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Compte rendu Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 27 novembre 2007

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann Présidente

• Audition de Mme Annette Wieviorka, directrice de recherche au CNRS 2

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Annette Wieviorka, directrice de recherche au CNRS, auteur du rapport du Conseil économique et social : Quelle place pour les femmes dans l’histoire enseignée ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Annette Wieviorka d’avoir répondu à l’invitation de la Délégation aux droits des femmes. Elle a ensuite souligné qu’une large part des difficultés rencontrées par les femmes tient à l’éducation qui est dispensée, de la maternelle à l’université. Mme Annette Wieviorka, historienne et directrice de recherche au CNRS, ayant été l’auteur d’une étude du Conseil économique et social, intitulée : « Quelle place pour les femmes dans l’histoire enseignée ? », la délégation a souhaité la recevoir pour évoquer, avec elle cette question.

Mme Annette Wieviorka a précisé que tout en étant l’auteur de cette étude, elle n’était pas une chercheuse spécialisée dans l’histoire des femmes, dans ce qu’on appelle aujourd’hui « le genre », c’est-à-dire la construction sexuée de l’histoire.

À ce propos, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, lui a demandé s’il n’était pas possible d’utiliser un autre terme que « genre », peu évocateur en français.

Mme Annette Wieviorka a observé que l’on n’avait pas trouvé réellement d’autre solution que la traduction du terme anglo-saxon « Gender », tiré lui-même des « Gender studies ».

Elle a ensuite indiqué que pour la réalisation de l’étude du CES, il avait été fait appel à ses compétences d’historienne, catégorie peu représentée au Conseil économique et social. Elle-même, sur ces questions, s’est fait le médiateur du travail effectué par ses collègues, Michelle Perrot et d’autres, comme Christine Barre et Michelle Zancarini-Fournel.

Il s’agissait d’apprécier la place et la représentation de la femme dans l’histoire enseignée, c’est-à-dire non pas dans l’histoire, mais dans ce que l’on enseigne de l’histoire. Le sujet est complexe parce que, ce que l’on a longtemps enseigné en histoire, se limitait à une histoire politique dont les femmes sont absentes. Par exemple, lors du procès de Nuremberg, tous les accusés sont des hommes, les procureurs et les juges sont des hommes, à part quelques sténographes et deux femmes témoins : la secrétaire de von Ribbentropp et Marie-Claude Vaillant-Couturier. De même dans l’histoire militaire, on ne rencontre jamais de femmes.

On ne trouve donc pas de femmes dans l’histoire enseignée, du moins jusqu’au Front populaire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a fait valoir que, pendant la Première guerre mondiale, les femmes, pourtant, allaient à l’usine pendant que les hommes étaient au front.

Mme Annette Wieviorka a reconnu que l’écriture d’une autre histoire, économique et sociale, permettait d’y réintégrer les femmes. D’ailleurs, Michelle Perrot à l’origine est une chercheuse en histoire sociale. Reste que l’histoire politique a primé pendant très longtemps, et prime encore.

Les historiens et les historiennes de la Gender history ont pensé qu’introduire le genre en histoire, conduirait à une révolution historiographique. Or, celle-ci n’a pas eu lieu, et l’on a continué à faire de l’histoire comme auparavant.

La question est donc de savoir comment rendre visible la part des femmes dans l’histoire ? Pour faire l’histoire des femmes, il faut d’abord en trouver les sources. Or, dans les sources classiques, il n’y a pas de femmes. Il faut donc créer des endroits où les femmes puissent déposer leurs archives et ouvrir les moyens de les consulter en les distinguant des archives en général.

Des femmes se sont préoccupées de cette question et ont créé la bibliothèque Marguerite Durand, à Paris. Par ailleurs, Christine Barre a créé à Angers les archives du féminisme. C’est une entreprise assez ambitieuse. On y trouve, notamment, les archives de Cécile Brunschvicg, sous-secrétaire d’État au temps de Léon Blum et militante féministe du parti radical.

Une fois posée la question des sources et des archives, se pose une autre question : comment faire pour que cette histoire s’écrive, passe dans l’enseignement supérieur et soit enseignée aux professeurs du secondaire ?

On a souvent tendance à se défausser sur ces enseignants, auxquels on demande d’enseigner l’histoire de la colonisation, l’histoire des femmes ou le génocide juif, alors qu’on ne les a pas formés sur ces sujets, et sans même se préoccuper au préalable de l’écriture de cette histoire. Les enseignants sont des vulgarisateurs : ils médiatisent, au bon sens du terme, une connaissance qu’ils ont trouvée ailleurs. La première condition est donc de s’assurer de la possibilité d’écrire cette histoire.

Or, au niveau universitaire, il faut bien reconnaître que l’enseignement de l’histoire des femmes n’existe pratiquement pas. Certaines enseignantes sont regroupées dans une association, « Mnémosine », qui publie la revue Clio. Toutes ces collègues de l’enseignement supérieur enseignent, mais elles n’enseignent pas l’histoire des femmes.

Des travaux existent cependant, comme ceux de Fabrice Virgile, qui est un spécialiste du « genre », sur les femmes « tondues » à la libération. Avec François Rouquet et Danielle Wolmann, il est à l’origine de l’exposition qu’on peut voir aux Invalides, autour du thème : « Amour, sexe et guerre ». Cela montre que pour réintroduire les femmes dans l’histoire, il faut introduire de nouveaux objets d’histoire. Dans une histoire de la guerre uniquement militaire, il n’y a pas de femmes. Pour les faire apparaître, il faut faire, une histoire de l’arrière, de l’industrie en temps de guerre, ou une histoire du sentiment, de l’amour et du sexe.

Mme la Présidente a approuvé et Mme Catherine Coutelle en a conclu qu’il fallait changer de point de vue.

Mme Annette Wieviorka a fait remarquer que bien que se considérant comme féministe, depuis son adolescence, elle n’avait, que récemment, pris conscience de cette question liée à l’histoire et a reconnu ne pas avoir perçu les stéréotypes que l’on peut soi-même produire.

Quand on examine cette question, on se rend compte que la place des femmes dans l’histoire enseignée à l’école primaire, au collège et au lycée est extrêmement ténue. En dehors de très grands personnages, comme Jeanne d’Arc par exemple, on n’y trouve pratiquement pas de figures de femmes. En travaillant sur les manuels, on observe même un recul. Le livre « Mme Curie », écrit par sa fille, a été lu et relu par les générations précédentes, qui voyaient en elle un modèle. C’est moins le cas aujourd’hui. On voit néanmoins apparaître d’autres modèles de femmes dans l’histoire contemporaine. C’est le cas de Simone Veil, non seulement en tant que résistante, mais aussi comme femme politique.

À Mme Martine Martinel qui a avancé le nom de Lucie Aubrac, Mme Annette Wieviorka a répondu que celle-ci était connue comme résistante, mais qu’elle n’avait pas joué de rôle politique, même si elle avait assumé publiquement le fait qu’elle était une femme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé les propositions adoptées par la Délégation aux droits des femmes du CES à l’issue de l’étude de Mme Annette Wieviorka :

• améliorer la visibilité et la collecte des archives :

– en incitant les associations féminines ou féministes à rassembler et à déposer leurs archives et les conservateurs à trier dans les fonds d’archives celles qui concernent spécifiquement les femmes ;

– en favorisant la création de guides et d’inventaires et en informant les futurs enseignants en histoire dans le cadre des IUFM ;

• prendre en compte l’histoire des femmes dans l’enseignement universitaire et la recherche :

– en favorisant l’intégration de l’histoire des femmes et du genre dans les différentes périodes historiques et en créant des postes fléchés d’histoire ou des femmes ou du genre ;

– en familiarisant chaque étudiant d’histoire à cette problématique par le biais d’une unité d’enseignement et en l’intégrant dans les questions mises aux concours de l’enseignement en histoire géographie ;

– en l’abordant dans les IUFM ;

• accroître la présence de l’histoire des femmes dans l’enseignement primaire et secondaire :

– en veillant à ce que les programmes lui fassent une place plus large et en faisant procéder par l’inspection générale de l’histoire à un bilan des pratiques en classe ;

– en incitant les éditeurs à tenir compte, dans les manuels, de la manière dont l’histoire des femmes et du genre a changé l’interprétation de l’histoire et en encourageant par des subventions l’élaboration d’outils facilitant cette prise en compte.

– en créant un haut conseil chargé de la lecture des manuels scolaires, qui veillera, notamment, à ce que les manuels scolaires donnent une image plus équilibrée de la place respective des hommes et des femmes dans l’histoire ;

– en distribuant dans les établissements scolaires, par l’intermédiaire du centre de documentation et d’information, des ouvrages permettant une meilleure introduction de l’histoire des femmes dans l’enseignement de l’histoire aux élèves et en incitant à la publication par le centre national et les centres régionaux de documentations pédagogiques ;

– enfin, en consacrant, lors de la journée internationale de la femme, le 8 mars, un temps sur la nature de cette journée dans tous les lieux d’enseignement pour dresser le portrait historique d’une femme.

Mme Annette Wievorka a précisé que tous les groupes représentés au CES avaient approuvées ces propositions même si des discussions très vives ont eu lieu sur ce qu’était le féminisme. Il faut d’ailleurs préciser qu’il ne s’agissait que d’une « étude ». En effet, la Délégation aux droits des femmes du CES, ne peut établir de rapport ni émettre des avis qui seraient soumis à l’Assemblée plémière. Ce fut malgré tout la première étude à être imprimée, ce qui est important. L’étude, pourtant très intéressante, de Monique Mitrani et de Geneviève Couraud : A partir de la mixité à l’école, construire l’égalité", ne l’avait pas été.

Mme Catherine Coutelle s’est demandé si ces propositions avaient été suivies d’effet.

Mme Annette Wieviorka a répondu que non et que personne n’avait été dupe.

Il existe deux écoles, parmi ceux qui estiment qu’il faut parvenir à l’égalité entre hommes et femmes. Certains disent qu’il faut changer les mentalités et que ce sera long. Les autres disent qu’il faut prendre des mesures coercitives, comme la parité. On ne peut pas attendre que les mentalités changent toutes seules, il faut aussi regarder dans quels lieux on peut les faire évoluer. A partir du moment où l’on respecte la démocratie, on doit respecter aussi la vie privée et ne pas se mêler de ce qui se passe dans les familles. En revanche, l’école peut-être utilisée comme relais, s’il y a une vraie volonté politique. Sans cette volonté politique, c’est impossible.

Par ailleurs, on a trop souvent le sentiment, s’agissant des questions de femmes, que tout est déjà réglé, alors que si on y regarde de plus près, on constate aujourd’hui plutôt un recul qu’un progrès.

Mme Catherine Coutelle a avancé l’idée que peut-être les nouvelles générations voyaient le féminisme tel qu’il a été vécu, un peu vindicatif et excessif, et considéraient qu’il n’avait plus lieu d’être parce que le problème ne se posait plus.

Mme Annette Wieviorka a souligné l’importance de deux victoires, au-delà de l’égalité politique : la maîtrise par les femmes de leur fécondité et leur insertion dans le marché du travail. Aucune jeune fille aujourd’hui n’envisage de ne pas avoir de vie professionnelle.

Mme Catherine Coutelle a regretté qu’on soit cependant encore loin du compte en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Il y a peu de femmes aux postes de responsabilités et si les femmes sont majoritairement entrées dans le monde du travail, elles n’y occupent pas une place égale à celle des hommes. Il reste des combats à mener contre cette inégalité. Pour cela, il faut avoir conscience des problèmes et disposer d’un corpus de savoir. On ne peut pas demander aux enseignants d’enseigner tel ou tel sujet si on ne le leur fournit pas. Ce qui est vrai pour l’histoire des femmes l’est aussi pour l’histoire des sciences, qui est mal enseignée.

Plus généralement, on s’est surtout consacré à l’histoire politique, puis à l’histoire sociale et économique. Il faut fournir aux enseignants les contenus appropriés et ne pas les culpabiliser. C’est l’université qui peut faire bouger les choses. C’est donc là qu’il faut agir, pour passer de la recherche à l’histoire enseignée.

Mme Annette Wierviorka a soulevé la question des jurys de concours par rapport aux règles de parité. Aujourd’hui, si l’on recrute un ingénieur ATOSS ou un ingénieur de recherche, le jury est paritaire. Ce n’est pas le cas pour les concours de l’agrégation dans l’enseignement supérieur. Il faudrait se pencher sur cette exception.

Mme Catherine Coutelle a suggéré de faire voter un amendement pour y remédier.

Mme Annette Wieviorka a insisté sur le fait qu’en droit et en sciences économiques, les jurys d’agrégation sont masculins. Personne ne fait l’effort de les féminiser et l’on prétend, à tort, qu’il n’y aurait pas de vivier.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a évoqué le cas de la nomination d’un directeur au CNRS. Le ministre avait alors avancé que la cause était perdue d’avance, car il n’y avait pas de vivier de femmes susceptibles d’être nommées, ce qui n’était pas le cas.

Mme Annette Wieviorka lui a répondu que le vivier existait, mais que c’était une question d’hommes entre eux. Dans l’enseignement, la méritocratie républicaine joue jusqu’au lycée puis les concours sont anonymes. Même si, à l’oral, il peut y avoir du sexisme, on peut dire que les enseignants du secondaire sont recrutés selon leurs compétences. Dans l’enseignement supérieur et au CNRS, on ne peut plus parler de concours, mais de cooptation de fait.

Elle a par ailleurs précisé qu’elle préside une association appelée « Une cité pour les Archives nationales », dont l’objectif est d’inciter les pouvoirs publics à s’occuper davantage et mieux des archives. Ce projet va finalement voir le jour. Cette cité sera construite à Pierrefitte, en Seine-Saint-Denis grâce à l’appui de certains élus. Le terrain a été choisi à côté de l’Université de Paris VIII et le projet « sanctuarisé » par le ministère de la culture, avec une femme directrice des Archives de France et une femme directrice des Archives nationales…