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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 18 octobre 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 2

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Présentation des conclusions de la mission parlementaire confiée à Mme Bérengère Poletti, vice-présidente, par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale relative au secteur de l’aide à domicile

– Audition de M. Serge Lacassie, président de l'Association des Professeurs de Biologie et Géologie.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu les conclusions de Mme Bérengère Poletti, vice-présidente, sur la mission parlementaire relative au secteur de l’aide à domicile que lui a confiée Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale.

La séance est ouverte à 16 heures 15.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je remercie Mme Bérengère Poletti d’avoir accepté de présenter à notre Délégation les premières orientations du rapport qu’elle est en train d’élaborer dans le cadre de sa mission sur le secteur de l’aide à domicile.

La dépendance est un problème majeur, qu’on laisse aller malheureusement à vau-l’eau. Quelques propositions sur cette question devraient être présentées au cours de la prochaine discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2012, mais on s’interroge sur les mesures qui suivront.

Mme Bérengère Poletti, vice présidente. Il est légitime que la Délégation aux droits des femmes se saisisse d’un sujet qui, dans le quotidien, concerne avant tout les femmes.

Celles-ci sont en effet en première ligne pour deux raisons : d’une part, leur espérance de vie, supérieure à celle des hommes, fait que ce sont en majorité des femmes qui sont en situation de dépendance ; d’autre part, ce sont aussi des femmes qui, en établissement ou à domicile – et souvent sous forme d’emplois précaires ou d’emplois partiels – travaillent dans le secteur de l’aide à la personne.

En préalable à l’éventuelle reconnaissance d’un cinquième risque dans le champ de la protection sociale – qui est un engagement du programme présidentiel de 2007 – des groupes de travail ont été constitués à la demande de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale sur la question de la dépendance. Pour tous les intervenants, il est clair qu’il faut favoriser le maintien à domicile des personnes dépendantes, les enquêtes montrant que 90 % des Français souhaitent rester dans leur logement pendant les dernières années de leur vie.

Mais la question du maintien à domicile est un sujet complexe et de nombreux organismes intervenant dans le secteur des soins à domicile connaissent des difficultés financières aboutissant parfois à des dépôts de bilan.

Cette situation a motivé la mission qui m’a été confiée à la fin du mois de juillet.

Conformément aux termes de ma lettre de mission, j’ai d’abord dressé un état des lieux en procédant, au mois de septembre, à des auditions des différents acteurs – organismes privés, intervenants publics, associations, conseils généraux et représentants de l’État – et j’ai travaillé sur des propositions susceptibles d’être adoptées à l’occasion de la prochaine discussion du projet de loi de finances (PLF) et du PLFSS pour 2012.

Dans le cadre de cette mission, il m’a également été demandé d’aborder un problème qui met en jeu l’ensemble du dispositif, celui de la tarification des services. J’ai donc prévu de procéder à des déplacements auprès d’une dizaine de conseils généraux afin de me rendre compte de la situation sur le terrain. Des propositions ont déjà été formulées sur ce sujet par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF) dans un rapport récent. L’Assemblée des départements de France (ADF), après avoir signé une convention avec 14 associations, expérimente, quant à elle, de nouvelles modalités de tarification. Je proposerai, pour ma part, des pistes alternatives.

Concernant la première partie de mon rapport, trois amendements seront présentés au cours des discussions du PLF et du PLFSS.

Le premier amendement, présenté au nom du Gouvernement dans le PLF, consiste à proposer la création d’un fonds d’aide de 50 millions d’euros pour les services à domicile connaissant des difficultés financières. Ce fonds sera délégué à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), plus précisément à la section IV de son budget, laquelle porte sur les crédits attribués aux services de soins à domicile. La CNSA attribuera ces sommes aux agences régionales de santé (ARS) selon les mêmes règles de répartition que celles des fonds de compensation de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Les dossiers des associations candidates seront d’abord instruits pour avis par la direction régionale des finances publiques. Celle-ci vérifiera la solidité de leur budget – il est en effet exclu de distribuer des aides qui se révéleraient vaines si les structures concernées étaient trop en difficulté – et appréciera les efforts de gestion et d’organisation qu’elles auront accomplis dans les mois précédant leur demande. Les associations seront alors renvoyées vers les ARS où une commission composée de représentants des services de l’État et des conseils généraux sera habilitée à distribuer les crédits. Il conviendra en un premier temps de répondre aux demandes d’aide les plus urgentes puis d’assurer un accompagnement financier dans la durée.

Le deuxième amendement portera sur le soutien aux familles en difficulté. Celles-ci peuvent être aidées par des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), par exemple lorsqu’une mère de famille nombreuse, pour des raisons de santé, n’est plus en mesure provisoirement de s’occuper de ses enfants. Ces interventions ne bénéficient malheureusement plus du dispositif d’exonération de charges, celui-ci n’ayant été maintenu que pour l’aide aux personnes fragiles – personnes âgées dépendantes ou handicapées. Il en résulte d’importants problèmes de financement pour les associations d’aide à domicile. Cependant la disposition législative nécessaire pour étendre le champ des exonérations aux interventions des TISF coûterait 25 millions d’euros et l’amendement pour l’introduire dans le PLFSS n’est pas à ce jour gagé. Il n’y a donc pas de certitude sur l’adoption de cette mesure pourtant nécessaire.

Enfin la troisième mesure sera présentée en même temps que l’amendement relatif au fonds d’aide de 50 millions d’euros. Elle vise à donner davantage de sécurité juridique aux expérimentations faites par les départements pour introduire des modalités de tarifications différentes de celles que prévoit la loi.

La seconde partie du travail entrepris dans le cadre de ma mission porte sur la tarification.

Le problème est complexe car il s’inscrit dans la politique de décentralisation. On sait que la baisse des recettes, provoquée par la crise de 2009-2010, de la CSG et de la journée de solidarité a eu pour conséquence que les dépenses consenties par les départements pour assurer le paiement de l’APA n’ont plus été compensées au même niveau par l’Etat, même si un fonds exceptionnel de 150 millions d’euros a été débloqué.

De fait, si la décentralisation a pour avantage de permettre la mise en place de mesures adaptées à la réalité du terrain, elle a aussi pour conséquence des visions très différentes de l’organisation tarifaire des aides à domicile.

Certains conseils généraux ont instauré des procédures d’autorisation des services d’aide à domicile et fixé les tarifications. Ceux-ci sont d’un montant généralement suffisant pour assurer la totalité des soins. En l’absence d’autorisation, le service peut sur-tarifer sa prestation ; la personne est alors contrainte d’acquitter un reste à charge. Dans ce système, les services non autorisés peuvent difficilement se développer.

Dans d’autres départements, les services d’aide à domicile font l’objet d’une certification « qualité » et ne sont pas soumis à un régime d’autorisation. Ce dispositif encourage le développement de services commerciaux d’aide à domicile, conformément à la loi relative au développement des services à la personne, élaborée par Jean-Louis Borloo, qui avait pour objectif de susciter la création d’emplois de proximité. Les services d’aide certifiés assurent aujourd’hui 5 % du volume horaire global.

Pour certains, la concurrence qui résulte de cette diversité de dispositifs entre la filière associative et le secteur privé serait la source des difficultés que connaît l’ensemble du secteur car elle aurait eu pour effet de faire diminuer le volume horaire disponible.

La réalité du problème semble cependant être différente.

La première cause des difficultés tient au fait que la tarification dans les départements se révèle souvent inférieure au prix de revient des services effectués.

Par ailleurs, les associations ont souvent mené, légitimement, des politiques ambitieuses de formation professionnelle et ont encouragé la valorisation des parcours professionnels, ce qui, dans le cadre de conventions collectives, a eu des conséquences sur les niveaux de rémunération. Or une intervention auprès d’une personne dépendante peut consister en des tâches très diverses n’exigeant pas les mêmes qualifications ; par exemple, faire la vaisselle ou ouvrir les volets, et prodiguer des soins corporels à la personne. De plus, lorsque le professionnel est qualifié, l’association doit le payer en prenant en compte ses temps de déplacement alors que le conseil général ne rembourse que la prestation effectuée auprès de la personne dépendante. Les associations travaillant en milieu rural, où les distances à parcourir sont importantes, sont particulièrement affectées par ce type de contrainte.

Ces problèmes sont encore aggravés par le fait que les conseils généraux ne disposant plus des mêmes moyens en raison des mauvaises compensations de l’APA par l’État, n’accordent plus aussi facilement qu’avant des subventions aux associations connaissant des problèmes de trésorerie. Celles-ci sont donc contraintes de puiser sur leurs fonds de roulement dont elles ont pourtant un besoin croissant en raison des retards de paiement de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et des départements. Ainsi, elles se retrouvent de plus en plus dépendantes des banques.

Des aides ponctuelles sont donc nécessaires. Elles seront accordées par les commissions précitées qui devraient bientôt voir le jour ; ces aides ne sauraient toutefois intervenir que dans l’attente d’une réforme des modalités de tarification qui devrait conduire les services d’aide à se réorganiser, se restructurer et parfois se regrouper.

Certes il y a des cas de mauvaise gestion : embauche d’un nombre excessif de cadres administratifs, niveau excessif des frais de structures, supérieurs aux 15 % préconisés. Mais ce ne sont pas les seules causes des problèmes rencontrés par ces services : ceux-ci devront se réorganiser s’ils veulent survivre jusqu’à la mise en place des réformes envisagées et assurer des prestations de qualité.

L’ADF lance dans le Doubs une expérimentation consistant en des tarifications définies sur le modèle de celles des EHPAD, à savoir sur la base de conventions tripartites et d’un paiement mensuel. Les auditions que j’ai menées avec les intervenants concernés, m’ont cependant amenée à constater l’existence de positions divergentes sur les modalités de délivrance des dotations.

L’IGAS a proposé un autre système consistant à porter l’effort sur les personnes les plus fragiles, relevant des GIR 1 et 2 (groupes iso-ressources établissant des degrés de dépendance allant du GIR 1 - personnes confinées au lit ou au fauteuil, dont les fonctions mentales sont gravement altérées et qui nécessitent une présence continue d’intervenants – au GIR 6 - personnes âgées n’ayant pas perdu leur autonomie pour les actes essentiels de la vie courante) et à maintenir un régime d’autorisation pour avoir la garantie que les interventions auprès de ces personnes sont réalisées par des professionnels bien formés.

Cette seconde partie de mon rapport m’amènera à effectuer, en novembre et décembre, des déplacements dans plusieurs départements qui expérimentent de nouveaux systèmes de tarification. Si la Délégation le souhaite, je pourrai lui présenter les constats que j’y aurai effectués.

On m’a par ailleurs souvent cité l’exemple du Maine-et-Loire qui applique les dispositifs existants et, où, semble-t-il, les choses se passent bien : c’est avec intérêt que j’irai visiter les services de ce département.

Je souligne que les succès ou les échecs en ce domaine paraissent partagés entre des exécutifs de gauche et de droite.

La plus ou moins grande richesse des territoires concernés ne semble pas non plus être un facteur explicatif. Ainsi, dans les Yvelines, les personnes payent un reste à charge ; le système adopté est celui de la certification et le niveau des remboursements est fixé au niveau de la CNAV ; un turn over important d’organismes privés est à constater. Moins de moyens sont ainsi consacrés à ce secteur que, par exemple, dans le département des Ardennes où le niveau de richesse économique est pourtant inférieur.

La mise en place de parcours professionnels renvoie au problème de la condition de travail des femmes. Pourtant, la nature même du travail d’aide à domicile n’exclut en rien l’intervention d’hommes, même si j’ai pu voir, dans ma carrière de sage-femme combien l’arrivée de professionnels masculins dans une profession féminine est, pour des raisons culturelles, difficilement acceptée ; les hommes ont pourtant toutes les qualités pour effectuer des tâches de soins.

Les tâches proposées correspondent le plus souvent, à un temps partiel, organisé en pointillés dans la journée et donc a priori dévolu aux femmes souhaitant apporter à leur foyer un salaire d’appoint. Avec raison, les services d’aide s’efforcent de faire varier le contenu des tâches confiées aux professionnelles en ne leur attribuant pas seulement des personnes fragiles mais aussi des travaux de ménage ou des soins d’enfants ; un temps complet peut ainsi être atteint.

Je ferai enfin remarquer que les aidants bénévoles sont eux aussi des femmes : les épouses, les sœurs, les filles, les belles filles etc.

Mme Marianne Dubois. Depuis plusieurs mois je travaille sur le problème de la dépendance et je fais le même constat. Il y a là des données culturelles difficiles à faire évoluer…

Mme Bérengère Poletti, vice présidente. On rencontre tout de même des personnes âgées en bonne forme ! Il faut souligner que l’espérance de vie sans dépendance augmente plus vite que l’espérance de vie elle-même, même si en France cet écart demeure moindre que dans d’autres pays. Vieillir n’est pas toujours une mauvaise nouvelle.

M. Jean-Luc Perat. Quelles sont les conséquences dans les territoires ruraux des conventions collectives qui ne permettent plus aux personnes sous qualifiées d’intervenir chez une personne âgée si une tâche plus spécialisée est requise ?

Dans le département du Nord, la mise en place de chèques emplois service (CESU) a été motivée par le constat que l’APA, depuis sa création en 2002, était souvent considérée comme une retraite complémentaire ; cela contraignait ultérieurement les services à réclamer le remboursement des sommes versées indûment.

Mme Bérengère Poletti, vice présidente. Le recours aux CESU comme mode de paiement versé au prestataire intervenant à domicile est un élément contribuant à la performance de la gestion. On estime ainsi que ce dispositif permet d’éviter de payer l’équivalent d’un volume de 20 % d’heures tarifées et non accomplies.

Ce sont les services du conseil général qui établissent le plan d’aide pour la personne âgée ; par exemple, passer chaque jour à son domicile pour ouvrir les volets, la lever, lui faire sa toilette, lui préparer ses repas, la mettre au fauteuil, faire un peu de ménage etc. Des tâches de soin et des taches ménagères composent ainsi le plan d’intervention. Mais en milieu rural, à la différence du milieu urbain, les associations sont dans l’incapacité de mettre sur la même mission deux personnes aux qualifications différentes ; il est donc fait appel à la personne la plus qualifiée, ce qui est normal. Celle-ci relevant d’une convention collective qui régit ses congés, son salaire et ses récupérations, l’association ne peut faire autrement que de la payer au prix de sa qualification et, en outre, pour la totalité de la durée de son déplacement alors que le conseil général ne paye que l’intervention. Cette situation grève évidemment le budget des services d’aide à domicile.

On pourrait proposer des enveloppes d’aides qui tiendraient compte des spécificités géographiques des zones d’intervention. Des efforts d’organisation et des regroupements sont aussi nécessaires.

M. Patrick Lebreton. À La Réunion, la caisse générale de sécurité sociale a procédé en 2009 à une enquête sur les risques psychologiques encourus pas les professionnels de l’aide à domicile.

La spécificité de La Réunion est que 92 % de la classe d’âge concernée touche l’APA, contre 57 % en métropole. Ce sont des femmes qui en bénéficient en majorité mais il y a aussi des hommes. Dans la ville dont je suis maire, une unité de coordination de services d’aide à domicile est en place qui a vu ses effectifs passer de 63 personnes à 125 au moment de la création de l’APA. L’étude citée a relevé que ces professionnels souffraient de problèmes de santé et se plaignaient d’un manque de reconnaissance pour un métier moralement éprouvant qui les contraint parfois à faire face à des situations empreintes d’agressivité.

Les aides à domicile aspirent donc à avoir accès à une formation et à bénéficier d’un véritable statut ; ils demandent aussi un salaire plus valorisant, ce qu’ils mériteraient en effet. Ils souhaitent enfin bénéficier de structures de rencontres entre collègues pour pouvoir rompre leur isolement.

Ce type de demande se retrouve-t-il dans votre rapport ?

Mme Bérengère Poletti, vice présidente. Mon travail porte plus sur les questions de financement de l’aide à domicile.

En matière de qualification professionnelle, un référentiel est souhaité par l’ensemble des services concernés. La question est de savoir s’il est nécessaire de former tous les intervenants. On peut imaginer que dans un pôle de professionnels, 60 % à 70 % des personnes soient formées pour que des perspectives professionnelles puissent leur être offertes – devenir, par exemple, aide-soignante puis infirmière.

Il est exact par ailleurs de dire que ce sont des métiers éprouvants ; les intervenants à domicile sont seuls et c’est dans la solitude qu’ils doivent affronter des situations particulièrement difficiles. Il faut donc proposer des possibilités de formation. Une convention collective pour l’ensemble de la profession est en cours d’élaboration.

Mais il faut aussi tenir compte du fait que la situation des associations demeure très fragile : les dépôts de bilan menacent, comme on l’a vu dans le Finistère et dans l’Aube où pas moins de 200 personnes sont touchées par un plan de licenciement.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mme Bérengère Poletti, je vous remercie de nous avoir fait part de toutes ces informations.

*

* *

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de M. Serge Lacassie, président de l'Association des Professeurs de Biologie et Géologie.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’inscription de la question du genre au programme de l’enseignement des sciences de la vie et de la terre (SVT) de la classe de première a suscité de nombreuses interrogations.

Notre Délégation a organisé plusieurs auditions sur ce sujet. Elle a en particulier reçu l’ancien ministre de l’Éducation nationale, M. Luc Ferry.

Nous aimerions savoir quelles ont été les réactions des professeurs concernés quand ils ont découvert ce nouveau programme. Ont-ils bénéficié d’une préparation pour aborder dans leurs cours cette question nouvelle ? Comment vivent-ils au quotidien l’enseignement de ce sujet ?

Enfin, y a-t-il eu des réactions critiques de la part des parents ?

M. Serge Lacassie, président de l’Association des professeurs de biologie et de géologie (APBG). Je tiens d’abord à vous remercier d’avoir accepté de nous auditionner.

Depuis le mois de mai, nous vivons une situation particulière. De nombreux journalistes nous ont contactés, nous posant des questions qui nous ont paru parfois bien surprenantes.

Ce n’est en effet pas le sujet du genre qui avait suscité le plus de critiques de la part des enseignants de SVT lorsque ceux-ci ont eu connaissance, il y a maintenant plus d’un an, du nouveau programme, mais celui de la sexualité.

La sexualité y est en effet traitée comme un système de récompense, associé au plaisir – comme si la sexualité pouvait être réduite à une friandise ! Expliquer que le comportement sexuel est conditionné par des paramètres qui entrent en jeu au niveau du cerveau est bien sûr nécessaire, mais il ne faudrait pas que les élèves ne retiennent en tout et pour tout de leur cours de SVT que la sexualité humaine serait identique à celle des rats et des souris ! L’attention à l’autre, le respect d’autrui, le mot « amour » même, devraient être rappelés dans les termes mêmes du programme.

La partie du programme incriminée par les médias ne nous a, par contre, pas choqués. Que le genre soit une construction sociale signifie que la différence entre les femmes et les hommes fait appel à divers paramètres : la génétique, le système hormonal mais aussi l’éducation. L’affirmer ne fait que répéter ce que Simone de Beauvoir avait déjà dit.

La phrase du programme qui a fait débat est celle qui porte sur l’identité sexuelle. Sa rédaction aurait certainement pu être améliorée mais elle se justifie pour une raison simple : de nombreux adolescents homosexuels sont mal dans leur peau, jusqu’à faire parfois des tentatives de suicide ; leur différence est mal perçue par leurs camarades de classe et même, il faut le dire, par certains enseignants. Il ne s’agit donc que de rappeler que l’homosexualité relève d’une décision qui appartient en propre à l’individu, et qui, en tant que telle, mérite le respect.

S’il y a un reproche que formulent les professeurs de biologie sur ce point de la réforme du programme, c’est que la charge de délivrer cette leçon de tolérance n’est pas partagée avec les autres collègues ; le sujet mériterait d’être également abordé en cours de philosophie et en cours d’éducation civique et juridique.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’aimerais savoir qui rédige les programmes d’enseignement ; le B.A.-BA en ce domaine est que le contenu des programmes soit d’abord expérimenté.

M. Serge Lacassie. Cela se faisait autrefois dans une grande transparence. Les personnes chargées de concevoir les programmes étaient désignées par le ministre et leurs noms publiés au Journal officiel ; il s’agissait d’inspecteurs généraux, de professeurs d’université et d’enseignants du secondaire.

Mais en SVT nous ne connaissons pas la composition du groupe de travail qui a élaboré ce nouveau programme, à la différence de nos collègues qui enseignent les mathématiques ou la physique. Notre association n’a eu l’occasion que d’échanger quelques courriers avec le doyen des inspecteurs généraux.

S’il n’est pas anormal que le secrétaire général de l’éducation catholique s’adresse aux autorités pour les questionner sur le contenu du programme, je rappellerai que les enseignants de SVT ont eu à affronter des charges très violentes ; on nous a même accusés d’être « les sous-marins de l’intelligentsia homosexuelle dont le seul but est de casser la famille francaise » et d’être des « promoteurs de l’homosexualité » !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La traduction en français du mot « gender » ne m’a jamais paru bien claire.

Je n’ai pas accepté de participer à la polémique sur cette question et n’ai signé aucune pétition. En histoire-géographie, certains sujets ont également fait débat ; et à cette époque où j’étais enseignante, je trouvais inacceptable la remise en cause de ce que je pouvais enseigner

M. Serge Lacassie. Les manuels scolaires sont rédigés avant que les programmes ne deviennent définitifs. Le texte qui a suscité le plus de polémiques est celui de l’édition Bordas du manuel de SVT pour classe de première. À la page 182, est mentionnée une étude allemande qui montrerait une variabilité importante des activités homosexuelles des adolescents en fonction du contexte culturel et social : en Allemagne, la dégradation post-soixante-huitarde de l’état des familles aurait fait augmenter la proportion d’adolescents aux pratiques homosexuelles tandis que l’épidémie de Sida et un resserrement des principes l’aurait faite fortement baisser dans les années 90. Force est de constater que cette étude n’est en rien un document scientifique : les cohortes ne sont pas indiquées et la notion « d’activité homosexuelle » n’est pas définie.

Les autres manuels passent plus rapidement sur le sujet et y consacrent un développement à peine plus long que les deux phrases qui l’évoquent dans le programme.

Mme Marianne Dubois. Les enseignants sont-ils obligés de développer ce sujet auquel seulement deux phrases du programme sont consacrées ?

M. Serge Lacassie. Suivre le contenu du programme est une obligation pour les enseignants. Mais les cours de SVT n’ont lieu qu’une fois tous les quinze jours à raison d’une heure et demie. Le sujet de la différence entre le féminin et le masculin est traité en cinq semaines au plus. Au cours de ces séances, de nombreux thèmes sont abordés : le développement embryonnaire, la régulation hormonale, les méthodes de contraception, l’IVG, les maladies sexuellement transmissibles et la procréation médicalement assistée. Cinq à dix minutes au maximum seront donc consacrées à la présentation du thème mentionné en deux phrases dans le programme.

Cette polémique est donc une tempête dans un verre d’eau, déclenchée pour des raisons idéologiques.

Mme Nicole Faure, membre du bureau de l’APBG. Aux mois de mai et juin, la boîte mail de notre association a été la cible de milliers de spams.

En cours, le sujet ne sera pas abordé, en effet, plus de cinq minutes. Certes, à Nice, un de nos collègues a eu des problèmes avec un parent d’élève parce qu’il avait organisé un débat sur la question du genre.

Mais je rappellerai que nous enseignons une science ; nous faisons de la biologie en procédant par observation et expérimentation. Le comportement humain n’est pas abordé ; il relève des sciences sociales.

M. Serge Lacassie. À l’occasion des cours de sciences économiques et sociales, en classe de seconde, le problème des rapports entre les femmes et les hommes est déjà traité, notamment celui de la parité.

Les enseignants de SVT n’ont pas eu de préparation particulière pour appliquer le nouveau programme. Il faut dire que notre discipline vient de connaître une importante réorganisation de ses horaires : nous avons perdu un quart de notre volume d’heures d’enseignement en classe de seconde et une heure en première scientifique. On nous demande donc d’enseigner beaucoup de choses mais on nous diminue nos horaires !

Le véritable problème nous semble être l’éducation à la sexualité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mme Bérengère Poletti a remis un rapport sur le sujet.

M. Serge Lacassie. C’est surtout au collège que les difficultés se font le plus sentir avec des cas de grossesses précoces et d’IVG.

L’opinion publique accuse, bien évidemment, les enseignants de SVT de ne rien apprendre aux jeunes adolescents.

Le rapport de Mme Bérengère Poletti a bien sérié les problèmes : des heures de cours sont en principe consacrées à un enseignement de la sexualité mais il est fréquent que ces séances ne soient pas assurées.

Mme Nicole Faure. Le collège où j’enseigne, à Nice, est situé dans une zone urbaine sensible. Nous disposons d’un comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté dans lequel les professeurs de SVT sont très impliqués. L’infirmière ou le médecin scolaire, interviennent à tous les niveaux, au collège et au lycée. Par exemple, en classe de quatrième, à l’occasion des cours sur l’organisation de l’appareil génital, l’infirmière intervient sur le sujet de la sexualité. L’enseignant n’assiste pas à cette séance car les élèves se sentent très gênés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pourtant, autrefois, le professeur assistait à ce cours.

Mme Nicole Faure. L’expérience montre que les élèves sont paralysés en présence de leur professeur – qu’ils côtoient par ailleurs toute l’année et qui, en outre, les note. Or il faut qu’ils aient la possibilité de poser toutes les questions qu’ils veulent, aussi singulières soient-elles.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Du temps où j’enseignais, les jeunes ne me paraissaient pas particulièrement traumatisés quand on leur parlait de ce sujet !

Mme Nicole Faure. Je demande toujours à mes élèves s’ils souhaitent que j’assiste à cette séance mais leur réponse est négative.

Les adolescents peuvent aussi poser leurs questions en les déposant dans une boîte à questions anonymes.

Mes craintes viennent plutôt du fait que les adolescents s’informent de plus en plus sur Internet. Ils y acquièrent des certitudes dont ils ne veulent plus démordre. Nous avons alors besoin de plus de temps pour leur expliquer la réalité des choses.

Je tiens à préciser que lorsque nous abordons l’organisation du système génital, nous le faisons dans le cadre d’une étude de biologie ; nous ne traitons pas de la sexualité.

Nous constatons en général un manque de respect entre les élèves qui peut se traduire pas une très grande violence verbale dès qu’un adolescent est différent des autres.

Tout se banalise ; une infirmière m’a confié que certaines jeunes filles en étaient à leur troisième IVG à l’âge de quatorze ans ! Elles préfèrent se faire avorter plutôt que d’utiliser des contraceptifs.

Il y a un manque d’encadrement qui n’est pas le fait des enseignants, car ceux-ci accomplissent un travail considérable.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On demande aux enseignants à la fois de délivrer un savoir et d’éduquer. Une éducation sexuelle est nécessaire parce que les parents ne l’assurent pas. Une équipe pédagogique très soudée est donc nécessaire.

Mme Nicole Faure. Nous devons intervenir très tôt, travailler avec le conseiller principal d’éducation, mettre en place des cellules de veille, faire des fiches, tout cela se faisant en sus de nos cours.

M. Serge Lacassie. On demande beaucoup à l’enseignant en SVT, surtout au collège : d’éduquer à la santé, à la sexualité, à l’environnement, au développement durable etc. Notre association n’est pas contre, à condition que les heures prévues soient effectivement attribuées à tous les niveaux.

Je tiens par ailleurs à dénoncer la situation dramatique de la médecine scolaire. Pour les cours portant sur la sexualité, nous sommes contraints de faire venir des personnes extérieures au milieu scolaire, venant des services du planning familial ou des conseils généraux ; certaines associations peuvent également être sollicitées mais le contenu de leurs interventions est parfois critiquable.

La récente polémique ne nous a pas vraiment surpris. Après l’adoption de la loi sur l’IVG, les programmes de SVT avaient été modifiés : nous avions alors été accusés d’être des militants pro-avortement !

Mme Marianne Dubois. Mettre en avant la notion de sentiment permettrait certainement de moduler ces réactions face à l’enseignement de la sexualité.

M. Serge Lacassie. Il y a en effet d’autres paramètres à mettre en avant que de réduire la sexualité à un système de récompenses qui s’enclenche en fonction d’un certain taux d’hormones.

Il faut appeler au respect de l’autre, rappeler notamment aux garçons que les filles ne sont pas des objets.

Mais la population des élèves a changé, tant au point de vue intellectuel que comportemental. Quand j’enseignais en zone sensible, je laissais mon groupe de filles seul avec l’infirmière chargée de présenter les mécanismes de la sexualité et j’emmenais les garçons jouer au football. Sinon, les filles se muraient dans le silence.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le professeur principal assistait autrefois à ces cours, dont l’organisation lui était d’ailleurs confiée. Qu’en est-il aujourd’hui ?

M. Serge Lacassie. L’enseignant a un rôle ambivalent : il est l’adulte référent mais aussi l’adulte qui juge. En sa présence, l’enfant craint d’être ridicule ; donc il se tait.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je serais curieuse d’entendre ce que diront, dans trois ou quatre ans, une fois devenus adultes, ceux auxquels on aura expliqué que le genre est une construction sociale…

M. Serge Lacassie. Notre association avait demandé que l’enseignement des différents thèmes portant sur la différence entre le féminin et le masculin soit assuré en classe de seconde, avant que les élèves ne soient orientés vers d’autres structures. Ceux qui sont dirigés vers les lycées professionnels nous échappent.

Certes la réforme a été positive en ce qu’elle a ouvert un enseignement de SVT dans toutes les secondes, y compris dans les lycées techniques. Malheureusement les problèmes du développement de la sexualité demeurent rattachés au programme de première.

Mme Nicole Faure. Il conviendrait en plus de maintenir une continuité avec ce qui est déjà enseigné en classes de quatrième et de troisième.

Pour la partie du programme qui fait l’objet de polémiques, il est certain que les élèves n’en retiendront rien car, je le répète, il ne fera l’objet que de cinq minutes de cours et l’enseignant aura assez de recul pour expliquer que cette problématique relève de la vie privée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann J’interrogerai le ministre sur la formation des enseignants et sur les conditions dans lesquelles le programme de SVT a été conçu.

Je vous remercie de votre contribution à nos travaux.

La séance est levée à 18 heures.