500 le nombre d’enfants qui entrent chaque année en France dans le cadre de cette procédure. En 2011, notre association comptait 200 adhérents.

Mme Édith Sudre. Je me suis informée auprès des autorités centrales belge et suisse. En Belgique, une loi datant de 2005 prévoit un dispositif similaire à celui de l’adoption. Après avoir obtenu un agrément en vue d’adoption, la famille se rapproche de l’autorité centrale, laquelle se met en relation avec les autorités marocaines ou algériennes qui proposent un enfant à cette famille par l’intermédiaire des services. Un organisme autorisé pour l’adoption (OAA) est chargé d’accompagner les parents tout au long de la procédure. L’autorité centrale belge autorise ensuite la famille à se rendre au Maroc ou en Algérie pour rencontrer l’enfant. Sur place, une kafala est prononcée en vue d’adoption. L’enfant obtient un visa belge et, à son retour, la famille entreprend la procédure d’adoption.

En Belgique, chaque année, 22 ou 25 adoptions sont réalisées dans ce cadre, et deux ou trois en Suisse où l’autorité centrale considère de même que la kafala ne peut aboutir à une adoption que si cela a été précisé dans le jugement. L’objectif de ces deux pays est donc bien de créer un lien de filiation.

M. Georges Colombier, président. Je crois savoir que l’association PARAENAM dispose d’information sur les pratiques des pays voisins.

Mme Zora Zemma. Nous devons en effet nous inspirer de la législation des autres pays européens.

M. Georges Colombier, président. Je vous remercie d’avoir accepté de participer à cette table ronde qui, je l’espère, aura une suite.

La table ronde s’achève à dix-huit heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Serge Blisko, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Chantal Bourragué, M. Georges Colombier, Mme Sophie Delong, Mme Colette Langlade, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Yves Nicolin, Mme George Pau-Langevin, M. Jean-Luc Pérat, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean-Marc Roubaud

Excusés. - Mme Pascale Crozon, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Bernard Gérard, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Mme Sylvia Pinel