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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mardi 18 septembre 2007

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Maraninchi, président du conseil d’administration de l’Institut national du cancer et président du groupe de travail « Instaurer un environnement respectueux de la santé » du Grenelle de l’environnement, et de M. Alain Grimfeld, chef de service à l’hôpital Trousseau de Paris et vice-président du groupe de travail

Après avoir rappelé l’intitulé du groupe de travail n° 3 du Grenelle de l’environnement, « Instaurer un environnement respectueux de la santé », M. Christian Jacob, Président, a demandé à M. Alain Grimfeld, dans l’attente du professeur Maraninchi, retenu par d’autres obligations, de présenter les pistes de réflexion envisagées par le groupe de travail dont il est le vice-président ainsi que le cas échéant ses convictions personnelles.

M. Alain Grimfeld a d’abord souligné que l’intitulé même du groupe de travail cernait bien la problématique à traiter, et ce d’autant plus qu’il ne s’agissait pas, pour chaque groupe, d’aborder tous les problèmes liés à l’environnement. Reste que l’exercice est difficile et que les débats ont eu tendance au sein du groupe de travail à se focaliser sur les solutions à trouver avant même d’inventorier les impacts effectifs de l’environnement sur la santé. Or mesurer l’impact sur la santé des problèmes environnementaux est un défi.

La capacité d’adaptation au « milieu-environnement » est une caractéristique essentielle de l’espèce humaine mais d’autres espèces s’adaptent beaucoup plus rapidement, comme les bactéries ou les insectes. L’espèce humaine s’adapte, certes, mais de façon très lente et très progressive.

À partir du big bang, nous sommes tous partis d’une cellule et cette adaptation n’a été possible que parce qu’elle s’est faite dans un milieu d’emblée harmonieux par rapport à toutes les espèces vivantes de la planète. Or nous produisons maintenant des substances qui ne sont pas issues de cette cellule ; ainsi l’harmonie est-elle brisée, notamment depuis les grands progrès technologiques du XIXe siècle. On ne peut plus désormais se dire que, de toute façon, l’être humain s’est toujours adapté.

De surcroît, l’homme vit aujourd’hui dans des milieux environnementaux essentiellement urbains et ce regroupement dans de grandes agglomérations conduit à une concentration accrue d’effets éventuellement nocifs de troubles de l’environnement.

Il faut tenir compte de tout cela pour envisager la prévention, d’une part, et les mesures de précaution, d’autre part, indispensables à la limitation des impacts de l’environnement sur la santé. Actuellement, cinq grands objectifs ont été retenus par le groupe n° 3.

Le premier consiste à réduire fortement et globalement les polluants des différents milieux- air, eau et sols - bien identifiés pour leurs effets nocifs sur la santé par une démarche active de prévention. Il s’agit d’éliminer les impacts prouvés sur la santé et bien documentés.

Dans les milieux aériens, il faut d’abord identifier les indicateurs d’émissions avec leurs conséquences sur la santé, en distinguant air extérieur et air intérieur.

S’agissant de l’air extérieur, les indicateurs qu’on retient actuellement sont surtout les oxydes d’azote et, plus particulièrement, les particules fines et l’ozone. Auparavant, on s’intéressait plutôt au dioxyde de soufre et au plomb, dont la concentration dans l’air a été diminuée de façon drastique, grâce notamment à la reformulation des carburants fossiles, avec des effets bénéfiques pour la santé. La pollution au plomb ne concernait en effet pas que les conduites d’eau mais affectait aussi l’air, ce qui expliquait la présence de plomb dans des végétaux et notamment des vignes.

La réduction des polluants atmosphériques reste donc un objectif majeur. Si l’on se réfère aux textes européens, notamment à la dernière directive, on s’aperçoit que les niveaux relevés en France sont insatisfaisants. Celle-ci devra réduire ses taux de particules fines dans l’air, quelle qu’en soit l’origine (circulation automobile ou industrie), à moins de 15 microgrammes par mètre cube en moyenne horaire ou sur 8 heures. Sur un plan pratique, il paraît nécessaire, dans le cadre du plan national « santé et environnement 2 », de mettre au point un plan « santé et transports ».

L’air intérieur, quant à lui, a souvent été oublié. Il faut reconnaître que sur un plan pratique, il est difficile d’être intrusif vis-à-vis des citoyens et qu’il en va différemment quand toute la collectivité est concernée. Les textes concernant la pollution intérieure devront donc faire beaucoup plus appel à la citoyenneté et à l’effort individuel que ceux concernant la pollution extérieure. Reste que l’air intérieur n’est pas seulement l’air domestique. C’est aussi les milieux intérieurs fréquentés, de façon concentrée, par des populations entières : les transports en commun, les gares ou les aéroports. D’où le souhait d’une information systématique, voire d’une certaine contrainte, s’agissant de la qualité de cet air intérieur dans des espaces fréquentés par des groupes humains.

Il convient de mener des actions de prévention concernant ces produits polluants. On a évoqué l’étiquetage environnemental et sanitaire des matériaux de construction pour les produits d’aménagement. Par exemple, les formaldéides, présents, notamment, dans les colles utilisées pour les meubles en aggloméré, sont très nocifs pour la santé respiratoire. Mais il y a bien d’autres produits aussi nocifs dans l’air extérieur ou intérieur, qui devraient être très strictement réglementés.

Toujours dans l’air, il faut parler des ondes sonores. On commence à mesurer les impacts du bruit sur la santé au plan physique et au plan comportemental. Des efforts sont faits pour les populations vivant aux abords des aéroports et des autoroutes. C’est un problème dont il conviendra de se préoccuper fortement.

Par ailleurs, la potabilité de l’eau intéresse la France, au même titre qu’elle intéresse les pays émergents. L’eau est un produit précieux sur la planète, sans lequel il n’y aurait pas de vie. Aujourd’hui, en raison notamment de son gaspillage, l’eau nous est fournie à des prix de plus en plus élevés. L’eau potable est bonne à boire, en termes de goût, mais aussi de contenu et d’absence de polluants. Les risques liés à l’eau provenant de sols pollués sont difficiles à quantifier ; au moins 400 000 sites potentiellement pollués ont été identifiés.

Le groupe n° 3 souhaite le renforcement des moyens dévolus, notamment par l’État, à la réhabilitation des sites pollués orphelins, en accroissant la réhabilitation complète par rapport au simple confinement, ainsi que le renforcement du principe pollueur-payeur, au travers du mécanisme de garantie financière et d’autres mécanismes. Deux cas méritent une attention particulières : les stations service fermées et les sédiments qui, dans le cadre d’une approche par bassin, doivent faire l’objet d’une réglementation claire.

Les stations-services fermées sont très nombreuses dans les communes de taille moyenne. Elles devraient faire l’objet d’un plan global de réhabilitation à préciser. Des crèches, des écoles sont construites sur d’anciens sites pollués comme ceux-ci sans qu’ils aient été correctement nettoyés !

La politique de prévention en matière de polluants des sols devra s’accompagner d’une politique de développement de contrôles ciblés en matière de polluants alimentaires, à partir de la connaissance des risques identifiés localement. Par exemple, si la réglementation relative aux produits de l’agriculture biologique est essentielle, elle ne concerne pas les sols.

S’agissant de tous les milieux, nous allons être confrontés à la réduction des pollutions chimiques, et il faudra faire porter en priorité les efforts sur le développement et la mise en œuvre de substitutions et de technologies propres. La maîtrise des risques doit porter d’abord sur les substances CMR (cancérogènes et/ou mutagènes et/ou toxiques pour la reproduction), les métaux lourds et les perturbateurs endocriniens.

Le principe pollueur-payeur doit être renforcé. En particulier, il faut que la responsabilité environnementale couvre l’ensemble des pollutions, y compris celles faisant l’objet d’une autorisation. Le délai de prescription pour pollution devrait être supprimé ou allongé. Enfin, le contrôle des installations ponctuelles doit être également renforcé.

Pour agir sur la santé, les substances les plus préoccupantes dans les produits phytosanitaires devront être interdites d’ici deux ou trois ans. Un objectif de réduction de moitié devrait être fixé dans le PRPP pour 47 substances et étendu à d’autres substances supplémentaires qui seront catégorisées à l’intérieur du groupe. Certains, en vertu du principe de précaution, souhaiteraient même aller plus loin en étendant ce régime à des produits potentiellement toxiques.

L’objectif de réduction de moitié de l’ensemble des quantités phytosanitaires utilisées, notamment grâce au développement de l’agriculture biologique et à l’évolution des politiques agricoles, permettrait de réduire l’exposition à des substances présentant des risques pour la santé ou mal connues à l’heure actuelle.

Parmi l’usage des substances phytosanitaires, on a différencié l’usage industriel, dans l’agriculture intensive notamment, de l’usage domestique. S’agissant de ce dernier, il semble que la précaution doive s’instituer au même titre que la prévention. Il n’y a pas d’obligation à utiliser des produits potentiellement toxiques pour l’usage domestique et il serait bon de leur interdire. Mais ce n’est pour l’instant qu’un souhait.

L’impact des médicaments sur la santé au travers de l’environnement est un sujet de préoccupation croissante. Cela concerne non seulement non seulement l’utilisation des médicaments à usage humain, mais aussi l’utilisation des médicaments à usage vétérinaire. Aujourd’hui, nous ne disposons pas de nouvelles classes d’antibiotiques et nous nous contentons d’améliorer les nouvelles classes déjà existantes à chaque fois qu’est observée une extension des résistances à ces antibiotiques. Cette problématique retentira très rapidement sur l’espèce humaine. Se pose aussi la question de la pollution environnementale par les médicaments. Il n’est pas question d’interdire certains médicaments, utilisés notamment pour le traitement de cancers, mais d’évaluer l’extension de cette pollution de l’environnement par les médicaments (utilisés dans les hôpitaux, mais aussi dans le cadre de l’hospitalisation à domicile).

Le deuxième objectif du groupe est de développer les connaissances et favoriser l’investissement dans une démarche d’expertise, de veille et de vigilance, pour des substances dont les effets sur la santé sont mal connus, tout en accompagnant l’innovation. En l’occurrence, tout n’a pas été prouvé. Il s’agit de préserver la santé humaine dans le cadre du progrès, face à l’apparition de nouvelles substances. C’est la problématique majeure en matière de santé et d’environnement.

Lorsque tout est prouvé, on est dans une démarche de prévention. C’est alors aux politiques d’intervenir et de décider, même si ce n’est pas aussi simple que cela. Mais, lorsque ce n’est pas le cas, que les progrès vont très vite, il s’agit d’accompagner l’innovation, lorsque sont produites de nouvelles substances, sans que l’on sache si ces progrès seront bénéfiques pour la santé. Il convient donc de mettre au point des programmes de surveillance des impacts de ces progrès. Ce n’est pas une démarche d’inhibition, mais au contraire une démarche de précaution, d’action et d’encouragement de la recherche et de l’innovation.

Cela joue pour les nouvelles substances chimiques et tous les produits en général, y compris dans le cadre de l’accompagnement du règlement Reach (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques) qui doit s’appliquer de manière incontournable en France. Le problème est que nous ne voulons pas, en termes d’impact sanitaire, accompagner la mise en place de ce règlement en étant les derniers à émettre des avis. Cela suppose la mise en place de programmes transversaux qui paraîtraient essentiels en termes de recherche, d’observation et de surveillance.

Il en est de même des nanomatériaux, qui sont des particules produites intentionnellement dans le cadre de certaines technologies et pour lesquels les investissements se comptent en milliards de dollars et suivent une courbe exponentielle. Néanmoins, on ne sait pas quel sera leur impact sur la santé. Pour autant, il ne s’agit pas d’interrompre leur développement. Ce serait absurde, dans la mesure où les nanomédicaments auront probablement des effets très bénéfiques sur la santé. Cependant, on ne saurait abandonner la surveillance de leur développement et de leur impact. Là encore, il s’agira d’accompagner l’innovation, ce qui suppose des textes.

Pour ce qui est enfin des risques naturels et technologiques et des risques électromagnétiques, le comité de prévention et de précaution s’est emparé depuis un an de retours d’expérience concernant les catastrophes.

Dans l’état actuel des choses, on dispose de tous les organismes susceptibles d’apprécier ce qui suit les catastrophes, soit naturelles, soit industrielles. Tout est en place. Le problème est que lorsqu’on analyse des situations dans ce pays, personne ne se parle. En réalité, quand a lieu une catastrophe, on peut connaître les responsabilités et mettre au point des indemnisations. Au bout d’un certain temps, arrivent les spécialistes des différents domaines, notamment en matière de santé, pour expliquer ce qui s’est passé et prévoir ce qu’on pourrait améliorer si la situation se reproduisait. Il convient donc de mettre en cohérence et en collaboration les institutions, qui sont par ailleurs remarquablement présentes.

Concernant les risques électromagnétiques, il faudrait renforcer la réglementation en vigueur. On relève en effet des contradictions entre le risque perçu et le risque effectivement subi. Le Canard Enchaîné a récemment signalé une augmentation de 20 % des tumeurs cérébrales du fait d’un usage excessif des téléphones mobiles ! Mais tout cela n’est pas prouvé. Il est donc indispensable de renforcer l’observation objective et la recherche.

M. Dominique Maraninchi a souligné qu’il fallait travailler sur tous les facteurs en même temps, ce qui suppose un certain courage et un changement d’attitude. Les risques sont multiples. Il faut les diminuer globalement.

Par ailleurs, dans certaines situations inacceptables, lorsqu’on sait ce qu’il faut faire, il n’y a pas de raison de les laisser perdurer : pourquoi continuer à absorber des substances cancérigènes ? C’est une affaire de prévention.

Toutefois, on ne sait pas toujours ce qu’il faut faire. A cet égard la France ne doit pas toujours être en retard d’une guerre en matière de précaution. Pourquoi faire un plan canicule après une canicule ? Il faut accepter un système de veille, afin d’appréhender les situations et d’agir.

Encore une fois, il faut changer d’attitude en prenant des mesures transversales, à commencer par des mesures d’observation. Certains mesurent l’air extérieur, d’autres l’air intérieur, d’autres encore mesurent l’eau ou les polluants. C’est un peu la cacophonie, et le public ne croit plus à la réalité des observations.

Le groupe de travail prône donc un système d’observation complet, multisources, en temps réel, dynamique et géographique, car l’air pollué provenant de la cheminée d’une usine, par exemple, peut avoir un impact à cent kilomètres. L’observation doit être renforcée sur les indicateurs, qui doivent être accessibles à tous les citoyens et transmis de façon simple et dynamique : il ne sert à rien de dire qu’aujourd’hui l’air est propre si, le lendemain, ce n’est plus le cas. Et ce n’est pas si simple.

Cette observation ne doit pas être dogmatique et venir d’en haut. Il faut accepter le signalement citoyen venant du terrain. Il faut repérer les signaux faibles et être capable d’entendre les signalements effectués par les collectivités. Et ces signalements ne signifient pas forcément une crise ou une catastrophe. Il faut donc essayer des les intégrer et de les comprendre.

Il convient de mener une démarche globale portant sur l’ensemble des facteurs. En effet, sur le plan sanitaire, l’air peut être bon, mais pas l’eau. Une observation complète, plus transparente, permettra de dédramatiser le sujet et de respecter le rôle des collectivités et des associations dans leur fonction de veille, de signalement et de report de signaux faibles. Ce qui perturbe la santé dans les phénomènes environnementaux, c’est bien sûr la dose, mais c’est aussi la durée : beaucoup de petites émissions peuvent être significativement nocives. Il faut changer d’état d’esprit. Le groupe fera certaines propositions permettant de prendre en compte l’observation citoyenne et l’observation des collectivités, s’agissant notamment des signaux faibles, qui peuvent être prémonitoires d’un vrai problème sanitaire.

Si le système de soins est excellent en France, le système d’observation des phénomènes sanitaires et de prévention ne l’est pas. Des controverses ont lieu en ce moment à propos de l’incidence de l’environnement sur l’apparition des cancers. Certains disent qu’il n’y contribue pas, mais c’est parce qu’il faut quinze ans pour avoir un cancer. Les données françaises recueillies en France en 1998 en milieu agricole ne permettent donc pas de se prononcer en 2008 sur l’effet éventuel de la pollution. Elles ne peuvent pas nous aider dans une gestion prévisionnelle des risques et nous servir pour apprécier les risques d’apparition de cancer chez nos enfants.

La gestion prévisionnelle des risques doit porter sur des petits signaux. Sinon, on laisse passer les problèmes liés à l’amiante ou au sida. Et l’on doit se baser sur quinze ans pour voir ce qui s’est passé au cours de cette période. Le groupe recommandera donc d’adopter une autre attitude, d’intégrer une autre culture, plus anglo-saxonne.

Il existe un modèle mondial, le Center for Disease Control (CDC), aux États-Unis, pays qui a une culture de la veille et du signalement. Ce centre a découvert deux grandes maladies : le sida et la légionellose. Dans le premier cas, on s’est aperçu d’une surconsommation de médicaments à Mannathan de la part de la population homosexuelle et on a enquêté ; dans le second, on a observé de nombreux cas de pneumonie chez des légionnaires et découvert que le problème avait un lien avec la climatisation.

Il faut adopter un système de vigilance, avec la prise en considération d’indicateurs multiples, aller vérifier et abandonner tout dogmatisme. Comme en matière d’environnement, il est indispensable d’accepter le signalement venant de la base en matière sanitaire. Les médecins et les hôpitaux peuvent signaler ce qui semble anormal et il est impératif de prendre leurs remarques en considération, tout comme il faut tenir compte de l’observation citoyenne. L’institut de veille sanitaire n’a pas la même ampleur que le CDC. Il est inutile de polémiquer à partir du point de vue des experts. Il n’a pas à être pour ou contre ; ce qui compte, ce sont les données fiables, qui manquent en France.

L’observation est la clé de la prévision du futur et d’une vraie politique de prévention. Si l’on observe l’environnement et la santé, il sera possible de faire des recoupements, en dehors même des situations de crise. C’est un changement profond d’attitude pour aller vers une gestion prévisionnelle des risques.

Quand on sait, on fait. Quand on ne sait pas, on cherche. Le futur est conditionné par un environnement sain. Tous les métiers, et, plus généralement, tous les citoyens seront concernés par l’environnement, dans le cadre d’un développement durable. Il faut donc investir dans la recherche publique, avec les outils qui ont été mis au point par les parlementaires, à savoir la loi sur la recherche et la loi sur les universités. On peut mobiliser de manière interdisciplinaire la recherche publique dans les sciences de l’environnement, notamment en « environnement et santé ». Si on n’investit pas, il n’y aura pas de retour sur investissement.

L’affichage d’une grande action est crucial, pour attirer les meilleurs dans chaque discipline. C’est dans les universités que se fait la transmission du savoir. La culture de l’environnement doit aussi être présente chez tous les étudiants, qui feront la vie de demain.

La recherche doit être excellente ou ne pas être. La communauté scientifique doit disposer de tous les instruments de recherche (réseaux thématiques de recherche avancée, réseaux thématiques de recherche et de soins) et faire des appels d’offre pour que les meilleurs groupes se rassemblent afin de dynamiser la recherche fondamentale française et trouver, par exemple, des alternatives aux phytosanitaires actuels. C’est un choix, qu’on peut faire ou ne pas faire.

Par ailleurs, la recherche doit être programmée, c’est-à-dire sur programme. Si nous voulons classer les substances polluantes pour l’environnement dans le cadre de la directive Reach, ou bien nous nous contentons des définitions qu’auront faites les Anglais ou les Suédois en toxicologie, définitions que nous déplorerons de ne pas comprendre ou de ne pas pouvoir appliquer, ou bien nous faisons nous-mêmes une recherche programmée et nous agissons de façon conquérante. Cela touchera le monde universitaire et académique, mais aussi d’autres acteurs. En la matière, l’effort de recherche doit être clair et considérable. Beaucoup de personnes peuvent intervenir, y compris celles qui font de la recherche médicale. Les universités, les CHU doivent avoir des programmes de recherche en santé-environnement. Il ne s’agit pas seulement de rechercher des polluants, mais d’améliorer le bien-être par une dynamique intégrée de santé.

Les outils existent, il faut afficher une politique et un mode d’emploi qui soient très progressifs.

La suite des mesures transversales est facile à décliner.

Il s’agit d’abord de formation : on doit transmettre les connaissances dès le plus jeune âge jusque dans les formations post-doctorantes. C’est un investissement à faire. La formation professionnelle est également capitale, y compris dans les petites entreprises. Les agriculteurs ont besoin de formation sur les alternatives aux phytosanitaires. Tous les acteurs de la formation sont donc concernés.

En ce qui concerne les populations à viser, il est clair que la prévention doit toucher tout le monde mais il convient de commencer par les plus fragiles et ceux qui portent l’avenir, à savoir les enfants, car ces derniers auront un environnement radicalement différent de celui que nous connaissons. Il est de notre devoir de les protéger dans leurs lieux de vie, de travail et de faire en sorte qu’ils rencontrent le moins de produits toxiques possible. Cela dynamisera aussi l’ensemble de la population.

La deuxième population cible doit être celle qui est actuellement confrontée à des risques strictement inacceptables. Par exemple, en France, 6 000 personnes ont aujourd’hui un cancer lié à leur travail ! Il y a donc une dynamique de mesure à mettre en œuvre autour d’une hiérarchisation de priorités et des efforts à faire en termes de démocratie, d’information ou de transmission de connaissances.

Le président Christian Jacob a remercié les intervenants pour la qualité de leur propos et a demandé au professeur Marininchi si nos outils actuels étaient adaptés à ces enjeux.

En France, il existe de nombreuses agences, qu’il s’agisse des risques environnementaux, des risques de santé ou d’alimentation. Dans chaque domaine, des spécialistes revendiquent leur légitimité. Cela correspond-il bien au constat fait dans l’exposé liminaire ?

Il a également interrogé M. Grimfeld sur l’agriculture biologique en soulignant qu’il fallait distinguer la sécurité sanitaire et les techniques culturales comme le « bio ». On a tout autant de risques d’attraper les mêmes maladies avec les produits de l’agriculture biologique qu’avec les autres. On peut ainsi parler des risques liés au germe sur le lait si on n’utilise pas d’antiseptiques, des œufs souillés, etc.

M. André Chassaigne a félicité lui aussi les intervenants pour leurs exposés passionnants, que tout le monde était à même de comprendre.

En ce qui concerne le principe de précaution, énoncé à l’article 5 de la Charte de l’environnement et à la rédaction duquel le Parlement a contribué, en mettant l’accent notamment sur le caractère gradué des mesures, il est évident que ce principe ne peut, en aucun cas, signifier qu’il faut tout arrêter. Il implique qu’on doit avancer et chercher. Cela étant, à quel moment, à qui, sur quels critères doit-on alerter, pour mettre en œuvre ce principe de précaution. Il semble qu’il manque quelque chose dans l’article 5 de la charte pour pouvoir l’appliquer.

Il est regrettable de ne jamais pouvoir parvenir à des échanges raisonnables et construits. Lors des travaux de la mission d’information sur les OGM sous la précédente législature, la quasi-totalité des scientifiques ont affirmé que, pour la recherche, l’expérimentation en plein champ reste une étape incontournable, qui doit bien entendu être réalisée avec des protocoles très stricts. Quiconque a le malheur de le dire se fait aujourd’hui quasiment cracher dessus !

Le problème des incinérateurs se pose de la même manière. Ceux qui ne refusent pas un incinérateur sont considérés comme des assassins et reçoivent des lettres d’insultes ! Ne pourrait-il pas y avoir, au moins sur le plan national, un comité scientifique qui étudie les problèmes avec objectivité ? Cela éviterait aux responsables politiques d’être assaillis par ceux qui disent qu’il n’y a aucun risque et par ceux qui estiment au contraire qu’ils sont énormes. Certes, il faut intégrer les citoyens et les associations et ne pas s’en remettre uniquement aux scientifiques, mais les élus ne peuvent aujourd’hui même plus prendre de décisions objectives et cela devient terrible.

Ayant vécu les mêmes expériences au sujet des OGM ou des incinérateurs, M. Philippe Tourtelier a approuvé les propos de M. Chassaigne et estimé que ces comportements relevaient davantage de la croyance.

Le fait que les grandes agglomérations favorisent la concentration des effets nocifs ne signifie pas que tout est mieux dans les campagnes, car les pollutions peuvent s’y avérer tout aussi dangereuses que dans les villes. On se demande parfois, d’ailleurs, avec la « rurbanisation » des villes, si l’on est en ville ou à la campagne.

S’agissant des signaux faibles, les collectivités territoriales peuvent jouer un rôle très intéressant d’observation.

M. Philippe Plisson a rappelé que les produits « bio » ne contenaient pas de produits chimiques résiduels, ce qui constitue déjà un grand progrès. Aujourd’hui, la population ne croit plus en rien, tellement les décideurs et les scientifiques ont été achetés par des lobbies. Il faut rétablir la confiance et ce sera très compliqué.

Les critères de construction HQE concernent le plus souvent la performance énergétique. Il faudrait davantage prendre en compte la santé et le confort de vie, développer les diagnostics « santé » sur tous les lieux publics, notamment dans les écoles, et adopter des règles plus contraignantes sur l’utilisation des produits chimiques.

M. Philippe Boënnec a relevé qu’en France, il existait un cloisonnement très net entre les différentes compétences et connaissances et qu’il était très difficile de mettre en place un partage des savoirs. Lorsqu’on cherche des solutions, on ne se rend pas compte que les savoirs sont là et que c’est plutôt un problème d’organisation qui se pose.

En tant qu’élu du littoral, il a été concerné par la catastrophe de l’Erika. Il a essayé de mobiliser l’université de Nantes, qui dispose de grandes compétences en la matière. Ce fut impossible, alors qu’on était à 50 kilomètres du littoral. Ne faudrait-il pas revoir la gouvernance entre les savoirs et les actions ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager a formulé la même observation. A la suite des lois de décentralisation, les départements ont acquis des compétences en matière de protection maternelle et infantile (PMI). Or, on se rend compte qu’aujourd’hui un enfant est suivi par la PMI et par son médecin de famille sans qu’aucun ne se parle. Avant de faire des grandes messes, il serait bon de partir simplement du terrain et de travailler avec les collectivités territoriales.

M. Dominique Marininchi a confirmé que les différents médecins ne communiquaient pas entre eux leurs informations. Cela est d’ailleurs interdit par la loi. On peut trouver des solutions, à condition de faire des études et de la recherche. Mais pourquoi se priver des PMI ou des données recueillies dans les hôpitaux pour faire des observations en matière de santé ? On peut bien sûr rendre anonymes ces données, mais il n’est pas possible de les relier entre elles. Il faut donc lever les cloisons, au niveau sanitaire comme au niveau scientifique.

Il est bon que certains cherchent et produisent des connaissances. Il faut les laisser travailler et faire en sorte qu’ils soient indépendants, sous réserve qu’ils soient excellents. Il est facile de les repérer, car il existe une évaluation au niveau mondial. L’évaluation mondiale de nos universités et de nos formations de recherche devrait être la règle.

Dans le domaine de la recherche et des études, on peut avoir besoin de quelqu’un pour prendre des mesures et réaliser des tests. Ce n’est pas le domaine des chercheurs qui produisent les connaissances mais qui pourraient néanmoins conseiller, sur la méthode, des opérateurs qui s’en chargeraient. Ces opérateurs de la recherche pourraient être des fonctionnaires, ou des non fonctionnaires, pour autant qu’ils respectent le cahier des charges du programme. L’avantage serait de faire participer davantage de monde à la production de connaissances pratiques, sans que les personnes concernées aient le statut d’universitaires ou de chercheurs, et de décloisonner l’université et la société.

Les élus ont besoin d’expertise et ils ne la trouvent pas. Il leur faut accumuler le maximum de connaissances sur les facteurs de risque. Néanmoins il n’y a pas une personne ou un groupe de personnes qui soit capable de dire que telle chose est bien ou ne l’est pas car on est pleine gestion prévisionnelle des risques. Dans ce domaine, il faut pouvoir pondérer les avantages et les inconvénients pour la santé et l’environnement, et sortir du catastrophisme et du nihilisme. Un effort en matière de recherche, ainsi qu’un effort en matière d’études, qui associerait davantage de personnes, devraient favoriser l’émergence d’une nouvelle objectivité. On va ainsi pouvoir s’inscrire dans une stratégie d’investissement continu. Même si la commande d’une étude n’est pas suffisante à elle seule pour pouvoir régler tous les problèmes se posant lors de la prise de décisions, nous avons besoin d’une observation publique rigoureuse, à partir de laquelle les scientifiques vont pouvoir travailler et répondre aux questions qui se posent.

M. Alain Grimfeld a répondu à la question relative à l’application du principe de précaution, en indiquant que la mise en place d’un système d’observation permettra de disposer d’une masse critique de personnes, du citoyen au scientifique de haut niveau, lesquels pourront affirmer que, en fonction des données économiques et sociétales du moment, ils disposent ou non d’un niveau de preuve suffisant pour affirmer qu’il existe un risque, une probabilité suffisante d’un danger suffisamment grave et coûteux pour investir dans la précaution. On pourrait alors décider de mettre en application ce principe de précaution, par des mesures, et non par l’inhibition, en s’appuyant sur cette implication à tous les niveaux.

Le président Christian Jacob a demandé si les agences étaient des outils bien adaptés à une telle démarche.

M. Dominique Maraninchi a estimé que si, à chaque fois que l’on rencontrait un problème, on voulait le traiter par le biais d’une agence, le cloisonnement risquerait de s’aggraver. Il faut avoir du courage et faire en sorte que les agences travaillent ensemble.

Le site du CDC américain traite aussi bien du contrôle des maladies que d’environnement, du cancer ou des maladies respiratoires de l’enfant. Le rôle du CDC, qui travaille sous l’autorité du Congrès, est de faire en sorte de faire travailler les agences ensemble afin d’assurer un système de contrôle efficace des maladies. Il intègre d’ailleurs des informations citoyennes venant du fin fond du Nebraska, où l’on est capable d’observer et de signaler. Sans comparer le système français et le système américain, il faut bien reconnaître que cela correspond à un certain état d’esprit. Pour autant, il est normal qu’il y ait des agences, dans la mesure où elles éclairent un sujet dans sa globalité.

On devrait concentrer les collecteurs de données et les observateurs. Quand on pense que ce ne sont pas les mêmes personnes qui collectent l’air intérieur et l’air extérieur ! Il faut pouvoir consolider ces données. Une observation concentrée et puissante sous le contrôle de l’État, faisant davantage participer les collectivités et la société à travers diverses associations, permettrait déjà de faire baisser la pression, à condition toutefois, et c’est ce que le groupe préconise, de mettre en place des gros piliers d’observation et de recherche (par exemple, en décidant que l’agence nationale pour la recherche lance un programme santé-environnement sur une période suffisamment longue) et de financer les études dont la société peut avoir besoin, en recourant par exemple à des doctorants ou à des post-doctorants.

M. Alain Grimfeld est revenu sur l’opposition ville-campagne.

En effet, à chaque fois qu’il y a une concentration de risques, la probabilité de survenue d’une affection est plus grande. Pour autant, il existe d’autres risques dans d’autres endroits que les concentrations urbaines et il n’est absolument pas question d’abandonner les territoires extra-urbains. L’observation doit porter sur la ville comme sur la campagne.

M. Dominique Maraninchi a ajouté que la campagne pouvait recevoir l’air pollué de la ville, tout comme elle pouvait générer elle-même certaines pollutions.

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