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Compte rendu Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 6 novembre 2007

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

• Audition de Mme Françoise Vouillot, maître de conférences à l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP-CNAM) sur le thème femme et éducation

La Délégation a procédé à l’audition de Mme Françoise Vouillot, maître de conférences à l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP-CNAM) sur le thème femme et éducation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Vouillot d’avoir accepté d’être entendue par la Délégation après avoir précisé que chaque fois que l’on aborde la question de la place des femmes dans la société, on en revient aux problèmes d’éducation et d’orientation. On n’a pas assez insisté sur ce point lors du vote de la loi d’orientation sur l’avenir de l’école, en 2005, alors qu’il s’agit d’un préalable à toute évolution des mentalités.

C’est la raison pour laquelle la délégation a souhaité procéder à cette audition pour entendre une spécialiste des questions d’orientation, qui a également été chargée d’un certain nombre de missions et a participé à des comités de pilotage sur les questions d’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Françoise Vouillot a d’abord observé que la réflexion sur la division sexuée de l’orientation est une question politique car elle débouche finalement sur la répartition des femmes et des hommes dans la société. C’est, en outre, là, dans le monde politique que se trouvent les leviers pour agir.

L’INATOP forme des conseillers d’orientation-psychologues. Il est facile de constater que ceux-ci sont généralement peu sensibles aux questions d’égalité hommes-femmes. Par exemple, lors des congrès de l’Assemblée nationale des conseillers d’orientation-psychologues, ce thème n’est jamais abordé et il a fallu mettre en place au CNAM un module obligatoire pour en traiter.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité savoir comment s’expliquait cet état de fait.

Mme Françoise Vouillot a indiqué que la France, avec les États-Unis, avaient été pionniers sur les questions de l’orientation. Les premières expériences ont eu lieu dans les années 30, avec une optique progressiste : affecter la bonne personne au bon poste, dans un souci de rationalisation du travail et de productivité. Pour cela et afin de guider tant les recrutements que l’orientation, des instruments objectifs de mesure des goûts et des aptitudes ont été développés ; mais la problématique hommes-femmes n’a jamais surgi au sein de ces premières expériences.

Mme Claude Greff a observé que cela tenait peut-être à ce que le marché de l’emploi n’était pas aussi tendu qu’aujourd’hui.

Mme Françoise Vouillot a observé qu’effectivement les rapports se durcissent quand le marché du travail se resserre. Toutefois, dans ces années aussi, il y a eu des phases économiques difficiles. Par ailleurs, d’autres éléments entrent également en ligne de compte. Dans les années 50, dans les milieux ouvriers, une femme qui ne travaillait pas était un sujet de fierté pour sa famille car elle se rapprochait ainsi du modèle bourgeois.

Elle a ensuite ajouté, qu’elle venait d’assister à la soutenance d’une thèse sur la place des femmes dans l’enseignement qui faisait apparaître que le salaire des femmes, était encore perçu comme un salaire d’appoint.

Mme Catherine Quéré a souligné, qu’effectivement, il était toujours primordial que l’homme ait un bon salaire ; cela reste encore aujourd’hui moins important pour une femme.

Mme Françoise Vouillot a remarqué que ceci pourtant ne correspondait plus à la réalité économique : 90 % des familles monoparentales ont une femme à leur tête et dans bien des familles, deux salaires sont indispensables pour atteindre un niveau de vie correct.

Le décalage persiste entre la réalité sociale et économique et les représentations que l’on continue à en avoir. La France fait preuve de cécité à l’égard de l’inégalité des sexes dans la société. Ce schéma de pensée est d’ailleurs aussi véhiculé par un certain nombre de femmes.

En ce domaine, la loi est indispensable mais pas suffisante : on ne décrète pas l’égalité entre les hommes et les femmes. Dans les pratiques d’orientation, ne sait pas instituer une culture d’égalité ce qui est vrai aussi pour les autres intervenants du domaine de l’emploi.

Mme Catherine Quéré a souhaité savoir si les conseillers d’orientation étaient plutôt des hommes ou des femmes.

Mme Françoise Vouillot a précisé que, comme pour les autres métiers de l’Éducation nationale, celui-ci avait changé de sexe. Aujourd’hui, ces filières n’attirent plus les hommes. En outre, des métiers comme conseiller d’orientation psychologue, requièrent une formation en psychologie, or, ces étudiants sont à 80 % des jeunes femmes en raison des stéréotypes persistants selon lesquels les femmes sont plus aptes à l’aide et à l’écoute. De surcroît, les hommes étudiants en psychologie ne se spécialisent pas dans les masters professionnels qui préparent à la psychologie clinique ou aux métiers de l’éducation.

À l’INETOP sur vingt-deux étudiants aujourd’hui, il n’y a que trois garçons. Sur les cent-vingt des années précédentes, il n’y en avait que cinq.

Il ne faut pas perdre de vue qu’un jeune, quand il s’oriente vers une filière, va opérer une projection de lui-même en tant que femme ou en tant qu’homme. Un projet scolaire et professionnel est toujours une projection d’une image de soi et une affirmation identitaire. Or, tout le monde sait que ce sont en fait les éducateurs qui font pression pour opérer des choix d’orientation. Un adolescent va être d’abord préoccupé par les mutations qu’il est en train de traverser, dans un contexte où les normes d’hétérosexualité sont encore très présentes. 36 % des garçons de troisième sont orientés vers des CAP ou des BEP (et 27 % des filles) avec les conséquences très lourdes qu’implique cette orientation compte tenu des rigidités du système et du manque de passerelle entre les formations. Et dans ces métiers, le marquage du genre est très prégnant : ce sont des métiers fortement sexués.

À ce moment de l’adolescence, il est tellement important pour le jeune de s’identifier comme fille ou garçon qu’il va instrumentaliser son choix d’orientation en vue d’affirmer son identité. Ceci explique la résistance pour un garçon par exemple à se projeter dans un métier féminin.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité savoir quel était le rôle de l’orientateur, des enseignants et des parents et l’influence qu’ils peuvent avoir.

Mme Françoise Vouillot a observé que les normes du masculin et du féminin sont encore très présentes dans la société comme le montre par exemple le concept développé aujourd’hui de « gender marketing ». Il s’agit de vendre les mêmes produits aux hommes et aux femmes mais en les adaptant à leur genre masculin ou féminin, en jouant sur la couleur ou sur la forme.

Faire évoluer ces stéréotypes suppose d’agir au niveau de la formation. Tant que l’on ne formera pas les personnels de l’Éducation nationale à la problématique de l’égalité, dans le cadre de leur formation initiale, on ne trouvera jamais que des individus engagés localement sur cet objectif, sans pouvoir parvenir à faire réellement évoluer les choses. Il faut s’adresser aux conseillers d’orientation, aux personnels administratifs, aux conseillers d’éducation mais aussi aux inspecteurs et aux chefs d’établissement. Tous devraient être formés obligatoirement et de façon conséquente sur ces sujets pour qu’ils réfléchissent à leur sexisme, sexisme développé généralement par simple passivité.

De nombreuses recherches ont montré que les enseignants ont des interactions plus importantes avec les garçons ou les filles selon les matières dont ils traitent. Or, les enseignants ne peuvent généralement imaginer qu’ils génèrent sans le vouloir des inégalités. Lorsque les conseillers d’orientation, par exemple, font des séances d’information collectives pour présenter les filières, ils s’adressent selon les cas soit aux garçons, soit aux filles. Dans ce contexte, il est impossible que les adolescents puissent s’affranchir d’une vision sexuée des professions. La difficulté est d’ailleurs particulièrement grande pour les garçons : s’engager dans une filière perçue comme féminine reste impensable, et même risqué, car ils ne sont plus considérés par leurs pairs comme des garçons. C’est un combat pour les filles mais également pour les garçons. Toute évolution devra donc nécessairement passer par l’obligation de voir cette question du côté des garçons et de ne pas se limiter à la question de l’orientation des filles vers des filières dites masculines.

On commence à sentir une évolution sémantique dans la convention interministérielle de 2006 sur l’égalité des chances et c’est un premier progrès. La vraie avancée aura lieu quand on s’inquiètera de l’absence totale de garçons dans certaines filières considérées comme féminines. Tant qu’il en sera ainsi et que l’on ne se préoccupera pas du fait que la division sexuée de l’orientation touche aussi les choix des garçons, on ne pourra que regretter l’impuissance programmée des politiques à produire du changement et a modifier la réalité de l’orientation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que dans nos stéréotypes la femme est plus dévolue aux tâches de soins que les hommes.

Mme Françoise Vouillot a observé qu’au sein de la famille subsistait un partage des tâches domestiques opéré au prétexte de la maternité. Françoise Héritier a dénoncé dans un ouvrage « Masculin-Féminin : dissoudre la hiérarchie » la double injustice faite aux femmes qui assument à 80 % les conséquences de la maternité et pour lesquelles s’ajoutent les discriminations qui en découlent dans le monde du travail.

Aujourd’hui, les choses s’aggravent de ce point de vue sans que les femmes en soient pleinement conscientes car cette situation au sein de la famille leur assure une reconnaissance dans un domaine qui est valorisé par la société.

Pour en revenir à l’Éducation nationale, la formation sur l’égalité hommes-femmes devrait y être obligatoire. La convention de 2000 préconisait la création dans les UIFM de modules de 12 heures consacrés à cette question qui n’ont jamais été mis en place de façon systématique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que la loi d’orientation et de programme sur l’école votée en 2005 aurait dû l’imposer.

Mme Martine Martinel a précisé que le module obligatoire de ce type qui avait été créé à l’IUFM de Toulouse était également l’un des plus décriés et désertés par les étudiants qui affirmaient vouloir travailler sur les savoirs et non sur les comportements.

Elle a ensuite précisé que les métiers de soins étaient certes peu investis par les garçons mais seulement en ce qui concerne les tâches et les salaires les plus modestes. Ce n’est pas le cas pour les fonctions d’encadrement dans le secteur de la santé.

Mme Françoise Vouillot s’est interrogée sur les personnes en mesure de procéder à ces formations visant à faire travailler les enseignants sur leurs propres perceptions. Il faut organiser la formation des formateurs en dégageant les moyens nécessaires et sensibiliser les directeurs d’IUFM à ces questions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé les difficultés qui ont présidé à la mise en place des cours d’éducation sexuelles avec lequel on peut dresser une analogie. Toutes les inégalités hommes-femmes trouvent leur racine dans ces problèmes éducatifs. Tant qu’ils ne seront pas réglés, les textes seront inutiles. Or, des responsables politiques ne s’emparent pas de ce sujet. Personne n’est capable de le porter c’est-à-dire de permettre d’intervenir suffisamment en amont pour en éviter les conséquences.

Elle a ensuite souhaité savoir s’il n’y avait pas dans l’enseignement privé des expérimentations dont on pourrait s’inspirer.

Mme Françoise Vouillot a observé qu’il ne lui semblait pas que dans le monde politique il y est une majorité de personne pour qui cela constitue un sujet majeur.

Mme Catherine Quéré a souligné que les élus aussi devaient prendre conscience de la nécessité d’agir et de se saisir de ces problèmes et a remercié madame Françoise Vouillot de la prise de conscience qu’elle participait à opérer en venant devant la Délégation.

Mme Françoise Vouillot a indiqué que depuis quelques années, l’Académie de Créteil avait, dans le cadre de la formation in situ auprès des chefs d’établissement, mis en place un module de trois heures sur ces questions. Mais ces sujets sont difficiles à diffuser. On invoque toujours des questions plus graves comme celle de l’échec scolaire. Or, de nombreuses questions devraient être analysés autrement pour faire jouer de nouveaux leviers, l’échec scolaire y compris. Par exemple, la violence des garçons défavorisés en milieu scolaire relève aussi pour partie de ces problématiques de l’égalité et de la construction de l’identité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a insisté sur la nécessité de rendre cette question visible et de lui donner un écho dans les média en ciblant précisément les journaux auxquels on s’adresse, car c’est un point fondamental pour comprendre pourquoi aujourd’hui on en est toujours au même point en matière d’égalité professionnelle.

En outre, le concept d’inégalité hommes-femmes est désormais trop souvent occulté par celui de la diversité qui sous-entend un regard sur les femmes en tant que minorité. Cela aussi relève de l’éducation.

Mme Catherine Quéré a remarqué qu’il ne fallait pas seulement prendre comme cibles les journaux féminins mais aussi opérer une prise de conscience des hommes.

Mme Françoise Vouillot a insisté sur le relais que constitue la presse quotidienne régionale. Cependant, les actions en faveur de l’égalité hommes-femmes ne pourront être efficaces que si elles sont d’abord regardées comme légitimes et on constate, quand on procède à des enseignements sur ces questions, que se produit une prise de conscience manifeste.

Mme Catherine Quéré s’est interrogée sur le caractère indispensable ou non d’un ministère du droit des femmes.

Mme Françoise Vouillot a précisé que tout dépendait de l’objectif poursuivi par ce ministère. Son existence est utile pour rendre la question des femmes visible, mais il doit aussi disposer des moyens nécessaires à son action, de façon à pouvoir peser sur les décisions et faire que les hommes se sentent concernés.

La France est un pays particulier, il ne faut pas l’oublier. C’est un pays où l’on n’emploie pas le terme de féminisme. Or, les situations n’évoluent pas comme le montrent les statistiques de l’INSEE sur la répartition du travail domestique au sein de la famille.

Il ne faut pas oublier enfin, que par le biais de l’école, on peut également agir sur les parents, lors des réunions d’orientation par exemple.

Mme Martine Martinel a rappelé que les pères ne représentent que 5 % des parents qui viennent aux réunions.

Mme Françoise Vouillot a relevé que dans la transmission des normes au sein de la famille, les pères avaient une influence très importante. Ils ont un rôle particulièrement puissant dans la construction de l’identité masculine des petits garçons.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Françoise Vouillot.