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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 3 novembre 2010

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 2

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Rachel Silvera, maître de conférence à l’Université Paris-Ouest-Nanterre, co-auteur de « Comparez les emplois entre les hommes et les femmes »

– Information relative à la Délégation

L’audition est ouverte à quatorze heures.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Rachel Silvera, maître de conférence à l’Université Paris-Ouest-Nanterre, co-auteur de « Comparez les emplois entre les hommes et les femmes »

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous vous remercions, Madame, de venir nous apporter votre expertise sur la problématique de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Cette question est au centre du travail de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, un de nos objectifs étant d’assurer l’effectivité des rapports d’évaluation comparée et des mesures prises par les entreprises en faveur de l’égalité professionnelle.

Mme Rachel Silvera. Je voudrais souligner, en préalable, que le travail que j’effectue autour de la question de l’égalité salariale retient une approche plurielle de cette question. J’avais exposé ce point dans une étude intitulée « Le salaire des femmes, toutes choses inégales par ailleurs », publiée en 1993, qui montrait qu’une approche traditionnelle qui se cantonne à une lecture purement économique de la question des inégalités de salaire entre les hommes et les femmes était insuffisante à expliquer les écarts de salaire.

En effet, d’autres variables doivent être prises en considération, et parmi elles, la question du mode de négociation salariale. Or, on constatait que l’égalité entre les hommes et les femmes était rarement intégrée dans les négociations annuelles obligatoires. On négociait peu, et cette question quand elle était traitée, faisait, le plus souvent, l’objet de négociations distinctes, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays européens tels que la Suède et les autres pays nordiques. Il est pourtant essentiel de ne pas opérer de dissociation, sur les salaires au moins, entre les différentes formes de négociations car cela aboutit à l’absence de tout « gender mainstreaming ». Malheureusement c’est toujours le cas, et les accords égalité restent de toute façon trop peu nombreux et leur contenu est très insuffisant.

Les seules variables économiques étant insuffisantes à expliquer les écarts salariaux, cela doit conduire à prendre en compte d’autres variables comme les stéréotypes ou la prise en compte de la valeur du travail en tant que telle. Cela revient à raisonner en terme d’emploi à valeur comparable et donc à travailler sur l’évaluation des emplois. Ce principe existe en droit français depuis la loi de 1972 qui disait bien que le « salaire égal » devait s’entendre pour un travail de « valeur égale ». Pourtant c’est une approche qui est restée un angle mort.

Un premier groupe pilote sur ce sujet a été initié à la HALDE. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication intitulée : « Comparer les emplois entre les hommes et les femmes. De nouvelles pistes vers l’égalité salariale ». A la suite de cette étude, un groupe de travail a été crée, dont les conclusions seront délivrées courant 2011.

En effet, les inégalités de salaires sont généralement étudiées à poste égal, ce qui permet de mettre en évidence une partie de la discrimination salariale. Mais sur cette base, la plupart des accords d’entreprise considèrent qu’il n’y a pas d’écart significatif - en dehors de l’ancienneté et de l’âge - ou que ces derniers sont négligeables.

Ce raisonnement est loin d’être suffisant car les hommes et les femmes n’occupent pas en général les mêmes emplois. La ségrégation professionnelle limite donc une telle approche qui aboutit finalement à n’étudier que 10 à 20 % du problème des discriminations salariales. Cela n’empêche pas les actions sur des postes équivalents (carrière, primes…) ni de lutter pour une plus grande mixité - dans les deux sens- qui reste un passage obligé pour lutter contre les inégalités de rémunération. Mais, seule une approche qui repose sur la valeur égale des emplois donc sur l’évaluation des emplois à prédominance féminine par rapport aux emplois à prédominance masculine (c'est-à-dire des emplois où il y a plus de 70 % d’homme ou de femme) permet de vérifier si des discriminations indirectes existent.

Des comparaisons de ce type ont été faites en Suisse, par exemple, ou l’on a cherché à analyser si une infirmière était payée à sa juste valeur en la comparant à un gendarme. Ces différences renvoient à la construction sexuée des métiers, les métiers de service étant associés aux femmes, alors que les métiers de l’industrie sont communément des métiers d’hommes. Cette construction résulte en réalité de présupposés de compétences sexuées et d’une construction basée sur un modèle masculin qui aboutit à ce que ce soit les emplois à prédominance féminine qui dans notre société soient les moins valorisés. L’ensemble de ces constats démontre l’intérêt de compléter la mesure de la discrimination salariale en utilisant le principe de valeur comparable des emplois.

Autre remarque, dans certains pays nordiques où l’on combat l’existence d’une ségrégation verticale qui limite l’accès des femmes aux emplois très qualifiés ou à forte responsabilité, on admet finalement une ségrégation horizontale entre les emplois. Les politiques qui cherchent à l’introduction de la mixité, en incitant des jeunes femmes à accéder à des emplois dits masculins, s’y sont heurtés à des limites sous l’effet des choix personnels. Dès lors, valoriser certains emplois discriminés en raison de leur prédominance féminine constituerait, en attendant plus de mixité, une réponse pour lutter contre les inégalités salariales. En attendant, est-on bien sûr que l’on rémunère à son juste prix l’infirmière, la professeure d’école, l’assistante maternelle, l’assistante de gestion…

On cherche à opérer ce type de comparaisons au sein d’une même entreprise ou d’une collectivité territoriale, entre la professeure des écoles et l’agent technique mais ces comparaisons pourraient également être réalisées à l’échelle de la société. C’est qui se fait au Canada.

C’est enjeu d’actualité d’abord parce que l’accord national interprofessionnel du 1er mars 2004 sur l’égalité qui prévoyait dans son article 13 un « réexamen quinquennal des classifications, des critères d’évaluations retenus dans la définition des différents postes de travail afin de repérer, de corriger ceux d’entre eux susceptibles d’induire des discriminations entre les hommes et les femmes et de prendre en compte l’ensemble des compétences mise en œuvre ». A ce jour, il n’y a eu aucune application de cette disposition, ni aucune évaluation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’absence de réexamen et de réévaluation sur ce fondement de l’accord national interprofessionnel est regrettable. Cet accord constituait pourtant un des éléments de réponse à l’inégalité salariale. De façon générale, entre 2002 et aujourd’hui les évaluations n’ont pas été faites.

Mme Rachel Silvera. L’ANI du 1er mars 2004 a eu un effet positif sur la conclusion d’accords collectifs sur l’égalité avec la loi de 2001 et celle de 2006. Plus de 1000 accords d’entreprise ont été conclus et des accords dans près d’une branche sur deux. Il a eu des progrès mais beaucoup d’accord ne sont que des coquilles vides dans la mesure où ils concluent à l’absence d’écart significatif entre les hommes et les femmes. Comment se fait-il qu’au niveau macro-économique on mette en évidence un écart salarial d’au moins 20 % qui ne se retrouve pas au niveau des entreprises ?

Parmi les enjeux actuels en termes de parité, il faut revenir sur la loi de 2006, qui imposait une négociation obligatoire sur le rattrapage des écarts salariaux avant le 31 décembre 2010. Les acteurs ne s’en sont jamais emparés. L’article 99 de la réforme des retraites vient de modifier ce dispositif en créant une pénalité pouvant aller jusqu'à 1 % de la masse salariale, pour les entreprises qui ne sont pas couvertes par une plan d'action relatif à l'égalité professionnelle. On peut cependant avoir des doutes quant au ciblage de ce dispositif sur les écarts de salaires au profit de plans ou de mesures plus générale sur l’égalité professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’article 6 de la proposition de loi relative à la présence équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d'administration prévoyait que le Conseil d’administration soit destinataire du rapport de situation comparée. Le Sénat a supprimé cette obligation. Pourtant, ce rapport de situation comparée est le fondement de la négociation et les entreprises qui ne le font pas se privent de la possibilité de voir noir sur blanc le diagnostic sexué et chiffré de leur situation.

Mme Rachel Silvera. La révision du rapport de situation comparée en 2007 aurait pourtant dû inciter les entreprises à l'effectuer. Il y a eu une volonté d’instituer une plus grande précision en introduisant en plus des écarts moyens, les écarts médians.

Il conviendrait également de prendre en compte d’autres indicateurs en matière d’égalité salariale. Mais ce travail nécessite une expertise importante. Si l'on regarde les indicateurs définis par le décret d'application ou les leviers proposés par le rapport de Brigitte Grésy, on ne voit pas seulement la photo de l'entreprise, mais son film ; on pourrait même obtenir une image en trois dimensions en comparant les rémunérations et les valorisations d'emplois de nature différente au sein d'un même établissement.

Aujourd'hui, une entreprise sur deux ne fait pas le RSC et quand elle le fait, elle ne prend pas toujours en compte l'ensemble des indicateurs pertinents. Donc, malgré les prescriptions légales, peu d’entreprise ont effectué un tel travail sauf les plus grandes qui font appel à des organismes extérieurs. Cela a notamment été le cas de la société Air France. Il faudrait qu’il y ait un organisme public compétent pour réaliser ces études. Cela pourrait être le rôle de l’ANACT, par la création d’un secteur spécifique dédié à la question de l’égalité salariale car les partenaires sociaux ne sont pas, en l’état, en mesure d’y procéder.

Autre élément d'actualité, la jurisprudence issue du cas Bastien. La Cour de Cassation a validé le fait que le poste de directeur des ressources humaines bénéficie de la même reconnaissance que le poste de directeur financier, notamment en termes de rémunération et d'avantages. Cette décision est très importante.

Je souhaiterais maintenant vous faire part des quelques expérimentations qui ont eu lieu à l'étranger. Au Québec d'abord, une loi proactive sur l'égalité salariale a permis de mettre en place des méthodes d'évaluation non discriminantes et un rattrapage salarial. En Belgique, la mise en place de cycles de formation dans le cadre de la méthode « EVA » pour évaluer et la conduite de débats publics ont fait avancer la question. En Suisse enfin, une méthode a vu le jour, permettant d'effectuer des analyses de cas poussées de comparaison entre différents métiers.

Dans ces pays, une volonté d'évaluer les emplois selon une optique non discriminante en matière de genre a émerge. Cette approche est rendue possible par l'existence d'une volonté politique, par l'implication très forte des syndicats et par le développement d'un champ de recherche développé en matière de gender studies. Dans notre pays, ces acteurs ne se rencontrent pas assez. Au Québec, des chercheuses dits « féministes » ont impulsé, en tant qu’ergonomes, des études auprès des entreprises dans un objectif de lutte contre les discriminations. Elles ont pu démontrer par exemple que la charge portée par les caissières de supermarché était équivalente à celle des manutentionnaires. Cela participe au repositionnement de certains emplois à prédominance féminine.

Dans mon dernier ouvrage, j'ai procédé à une étude de cas portant sur cinq comparaisons entre des emplois à prédominance féminine et masculine : assistantes de gestion et responsables de secteur, gestionnaires et agents techniques, infirmières et agents chefs, agentes d'entretien et ouvriers professionnels, attachées territoriales et ingénieurs territoriaux.

Cette étude de cas a montré ses limites. Nous ne sommes pas encore parvenus à mettre en place une nouvelle méthode de classification non discriminante des emplois car en France, le système de classification des emplois est très complexe : chaque branche à sa propre classification, des entreprises appliquent des méthodes d’évaluation qui leur sont spécifiques. D’ailleurs, dans les entreprises du secteur privé il est encore très difficile de savoir comment sont évalués les emplois. Par conséquence, nous avons travaillé avec des collectivités territoriales et une entreprise du secteur de l’eau car dans les fonctions publiques les postes sont en général définis de façon transparente.

Nous avons effectué des comparaisons entre des emplois repères : emplois administratifs de gestion avec des emplois de responsables de secteur ; des d’infirmières avec des agents chefs en charge de la maintenance des locaux ; des attachés avec des ingénieurs territoriaux.

Les résultats obtenus sont en adéquation avec ceux des expérimentations étrangères. Une première synthèse nous a permis de tirer les conclusions suivantes :

- du côté des emplois à prédominance masculine, un « vrai métier » qui s'appuie sur des techniques précises bien délimitées. Il existe une « culture métier » forte avec des revendications collectives clairement exprimées, y compris à l’hôpital où les agents chefs ont obtenus des éléments de reconnaissance qui font en partie défaut aux infirmières ;

- du côté des emplois à prédominance féminine, les compétences sont souvent « invisibles », non reconnues. Il s'agit souvent d'emplois « fourre-tout » comme ceux d’assistante de gestion, fonctions très personnalisées avec une prise d'initiative individuelle qui dépasse ce qui est prescrit et qui n'est donc pas rémunérée en conséquence. Les revendications sont moins collectives ;

Selon que le métier soit dit « d'hommes » ou « de femmes », les notions de qualification, de pénibilité, de technicité, d'encadrement, de rôle du diplôme, ou encore la polyvalence sont plus ou moins bien valorisés.

Jean-Luc Pérat. Ceci provient en grande partie du fait que les évaluations au départ ont été faites par des hommes. Cela pose la question du comité d'évaluation qui a participé à votre étude. S'agissait-il d'un comité mixte ? Autre chose : quand on voit une femme qui fait un métier d'homme, on a tendance à « compatir ». Ne faudrait-il pas que nos représentations changent en tout premier lieu ?

Rachel Silvera. L'évaluation a été faite sur la base des fiches de postes fournis par les employeurs. A l’origine de ces évaluations, il est vrai qu’il n’y a pas de procédure transparente associant les salariés eux-mêmes. En tous les cas, le comité qui met en oeuvre la méthode d’évaluation devrait être mixte, le plus près possible des salariés concernés et avec une formation suffisante. La représentation, c'est-à-dire la présence de femmes, n’est pas une garantie en elle-même.

En ce qui concerne la pratique par des femmes de métiers dits « d'hommes », elle s'accompagne souvent d'une amélioration des conditions de travail, ce qui s’avère positif pour tout le monde. On a aussi le cas de métiers dits « de femmes » qui sont pénibles, mais dont la pénibilité est déniée par celles qui le pratiquent. C'est le cas des infirmières par exemple mais cela est particulièrement vrai pour les emplois de services en raison du stress et des difficultés que la relation implique.

Pour les qualifications, on a constaté qu’entre emplois à prédominance féminine et masculine, le diplôme n’est pas reconnu de la même façon : c’est le cas pour les infirmières alors que les agents chefs qui n’ont en général qu’un CAP. L’expérience et ce qui est informel n’est pas non plus valorisé à l’identique

On a, en outre une difficulté à associer la technicité avec des emplois de service ou des emplois relationnels. Les infirmières du secteur psychiatrique procèdent à des entretiens individuels avec les malades, ce qui de fait requiert une importante technicité. Or, la technique est d’abord ce qui est visible, ce qui est construit.

De même, les responsabilités d’encadrement sont survalorisés chez les hommes. Pour l’agent chef qui encadre une équipe, cette fonction est reconnue. L’infirmière a la responsabilité de malades, mais cela n’a pas la même valeur. Encadrer reste une caractéristique des emplois masculins.

Enfin, en termes de pénibilité et de conditions de travail, on ne considère que ce qui est visible donc la charge physique, la charge émotionnelle et mentale est sous évaluée.

Depuis février 2010, un groupe de travail a été constitué à la Halde composé de chercheurs, responsables des ressources humaines de partenaires sociaux (sauf le Medef qui n’a pas répondu), de consultants et des institutions concernées. Ce groupe étudie les classifications existantes comme celles du commerce ou des assurances pour analyser les critères étudiés. Souvent ceux-ci sont redondants ce qui aboutit à coter doublement des emplois dits masculins. Nous avons pour objectif d’élaborer, pour la fin 2011, un guide repère pour que el s personnes concernées puissent s’y référer quand on révise les classifications ou pour apprécier leur propre position.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Votre approche est extrêmement intéressante. Effectivement pouvoir effectuer le « film dont vous parlez serait l’idéal. La première étape c’est déjà le RSC et la photo.

Rachel Silvera. Cette photo est souvent en elle-même insuffisante. Par exemple, il arrive souvent le salaire de base sert seul de comparaison. Les primes n’y sont pas intégrées.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous vous remercions.

Information relative à la Délégation

Mme Marie-Jo Zimmermann et M. Jean-Luc Pérat ont été désignés co-rapporteurs au nom de la Délégation, sur l’évaluation de l’application des lois relatives à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.