Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la délégation aux droits des femmes

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Compte rendu Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 3 juin 2008

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann Présidente

– Audition de M. Alain Parant, chercheur à l’Institut des études démographiques (INED) 2

– Audition de Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO, de Mmes Valérie Chartier et Sandra Mitterand, assistantes confédérales, de M. Gérard Rivère, assistant confédéral, administrateur de la CNAV 21

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de M. Alain Parant, chercheur à l’Institut des études démographiques (INED).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que M. Parant, chercheur à l’Institut national d’études démographiques ( INED) travaille sur le vieillissement démographique et a participé à un essai de prospective sur les retraites en France à l’horizon 2040. La délégation aimerait donc savoir quels sont les enjeux des évolutions démographiques pour la question des retraites.

M. Alain Parant a observé, au préalable, qu’il pratique « le catastrophisme éclairé » c’est-à-dire un optimisme convaincu et volontaire : envisager le pire pour faire en sorte qu’il ne se produise pas.

La France doit faire face à un vieillissement très important de la population, à tel point que l’on a pu parler de « tsunami » de population âgée dépendante. En même temps, les prochaines décennies seront fortement marquées par la progression de la population féminine dans la population totale, comme dans la population d’âge actif, sans que les possibilités de sortie de la vie active ne leur soient très favorables.

M. Alain Parant a ensuite commenté un certain nombre de graphiques :

France métropolitaine, 2008 Pyramide des âges (Estimation au 1er janvier). Source : Insee, 2008

La pyramide des âges montre que le vieillissement va s’accentuer, indépendamment des nouvelles naissances dans les prochaines années, car le corps central, qui est le plus important, va monter dans les âges élevés.

La dynamique des populations résulte de la fécondité, de la mortalité et des mouvements migratoires. L’étroitesse de la base s’explique par la faiblesse de ces générations puisque, depuis 1975, l’on dénombre chaque année environ 750 000 naissances, contre 850 000 de 1946 à 1974. Le haut de la pyramide correspond à des générations moins nombreuses et plus longtemps exposées au risque de décéder. La migration est plutôt caractérisée par l’arrivée de jeunes adultes qui ont des enfants – que l’on retrouve à la base – et qui, souvent, vieillissent en France – on les retrouve donc aussi au sommet.

Premier constat : 2001 était le meilleur moment pour créer l’APA car elle ne coûtait alors pas cher, dans la mesure où il n’y a eu que 440 000 naissances pendant la guerre de 1914-1918. Le nombre des naissances passant ensuite à 850 000 par an. L’APA concerne de fait aujourd’hui des personnes de plus de 85 ans, ce qui correspond à l’âge moyen d’entrée en institution. Cette allocation a été une décision importante, mais ne pas avoir prévu son financement à long terme a été une faute.

La dissymétrie du graphique provient du fait que, s’il naît plus de garçons que de filles, les probabilités de décéder sont, à chaque âge, supérieures pour les hommes : dans la tranche 81-85 ans, on compte quatre femmes pour un homme, contre 105 garçons pour 100 filles à la naissance. À 50 ans, il y a autant d’hommes que de femmes.

Communauté européenne, 2003. Pyramide des âges. Source : Observatoire démographique européen

Par rapport à la pyramide des âges française, la base européenne, à quinze ou à vingt-cinq ans, est nettement plus étroite. Elle traduit une fécondité beaucoup plus basse depuis une trentaine d’années en Allemagne, en Italie et en Espagne, pays qui comptent beaucoup en raison de leur nombre élevé d’habitants. L’arrivée des dix nouveaux États membres a peu modifié la pyramide.

France métropolitaine, 1967-2007
Pyramides des âges comparées
(pour 10 000 personnes au total dans chaque population au 1erjanvier)
Source : Insee

Les jeunes nés en 1967 sont devenus adultes en 2007 et seront âgés dans quarante ans. En 2007 moins de jeunes entrant sur le marché du travail, il devrait y avoir moins de chômage. Compte tenu de son taux d’emploi, la France a des réserves de main-d’œuvre jusqu’en 2050. Elle n’est pas obligée d’ouvrir ses frontières pour des raisons de main d’œuvre. Par quotas ou choisie, l’immigration est une double réponse positive à une question qui ne se pose pas.

France métropolitaine, 2005-2050. Population âgée de 60 ans ou plus, 80 ans ou plus et 90 ans
ou plus selon deux variantes extrêmes de vieillissement

Source : Insee, Projections de population de la France métropolitaine, 2006

Selon ces courbes, le nombre de personnes de plus de 60 ans passerait, entre 2008 et 2050 :de 12,6  à 22 millions, celui des plus de 80 ans : de 2,7 millions à 6 ou 8 millions, celui des plus de 90 ans : de 500 000 à 2 millions.

France métropolitaine, 2005-2050 Indice d’évolution des populations âgées de 60 ans ou plus, 80 ans ou plus et 90 ans ou plus, selon deux variantes extrêmes de vieillissement

Source : Insee, Projections de population pour la France métropolitaine, 2006

Trois dates ont été envisagées : 2015, 2030 et 2050. Plus l’indice d’évolution des personnes âgées est élevé, plus la croissance du groupe d’âge est importante. Pour les populations âgées de 90 ans ou plus, l’indice peut être multiplié par 2,5 ou par presque 6, selon que l’on est ou non optimiste quant à l’évolution de la mortalité. Le taux le plus élevé correspond à l’hypothèse du maintien du taux de mortalité actuel conjugué à une baisse de la fécondité et à une immigration réduite à 50 000 entrées nettes chaque année.

Ces diagrammes sont des projections démographiques. Ils n’indiquent pas ce qui se passera. Il revient aux politiques d’adapter les dispositifs en fonction des priorités des français. Pour que la fécondité soit en moyenne de 2,1 enfants par femme – ou même pour qu’elle reste à 1,9 – il faudrait investir fortement dans la politique familiale et favoriser la conciliation de la vie familiale et professionnelle.

Si l’on veut augmenter l’espérance de vie à la naissance, il faut non seulement investir dans le curatif mais aussi renforcer la lutte contre les inégalités sociales. Avec 5 à 7 millions de personnes en âge de travailler dans une situation de pauvreté-précarité, l’espérance de vie pourrait augmenter moins vite qu’on ne le pense. Aujourd’hui les nonagénaires et les centenaires sont « sélectionnés » par la nature, demain, ils le seront par la médecine. Cela ne fait pas les mêmes personnes âgées. Elles auront besoin d’être assistées, ce qui entraîne un coût et le risque d’une médecine à deux vitesses. Les réserves de survie sont à rechercher dans la médecine : protocoles chirurgicaux, recherche, toutes choses qui coûtent très cher, beaucoup plus que la vaccination ou l’hygiène. Qui pourra payer ? Si des travailleurs actifs salariés peuvent faire face à leurs cotisations sociales, avoir une mutuelle et, éventuellement, une assurance dépendance, à l’opposé, 5 et 7 autres millions de personnes se demandent ce que sera leur avenir immédiat. En 2003, un peu plus de 10 % des assurés sociaux hors CMU avaient renoncé à un soin de première nécessité. La CMU, régime qu’on voulait complémentaire, concerne 6 millions de Français. Mais la situation de toute la partie de la population qui se situe juste au-dessus n’est pas non plus très favorable.

France métropolitaine, 2005-2050 Avance en âge de la tête de pont du baby-boom
Populations âgées de 60 ans et de 60 ans ou plus

Source : Insee, Projections de population pour la France métropolitaine, 2006

Ce graphique montre que vers 2020 on est à l’équilibre : l’augmentation de la population des 60 ans et plus sera égale à la croissance observée sur le nombre de personnes fêtant leur soixantième anniversaire. Le choc démographique tient à l’avancement en âge des premières générations du baby-boom, qui s’accroissent de 200 000 personnes par an depuis 2006, mais ceci par rapport à un ensemble de 12 millions de personnes. Le poids de ces générations ne se fera donc pas sentir avant 2020.

France métropolitaine, 2005-2050 Avance en âge de la tête de pont du baby-boom
Populations âgées de 80 ans et de 80 ans ou plus

Source : Insee, Projections de population pour la France métropolitaine, 2006

Ce graphique donne les mêmes indications que le précédent mais pour les populations âgées de 80 ans et 80 ans ou plus. On voit qu’il n’y aura pratiquement pas d’augmentation du nombre de personnes qui fêteront leurs 80 ans jusqu’en 2020, mais la population, âgée de 80 ans ou plus aura quant à elle augmenté de quasiment 50 %. Or, c’est à cet âge que commence la dépendance.

France métropolitaine, 2005-2050 Avance en âge de la tête de pont du baby-boom
Populations âgées de 90 ans et de 90 ans ou plus

Source : Insee, Projections de population pour la France métropolitaine, 2006

En 2020, les effectifs des personnes qui fêteront leurs 90 ans commenceront à augmenter, avec l’arrivée dans cette classe d’âge de celles qui sont nés après la Seconde guerre mondiale. La population âgée de 90 ans ou plus aura pratiquement doublé et l’on aura à faire face à la fois à des dépenses de retraite, de santé et, très vraisemblablement, de dépendance.

Se dire que l’on a le temps de prendre en compte le phénomène de la dépendance est une erreur de calcul. Le « tsunami » des personnes âgées est tout proche. Après 2030, c’est-à-dire à l’arrivée des premières générations du baby-boom dans les âges de la grande dépendance, la population âgée de 90 ans ou plus aura été multipliée par trois.

France métropolitaine, 2007-2050 Pyramides des âges estimées et projetées selon deux variantes extrêmes de vieillissement (pour 10 000 personnes au total dans chaque population au 1er janvier)

Source : Projections de population pour la France métropolitaine, Insee, 2006

Si les populations âgées et très âgées augmentent plus vite que plus jeunes, il s’ensuit un vieillissement démographique. Les pyramides verte et rouge sont celles que l’on pourrait observer en 2050 selon deux combinaisons d’hypothèses. Le vieillissement démographique, disait Alfred Sauvy, n’est pas une maladie, à condition de se placer dans la situation d’y faire face et de s’y adapter. Le vieillissement sera plus ou moins prononcé selon la façon dont on le gérera et sera porteur de conséquences plus ou moins graves selon qu’on aura anticipé plus ou moins tôt la situation.

Union européenne (UE 15), 1995-2045 Ajustements à opérer en matière de retraite pour compenser l’effet du vieillissement selon la projection centrale d’Eurostat. Source : ODE/Futuribles

Ce tableau résume une étude réalisée en 1995 sur les ajustements à opérer en matière de retraites pour compenser l’effet du vieillissement. Quatre leviers étaient envisagés pour maintenir le système de retraite actuel.

Dans la première solution, ce sont les actifs qui paient tout. Dans la deuxième, ce sont les retraités qui prennent tout le choc du vieillissement démographique.

On peut, bien sûr, imaginer de faire jouer chacun des quatre leviers pour une part. En tout cas, cela montre l’impact du vieillissement démographique sur la protection sociale. Mais le vieillissement démographique amènera aussi un vieillissement du corps électoral, ce qui pèsera sur les arbitrages : les retraités voteront pour le candidat qui présentera un programme politique qui leur sera, sinon favorable, en tout cas le moins défavorable possible.

France, 2006-2050 Ratio cotisants/retraités du système de retraites
selon variantes démographiques et économiques.
Source : COR, 2007

Cette étude du COR donne à peu près les mêmes résultats que la précédente, alors qu’elle a été réalisée sur des hypothèses démographiques et économiques beaucoup plus optimistes. Entre 2006 et 2050, le ratio cotisants/retraités passerait de 1,8 à 1,2. Cela signifie que pour 100 retraités, le nombre d’actifs cotisants diminuerait de 180 à 120 ; la charge sur chacun augmentant d’autant.

France, 2006-2050 Besoin de financement du système de retraites

selon variantes démographiques et économiques. Source : COR, 2007

Entre 2006 et 2050, le déficit du régime général de la sécurité sociale passerait de quelque 4,5 milliards d’euros à 90 milliards, voire 110 milliards d’euros ; la différence entre les deux chiffres dépendant de l’allongement de la durée de la vie. Les dépenses de retraite sont très concentrées selon l’âge : si la durée de vie augmente, un nombre plus grand de personnes arrive à la retraite et ceux qui y sont y séjournent plus longtemps. Sans être cynique, on ne peut pas investir pour que la durée de vie augmente et ne pas tirer la leçon qu’une durée de vie plus longue nécessite une adaptation du système, sous peine d’implosion.


- 2020

§ plus de 2 points de PIB sous l’effet

* du vieillissement (1 point)

* de la dépendance (0,3)

* de la croissance de la population totale (0,3)

* du progrès technique

- 2050

§ de 5 à 6 points pour santé + dépendance

§ (et plus de 3 points pour la retraite)

- Incertitudes sur la morbidité

- Incertitude sur la disponibilité des aidants

France, 2000-2050 Le coût de la maladie et de la dépendance. Source : CNAM, 2007

À l’horizon 2050, le coût de la santé et de la dépendance qui représente déjà 11 % du PIB, pèserait 5 à 6 points de plus : abstraction faite de l’accroissement des dépenses de santé des plus jeunes, ce sont près de 7 points de PIB supplémentaires que coûteront les personnes âgées du seul fait du vieillissement démographique.

On peut sans doute être moins pessimiste qu’hier : jusqu’à présent, la population ne voulait pas entendre parler de vieillissement, et les politiques s’y refusaient plus encore. La France est le seul pays développé qui continue à pratiquer les cessations anticipées d’activité : 700 000 personnes sont parties en préretraite l’an dernier. Quand un système est supprimé, un autre est mis en place. Les discours et la pratique sont totalement déconnectés. Cela étant, une évolution se fait jour  et le moment est venu de parler vrai. Encore faut-il s’entendre sur un diagnostic partagé par le plus grand nombre.

La réforme des retraites en Suède a été proposée au gouvernement par l’équivalent d’une coalition qui aurait réuni, en 1995 en France, Jacques Chirac et Georges Marchais. Le projet n’était pas anodin : tout remettre à plat et prélever 18,5 % sur tous les revenus y compris ceux du capital, alors qu’on n’aurait eu besoin de ne prélever que 16,5 %, le tout dans une économie sociale de marché prônant le système par répartition. Pourquoi prélève-t-on deux points de plus que nécessaire ? Simplement pour passer à l’action. On n’est plus dans le dogme de l’un ou de l’autre. On s’entend parce qu’on a compris qu’on ne peut pas s’en sortir autrement.

Les élus locaux, eux, sont très conscients de la situation. En gelant tous les autres budgets, il faudrait qu’ils augmentent de 20 à 25 % la fiscalité locale rien que pour financer l’APA. La solution de créer un cinquième risque, financé par l’État signifie que l’on envoie la balle ailleurs.

Face à l’étendue des besoins, il faudra privilégier toutes les pistes : assurances – dans les entreprises ou en dehors – mutuelles, prévoyance, CSG. La dépendance est aussi un risque de santé. Dès lors, pourquoi la traiter différemment de la maladie ? Pourquoi imaginer une récupération sur succession à partir d’un certain plafond, comme l’idée semble envisagée, ce qui reviendrait à une APA à deux vitesses ? Pourquoi ne pas envisager, au contraire, de faire peser la CSG sur tous les revenus avec un taux égal puisque tout le monde est égal devant la maladie ? Le débat est ouvert.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que, même pour un néophyte, la pyramide des âges est parlante. Il est urgent de faire connaître ces données.

M. Alain Parant a observé que c’est ce qu’il fait depuis trente ans, que bien des rapports ont été rédigés mais que les idées qui dérangent ne sont pas reprises par les médias.

Mme Danielle Bousquet a relevé que le document de la CNAM sur « le coût de la maladie et de la dépendance » montre que cette dernière concerne principalement des femmes âgées, c’est-à-dire la population de retraités qui a les plus faibles ressources. 

M. Alain Parant a formulé les remarques suivantes :

- Il n’est pas certain que l’espérance de vie à la naissance augmente dans les prochaines années au même rythme que par le passé. Plus on se rapproche de l’asymptote, moins les progrès sont rapides.

- Investir dans la technique est une chose, préserver le mieux possible le capital humain en donnant un toit, de la nourriture, du travail et du bien-être à tout le monde en est une autre. La seconde attitude est moins porteuse politiquement, elle permet des gains de durée de vie moins importants mais elle profite à un plus grand nombre. Quelle sera l’incidence du maintien durable dans une situation de pauvreté - précarité de quelques 5 à 7 millions d’adultes ? Dans quel état de santé maintient-on ces personnes, à quel coût pour eux, pour leurs proches et pour la société, et avec quel bénéfice ? Les États-Unis et le Canada ont arrêté leurs enquêtes sur la qualité de vie car les indices étaient parfois négatifs, des individus regrettant d’avoir bénéficié de certains progrès.

- Les « réserves » de survie se situent désormais dans les âges élevés alors qu’au temps de la vaccination et de l’amélioration de l’hygiène, elles se situaient dans les âges jeunes. En Inde, l’ajout de chlore dans le système de distribution des eaux a divisé immédiatement par deux la mortalité infantile avant un an.

- L’analyse de la réduction des écarts de durée de vie entre les hommes et les femmes mrite d’être précisée. L’écart exceptionnellement élevé entre les deux est un premier échec de santé publique. Les hommes n’ont pas la même appréhension de la maladie et de la mort que les femmes, notamment dans la trentaine, où ces dernières sont souvent en période de maternité. La réduction des écarts en valeur absolue est un deuxième échec de santé publique car elle est due à une augmentation moins rapide de la durée de vie des femmes. En imitant les hommes elles ont aussi adopté des comportements comme le tabagisme et l’alcoolisme sources de surmortalité.

- La deuxième incertitude mise en avant par la CNAM tient à la disponibilité des aidants. Certains démographes partent du principe que, les gens vivant plus longtemps, le nombre d’aidants potentiels pour les 75 ans ou plus augmentera. Mais ils devraient raisonner sur les 90 ans ou plus, car la dépendance ne commence pas à 75 ans, et tenir compte des évolutions de la société.

Les femmes seront-elles encore nombreuses à 90 ans à avoir un conjoint ? Sera-t-il encore avec elle s’il est vivant ? Les femmes ont enfin compris qu’il valait mieux pour elles travailler parce que la fin de vie peut être solitaire. Mais, quand chacun mène sa vie de son côté pendant 40 ans ou plus et se retrouve ensuite vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans un même espace, il y a intérêt à ce que celui-ci soit grand. Sinon cela se termine mal. Les français sont de plus en plus fidèles, mais c’est une fidélité à répétition car, sur 100 mariages, près de 50 se terminent par un divorce, qui peut survenir après une durée d’union très courte comme très longue. Les enfants étant partis, les conjoints décident de divorcer. Dans les maisons de retraite, des couples âgés se séparent et se remarient.

Autre question : les enfants vivent-ils avec leurs parents ou à proximité ? La réponse est non. Il y a coexistence des générations mais décohabitation.

Troisième élément : bien que l’on parle des nouveaux pères, ce sont toujours les femmes qui mènent la deuxième carrière, qui s’occupent des parents âgés dépendants, et à qui il est demandé d’arbitrer en faveur de leur vie familiale ou de leur vie professionnelle. Il leur est par ailleurs demandé, comme aux hommes, de travailler plus longtemps. Comme elles réussissent mieux dans les études supérieures que les hommes, elles auront des durées de formation initiale plus longues. Si elles ont, en plus, des difficultés d’insertion professionnelle, elles sortiront de la vie active aux environs de 70 ans. Leurs parents les ayant eues plus tardivement, en moyenne à 28 ans, cela signifie qu’ils seront entrés dans la dépendance alors qu’elles ne seront pas encore sorties de la vie active.

Dire que le doublement du nombre des personnes âgées dépendantes entraînera un doublement des coûts ne tient pas compte de tous ces facteurs.

France métropolitaine, 1990-1999 Croissance démographique. Source : Insee, RGP, 1999

La dépendance et le vieillissement sont présentés comme des gisements d’emplois. Qui occupera ces emplois dans les zones de déclin démographique représentées en mauve sur cette carte, notamment dans ce qu’on a appelé la « diagonale du vide » qui part de la frontière Nord-Est et descend jusqu’aux Pyrénées ?

Le phénomène migratoire a tendance à accélérer la déprise humaine car il entraîne une hausse des prix des biens locaux : terre, habitations. Les natifs ne pouvant suivre, ils s’en vont. Dans certaines régions, aucun jeune ne peut se maintenir si ses parents n’ont pas de terres.

La théorie prône de privilégier le lieu de vie. Comme, généralement, dans ces zones désertifiées, il n’y a pas d’hôpitaux, les services d’aide ou de soutien à domicile ne peuvent fonctionner que s’il y a des jeunes pour tenir les emplois d’aidants.

France, 1954-2006 Les logements selon le nombre d’occupants (répartition en %)

Source : Insee, Recensement de la population ; Enquêtes annuelles de recensement 2004-2005-2006

La proportion de logements dans lesquels vivent six personnes tend vers zéro. Les logements de cinq personnes représentent 5 %., ceux de quatre personnes, à peine 13 %, et ceux de trois personnes, 15 %. Les seuls pourcentages qui augmentent, fortement, sont ceux des logements de deux personnes et surtout celui des logements d’une personne, qui est passé de 19 à 34 %.

France, 1999-2005 La population vivant seule selon l’âge et le sexe (répartition en %)

Source : Insee, Recensement de la population de 1999 ;Enquêtes annuelles de recensement 2004-2005-2006

Les courbes sont pratiquement superposées. Les plus récentes sont un peu décalées du fait de l’allongement de la durée de vie, la solitude résidentielle apparaissant plus tardivement. Le taux de personnes vivant seules à 90 ans est supérieur de 20 points à celui des personnes vivant seules à 75 ans : en se trompant de population de référence, on n’arrive pas au bon diagnostic.

La solitude résidentielle est plus fréquente chez les jeunes hommes adultes, simplement parce qu’il y a plus d’hommes que de femmes dans ces tranches d’âge. La montée de la solitude chez les femmes à partir de 50 ans s’explique par la surmortalité des hommes. Les femmes deviennent veuves et vivent donc seules. À 80 ans, elles sont pratiquement 60 %. Le pourcentage baisse ensuite, simplement parce qu’elles sont en institution de retraite.

France, 1990-1999 Population âgée de 60 ans ou plus vivant en ménage collectif, selon l’âge

Source : Insee, recensements de population 1990 et 1999

Si le pourcentage de la population âgée de 60 ans ou plus vivant en institution a peu varié entre 1990 et 1999, puisqu’il est passé de 5,6 % à 5,7 %, mais la population totale a augmenté de 11,3 millions de personnes à 12,5 millions. Elle pourrait être, demain, de 22 millions. On observe, par ailleurs, que les proportions ont diminué jusqu’à 85 ans, mais qu’elles ont augmenté à 90 ans et plus : on entre en institution plus tardivement mais plus massivement.

France métropolitaine, 2005-2030 Accroissement et caractéristiques des ménages

Source : Insee, projection de ménages à l’horizon 2030, 2006

Ces chiffres reposent sur l’hypothèse d’une fécondité de 1,9 jusqu’en 2050, 100 000 entrées nettes chaque année et un gain de deux mois d’espérance de vie à la naissance par année civile. Les variantes se différencient par l’importance de la décohabitation, celle-ci étant plus forte dans la variante haute.

En 2005, le nombre de ménages composé d’une seule personne représente 33 % du total de 25 millions de ménages –, les personnes vivant seules représentent ainsi 14 % de la population de 62 millions de Français. Ce pourcentage peut passer, en 2030, à 20 ou 22 %, ce qui signifierait qu’une personne sur cinq vivrait seule, la moitié âgée de 60 ans ou plus. Il s’ensuit qu’il faudrait construire entre 240 000 et 260 000 logements supplémentaires chaque année. Mais quel type de logements ?

Les personnes âgées sont très majoritairement propriétaires de leur logement. Après le départ des enfants, il est devenu trop grand tout en étant inadapté à des personnes aux capacités déclinantes. Pourquoi ne pas organiser une bourse du logement de proximité ? Le produit de la location à des jeunes du logement de la personne âgée lui permettrait de louer dans le voisinage – les personnes âgées souhaitent rester dans l’environnement dans lequel elles ont vécu – un logement adapté à l’installation d’un lit médicalisé et pourvu de dispositif d’assistance. C’est ce type de logements qu’il faudrait construire.

Le rapport que la commission d’études de la vieillesse a publié en 1962 est toujours d’actualité : il faut adapter la société aux caractéristiques d’une population. Il faut également que les personnes âgées apportent leur contribution à la société. La seule différence depuis 1962 tient à l’amélioration considérable du sort des personnes âgées.

Autre problème : alors que l’on demande de travailler plus longtemps et que les deux tiers des ressources du système de protection sociale reposent sur les revenus du travail, la France est en panne d’emplois.

Quelques pays du monde, 2006 Taux d’emploi de la population âgée de 15 à 64 ans
Source : Eurostat, 2008

Le taux d’emploi en France – 62 % – est très inférieur à celui de ses principaux partenaires ou concurrents, qui connaissent à peu près les mêmes évolutions démographiques et doivent faire face aux mêmes paradigmes liés à la mondialisation, qu’il s’agisse de pays à économie sociale de marché comme la Suisse, le Danemark, la Norvège, la Finlande ou des pays à économie libérale de marché comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande.

Quelques pays du monde, 2006 Taux d’emploi de la population féminine âgée de 15 à 64 ans.
Source : Eurostat, 2008

Le taux d’emploi des femmes en France – 57 % – est, comme pour les hommes, nettement inférieur à celui des pays qui viennent d’être cités. De plus, alors que la France s’enorgueillit d’avoir une politique familiale tendant à libérer les femmes des tâches familiales et à favoriser leur employabilité, son taux d’emploi féminin est pourtant inférieur à celui de l’Allemagne.

Mme Danielle Bousquet a fait remarquer que l’on ne distinguait pas travail à temps partiel et travail à temps plein.

M. Alain Parant a reconnu que les calculs mériteraient d’être faits en équivalents temps plein. Compte tenu des proportions d’emplois à temps plein en France et en Allemagne, cela ne change pas grand-chose : l’Allemagne reste devant la France, tout comme les Pays-Bas, où le temps partiel est encore plus répandu, notamment chez les femmes.

Pour être complète, la comparaison doit être pondérée par le revenu : alors qu’on peut vivre aux Pays-Bas avec deux emplois à mi-temps, en France on ne fait que survivre.

Quelques pays du monde, 2006 Taux d’emploi de la population âgée de 15 à 24 ans. Source : Eurostat, 2008

Le taux d’emploi des jeunes en France est deux fois à deux fois et demie plus faible que dans les autres pays. L’une des raisons est que les jeunes français sont sur les bancs de l’école. C’est un investissement dans le capital humain. Mais on est dès lors en droit de se demander pourquoi ils ont tant de difficultés ensuite à trouver un emploi.

Quelques pays du monde, 2006 Taux d’emploi de la population âgée de 55 à 64 ans
Source : Eurostat, 2008

Dans la logique du Sommet de Lisbonne, le taux d’emploi des seniors en France, actuellement de 41 %, devrait atteindre 50 % en 2010.

La faiblesse du taux d’emploi des seniors tient au fait qu’on continue à pratiquer les cessations anticipées d’activité et à substituer de nouveaux systèmes à ceux qui arrivent à expiration. C’est ce qui explique qu’on ait abordé très tardivement la question du vieillissement de la population et des retraites, ce qui oblige l’État à solutions drastiques. Il faut faire assez vite pour trouver du travail pour les 7 millions d’actifs vieillissants qui seront 8 millions en 2050.

Certains érémistes, chômeurs ou dispensés de recherche d’emploi touchent davantage lorsqu’ils accèdent à la retraite. C’est anormal. Le taux de remplacement, pour quelqu’un qui passe d’une activité à temps plein à une retraite à taux plein, est en moyenne de 70 % : 40 % pour les cadres supérieurs, 80 % pour ceux qui ont fait une carrière complète au SMIC. On mise beaucoup sur le fait de travailler plus longtemps pour améliorer sa retraite mais cela risque d’en obliger beaucoup à travailler plus longtemps, pour cotiser plus longtemps et percevoir moins.

Pour éviter cela, il faudrait changer les mentalités. Depuis 30 ans, on a habitué les gens à partir à la retraite plus tôt que les précédents et à travailler moins sur la durée de vie totale, sur une année, sur une semaine. On leur demande d’opérer un véritable tête à queue ;alors que leur employabilité n’a pas été préservée, on leur demande de travailler plus longtemps. Les partenaires sociaux sont largement fautifs car ils n’ont pas anticipé la gestion des âges, se contentant de faire de la gestion par l’âge – dans tel secteur, l’âge de la retraite est fixé à 60 ans, 55 ans, voire 52 ans.

La détermination de l’âge de la retraite prend en compte la pénibilité du travail. Or on ferait fausse route en voulant charger la protection sociale de ce problème : s’il y a pénibilité du travail, c’est parce que, au sein d’une entreprise, le patronat et les salariés ne se sont pas entendus sur l’adaptation des postes de travail. C’est là que ce problème doit être résolu. Le répercuter sur la protection sociale revient à la pénaliser.

France, 1960-2005 Bénéficiaires de l’allocation supplémentaire du minimum vieillesse et invalidité.

Source : DREES, 2006

En 1960, près de 90 % de la population de 65 ans ou plus pouvaient prétendre à l’allocation supplémentaire du minimum vieillesse et invalidité. Ce taux est tombé à 10 % aujourd’hui.

On observe une sorte de tassement dans la descente. Il se pourrait même que le nombre de titulaires du minimum vieillesse soit sur le point d’augmenter. Il est essentiel de se pencher sur cette question. L’on retrouve là les préoccupations de la Délégation puisque les personnes concernées sont essentiellement des femmes qui ont eu des carrières incomplètes ou pas de carrière du tout. La tendance observée devrait s’étendre encore sur quelques dizaines d’années

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé à M. Parant si le phénomène se résorberait au bout de cette période.

M. Alain Parant a expliqué que la démographie traite de phénomènes relativement inertes. Cela ne veut pas dire que les choses ne bougent pas à terme, mais avec une importante force d’inertie, comme un cargo de 500 000 tonnes.

On est en train de changer la donne de l’activité professionnelle alors que l’on n’est pas en mesure de maintenir les gens dans l’emploi. Les partenaires sociaux se sont félicités d’avoir signé un accord sur la formation continue mais ils ont évité trois questions essentielles. Quand se fait la formation : pendant le temps de travail ou en dehors ? Qui paie : l’entreprise, le salarié ou l’État ? Pour faire quoi ? La formation a pour but d’adapter la main-d’œuvre d’aujourd’hui aux emplois de demain et relève donc de l’anticipation des métiers et des qualifications. Parallèlement, les employeurs doivent rendre les métiers plus attractifs, notamment en proposant des rémunérations nettement plus élevées. On n’a encore jamais calculé à quel niveau de rémunération un emploi de charpentier ou de plâtrier dans le bâtiment devient plus attractif qu’un emploi de greffier. Ce serait pourtant intéressant, d’autant qu’il s’agit là d’emplois non délocalisables.

On ne peut anticiper sur la formation, si l’on veut faire qu’elle réponde aux besoins de l’économie de demain sans investir dans le futur. L’évolution des effectifs de médecins généralistes en sont une illustration. À l’époque de la discussion de la loi sur les 35 heures, la profession était composée majoritairement d’hommes qui travaillaient 70 heures par semaine et dont 40 % allaient partir à la retraite dans les dix ans. Or arrivait en médecine une majorité de jeunes femmes dont on pouvait prévoir qu’elles travailleraient 35 heures, compte tenu du fait qu’elles ont la deuxième carrière à faire à domicile. Il fallait donc réévaluer le numerus clausus en conséquence. Or, comme on a le regard fixé sur les dépenses, on ne l’a pas fait de peur que cela n’entraîne un accroissement de la demande de santé. Cette dernière a quand même augmenté, mais elle n’est pas remboursée, ce qui fait des mécontents.

Le risque pour la situation des femmes est élevé. La situation des personnes âgées va se dégrader, or ce sont majoritairement des femmes. Quand on compare les rémunérations moyennes des hommes et des femmes, on ne compare pas forcément des choses comparables. Les hommes n’ont pas d’interruptions de carrière et ont un profil plus linéaire. Même si la fin de vie est également très difficile pour les hommes, il est indéniable que le problème du temps partiel subi est essentiellement féminin.

France, 1970-2005. Minimum vieillesse (personne seule et couple)

(Montants bruts annuels en euros courants ; indice base 100 en 1970). Source : Drees, 2006

On peut s’attendre à une remontée du nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse pour plusieurs raisons.

D’abord, il y a un effet ciseau. Les pensions contributives étant réévaluées moins vite que le minimum vieillesse, il y a, à terme, un rattrapage. Ensuite, beaucoup de gens n’auront pas des carrières complètes.

Les nouvelles générations de femmes commençant à opter pour leur carrière professionnelle, le risque de baisse de la fécondité est relativement important. L’âge moyen à la naissance du premier enfant est de 28 ans. L’objectif des jeunes femmes étant la réussite professionnelle avant les projets familiaux, le risque est grand que si elles se heurtent à des difficultés d’insertion, après un temps de formation long, une part croissante d’entre elles renonce à avoir des enfants. La force de la fécondité française tient à une très faible proportion de femmes n’ayant aucun enfant : 12 %, soit deux fois moins que dans les pays voisins. Il serait donc bon de limiter les obstacles à l’insertion professionnelle des femmes, en luttant contre la discrimination à l’embauche selon le sexe.

Un autre phénomène ajoute à l’inquiétude : le phénomène « DINK » – double income, no kids, « double revenu, pas d’enfants. ». Du fait de la faiblesse de leurs revenus, certains jeunes couples refusent d’avoir des enfants. Cela joue contre les retraites d’une façon générale et contre celles des femmes en particulier.

Le système de protection sociale dit intergénérationnel ne fonctionne que si les générations futures sont pourvues d’un emploi. Un nombre croissant de français doute de ce système et se tourne vers la capitalisation. Une enquête montre que les français sont disposés à mettre 5 à 7 % de leur salaire de plus de côté pour leur retraite. Il existe donc une marge pour augmenter les taux de cotisation.

Il faut également lui ajouter une solidarité intragénérationnelle. Si la CSG pesait au même taux sur tous les revenus, elle permettrait d’aller prendre dans la poche des âgés les plus riches pour distribuer aux âgés les plus pauvres, d’autant qu’un point de CSG rapporte plus qu’un point de cotisation sociale.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié M. Parant et a souhaité que ses graphiques et son analyse soient largement diffusés.

*

* *

Puis la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO, de Mmes Valérie Chartier et Sandra Mitterand, assistantes confédérales et de M. Gérard Rivère, assistant confédéral, administrateur de la CNAV

(Présence au début de l’audition de M. Alain PARANT, chercheur à l’INED)

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO et Mmes Valérie Chartier, Sandra Mitterand et M. Gérard Rivière, d’avoir répondu à l’invitation de la Délégation.

À l’occasion du rendez-vous sur les retraites de 2008, la Délégation a décidé de se pencher plus particulièrement sur la question des retraites des femmes et entend, pour cela, les représentants des différentes organisations syndicales.

Revenant sur l’audition précédente de M. Alain Parant, M. Gérard Rivière a souligné que la CGT-FO n’avait rien à ajouter à ce qui a été dit du financement de la protection sociale et espère que la Délégation en tiendra le plus grand compte.

Mme Catherine Coutelle a observé que les scénarios de M. Alain Parant se sont vérifiés, souvent dans l’hypothèse la plus haute...

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu a souligné que, compte tenu des temps partiels subis, des interruptions de carrières, des parcours accidentés, des écarts de salaire avec les hommes, il y avait tout lieu de partager les préoccupations exprimées quant à l’avenir des pensions des femmes. La CGT-FO a formulé des propositions pour améliorer leur situation. Elle suggère en particulier, que les employeurs permettent aux travailleurs à temps partiel de cotiser à taux plein pour pouvoir bénéficier d’une retraite « normale ».

Mme Valérie Chartier a précisé que, depuis la réforme de 2003 et les décrets de 2005, un salarié à temps partiel peut demander à cotiser sur la base d’un taux plein. Cela se fait sur une base individuelle et de gré à gré avec l’employeur, ce dernier étant libre de participer ou non. Dans beaucoup de grandes entreprises, en particulier dans la métallurgie, il existait des conventions de préretraite progressive sur la base d’un temps partiel dans lesquelles l’employeur opérait cette prise en charge, mais elles tendent à disparaître.

M. Gérard Rivière a indiqué qu’une autre proposition consiste à faire jouer en faveur des femmes, la solidarité intra-générationnelle. La prise en compte des vingt-cinq meilleures années pénalise essentiellement les carrières les plus courtes et les plus fractionnées, c’est-à-dire celles des femmes qui ont été victimes de la précarité ou du temps partiel subi : même quand elles ont le nombre de trimestres requis, leur salaire moyen a été tellement faible qu’elles se trouvent au minimum contributif ! Le conseil d’administration de la CNAV a proposé à l’unanimité de valoriser les années incomplètes, ainsi d’ailleurs que les trimestres de congé de maternité qui sont validés mais pour lesquels aucun salaire n’est porté au compte. En proratisant sur douze mois, soit le salaire de référence, soit le salaire minimum, on corrigerait les carrières les plus accidentées. D’après la Direction de la prospective de la CNAV, valoriser tous ces trimestres, particulièrement pénalisants pour les femmes, coûterait à peu près 2 % des prestations, c’est-à-dire environ 1,5 milliard d’euros, sachant qu’un point de CSG représente 10 milliards d’euros.

Cette solidarité intra-générationnelle pouvait s’opérer à travers le Fonds de solidarité vieillesse. Alors que la CSG destinée à l’alimenter figure à hauteur de 1,3 % sur la fiche de paye des salariés, le Fonds ne perçoit en fait que 1,03 %, 0,27 % – soit 2,5 milliards d’euros – ayant été affectés au gré des lois de financement de la sécurité sociale  d’abord à la CNAM, puis à la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. C’est le danger que la CGT-FO avait souligné lors de la création de la CSG. Il n’y a pas de préaffectation de l’impôt et, pour sociale qu’elle soit, la CSG est un impôt, qui peut être affecté selon les besoins à d’autres fins que sociales.

M. Alain Parant a souligné, à juste titre, que la pénibilité ne doit pas, comme le patronat le souhaite, être financée par l’assurance vieillesse. Le plan « carrières longues » apparaît comme une préretraite déguisée qui coûterait plus de 3 milliards d’euros à la seule CNAV. M. Xavier Bertrand a indiqué que, s’il n’y avait pas d’accord entre les partenaires sociaux, il présenterait un projet de loi au Parlement. Les membres de la délégation doivent donc être vigilants. Aucune organisation syndicale n’acceptera de traiter la pénibilité du travail sans financement patronal. Comme pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, c’est celui qui crée le risque qui doit payer, même si l’on peut envisager une participation de l’État.

M. Alain Parant a souligné que la pénibilité relève des partenaires sociaux au sein d’une entreprise ou d’une branche. Il ne s’agit pas obligatoirement de « charger la barque du patronat ». Cette question doit s’inscrire dans une vision à long terme – adaptation des postes de travail, turn over sur les postes, adaptation des horaires – et figurer parmi les priorités des négociations.

M. Gérard Rivière a observé que s’il faut évidemment faire le maximum pour que les salariés arrivent à l’âge légal de la retraite dans le meilleur état de santé possible, il faut également traiter le cas des gens « cassés », qui sont en invalidité. C’est dans ce cas qu’il faudrait un financement des entreprises.

Mme Valérie Chartier a déploré l’augmentation massive du nombre d’emplois peu qualifiés et mal rémunérés depuis les années 1990 et la politique d’exonération de cotisations. Cela fait autant d’argent en moins dans les caisses de la protection sociale. La CGT-FO avait déjà tiré la sonnette d’alarme lors de la réforme de 2003 : la dégradation des conditions d’emploi des jeunes femmes entrant sur le marché du travail entraînera une dégradation de leur retraite, voire un retour à des situations très difficiles.

Mme Catherine Coutelle a ajouté que l’écart salarial moyen entre les hommes et les femmes ne se réduit plus depuis les années 1990. Par ailleurs, alors qu’une mauvaise entrée dans la vie active a des répercussions tout au long de la vie, de nombreuses carrières commencent aujourd’hui par des contrats aidés.

M. Alain Parant a souhaité apporter une note optimiste : que ce soit dans le monde universitaire, médical ou dans la magistrature, on assiste à une montée en puissance des femmes. Les révolutions silencieuses sont les plus efficaces. Le jour où les femmes seront majoritaires dans ces secteurs, elles s’auto désigneront, comme les hommes l’ont fait avant elles.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu a indiqué qu’une campagne sur la question des retraites est prévue du 10 au 26 juin. La CGT-FO combat également la remise en cause des 35 heures et l’allongement de la durée de cotisation.

Mme Catherine Coutelle a objecté qu’on pouvait en changer l’assiette.

M. Gérard Rivière a indiqué que, selon le Conseil d’orientation des retraites, rester à 40 années de cotisation représenterait, en 2020, un coût d’environ 4,5 milliards d’euros, c’est-à-dire à peu près un point de cotisation vieillesse plafonnée. Ce n’est pas insurmontable au regard de l’augmentation annuelle de 1,8 ou 2 % du produit intérieur brut. Faut-il graver dans le marbre que le coût de la vieillesse ne doit pas dépasser un certain pourcentage du PIB ? Si la classe politique fixe de la sorte des paramètres intangibles, elle ne devra pas s’étonner que les Français n’aillent plus voter.

La réforme de 2008 concerne exclusivement l’emploi des seniors, dont le taux d’emploi se situe autour de 38 %. Or, aucune puissance économique ne présente un taux élevé d’emploi des seniors sans un taux global d’emploi élevé. Le Gouvernement ne s’en préoccupe qu’en raison de ses engagements européens. Le taux d’emploi des jeunes n’est-il pas plus catastrophique ? Pour les plus âgés, des solutions ont été trouvées : dispense de recherche d’emploi, invalidité, sorties anticipées de la vie professionnelle. Dans le secteur privé, deux salariés sur trois sont hors emploi au moment de la liquidation, qui intervient en moyenne à 61 ans et demi pour les hommes et à un peu plus de 62 ans pour les femmes.

Selon la CNAV, 46 % des « liquidantes » en 2006 ne totalisaient pas 164 trimestres. Cela signifie que, si la durée de cotisation passe à 41 ans, une femme sur deux devra continuer à travailler ou être à la charge d’un autre système de solidarité : RMI, invalidité, aide du conjoint s’il est toujours là et s’il peut payer.

La Cour des comptes a dénoncé les « niches fiscales », c’est-à-dire les systèmes qui permettent d’échapper aux cotisations. On observe, en effet, une croissance exponentielle de l’intéressement et de la participation que la CGT-FO propose de soumettre à cotisation. Les profits des entreprises du CAC 40 atteignent 100 milliards par an. Une taxe de 3 % rapporterait 3 milliards.

Mme Catherine Coutelle a regretté qu’en contrepartie de la loi sur la modernisation de l’économie qui est favorable à la grande distribution, on n’ait pas demandé à cette dernière des avancées en termes de salaires et de temps de travail.

M. Gérard Rivière a informé la Délégation qu’après la grève qui a eu lieu, Carrefour a proposé un accord pour le « temps complet choisi ». Les termes en sont significatifs.

Rappelant qu’il y a souvent plus d’hommes que de femmes dans les organisations syndicales, Mme Catherine Coutelle a demandé si la CGT-FO s’intéressait spécifiquement au problème des retraites des femmes ou si elle le voyait comme une partie du problème général des retraites.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu a précisé que, sans compter le Secrétaire général, M. Mailly, la direction de la confédération comptait cinq femmes sur douze membres.

Le problème des retraites des femmes est traité dans le cadre de l’égalité homme/femme, au même titre que le temps partiel subi, les écarts salariaux entre les hommes et les femmes et la multiplication des contrats précaires.

Mme Danielle Bousquet a souhaité connaître la position de la CGT-FO vis-à-vis de la position du MEDEF selon laquelle la question du temps partiel et de ses conséquences relève uniquement de l’organisation du marché de l’emploi et n’a pas à être compensé par la protection sociale.

M. Gérard Rivière a indiqué que, s’il est exact qu’il ne revient pas directement aux régimes de retraite de compenser le manque à gagner résultant du travail à temps partiel, ne serait-ce que parce qu’ils n’en ont plus les moyens, il n’en reste pas moins que la solidarité intergénérationnelle – voire, pour faire écho aux propos de M. Parant – intra-générationnelle doit jouer. Le Fonds de solidarité vieillesse a été créé pour renforcer les ressources des régimes de retraite après les Trente Glorieuses afin de prendre en charge ce qui ne pouvait plus l’être par ces régimes en raison du chômage croissant.

Mme Valérie Chartier a fait observer que l’argument présenté par le MEDEF sert aussi un objectif à plus long terme : sortir du système de solidarité professionnelle pour aller vers un système individuel et capitaliste. Ce que veut le MEDEF, c’est ne plus imposer de cotisation à l’employeur et obliger le salarié, quel que soit son niveau de rémunération, à payer lui-même sa protection sociale.

M. Gérard Rivière a indiqué que le MEDEF et la CGPME ont annoncé leur retour dans les conseils d’administration des caisses de retraite du régime général et des allocations familiales. Ils ont l’ambition de transformer le régime général en un régime par points, ce qui permettra ensuite une fusion avec l’AGIRC et l’ARRCO. Cette opération effectuée, il sera possible de mettre en place un pilier par capitalisation.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu a appelé de ses vœux une réflexion sur l’obligation faite aux femmes de s’arrêter pour garder leurs enfants ou pour s’occuper de parents dépendants.

Mme Valérie Chartier a souligné l’importance de trouver un système de solidarité collective en début de carrière et en fin de carrière, pour éviter que les femmes ne pâtissent des interruptions de carrière dues aux gardes d’enfants et à la prise en charge des personnes dépendantes, sous peine d’aggraver encore les inégalités professionnelles avec les hommes.

Mme Catherine Coutelle a observé que les générations nées en 1947 arrivaient à l’âge de la retraite et qu’elles étaient suivies de trente ans de baby-boom. Il faudrait sur ce sujet éviter l’imprévision.

M. Gérard Rivière a rappelé par ailleurs que le Président de la République s’est engagé à augmenter progressivement le taux de la pension de réversion à 56 %, 58 % et 60 %. Or certains régimes considérés comme privilégiés – régimes spéciaux, régimes de fonctionnaires – en voient les conséquences car ils sont attachés à conserver la spécificité d’un service sans condition de ressources. Mieux vaut réfléchir à la manière d’améliorer les pensions de réversion sous conditions de ressources, par exemple en agissant sur le plafond.

Dans le document d’orientation de Xavier Bertrand, il est prévu de transférer la totalité du financement des 10 % de majoration familiale vers la branche famille de la sécurité sociale. Pour renforcer le caractère redistributif de l’assurance vieillesse, il faudrait que cette majoration soit servie par les régimes d’assurance vieillesse. Il serait plus simple et plus clair de quantifier en termes de points la valeur du financement, de diminuer la cotisation allocations familiales et d’augmenter à due concurrence la cotisation vieillesse. Ce n’est pas la branche famille qui bénéficie a posteriori du fait qu’un salarié a eu trois enfants. C’est a priori le régime d’assurance vieillesse. L’objectif de la mesure proposée est, à terme, de ne plus financer la branche famille.

Mme Catherine Coutelle a demandé si la CGT-FO est favorable à un aménagement des temps de travail et à l’introduction de souplesse dans la poursuite de la carrière ou si elle considère que la retraite doit être la même pour tout le monde.

M. Gérard Rivière a répondu que la confédération – mais ce point de vue n’est pas forcément soutenu par tous les syndicats – considère les retraites couperets comme liberticides. La retraite est un droit. Elle ne doit en aucun cas être un devoir, sans tomber dans l’excès du cumul emploi-retraite.

La CGT-FO est un ardent défenseur de la retraite progressive. Si elle ne fonctionne pas actuellement, c’est à cause du plafond fixé pour en bénéficier : de 132 trimestres dans la réforme de 2003, il a été porté, par décret en 2006, à 150 trimestres. Ce n’est pas attractif car ce plafond est beaucoup trop élevé. Ce système permettrait pourtant de compléter les carrières pour aller vers une retraite à taux plein et, éventuellement, de poursuivre son activité au-delà de manière plus souple : à mi-temps, tiers temps, quart temps. Il serait favorable aux seniors et permettrait la transmission des savoirs et le tutorat. Tout le monde y gagnerait. On comprend mal le peu d’intérêt que cela suscite chez le Gouvernement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié les représentants de la CGT-FO.