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Commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes

Mercredi 27 janvier 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 4

Présidence de Mme Danielle Bousquet, présidente

– Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

– Audition de l’association « Ni putes, Ni Soumises ». 10

La séance est ouverte à seize heures quinze.

Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux,
ministre de la justice et des libertés.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux.

Je rappelle que la proposition de loi que nous examinons est issue des conclusions du rapport de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. Elle s’inscrit dans un dispositif global comprenant un volet constitutionnel, un volet réglementaire et des recommandations en matière de bonnes pratiques.

Cette proposition de loi a été cosignée par l’ensemble des membres de la mission, quelle que soit leur famille politique. Elle sera examinée en commission le mardi 9 février et en séance publique la semaine du 22 février. Les amendements pourront être déposés jusqu’au vendredi 5 février, à 17 heures.

Je veux souligner l’étroite collaboration entre vos services et ceux de l'Assemblée nationale et je ne doute pas que ce travail constructif perdure.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux. Je me réjouis de constater que ce sujet fédère les énergies et donne naissance à un texte consensuel. Ce problème de société ne peut certes être entièrement réglé par la loi : les violences faites aux femmes doivent être combattues par des moyens réglementaires et par des actions sur le terrain. Mais ce travail législatif est une étape importante dans cette lutte et je tiens à le saluer.

Le Premier ministre a décidé que 2010 serait l’année de la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous ne disposons pas encore des statistiques de 2009, mais nous savons qu’en 2008, 156 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint. Bien davantage ont été blessées et beaucoup plus encore ont dissimulé les violences qu’elles ont subies. C’est l’honneur de notre société et du Parlement que de lutter contre ce phénomène, réaffirmant ainsi, de manière concrète, nos valeurs républicaines : le refus de la violence, la défense des plus fragiles, l’égalité entre les hommes et les femmes.

Nos actions se rejoignent. En tant que garde des sceaux, j’ai souhaité que la mesure d’éviction du conjoint violent soit plus largement requise. Précédemment, place Beauvau, j’avais demandé que le signalement des actes de violences auprès des services de police et de gendarmerie corresponde davantage à la réalité. Un certain nombre de blocages empêchent les femmes de porter plainte ou simplement de dire les violences dont elles font l’objet. Il faut développer des actions innovantes pour réduire ce phénomène de sous-déclaration. J’ai également lancé, en collaboration avec les collectivités locales de Seine-Saint-Denis, une expérimentation visant à munir les femmes d’un dispositif de téléprotection : un téléphone portable leur permet d’alerter les services de police dans les plus brefs délais.

Ce texte fournit un encadrement législatif pour généraliser ces actions et aller plus loin. Il nous permet d’abord de répondre efficacement, avec pragmatisme, aux situations d’urgence, afin de protéger les victimes et de prendre en compte tous les aspects de leur situation.

L’ordonnance de protection temporaire prévue par l’article 1er de la proposition de loi vise, en effet, trois objectifs. En premier lieu, elle permet de mieux articuler les réponses civile et pénale. Cependant, plutôt qu’au juge des victimes – dont le Conseil d’État a récemment rappelé qu’il n’avait pas de pouvoir juridictionnel propre – c’est au juge aux affaires familiales, juge naturel des conflits intrafamiliaux, qu’il revient de prendre à titre temporaire certaines mesures. Celles-ci relèvent bien souvent de son domaine d’intervention : éviction du domicile, hébergement, exercice de l’autorité parentale, pension alimentaire, ou encore possibilité de dissimuler sa nouvelle adresse. Elles doivent être mises en œuvre sans préjudice des poursuites engagées au pénal, ce qui n’empêche pas les contacts entre juge civil et juge pénal.

En deuxième lieu, cette ordonnance prend en compte l’évolution des modèles familiaux. La proposition de loi comble un vide juridique puisque le référé violences ne peut être pris à l’encontre d’un partenaire lié par un Pacs ou d’un concubin, ce qui exclut la quasi-majorité des situations actuelles.

Enfin, elle permettra d’étendre la protection à la famille. La mise en œuvre du droit de visite – qui permet de préserver le double lien parental – peut représenter un traumatisme supplémentaire pour l’enfant. Il est bon que le juge puisse donner mandat à une institution ou à une association agréée pour assister le mineur à cette occasion.

Cette proposition de loi vise également à adapter la sanction pénale à la réalité des violences conjugales. La qualification de violences familiales doit concerner tous les faits qui représentent réellement une violence : il est important que les violences psychologiques, reconnues en premier lieu par la jurisprudence, figurent désormais dans le code. Il convient aussi de mieux distinguer les violences isolées, des violences habituelles. Sanctionner plus sévèrement ces dernières représente une avancée, en même temps qu’un élément de dissuasion.

Enfin, la sanction pénale doit prendre en compte les conditions de constitution du couple. Je partage entièrement votre objectif de lutte contre les mariages forcés. Ceux-ci sont souvent précédés de violences, pour contraindre la jeune femme à accepter l’union et deviennent le creuset de nouvelles violences. La sanction pénale doit donc retenir, comme circonstance aggravante, le fait qu’il s’agit d’un mariage forcé. Pour autant, je ne pense pas qu’il soit possible de sanctionner le mariage forcé en lui-même.

Je sais que ce point a fait débat dans votre commission. Sauf à voir la loi tout entière entachée du soupçon d’inefficacité, il importe que chacun de ses articles soit applicable et appliqué. Or il me semble difficile d’identifier la contrainte dans le cadre d’un mariage forcé et d’en apporter la preuve. Comment prouver les pressions psychologiques exercées à l’encontre de la jeune femme ? Beaucoup d’entre nous célébrons, des mariages civils, dans des conditions qui permettent à quiconque d’exprimer un doute sur la réalité du consentement. Mais cela est rarement le cas, et les procédures qui permettent d’annuler une union sont extrêmement difficiles à mettre en œuvre. Sanctionner les mariages forcés supposerait d’instaurer une police matrimoniale, ce qui me semble pour le moins hasardeux.

Cette proposition de loi permettra de consolider des positions et enverra un signal fort : celui marquant que le temps de la compassion est révolu. Il faut agir de manière ferme, claire, et concrète. Je gage aussi qu’elle jouera un rôle dissuasif et permettra de prévenir de nouvelles violences, ce qui est la meilleure des protections que nous puissions offrir à nos concitoyennes.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Nous partageons effectivement le souci d’une réponse efficace, qui permette des actions à la fois immédiates et durables. Cette réponse doit être cohérente, pour traiter la totalité des problèmes que posent les violences faites aux femmes. Je me réjouis que vous considériez que l’ordonnance de protection est à même de remplir ce rôle.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Madame la ministre d’État, je vous remercie de reconnaître l’importance de notre travail, en cette année 2010, dont le Premier ministre a annoncé – répondant ainsi au souhait de nombreuses associations – qu’elle serait dédiée à la prévention et à la lutte contre les violences faites aux femmes.

Nous souhaitions renforcer la législation actuelle et offrir une réponse globale à ces situations. À une loi cadre sur le modèle espagnol, qui n’aurait pas correspondu à notre organisation juridique et territoriale, nous avons préféré un dispositif cadre tout aussi ambitieux. Nous nous réjouissons que le Gouvernement considère cette proposition de loi comme un élément central, à partir duquel devront se décliner les actions de tous ordres.

Notre souci est de tout faire pour mieux prévenir et protéger : de la qualité de la protection offerte aux femmes dépendra leur décision de porter plainte. Beaucoup restent enfermées dans leur statut de victime, de peur de ce qui pourrait se passer après. Il est important que l’ordonnance de protection temporaire puisse contenir tous les éléments à même de permettre aux femmes de mettre un terme à la situation dans laquelle elles se trouvent plongées.

En 2006, nous avions déjà le sentiment que le recours à la médiation pénale dans le cas de violences conjugales n’était pas pertinent, sans que cela ait pu être traduit dans la loi. Je me réjouis que la collaboration entre vos services et ceux de la commission ait permis la rédaction d’un amendement en ce sens. Celui-ci ne met pas un terme au recours à la médiation pénale, utile par ailleurs mais vise à ce que l’on prenne en considération le fait qu’une femme, reconnue comme victime par l’ordonnance de protection, ne souhaite pas que soit ouverte une médiation pénale.

Grâce à nos contacts avec les membres de votre cabinet, nous avons pu élaborer un deuxième amendement, relatif aux mariages forcés, qui fait de la contrainte au mariage une circonstance aggravante, dans le cas de violences exercées sur la jeune fille pour recueillir son consentement. Ceci s’inscrit dans la logique de l’aggravation des peines encourues pour des délits commis pendant le mariage comme – depuis 2006 – après.

Ce consensus, loin d’être a minima, se veut fort et ambitieux. Nous voulons l’assurance que le juge pourra bien mettre en œuvre les dispositions prévues par la loi, notamment l’ordonnance de protection. Effectivement, le juge aux affaires familiales est mieux placé que le juge délégué aux victimes pour prendre en charge ces situations. Pouvez-vous toutefois nous assurer qu’il sera en mesure d’assumer la totalité des compétences que nous souhaitons voir mises en œuvre ? Toutes nos interrogations seraient ainsi levées.

Mme la ministre d’État. C’est bien le juge aux affaires familiales qui est compétent, puisque compte tenu de la décision du Conseil d’État, le juge délégué aux victimes ne pourrait se voir la capacité de prendre une ordonnance de protection. Un amendement devra prévoir d’étendre sa compétence aux concubins et aux partenaires liés par un Pacs, à moins qu’il ne suffise que l’intention du législateur soit exprimée clairement lors de la discussion.

Il s’agit effectivement d’un texte de consensus. Si des textes d’application sont nécessaires, je ferais en sorte que les projets de décret puissent être présentés dès la discussion de la proposition de loi. L’attente est forte et nos concitoyens ne comprendraient pas qu’une fois voté, ce texte ne puisse être immédiatement appliqué.

M. Bernard Lesterlin. Vous avez insisté sur la nécessité de contacts entre le juge civil et le juge pénal, pour mieux protéger la victime et sanctionner plus justement l’auteur des violences. La mission a débattu de l’institutionnalisation dans les juridictions d’un pôle spécialisé, qui regrouperait notamment, le juge aux affaires familiales et le juge des enfants. Cela supposerait de doter ces pôles de moyens : or les TGI ne comprennent pas toujours un juge pour enfants et des substituts spécialisés. Au-delà de cette institutionnalisation, entendez-vous, en tant que Garde des sceaux, généraliser certaines pratiques, qui voient les magistrats rechercher ensemble les meilleures solutions ?

Mme Monique Boulestin. Je veux à mon tour insister sur le côté novateur de cette proposition de loi et sur l’importance de l’article 4, qui introduit un nouveau cas de retrait de l’autorité parentale. Nous connaissons tous des exemples d’enfants que leurs grands-parents ont dû prendre en charge, passant parfois par des procédures très lourdes de double adoption afin que le parent meurtrier n’ait plus aucun droit de regard. C’est un article essentiel, qui ne saurait être modifié.

Mme Catherine Quéré. Pour que notre travail conserve toute sa force, il faut que tous les acteurs – policiers, gendarmes, associations, magistrats – soient en alerte. Ne pensez-vous pas qu’il faille attirer l’attention des procureurs sur ces violences particulières ? Lors de son audition, l’un d’entre eux nous a confié qu’il était obligé de former ses substituts à ces questions afin d’éviter le classement de ces affaires, parfois en apparence mineures.

Par ailleurs, pensez-vous, Madame la ministre, qu’un homme violent mérite de voir ses enfants, même dans un lieu protégé ?

Mme la ministre d’État. Monsieur Lesterlin, la nécessité de contacts entre le juge civil et le juge au pénal fait partie des recommandations de ma dernière circulaire de politique pénale. Peut-on aller plus loin et institutionnaliser un pôle de la famille dans chaque tribunal ? Le nombre et l’importance des contentieux ne justifieraient pas partout la création d’un pôle spécialisé. Une spécialisation pourrait prendre forme dans certains tribunaux, plus importants mais cela risquerait d’entraîner la perte de la richesse tirée de l’expérience : tous les juges doivent pouvoir connaître de toutes sortes d’affaires.

J’ai mentionné dans la circulaire de politique pénale l’attention et le suivi particuliers qu’il convenait de consacrer à ce type de délits ou de crimes. L’article 4 est effectivement important, mais s’agissant de l’exercice du droit de visite, je pense que le principe doit rester la préservation du lien paternel, nécessaire à l’enfant. La possibilité de formuler une interdiction doit être laissée à l’appréciation du juge, en fonction des circonstances. Je pense que la mesure d’encadrement de ces rencontres, prévue par la proposition de loi, est une bonne réponse.

M. Jean-Luc Pérat. Nous sommes au XXIe siècle. Le Parlement et l’État doivent traiter de ce sujet et mettre la place des femmes dans notre société au cœur de leurs préoccupations.

La gradation des sanctions me semble particulièrement importante ; elle doit aussi prendre en compte les traumatismes qui pèsent sur l’enfant.

Ne pensez-vous pas indispensable que l’Éducation nationale lance un programme sur l’ensemble du territoire, afin que tous les élèves puissent bénéficier des mêmes actions de prévention et d’éducation aux violences sexistes ?

Enfin, la France et l’Espagne ne devraient-elles pas prendre une initiative en vue d’harmoniser au sein de l’Union les législations relatives aux violences faites aux femmes ?

M. Daniel Goldberg. L’ordonnance de protection prendrait la place du référé violences, qui s’applique uniquement aux conjoints. Pourriez-vous dresser un bilan de cette procédure ? A-t-elle permis un saut qualitatif ?

Vous proposez par ailleurs d’étendre la compétence du juge aux affaires familiales aux concubins et aux partenaires liés par un Pacs, mais cela laisserait de côté de nombreux cas de violences faites aux femmes : ceux commis par leurs parents, leurs enfants majeurs, des voisins. Pensez-vous qu’ils puissent faire l’objet d’une ordonnance de protection ?

Sans vouloir polémiquer sur les moyens actuels de l’État, je me demande si les délais de mise en œuvre, à partir du signalement de l’affaire seront suffisamment courts. Par ailleurs, le texte prévoit que l’ordonnance de protection courra pendant deux mois, et sera renouvelable une fois. Il semble que ce soit trop court : ne pourrait-on au moins couvrir la période allant jusqu’au jugement ?

Enfin, quels sont les éléments matériels qui permettraient la caractérisation de la violence psychologique ? Cette qualification ne risque-t-elle pas de se retourner contre la victime ?

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, lorsque vous avez annoncé la date de clôture pour le dépôt des amendements, je me suis dit que nous arrivions au terme d’un chemin considérable depuis la rédaction par les associations féministes de la loi-cadre contre les violences faites aux femmes, en passant par notre mission, par la rédaction d’une proposition de loi, puis par la constitution de cette commission. Pour beaucoup de femmes investies dans cette lutte, c’est un événement important.

Même si sa durée pose encore question, l’ordonnance de protection constitue une réelle avancée, tout comme les mesures concernant l’autorité parentale, la sécurité juridique des personnes étrangères et la reconnaissance des violences psychologiques.

J’ai bien saisi votre position sur le mariage forcé, qui est une immense violence faite à des femmes souvent très jeunes. Il est certes ardu d’établir la preuve de la contrainte, mais nous nous heurterons à la même difficulté si nous faisons du mariage forcé une circonstance aggravante.

La mission n’a pas retenu l’idée de créer des tribunaux spécifiques comme le proposait la loi-cadre rédigée par les associations. Elle a cependant noté, au travers des auditions de magistrats, que la volonté de lutter contre les violences pouvait être, selon les tribunaux, réelle ou bien défaillante. La situation semble avancer, notamment grâce aux circulaires de politique pénale, mais sommes-nous pour autant près du résultat ?

À plusieurs reprises, les membres de cette commission se sont demandé si l’on pouvait être un mari violent et un bon père. La question demeure. Mais j’estime qu’en allant plus loin que l’article 4, nous risquerions d’attenter aux droits de l’enfant.

Mme la ministre d’État. Monsieur Pérat, les magistrats utilisent l’ITT pour graduer la sanction. Cet outil est valable pour les violences physiques aussi bien que psychologiques. Là encore, c’est au juge qu’il revient d’apprécier.

La sécurité est l’affaire de tous. La chaîne qui permet de prévenir les violences comprend à la fois les familles, l’Éducation nationale, les associations – qui jouent un rôle essentiel –, les collectivités locales. J’espère que l’examen de cette proposition de loi sera l’occasion, pour les médias, de rappeler l’importance de ce phénomène et les actions engagées. S’emparer d’un cas suscitant l’indignation générale, c’est bien. Encore faut-il ne pas le faire de manière incitatrice, assurer le suivi de l’affaire et faire savoir quelle a été la sanction.

Nous essayons de rapprocher les législations, dans le cadre du Conseil européen des ministres de la justice et des affaires intérieures – le JAI. Nous parvenons à une certaine convergence, à la fois sur le fond du droit et sur le suivi des actions, lorsqu’elles présentent une dimension transfrontalière. Je pense qu’une opération de communication à l’échelle européenne pourrait être lancée.

Monsieur Goldberg, je ne suis pas en mesure de vous donner le nombre exact de référés violences prononcés, mais, à ma connaissance, il est insuffisamment utilisé. J’espère que la proposition de loi permettra, au travers de l’ordonnance de protection, que ce type de procédure se développe, conformément aux recommandations formulées dans la circulaire.

Il me semble qu’étendre l’ordonnance de protection aux violences exercées sur les femmes par leurs parents, leurs enfants ou leurs voisins risquerait de faire perdre à cette mesure de sa force et de son exemplarité.

Les délais de mise en œuvre de ce texte seront rapides, dans la mesure où il ne devrait y avoir que très peu de décrets d’application. La navette parlementaire devrait elle aussi être brève, notamment si l’on peut espérer un vote conforme dès la première lecture. 

Le délai de deux mois de l’ordonnance de protection permet de trouver des solutions pérennes. Le cas échéant, le juge pourra étendre l’ordonnance jusqu’au prononcé du divorce.

Comme dans le cas du harcèlement moral, les témoignages et d’autres éléments matériels devraient permettre de caractériser les violences psychologiques.

Madame Buffet, j’ai moi-même beaucoup hésité avant d’adopter une position sur le mariage forcé. Empêcher, en amont de leur célébration, les mariages forcés me semble difficile ; les sanctionner exige de pouvoir réunir des éléments de preuve. En revanche, en faire une circonstance aggravante dans le cas de violences en vue du mariage ou à l’intérieur du couple est plus aisé, puisqu’à partir du moment où la victime aura dénoncé les violences, l’élément matériel sera indéniable.

Dans les tribunaux qui ont à traiter suffisamment d’affaires, il serait possible de créer des pôles spécialisés. Mais cela impliquerait un éloignement géographique incompatible avec la gestion de ces situations, qui exige une certaine proximité. Il est préférable d’encourager la collaboration des juges.

La mise en œuvre du droit de visite ne peut se faire qu’au cas par cas. Il est important, là encore, de faire confiance au juge, qui est là pour trouver, dans l’intérêt de l’enfant, la meilleure solution.

Mme Chantal Brunel. Il est important de préciser que le suivi de l’injonction de soins doit être assuré par un thérapeute spécialisé et non pas, comme c’est trop souvent le cas, par le médecin de famille.

L’article 433-21 du code pénal dispose que « Tout ministre d'un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l'acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l'état civil sera puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende ». Il faut avoir le courage de dire que beaucoup d’imams célèbrent des mariages religieux sans mariage civil préalable. Je proposerai un amendement visant à supprimer les mots « de manière habituelle ». Cela ne réglera pas le problème mais permettra d’améliorer les choses car à la mairie, l’officier d’état civil pourra avoir des intuitions quant à la réalité du consentement. Les collaborateurs du ministre de l’intérieur partagent mon analyse. Cet amendement, qui toucherait également à la polygamie, pourra être déposé dans le cadre de ce texte ou dans celui de la Lopsi 2.

Je connais plusieurs cas de femmes ayant subi de très graves violences et qui sont toujours mariées, alors que leur époux est incarcéré à Fresnes. Pourquoi, dans ces cas reconnus de tentative d’homicide volontaire, la procédure de divorce ne pourrait-elle pas être accélérée – par une procédure de divorce en « comparution immédiate », en quelque sorte ?

Je me suis intéressée aux cas de zoophilie sur l’Internet – qui sont aussi une grande violence faite aux femmes – et j’ai pu constater que l’animal était protégé, mais pas l’être humain. Ceci est inacceptable.

Enfin, je suis choquée du commerce auquel s’emploient ceux que j’appelle les « avocats de la misère », qui s’ingénient à demander beaucoup d’argent aux personnes sans papiers, en leur promettant une régularisation prochaine, mais hautement improbable. Je pense que de telles pratiques doivent être dénoncées.

M. Gilles Cocquempot. Madame la ministre d’État, il y a un problème d’application et de suivi des décisions de justice. J’ai à l’esprit un cas dans lequel l’auteur des violences ne respecte pas l’interdiction de séjourner dans la commune de son ex-compagne. Les gendarmes ont expliqué à cette jeune femme qu’ils ne pouvaient rien faire s’ils ne l’interpellaient pas en flagrant délit. Ils ont cru bon de lui conseiller de déménager, lui proposant de convoquer l’ex-concubin au commissariat afin qu’elle ait le temps de faire sa valise…

Mme Catherine Coutelle. Je suis d’accord avec vous, Madame la ministre d’État : plus les tribunaux seront proches des justiciables et plus les victimes porteront plainte facilement. Hélas, ce n’est pas la logique de la carte judiciaire…

S’agissant des mariages forcés, nous nous interrogeons tous pour savoir comment les empêcher, pour protéger les jeunes lycéennes qui s’apprêtent à revenir au pays, sachant qu’elles y seront mariées sous la contrainte.

Dans le cadre de la préparation de cette loi, je me suis rendue au commissariat de Poitiers – la ville compte 90 000 habitants, l’agglomération 130 000. Le nombre de cas déclarés a considérablement augmenté: il y en a eu 24 en deux mois et ce mouvement se poursuit. Comment expliquez-vous cette augmentation ?

Mme la ministre d’État. Madame Brunel, il me semble normal que la prescription des soins soit faite par un spécialiste, mais le suivi de l’injonction peut tout à fait être assuré par un médecin généraliste, surtout dans les zones où peu de spécialistes exercent.

Les mariages religieux ne sont pas reconnus et n’emportent donc aucune conséquence. Les officiers du culte qui les célèbrent sans qu’ait été prononcé au préalable le mariage civil sont susceptibles de sanction. La notion d’ « habituel » s’applique à une action, dès lors qu’elle a été répétée une fois.

Je ne suis pas certaine que les termes « comparution immédiate » soient les mieux adaptés pour qualifier un divorce simple et rapide. Dans le cas d’une tentative d’homicide volontaire, il y a faute. Nous pourrions voir s’il est possible d’accélérer la procédure dans ce domaine.

Il faut se garder de la tentation de légiférer dans des domaines spécifiques lorsqu’il existe déjà des textes généraux : 40 % des incriminations ne sont jamais utilisées ! Dans le domaine de la zoophilie comme dans d’autres, je rappelle que toute pénétration sexuelle non consentie est un viol.

Enfin, les « avocats de la misère » posent un problème de déontologie, que l’Ordre des avocats devrait prendre en compte.

Monsieur Cocquempot, j’ai demandé aux procureurs de requérir systématiquement l’interdiction pour l’auteur de se trouver à proximité de sa victime. Par ailleurs, la loi sur la récidive prévoit que, dans un certain nombre de cas, cette interdiction s’applique automatiquement.

Madame Coutelle, la nouvelle carte judiciaire – dont certains magistrats disent qu’elle aurait pu entraîner davantage de regroupements – répond au besoin d’une justice fondée sur l’expérience et la vision globale, ce qui implique un minimum d’affaires par tribunal. Par ailleurs, je suis en train de mettre en place un dispositif qui facilite l’accès des personnes au droit.

Vous avez parlé des mariages forcés célébrés à l’étranger ; on ne peut rien contre ces mariages, sauf s’ils sont célébrés à l’ambassade.

Mme Monique Coutelle. Mais ces jeunes filles sont françaises, et nous devons les protéger avant que le mariage ne soit célébré.

Mme la présidente Danielle Bousquet. C’est précisément l’un des objectifs de l’ordonnance de protection : une jeune fille qui a toutes les raisons de penser qu’elle sera contrainte de se marier à l’étranger pourra demander au juge de prononcer une interdiction de sortie de territoire.

Mme la ministre d’État. L’augmentation du nombre de plaintes, à Poitiers comme ailleurs, est certainement due à l’accroissement des déclarations. Je suis persuadée, et je m’en réjouis, que ce phénomène prendra de l’ampleur dans les mois qui viennent. La victime éprouve une crainte physique, elle a peur aussi de ne pouvoir assurer sa situation matérielle et celle de ses enfants, de se trouver sans logement. Les mesures que nous prévoyons dans le cadre de l’ordonnance permettront précisément de libérer la parole de ces femmes.

Mme la présidente Danielle Bousquet. J’ajoute, à l’intention de M. Goldberg, que le juge aux affaires familiales devrait voir ses compétences étendues, au-delà de la famille stricto sensu.

Madame la ministre, je vous remercie. Vous avez bien compris notre souci de prévenir les mariages forcés, même si nous en mesurons la difficulté.

L’audition se termine à dix-sept heures quarante-cinq.

*

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Audition des représentantes de l’association « Ni putes, Ni Soumises » : sa présidente, Mme Sihem Habchi, accompagnée de Mme Anne-Marie Soudre-M’Barcki, avocate, membre du bureau national de l’association et de Mme Wassila Ltaief, responsable de la plate-forme juridique de l’association.

La séance est reprise à 18 heures

Mme la présidente Danielle Bousquet. Nous accueillons maintenant les représentantes de l’association « Ni putes, Ni Soumises » : sa présidente, Mme Sihem Habchi, accompagnée de Mme Anne-Marie Soudre-M’Barcki, avocate, membre du bureau national de l’association et de Mme Wassila Ltaief, responsable de la plate-forme juridique de l’association.

Mme Sihem Habchi. Le sujet abordé par votre proposition de loi est au cœur de l’action de « Ni putes ni soumises » depuis sa création. Les réflexions menées par Fadela Amara, au sein des « Maisons des potes », sur la loi du silence à laquelle sont soumises les femmes victimes de violences dans les quartiers populaires sont, en effet, à l’origine de notre association. Ces femmes appartenaient à des populations victimes d’une véritable ghettoïsation. Il était important de libérer leur parole pour qu’elles ne se sentent plus séparées des autres comme par un mur.

À la suite de la longue marche organisée dans les quartiers, l’association « Ni putes ni soumises » a été fondée pour dénoncer les discriminations, les violences faites aux femmes et les pressions quotidiennes qui s’exercent sur leur corps. Les codes machistes conduisent, par exemple, à interdire aux femmes de porter des vêtements ostentatoires.

Pour les jeunes filles, le prix à payer a été élevé. Sohane a été brûlée vive dans un local à poubelles. Après avoir organisé une marche à Vitry, on pensait que ce type de violence ne se renouvellerait plus. Mais en 2005, Shéhérazade a été aspergée d’essence et immolée. Elle n’a eu la vie sauve que grâce à l’intervention de deux voisins. Malgré le procès qui s’est tenu en 2009 et l’action menée par « Ni putes ni soumises » les jeunes filles continuent à être des victimes. À Meaux, Kavidha a été brûlée par son mari après avoir dénoncé pendant cinq ans les violences qu’elle subissait de sa part. À Oullins, Fatima est morte, brûlée dans une cave, pour avoir voulu un mariage qui ne correspondait pas aux vœux de sa famille.

À cette occasion, notre association a été accusée d’utiliser cette affaire pour sa propre cause. Mais il faut rappeler que des femmes sont victimes de violences conjugales et n’ont pas la possibilité de sortir du cadre familial pour dénoncer ce qu’elles subissent. Des jeunes filles n’ont toujours pas accès aux moyens de contraception qui leur permettraient de maîtriser leur corps. Certaines femmes n’imaginent même pas que ce qu’elles vivent n’est pas normal et qu’elles pourraient demander de l’aide. Pour elles, l’issue est souvent la mort, le mariage forcé ou le renoncement. Quand la société ne peut pas vous protéger et ne vous reconnaît pas de droit, on s’extrait du champ social ; alors on porte un niqab ou un voile large qui vous préserve des regards. La violence ne cesse pas pour autant. Elle prend d’autres formes. Pour ces femmes, il est beaucoup plus difficile d’appeler à l’aide.

Nous nous sommes mobilisés sur tout le territoire français en créant plus de quarante comités. Nous avons développé des relations avec la Belgique et la Suède, notamment sur la question des mariages forcés. Nous sommes, bien sûr, en lien avec les pays d’origine : le Maroc, le Mali, le Sénégal, la Tunisie et la Turquie.

Mme Wassila Ltaief : Dans le cadre de la plate-forme juridique de l’association, je gère différentes catégories de violences : les viols collectifs, les viols entre conjoints, les mariages forcés et les violences perpétuées sur des femmes qui se trouvent en situation irrégulière.

Ces dernières se heurtent à des difficultés pour porter plainte. Quand elles se rendent au commissariat, soit elles ne sont pas reçues, soit ce sont elles qu’on incrimine. Elles s’adressent alors à nous pour qu’on les accompagne, ce qui nous pose des problèmes d’organisation. Que faire pour que les commissariats prennent mieux en compte ces plaintes ?

Notre association a aussi les plus grandes difficultés à venir en aide aux femmes victimes de mariages forcés. À l’occasion de vacances passées dans les pays d’origine, elles sont mariées avec un homme choisi par leur famille. En cas de refus, s’exerce sur elles un chantage affectif et économique. Elles font l’objet de menaces de mort avec parfois passage à l’acte. Lorsqu’elles s’adressent à nous, notre problème est de savoir comment les protéger de leur famille.

Que faire aussi pour les femmes qui quittent leur mari parce que ceux-ci les menacent de violence ? J’ai ainsi accueilli une femme qui avait reçu onze coups de couteau. Quand elles téléphonent au 115 à Paris, elles sont renvoyées au service correspondant de la ville d’où elles viennent alors que, précisément, elles doivent , pour leur sécurité, absolument s’en éloigner. Des structures sont donc nécessaires pour ces femmes.

Mme Sihem Habchi. Vous proposez de créer un délit de contrainte au mariage. Pour notre part, nous n’étions d’abord pas favorables à une telle mesure dans la mesure où les jeunes filles se sentent déjà coupables envers leurs familles. Elles ne resteront pas en contact avec nous si elles savent que ces dernières risquent d’être incriminées.

Cependant, après six ans de communication de la part de notre association, on peut affirmer qu’il y a eu une prise de conscience de la part des jeunes filles. Les régions ont également pris des initiatives ainsi que la Mairie de Paris. Mais cette communication n’a encore eu que peu d’effet sur les parents. Si un progrès est perceptible chez ceux provenant d’Afrique du Nord, il ne l’est pas moins pour ceux originaires de pays comme le Mali ou le Sénégal.

Que faire quand on apprend qu’une jeune fille n’est pas revenue en France ? Il faudrait créer un dispositif de veille, sur le modèle de ce qui se fait en Allemagne. Il s’appuie sur un document qui permet de saisir le procureur. La jeune fille y décline son identité et fait part de sa crainte d’être mariée de force. Elle indique aussi ses adresses éventuelles dans son pays d’origine. Ce document est remis à une assistante sociale ou est déposé dans un commissariat. Si des informations conduisent à soupçonner que la jeune fille est contrainte à un mariage, une enquête peut être ouverte.

En ultime ressort, il y aurait le délit que vous proposez. Mais il ne faut pas faire l’économie d’un volet préventif qui a montré son efficacité dans des communautés particulièrement attachées aux traditions comme les communautés turques ou kurdes en Allemagne.

On peut aussi concevoir une unité spéciale « mariage forcé », comme il en existe en Grande Bretagne. La Belgique réfléchit aussi à une telle organisation. Elle offrirait à tout policier, dans ce type d’affaire, la possibilité d’avoir un interlocuteur et de s’appuyer sur une coordination.

Se pose en outre la question de l’hébergement d’urgence. On a aidé une femme qui a décidé de ne plus porter le niqab, une autre qui a été victime de viols collectifs, une encore qui était victime d’un mariage forcé. Ces femmes ne peuvent pas rester dans leurs quartiers en raison de la pression qui s’exerce sur elles. Il faudrait disposer d’une carte des places de logements disponibles couvrant toute la France et mettre en place une coordination entre les régions.

Enfin, je soulèverai la question de la prévention dans le cadre de l’éducation nationale. La situation ne s’améliorera pas si les femmes n’ont pas une meilleure connaissance de leurs droits.

Mme Marie-Anne Soubré-Mbarcki. Je voudrais préciser les nombreuses lacunes des textes applicables en matière de femmes étrangères victimes de violences.

En premier lieu, les Algériennes ne sont protégées par aucun texte, les règles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne leur étant pas applicables puisqu’elles dépendent des dispositions d’un accord spécifique. Or, certaines de ces femmes sont victimes de mariages « kleenex », avec des binationaux : un binational épouse une jeune fille étrangère, qui est mise à la porte à son arrivée en France. Il faudrait donc revoir cet accord ou en sortir.

En second lieu, la notion de « violences » présente dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers, telle qu’interprétée par les différentes préfectures, ne correspond pas à celle du code pénal. Dans ce dernier, la violence peut être morale et psychologique. Les préfectures, quant à elles, requièrent une plainte et des violences physiques. Nous souhaitons donc que le terme de « violences » du code de l’entrée et du séjour des étrangers soit précisé et aligné sur celui du code pénal. Le seul fait de mettre une femme à la porte après l’avoir épousée est une violence. D’autant que, les droits sociaux découlant de la régularité du séjour, ces femmes n’ont plus rien lorsqu’elles sont mises à la porte de chez elles.

Il en va de même pour les règles relatives au renouvellement du titre de séjour pour les femmes victimes de violences. Le plus souvent, c’est un simple récépissé qui est délivré et non un titre de séjour. D’ailleurs, même un titre de séjour d’un an ne permet pas réellement à ces femmes de s’insérer et il faut être conscient qu’elles ne peuvent retourner dans leur pays d’origine, car on considère que ce sont de mauvaises épouses. Nous proposons donc que leur soit délivré un titre de séjour de plus d’un an, ou qui soit renouvelable sur une durée de trois ans. Il existe des dispositions pour les victimes de trafic d’êtres humains puisque les femmes qui ont obtenu la condamnation du trafiquant se voient délivrer un titre de séjour. Tel n’est pas le cas pour les femmes victimes de violences. J’ai vu avec plaisir que c’était l’une des dispositions de la proposition de loi.

Enfin, il n’existe pas de disposition pour les femmes concubines ou pacsées, ni pour celles qui sont en situation irrégulière, qui sont doublement punies.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Je vous remercie pour ces éléments d’appréciation, dont un grand nombre étaient connus de nous. La mission d’information a notamment travaillé sur les mariages forcés, du stade de la prévention à celui de la plainte. En ce qui concerne les femmes en situation irrégulière, la proposition de loi apporte des réponses adaptées. De manière générale, la plupart de vos préoccupations trouveront une réponse dans l’ordonnance de protection, qui permettra la prise en charge des femmes étrangères. Ces dernières pourront se voir reconnaître par l’autorité préfectorale le droit à un séjour régulier. Notre proposition de loi reconnaît le statut de victimes à ces femmes et leur permet d’être protégées.

En ce qui concerne le dispositif de prévention des mariages forcés, cela ne peut figurer dans la proposition de loi, car cette mesure n’est pas d’ordre législatif. Mais la proposition n° 43 de notre rapport prévoit un dispositif de croisement des informations entre tous les ministères compétents. Nous tenons à prendre en compte le sentiment de culpabilité que pourraient ressentir les jeunes filles victimes d’un mariage forcé, à l’égard de leurs proches. Mais l’on ne peut pas demander à la loi de faire une chose et son contraire : il n’y a pas de protection possible sans qu’il y ait engagement éventuel de poursuites pénales fondées sur l’existence d’une contrainte au mariage.

Nous sommes donc très en phase avec vous. Ma question est la suivante : manque-t-il, selon vous, des dispositions de nature législative, qui seraient susceptibles d’être adjointes à la proposition de loi par voie d’amendement ?

Mme Sihem Habchi. Nous sommes d’accord avec le fait qu’il faille privilégier la prévention, notamment en ce qui concerne les mariages forcés. Mais cela nécessite une meilleure formation, notamment dans les établissements scolaires…

Mme Danielle Bousquet, présidente. Ainsi que vous l’a indiqué le rapporteur, ces remarques figurent dans le rapport de la mission mais elles ne relèvent pas du domaine législatif.

M. Jean-Luc Pérat. Je suis en plein accord avec le rapporteur, mais encore faut-il que la proposition de loi que nous allons voter soit portée à la connaissance de celles qui en ont besoin. Je pense que l’éducation et la formation constituent des points faibles de la prévention des violences faites aux femmes. Il faudrait mieux enseigner les droits et les devoirs.

En ce qui concerne l’accueil dans les commissariats et les gendarmeries, il existe des évolutions positives. Mais comment améliorer encore les choses ? J’ai eu personnellement à accompagner une jeune marocaine victime de violences, qui avait des papiers obsolètes. Lorsqu’elle s’est rendue à la gendarmerie, on s’est davantage intéressé à sa situation au regard du séjour qu’à sa situation de victime et elle a été renvoyée au Maroc dans les 24 heures. La Cimade m’ayant alerté, j’ai obtenu son retour en France et sensibilisé la commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS). La proposition de loi devrait aider les personnes qui se trouvent dans cette situation, mais on peut regretter que la CNDS soit appelée à disparaître…Sur ces questions, ne pourrait-on envisager de faire évoluer les choses à un niveau européen ?

M. Martine Martinel. Étant en complet accord avec M. Geoffroy, je ne reviendrai pas sur ses propos. En ce qui concerne les femmes étrangères qui se retrouvent en situation irrégulière du fait de la rupture du lien conjugal, auriez-vous des suggestions à nous faire ?

Mme Danielle Bousquet, présidente. Je vous rappelle que notre commission a vocation à étudier la proposition de loi. Nous sommes donc intéressés par vos remarques la concernant.

Mme Sihem Habchi. Il faudrait davantage insister, dans votre proposition de loi, sur les pressions quotidiennes subies par les jeunes femmes dans l’espace public. Certaines d’entre elles ne supportent plus ces attaques et veulent s’extraire du regard des hommes. Cela pousse des jeunes filles à rentrer dans un processus d’isolement, qui se conclut par la disparition de l’espace public.

En ce qui concerne les mariages forcés, il faut une contrainte forte, qui est dans le texte de loi. Mais j’ai peur que les femmes qui en sont victimes ne portent pas plainte. Comment va-t-on pouvoir être alertées ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Une chose est la plainte, une autre chose est l’intervention, en amont, du juge, sur la demande de la police ou de la gendarmerie. L’ordonnance doit protéger la victime avant toute chose.

Mme Sihem Habchi. Mais comment l’obtient-elle ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Dans notre proposition de loi, la victime saisit le juge directement ou par l’intermédiaire des forces de police et de gendarmerie. Cette demande est totalement déconnectée de l’éventualité d’une plainte. La femme se sachant protégée pourra prendre les bonnes décisions : porter plainte, demander le divorce, être déliée d’un bail…

Mme Danielle Bousquet, présidente. C’est au moment où la jeune fille est menacée qu’elle peut demander une ordonnance de protection, que ce soit avec l’aide d’une assistante sociale, une association ou par elle-même.

Mme Sihem Habchi. Il faut également prendre en compte le cas des jeunes filles qui ne vont pas au bout de la procédure, d’où l’importance d’un document pérenne.

Mme Danielle Bousquet, présidente. Le document auquel vous faites allusion peut tout à fait trouver sa place dans le dispositif d’application de la loi. Cela relève davantage du règlement.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Un de nos soucis majeur est l’articulation du civil et du pénal. Quand un juge prendra une ordonnance de protection, celle-ci sera transmise au parquet, qui est maître de l’opportunité des poursuites. Nous répondons donc de manière souple aux situations que vous évoquez.

Mme Marie-Anne Soubré-Mbarcki. Il est prévu de délivrer un titre de séjour aux femmes qui sont victimes de violences. Mais quid de son renouvellement ? Les délais de procédure peuvent être longs, notamment s’il y a appel. En cas de condamnation définitive, une carte de résident de dix ans sera délivrée, mais il faut que vous envisagiez aussi cette question, au moins pendant la durée de la procédure pénale.

Mme Danielle Bousquet, présidente. Nous devons effectivement prendre cela en compte.

Mme Marie-Anne Soubré-Mbarcki. Vous avez prévu la formation des policiers et des personnels de l’Éducation nationale. Mais pour avoir participé à ces formations, je peux vous indiquer que celles-ci sont peu valorisées.

Mme Sihem Habchi. Pourquoi, à l’image de la loi espagnole, n’avez-vous pas souhaité instaurer une colonne vertébrale spécifique, qui va de l’accueil dans les commissariats au juge ? Pourquoi ne pas spécialiser un juge sur ces questions ?

Mme Danielle Bousquet, présidente. Cela ne relève pas du domaine de la loi. Or, si l’on sort du domaine de la loi, le texte serait fragile devant le Conseil constitutionnel.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Par contre, la proposition n° 31 de notre rapport recommande de désigner et de former, dans chaque commissariat ou brigade de gendarmerie, un référent violences conjugales ou violences intrafamiliales. Cette proposition est de nature réglementaire. Nous avons également demandé qu’il y ait au sein des parquets un magistrat spécialisé dans les violences faites aux femmes.

Mme Sihem Habchi. Mais le parquet ne juge pas…Et sur la question de l’éducation au respect ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nous avons pris en compte ce point dans notre rapport.

Mme Danielle Bousquet, présidente. Vous avez tout à fait raison dans vos remarques. Nous nous attacherons, dans le cadre de l’évaluation des lois, à vérifier que notre proposition de loi est bien appliquée et que l’autorité réglementaire a pris toutes les dispositions nécessaires.

Mme Sihem Habchi. Je souhaiterais ajouter une dernière chose, concernant la création d’un observatoire des violences faites aux femmes. Je trouve qu’il est très positif que le travail des associations soit évalué. Ni putes ni soumises est prête à participer à ces évaluations car nous bénéficions de deniers publics et nous avons une obligation de résultats.

Mme Danielle Bousquet, présidente. Je vous remercie pour votre contribution à nos travaux.

La séance est levée à 19 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Gisèle Biémouret, Mme Monique Boulestin, Mme Danielle Bousquet, Mme Chantal Brunel, Mme Marie-George Buffet, M. Gilles Cocquempot, Mme Catherine Coutelle, M. Guy Geoffroy, Mme Annick Girardin, M. Daniel Goldberg, Mme Françoise Guégot, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Conchita Lacuey, M. Bernard Lesterlin, M. Daniel Mach, Mme Martine Martinel, M. Jean-Luc Pérat, Mme Catherine Quéré, M. Jacques Remiller

Excusés. - M. Richard Dell'Agnola, Mme Marie-Lou Marcel, M. Frédéric Reiss.