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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 12 janvier 2011

Séance de 14 heures 15

Compte rendu n° 9

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Sandrine Devillard, directrice associée senior du cabinet McKinsey & Compagnie..

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition de Mme Sandrine Devillard, directrice associée senior du cabinet McKinsey & Compagnie.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame Devillard, merci beaucoup d’avoir répondu à notre invitation.

Depuis plusieurs années, le cabinet McKinsey & Compagnie mène une enquête sur la contribution des femmes à la performance des entreprises et sur les moyens de développer la mixité dans les instances de direction. De telles études viennent appuyer nos idées et accroître notre force de conviction, notamment en cette semaine où nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi que j’ai portée avec Jean François Copé, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.

Mme Sandrine Devillard. Un texte sensiblement modifié par le Sénat, semble-t-il.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le Sénat a joué un rôle extrêmement positif en élargissant le champ d’application de la proposition de loi et en portant de ce fait à plus de 2 000 le nombre des sociétés concernées. Je regrette seulement qu’il ait supprimé l’obligation de mixité dans la composition des conseils d’administration des établissements publics industriels et commerciaux et des établissements publics administratifs de l’État et qu’il ait abandonné le principe de la transmission annuelle à l’assemblée générale des actionnaires du rapport de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes. Heureusement, l’obligation d’une délibération annuelle des conseils d’administration et de surveillance sur la politique de chaque société en matière d’égalité professionnelle et salariale demeure.

Mme Sandrine Devillard. L’absence de publicité du rapport de situation comparée est tout à fait dommageable car un levier est perdu ; dans les meilleures pratiques, le fait de disposer d’une base factuelle, quantifiée et chiffrée est en effet un élément crucial.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Obliger les entreprises à effectuer leur rapport de situation comparée est un combat que je mène depuis 2002. Si des avancées sont perceptibles, tout n’est pas gagné pour autant.

Pour en revenir à vos travaux, ils me paraissent décisifs pour surmonter une grande difficulté : faire comprendre que les femmes doivent participer au pouvoir entrepreneurial non pas pour s’en emparer, mais parce que la mixité dans la gouvernance est une valeur ajoutée.

Mme Sandrine Devillard. Tout à fait, et c’est ce que nous avons démontré.

Depuis cinq ans, le cabinet McKinsey mène en effet une étude sur la contribution des femmes à la performance des entreprises et à la mixité dans les instances de direction, des sujets où les progrès sont, il faut le dire, très lents. Personnellement, je m’y suis intéressée, d’abord, à la naissance de mon premier enfant, ensuite comme femme au sein du bureau McKinsey de Paris, puis en gérant ce dossier au niveau européen tout d’abord et au niveau mondial aujourd’hui.

Les mesures appliquées par le Cabinet ont porté leurs fruits : notre bureau de Paris fait mieux que les comités de direction des entreprises françaises puisqu’il compte neuf femmes directeurs associés, soit 20 % des effectifs. Mais, si la mixité dans les comités de direction nous apparaissait constituer une évidence d’un point de vue éthique, nous ne savions pas, faute de littérature sur le sujet, quel impact elle peut avoir sur la performance des entreprises. C’est donc ce sujet que nous avons décidé d’analyser il y a cinq ans et le document que je vous ai distribué, intitulé Women matter 2010, présente les faits qui nous permettent de nous forger une réelle conviction. Je vais le commenter.

Nous avons d’abord mis en évidence la proportion des femmes présentes dans les conseils d’administration de 441 entreprises constitutives des indices boursiers de douze pays. Cette proportion, très faible, va de 5 % en Inde à 32 % en Norvège. Quant à la France, elle affiche un taux de 15 %, soit un bond de 7 % depuis 2007 lequel prouve la force d’intervention du législateur : depuis l’année dernière, la peur de la future loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance a poussé les entreprises du CAC 40 à recruter des femmes. À tel point que mes amies et moi-même sommes fréquemment poursuivies par de nombreux chasseurs de têtes…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pouvez-vous me confirmer que les recrutements n’ont pas uniquement concerné les filles ou les femmes de X ou Y et que des femmes semblables à vos amies ont été recrutées ?

Mme Sandrine Devillard. Tout à fait. Un grand nombre de mes amies quadragénaires qui sortent d’une grande école et affichent une belle carrière ont été contactées. Il faut noter que le recrutement de femmes correspondant à ce profil est devenu une activité très importante des chasseurs de tête.

Nous avons ensuite, en reprenant le même échantillon, regardé la proportion des femmes dans les comités de direction en partant du postulat que pour avoir des administratrices qualifiées, il faut qu’elles aient été tout d’abord membres d’un comité de direction. Et là, les résultats sont encore plus alarmants ! La Norvège compte seulement 12 % de femmes, l’Allemagne et l’Inde 2 %. En France, ce taux est de 7 %. Dans la mesure où il n’est pas possible de légiférer en cette matière, la situation est très inquiétante car c’est parmi les femmes des comités de direction que se trouvent les futures administratrices. Nous nous sommes donc interrogés sur les actions de nature à augmenter le nombre de femmes dans les comités de direction, présumant que plus les femmes y seraient nombreuses, plus on en retrouverait ultérieurement dans les conseils d’administration.

En remettant à jour sur ce point, une étude faite en 2007, nous avons pu démontrer qu’il fallait en finir avec une idée reçue : celle selon laquelle la situation ne peut que s’améliorer d’elle-même du fait de l’accroissement naturel du nombre de jeunes diplômées. Cet accroissement ne suffit pas à combler l’écart de représentation dans les instances dirigeantes : on constate en effet, que si le pourcentage de femmes diplômées en France était de 41 % en 1975, elles ne sont que 7 % dans les comités de direction en 2010 ; par projection, on peut donc estimer que les 55 % de femmes diplômées en 2008 ne seront que 9 % à être dans des comités de direction en 2040 ! C’est bien la preuve que l’idée, selon laquelle il n’est pas utile d’agir au motif que de plus en plus de femmes sont diplômées, est fausse. J’ai interviewé environ 500 dirigeantes de société à travers le monde, diplômées en 1970 : elles m’ont toutes dit qu’en accédant à leur premier poste de direction générale, elles se sentaient être des pionnières mais qu’elles n’imaginaient pas qu’elles le resteraient vingt à trente ans plus tard et que les femmes seraient encore si peu nombreuses.

Nous nous sommes ensuite demandé quels obstacles barraient le parcours des femmes.

Le premier, bien connu, qui pénalise les femmes est la double tâche. Comme le montrent un grand nombre de rapports, notamment de la Commission européenne, les femmes sont, en moyenne, plus nombreuses à assumer la charge des enfants et des parents âgés. Cette première raison est invoquée tant par les hommes que par les femmes.

Il existe également des facteurs exogènes aux femmes mais liés aux entreprises, en particulier un modèle de leadership plutôt masculin, mais aussi un modèle de performance « n’importe quand, n’importe où » (anytime, anywhere), selon lequel les cadres sont « globaux » et peuvent travailler d’abord à Paris, puis à Shanghai, ensuite en Azerbaïdjan, enfin en Amérique latine. Un tel mode de travail est difficilement conciliable avec l’organisation de la maison, le plus souvent assumée par les femmes.

Il existe enfin d’importantes barrières endogènes : d’une part, les femmes ont généralement davantage de difficultés à se projeter dans une carrière, notamment parce que les modèles sont rares ; d’autre part, plus conscientes des difficultés, elles finissent malheureusement par jeter l’éponge. Or, ainsi que l’ont démontré de nombreuses analyses, notamment notre premier rapport Women Matter de 2007, la capacité des femmes à entrer de nouveau dans le circuit du travail est très faible une fois qu’elles en sont sorties.

Est-il important de se battre ? Je pense que oui car, en 2007 puis cette année, nous avons prouvé, même si cela est davantage un faisceau de présomptions, que l’impact des femmes dans les entreprises est très important. Le cabinet McKinsey dispose en effet d’un outil permettant de mesurer la performance organisationnelle des entreprises : une base de données de 200 000 entreprises représentatives de tous les secteurs d’activité dans le monde entier.

Après avoir interrogé ces entreprises sur 9 dimensions organisationnelles subdivisées en sous questions, nous avons tout d’abord constaté que les sociétés les mieux notées par leurs employés sont les plus performantes. Nous avons ensuite analysé les résultats des plus de 150 000 entreprises dont on pouvait connaître le nombre de femmes qui siégeaient dans leur comité de direction ou leur conseil d’administration au moment où les réponses avaient été données. En distinguant les entreprises qui comptaient dans leurs instances dirigeantes zéro femme, une femme, deux femmes, trois femmes (une trentaine d’entreprises) ou plus (quatre entreprises), on constate que les entreprises ayant trois femmes ou plus dans leurs instances de direction ont de meilleurs résultats, notamment dans quatre des neuf dimensions organisationnelles : équipe de leadership + 4 points, coordination et contrôle + 5 points, environnement de travail et valeurs + 7 points, vision de l’entreprise + 6 points.

Étant donné le nombre élevé de répondants, on peut dire qu’un seul point supplémentaire est statistiquement important. Et si dans le domaine statistique, la corrélation n’est pas une causalité, nous avons néanmoins démontré, dans notre échantillon, l’existence d’une corrélation fortement positive entre les performances organisationnelles des entreprises et la présence de trois femmes ou plus dans les instances de direction.

Par ailleurs, il est extrêmement intéressant de noter un point souligné par toutes les femmes membres des conseils d’administration ou des comités de direction de ces entreprises lors de leur entretien : la diversité ne commence pas avec la présence d’une femme. En effet, lorsque des instances de direction ne comptent qu’une seule femme, les interventions de cette dernière sont considérées non pas comme celles d’une professionnelle mais comme celles de « la » femme ; au contraire, dans les instances de direction comptant plusieurs femmes, chacune de leurs interventions sera considérée comme celle d’une professionnelle donnant son point de vue sur un sujet. Cette remarque rejoint les faits que je viens de décrire, à savoir que plus il y a de femmes au sein d’un groupe, plus les choses changent.

Nous avons décidé d’aller plus loin encore cette année et de comparer, en reprenant les 441 entreprises précitées, la performance des entreprises ne comptant aucune femme dans leur comité de direction à celle des entreprises qui en ont le plus. Le résultat est que, quel que soit l’indicateur financier, les entreprises ayant une plus forte proportion de femmes dans leur comité exécutif enregistrent de meilleurs résultats financiers. Là encore, l’existence d’une corrélation est également prouvée et confortée par à peu près tous les autres organismes qui ont mené des études semblables.

Nous nous sommes demandé pourquoi des entreprises des plus diverses pouvaient être les plus performantes, en nous appuyant sur le travail de chercheurs américains ayant identifié neuf modes positifs de leadership. À partir d’une base de données de 9 000 cadres supérieurs observés pendant une année, ils ont mis en évidence que, généralement, les hommes utilisent en priorité deux modes de leadership – « prise de décision individuelle » et « contrôle et action correctrice » – et les femmes, cinq : « développement des autres », « prise de décision participative », « inspiration », « être soi-même un rôle modèle », « fixer les attentes et récompenser les gens » ; deux modes de leadership sont utilisés indifféremment par les hommes et les femmes : « stimuler les gens dans les équipes » et « communication efficace ».

La comparaison de cette analyse réalisée au niveau d’un individu avec la nôtre menée au niveau d’une entreprise, nous a amenés à conclure que l’important n’est pas tant la mixité dans les comités de direction que la diversité des modes de leadership qui en découle. En effet, à condition d’être plus d’une dans les instances de direction, les femmes apportent cette diversité, de la même façon que des gens de profils ou d’horizons différents pourraient le faire.

Nous avons encore approfondi la question en demandant – avant, pendant et après la crise - à 700 PDG représentatifs de toutes les industries à travers le monde d’observer quels modes de leadership caractérisaient leur entreprise. Tous ont répondu : « prise de décision individuelle » et « contrôle et action correctrice ». Mais lorsque nous leur avons demandé lesquels ils souhaitaient mettre en place pour sortir de la crise et après la crise, ils ont cité : «  la stimulation intellectuelle » – car le monde est plus complexe et en raison de l’existence d’une guerre des talents, il faut savoir retenir ces talents –, puis les modes le plus souvent appliqués par les femmes, à savoir : « inspiration », « capacité à prendre des décisions participatives », « fixer les attentes et récompenser des gens », « développement des gens » et « rôle modèle ». À la question de savoir si les modes actuels de leadership leur semblent être en ligne avec ces cinq modes de leadership, ils ont alors répondu par la négative.

Certes, on ne pourra jamais démontrer qu’une entreprise est devenue très productive grâce à l’augmentation du nombre des femmes, et c’est pourquoi j’ai parlé d’un faisceau de présomptions. Néanmoins, les talents féminins et leurs modes de leadership – lesquels sont en général, mais pas nécessairement, différents des hommes – semblent être une source de richesses.

Certaines entreprises font énormément de choses au niveau mondial. Ainsi, GE International a lancé, il y a dix ans, un programme qui lui a permis d’intégrer dans les comités de direction de toutes ses filières, partout dans le monde, un grand nombre de femmes. Ses dirigeants, ayant en effet constaté que les managers de l’entreprise n’étaient pas assez performants, ont analysé le profil de ce qu’ils estimait être celui du bon manager lequel s’est révélé très masculin par ses dimensions « prise de décision individuelle » et « action forte ». Ils ont alors décidé de faire évoluer ce profil en y ajoutant trois dimensions : « prise de décision participative », « fixation des objectifs et récompense », « développement des personnes et exemplarité ». Ce faisant, les managers de cette énorme entreprise se sont améliorés, sont devenus plus compétents, et les femmes sont parvenues à y être davantage promues. Ce seul cas prouve que récompenser des modes de leadership un peu plus fréquemment observés chez les femmes leur facilite les choses, et qu’il faut donc plus de femmes dans les entreprises.

Nous avons ensuite cherché à évaluer les états d’esprit en demandant à huit cents personnes – membres de comités de direction et cadres dirigeants (management intermédiaire) de toutes les industries à travers le monde – si elles considèrent que les entreprises les plus rentables sont celles qui comportent une part importante de femmes dans leur comité de direction. Les femmes dirigeantes et cadres dirigeantes en sont respectivement convaincues à 90 % et à 85 %. Mais, si la majorité des dirigeants – 62 % – est désormais convaincue de l’impact positif de la mixité sur la performance, une part encore non négligeable des cadres dirigeants – 50 % – reste, malheureusement, à convaincre.

À partir de notre analyse sur toutes ces entreprises, McKinsey a identifié treize mesures qui accroissent la mixité, parmi lesquelles : la flexibilité des conditions de travail, le suivi par la direction générale et le comité de direction des programmes de la mixité, les programmes encourageant le networking des femmes, etc. Puis, nous avons demandé à un panel de 1 500 entreprises – de toutes les industries à travers le monde – lesquelles de ces mesures elles mettent en œuvre pour favoriser la mixité : elles sont 32 % à n’en prévoir aucune, 38 % à adopter d’une à trois mesures – généralement, la flexibilité du temps de travail, qui n’est pas spécifique aux femmes, même si ce sont elles qui l’utilisent le plus –, 17 %, quatre à cinq mesures, et 13 %, six mesures ou plus. On le voit, l’application de mesures dédiées reste limitée.

Nous avons ensuite demandé à ces mêmes entreprises si la mixité fait partie de leurs priorités stratégiques. Seules 28 % la font figurer parmi leurs dix priorités stratégiques – 8 %, telle Sodexo, parmi leurs trois premières priorités et 20 % parmi leurs dix premières. Pour 36 % des entreprises, la mixité est une simple priorité ; pour 33 % d’entre elles, elle ne figure pas sur leur agenda ; enfin, 3 % des personnes interrogées ne savent pas si la mixité constitue une priorité, ce qui permet de conclure qu’elle n’en est pas une. Ces résultats nous ont étonnés : malgré le discours actuel des patrons sur la mixité, celle-ci n’est toujours pas une priorité pour bon nombre d’entreprises.

Pourtant, nous avons observé que deux choses changent significativement dans celles des 1 500 entreprises de niveau mondial où la mixité est une priorité par rapport à celles où elle ne l’est pas. D’abord, les mesures mises en œuvre sont beaucoup plus nombreuses : cinq en moyenne, au lieu de 0,9. Ensuite, le pourcentage de femmes dans les comités de direction est deux fois plus élevé – 86 % au lieu de 49 %.

De toutes ces observations, on peut déduire que, pour faire progresser la mixité, il faut, premièrement, être convaincu qu’elle constitue un avantage, deuxièmement, en faire une priorité, et troisièmement, mener des actions.

Ce dernier point me conduit à vous préciser les treize mesures de développement de la mixité dans les entreprises que j’ai évoquées tout à l’heure.

D’après nos observations – faites en opposant les entreprises qui mettaient en pratique chacune de ces mesures à celles ne le faisaient pas –, lorsque la mesure, « engagement visible de la direction générale et du comité de direction sur les programmes de mixité et leur performance » est appliquée, le pourcentage d’entreprises comportant de nombreuses femmes dans leurs comités de direction augmente de 22 %. Par conséquent, il ne suffit pas de définir la mixité comme une priorité : non seulement elle doit faire l’objet d’un engagement visible de la direction générale, en particulier du PDG, à travers des programmes, mais encore tout le monde dans l’entreprise doit connaître l’attachement de ce PDG à suivre ces mesures de la performance.

Deux autres mesures, qui ont un immense impact, visent au développement des femmes en tant que leaders, autrement dit tend à les amener à briser les barrières endogènes dont j’ai parlé. Il s’agit d’une part « des programmes de développement de compétences spécifiques dédiés aux femmes », d’autre part du « parrainage des femmes juniors » - par des hommes pour la plupart - afin de les projeter dans la réussite, de leur mettre le pied à l’étrier.

Viennent ensuite les mesures d’accompagnement.

Ce sont, d’abord et c’est là que l’on mesure l’importance du rapport de situation comparée, des indicateurs de performance destinés à mesurer, de façon très large et à toutes les étapes, la situation de l’entreprise en termes d’égalité hommes-femmes, en particulier le nombre de femmes recrutées parmi celles figurant dans le réservoir des talents. Chez McKinsey, par exemple, nous avons pour objectif de recruter 40 % de femmes issues des grandes écoles : si nous ne recevons pas 40 % de CV de femmes, nous visitons les campus, examinons le nombre de femmes ayant passé le premier, le deuxième, le troisième et le quatrième tours d’entretien, et, en cas de déperdition plus importante de femmes que d’hommes, nous prenons des mesures. Nous regardons également le pourcentage de femmes qui acceptent nos offres par rapport aux hommes. À tous les niveaux de l’entreprise, il est indispensable d’examiner la progression des femmes et leur performance par rapport aux hommes.

Ce sont, ensuite, des systèmes de ressources humaines et d’évaluation de la performance neutres pour les femmes. Il est en effet très important, non pas de favoriser les femmes mais de supprimer ce qui rend les choses plus difficiles pour elles : c’est un principe d’équité de base. Ainsi, chez McKinsey à l’époque du volontariat du service national, nous favorisions les CV d’hommes s’y étant engagés car ils comptaient une année d’expérience professionnelle intéressante, au détriment de ceux des femmes. Nous avons alors alerté nos recruteurs sur le fait qu’il était normal que les jeunes diplômées aient moins d’expérience professionnelle et qu’il ne fallait pas les défavoriser pour autant.

Dans le même ordre d’idée, les programmes d’évaluation « haut potentiel », qui souvent ne s’adressent qu’à des personnes de moins de trente ans, ne sont pas adaptés aux femmes car elles peuvent avoir une carrière en pointillé si elles s’arrêtent de travailler pour élever leurs enfants, ce qu’elles font généralement entre trente et quarante ans. C’est pourquoi, de nombreuses entreprises ont décidé d’étendre la durée de leurs programmes aux femmes de quarante ans, considérant que l’essentiel n’est pas l’âge, mais la présence en poste.

Actuellement, nous travaillons avec PSA et Renault dont nous examinons les points discriminants que comportent pour les femmes leurs procédures de gestion des ressources humaines. Chez Renault, par exemple, l’accession aux postes du comité de direction suppose d’être passé par la fonction commerciale, soit par conséquent, d’avoir changé de succursale tous les sept mois. Dans la mesure où il est plus difficile pour les femmes de partir tous les sept mois avec leur mari et leurs enfants, l’entreprise a décidé de mettre un terme à cette obligation de mobilité extrême et de permettre aux femmes de rester plus longtemps dans un poste commercial.

D’après nos observations, les entreprises appliquant les mesures de développement de la mixité – engagement de la direction générale, développement des femmes en tant que leaders, mise en place d’actions – sont celles où la mixité est la plus importante. On comprend donc pourquoi la situation évolue si lentement : il faut une volonté pour développer la mixité, or il n’y a aucune recette miracle pour créer cette volonté ; il faut un programme s’inscrivant dans une durée, mais souvent le temps manque ; en certains cas, le départ d’un seul membre féminin du comité de direction fait par exemple passer le nombre de femmes de 20 % à 3 % , bouleversant tout dans l’entreprise et obligeant à tout recommencer : c’est la loi des très petits nombres. Bref, si la mixité doit être une priorité, elle doit également être un engagement fort dans la durée. Malheureusement, il est difficile de légiférer sur ce dernier point.

Enfin, dans un très grand nombre de pays, nous avons observé une corrélation directe entre la présence des femmes dans les instances dirigeantes des sociétés d’un pays et le pourcentage d’heures travaillées par les femmes dans le total des heures travaillées dans ce pays. Cela explique la singularité de la France : les Françaises sont celles qui travaillent le plus en Europe, mais elles sont aussi les plus nombreuses à travailler à temps partiel par rapport aux hommes, d’où leurs grandes difficultés à accéder à des postes à responsabilités. Sur un siècle, le taux d’emploi à temps partiel des hommes a toujours été très faible (passant de 1 % en 1935 à moins de 4 % en 1995), tandis que celui des femmes a progressé de façon très importante (passant de 25 % en 1935 à 40 % en 1995). De ce fait la situation tout à fait singulière de la France s’explique mieux : un pays dans lequel le temps partiel est ainsi plutôt dévolu aux femmes, est un pays où il leur est obligatoirement plus difficile d’accéder à des postes à responsabilités. En Norvège ou aux Pays-Bas, le temps partiel concerne autant les hommes et les femmes.

Mme Pascale Crozon. Dans les pays nordiques également, il existe une parité entre les hommes et les femmes dans la répartition des emplois à temps partiel.

Mme Sandrine Devillard. La France se singularise car, dans la mesure où les femmes travaillent énormément, ont beaucoup d’enfants, s’occupent davantage de la maison, et sont plus nombreuses à travailler à temps partiel, elles sont moins payées, progressent moins vite dans l’entreprise et ont par conséquent de très grandes difficultés à accéder aux postes de direction générale. C’est un véritable cercle vicieux !

En 2007, nous avions calculé qu’en Norvège ou en Suède, le maintien du salaire d’une femme était intéressant pour un ménage, dès le premier centime – et donc quelle que soit la durée du travail de la femme –, alors qu’en France, en moyenne, une femme doit gagner au moins 1,4 fois le SMIC, dans la mesure où, notamment, l’homme gagne généralement davantage d’argent. Sur ce point, le législateur peut agir.

M. Jean-Luc Pérat. J’ai bien retenu votre analyse selon laquelle lorsqu’une femme s’exprime seule au milieu d’un groupe d’hommes, on interprète d’abord ses propos comme ceux d’une femme. C’est un peu ce que je vis, à l’inverse et de façon enrichissante, au sein de la Délégation. J’aimerais, d’ailleurs qu’un plus grand nombre de nos collègues masculins puissent partager cette expérience qui change le regard que les hommes peuvent porter sur tel ou tel sujet.

Je souhaiterais savoir si dans les entreprises dirigées par une femme, l’état d’esprit change radicalement, si il crée une dynamique différente favorisant la promotion des femmes.

Mme Sandrine Devillard. Nous n’avons pas analysé ce point.

En réalité, ce qui crée réellement une différence entre les entreprises, c’est la volonté individuelle du PDG – homme ou femme – et la diffusion de sa conviction dans l’entreprise. Certains hommes sont aussi volontaristes, voire plus, que des femmes. Au niveau mondial, on connaît des patronnes dont l’action en faveur des femmes dans leur entreprise est très importante, et d’autres qui ne font rien…

Mme Pascale Crozon. On peut rencontrer autant de difficultés avec les femmes car, dans certains cas, elles ne comprennent pas pourquoi d’autres ne surmonteraient pas les obstacles auxquels elles-mêmes s’étaient heurtées. Elles font preuve d’une sorte d’aveuglement, ne voyant pas que c’est grâce à toutes les mesures, toutes les lois, y compris sur la parité en politique, et tout le travail accompli sur le terrain qu’elles sont arrivées là où elles sont aujourd’hui.

Personnellement, je regrette qu’il n’existe pas de ministère aux droits de la femme. Pour avoir été déléguée régionale pendant huit ans, je sais que les contrats de mixité ont amené les chefs d’entreprise à prendre conscience de l’absence de femmes dans leur société et que, grâce aux aides financières accordées, ces contrats ont permis à des femmes d’évoluer professionnellement et d’occuper des postes auxquels elles n’auraient, sinon, jamais pu accéder.

Pour aider les femmes à progresser, il faut comme en matière de parité politique – laquelle risque de fait d’être remise en question si la loi sur la réforme territoriale est appliquée – des contraintes et des avancées, provenant à la fois de l’État et des associations sur le terrain.

Mme Marianne Dubois. Pourriez-vous nous préciser pourquoi certaines entreprises n’ont pas pris de mesures spécifiques pour promouvoir la mixité : sont-elles totalement indifférentes à ce sujet ou se satisfont-elles de leur situation ?

Mme Sandrine Devillard. Elles considèrent simplement que la mixité n’est pas une priorité.

Mme Pascale Crozon. Comme en politique, elles ne pensent pas que l’évolution puisse aussi venir des femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je suis très heureuse de vous avoir entendue, madame, car vos travaux prouvent que le conseil d’administration est un lieu stratégique pour la promotion des femmes. Si nous avançons sur ce point, nous progresserons sur la politique d’égalité en général. C’est ce que je ferai valoir demain lors de l’examen de la proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance.

Je vous remercie de votre intervention.