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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 5 avril 2011

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Kah Walla, candidate à l’élection présidentielle du Cameroun et M. Amepy Lapée, conseiller

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Kah Walla, candidate à l’élection présidentielle du Cameroun et M. Amepy Lapée, conseiller.

La séance est ouverte à 11 heures 30.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. – Je remercie Mme Pascale Crozon de m’avoir informée de la visite en France de Mme Kah Walla, ce qui a permis d’organiser la présente audition.

Je sais, Madame, que vous faites partie des personnalités qui comptent au Cameroun. Dans de nombreux pays d’Afrique, pourtant en voie vers la démocratie, où des responsables politiques se maintiennent au pouvoir depuis de longues années, il est important de pouvoir compter sur des femmes telles que vous, qui avez par ailleurs, fait vos preuves en matière économique. Dans cette situation, votre action n’est pas celle d’une opposante : vous cherchez à maintenir une porte ouverte, à rendre possible le dialogue, face à un président de la République qui n’avait pas manqué de mérites quand il avait repris les rênes du pouvoir. Mais aujourd’hui les lignes bougent, l’Afrique s’ouvre, et les femmes sont aux avant-postes de ce mouvement.

Mme Pascale Crozon – C’est l’association Rhône-Alpes Pionnières qui m’a informée de la venue de Mme Kah Walla dans notre pays.

Mme Kah Walla – Je remercie beaucoup la Délégation de m’avoir invitée à cette audition. Depuis que j’ai annoncé ma candidature à la prochaine élection présidentielle au Cameroun qui se tiendra en octobre 2011, je suis impressionnée par la solidarité des femmes que je rencontre dans le monde entier.

Ayant travaillé pendant vingt ans dans le secteur de l’économie, tant au Cameroun, que dans l’ensemble de l’Afrique et au niveau international, je tire beaucoup de force de la capacité de mobilisation dont les femmes font preuve autour d’objectifs clairs, de leur aptitude à créer des réseaux pour échanger et discuter.

Le Cameroun est l’un des rares pays africains à ne pas avoir franchi le cap de la démocratie. En cinquante ans d’indépendance, l’État camerounais a été dirigé par deux présidents de la République. Le dernier est en poste depuis vingt-huit ans et s’il n’a pas encore annoncé sa candidature, il a fait modifier la Constitution en 2008 pour pouvoir se représenter en 2011.

En cinquante ans, notre pays n’a jamais connu d’élections sans fraude, sans privation de droits à l’égard de certains candidats. Or le Cameroun ressent le besoin de faire partie de ce mouvement vers une démocratie plus large et inclusive que connaissent, actuellement, l’Afrique et plusieurs pays dans le monde.

Les femmes représentent 52 % de la population du Cameroun et 70 % d’entre elles sont des agricultrices, le secteur agricole fournissant 40 % de notre PIB. Dans l’ensemble de l’économie, elles constituent 40 % des forces de travail. Pourtant, les femmes ne sont présentes au sein de l’Assemblée nationale que dans une proportion de 7,2 % et ne dirigent que 16,3 % des municipalités.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – Cette dernière proportion est en France de 13 % !

Mme Kah Walla – Il est vrai qu’il serait peut-être préférable d’établir, dans ce domaine, des comparaisons avec le Rwanda plutôt qu’avec la France !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – Votre pays a rattrapé la France. Il ne faut pas oublier qu’une histoire commune lie nos deux pays. Mais vous avez, plus vite nous, compris que les femmes avaient un rôle important à jouer dans la civilisation.

Mme Kah Walla – Un élément historique reste souvent méconnu qui est qu’en Afrique, surtout en Afrique centrale et en Afrique de l’ouest, les femmes ont toujours joué un rôle économique et politique important. Dans la civilisation traditionnelle, les femmes avaient leur place. Encore aujourd’hui, dans certaines régions du Cameroun, la gouvernance ne se conçoit pas sans les femmes : à chaque niveau du pouvoir, il y a un homme, mais à ses côtés il y a toujours une femme. Ainsi, par exemple, les marchés sont contrôlés par les femmes.

Mais l’introduction de l’islam et du christianisme a joué en leur défaveur. C’est là un élément de notre histoire dont nous-mêmes nous ne nous rendons pas toujours compte.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – Votre remarque est très importante. La rencontre avec les religions n’a pas été sans conséquences sur le sort des femmes.

Mme Kah Walla  – Par exemple, dans le domaine de l’économie, il y avait un équilibre traditionnel entre les hommes, qui étaient chasseurs et les femmes, qui étaient cueilleuses. La colonisation a apporté les produits de rente et introduit un modèle où l’on ne traite qu’avec les hommes. Les hommes sont devenus propriétaires de grands champs de cacao ou de café, tandis que les femmes, elles, comme les enfants, n’ont plus été qu’une force de travail ; pourtant, dans la tradition, même si elle ne possédait pas la parcelle de terre sur laquelle elle travaillait, une femme avait la jouissance absolue des produits qu’elle en tirait. Cette autonomie économique de la femme a été brisée.

Se souvenir de ce qu’était, autrefois, la condition des femmes est un élément important pour nous définir nous-mêmes en tant que femmes, avec notre histoire. Or la société ignore cette histoire. La rappeler fait d’ailleurs partie de mon programme électoral, car jusqu’à aujourd’hui, on ne nous enseigne que l’histoire de France.

Peu de monde se souvient que le Cameroun a lutté pour son indépendance dès 1958, au cours d’une guerre sanglante qui a fait 300 000 victimes, tuées par l’armée française et les forces locales. L’anéantissement de ces premiers indépendantistes n’est pas mentionné dans l’histoire telle qu’elle est enseignée. L’indépendance est un événement occulté par les programmes d’histoire : ainsi, les enfants ignorent que des gens se sont battus pour leur pays comme ils ignorent qu’il a pu exister des rapports presque égalitaires entre les femmes et les hommes.

Mme Catherine Coutelle  –  Y a-t-il des historiens camerounais qui aient écrit l’histoire du Cameroun ?

Mme Kah Walla  – Un livre est sorti il y a moins d’un mois, écrit conjointement par un Français et un Camerounais. Son titre est Kamerun, selon l’ancienne appellation allemande. Mais il faut intégrer cette histoire dans les programmes scolaires.

Selon les estimations, moins de la moitié des femmes ayant le droit de vote participe aux élections. Il existe pourtant un fort potentiel de femmes capables d’influencer les élections ; on le voit à travers l’intérêt que peut susciter ma candidature, mais cet intérêt doit se traduire par des actes. D’abord, il faut que les femmes s’inscrivent sur les listes électorales ; ensuite, qu’elles soient candidates aux élections municipales et législatives de 2012  – nous avons un projet en ce sens, baptisé « Vague des femmes » ; enfin, les femmes doivent s’impliquer dans les fonctions de scrutatrices.

Le désintérêt des femmes pour la politique vient de ce que le jeu politique est trop corrompu et qu’il ne se focalise pas sur l’essentiel. Les femmes estiment qu’elles n’ont pas de temps à perdre dans de telles discussions et qu’il est plus important pour elle d’élever leurs enfants. J’essaie de les convaincre qu’on a besoin qu’elles s’impliquent davantage dans le système, que c’est par ce moyen que le système pourra être changé.

Notre demande envers nos partenaires tels que la France, est qu’une forte pression soit exercée sur le Gouvernement, dès maintenant, avant les élections, pour que soit mis en place un système électoral fiable. Les opposants ont des revendications précises pour améliorer un système électoral créé il y a vingt ans, au moment de l’introduction du multipartisme.

Pour disposer d’un système présentant moins de risque de fraudes, il conviendrait de recourir aux techniques de biométrie pour l’inscription sur les listes électorales. Cette technologie est utilisée dans de nombreux pays africains et conduit à une diminution des cas de fraude.

En outre, il faudrait introduire un bulletin unique portant mention des noms de tous les candidats. Actuellement, sur chaque bulletin, ne figure qu’un nom. Pour acheter des voix, il suffit de demander à l’électeur de conserver les bulletins correspondant aux différents candidats en lice qu’il a pris avant d’entrer dans l’isoloir, puis de présenter ceux qui lui restent après avoir voté ; l’électeur peut alors prouver, a contrario, le sens de son vote et recevoir son argent. Cette fraude est un moyen très répandu de corruption.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – Comment votre candidature est-elle reçue au Cameroun ?

Mme Kah Walla  – Très bien, ce dont j’ai été surprise car je pensais qu’en tant que femme, je serais plutôt désavantagée. En fait, dans le contexte actuel, les gens veulent du changement. La candidature d’une femme constitue déjà, en soi, un changement.

On reconnaît aussi mon courage pour affronter un système que la majorité des hommes craint.

Mme Catherine Coutelle. – Êtes-vous membre d’un parti politique ?

Mme Kah Walla  – J’ai appartenu au Front social démocratique, le plus grand parti de l’opposition et j’ai été membre du conseil municipal de Douala. Quand j’ai annoncé ma candidature à l’élection présidentielle, le 23 octobre, j’ai quitté mon parti, au sein duquel je présidais la commission «  stratégie ».

L’opposition n’a en effet rien mis en œuvre pour changer la donne. La volonté de changement des années 1990 est retombée : depuis vingt ans les positions ne bougent pas ; on s’est enlisé. J’ai constaté que plus l’élection présidentielle s’approchait, moins le parti prenait d’initiatives. Quand il a décidé d’appeler les électeurs à ne pas s’inscrire sur les listes électorales parce qu’il estime que les réformes doivent intervenir avant ces inscriptions, j’ai pris ma décision de le quitter. Ma position est qu’en procédant ainsi, on ne se donne aucune chance de réformer le pays. Seul le nombre peut peser contre la fraude ; il faut donc s’inscrire pour voter.

Ma décision m’a attiré les critiques de certains membres du parti ; cependant, aujourd’hui, le parti a une position de conciliation et voudrait que je revienne. Il tiendra son congrès en avril.

Il faut souligner que sur les douze membres de la commission indépendante chargée des élections, le Président de la République en a nommé dix qui, par ailleurs, siègent à la commission centrale du parti au pouvoir. Cela nuit beaucoup à la crédibilité du système. On comprend que, dans ces conditions, le taux d’inscription sur les listes électorales soit faible. Il suffirait pourtant de quelques mesures pour faire bouger les choses et la France pourrait faire pression pour l’adoption de quelques réformes clés, réalisables rapidement et susceptibles de rendre confiance dans le système : le bulletin unique peut être introduit en quelques mois et il suffirait d’un décret pour modifier la composition de la commission chargée des élections.

L’exemple de la Côte d’Ivoire montre l’importance que peut avoir le système électoral pour désigner un gagnant acceptable par tous. Les mêmes ingrédients de crise sont aujourd’hui présents au Cameroun.

Mme Catherine Coutelle – La France maîtrise les techniques de biométrie utilisées pour établir des listes électorales fiables. La SAGEM à Poitiers propose un système simple et sûr qui a fait ses preuves au Niger. Mais, c’est au Cameroun d’en faire la demande.

Mme Kah Walla  – Le système biométrique d’identification utilisé au Cameroun est déjà géré par une entreprise française. Il serait facile d’appliquer cette technique pour l’établissement des listes d’électeurs.

Mais cet engagement de la France devrait se faire rapidement. Sinon, certains pourraient mal interpréter l’attitude de la France, surtout après les frappes aériennes françaises en Côte d’Ivoire. Il faut agir maintenant pour éviter l’émergence de conflits.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – Votre sécurité personnelle a-t-elle été menacée ?

Mme Kah Walla  – L’opposition a organisé une manifestation le 23 février pour appeler à des élections libres et transparentes et pour commémorer les morts de l’indépendance. La manifestation n’était pas violente, mais le gouvernement a craint une « révolution de jasmin » et a déployé des forces policières considérables dans les deux plus grandes villes du pays. Les rassemblements devaient compter 300 participants. 6 ont été arrêtés, 50 personnes seulement ont pu manifester. À l’arrivée de la police nous nous sommes assis pour montrer que notre manifestation était non violente. Nous étions alors des cibles faciles et la manifestation a été réprimée à coups de matraques. Personnellement, j’ai été isolée du groupe et me suis retrouvée seule face à un canon à eau pointé puis actionné dans ma direction.

Le gouvernement est prêt à utiliser la violence pour se maintenir au pouvoir. En 2008, des manifestations qui lui étaient hostiles avaient dégénéré par absence de leadership. Le risque de violence est réel et joue dans l’intérêt du gouvernement. Cette situation est pour moi source de crainte pour mon pays ; j’ai été approchée, trois fois, par des personnes qui m’ont proposé de choisir la voie armée.

Je suis convaincue que des signes d’ouverture, même minimes, pourraient faire baisser la pression et persuader la population que la voie des élections est la voie à suivre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – Qui avez-vous rencontré en France ?

Mme Kah Walla   – Du côté français, trop peu de personnes. J’ai rencontré un responsable de l’UMP, auquel j’ai adressé un message clair, ainsi que l’ambassadeur de France au Cameroun qui, évidemment, est resté très neutre.

Mme Catherine Coutelle – Il faut faire des démarches internationales pour faire passer des messages.

Mme Kah Walla – J’ai été reçue aux États-Unis.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – Il vous faut rencontrer des responsables du Quai d’Orsay. On ne peut ignorer les mouvements que connaît l’Afrique. J’avais mis en garde depuis longtemps sur les problèmes du Maghreb. La Côte d’Ivoire est une leçon.

Mme Catherine Coutelle – Comment voyez-vous les différents mouvements de révolte que connaissent l’Afrique et les Proche et Moyen orient ?

Mme Kah Walla   – La possibilité de faire partir une personne qui est au pouvoir depuis plus de vingt ans est réelle au Cameroun. Mais la population a très peur de la violence dont pourrait faire preuve l’État. Quand j’ai appelé à manifester, le ministre de la communication a objurgué les familles à ne pas m’écouter si elles ne voulaient pas envoyer leurs enfants se faire massacrer. La violence de l’État est considérée comme un caractère si normal qu’aucun journal de presse n’a relevé, au lendemain de cette déclaration, ce fait que l’État était prêt à organiser le massacre de ses propres citoyens.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – Au Sénégal aussi, la situation semble être tendue. L’Afrique est en train d’écrire de nouvelles pages d’histoire. Notre action ne doit pas nous faire apparaître comme des colonisateurs. Mais les choses bougent. Votre accueil aux États-Unis est exemplaire. Mais, en France, il nous faut absolument nous souvenir que nous avons une histoire commune avec l’Afrique.

Mme Kah Walla   – La France est considérée comme étant du côté du pouvoir en place, et non du côté du peuple. Elle devrait réellement rechercher une ouverture en direction des autres mouvements politiques et entamer des discussions avec eux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann  – J’ai pu constater moi-même, au Laos en 1998, l’attachement que pouvaient avoir pour la France certains pays qui avaient été colonisés par elle. La France demeure le berceau de la démocratie. C’est en ce sens que, tout en reconnaissant nos erreurs, il ne faut pas rompre les liens avec l’Afrique, mais demeurer à l’écoute et rester attentif.

La séance est levée à 12 heures 30