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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 17 juin 2009

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 24

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

Audition sur le thème de l’accès des femmes aux responsabilités :

– de Mme Martine Oriot, vice-présidente de l’Association des directeurs d’hôpital

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Martine Oriot, vice-présidente de l’Association des directeurs d’hôpital.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, nous avons souhaité vous entendre afin d’aborder la question de l’accès des femmes aux responsabilités dans le cadre de la fonction publique hospitalière et nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd’hui.

La fonction publique hospitalière compte 77 % de femmes (en incluant les médecins), 80 % pour les filières soignantes hors corps médical, et 88 % dans les filières administratives. Cette administration constitue donc un excellent milieu d’observation.

Comment analysez-vous la situation, s’agissant de l’accès des femmes aux responsabilités ? Quelles recommandations pouvez-vous nous faire pour que la situation évolue ?

Mme Martine Oriot. Je suis très heureuse que vous ayez accepté de m’entendre, en tant que vice-présidente de l’Association des directeurs d’hôpitaux. Je suis également directrice de l’hôpital Henri Mondor AP-HP et j’interviens avec l’accord de mon président.

Vous avez eu raison de souligner que la fonction publique hospitalière est traditionnellement très féminisée, avec ses infirmières et ses aides-soignantes. Mais plus on monte en grade, moins on rencontre de femmes et on trouve des hommes aux postes de responsabilité.

On entre dans la fonction publique hospitalière par concours. Au stade des concours, on compte deux tiers de femmes, qu’il s’agisse des études médicales, ou de l’Ecole des Hautes études en santé publique. Lorsque j’y suis entrée, il n’y avait que 10 % de femmes ! Les proportions aux concours se sont maintenant inversées. Il semble en effet que le système scolaire soit plus adapté aux filles qu’aux garçons, qui se révèlent moins constants et réussissent moins bien aux concours que les « fortes en thème ».

Ensuite, on accède à des postes de responsabilité croissante, qu’il s’agisse de postes de médecins ou de cadres. L’ancienneté est prise en compte pour changer d’échelon, mais le passage d’une classe à l’autre, et donc d’une responsabilité à l’autre, est le résultat d’un choix. Pour les chefs d’établissement, ce choix est fait par les élus locaux (maires pour les hôpitaux MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) ou conseillers généraux pour les hôpitaux psychiatriques) et par l’Agence Régionale d’Hospitalisation, avant que n’intervienne une nomination ministérielle. Il faut donc passer des auditions. Pour en avoir passé plusieurs, j’ai pu constater que les hommes réussissaient plus facilement auprès des élus que les femmes, qui doivent surenchérir sur leurs compétences pour être retenues.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Et lorsque le maire est une femme ?

Mme Martine Oriot. C’est pire. Il y a une dizaine d’années, alors que j’étais candidate, c’est la seule personne qui m’ait téléphoné avant de faire son choix pour me dire qu’elle préférait des hommes aux postes de responsabilité. En général, les messieurs le disent autrement.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Depuis cette époque, avez-vous constaté une évolution ?

Mme Martine Oriot. Je ne trouve pas. D’après les statistiques, il y a entre 7 et 9 % de femmes sur les emplois fonctionnels. Ce sont des emplois détachés, « à siège éjectable », dans les hôpitaux les plus importants : leurs titulaires peuvent être rapidement démis de leurs fonctions et renvoyés dans leurs corps d’origine. Il s’agit des emplois de directeurs généraux de CHU ou d’hôpitaux importants. A l’AP-HP, il y en a 18 – sur 295 emplois de directeurs d’hôpitaux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Et combien de femmes ?

Mme Martine Oriot. J’en vois cinq, sous réserve de vérification. Il faut dire que Mme Van Lerberghe, directrice générale, a délibérément fait le choix de nommer des femmes aux emplois de responsabilités. Son successeur mène d’ailleurs la même politique.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le comportement des élues ne s’expliquerait-il pas par le fait qu’elles ont eu plus de mal à arriver où elles en sont ?

Mme Martine Oriot. Oui et elles se protègent. Comme nous-mêmes lorsque nous choisissons des équipes. Je me dis quelquefois que j’aimerais bien que les ressources humaines soient dirigées par un homme, qui interviendrait en première ligne et aurait un certain poids, y compris physique, face aux 5 800 agents. Je pense que l’on a le même réflexe dans des municipalités ou des départements importants. En fait, lorsque l’on est une femme, il faut d’abord « sur-prouver » ses compétences, puis se « sur-protéger » parce que l’on est davantage exposée.

Il y a une quinzaine d’années, je souhaitais déjà devenir chef d’établissement, mais je ne le suis que depuis une dizaine d’années. Mes premiers entretiens ne se sont pas bien passés. Il ne faut pas être trop jeune, il faut avoir des diplômes en plus, surenchérir sur ses compétences, etc.

Comment remédier à cette situation ? Je remarque que lorsqu’un corps professionnel se féminise, son importance baisse par rapport aux autres. Voilà pourquoi on aimerait qu’il y ait 50 % de femmes et 50 % d’hommes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Tout le monde nous dit la même chose.

Mme Martine Oriot. En tant qu’association professionnelle, nous aimerions bien qu’il y ait 50 % de femmes et 50 % d’hommes partout, jusqu’aux emplois fonctionnels. Nous savons que c’est un peu illusoire, en raison de ces nominations qui reposent uniquement sur des entretiens. Et encore, tous les emplois fonctionnels ne sont pas des emplois de chefs d’établissement : si l’on compte 9 % de femmes sur les emplois fonctionnels, il n’y en a que 7 % au niveau des chefs d’établissement. Mais pour confier des responsabilités de cette nature à une femme, il faut vraiment qu’il y ait une volonté déterminée de ne pas faire de différence, et ce n’est pas toujours le cas.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment faire évoluer les mentalités ?

Mme Martine Oriot. Dans les pays de culture latine, ce n’est pas facile. On considère encore qu’à un certain moment, la femme doit choisir entre son rôle de femme, de mère, et sa vie professionnelle. Dans les hôpitaux, la durée d’activité professionnelle des infirmières est très courte : de cinq à six ans. Une fois qu’elles sont mariées et ont des enfants, beaucoup arrêtent de travailler. Après un peu plus de deux ans d’études, cela représente un gâchis considérable. Cette attitude est moins marquée dans les pays du Nord.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce n’est pas aussi simple que cela. Les hommes travaillent plus dans le secteur privé et les femmes dans la fonction publique.

La faible durée d’activité des infirmières n’est-elle pas due aussi à leurs conditions de travail ?

Mme Martine Oriot. En effet. Le travail de nuit, le travail posté sont difficilement compatibles avec la vie de famille. Je remarque néanmoins que l’Assistance publique fait tout pour que ce ne soit pas un obstacle : la crèche fonctionne de six heures à vingt-deux heures, les centres de loisirs fonctionnent les mercredi, samedi, dimanche, jours fériés et vacances. Elle fait tout pour que les femmes poursuivent leur activité professionnelle : une infirmière peut passer cadre, cadre supérieur, directrice de soins. Le système est extrêmement protecteur et tient compte de la féminisation des effectifs.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Est-ce que les infirmières utilisent la possibilité de partir au bout de quinze ans, pour aller travailler dans le privé ?

Mme Martine Oriot. Effectivement, il est possible, au bout de quinze ans, de cumuler retraite et emploi ou de travailler à temps partiel.

Depuis la mise en place des trente-cinq heures certains infirmiers font de l’intérim, en plus de leur travail, pour augmenter leurs ressources. Je pense notamment aux infirmiers de nuit, qui travaillent quatre jours et ont trois jours de récupération ; cela représente trente-deux heures de travail et leur laisse donc du temps. Il suffit de modifier l’organisation du travail, leurs horaires et le cadencement des nuits pour se rendre compte que cela leur pose un problème.

Les jeunes femmes sortent à vingt-deux ans de l’école d’infirmières et, vers trente ans, renoncent à travailler à l’hôpital, avec des temps de travail longs sur une carrière longue. Elles vont dans une clinique avec un engagement plus court, voire dans une société d’intérim en choisissant, par exemple, de travailler six mois par an. Dans ce corps très féminisé, les salariés ont des rapports au travail très particuliers. Les femmes travaillent à temps partiel, et se débrouillent pour s’adapter aux préoccupations de carrière de leur conjoint. C’est un phénomène culturel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce n’est pas ce que l’on entend habituellement, car ce n’est pas « politiquement correct ».

Mme Martine Oriot. C’est une attitude néanmoins volontaire chez les femmes, même si elle est inconsciente.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans la fonction publique hospitalière, est-il possible d’accéder aux responsabilités en partant du bas de l’échelle ?

Mme Martine Oriot. A l’hôpital, il y a la hiérarchie soignante, essentiellement composée de femmes, qui entrent comme infirmières et terminent comme directrices de soins, avec une progression de carrière et des formations successives. Il y a aussi la hiérarchie médicale qui passe par les concours hospitaliers : le concours de praticien hospitalier reproduit pratiquement la répartition existant à la sortie des écoles de médecine : moitié hommes, moitié femmes. Mais les concours hospitalo-universitaires, qui comportent une part importante de cooptation, surtout pour les emplois les plus élevés (professeurs d’université, par exemple), sont réussis par une forte proportion d’hommes. Même des femmes professeurs d’université, responsables de leur discipline, choisissent souvent des hommes pour leur succéder.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les syndicats ne sont pas féminisés ?

Mme Martine Oriot. Pas précisément. Les représentants syndicaux sont souvent des hommes.

Il y a ensuite la hiérarchie administrative. En théorie, on peut passer, par concours successifs, du grade d’adjoint administratif au grade de directeur. C’est rare, parce que cela demande beaucoup de constance. Mais on voit souvent des personnes passer d’un poste d’encadrement intermédiaire, comme celui d’attaché d’administration hospitalière, à un poste de directeur ; cette évolution est favorisée par le concours interne.

Davantage d’hommes que de femmes se présentent aux concours internes. Dans une famille, celui qui prépare un concours sera plutôt le mari que la femme. Lorsque nous avons des entretiens avec nos collaboratrices et que nous les incitons à passer un concours, elles hésitent et mettent en avant le fait qu’elles ont des enfants. Le couple choisira presque systématiquement de favoriser la carrière du mari.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Combien y a-t-il de femmes dans les conseils d’administration ?

Mme Martine Oriot. C’est très variable. Les conseils d’administration sont composés d’un tiers d’élus locaux, d’un tiers de médecins, et d’un tiers de représentants du personnel, de représentants d’usagers et de personnalités qualifiées. En général, parmi les élus, il y a davantage d’hommes. Parmi les médecins, la répartition hommes/femmes varie. Parmi les représentants du personnel, la répartition est assez équilibrée. Parmi les représentants des usagers, il y a davantage de femmes. Au total, dans les conseils d’administration, hommes et femmes sont assez bien répartis.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Si on fixait par la loi un pourcentage minimum de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, est-ce que cela poserait un problème ? Et aurait un effet sur la politique de l’administration hospitalière ??

Mme Martine Oriot. Je ne pense pas que cela aurait une quelconque incidence. Nos conseils d’administration sont atypiques. Ce ne sont pas des conseils d’administration de financeurs, comme dans une entreprise privée. Ils n’ont pas d’impact sur les ressources humaines. Les normes de recrutement sont fixées par le ministère de la santé et les ARH.

Le conseil d’administration de l’hôpital vote le budget. Cela entraîne des conséquences sur le nombre d’emplois, mais par sur la répartition entre les hommes et les femmes. Outre le budget, le conseil d’administration se prononce sur la politique d’investissement. Il discute du projet d’établissement lequel peut comporter quelques lignes sur les aspects sociaux, mais c’est marginal par rapport à la politique de recrutement.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le président du conseil d’administration peut jouer un rôle dans ce domaine, dans la mesure où il dicte la politique sociale de l’administration.

Mme Martine Oriot. En effet, d’autant qu’il a un contact direct avec le directeur et avec le président de la commission des tutelles. C’est au niveau de ces trois personnes que se décident les grandes orientations.

Je n’ai encore jamais vu un hôpital qui ait inscrit dans son projet social quoi que ce soit sur l’égalité hommes/femmes. Il faut dire que le secteur est très féminisé, et que c’est plutôt le problème inverse qui se pose : par exemple, dans les hôpitaux psychiatriques, nous aimerions avoir davantage d’infirmiers, en raison du caractère violent de certains patients.

Auparavant, il existait deux filières, mais elles ont été réunies il y a une dizaine d’années. Cette réforme était destinée à revaloriser le métier des infirmiers et infirmières, mais elle a eu des conséquences négatives dans les hôpitaux psychiatriques où il n’y a pratiquement plus que des femmes. Une des solutions envisagées consisterait à créer, après le diplôme d’État, une filière spécialisée qui nous assurerait une plus forte concentration masculine.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais personne n’avait pensé que cette réforme aurait de telles conséquences ?

Mme Martine Oriot. Auparavant, les deux professions n’étaient pas rémunérées sur les mêmes échelles. La création du corps unique D.E. a permis une revalorisation générale satisfaisante. Nous avions immédiatement fait remarquer que le profil démographique était tel qu’on finirait par ne recruter que des femmes. Pour autant, je ne suis pas favorable aux quotas, qui n’arrangent rien et entraînent des effets délétères, surtout devant des phénomènes culturels qui restent très présents.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment peut-on fidéliser les infirmières pour qu’elles ne quittent pas la fonction publique hospitalière et aient envie de monter dans la hiérarchie ?

Mme Marine Oriot. Le dispositif mis en place, de crèches, de centres de loisirs, d’accompagnement dans les carrières, permet d’en fidéliser un nombre non négligeable. On trouve dans les hôpitaux des infirmières, qui passent des concours de cadres, de directeurs de soins et qui s’investissent dans leurs fonctions.

Il reste que le métier d’infirmière est physiquement exigeant et que les horaires sont variables ce qui ne facilite pas la construction de la vie familiale. On ne sait pas mécaniser un soin à l’hôpital pour le rendre moins pénible physiquement. On a mis au point des dispositifs de rails au plafond, avec des lève-patients, pour que les infirmières ne s’abîment pas le dos, mais on ne peut pas faire disparaître toute la pénibilité du travail, le stress, le fait de devoir modifier ses horaires, etc. Tout cela est lié à l’essence même du travail à l’hôpital. Celles qui se sont habituées et qui passent les échelons de la hiérarchie soignante restent très longtemps et demandent parfois à prolonger leur carrière.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ne pourrait-on pas imaginer qu’au cours de sa carrière, une infirmière soit transférée dans les services administratifs ?

Mme Martine Oriot. C’est un peu ce qui se passe. Plus de la moitié des tâches d’un cadre soignant sont de nature administrative. Un directeur de soins fait partie de l’équipe de direction. Plus les soignants montent dans la hiérarchie, plus ils ont des tâches de management – tout en restant dans la filière soignante.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.