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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 1er mars 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 14

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Table ronde réunissant Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu, secrétaire confédérale Force ouvrière et Mme Isabel Odoul Asorey, assistante confédérale, Mme Marie-France Boutroue, conseillère confédérale Espace Europe-International de la CGT, Mme Annick Coupé, déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires, Mme Laurence Laigo, secrétaire nationale de la CFDT, en charge de la politique en direction des femmes et Mme Brigitte Stein, membre de la commission confédérale CFTC équité hommes/femmes

– Audition de M. Pascal Bernard, vice-président de l’Association nationale des DRH (ANDRH) –Commission diversité et égalité entre les hommes et les femmes

Table ronde réunissant Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu, secrétaire confédérale Force ouvrière et Mme Isabel Odoul Asorey, assistante confédérale, Mme Marie-France Boutroue, conseillère confédérale Espace Europe-International de la CGT, Mme Annick Coupé, déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires, Mme Laurence Laigo, secrétaire nationale de la CFDT, en charge de la politique en direction des femmes et Mme Brigitte Stein, membre de la commission confédérale CFTC équité hommes/femmes.

La table ronde débute à seize heures quinze.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie, Mesdames, d’avoir répondu à notre invitation.

J’ai donné ce matin une conférence de presse consacrée au rapport de situation comparée (RSC), outil sans lequel on ne peut pas parler d’égalité professionnelle dans l’entreprise. Il ne sert à rien de parler de « plan d’action » : on ne peut être efficace que lorsque l’on dispose de données chiffrées. Si j’ai voté contre le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, c’est que l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes avait démontré, chiffres à l’appui, que, dans les scrutins uninominaux, les partis politiques préfèrent être pénalisés plutôt que de présenter des femmes.

En revanche, j’ai voté en faveur de la réforme des retraites après avoir négocié l’article 99 de ce texte. Mais les dispositions relatives au plan d’action ne sont pas satisfaisantes car un tel plan ne peut véritablement faire l’objet d’une discussion. Une négociation ne peut se mener que sur des bases écrites et chiffrées. La proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle précisait, dans son texte initial, que le RSC devait faire l’objet d’une délibération annuelle des conseils d’administration. Le Sénat a supprimé cette disposition et je ne me suis pas arc-boutée, préférant faire avancer la mesure tendant à imposer 40 % de femmes dans les conseils d’administration. Maintenant que le texte est voté, je focalise mon action sur le RSC.

Cela étant, on ne peut faire preuve d’exigence vis-à-vis des entreprises si l’on ne mène pas en même temps un vrai partenariat avec les partenaires sociaux. La rédaction du décret d’application de l’article 99 de la loi portant réforme des retraites semble faire difficulté. Nous devons ensemble « monter au créneau » ! Si le décret n’est pas satisfaisant, nous aurons perdu une bataille que nous pensions pourtant avoir gagnée à l’issue de la conférence tripartite de 2007 sur l'égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes.

Je précise que le blocage se situe au ministère du travail et non au ministère des solidarités et de la cohésion sociale.

Mme Marie-France Boutroue, conseillère confédérale Espace Europe-International (CGT). La conférence de 2007 sera restée sans effets. Nous avions notamment demandé des réunions au niveau du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Si l’on veut assurer un suivi correct, il faut réactiver cette instance.

Le rapport de situation comparée et les statistiques qu’il permet d’établir sont indispensables, de même que d’autres statistiques. Jusque-là, nous n’avions jamais pu mener de véritable négociation sur l’égalité faute de chiffres.

Mais le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes et le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle ne sont plus, depuis 2007, les interlocuteurs clairement identifiés et animés par le souci d’emporter l’adhésion des femmes auxquels nous pouvions nous adresser auparavant. Nous constatons dans les départements une baisse des moyens, et nous n’arrivons pas à obtenir des informations au niveau gouvernemental.

Lors de la conférence de 2007, nous étions également convenus d’établir un rapport de situation comparée destiné aux PME. Le groupe de travail du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle a rendu un avis le 24 juin 2010 et nous disposons désormais d’un RSC pour les entreprises de moins de cinquante salariés, où il est beaucoup plus difficile de mener une action que dans les grandes entreprises.

Pour autant, cela ne règle pas la question de la négociation collective. Une quarantaine de grandes entreprises seulement acceptent de négocier, dans une perspective de « responsabilité sociale des entreprises ». Mais beaucoup refusent absolument cette démarche. Par exemple, dans les entreprises de cinquante à cent salariés du secteur de la construction, où j’ai eu l’occasion de négocier, le patronat est souvent arc-bouté sur des questions sociologiques. Il faut déployer des trésors d’imagination pour faire comprendre que la négociation de branche doit aller au-delà du code du travail.

Il est donc nécessaire de coordonner tous les aspects. Dans les grandes entreprises qui établissent un rapport de situation comparée, nous disposons de chiffres qui nous permettent d’intervenir. Dans les petites entreprises, où les organisations syndicales ne sont pas forcément présentes, la négociation se fait le plus souvent au niveau de la branche.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À l’initiative de la Délégation aux droits des femmes, l’Assemblée nationale a commandé un sondage sur cette question. Il était demandé aux entreprises de plus de cinquante salariés si elles ont connaissance du rapport de situation comparée, si elles l’établissent et si cette procédure les aide à pratiquer une politique d’égalité salariale. Je vous communiquerai les résultats dans quelques semaines, dès que nous en aurons connaissance. Alors que le dernier sondage, effectué à l’initiative du Sénat, remonte à 2003, j’ai souhaité évaluer le résultat de nos efforts de communication au sujet du RSC.

Mme Laurence Laigo, secrétaire nationale en charge de la politique en direction des femmes (CFDT). Comme pour l’ensemble de la population, la dualisation du marché du travail pour les femmes est très forte. Certaines réussissent à s’inscrire dans une stabilité depuis des décennies ; d’autres font partie des salariés pauvres et connaissent l’emploi précaire, les contrats à durée déterminée et le travail à temps partiel. Dans l’un et l’autre cas, les femmes subissent des discriminations et l’action en matière d’égalité ne saurait porter uniquement sur le salaire : celle-ci concerne aussi, par exemple, l’emploi et la formation. Il faut, certes, des négociations spécifiques, mais il importe aussi d’inclure la question de l’égalité hommes-femmes dans des négociations autres, notamment la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur les salaires.

Le rapport de situation constitue un outil de travail important en matière de discrimination, sachant qu’il convient de prendre également en compte la problématique des formes d’emploi, des éléments de précarité et, pour les carrières plus stables, les discriminations telles que le « plafond de verre ». On ne pourra aboutir à l’égalité salariale qu’en travaillant sur tous ces sujets.

Avant même de nourrir la réflexion, le rapport de situation comparée est un élément de prise de conscience dans des entreprises où, presque toujours, on affirme qu’il n’y a pas de discriminations parce que l’on est ouvert intellectuellement à la question. Il oblige à voir des phénomènes qu’on ne voit pas toujours.

Ensuite, il permet d’alimenter la négociation annuelle obligatoire, où la question de l’égalité hommes-femmes doit être posée comme un élément de politique intégrée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Par rapport à la loi de 2001, la loi de 2006 permet-elle vraiment d’intégrer cette question dans la négociation ?

Mme Marie-France Boutroue. Lors des auditions menées pour l’élaboration de la loi de 2001, les employeurs ont notamment fait état de leur refus de prendre en compte le temps de maternité pour calculer les augmentations de salaire. C’est bien pourquoi le décret précise que le RSC doit inclure différents critères, parmi lesquels les conditions de travail, l’absentéisme, les congés de maladie, l’absence de mode d’accueil des enfants et la formation.

Aux termes de la loi de 2001, nous devrions systématiquement disposer du RSC avant de négocier tant au niveau des branches qu’à celui des entreprises, et ces éléments doivent être intégrés aux autres sujets de la négociation annuelle obligatoire.

Mme Laurence Laigo. Le RSC permet donc à la fois d’alimenter la négociation spécifique qui a lieu tous les trois ans et d’intégrer la question de l’égalité à d’autres négociations. Le fait que le décret d’application de l’article 99 soit repoussé a des conséquences sur les NAO, qui se déroulent généralement au printemps.

La négociation triennale spécifique nous apparaît davantage comme une négociation-cadre permettant d’étudier les indicateurs, de faire le bilan et de donner des orientations.

Si nous avons accepté de refonder le RSC en le simplifiant quelque peu, c’est pour qu’il soit plus utilisable car l’outil de diagnostic était l’un des plus complexes d’Europe. Nous avons aussi trouvé une formule adaptée aux entreprises de moins de cinquante personnes, où la situation est souvent plus compliquée et où il faut engager une dynamique. Nous avons consacré beaucoup de temps au sujet ; or, malgré le consensus que nous avons obtenu autour d’un rapport, les choses n’ont guère évolué.

Par ailleurs, l’éventualité de la réintroduction d’un plan d’action pose un problème car elle empêcherait d’intégrer la question du genre dans les négociations. Dans cette approche étriquée de la problématique de l’égalité, on passe à côté de toutes les questions d’emploi, de CDD, de temps partiel, qui concernent les publics les plus précaires.

La dynamique que nous souhaitons créer doit au contraire permettre de réaliser des évaluations et des indicateurs sur le suivi des négociations. Au sein de la Commission nationale de la négociation collective (CNNC), nous menons en ce sens un travail intéressant avec la direction générale du travail. Nous avons demandé, par exemple, que le rapport sur les accords ne se borne pas à faire état de chiffres, mais qu’il prenne aussi en compte les aspects qualitatifs. Nous constatons en effet que certains accords signés par les deux parties ne sont pas conformes au code du travail et que la question de l’égalité hommes-femmes, qu’il est pourtant obligatoire d’aborder, est de plus en plus sacrifiée dans les NAO.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. N’y a-t-il pas possibilité d’étendre la négociation ?

Mme Laurence Laigo. Il nous est arrivé d’accepter une telle extension afin d’éviter de faire payer cet aspect à tous les salariés et parce que la partie patronale pouvait se servir du sujet pour bloquer la négociation. Cela dit, jusqu’à quand les organisations syndicales accepteront-elles des accords dans lesquels les partenaires sociaux, pour des raisons de rapports de force et de contexte économique, s’exonèrent délibérément des obligations légales ? Nous n’avons pas l’habitude de demander à la direction générale du travail d’intervenir dans la négociation, mais il y a lieu de s’interroger !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lorsque nous l’avons auditionné, le directeur général du travail lui-même a reconnu une certaine impuissance sur le sujet de l’égalité.

Mme Martine Billard. Y a-t-il des branches où la question se pose plus particulièrement ?

Mme Laurence Laigo. Nous avons des échanges réguliers à ce sujet avec la direction générale du travail (DGT). Nous souhaitons au moins que le code du travail soit respecté.

Pour créer une dynamique, nous avons besoin d’une évaluation plus qualitative – que nous avons d’ailleurs commencé d’élaborer au niveau de la CNNC –, complétée par différents indicateurs, et d’un dispositif qui se déploie dans un processus tripartite. La conférence pour l’égalité ne fonctionne plus. Il faudrait, à partir du travail mené par la CNNC et la DGT, évaluer annuellement l’état de la négociation, l’évolution des indicateurs, le lien entre cette évolution et celle des politiques familiales, sociales et de conciliation, et déterminer ce sur quoi il faut agir.

La France dispose de tous les textes possibles. Même si les éléments symboliques sont importants, il faut arrêter de charger la barque. Nous devons consacrer notre énergie à un processus tripartite permettant de faire la part entre les évolutions relevant de la loi, du règlement, de l’incitation à la négociation, de la formation et des moyens. En Suède, les partenaires sociaux ont demandé l’instauration d’une telle dynamique face à une situation qui régresse, ou en tout cas plafonne : dans tous les pays de l’OCDE, on observe une stagnation lorsque l’on atteint 15 ou 18 % de différence salariale.

Sommes-nous prêts à franchir un nouveau cap ? Des lois comme celle qui tend à garantir aux femmes une représentation de 40 % dans les conseils d’administration sont une bonne chose, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga : il importe d’articuler politique familiale, négociation et politique sociale. Les dispositifs adoptés négligent souvent les comportements sociaux et deviennent discriminatoires alors qu’ils procèdent d’une bonne idée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous avons essayé d’obtenir que l’étude d’impact qui doit, aux termes de la loi organique du 15 avril 2009, accompagner tous les projets de loi, prenne en compte la dimension de l’égalité hommes-femmes, mais le Sénat s’y est refusé.

Mme Laurence Laigo. Nous disposons déjà de plusieurs outils, dont l’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour un sujet aussi profondément culturel, il ne serait pas aberrant de se rencontrer au moins une fois par an dans un cadre tripartite et d’examiner notamment l’intégration des femmes sur le marché du travail.

Pendant trois ans, nous nous sommes mobilisées dans le cadre de la conférence sur l’égalité et nous avons beaucoup travaillé. Or nous constatons une stagnation, voire une régression. Il faut une volonté politique globale.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous propose que nous nous retrouvions afin de mener une action commune après que la Délégation aux droits des femmes aura reçu les résultats du sondage. Il arrive un temps où les bonnes paroles ne suffisent plus !

En outre, les difficultés qui entourent la parution du décret d’application de l’article 99 de la loi portant réforme des retraites m’inquiètent. Des choses importantes se jouent à ce niveau. Le service des droits des femmes attend de notre délégation des prises de position fermes. Il importe que les organisations syndicales soient également fermes pour rappeler que la nécessité de respecter de la loi de 2001 est prioritaire par rapport au plan d’action.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu, secrétaire confédérale (Force ouvrière). En effet, il faut avant tout s’assurer du respect de la législation en matière d’égalité. La loi et le règlement font obligation aux entreprises de remettre le rapport de situation comparée et d’ouvrir les négociations. On aura beau jeu d’inventer toutes sortes de loi et d’outils complémentaires : il s’agit d’abord d’une question de volonté politique !

Lors de sa campagne électorale, le Président de la République avait fait de l’égalité une priorité. S’agissant de l’article 99 de la loi portant réforme des retraites, notre organisation a envoyé un courrier à M. Xavier Bertrand et à Mme Roselyne Bachelot pour les mettre en garde contre les effets du « plan d’action » sur le dispositif législatif antérieur, lequel visait à supprimer les écarts salariaux à échéance de trois ans.

Après la conférence tripartite, M. Bertrand avait annoncé des sanctions dissuasives à l’égard des entreprises qui ne remettraient pas le rapport de situation comparée. Or on n’a vu apparaître un semblant de sanction qu’à l’occasion de la loi sur les retraites, et l’on risque d’assister au même phénomène qu’en matière de lutte contre les discriminations fondées sur le handicap : les entreprises préfèrent acquitter les pénalités.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Entre le handicap, les seniors et les femmes, les sanctions peuvent tout de même atteindre 3 % de la masse salariale, ce qui est énorme !

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Quoi qu’il en soit, nous devons pouvoir disposer du rapport de situation comparée, outil fondamental pour la négociation. Celui-ci doit permettre d’apprécier la situation de l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’entreprise au regard notamment de l’emploi, de la formation professionnelle, de l’évolution de carrière, de la rémunération, des conditions de travail. Il arrive fréquemment que les employeurs remettent des RSC volumineux, mais inutilisables car composés de données brutes non analysées et non commentées.

Autre problème : seule l’administration peut contrôler la qualité du rapport.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Déjà en 2006, j’avais demandé que l’inspection du travail dispose de plus de moyens.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Ce serait d’autant plus utile que le RSC est un des rares documents qui doivent être obligatoirement adressés à l’inspection du travail. Les organisations syndicales devraient pouvoir saisir cette administration lorsque le RSC n’est pas remis ou est inexploitable.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est donc important que vous exerciez une pression pour que le décret d’application de l’article 99 prenne en compte ce problème.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Nous avons adressé au ministère une note technique à ce sujet. Du reste, la question était déjà au cœur du débat sur la simplification du RSC. Nous tournons en rond !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pensez-vous que les organisations syndicales puissent signer un document commun pour exiger une réunion du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle à ce sujet ?

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Je crains que ce ne soit une grand-messe de plus, où chaque organisation syndicale fera sa déclaration devant le ministre du travail sans que cela empêche ce dernier de faire ce qu’il veut. Normalement, le projet de décret doit être soumis aux organisations syndicales.

Mme Marie-France Boutroue. Nous sommes en effet consultés à plusieurs échelons. Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, dont la composition est tripartite, a pour rôle d’organiser la consultation. On ne peut certes tout régler, mais plus il y a de consultations, plus nous avons d’occasions de dire ce que nous pensons.

Lors de la conférence de 2007, nous avions nous aussi indiqué que le dispositif législatif était suffisant. Le ministre avait affirmé pour sa part qu’il fallait non seulement examiner la question au niveau de la CNNC, mais aussi réaliser un état des lieux.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. La sous-commission des conventions et accords, dont je fais partie, est en train de réaliser le bilan pour 2010. En termes de négociations de branche, nous observons une progression en raison de l’échéance fixée au 31 décembre 2010. Mais les négociateurs reprennent pour l’essentiel les dispositions légales, lesquelles sont inapplicables au niveau des entreprises. Alors que nous lui avons demandé de renvoyer à la négociation tous les accords qui ne font que reprendre la loi, l’administration du travail se contente de formuler des réserves.

D’une manière générale, la question de l’égalité professionnelle est beaucoup plus difficile à résoudre au niveau de la branche qu’au niveau de l’entreprise. Les sanctions prévues n’ayant pas été mises en œuvres, nous faisons du sur-place. Je rappelle que nous avions demandé qu’une sanction pénale s’ajoute à la sanction financière, insuffisamment dissuasive à nos yeux. Outre la NAO, les entreprises ont l’obligation de négocier chaque année sur l’égalité si aucun accord n’est intervenu en la matière. Nous disposons de tous les outils ; reste à avoir la volonté politique d’exercer une contrainte.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Une contrainte pénale ?

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Il est primordial de donner à l’administration du travail des moyens pour contrôler l’existence et la pertinence des RSC, mais il faut aussi des sanctions. Sans l’outil du RSC, nous n’avons aucune visibilité sur les inégalités existantes et nous ne pouvons construire une plateforme revendicative pour les résorber dans le cadre d’un plan pluriannuel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Rencontrez-vous le ministre dans le cadre de la préparation du décret d’application ? Toutes les organisations syndicales ne devraient-elles pas lui demander un rendez-vous ?

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Nous avons effectivement demandé que les organisations soient reçues dans le cadre de la préparation du décret.

Des réunions bilatérales semblent prévues avant sa publication.

Mme Martine Billard. Les accords signés sont-ils suivis d’effets ?

Mme Annick Coupé, déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires. Tous les cas de figure existent et rien n’est jamais définitivement acquis : c’est le cas des négociations actuelles à France Télécom qui se révèlent beaucoup plus difficiles qu’il y a trois ans. Des retours en arrière sont toujours possibles. Il ne faut jamais relâcher la pression.

Madame la présidente, le sondage que vous avez commandé met-il en regard la connaissance du RSC et l’accord sur l’égalité professionnelle ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le sondage porte non pas sur le contenu, mais sur l’existence d’un tel accord.

Grâce au sondage, nous saurons comment les entreprises perçoivent le RSC et l’accord. C’est une démarche très ambitieuse.

Mme Annick Coupé. Nous considérons tous que le RSC est un bon outil, qu’il faudrait peut-être encore simplifier.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il a déjà été simplifié.

Mme Annick Coupé. Il peut être encore amélioré. Nous avons également regretté son absence dans le cadre des négociations sur la fonction publique.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est la première recommandation du rapport, qui sera bientôt publié.

Mme Annick Coupé. Il faut savoir que des RSC à peu près lisibles – une avalanche de chiffres les rend parfois illisibles – peuvent être suivis d’accords insuffisants sur l’égalité professionnelle. Je ne cherche pas à masquer la responsabilité des organisations syndicales – nous menons toutes la même bataille à l’intérieur de nos organisations pour les sensibiliser à ces questions –, mais les employeurs ont, eux aussi, leur part de responsabilité dans la signature d’accords qui se contentent de reprendre la loi sans prévoir notamment d’objectifs chiffrés. Il y a donc un décalage entre le RSC, qui est un bon outil, et la réalité des accords sur l’égalité professionnelle qui, parfois, sont signés sous le label de la diversité. C’est un des problèmes que nous rencontrons aujourd'hui : des entreprises de plus en plus nombreuses abandonnent la négociation sur l’égalité professionnelle pour signer des accords creux sur la diversité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est une manière de noyer le poisson.

Mme Annick Coupé. Il conviendrait d’inverser la tendance pour aboutir à des accords portant spécifiquement sur l’égalité professionnelle. Il faut des négociations spécifiques pour chaque discrimination car, pour chacune d’entre elles, les mécanismes sont différents.

Il serait également très utile d’instaurer une instance où il soit possible d’évoquer tous les facteurs de perpétuation des inégalités. L’entreprise est en lien direct avec la vie sociale et la vie familiale. Pour analyser de manière globale l’évolution de la situation des femmes, il faudrait prendre en compte les indicateurs de pauvreté, d’égalité professionnelle ou d’accès aux équipements collectifs. Tous ces indicateurs existent, mais ils ne sont jamais, ou presque jamais, rapportés les uns aux autres.

Enfin, s’agissant de la rédaction du décret d’application de l’article 99 de la loi portant réforme des retraites, le message que les organisations syndicales doivent faire passer partout où elles le peuvent, c’est qu’avec le plan d’action se profile une véritable régression. Nous risquons un affaiblissement des outils législatifs, qui sont déjà loin d’être parfaits, alors même que les problèmes d’égalité professionnelle – les chiffres le montrent – sont loin d’être réglés.

Mme Laurence Laigo. Lors de la conférence tripartite, nous sommes revenues sur la sanction pénale qui n’était jamais appliquée. C’est pourquoi la conférence a accepté sa transformation en sanction administrative.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Force ouvrière y était opposée.

Mme Laurence Laigo. La décision a été prise et j’y étais favorable.

Si tel n’avait pas été le cas, aucune sanction reposant sur la masse salariale n’aurait pu être décidée.

Si nous y étions favorables, je le répète, c’est que la loi de 2001 prévoyant la sanction pénale n’était jamais appliquée…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est vrai.

Mme Laurence Laigo. …alors que la sanction administrative permet d’aider les entreprises qui jouent le jeu en faisant payer celles qui ne le jouent pas. C’est une mesure active et concrète, qui laisse toutefois entier le problème d’une sanction à la fois aisée à appliquer et vraiment efficace, d’autant qu’il est difficile d’évaluer les rapports de situation comparée. La sanction doit-elle concerner la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité salariale, plus intéressante que celle portant sur l’égalité professionnelle, qui est trop large ? Mais nous avons déjà eu des débats sur la difficulté d’appliquer des sanctions dans le cadre de la NAO au niveau des branches.

Non seulement il y a risque de régression, puisqu’un plan d’action pourra remplacer un accord, ce qui ôte tout son intérêt au rapport de situation comparée mais, de plus, aujourd'hui, un bon directeur des ressources humaines ne risque aucune sanction.

On fait croire aujourd'hui que la politique en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes a été durcie alors qu’on a, de fait, utilisé les partenaires sociaux pour valider des cahiers des charges qui n’auront pas été véritablement négociés au sein des entreprises et qui bloqueront la situation pour trois ans. En effet, une fois le plan d’action adopté, les organisations syndicales ne pourront plus exercer aucune pression dans le cadre de la NAO, qui doit se tenir tous les ans. C’est le même cas de figure que pour les seniors : des cabinets de consultants aident les entreprises à monter des plans leur permettant d’éviter toute sanction durant trois ans. Les nouvelles mesures, qui visaient à rendre plus efficace le processus existant que nous avions déjà du mal à faire appliquer, risquent de le neutraliser. Pourquoi, en effet, l’employeur travaillerait-il sur le rapport de situation comparée si la loi lui permet de s’engager dans un plan d’action unilatéral ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Concernant la rédaction du décret d’application, les députés doivent monter au créneau.

Mme Brigitte Stein, membre de la commission confédérale CTFC équité hommes/femmes. Je défendrai quant à moi plus ardemment le RSC…

Mme Laurence Laigo. Je le défends également !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Tout le monde le défend !

Mme Brigitte Stein. Les entreprises méconnaissent le RSC, parfois volontairement. Quant aux organisations syndicales, elles en font trop souvent une mauvaise lecture.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le RSC a pourtant dix ans !

Mme Brigitte Stein. Certains chefs d’entreprise préparent des rapports qu’une avalanche de chiffres rend trop difficiles à lire.

Le RSC n’en est pas moins, en soi, un très bon outil. Il devrait comporter un indicateur plus lisible sur les déroulements de carrière.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Cet indicateur existe.

Les indicateurs prévus par la loi de 2001 sont clairs et complets : ils ne présentent aucune difficulté, qu’il s’agisse de l’évolution de carrière, des formations qualifiantes, de la vie professionnelle, de la vie familiale.

La loi prévoit également des indicateurs sur les effectifs, la durée et l’organisation du travail, les congés individuels, les embauches et les départs, les conditions de travail, l’exposition aux risques, la pénibilité, la promotion, l’éventail des rémunérations, le nombre de femmes recevant les dix plus hautes rémunérations. La liste n’est pas exhaustive.

Mme Brigitte Stein. Le problème, c’est que l’ensemble de ces indicateurs ne figure pas dans les derniers RSC.

Mme Marie-France Boutroue. Il est vrai que, le RSC prévu pour les petites entreprises contenant moins d’indicateurs, il est désormais davantage utilisé.

Je tiens par ailleurs à souligner que nous ne parlons quasiment jamais de la loi de mai 2001, alors que c’est la plus importante : elle couvre en effet la question de l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes ses dimensions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai toujours pris pour référence la loi de 2001 car elle dresse la liste des indicateurs pertinents.

Mme Marie-France Boutroue. Le couperet de la sanction devant tomber en 2010, nous avons assisté à de réelles avancées jusqu’en 2009. Malheureusement, la suppression du couperet a entraîné une réelle démobilisation.

Toutefois, le groupe de travail du Conseil supérieur de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes a constaté que certaines petites entreprises s’efforcent d’intégrer le rapport de situation comparée et s’engagent dans les négociations au niveau des branches. Il faut réactiver le Conseil supérieur de l’égalité : cette instance tripartite nous permet de recueillir des informations et nous pouvons y dire ce que nous pensons.

La loi de mai 2001 prévoit une négociation annuelle obligatoire au niveau des branches : les employeurs qui n’entament pas de négociations devraient être identifiés, notamment par les inspecteurs du travail.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Xavier Darcos avait, en son temps, publié une liste des entreprises récalcitrantes.

Mme Marie-France Boutroue. Nous devons prendre une initiative permettant à nos équipes d’intervenir auprès des inspecteurs du travail.

Alors même que la RGPP et la crise provoquent des goulets d’étranglement, chacun sait qu’un accord coûtera de l’argent, qu’il s’agisse des salaires – un retard de 5 % reste inexpliqué –, de la formation, des conditions de travail ou de l’articulation du temps de travail, notamment en ce qui concerne l’accueil des jeunes enfants.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avant de prévoir un budget supplémentaire pour la formation, ne conviendrait-il pas d’assurer l’égalité de proposition entre les hommes et les femmes ?

Mme Marie-France Boutroue. Il faudrait pour cela que le nombre d’hommes partant en formation diminue.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En effet. Une banque, que je ne citerai pas, a demandé à ses employés hommes d’accepter une stagnation de leurs salaires pour permettre un rattrapage des salaires de leurs collègues femmes. Il ne faut pas travailler simplement à l’égalité pour demain, mais il importe aussi d’intégrer dans les négociations l’obligation d’un rattrapage. Trop souvent les femmes ont été laissées pour compte.

Mme Marie-France Boutroue. Les organisations syndicales devront prendre des initiatives en ce sens.

Je tiens aussi à rappeler que la Commission des droits des femmes du Parlement européen a adopté des propositions, notamment en ce qui concerne la place des femmes au travail. Nous devrions nous appuyer sur cette feuille de route.

Par ailleurs, un cadre d’action a été signé entre la Confédération européenne des syndicats et le patronat européen, qui intègre la négociation sur l’égalité salariale et l’articulation des temps.

Il faut non seulement appliquer les sanctions prévues par la loi à ceux qui ne la respectent pas, mais, de plus, intégrer les propositions européennes dans les négociations sur le plan national.

En outre, l’enveloppe budgétaire dédiée à l’amélioration de la formation des équipes syndicales, loin d’avoir augmenté, couvre aujourd'hui un champ d’action plus large. Les syndicats payent, mais ils rencontrent des difficultés à envoyer de grandes cohortes de militants dans les négociations collectives. Pourquoi ne pas réexaminer en ce sens le budget dédié à la formation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ?

Mme Colette Langlade. Madame Laigo, vous avez déclaré qu’il suffisait à un cabinet de consultants de préparer un plan d’action habile pour mettre trois ans durant une entreprise à l’abri de toute sanction.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous vous heurtez ?

Mme Laurence Laigo. En laissant aux employeurs le choix entre la négociation ou le plan d’action, la loi leur offre la possibilité de mener une action unilatérale, ce qui conduit certains d’entre eux à demander à des organismes de consultants de plus en plus spécialisés d’élaborer des plans d’action qui, sans être utiles ou dynamiques, leur permettront d’éviter toute sanction. Les négociations sont ainsi mises au second plan. On prétend renforcer la législation alors même qu’on l’affaiblit : le plan d’action n’est qu’un blanc-seing donné aux employeurs pour contourner durant trois ans l’obligation de négocier.

Mme Catherine Coutelle. Ces mesures n’avaient rien à faire dans le projet de loi portant réforme des retraites : nous n’avons cessé de le répéter lors de son examen. Pour rattacher cette mesure au texte, M. Woerth a pris le prétexte de l’inégalité des pensions consécutive à l’inégalité des salaires et des carrières. Or, il convenait d’améliorer les pensions des femmes qui partent aujourd'hui ou qui partiront sous peu à la retraite, mais cela, malheureusement, nous ne l’avons pas obtenu !

La loi prévoit-elle un cadre pour le plan d’action ou est-ce la liberté la plus totale ? L’appel à des consultants favorise-t-il l’émergence de plans-types ?

Mme Laurence Laigo. Il appartiendra précisément au décret d’application d’encadrer les plans d’action instaurés par la loi portant réforme des retraites. Nous n’avons cependant aucune information sur ce point.

Le choix entre la négociation et le plan d’action a déjà été instauré pour les seniors, ce qui a conduit à définir une liste d’items à aborder dans certaines conditions. Si ces dernières sont respectées, l’inspection du travail valide la démarche et l’entreprise échappe à toute sanction.

Alors que nous voulions négocier le cahier des charges du plan d’action avec le ministère, nous serons à peine consultées. Or le risque essentiel du plan d’action sera de briser toute dynamique sociale, d’autant que l’employeur, nous l’avons déjà dit, pourra prendre sa décision de manière unilatérale. Il pourra même recourir à un tel plan pour mettre un terme à des négociations difficiles avec les syndicats, ce qui peut se révéler utile pour lui, surtout en temps de crise. La situation antérieure n’était déjà pas idyllique : fallait-il alléger les contraintes pesant sur les employeurs et sur les représentants syndicaux en matière d’égalité entre les hommes et les femmes ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mme Élisabeth Tomé-Gertheinsrichs, adjointe à la directrice générale de la cohésion sociale, devait venir ce soir, après notre table ronde, pour évoquer la préparation du décret d’application de l’article 99 de la loi portant réforme des retraites. Or elle a demandé à reporter son audition en raison des difficultés rencontrées dans la rédaction de celui-ci : cette rédaction fait manifestement l’objet d’un désaccord entre M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, et Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Nous devons nous apprêter à faire preuve de fermeté.

J’avais rappelé à Mme Tomé-Gertheinrichs, lors d’une précédente audition, que le rapport de situation comparée était à mes yeux la pièce maîtresse du dispositif. L’article 6 de la proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration prévoyait initialement que le rapport de situation comparée fasse l’objet, une fois par an, d’une délibération du conseil d'administration. Or cette mesure a été supprimée lors de l’examen du texte. C’est pourquoi – je l’ai déjà dit à Mme Tomé-Gertheinrichs –, je veux que le RSC figure dans le décret d’application de l’article 99, d’autant qu’il représente une régression par rapport à la loi adoptée il y a dix ans.

Il ne faut pas avoir peur de le dire : accepter le plan d’action, c’est régresser de dix ans. Est-ce acceptable ?

Mme Catherine Coutelle. Le débat dans l’hémicycle n’a pas porté sur ce point.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est vrai. C’est pourquoi, compte tenu des tensions existant entre le ministère du travail et le ministère des solidarités, que révèle le report de l’audition de Mme Tomé-Gertheinrichs, nous devons nous battre.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Il faut exiger que le plan d’action puisse faire l’objet de sanctions si son contenu est insuffisant.

Nous ne le répéterons jamais assez : la loi de 2006 prévoyait à partir de 2010 des sanctions s’il subsistait des écarts de salaires importants entre les hommes et les femmes. Or cette échéance a été supprimée.

Mme Marie-France Boutroue. M. Xavier Bertrand l’a d’abord repoussée d’un an et plus aucune sanction n’est prévue pour 2012 !

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. La loi ne prévoit en effet aucune sanction pour 2012. Seul le décret d’application peut désormais prévoir des sanctions en matière d’exigence salariale. Or – tel est le paradoxe – le plan d’action pourra ne pas évoquer la question des salaires : il marque donc bien une régression.

Mme Marie-France Boutroue. De fait, le plan d’action remet en cause toutes les lois successives sur l’égalité entre hommes et femmes : celle de mai 2001 instaurant le rapport de situation comparée, celle de mars 2004, notamment en ce qui concerne la formation professionnelle, et celle de 2006 sur l’égalité salariale.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Le décret d’application doit prévoir que toutes ces dimensions figureront dans le plan d’action. Il doit également prévoir des sanctions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Un décret ne peut pas reprendre le contenu de plusieurs lois.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Il ne s’agit pas de reprendre le contenu de plusieurs lois, mais de définir leurs modalités d’application.

Mme Laurence Laigo. Il faut être réaliste : quel que soit son cahier des charges, le plan d’action ne pourra jamais couvrir des obligations aussi complètes que la négociation.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. La législation républicaine doit être respectée. Le Parlement a adopté des lois visant à garantir l’égalité entre les hommes et les femmes : or un tour de passe-passe suffit à supprimer tout moyen d’y parvenir. C’est un problème de fond en ce qu’il porte directement atteinte aux valeurs républicaines.

M. Jean-Luc Pérat. Vous avez toutes évoqué l’inégalité devant la formation professionnelle.

Chacun sait que la carrière professionnelle de la femme est entrecoupée, le plus souvent, de maternités et de périodes consacrées à l’éducation des enfants.

Qu’est-ce qui pourrait pousser les femmes, qui ont à concilier vie professionnelle et vie familiale, à recourir davantage à la formation professionnelle ? S’agit-il d’un problème de communication ? La femme oserait-elle moins que les hommes s’engager dans cette démarche ? Avez-vous des statistiques précises en la matière ? Pouvez-vous dégager des pistes qui permettraient d’améliorer la situation ?

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Votre question nous ramène au rapport de situation comparée qui donne la photographie des catégories professionnelles partant en formation : il s’agit en majorité de cadres. Les autres catégories de salariés ne partent en formation que pour acquérir de nouvelles compétences techniques : ils doivent s’adapter à une évolution précise de leur poste de travail, alors que le plan de formation, pour les cadres, répond à des objectifs de valeur ajoutée en termes de management.

Par ailleurs, la formation pose le problème, que vous avez évoqué, de l’articulation de la vie familiale avec la vie professionnelle, qui est au cœur des débats depuis la conférence tripartite. On observe également que, plus les salariés sont en difficulté, moins ils ont de chance d’accéder à une formation et donc de changer de métier, sauf s’ils acceptent de prendre un congé sans solde pour partir en formation, ce qui pose le problème du financement de celle-ci. Quant aux femmes travaillant à temps partiel, elles ne bénéficient pas des mêmes dispositions en matière de formation que les salariés qui sont à temps complet. De plus, des horaires souvent éclatés en journée leur interdisent de partir en formation. Il y a donc, en la matière, inégalité des salariés en fonction de la catégorie professionnelle, du sexe et de l’âge – plus un salarié est âgé, plus l’employeur hésitera à investir dans sa formation.

Nous devons engager des négociations pour réduire, notamment, l’inégalité entre les hommes et les femmes devant la formation : chaque salarié doit pouvoir réaliser un bilan de compétences pour évoluer dans sa carrière, voire bénéficier d’une validation des acquis de l’expérience. Seul le RSC permet d’obtenir une photographie des inégalités existantes, laquelle servira de bases aux négociations.

Mme Pascale Crozon. Il existe un vrai problème de coordination entre les ministères, si bien que les avancées sont laissées au bon vouloir de chacun.

S’agissant des petites entreprises, il existe un outil intéressant qu’il ne faut pas négliger : le contrat pour la mixité des emplois.

Il manque toutefois aujourd'hui de moyens et de structures, d’autant que la direction du travail n’agira pas sans y être sollicitée. La mobilisation, quand elle a lieu, ne concerne que les syndicats.

Les délégations aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental réalisent un travail qui devrait, normalement, accompagner celui de l’État : or celui-ci est défaillant. À partir du moment où l’État ne garantit pas les structures nécessaires, nous sommes condamnés à assister à des désaccords entre ministres, en l’occurrence Mme Roselyne Bachelot-Narquin, qui veut agir, et M. Xavier Bertrand, qui freine des quatre fers !

Je regrette que les syndicats ne s’impliquent pas davantage dans la question de l’égalité professionnelle, acquise depuis la loi Roudy de 1983, voilà presque trente ans !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le principe « à travail égal, salaire égal » est même inscrit dans la loi depuis 1972 !

Il faut faire passer le message de la gouvernance mixte dans tous les lieux de décision : c’est la seule manière d’avancer intelligemment. Toutefois, contrairement à ce qu’il a fait en votant en 2006 des dispositions assurant une meilleure représentation des femmes aux élections prud’homales, le Parlement ne pouvait pas se permettre de légiférer sur la représentation des femmes au sein des instantes dirigeantes des syndicats sans avoir préalablement engagé le dialogue avec ceux-ci, pris connaissance de leurs propositions et obtenu leur accord. Nous ne pouvions pas imposer 40 % de femmes dans les instances dirigeantes des organisations syndicales, car ç’aurait été la révolution ! Pour les conseils d'administration, c’était différent.

Mme Marie-France Boutroue. La mesure serait d’autant plus mal passée que les instances dirigeantes ne maîtrisent pas les listes pour les élections syndicales. La prise de responsabilité syndicale est un acte volontaire : vous pouvez avoir, dans une entreprise, 90 % de syndiqués femmes pour 90 % de représentants hommes.

La loi de mai 2001 traduisait la volonté de l’État d’intégrer au sein de chaque ministère la problématique de la place des femmes. Un ministère au droit des femmes existait. Or cette impulsion n’existe plus : c’est à mes yeux un choix politique. Nous ne sommes donc pas étonnées de la situation actuelle.

Il est nécessaire de réunir le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, même s’il n’a plus les mêmes prérogatives : c’est un lieu identifié de discussions et de propositions.

S’agissant de catégories sociales en difficulté, la formation doit être suivie sur le temps de travail et au sein de l’entreprise, pour éviter les problèmes de transport ou d’accueil des enfants. S’il n’est pas possible que la formation s’effectue au sein de l’entreprise, alors il faut mettre à la disposition des femmes des moyens de locomotion.

Comment des femmes, dont le temps partiel est éclaté entre le matin et le soir, et qui doivent, de plus, s’occuper de leurs enfants, pourraient-elles partir en formation ? Je le répète : pour leur permettre de suivre une formation, l’entreprise doit prévoir des moyens d’ordre financier ou en termes d’accueil de leurs jeunes enfants. Il faut compter également sur les pesanteurs culturelles : dans le cas de femmes de ménage immigrées, le mari refuse souvent leur départ en formation. Seul le rapport de situation comparée permet, là encore, d’avoir une connaissance exacte des besoins.

Mme Catherine Coutelle. Le 17 février 2011, à une question écrite du sénateur François Rebsamen, le ministère des solidarités et de la cohésion sociale a répondu que « suivant la loi portant réforme des retraites, une sanction financière pouvant être portée jusqu'à 1 % de la masse salariale s'appliquera aux entreprises d'au moins cinquante salariés qui n'auraient pas conclu d'accord d'égalité professionnelle ou, à défaut d'accord, n'auraient pas défini d'objectifs et de mesures constituant le plan d'action défini dans le rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes ». Le ministère lie donc complètement le plan d’action au rapport de situation comparée, alors que vous affirmez qu’il s’agit de deux choses totalement différentes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faut précisément nous montrer attentifs à la rédaction du décret d’application car le ministère du travail n’adoptera peut-être pas la même position que le ministère des solidarités.

Mme Catherine Coutelle. Le ministère du travail cherchera certainement à dissocier le plan d’action du RSC.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’intention qui préside à l’article 99 de la loi portant réforme des retraites est louable : il faut veiller à sa concrétisation. À cet égard la plus grande vigilance s’impose.

Mme Laurence Laigo. Le plan d’action ne doit pas tenir lieu de négociation. Le RSC est un exercice préalable à la négociation. La loi est ambiguë.

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Il ne faut pas oublier que le RSC est un outil mis à la disposition du comité d’entreprise.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il n’est pas question pour moi de lâcher quoi que ce soit jusqu’à la rédaction définitive du décret. J’ignore si je réussirai, mais je mettrai en œuvre tous les moyens possibles, y compris la presse, pour « monter au créneau ».

Mme Catherine Coutelle. Je comprends la position de Mme Tomé-Gertheinrichs, mais elle illustre la béance existante quant à la volonté politique.

Je tiens à rappeler que M. Woerth n’est jamais venu devant la Délégation aux droits des femmes…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous n’étions sans doute pas dignes de lui ! Pour le rencontrer à ce sujet une première fois, j’avais dû forcer sa porte et l’entretien a été assez tendu : à ses yeux, la question de la retraite des femmes avait été réglée par la majoration de durée d'assurance.

Nous avons dû nous battre pour que le mot « femme » soit au moins prononcé.

Je vous communiquerai les résultats du sondage que j’ai commandé dès que je les recevrai.

Mme Marie-France Boutroue. La pension de retraite est un salaire différé qui dépend des conditions dans lesquelles vous avez travaillé. C’est une raison supplémentaire pour intégrer dans la rédaction du décret le rapport de situation comparée, qui prend en compte la question du travail dans toutes ses dimensions : salaire et formation.

Mme Catherine Coutelle. Au mois de juin prochain doit se tenir, me semble-t-il, une nouvelle convention tripartite entre les organisations syndicales, patronales et le Gouvernement sur l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle…

Mme Marie-Alice Medeuf Andrieu. Mme Roselyne Bachelot-Narquin a effectivement annoncé une concertation avec les organisations syndicales sur l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle et sur le temps partiel, à la suite des nombreuses demandes que nous avons formulées successivement auprès de MM. Hortefeux, Darcos et Woerth. Voilà trois ans que nous attendons cette concertation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mesdames, je vous remercie.

La table ronde s’achève à dix-huit heures dix.

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé ensuite à l’audition de M. Pascal Bernard, vice-président de l’Association nationale des DRH (ANDRH) –Commission diversité et égalité entre les hommes et les femmes.

L’audition débute à dix-huit heures quinze.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Monsieur Pascal Bernard, vos fonctions de vice-président de l’Association nationale des DRH vous donnent une vue globale sur le rapport de situation comparée, sur sa mise en œuvre dans les entreprises et sur les difficultés rencontrées dans son application. Ce rapport est en effet le principal outil pour engager une politique promouvant une égalité réelle dans les entreprises.

M. Pascal Bernard. J’ai fait partie du groupe de travail qui a toiletté, il y trois ans, le rapport de situation comparée. La principale difficulté que j’avais alors rencontrée était venue des PME qui avaient fait valoir qu’il leur était difficile de se conformer à ce texte et qu’elles ne s’estimaient pas liées par son contenu. Or les PME représentent plus des deux tiers des salariés de ce pays. Le risque était donc que le rapport de situation comparé ne touche que le tiers restant.

On s’était alors interrogé sur la façon de mettre en place des outils pour vérifier les progrès ou les reculs de la discrimination entre les hommes et les femmes au sein des PME.

La plupart des entreprises de plus de 300 employés respectent, plus ou moins bien, les recommandations du rapport de situation.

Le rapport de situation donne une vision claire de la façon dont est traitée l’égalité entre les hommes et les femmes dans les entreprises. Mais s’il parle des recrutements, de la formation et des salaires, il n’aborde pas la question de l’évolution professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le problème des évolutions de carrière semble pourtant être soulevé par le rapport.

M. Pascal Bernard. Parler d’évolution professionnelle consiste à répondre à la question suivante : l’augmentation de la part des femmes dans telle ou telle catégorie professionnelle se reflète-t-elle en nombre et en masse salariale ? Cette question n’est pas abordée dans le rapport.

La seule distinction qui y est opérée est celle entre des catégories : les cadres, les techniciens et agents de maîtrise, et les ouvriers-employés. Or la mesure de la non-discrimination professionnelle exige une analyse beaucoup plus fine C’est ce à quoi nous nous employons dans l’entreprise pour laquelle je travaille quand on se demande, par exemple, si le taux de promotion des ingénieurs chimistes de sexe féminin reflète la part des femmes dans cette catégorie.

Le rapport de situation demanderait par conséquent à être complété pour avoir une vision plus précise des promotions réelles.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les promotions y sont pourtant mentionnées.

M. Pascal Bernard. Oui, mais elles sont réparties selon les trois grandes catégories professionnelles, lesquelles sont trop larges.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’important est en effet d’entrer à l’intérieur des catégories professionnelles. Si le rapport ne le fait pas, ce n’est pas satisfaisant.

M. Pascal Bernard. C’est le seul moyen de se rendre compte de l’égalité réelle à l’intérieur d’une profession précise.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Si on lit le rapport, on constate qu’il y est fait état de la catégorie professionnelle et du panel représentatif : « Pour identifier l’absence de promotion dans une catégorie professionnelle ou un métier, deux informations différentes doivent être conjuguées : le nombre de salariés promus dans l’année et la durée moyenne entre deux promotions. »

M. Pascal Bernard. Mais ces distinctions ne sont pas faites par métier et très peu d’entreprises le font.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Est-ce, selon vous, un loupé ?

M. Pascal Bernard. Nous étions, au moment de la rédaction du rapport, un certain nombre de directeurs des relations humaines à défendre cette approche plus fine. Mais les PME s’y sont fortement opposées.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On peut comprendre la réaction des PME. Mais n’y avait-il pas aussi les autres entreprises ?

M. Pascal Bernard. Les PME faisaient partie du groupe de travail chargé de mettre en place le bilan social. Les représentants des grandes entreprises n’ont pas non plus apporté un soutien très franc à notre position.

L’Association nationale des DRH estime qu’une analyse fine, faite métier par métier, présente deux avantages. Elle permet, d’abord, de se rendre compte de la distribution réelle des augmentations de salaires et des promotions. Elle conduit, aussi, à identifier les métiers où peu de femmes sont présentes.

Par exemple, dans le secteur de l’eau, très peu de femmes sont techniciennes ou ingénieurs. Une analyse fine révèle quels sont les métiers qu’il est urgent de féminiser. La politique de promotion professionnelle est le bon critère pour mesurer la dynamique, et non le recrutement. Il faut savoir ce qui se passe une fois que la personne est à l’intérieur de l’entreprise.

Mme Catherine Coutelle. La formation professionnelle semble conduire rarement à une promotion, ce qui n’encourage pas les femmes à s’engager dans cette voie. Dispose-t-on de données sur ce problème ? À l’issue d’une formation professionnelle les hommes sont-ils avantagés ?

M. Pascal Bernard. La question est complexe. La promotion suit rarement la formation. À l’issue d’une formation, la personne est mise dans un parcours de progression consistant à prendre un poste de même niveau mais en se voyant confier plus de responsabilités La promotion ne vient qu’ensuite. La raison du décrochage entre les hommes et les femmes vient de ce que les femmes assurant, par ailleurs, des tâches familiales ont un emploi du temps moins disponible ; elles sont occupées le soir ou ne peuvent pas partir en mission, en province ou à l’étranger. La discrimination n’est donc pas au niveau de la formation, mais intervient après elle et de manière indirecte.

Il est clair que les inégalités à l’intérieur des entreprises naissent à l’extérieur. Une approche plus systémique est nécessaire. Pour mieux sensibiliser les recruteurs à la question de l’égalité entre les hommes et les femmes il conviendrait ainsi, comme le fait l’entreprise dans laquelle j’exerce, de compléter leur formation en prenant mieux en compte les inégalités qui caractérisent la situation de la femme à l’extérieur de l’entreprise.

Mme Pascale Crozon.La journée de travail, aux États-Unis ou dans les pays nordiques, se termine vers dix-sept heures. En France l’entreprise est un monde ouvert où les hommes restent tard au travail en prenant une plage de pose conséquente à midi. On attend des femmes qu’elles suivent les mêmes habitudes, ce qui pour elles n’est pas favorable.

M. Pascal Bernard. Il est vrai que pour réussir, les femmes sont contraintes d’adopter le modèle masculin. J’ai été saisi très récemment d’une plainte au sein du groupe où je travaille qui portait précisément sur le caractère trop fréquent des réunions qui se tiennent après 17h30, alors même que la directrice du service concerné est très progressiste.

Mme Pascale Crozon. La femme craint d’être pénalisée si elle ne se conforme pas aux habitudes de management.

M. Pascal Bernard. Le cas que j’ai cité s’est produit dans un groupe dirigé par Claude Evin qui est très favorable à l’égalité et n’impose pas un mode de management qui obligerait les employés à participer à des réunions tard le soir.

Mme Pascale Crozon C’est tout de même aux responsables qu’il revient de modifier cette organisation.

M. Pascal Bernard Des accords signés avec les partenaires sociaux interdisent les réunions tardives pour ne pas prendre du temps sur la vie privée. Le modèle masculin demeure cependant dominant. Dans certains pays comme l’Italie – certainement en réaction aux traditions machistes qui y règnent – les femmes, au niveau des directions des ressources humaines, font preuve d’un engagement beaucoup plus fort qu’en France pour lutter contre ce modèle masculin d’organisation du temps de travail.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Certaines femmes gardent pourtant leur personnalité.

M. Pascal Bernard. Il le faut. C’est dans l’intérêt de tous.

Mme Pascale Crozon Les divorces et les familles monoparentales sont aussi sources de difficultés, les femmes se retrouvant seules pour assurer la garde des enfants.

M. Pascal Bernard Quand la femme se retrouve seule, sa situation se fragilise. Dans ce cas, l’entreprise devrait trouver des modes d’accompagnement.

Pour mieux garantir l’égalité entre les femmes et les hommes, il convient d’éviter la brisure des carrières au retour des congés maternité. À poste égal, la progression de carrière est, à peu près, similaire; puis vient le décrochage qui est dû au congé maternité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann La question de la définition des tâches est en cours de réflexion. Il s’agit d’un élément important pour éviter ces écarts dans la progression des carrières.

Mme Pascale Crozon Il y a aussi une discrimination cachée qui se manifeste au moment du recrutement quand on demande à une femme si elle compte avoir un enfant.

M. Pascal Bernard. De telles pratiques sont complètement illégales.

Les adhérents de l’Association nationale des DRH font signer à la personne qui a passé un entretien d’embauche un document dans lequel il lui est demandé si elle est satisfaite des questions qui lui ont été posées. Cette procédure est une garantie de transparence et de traçablité, tout en constituant une protection pour le DRH.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann Cette préconisation figure-t-elle dans le rapport de situation ? A-t-elle déjà été formalisée ?

M. Pascal Bernard. Non. J’ai émis cette idée l’an dernier au niveau de mon association et non au sein d’un groupe de travail. La pratique tend à se répandre.

M. Jean-Luc Pérat. Avez-vous défini des rubriques de questions dans le cas des entretiens d’embauche ?

Est-ce qu’une femme devenue plus libre, ses enfants ayant grandi, se donne une nouvelle ambition professionnelle en s’engageant dans une formation ou reprend-elle ses anciennes activités au même niveau ?

Quelles perspectives peut-on offrir aux femmes pour les encourager à se lancer dans une formation ?

M. Pascal Bernard. Notre association forme les recruteurs à ne centrer les entretiens que sur les compétences. Le CV anonyme est en ce sens efficace ; quand il est mis en place, plus de femmes, plus de personnes de couleur ou handicapées sont reçues pour un entretien. Seules les compétences requises de la personne, sa formation et l’expérience professionnelle doivent être prises en considération. Si une question porte sur un autre domaine, par exemple le nombre d’enfants ou la situation familiale, le recruteur doit être sanctionné.

Pour aider les personnes dont les carrières ont été ralenties, le tutorat est un moyen d’avenir, même si un retard ne peut jamais être complètement rattrapé, car avec le temps les positions des uns et des autres se sont confortées. Un coach à l’intérieur de l’entreprise, avec éventuellement l’aide d’un consultant externe, met en place un parcours qualifiant individualisé. Il est cependant certain qu’une formation individualisée est plus onéreuse qu’une formation collective.

Mme Colette Langlade. Quel secteur d’activité est le plus réfractaire à l’égalité entre les femmes et les hommes ?

M. Pascal Bernard. Cela dépend de la taille de l’entreprise plus que du secteur d’activité. Les petites entreprises n’ont pas de DRH, elles vivent dans l’urgence et n’ont pas la stabilité nécessaire pour proposer des dispositifs favorisant l’égalité professionnelle.

La comparaison entre secteurs d’activité révèle des situations hétérogènes. Pendant longtemps, le BTP était réputé comme étant peu favorable aux femmes. Mais des entreprises, comme Vinci, ont donné l’exemple et ont tiré les autres vers le haut.

Toutes les entreprises sont attentives à respecter la diversité. C’est pour elles une question d’image auprès de leur clientèle – on peut citer l’Oréal.

Mme Catherine Coutelle. Il conviendrait de rappeler aux entreprises que la diversité n’est pas l’égalité.

Dans le cas des femmes qui se sont mises en retrait des activités de leur entreprise pour prendre des congés parentaux, toutes les études montrent qu’elles ne récupèrent jamais leur niveau de salaire ou de compétence, leur situation s’aggravant en fonction du nombre d’enfants qu’elles ont.

L’idée de disposer d’un temps de travail modulable dans la carrière fait-elle l’objet de réflexions ? Tout le monde sait qu’on est plus disponible à certains âges qu’à d’autres. Je me suis occupée en tant qu’élue de l’organisation du temps de travail dans un service de transports ; des groupes de travail des chauffeurs avaient été mis en place, chacun ayant son organisation horaire. Évidemment, les hommes et les femmes ne rejoignaient pas les mêmes groupes. Peut-on imaginer dans les entreprises l’attribution d’un capital temps modulable au cours de la carrière ? On peut trouver aussi d’autres formules telles que l’interdiction des réunions le soir. Une meilleure organisation du temps de travail contribuerait à maintenir les femmes dans les entreprises.

M. Pascal Bernard. Notre association n’a pas encore réfléchi à de telles pistes. Mais il est clair que toute mesure contribuant à une plus grande souplesse d’organisation, sous réserve d’un encadrement, est utile. Ainsi, certaines activités peuvent être exercées à domicile, à condition de ne pas mélanger la vie privée et la vie professionnelle.

Mme Catherine Coutelle. Travailler, c’est sortir de chez soi.

M. Pascal Bernard. Créer un capital temps, comme il existe déjà un capital formation dans le cadre du droit individuel à la formation (DIF), nécessiterait une concertation avec les partenaires sociaux. Ceux-ci n’ont encore formulé aucune demande de cette nature ; mais on se souvient que les partenaires sociaux, qui sont des hommes pour la plupart, n’étaient pas non plus demandeurs de l’instauration d’une égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann Le thème de l’égalité professionnelle semble tout de même commencer à entrer sans les esprits.

M. Pascal Bernard. La diversité et l’égalité ne doivent pas être confondues. Ainsi, quand le label « diversité » a été créé, il était clair qu’il y aurait aussi un label « égalité ». Le second n’a cependant pas connu le même succès que le premier. L’engouement est tel pour le label « diversité » qu’un directeur de chaîne de télévision est venu lui-même défendre son dossier de labellisation.

Cette tendance est dangereuse ; le label que nous avons contribué à créer pourrait devenir un monstre. Un label « diversité » ne doit pouvoir être attribué que s’il existe une démarche tendant à une égalité entre les hommes et les femmes. Il ne faut pas mélanger les deux : les femmes ne sont pas une minorité, elles ne relèvent donc pas d’une politique en faveur des minorités.

Mme Pascale Crozon. A-t-on connaissance d’entreprises qui souhaitaient recruter des femmes et qui n’ont pas trouvé de candidates ? On sait en effet que les résultats scolaires des filles sont meilleurs que ceux des garçons. Mais cette différence ne se traduit pas au niveau des orientations ; dans certaines branches, il manque de femmes ingénieurs ou de techniciens.

M. Pascal Bernard. Les femmes sont peu présentes dans les filières de production, qui sont les plus valorisantes pour les carrières. Dans le secteur de l’eau, la carrière d’un directeur d’usine s’occupant de production et celle d’une biologiste, chargée des procédures de qualité, ne connaîtront pas les mêmes évolutions. Les entreprises doivent nouer des partenariats avec les écoles d’ingénieurs et de techniciens, dès les premières années d’études.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les partenariats doivent exister dès l’école car l’égalité commence à l’école.

Mme Pascale Crozon. Même dès la maternelle ! Les chercheurs ont montré que les comportements des enseignants étaient différents selon qu’ils ont affaire à des filles ou à des garçons.

M. Pascal Bernard. Certains secteurs d’activité qui étaient à forte majorité masculine n’ont dû leur survie qu’au fait qu’ils se sont féminisés. Il en est ainsi de la Marine, si l’on se réfère au témoignage de l’amiral François Dupont.

Mme Catherine Coutelle. À l’inverse, un magistrat m’a fait la réflexion que son métier se dévalorisait car il était envahi par des femmes. Des remarques identiques s’entendent dans le secteur de la médecine.

Est-ce dévalorisant pour une entreprise si le nombre de femmes qui y sont employées dépasse celui des hommes ?

M. Pascal Bernard. Depuis deux ou trois ans, les réactions évoluent.

Mme Pascale Crozon. C’est pourquoi aussi les enseignants sont souvent des femmes car c’est un secteur où les salaires ne sont pas élevés.

Mme Catherine Coutelle. Les mesures relatives au plan d’action défini dans la loi sur les retraites posent problème par rapport au rapport de situation comparée. Vous êtes-vous saisi de cette question ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce plan d’action ne doit pas se substituer au rapport de situation mais s’y intégrer.

M. Pascal Bernard. Il faut maintenir le rapport de situation comparée et le rendre plus exigeant sur certains points comme l’évolution professionnelle. Les données relatives aux formations devraient également apparaître en fonction de la nature des formations et pas seulement au regard du seul critère des sexes. Par exemple, dans le cas des formations longues et coûteuses pour l’entreprise, il serait intéressant de savoir si la part des femmes qui en bénéficient reflète la part des femmes qui y sont employées. Il est facile de donner une bonne image en fournissant des chiffres de formation qui correspondent, dans la réalité, à des temps de formation très brefs. Les statistiques doivent donc être affinées et faire ressortir les niveaux de formation. Le rapport de situation est une photographie importante qui permet de mesurer si des progrès sont faits, ou non. Il ne faut pas le noyer dans un autre document.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les discussions seront vives, en particulier sur la rédaction du décret d’application de l’article 99 de la loi sur les retraites. Pour ma part, je m’opposerai à toute mesure qui ferait régresser la situation des femmes.

M. Pascal Bernard. La question de l’égalité entre les femmes et les hommes doit rester au cœur des préoccupations.

Mme Pascale Crozon. La situation de notre pays est singulière : nous sommes l’un des pays européens où les femmes travaillent le plus et où elles font le plus d’enfants. Toutes les questions qu’on soulève devraient donc relever de l’évidence.

M. Pascal Bernard. Il convient de bien séparer la cause de la diversité et la cause de l’égalité. Si elles peuvent être complémentaires et utiliser les mêmes démarches ou les mêmes outils, elles restent cependant distinctes dans leur nature.

La séance est levée à 19 heures 10