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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 24 juin 2008

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Communication de Mme Geneviève Levy, députée, Présidente du groupe d’amitié France-Afghanistan : Afghanistan : quelle place pour les femmes ?

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu une communication de Mme Geneviève Lévy, députée, présidente du groupe d’amitié France-Afghanistan.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé qu’une conférence internationale de soutien à l’Afghanistan rassemblant les pays donateurs, s’est tenue à Paris le 12 juin. Elle a remercié Mme Geneviève Levy, présidente du groupe d’études à vocation internationale puis, après que l’Afghanistan s’est doté d’un parlement démocratiquement élu, présidente du groupe d’amitié France-Afghanistan, d’avoir bien voulu, à cette occasion, présenter devant la Délégation aux droits des femmes, la situation des femmes dans ce pays. La délégation souhaite, en particulier, savoir quels partenariats elle peut envisager de poursuivre avec les femmes afghanes.

Mme Geneviève Levy a rappelé que le groupe d’amitié France-Afghanistan a procédé à plusieurs auditions pour préparer la conférence du 12 juin.

Après trente ans de guerre civile, d’occupation et de désordres, le bilan de la reconstruction qui a commencé à partir de 2002, n’est pas à la hauteur des sommes engagées et de la volonté affichée par les principaux pays donateurs. Le constat partagé par tous les observateurs est que les aides, qu’elles soient économiques, logistiques ou humaines, sont insuffisamment efficaces. Il ne s’agit pas de critiquer le travail effectué par les organisations étatiques ou non gouvernementales sur le terrain, mais de prendre en compte l’avis de la population. Le groupe d’amitié s’est efforcé de recueillir cet avis au fil des auditions qu’il a organisées.

Environ 80 % des aides sont absorbées par l’administration et l’organisation matérielle des différentes associations qui travaillent sur place. Tous les interlocuteurs du groupe d’amitié indiquent que seulement 20 % des montants engagés ont une véritable lisibilité. Malgré des réalisations non négligeables depuis 2002, la déception de la population afghane est immense.

Parallèlement, la situation économique, politique et de sécurité se dégrade considérablement, surtout depuis un an. Des territoires réputés relativement sûrs connaissent un regain d’insécurité. La faiblesse de l’administration et le développement de la corruption ont empêché la mise en place de structures véritablement démocratiques dans les provinces. On assiste, surtout depuis un an, à un regain d’activité des organisations tribales.

En 2004 et en 2005, pourtant, malgré les inquiétudes des observateurs étrangers, les élections présidentielle et législatives se sont déroulées de façon satisfaisante. La participation a été de 72 % ; et, fait notable, presque une moitié de femmes se sont rendues aux urnes pour la première fois.

Le parlement comporte une chambre haute, la Mechrano Jirga, et une chambre basse, la Wolesi Jirga. Les députés sont élus pour cinq ans. Conformément au quota fixé, il y a 25 % de députées et de sénatrices, soit entre soixante et soixante-dix femmes parlementaires. Si, à Kaboul, des femmes d’un niveau culturel élevé ont été élues, d’autres femmes venues de provinces reculées ont également accédé à des fonctions parlementaires. Cela a représenté un immense espoir : ces femmes, qui n’y étaient pas du tout préparées, ont tenu à être présentes dans la vie démocratique de leur pays par-delà les difficultés de leur propre parcours et de la situation politique générale. On a cependant l’impression que leur enthousiasme tend à décroître. Lorsqu’elles rejoignent le parlement en session, elles ne se sentent pas véritablement associées aux décisions. Jusqu’au dernier remaniement ministériel, il y avait quatre femmes au gouvernement ; il n’y en a maintenant plus qu’une. Certains partis dénoncent l’absentéisme féminin au parlement, qui est réel. Si cette situation perdure, les nouvelles candidates auront du mal à se déterminer pour les élections de 2010 et les femmes qui sont déjà parlementaires ne retrouveront peut-être pas la foi qui les animait lors de leur première élection.

Il existe en Afghanistan plus de cent partis politiques légalement déclarés. Parmi eux, certains vont jusqu’à interdire l’adhésion des femmes. Deux ou trois tentatives de constitution de partis politiques uniquement féminins se sont soldées par des échecs.

Il faut ajouter à cela une situation économique très préoccupante. L’Afghanistan a connu une suite d’hivers particulièrement rigoureux qui ont fait chuter la production agricole. Dans certaines provinces, les conséquences dont dramatiques. C’est donc une certaine régression qu’il faut déplorer, qui nous éloigne des espoirs nés il y a quatre ans.

On notera cependant des avancées dans trois domaines : la santé, l’éducation et les droits de l’homme.

En matière de santé, la mortalité des nourrissons a été réduite de 26 % et la mortalité infantile de 23 %. Les soins se sont améliorés, notamment pour les femmes. Les petits centres de soins primaires sont dotés d’au moins une femme médecin, ce qui permet aux femmes d’aller consulter sans risquer une interdiction de la part de leur époux. La mise en place d’un planning familial donne accès à des méthodes de contraception plus modernes. La contraception des femmes mariées en zone rurale est passée de 5 à 16 %. Enfin, une vaste campagne a permis de vacciner plus de cinq millions de femmes en âge de procréer, pour un coût total de moins de 4 millions de dollars.

Pendant les périodes de guerre civile, en particulier sous le régime des talibans, l’école a été interdite aux filles. Les femmes ont pourtant réussi à maintenir un enseignement par des canaux parallèles. Depuis 2004, six millions d’enfants ont été inscrits dans les écoles et le taux d’alphabétisation a sensiblement augmenté même si, sur environ trente millions d’habitants, onze restent analphabètes. La proportion de filles scolarisées augmente : elles représentent maintenant plus de 40 % des enfants scolarisés. L’engouement des garçons est moindre, d’autant que leur éducation était plus religieuse. Depuis 2001, on a construit 3 500 écoles et l’on prévoit d’en construire encore 4 500 dans les trois prochaines années.

L’activité des universités a repris. Entre 50 000 et 60 000 étudiants sont inscrits pour la prochaine rentrée. Il faut rappeler que l’université de Kaboul était, il y a trente ans, une université phare dont les enseignements étaient reconnus et recherchés.

Les avancées dans le domaine des droits de l’homme doivent également être relevées. La Constitution garantit les droits de l’homme fondamentaux. Une commission indépendante des droits de l’homme a été créée en 2002.

Ces quelques signes permettent d’avoir une vision un peu plus positive de la situation, mais ils restent trop marginaux pour que l’on puisse parler d’une véritable reconstruction.

La France apporte une aide diversifiée qui est particulièrement affirmée – outre le domaine militaire – dans le domaine médical. Cette aide concerne aussi, via un partenariat avec le Japon, l’éducation, notamment l’enseignement universitaire. Enfin, la mise en place d’institutions démocratiques s’est accompagnée de formations très appréciées de la partie afghane. Celle-ci a seulement déploré que l’aide ait été beaucoup trop concentrée dans le temps et que son caractère très généraliste n’ait pas permis pas à un pays qui partait de zéro de mieux asseoir ses connaissances. Ces remarques concernent l’aide que la France a apportée après les élections. En revanche, durant la période de préparation du processus démocratique, l’aide a été plus complète et plus longue, grâce notamment à des échanges avec l’Assemblée nationale et le Sénat ; mais cette formation a concerné l’administration et non les parlementaires.

Pour répondre aux attentes, il conviendrait d’examiner concrètement avec le ministère des affaires étrangères comment les femmes parlementaires françaises pourraient encourager les femmes déjà élues et comment aider celles qui auraient envie de s’intégrer dans la vie démocratique de leur pays. Il serait possible, par exemple, de recentrer plus spécifiquement sur l’aide aux femmes parlementaires un projet intitulé initialement « Promouvoir la contribution de la femme dans la société afghane » en mettant l’accent sur la formation de long terme et la formation de formateurs. Un chiffrage sera bientôt établi. Il faudra certainement privilégier les provinces les plus éloignées, ce qui soulèvera des difficultés considérables compte tenu de la détérioration de la sécurité depuis un an.

De façon plus symbolique, chaque femme parlementaire française pourrait établir des liens avec une de ses collègues afghanes. De toute façon, l’aspiration à une république démocratique est telle que ne rien tenter serait faillir à ce pour quoi les parlementaires français se sont eux-mêmes engagés.

Mme Catherine Quéré a indiqué que de nombreuses députées ont participé à la rencontre, organisée le 10 juin par le président de l’Assemblée, avec les responsables du magazine Roz, dont l’apport est considérable pour la condition des femmes en Afghanistan. Chaque numéro de cette publication comporte d’ailleurs le portrait d’une femme parlementaire. On pourrait suggérer que chacun des parlementaires prenne un abonnement virtuel à Roz. Par ailleurs, comment expliquer, que 80 % du montant de l’aide ne parvienne pas aux destinataires ?

Mme Geneviève Levy a expliqué que les ONG et les organisations étatiques mobilisent beaucoup de fonds pour leur propre logement, leur sécurité, leurs transports, leur vie sur place. Il faut bien reconnaître que certains Afghans en jouent et que la vie en Afghanistan est très chère pour les occidentaux. La population afghane, tout en admettant que les aides ont leur utilité dans certains domaines, s’exaspère de cette situation. Ce problème est particulièrement sensible en Afghanistan en raison de l’importance des attentes de la population. Peut-être faudrait-il que le parlement afghan, à tout le moins, ait un regard sur ces aides et que l’on effectue des bilans beaucoup plus régulièrement. Si on laisse les choses en l’état, on aura beau multiplier les sommes allouées, on ne parviendra jamais au résultat escompté.

Outre le magasin Roz, il faut mentionner l’association humanitaire Aïna, fondée par le photographe Reza, qui soutient tout un réseau de presse en différentes langues et en différents dialectes, distribué jusque dans les provinces éloignées. Il existe ainsi une presse pour les enfants, pour les adolescents, pour les femmes, une presse satirique, et une presse plus générale. Avant l’implantation des dispensaires, Aïna a travaillé à la transmission des conseils élémentaires aux femmes, par exemple pour les soins des enfants. Cette ONG a également permis la création d’une station de radio animée presque exclusivement par des femmes. L’ONG Aïna a commencé son activité en 2002, au début du processus démocratique, et a été très présente au cours de la campagne en 2004 et 2005. Devant la dégradation actuelle de la situation, il semblerait que Reza lui-même soit quelque peu découragé.

Cela étant, l’initiative proposée par Mme Catherine Quéré en direction de Roz mérite d’être soutenue.

Mme Geneviève Levy a précisé que ses informations sur Aïna remontent à une dizaine de mois et qu’elle essaiera d’en obtenir de plus récentes. Il serait par ailleurs intéressant que le groupe d’amitié et la Délégation aux droits des femmes rencontrent le nouvel ambassadeur de France à Kaboul lors de son prochain passage à Paris.

Mme Martine Carillon-Couvreur a ajouté qu’il est ressorti de la rencontre du 10 juin que la situation s’était dégradée plus vite encore qu’on ne le pensait. La Délégation aux droits des femmes devrait reprendre contact avec les femmes parlementaires afghanes qu’elle avait reçues. Le Parlement pourrait aussi assurer de son soutien les médecins et personnels médicaux qui se rendent sur place, car ceux-ci ont parfois l’impression de partir dans l’indifférence générale.

Mme Geneviève Levy a indiqué qu’elle participera le 12 juillet à une réunion avec le ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, pour tenter de concevoir un programme de formation des parlementaires et de formation de formateurs.

Pour ce qui est des parlementaires afghanes que la délégation a parrainées, il est possible d’adresser des courriers électroniques aux présidents des deux chambres afin de reprendre contact.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité réactiver les liens avec le parlement afghan.

Mme  Martine Carillon-Couvreur s’est étonnée que l’installation d’un système démocratique en Afghanistan n’ait pas fait l’objet d’un accompagnement plus fort et plus régulier.

Mme Geneviève Levy a fait valoir le nombre très important de chantiers qu’il a fallu ouvrir dans le contexte actuel de difficultés politiques et économiques. La mise en place du dispositif a été difficile. À l’évidence, les premières réponses n’ont pas été suffisamment fortes et rapides pour emporter l’adhésion de la population.

Par exemple, l’Inde apporte une aide intéressante par le biais de programmes de formation d’ingénieurs, notamment d’ingénieurs agronomes. Les formateurs restant un an sur place, ils ont le temps d’accomplir un travail réel et efficace.

Mme Danielle Bousquet s’est demandée quelle forme pourrait revêtir la formation de femmes parlementaires presque analphabètes.

Mme Geneviève Levy a indiqué qu’il s’agit là de cas extrêmes. La plupart des femmes élues dans les provinces sont dans une situation intermédiaire. Ce dont il faut tenir compte est l’extraordinaire enthousiasme qui les animait. Le fait que certaines aient été élues dans des zones reculées où les talibans étaient très présents démontre la forte mobilisation des femmes lors des élections.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remarqué que, partout sur la planète, lorsque les femmes se mettent en route, leur détermination est impressionnante.

Mme Geneviève Levy a ajouté que les femmes afghanes se sont mises en route, il y a très longtemps. Avant l’invasion soviétique, le pays était très ouvert et même occidentalisé. Beaucoup de femmes occupaient des positions importantes dans la société civile, de nombreuses filles étaient scolarisées. Pendant trente ans, ce sont les femmes qui ont assuré une certaine continuité dans la culture, l’artisanat, le commerce. La chaîne Arte a diffusé il y a quelques mois un documentaire sur un réseau parallèle de boulangeries que des femmes avaient mis en place au péril de leur vie à Kaboul.

Mme Geneviève Levy est ensuite revenue sur l’engagement très ancien de Mme Françoise Hostalier en Afghanistan qui se rend dans ce pays trois ou quatre fois par an. L’association dont elle s’occupe a créé deux ou trois écoles mixtes dans des provinces très reculées où il est de plus en plus difficile de se rendre. Lors de son dernier voyage, elle s’est vu objecter qu’il fallait séparer les garçons et les filles et que les écoles étaient désormais réservées aux garçons.

Mme Marguerite Lamour a rapporté que des femmes afghanes présentes lors de la rencontre du 10 juin avaient insisté sur la nécessité d’impliquer l’ensemble de la population d’un village aux projets de construction d’école.

Selon Mme Geneviève Levy, c’est en effet la bonne approche. Cependant, les réussites, quoique réelles, restent insuffisantes pour que la perception de la population soit positive.

Mme Danielle Bousquet s’est demandée quelle pouvait être, dans ces conditions, l’utilité de l’argent envoyé.

Mme Geneviève Levy a espéré que la conférence du 12 juin permettrait de définir une meilleure utilisation des fonds, tant en matière de distribution que de suivi et de lisibilité. Tel était du moins l’engagement des quelque soixante pays donateurs.

Mme Josette Pons a proposé que députées et sénatrices lancent un mouvement que leurs collègues masculins rejoindraient ensuite.

Mme Geneviève Levy a retenu cette suggestion et a proposé une nouvelle réunion après qu’elle aura rencontré le ministre des affaires étrangères et pris contact avec les présidents des deux chambres afghanes et avec l’ambassadeur de France à Kaboul.

Mme Martine Carillon-Couvreur a rappelé que certaines femmes parlementaires de province rencontrées à Paris avaient fait état de leurs difficultés pour se rendre à Kaboul, non seulement en raison de la modicité de leur indemnité mais aussi, parfois, parce qu’il leur faut recueillir l’autorisation du mari ou du père.

Mme Danielle Bousquet a évoqué la possibilité de se rendre sur place pour apporter une aide.

Mme Geneviève Levy a considéré qu’une telle mission ne pourrait avoir lieu qu’après l’élection présidentielle.

Mme Catherine Quéré a suggéré que l’on utilise plutôt l’argent de ce voyage pour accroître l’aide, et a rappelé le découragement des Afghans après la conférence de Londres et leur crainte que la conférence de Paris ne change rien.

Mme Geneviève Levy a déploré le manque de transversalité de l’aide. Le Japon a par exemple financé la construction de cliniques : il y a maintenant les murs, mais aucun équipement à l’intérieur parce que le relais n’a pas été pris. Il existe cependant aussi des hôpitaux qui fonctionnent alors que ce n’était pas le cas auparavant. Et il faut tout de même espérer que la conférence de Paris aura des conséquences positives.

Mme Josette Pons a proposé une action des députées et sénatrices françaises pour aider les femmes parlementaires afghanes à aller siéger.

Mme Geneviève Levy a considéré qu’il fallait en effet concentrer les efforts dans ce domaine, de la façon la plus pragmatique et la plus efficace possible, et s’est référée aux actions qu’elle a menées dans sa circonscription : les 40 000 euros recueillis ont servi, grâce à la collaboration d’associations sûres, à la plantation d’arbres dans deux villages et à la réfection de canaux. Il faut cependant choisir avec prudence les associations relayant l’aide.

Mme la présidente a conclu la réunion en remerciant Mme Geneviève Levy pour son intervention et pour les perspectives d’action qu’elle a tracées.